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Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 volumes, 774 pages.


Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p.


 

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Section 2
La situation en Turquie

 

 

  

Nous allons examiner le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Turquie en le divisant en deux périodes : sous la Constitution de 1961 et sous la Constitution de 1982, car les données constitutionnelles du problème sont différentes dans ces deux périodes.

Alors cette section se subdivise en deux sous-sections :

Sous-section 1. - Sous la Constitution de 1961

Sous-section 2. - Sous la Constitution de 1982

 

 

 

Sous-section 1
Sous la Constitution de 1961

 

 

 

La Constitution turque de 1961 a été adoptée par le référendum du 9 juillet 1961[1] et déconstitutionnalisée par le coup d'Etat du 12 septembre 1980[2].

Le contrôle de constitutionnalité des lois est prévu pour la première fois en Turquie par la Constitution de 1961. Du point de vue du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il faut distinguer les périodes d'avant et d'après 1971, car la réglementation constitutionnelle sur ce point a été modifiée par la loi de révision constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971.

§ 1. Avant 1971

Nous allons voir d'abord la réglementation constitutionnelle (A), ensuite la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (B).

A. La réglementation constitutionnelle

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971, la Constitution de 1961 ne contenait aucune disposition sur la contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans cette période, l'article 147 stipulait que

« la Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution des lois et du règlement intérieur de la Grande Assemblée nationale de Turquie ».

De même, la loi n°44 du 22 avril 1962 sur l'organisation et la procédure de travail de la Cour constitutionnelle prévoyait le contrôle de la constitutionnalité des lois et du règlement intérieur de l'Assemblée, mais elle ne comportait aucune disposition sur le contrôle de la constitutionnalité des lois de révision constitutionnelle.

Alors la Constitution turque de 1961, avant la révision constitutionnelle de 1971, ne contenait aucune disposition sur la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Par conséquent, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans le cas de la Turquie, avant 1971, doit être analysée comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé.

Dans le chapitre précédent[3], nous avons vu les données théoriques du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un tel système. Sans entrer dans les détails, rappelons que, selon les conclusions développées dans ce chapitre, dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé par la constitution, puisque la solution n'existe pas dans les textes positifs, elle ne peut se trouver que dans la jurisprudence constitutionnelle. Mais pour qu'il y ait une jurisprudence constitutionnelle, il faut qu'il existe avant tout un organe chargé du contrôle de la constitutionnalité. En d'autres termes, il faut qu'il y ait, dans le système, un organe compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois.

En Turquie, sous la Constitution de 1961, avant 1971, il y avait justement une Cour constitutionnelle chargée de contrôler la constitutionnalité des lois[4]. Par conséquent, la première condition est remplie.

Dans le chapitre précédent[5], deuxièmement, nous avons affirmé que, s'il y a une cour constitutionnelle dans le système, il faut regarder la jurisprudence de cette cour sur le point de savoir si elle se déclare compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Du point de vue du droit positif, dans une telle hypothèse, il faut admettre que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible si la cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par contre, un tel contrôle est impossible si la cour constitutionnelle se considère comme incompétente pour contrôler les lois constitutionnelles. Alors, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible si la cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par contre, un tel contrôle est impossible si la cour constitutionnelle s'est déjà déclarée incompétente pour contrôler les lois constitutionnelles. Car, du point de vue du droit positif, la jurisprudence de cette cour est incontestable. En d'autres termes la décision de cette cour constitue la solution authentique du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Alors, pour savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou non en Turquie dans cette période, il faut regarder la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sur le point de savoir si elle se considère comme compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Si elle s'est déjà déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ce contrôle est possible. Si ce n'est pas le cas, ce contrôle est impossible.

Dans cette période, comme nous allons le voir avec les détails plus bas, la Cour constitutionnelle turque s'est déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans les décisions des 16 juin 1970 et 3 avril 1971, elle a effectivement contrôlé la constitutionnalité de deux lois de révision constitutionnelle. De plus elle a même annulé une loi de révision constitutionnelle.

Alors du point de vue du droit positif, une seule conclusion s'impose : en Turquie, sous la Constitution de 1961, avant 1971, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ; car, d'une part, la Constitution ne contient aucune disposition sur ce point, et d'autre part la Cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles.  Par conséquent la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque avant 1971 illustre parfaitement la solution du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un système où le contrôle n'est pas réglementé par les constitutions et où il y a un organe chargé du contrôle de la constitutionnalité.

Voyons maintenant de plus près la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque avant 1971 sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

B. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

Nous exposerons d'abord la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, ensuite nous essayerons de faire la critique de cette jurisprudence.

1. Exposé

Dans cette période, c'est‑à‑dire avant la loi de révision constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque a rendu deux décisions concernant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles : les décisions des 16 juin 1970 et 3 avril 1971.

a. La décision n°1970-31 du 16 juin 1970, Restitution des droits politiques[6]

La Constitution turque de 1961 a été révisée pour la première fois par la loi constitutionnelle n°1188 du 6 novembre 1969[7]. L'article 68 de la Constitution de 1961 interdisait aux personnes qui sont condamnées de certains délits et crimes d'être candidates et d'être élues en tant que députés, « même si elles ont bénéficié d'une amnistie ». La révision de 1969 a supprimé cette dernière restriction.

La loi constitutionnelle n°1188 du 6 novembre 1969 en supprimant ces quatre mots[8] permet aux anciens condamnés bénéficiant d'une amnistie de se présenter aux élections générales. En effet cette disposition avait pour objet de rendre les droits politiques aux anciens responsables[9] du Parti démocrate condamnés au procès de Yassiada à la suite du coup d'Etat militaire du 27 mai 1960 renversant le Gouvernement de ce Parti. Ainsi, la première révision de la Constitution de 1961 a provoqué une crise politique dans le pays, opposant, d'une part, les partis politiques à l'armée, et d'autre part, les partis de gauche aux partis de droite[10].

Dans ces circonstances, la Cour constitutionnelle fut saisie, le 9 janvier 1970, par le Parti travailliste de Turquie, sur la base de l'article 149 de la Constitution, à l'effet de se prononcer sur la conformité de la loi constitutionnelle du 6 novembre 1969 à la Constitution. Ainsi, dès la première révision constitutionnelle, la Cour constitutionnelle turque a eu l'occasion de se prononcer sur le point de savoir si elle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Nous allons voir d'abord les arguments de l'auteur de la saisine, ensuite la décision de la Cour constitutionnelle.

Les arguments de l'auteur de la saisine

L'auteur de la saisine, le Parti travailliste de Turquie, invoque plusieurs arguments pour montrer d'abord la compétence de la Cour, ensuite l'irrégularité formelle et matérielle la loi constitutionnelle en question[11].

1. Pour démontrer la compétence de la Cour. – D'abord le Parti requérant, en s'appuyant sur une conception jusnaturaliste, a fait valoir que la Cour constitutionnelle est compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles, car, à son avis,

« il y a des principes fondamentaux supérieurs à la constitution et d'une façon générale, au droit positif. Ces principes se trouvent à l'origine des constitutions et traduisent une certaine conception du monde qui constitue l'idéologie dominante dans une société déterminée... Les constitutions tirent leur valeur et validité juridique de ces principes fondamentaux... Et à certains égards, les constitutions sont des documents qui réalisent ces principes... et qui les transforment en droit positif »[12].

Ensuite l'auteur du recours soutient qu'il y a une hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles. En effet, le requérant affirme que

« la constitution comporte, à côté des principes fondamentaux, les dispositions de nature réglementaire qui ont pour objet d'appliquer ces principes. Les principes se trouvant dans les préambules ou dans les déclarations des droits annexées à la constitution constituent le sommet de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles. En effet, la cohérence de la constitution est assurée par la conformité des dispositions réglementaires et d'autres dispositions à ces principes se trouvant au début de la constitution »[13].

Ainsi après avoir affirmé que les dispositions constitutionnelles occupent un rang différent dans la hiérarchie selon leur valeur et validité juridique, l'auteur de la saisine conclut que

« si un article de la Constitution de l'importance dérivée est modifié et si cet article révisé entre en contradiction avec les principes fondamentaux de la Constitution, la cohérence de la Constitution sera anéantie. Puisque la validité des principes fondamentaux ne peut pas être limitée par un article de valeur secondaire, la Cour constitutionnelle a la compétence de s'opposer à cette révision et d'annuler l'article modifié »[14].

Soulignons que ces arguments du Parti travailliste de Turquie illustrent parfaitement la thèse de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles que nous avons examinée dans la première partie[15]. Par conséquent on peut se reporter, pour la critique de ces arguments, à la section consacrée à la critique de cette thèse[16].

D'ailleurs le requérant invoque aussi des arguments positivistes. Il soutient que la conclusion ci-dessus pourrait même être tirée de la disposition de l'article 147 de la Constitution. Car, selon le requérant,

« l'article 147, en prévoyant que ‘la Cour constitutionnelle contrôle la constitutionnalité des lois’ attribue à la Cour constitutionnelle les compétences les plus étendues dans l'exercice de ce contrôle. Qu'il nous soit permis de donner un exemple : si la proposition ou le projet de loi révisant certains articles de la Constitution est entaché de vices de procédure, par exemple, si la proposition n'a pas été adoptée par la majorité des deux tiers, la Cour constitutionnelle déclarera-t-elle irrecevable le recours en annulation, en se considérant comme incompétente pour statuer sur la validité de cette loi ? Sans aucun doute, non. La Cour constitutionnelle examinera l'affaire et annulera la loi de révision constitutionnelle »[17].

L'auteur de la saisine affirme la même chose à propos de la compétence de la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. De même, s'il y a un vice matériel au lieu d'un vice de procédure, la Haute Instance contrôlera aussi la loi en question. Et si la Cour constate que la loi de révision constitutionnelle est en contradiction avec les principes fondamentaux de la Constitution, elle l'annulera[18].

2. Pour démontrer l'irrégularité de la loi constitutionnelle en question. – D'ailleurs selon le Parti travailliste, auteur de la saisine, la loi constitutionnelle n°1188 du 6 septembre 1969 était contraire à la Constitution tant du point de vue de la forme que du fond.

a. D'abord, pour démontrer l'irrégularité formelle de la loi constitutionnelle en question, le requérant soutenait que la loi constitutionnelle en question était entachée d'un vice de procédure, car elle a été adoptée contrairement à la disposition de l'article 155 prévoyant que « les propositions de révision constitutionnelle ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence ».

b. Ensuite, selon le requérant, la loi constitutionnelle en question était contraire à la Constitution du point de vue de son contenu aussi. En effet, l'argument du Parti travailliste de Turquie est plutôt un argument d'opportunité. Le requérant, en supposant que la Constitution de 1961 tire sa validité du coup d'Etat du 27 mai 1960, affirme que « la légitimité de l'intervention[19] du 27 mai 1960 repose sur l'illégitimité du Gouvernement du Parti démocrate »[20]. Si l'on rend les droits politiques aux anciens responsables illégitimes de ce gouvernement, la légitimité de l'intervention du 27 mai sur laquelle repose la Constitution de 1961 sera anéantie. Alors la loi constitutionnelle en question qui devait rendre les droits politiques aux anciennes responsables du Parti démocrate était contraire à l'essence même de la Constitution de 1961[21].

En dehors de cet argument, l'auteur de la saisine essaye de tirer la même conclusion de l'article 9 de la Constitution de 1961 prévoyant l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat. En interprétant largement cette interdiction, le requérant affirme que, non seulement la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques de cet Etat, telles que l'Etat de droit, démocratique, basé sur les droits de l'homme, et laïque, sont intangibles[22].

En conclusion selon le Parti travailliste de Turquie, la loi constitutionnelle n°1188 du 6 novembre 1969 révisant l'article 68 et supprimant l'article transitoire de la Constitution est contraire aux principes fondamentaux se trouvant au début de la Constitution[23].

La décision de la Cour

La Cour constitutionnelle a examiné d'abord la recevabilité, ensuite le fond de l'affaire.

A. La recevabilité. – La Cour constitutionnelle a d'abord discuté de la question de savoir si elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, et ensuite la question de l'étendue de sa compétence.

1. La question de sa compétence. – D'abord il convient de préciser que selon l'article 28 de la loi n° 44 du 22 avril 1970 sur l'organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, la Cour est liée par les conclusions de l'auteur de la saisine, mais non pas par les moyens invoqués par lui. Par conséquent la Cour constitutionnelle peut annuler une loi pour d'autres motifs que ceux invoqués par le requérant. De même parfois, la Cour soulève d'office un moyen non invoqué par le requérant et annule la loi, sans qu'il soit besoin de statuer sur d'autres moyens.

Dans cette affaire aussi la Cour constitutionnelle n'a pas statué sur tous les moyens invoqués par l'auteur de la saisine. Par exemple, comme on vient de le voir, le requérant, sur la base d'une conception purement jusnaturaliste, soutient qu'il y a, d'une part, des principes supérieures à la Constitution et d'autre part, une hiérarchie entre les normes constitutionnelles elles-mêmes. La Cour n'a pas répondu à ces deux arguments. Elle a préféré examiner la question dans le cadre de la Constitution.

Avant d'entrer au fond de l'affaire, conformément à la demande de l'auteur de la saisine, la Cour constitutionnelle a tout d'abord examiné la question de savoir si elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. En effet, comme on l'a vu plus haut, l'article 147 de la Constitution habilitait la Cour constitutionnelle à se prononcer sur la constitutionnalité des lois et ne parlait pas de lois constitutionnelles. Alors la question qui se posait à la Cour constitutionnelle était celle de savoir si les lois constitutionnelles pouvaient être considérées comme « lois » dans le sens de l'article 147. La réponse de la Cour à cette question était affirmative. La motivation de la Cour était la suivante :

« Il est évident que la révision de la Constitution de 1961 n'est possible que par les lois qui seront édictées conformément à la procédure et aux conditions prévues dans l'article 155. En effet, le texte n°1188 du 6 novembre 1969 en question porte aussi l'appellation nom de « loi », comme on le voit clairement dans son titre[24]. D'ailleurs, la Constitution considère la révision constitutionnelle comme une « loi », car, elle prévoit, dans son article 155, qu'en dehors de certaines conditions[25], la discussion et l'adoption des révisions constitutionnelles se déroulent conformément aux dispositions qui régissent la discussion et l'adoption des lois »[26].

Ainsi, en donnant la satisfaction au requérant, la Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler non seulement la constitutionnalité des lois ordinaires, mais aussi celle des lois constitutionnelles. L'argument principal de la haute instance consiste à faire valoir que les lois constitutionnelles, elles aussi, sont, en dernière analyse, des lois. En d'autres termes, selon la Cour, il n'y a qu'une seule catégorie de lois au regard du contrôle de constitutionnalité. Car, à son avis, le mot « loi », comprend parfaitement la « loi constitutionnelle ». En effet, la Cour constate que la loi constitutionnelle du 6 novembre 1969 attaquée porte elle-même l'appellation de « loi », dans son texte publié au Journal officiel[27]. Par conséquent la haute juridiction a estimé qu'elle peut statuer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles sans qu'elle ait besoin d'une compétence spéciale autre que celle qui lui est attribuée pour contrôler la constitutionnalité des lois dans l'article 147.

2. La question de l'étendue de sa compétence. – Après avoir répondu par l'affirmative à la question de savoir si elle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, une deuxième question s'est posée à la Cour constitutionnelle : celle de l'étendu de sa compétence. La Cour constitutionnelle peut-elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur forme que de leur contenu ?

a. Le contrôle de forme. – Concernant la question de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, la Cour a fait droit à l'argument du Parti requérant. Ainsi, la Cour constitutionnelle a affirmé qu'

« il est hors de doute que, pour qu'une loi prévoyant la révision de la Constitution ait réellement un tel effet, c'est‑à‑dire pour qu'elle modifie ou supprime un principe constitutionnel, ou bien pour qu'elle pose un nouveau principe constitutionnel, elle doit être proposée conformément aux dispositions de l'article 155, délibérée et adoptée par les assemblées législatives conformément à ces mêmes dispositions. Un texte qui n'a pas été mis en place conformément à ces règles ne peut avoir aucun effet sur les dispositions existantes de la Constitution. De même une nouvelle disposition qui n'a pas été édictée conformément à ces règles ne peut pas être considérée comme une norme de qualité et de force constitutionnelle.

        C'est pourquoi, les lois prévoyant la révision de la Constitution, elles aussi, doivent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle à l'effet de savoir si elles ont été proposées et adoptées conformément à la procédure et aux conditions prévues dans l'article 155 »[28].

Ainsi, la Cour s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Le contrôle de la régularité formelle des lois constitutionnelles consistait, selon la Cour constitutionnelle, à vérifier si elles ont été proposées, délibérées et adoptées conformément aux règles de forme prévues dans l'article 155 de la Constitution ; c'est‑à‑dire la proposition par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale, l'interdiction d'en délibérer selon la procédure d'urgence et l'adoption à la majorité des deux tiers (art.155, al.1).

b. Le contrôle de fond. – Dans cette décision, en donnant toujours la satisfaction à l'auteur de la saisine, la Cour constitutionnelle s'est encore reconnue la compétence de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. La motivation de la Cour constitutionnelle était la suivante :

        « La Constitution de 1961, dans son article 9, pose un principe d'intangibilité. Selon cet article ‘la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ne peut être modifiée, ni sa modification proposée’.

        Il est évident que le principe d'intangibilité ne vise pas seulement le mot ‘république’. C'est‑à‑dire qu'il est impossible de concilier ce principe avec l'idée selon laquelle la Constitution permet de réviser tous principes et règles en dehors de l'intangibilité du mot ‘république’. Car, le but du principe de l'intangibilité exprimé dans l'article 9 est de protéger le système de l'Etat, exprimé par le mot ‘république’, dont les caractéristiques sont déterminées par les principes fondamentaux trouvant dans les articles 1 et 2 et dans le préambule auquel fait référence l'article 2. En d'autres termes, ce qui est intangible n'est pas le mot ‘république’, mais le ‘régime républicain’ dont les caractéristiques sont définies dans les articles précités. Alors, la proposition et l'adoption d'une révision constitutionnelle qui établirait, tout en gardant le mot ‘république’, un régime incompatible avec les principes fondamentaux de la Constitution de 1961 serait contraire à la Constitution.

        C'est pourquoi, une loi prévoyant la révision de l'un de ces principes ou une loi qui a pour objet de modifier ces principes directement ou indirectement par les révisions dans les autres articles de la Constitution ne peut pas être proposée et adoptée. Une loi qui a été adoptée contrairement à ces principes ne peut avoir aucun effet sur les dispositions existantes de la Constitution.

        Il résulte de tout ce qui est dit que la Cour constitutionnelle a la tâche, en vertu de l'article 147, de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.

        Pour ces raisons, les lois constitutionnelles doivent pouvoir être contrôlées par la Cour constitutionnelle non seulement sur la forme, mais aussi quant au fond »[29].

Comme on le voit, dans cette décision, la Cour constitutionnelle s'est déclarée encore compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Elle fonde sa compétence sur l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Cependant la Cour interprète cette interdiction d'une façon très large. En effet, selon la haute juridiction, cette interdiction ne vise pas seulement le mot « république », mais aussi le « régime républicain » dont les caractéristiques sont définies dans les articles 1, 2 et dans le préambule de la Constitution. En d'autres termes, ce qui est intangible n'est pas seulement le mot « république », mais aussi les principes fondamentaux se trouvant dans les articles précités. Alors, la proposition et l'adoption d'une révision constitutionnelle qui établirait, tout en gardant le mot « république », un régime incompatible avec les principes fondamentaux de la Constitution de 1961 serait contraire à la Constitution. Ainsi selon la Cour constitutionnelle, une loi prévoyant la révision de l'un de ces principes ne peut pas être proposée. Mais si elle a été proposée et adoptée, elle ne peut avoir aucun effet sur les dispositions existantes de la Constitution. Par conséquent, elle doit être annulée par la Cour constitutionnelle.

En conséquence, la Cour constitutionnelle se considère comme compétente pour contrôler la conformité du contenu des lois constitutionnelles non seulement à la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 1, mais aussi aux principes définis dans l'article 2 de la Constitution (Etat de droit démocratique, laïque, social, national etc.).

* * *

B. Le fond de l'affaire.– Ensuite, après s'être reconnue la compétence de contrôler les lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu, la Cour constitutionnelle turque s'est mise à examiner la conformité de la loi constitutionnelle n°1188 du 6 novembre 1969 à la Constitution.

La Cour a d'abord contrôlé la régularité formelle de la loi constitutionnelle en question. En d'autres termes, la Cour a vérifié si cette loi constitutionnelle a été adoptée conformément aux règles de forme prévues dans l'article 155 de la Constitution. C'est pourquoi voyons d'abord les dispositions de l'article 155 de la Constitution de 1961.

        Article 155.– La révision de la Constitution peut être proposée par un tiers au mois du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie, et ce, par écrit. Les propositions de révision de la Constitution ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence. Elles ne peuvent être adoptées qu'à la majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée.

        En dehors des conditions énoncées à l'alinéa 1er, la discussion et l'adoption des propositions de révisions constitutionnelles se déroulent conformément aux dispositions qui régissent la discussion et l'adoption des lois.

Et le Règlement intérieur de l'Assemblée nationale prévoyait deux délibérations sur la proposition des lois. Le premier portait sur l'ensemble de la proposition et le deuxième sur les articles. La loi de révision constitutionnelle en question a été votée en première lecture par les deux tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée, comme le prévoyait l'article 155 de la Constitution. Par contre, la deuxième lecture comportait deux phases. Dans la première, l'Assemblée votait les articles de la proposition un à un ; dans la deuxième, l'ensemble de la proposition.

Dans notre cas, l'Assemblée nationale a voté les articles à la majorité simple, et ensuite l'ensemble de la proposition à la majorité de deux tiers. En d'autres termes, l'Assemblée n'a exigé la majorité de deux tiers que dans la dernière phase de la deuxième lecture. Or, selon la Cour constitutionnelle, non seulement l'ensemble de la proposition, mais aussi ses articles devaient être votés à la majorité de deux tiers, comme le prévoyait l'article 155 de la Constitution. Par conséquent, la Cour constitutionnelle a conclu que la loi constitutionnelle en question n'a pas été adoptée conformément à la Constitution. Ainsi la Cour, par 8 voix contre 7, a prononcé l'annulation de la loi constitutionnelle du 6 novembre 1969[30].

Puisque la loi constitutionnelle a été déjà annulée quant à la forme, sur les autres points ainsi que du point de vue de sa régularité matérielle, la Cour constitutionnelle a décidé qu'il n'y avait pas lieu à statuer[31].

Ainsi la Cour constitutionnelle turque a contrôlé pour la première fois la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle 8 ans seulement après de sa fondation. Parmi les pays étudiés, cette décision est la première décision d'annulation d'une loi constitutionnelle.

Cette décision a suscité de vives critiques dans la doctrine turque de droit constitutionnel et même à l'intérieur de la Cour, comme l'atteste le nombre des opinions dissidentes. Nous allons voir la critique de cette décision plus tard.

b. La décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, Report des élections du Sénat[32]

La Constitution de 1961 a été révisée pour la deuxième fois par la loi constitutionnelle n°1254 du 17 avril 1970[33]. Cette loi reportait les élections du Sénat pour un an et quatre mois.

La Cour constitutionnelle a été saisie par le Parti travailliste de Turquie aux fins d'appréciation de la conformité de cette loi constitutionnelle à la Constitution. Ainsi, la Cour constitutionnelle turque a trouvé aussi l'occasion de se prononcer sur la deuxième révision de la Constitution de 1961.

Voyons d'abord les arguments de l'auteur de la saisine, ensuite le jugement de la Cour.

Les arguments de l'auteur de la saisine

Puisque la Cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, le Parti travailliste de Turquie, cette fois‑ci, sans avoir invoqué les arguments en faveur de la compétence de la Cour constitutionnelle, a développé directement les arguments tendant à montrer l'inconstitutionnalité de la loi constitutionnelle en question.

D'abord, le requérant soutenait que la loi constitutionnelle en question était inconstitutionnelle quant à sa forme, car elle avait été adoptée contrairement à la disposition de l'article 155 prévoyant que « les propositions de révision constitutionnelle ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence »[34].

Ensuite, selon le Parti travailliste, « la loi constitutionnelle en question était en contradiction ouverte avec les articles 73 et 74 de la Constitution »[35].

Par ailleurs le requérant prétendait que

« cette loi est complètement contraire à l'esprit général de la Constitution, car elle permet aux sénateurs, par leurs propres voix, de prolonger le durée de leur fonction, et ainsi de recevoir leur salaire encore pendant un an et quatre mois »[36].

La décision de la Cour

La Cour constitutionnelle a d'abord examiné la question de savoir si elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles et ensuite la régularité formelle et matérielle de la loi constitutionnelle en question.

1. Sur la question de savoir si elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. - a) La Cour constitutionnelle, cette fois, n'a pas examiné la question de savoir si elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Il semble que la Cour constitutionnelle s'est considérée comme compétente pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, car elle est passée directement à l'examen de la régularité formelle de la loi constitutionnelle.

b) Par contre la Cour constitutionnelle a examiné de nouveau la question de savoir si elle était compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. A ce propos, d'abord, la Cour a réaffirmé qu'elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles du point de vue de leur régularité matérielle. Dans cette décision, la Cour a répété essentiellement l'argument qu'elle avait utilisé dans la décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques). Mais il semble qu'elle ait utilisé cette fois‑ci un critère encore plus vaste que celui invoqué dans la décision précédente :

        « L'ordre constitutionnel comporte de telles institutions et de tels droits et devoirs que, s'ils sont liés aux principes contraires aux nécessités de la civilisation contemporaine, cet ordre pourrait s'effondrer dans son ensemble. Par exemple, la modification de l'article 1 de la Constitution prévoyant que ‘l'Etat turc est une république’ détruit le fondement de la structure de la Constitution. C'est pourquoi, l'article 9 spécifie que la révision de cette disposition ne peut être proposée. La forme républicaine de l'Etat est un ensemble de principes avec des institutions, des droits et devoirs fondamentaux. Alors il résulte tant des dispositions expresses de la Constitution que de son esprit et de sa philosophie que les révisions qui supprimeraient la forme républicaine de l'Etat ne puissent pas être réalisées. C'est pourquoi, il ne faut pas croire que l'on peut réviser les dispositions de la Constitution autres que celle de la forme de l'Etat, sans aucune condition.

        Le fait que les révisions constitutionnelles portent atteinte à la cohérence et à la systématique des dispositions fondamentales de la Constitution détruit la structure juridique dans son ensemble. Dans ce cas, le fait que la Cour constitutionnelle protège la Constitution contre la domination de la majorité, en exerçant les compétences et les tâches qui lui sont attribuées par l'article 147, est conforme en particulier au préambule et aux dispositions des articles 2, 4 et 8 de la Constitution. Par conséquent, l'idée selon laquelle les révisions constitutionnelles ne sont pas soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle quant au fond est privée de fondement constitutionnel »[37].

Comme nous l'avons vu dans la décision « Restitution des droits politiques », la Cour s'est déjà déclarée compétente pour contrôler la conformité des lois constitutionnelles non seulement à la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 1 de la Constitution, mais aussi aux principes exprimés dans l'article 2. Dans cette décision la Cour constitutionnelle, en allant encore plus loin, a affirmé qu'elle doit contrôler aussi la conformité des lois constitutionnelles aux « nécessités de la civilisation contemporaine ». D'ailleurs, la Cour déclare, dans cette décision, qu'elle peut examiner les lois constitutionnelles sur le point de savoir si elles portent atteinte ou non à la cohérence et à la systématique de l'ordre constitutionnel. Ainsi selon la haute juridiction, la modification de la forme républicaine de l'Etat n'est qu'un exemple des révisions constitutionnelles interdites, mais celles-ci ne consistent pas en l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution : les révisions constitutionnelles contraires aux principes exprimés dans les articles 1, 2 et dans le préambule de la Constitution, et ainsi qu'aux nécessités de la civilisation contemporaine, et enfin les révisions constitutionnelles qui détruisent la cohérence de l'ordre constitutionnel sont interdites.

Nous allons critiquer plus tard la motivation de la Cour constitutionnelle. Mais signalons toute de suite que les critères tels que les « nécessités de la civilisation contemporaine » ou la « cohérence de l'ordre constitutionnel » sont difficilement appréciables. En effet, la Cour constitutionnelle avait fait déjà référence à ces critères dans une décision rendue en 1965[38]. Nous ne commenterons pas cette décision, car dans cette affaire, la Cour a contrôlé la constitutionnalité d'une loi ordinaire et non pas celle d'une loi constitutionnelle. Dans cette décision, la Cour constitutionnelle a, pour la première fois, développé la thèse selon laquelle la Constitution ne permet pas certaines révisions constitutionnelles :

        « On ne peut pas penser que l'Assemblée constituante qui a préparé l'article 155 et la nation turque qui l'a adopté ont accepté que l'on puisse, par l'application de cet article, supprimer la Constitution et détruire l'Etat de droit dont les caractéristiques sont définies par elle et établir un régime diamétralement opposé à celui-ci. Il est évident que l'article 155 a été adopté dans le but de permettre des révisions constitutionnelles qui sont conformes à l'esprit de la Constitution, et qui ont pour objet d'élever la société turque au niveau le plus avancé de la civilisation. Par contre, les révisions constitutionnelles laissant en arrière la société turque, détruisant les libertés et droits fondamentaux, anéantissant l'Etat de droit, en un mot supprimant l'essence de la Constitution de 1961 ne peuvent être considérées comme des ‘révisions constitutionnelles’ et par conséquent, elles ne peuvent être réalisées par l'application de l'article 155 »[39].

Ainsi la Cour constitutionnelle a affirmé, dans cette décision, que pour qu'une révision constitutionnelle soit valable, non seulement elle doit être réalisée conformément à la procédure de révision prévue à cet effet, mais aussi le contenu de cette révision doit être conforme à l'« essence de la Constitution de 1961 ».

2. Sur la régularité de la loi constitutionnelle en question. –  a) La régularité formelle. – La Cour constitutionnelle a examiné d'abord la question de savoir si la loi constitutionnelle en question est contraire à la Constitution du point de vue de sa forme. La Cour a rejeté l'argument du requérant selon laquelle la loi constitutionnelle en question a été adoptée contrairement à la disposition de l'article 155 prévoyant que « les propositions de révision constitutionnelle ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence »[40]. D'ailleurs la Cour constitutionnelle n'a constaté aucune autre irrégularité de procédure dans la proposition et l'adoption de la loi constitutionnelle n°1254 du 17 avril 1970[41].

b) La régularité matérielle. – Ensuite la Cour constitutionnelle a contrôlé la constitutionnalité de la loi constitutionnelle en question quant au fond, c'est‑à‑dire qu'elle a vérifié la conformité de cette loi constitutionnelle aux principes précités. La Cour a estimé que le contenu de cette loi n'est en contradiction ni avec les principes fondamentaux de la Constitution, ni avec le principe de l'intangibilité de la forme républicaine lui-même[42].

Ainsi pour ces motifs, la Cour constitutionnelle a décidé : 

        « 1. La loi constitutionnelle n°1254 du 17 avril 1970 modifiant l'article 73 de la Constitution n'est pas contraire à la Constitution quant à sa forme et par conséquent le recours est rejeté sur la forme par 10 voix[43] contre 5[44] ;

        2. La Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond par 13[45] voix contre 2[46];

        3. La loi constitutionnelle en question n'est pas contraire à la Constitution quant au fond et par conséquent le recours est rejeté quant au fond par 11 voix[47] contre 4[48] »[49].

Après avoir ainsi vu la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles avant 1971, maintenant nous pouvons passer à la critique de cette jurisprudence.

2. Critique

Nous allons critiquer la jurisprudence de la Cour constitutionnelle a travers les six questions suivantes :

– la question de la compétence ;

– la question du contrôle de forme ;

– la question du contrôle de fond ;

– la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux limites matérielles à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans le texte de la Constitution ;

– la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux limites matérielles à la révision inscrites dans le texte de la Constitution ;

– la question de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.

Pour toutes ces questions, nous allons d'abord montrer en quels termes la question est posée à la Cour constitutionnelle, ensuite la réponse donnée par la Cour constitutionnelle à cette question, puis les critiques adressées à cette réponse et enfin nous allons essayer de faire une appréciation générale de la question.

a. La question de compétence

La question posée. – Les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle ?

L'alinéa 1 de l'article 147 de la Constitution de 1961 confère à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôler la conformité à la Constitution des lois. D'autre part, les révisions constitutionnelles elles aussi portent l'appellation de « lois », malgré leur nature constitutionnelle. Alors, la Cour constitutionnelle est-elle compétente pour contrôler la constitutionnalité de ces « lois », comme celle des lois ordinaires ?

La réponse de la Cour. – La Cour constitutionnelle a répondu à cette question par l'affirmative.

Selon la Cour constitutionnelle, les lois constitutionnelles peuvent être soumises à son contrôle, car, ces lois aussi, sont, en dernière analyse, des lois. En d'autres termes, d'après la Cour, il n'y a qu'une seule catégorie de loi au regard de son contrôle. Elle affirme que le mot « loi », comprend parfaitement la « loi constitutionnelle ». En effet, la Cour constate que la loi constitutionnelle du 6 novembre 1969 attaquée porte elle-même le nom de « loi », dans son texte publié au journal officiel. Par conséquent la haute juridiction a estimé qu'elle peut statuer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles sans qu'elle ait besoin d'une compétence spéciale autre que celle qui lui est attribuée pour contrôler la constitutionnalité des lois dans l'article 147. Ainsi la Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Maintenant voyons les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle.

Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Nous allons voir d'abord la critique adressée à la réponse de la Cour constitutionnelle par ses membres minoritaires dans leurs opinions dissidentes. Ensuite nous allons donner les critiques développées par la doctrine.

Les critiques adressées par les membres minoritaires de la Cour constitutionnelle. – Dans les décisions de la Cour constitutionnelle turque, sont toujours indiqués non seulement les noms des juges participant à la délibération du jugement, mais aussi ceux des juges dissidents. De même, les décisions de la Cour constitutionnelle comprennent toujours les exposés des opinions dissidentes. Par conséquent, la première critique de la décision est fournie naturellement par les opinions des juges minoritaires. Nous aussi nous allons ici commencer à la critique des décisions de la Cour par l'exposé des opinions dissidentes.

Dans la décision de la Cour constitutionnelle turque n°1970-31 du 16 juin 1970, Restitution des droits politiques, parmi les quinze juges composant la Cour, un seul juge, Fazil Uluocak, a soutenu que la Cour constitutionnelle est incompétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Selon le juge dissident,

« la compétence de la Cour constitutionnelle consiste à contrôler la conformité à la Constitution des lois et des Règlements intérieurs des Assemblées législatives. La proposition de révision constitutionnelle et l'adoption de cette proposition sont soumises à la procédure et aux conditions déterminées dans la Constitution. Une révision constitutionnelle réalisée conformément à cette procédure fait partie intégrante du texte de la Constitution. Par conséquent, les recours en annulation concernant les révisions constitutionnelles restent en dehors de la compétence de la Cour constitutionnelle »[50].

Ainsi le juge Fazil Uluocak voit une différence de nature entre les « lois » et les « révisions constitutionnelles ». Et selon lui, la Cour constitutionnelle a reçu la compétence de contrôler la constitutionnalité des « lois », et non pas des « révisions constitutionnelles ». Par conséquent, les révisions constitutionnelles ne peuvent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle.

Les critiques adressées par la doctrine. – Maintenant voyons les critiques adressées par la doctrine à la réponse de la Cour constitutionnelle à la question de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle.

Rona Serozan approuve entièrement la réponse de la Cour constitutionnelle. D'après lui, l'argument selon lequel l'article 147 qui détermine la compétence de la Cour constitutionnelle, stipulant que « la Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution des lois et des Règlements intérieurs des assemblées », confère à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôler seulement la constitutionnalité des « lois » et non pas celle des « révisions constitutionnelles » n'est pas fondé, car les actes par lesquels la Grande Assemblée nationale révise la Constitution sont considérés comme lois. Alors, la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité non seulement des lois ordinaires, mais aussi des lois modifiant la Constitution. Quant à la question de savoir pourquoi l'article 147 ne mentionne pas les lois modifiant la Constitution, Rona Serozan affirme que

« le fait que les lois de révision constitutionnelle sont soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle comme toutes autres lois est tellement évident que le constituant n'a pas estimé nécessaire de poser une règle de compétence spéciale »[51].

Les autres auteurs discutent la question de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, en faisant toujours une distinction entre le contrôle de forme et contrôle de fond. Nous allons voir leurs critiques plus bas.

Appréciation générale de la question. – A notre avis, il faut chercher la réponse positive à la question de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle. D'abord, comme on l'a expliqué, l'article 147 de la Constitution de 1961 confère à la Cour constitutionnelle la compétence de « contrôler la conformité à la Constitution des lois et des règlements intérieurs des Assemblées ». Ainsi dans cet article « les lois constitutionnelles », ne sont pas mentionnées. Alors pour que les lois constitutionnelles soient soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle, il faut montrer que les lois constitutionnelles peuvent être considérées comme « lois » mentionnées dans l'article 147 de la Constitution de 1961.

En d'autres termes, la question de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles se transforme en celle de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être considérées comme « lois » au sens de l'article 147 de la Constitution. C'est‑à‑dire qu'il faut d'abord répondre à la question de savoir si l'expression « lois » utilisée dans l'article 147, al.1, de la Constitution de 1961 englobe non seulement les « lois ordinaires », mais aussi les « lois constitutionnelles ».

Il faut donc interpréter le mot « lois » utilisé dans l'article 147 qui détermine la compétence de la Cour constitutionnelle. Sans doute chacun peut interpréter ce mot, comme il l'entend. En droit seulement l'une de ces interprétations peut être valable ; les autres ne sont que des opinions personnelles. Alors, il faut choisir l'interprétation authentique, c'est‑à‑dire celle qui ne peut être juridiquement contestée et qui est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques.

Alors déterminons l'interprétation authentique du mot « lois » utilisé dans l'article 147. Dans le système de la Constitution turque de 1961, l'interprétation donnée à la Constitution par la Cour constitutionnelle est authentique, car, les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, il n'existe pas de voie de recours contre ses décisions, et celle-ci lient tous les organes de l'Etat (art.152 de la Constitution de 1961). En d'autres termes, nul ne pourrait contester juridiquement l'interprétation de la Cour constitutionnelle, d'une part parce qu'il n'existe pas d'interprétation standard à laquelle on pourrait la confronter, d'autre part parce qu'elle n'est pas annulable et produit des effets juridiques quel que soit le contenu de cette interprétation.

Et la Cour constitutionnelle turque a interprété le mot « lois » utilisé dans l'article 147 qui détermine sa compétence, comme englobant non seulement les « lois ordinaires », mais aussi les « lois constitutionnelles ». Elle a dit clairement que les révisions constitutionnelles adoptées selon la procédure prévue par l'article 155 sont des lois. D'ailleurs le texte de la révision constitutionnelle du 6 novembre 1969 en question porte lui-même le nom de « loi »[52].

Alors il nous reste à conclure que selon l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle, le mot « lois » employé dans l'article 147 de la Constitution qui détermine la compétence de la Cour constitutionnelle comprend aussi les « lois constitutionnelles ». Par conséquent, la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité non seulement des lois ordinaires mais aussi celle des lois constitutionnelles. Alors les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle.

* * *

Après avoir répondu par l'affirmative à la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, une deuxième question se pose : c'est la question de l'étendue du contrôle de la Cour constitutionnelle sur les lois constitutionnelles.

En d'autres termes, sur quoi peut donc porter ce contrôle ? La Cour constitutionnelle peut-elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu ? Alors, il y a en effet deux questions qui se posent : celle du contrôle de forme et celle du contrôle de fond. Nous allons voir d'abord la première question, ensuite la deuxième.

b. La question du contrôle de forme

Le contrôle de forme consiste à vérifier si la loi constitutionnelle en question a été proposée et adoptée conformément aux règles de procédure prévues à cet effet dans la Constitution. Par exemple, selon l'article 155 de la Constitution turque de 1961, la révision constitutionnelle doit être proposée par un tiers et adoptée des deux tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale. Egalement selon l'article 155, les propositions de révision constitutionnelle ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence. Alors le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme se limite à vérifier le respect de ces trois conditions.

La question posée. – La Cour constitutionnelle peut-elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme ? En d'autres termes, la Cour constitutionnelle peut‑elle vérifier si la loi constitutionnelle a été proposée, délibérée et adoptée conformément aux trois conditions de forme prévues par l'article 155 de la Constitution ?

La réponse de la Cour. – La Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Car, selon la Cour, un texte qui n'a pas a été proposé, délibéré et adopté conformément aux dispositions de l'article 155, ne peut avoir aucun effet sur les dispositions de la Constitution, c'est‑à‑dire qu'il ne peut pas être considéré comme une norme de qualité et de force constitutionnelle. Par conséquent, les lois de révision constitutionnelle, elles aussi, doivent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle à l'effet de savoir si elles ont été proposées et adoptées conformément à la procédure et aux conditions prévues dans l'article 155[53].

Ainsi, la Cour s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Le contrôle de la régularité formelle des lois constitutionnelles consistait, selon la Cour constitutionnelle, à vérifier si elles ont été proposées, délibéré et adoptées conformément aux règles de forme prévues dans l'article 155 de la Constitution ; c'est‑à‑dire la proposition par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale, l'interdiction d'en délibérer selon la procédure d'urgence et l'adoption à la majorité des deux tiers (art.155, al.1).

Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Dans la doctrine turque de droit constitutionnel, les auteurs s'accordent sur le point de reconnaître à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôle de la constitutionnalité quant à la forme des lois constitutionnelles[54].

Selon le professeur Ergun Özbudun,

« dans un pays où l'on admet le système du contrôle juridictionnel de la conformité à la constitution des lois, il est tout à fait normal que les révisions constitutionnelles soient soumises au contrôle de la constitutionnalité quant à la forme. Car, du point de vue de leur forme, les révisions constitutionnelles sont, en dernière analyse, des lois. Le fait que ces révisions sont effectuées contrairement aux règles de procédure et de forme déterminées dans la constitution signifie qu'il n'existe pas de volonté valablement exprimée du pouvoir constituant dérivé. Le pouvoir constituant originaire qui a fait la constitution, en déterminant la procédure de révision constitutionnelle, limite la compétence du pouvoir constituant dérivé quant à la forme. En d'autres termes, le pouvoir constituant dérivé ne peut exercer sa compétence de révision constitutionnelle qu'en respectant ces règles de procédure et de forme. Par conséquent, la cour qui est chargée de contrôler la constitutionnalité des lois peut se reconnaître la compétence de contrôler la conformité aux conditions de forme et de procédure déterminées dans la constitution des révisions constitutionnelles, même s'il n'y a pas de disposition expresse dans la constitution sur ce point »[55].

De même Cem Erogul considère comme une solution la plus naturelle

« le fait qu'une cour suprême, étant le gardien de la constitution, vérifie si un acte qui modifie cette constitution a été réalisé conformément à sa procédure. Par exemple, si une révision constitutionnelle a été adoptée à la majorité non pas des deux tiers qui est nécessaire selon l'article 155, mais à moins que cette proportion, il est évident que cette révision constitutionnelle doit être annulée »[56].

Egalement Erdal Onar est du même avis :

« Puisque les révisions constitutionnelles sont réalisées par un acte nommé ‘loi’, même si celle‑ci est soumise à un processus plus difficile, la Cour constitutionnelle peut vérifier naturellement si cette loi a été adoptée conformément aux procédures prévues dans la Constitution »[57].

Appréciation générale de la question. – A notre avis, après avoir admis que la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il ne reste pas de grande difficulté pour accepter que ce contrôle puisse porter sur la forme de la loi constitutionnelle. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle peut vérifier si la loi constitutionnelle a été adoptée conformément aux conditions de forme prévues à cet effet dans la Constitution.

La Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, et cette décision ne peut pas être contestée. Alors elle peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme.

Mais, en allant encore plus loin, la Cour constitutionnelle peut-elle contrôler le contenu même des lois constitutionnelles ?

c. La question du contrôle de fond

Le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond consiste à confronter le contenu de ces lois aux limites de fond à la révision constitutionnelle.

La question posée. – La Cour constitutionnelle peut‑elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond ? En d'autres termes, la Cour, en allant encore plus loin peut‑elle examiner le contenu même des lois constitutionnelles ?

La réponse de la Cour. – La Cour a répondu à cette question encore par l'affirmative. Selon la Cour, elle est compétente pour contrôle la constitutionnalité des lois constitutionnelles non seulement quant à la forme, mais aussi sur le fond. La Cour constitutionnelle a dit, dans la décision n°1970‑30 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), qu'elle « a la tâche, en vertu de l'article 147, de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond »[58]. Dans la même décision encore, la Cour a affirmé que « les lois constitutionnelles doivent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu »[59].

En effet il faut voir ici sur quoi la Cour fonde sa compétence. Mais nous allons l'examiner plus bas dans une question à part.

Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Nous allons voir d'abord la critique adressée à cette réponse de la Cour constitutionnelle par ses membres minoritaires dans leur opinion dissidente. Ensuite nous allons donner les critiques développées par la doctrine.

La critique adressée par les membres minoritaires de la Cour constitutionnelle. – Dans la décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, (Report des élections du Sénat), deux juges, Fazil Uluocak et Halit Zarbun ont affirmé l'incompétence de la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. L'exposé de l'opinion des juges dissidents est la suivante :

« La proposition et l'adoption des révisions de la Constitution sont soumises aux règles et aux conditions différentes de celles des lois ordinaires. Nous pensons que le contrôle de la constitutionnalité quant au fond des dispositions adoptées par les assemblées conformément à ces règles et conditions, et ainsi faisant partie intégrante du texte de la Constitution, dépasse la compétence de la Cour constitutionnelle. Pour cette raison, nous sommes en désaccord avec la conclusion des membres majoritaires »[60].

Les critiques adressées par la doctrine. – Plus haut, nous avons noté que plusieurs constitutionnalistes turcs acceptent que la Cour constitutionnelle puisse contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Cependant les mêmes auteurs sont très réticents quant au contrôle de fond des lois constitutionnelles. L'argument principal contre le contrôle de fond consiste à dire qu'une fois que la révision constitutionnelle a été réalisée conformément à sa procédure, elle devient une partie intégrante de la constitution. Et puisque le critère de contrôle de la Cour constitutionnelle est la constitution, il est impossible d'annuler cette révision constitutionnelle. Pour pouvoir annuler une telle révision, il faut trouver un critère en dehors de la constitution. Par conséquent, il est impossible de déterminer ce critère, sans faire recours aux notions du droit naturel[61].

Par exemple, le professeur Ergun Özbudun, après avoir accepté que la Cour constitutionnelle puisse contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, affirme que

« le contrôle de la conformité à la constitution des révisions constitutionnelles quant au fond est une question tout à fait différente. La révision constitutionnelle réalisée conformément aux règles de forme et de procédure est une norme constitutionnelle valable. Par conséquent, cette norme est devenue une norme de valeur égale à d'autres normes existantes du système constitutionnel. D'après quel critère une telle norme sera considérée comme conforme ou contraire à la constitution ? Dans la hiérarchie des normes, une norme ne pourrait être invalidée que si elle est contraire aux normes supérieures à elle. Entre les normes se trouvant au même niveau, il peut exister, non pas une relation de hiérarchie, mais une relation d'antériorité - postériorité du point de vue du temps, et une relation de généralité - spécialité du point de vue de son objet. C'est pourquoi, il est logiquement impossible de vérifier si une norme édictée conformément à sa procédure est conforme ou non à une autre norme constitutionnelle de même valeur »[62].

Appréciation générale de la question. – A notre avis, après avoir admis que la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il n'y a pas de raison pour ne pas accepter que ce contrôle porte sur le fond des lois constitutionnelles. En effet, à notre avis, du point de vue de la compétence de la Cour constitutionnelle, il n'y a pas de différence entre le contrôle de forme et celui de fond. La différence entre ces deux types de contrôlecontrôle se trouve à l'égard des règles de référence pour ces contrôles. Le contrôle de forme consiste à vérifier si la loi constitutionnelle en question a été proposée et adoptée conformément aux règles de forme prévues à cet effet dans la Constitution. C'est‑à‑dire, les règles de référence dans le contrôle de forme des lois constitutionnelles sont les dispositions de la constitution qui règlent la procédure de révision constitutionnelle, autrement dit, les limites de forme.

Par contre les règles de référence dans le contrôle de fond des lois constitutionnelles sont des dispositions de la Constitution qui déterminent le contenu des lois constitutionnelles. Nous les avons étudiées, dans la première partie, en tant que limites matérielles à la révision constitutionnelle. Alors le contrôle de fond des lois constitutionnelles consiste à vérifier si le contenu d'une loi constitutionnelle est conforme aux dispositions de la constitution qui lui imposent des limites matérielles. Autrement dit, il faut confronter le contenu de la loi de révision constitutionnelle aux dispositions intangibles de la Constitution. Par conséquent si, dans une constitution donnée, il y a des limites matérielles à la révision constitutionnelle, et si la cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, le contrôle de la cour peut porter sur le fond de ces lois.

En conséquence, il n'y a pas de raison pour de ne pas accepter le contrôle de fond, après avoir accepté celui de forme. Dans le contrôle de forme, on vérifie si la loi constitutionnelle est conforme aux limites formelles à la révision constitutionnelle ; et dans le contrôle de fond, on confronte le contenu de ces lois aux limites matérielles à la révision constitutionnelle.

* * *

En effet, la vraie question qui se pose ici est celle de déterminer les règles de références dans le contrôle de fond des lois constitutionnelles. En d'autres termes, en quoi consistent donc les limites matérielles par rapport auxquelles la Cour constitutionnelle peut vérifier la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Théoriquement, on peut envisager différentes règles de référence dans le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. En effet, chaque principe ou règle auquel fait référence la Cour constitutionnelle, lorsqu'elle contrôle le contenu d'une loi constitutionnelle est une règle de référence dans le contrôle de fond. Et ces règles de référence, c'est‑à‑dire les limites matérielles à la révision constitutionnelle peuvent être divisées en deux groupes. D'abord ces limites matérielles peuvent être celles inscrites dans le texte constitutionnel, comme l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution turque de 1961. Mais il peut arriver qu'une cour constitutionnelle se réfère à des limites matérielles autres que celles inscrites dans le texte de la Constitution. En effet, comme nous l'avons vu dans la première partie, dans la doctrine, on a envisagé des limites à la révision constitutionnelle qui ne figurent pas dans les textes constitutionnels, comme des limites supraconstitutionnelles[63] ou comme des limites découlant de l'esprit de la constitution[64].

Exactement, comme nous l'avons vu plus haut, la Cour constitutionnelle turque a fait référence non seulement à la limite matérielle inscrite dans le texte de la Constitution de 1961 (art.9), mais aussi à d'autres limites matérielles qui ne figurent pas dans le texte constitutionnel. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle contrôle la conformité des lois constitutionnelles, d'une part à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, et d'autre part, à l'esprit de la Constitution ainsi qu'à certains principes supraconstitutionnels.

Il y a alors deux questions qui se posent :

- La Cour constitutionnelle peut-elle examiner le contenu des lois constitutionnelles à l'égard des limites matérielles à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution ? En d'autres termes, dans le contexte de la Constitution turque de 1961, la Cour constitutionnelle peut‑elle contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ?

- La Cour constitutionnelle peut-elle examiner le contenu des lois constitutionnelles à l'égard de limites matérielles à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans le texte de la Constitution ? En d'autres termes, dans le contexte de la Constitution turque de 1961, la Cour constitutionnelle peut‑elle contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'esprit de la Constitution ou à d'autres principes ne trouvant pas leur source dans la Constitution[65] ?

Commençons par la deuxième question.

d. La question de savoir si la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux limites matérielles à la révision constitutionnelle non inscrites dans le texte de la Constitution 

La question posée. – La Cour constitutionnelle peut-elle contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux limites matérielles à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans le texte de la Constitution ? En d'autres termes, les principes ne trouvant pas leur source dans la Constitution peuvent‑ils être pris comme des règles de référence dans le contrôle de fond des lois constitutionnelles ? Autrement dit la Cour constitutionnelle peut‑elle confronter le contenu des lois constitutionnelles aux règles ou principes qui ne figurent pas dans le texte de la Constitution de 1961 ?

Comme nous l'avons noté dans l'exposé de la décision de la Cour constitutionnelle n°1970‑31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politique), le Parti travailliste de Turquie, auteur de la saisine, en s'appuyant sur une conception jusnaturaliste, a prétendu que la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité aux principes supraconstitutionnels de la loi constitutionnelle en question. Selon le requérant

« il y a des principes fondamentaux supérieurs à la constitution et d'une façon générale, au droit positif. Ces principes se trouvent à l'origine des constitutions et traduisent une certaine conception du monde qui constitue l'idéologie dominante dans une société déterminée... Les constitutions tirent leur valeur et validité juridique de ces principes fondamentaux... Et à certains égards, les constitutions sont des documents qui réalisent ces principes... et qui les transforment en droit positif »[66].

La réponse de la Cour. – La Cour constitutionnelle turque n'a pas répondu à ce moyen du requérant dans la décision n°1970‑31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques). Cependant, dans la décision n°1971‑37 du 13 avril 1971 (Report des élections du Sénat), elle a affirmé qu'elle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles non seulement à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, mais aussi à d'autres principes ou règles. Dans cette décision la Cour constitutionnelle a affirmé que les révisions constitutionnelles doivent être conformes aux « nécessités de la civilisation contemporaine »[67]. D'ailleurs la Cour a déclaré que les révisions constitutionnelles ne doivent pas porter atteinte à la « cohérence et à la systématique de la Constitution »[68]. Par conséquent, selon la haute juridiction, de telles révisions constitutionnelles doivent être annulées par elle.

En effet, la Cour constitutionnelle avait déjà développé sa thèse de supraconstitutionnalité dans une décision rendue en 1965[69]. Dans cette décision la Cour a affirmé que, par voie de révision constitutionnelle, on ne peut pas « supprimer la Constitution et détruire l'Etat de droit ». De même les révisions constitutionnelles doivent être conformes à l'« esprit de la Constitution », et avoir pour objet d'« élever la société turque au niveau le plus avancé de la civilisation ». Par contre, selon la Cour constitutionnelle, « les révisions constitutionnelles laissant en arrière la société turque, détruisant les libertés et droits fondamentaux, anéantissant l'Etat de droit, en un mot supprimant l'essence de la Constitution de 1961 » ne peuvent être réalisées en l'application de l'article 155 de la Constitution de 1961[70].

Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Hüseyin Nail Kubali[71], Coskun San[72], Rona Serozan[73] et Ekrem Serim[74] approuvent la réponse de la Cour constitutionnelle. En effet selon ces auteurs, il y a des limites non seulement formelles, mais aussi matérielles qui s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

Par exemple, selon Coskun San, le pouvoir de révision constitutionnelle est lié non seulement par les limites inscrites dans le texte constitutionnel[75], mais aussi et surtout par l'« essence des droits fondamentaux »[76], par le « principe de la séparation des pouvoir »[77] et également par « certaines limites se trouvant en dehors et au-dessus de la constitution »[78]. Coskun San pense encore que pour l'efficacité du contrôle de la constitutionnalité, la Cour constitutionnelle doit pouvoir contrôler la constitutionnalité non seulement des lois ordinaires, mais aussi des lois constitutionnelles[79]. En se référant à la théorie des « normes constitutionnelles inconstitutionnelles » d'Otto Bachoff[80], Coskun San affirme que la Cour constitutionnelle doit annuler les lois constitutionnelles « illégitimes »[81], les lois constitutionnelles contraires aux « règles supérieures du droit »[82]. Ainsi les auteurs, qui acceptent la limitation matérielle du pouvoir de révision constitutionnelle, montrent ces décisions de la Cour constitutionnelle comme une preuve démontrant le bien-fondé de leur thèse[83].

Egalement, un autre auteur, Mehmet Akad, approuve le critère des « nécessités de la civilisation contemporaine ». Selon l'auteur, dans cette notion se cachent des éléments « qui peuvent répondre aux demandes socio-économiques de la société »[84]. M. Akad affirme que la notion de « nécessités de la civilisation contemporaine » est une notion dynamique et ouverte aux changements[85]. Ainsi d'après lui,

« la Cour constitutionnelle, en acceptant une forme de l'Etat reposée sur les conditions de la civilisation contemporaine, détermine un système tourné vers l'avenir et interdit le retour en arrière de cette base. Par conséquent, les propositions de révision constitutionnelle doivent être toujours dans la direction[86] d'avancer le « modèle de l'Etat social »[87].

Par contre la majorité de la doctrine turque du droit constitutionnel a sévèrement critiqué la thèse de la supraconstitutionnalité affirmée par la Cour constitutionnelle dans ses décisions. Plusieurs auteurs ont souligné que les notions comme l'« esprit de la Constitution », l'« essence de la Constitution de 1961 » ou la « cohérence et la systématique de la Constitution » sont extrêmement abstraites ; et que les critères tels que « les nécessités de la civilisation contemporaine » ou « le but d'élever la société turque au niveau le plus avancé de la civilisation » sont difficiles à cerner. Par conséquent on peut légitimement se demander comment la Cour constitutionnelle peut déterminer si une révision constitutionnelle est contraire ou non aux « nécessités de la civilisation contemporaine » ou au « but d'élever la société turque au niveau le plus avancé de la civilisation » ? La même question se pose aussi à l'égard de la définition des « révisions constitutionnelles laissant en arrière la société turque, détruisant les libertés et droits fondamentaux, anéantissant l'Etat de droit, en un mot supprimant l'essence de la Constitution de 1961 »[88].

Comme le remarque à juste titre Burhan Kuzu, avec cette thèse de la Cour constitutionnelle, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond « risque de se transformer à tout moment en un ‘contrôle d'opportunité’ »[89].

Egalement Erdogan Teziç montre que cette thèse de la Cour constitutionnelle

« ne repose sur aucune base positive. Le pouvoir constituant a posé clairement le principe de révisibilité de la Constitution, et en dehors de ceci, a précisé, comme une exception, l'article qui est intangible. L'élargissement de cette exception est complètement impossible du point de vue du droit positif. En respectant la procédure prévue dans l'article 155, on peut réviser toutes les dispositions de la Constitution »[90].

De plus selon le professeur Teziç, si la Cour constitutionnelle pouvait annuler une révision constitutionnelle, en jugeant qu'elle est contraire à l'esprit de la Constitution, la Cour deviendrait une puissance supérieure même au pouvoir constituant[91].

Quant à Cem Erogul, il admet la notion d'« esprit de la Constitution ». Par exemple, selon lui, si la Grande Assemblée nationale de Turquie adoptait une révision constitutionnelle stipulant que « la religion de l'Etat est l'Islam », cette révision constitutionnelle serait contraire à l'esprit de la Constitution de 1961. Cem Erogul pense que, dans cette hypothèse,

« il ne s'agit plus d'un événement du pouvoir constituant dérivé. Car, un acte qui détruit le cadre fondamental qui lui donne sa validité ne peut être un acte juridique. En effet, il n'y a ici pas d'autre chose que le pouvoir constituant originaire. Par conséquent, juridiquement, aucun organe – ni l'Assemblée, ni un autre – n'est compétent pour le faire. Cependant, à notre avis, le fait que l'Assemblée nationale ait usurpé ce pouvoir ne rend pas compétente la Cour constitutionnelle. Si la Cour constitutionnelle hasarde d'annuler une telle tentative de l'Assemblée, elle aussi, elle exerce une compétence sans fondement juridique. Même s'il est politiquement souhaitable qu'elle le fasse, il nous parait impossible de le défendre du point de vue juridique »[92].

Appréciation générale de la question. – Pour nous, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond consiste à vérifier si le contenu de la loi constitutionnelle est conforme aux limites matérielles à la révision constitutionnelle. En d'autres termes, le contrôle de fond veut dire le contrôle de la conformité aux limites matérielles. Par conséquent s'il n'y a pas de limites matérielles s'imposant à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle, on ne peut pas parler de contrôle de fond des lois constitutionnelles. Autrement dit, pour qu'une cour constitutionnelle puisse contrôler la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle quant au fond, il faut qu'il existe préalablement des limites matérielles valables à la révision constitutionnelle.

Alors pour résoudre notre problématique, il faut d'abord répondre à la question de savoir s'il existe des limites matérielles valables à la révision constitutionnelle. Nous avons répondu à cette question dans la première partie. Nous avons conclu que seules les limites qui sont inscrites dans les textes constitutionnels sont valables[93]. Les autres limites envisagées par la doctrine, comme les limites supraconstitutionnelles ou celles découlant de l'esprit de la Constitution ne sont pas valables[94]. D'ailleurs, nous avons montré que, dans la Constitution turque de 1961, il n'y a qu'une limite matérielle à la révision constitutionnelle : l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de cette Constitution[95].

Alors à la lumière de cette conclusion, nous pouvons affirmer que, sous la Constitution turque de 1961, la Cour constitutionnelle turque ne peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles qu'à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En d'autres termes, la Cour ne peut pas examiner la constitutionnalité des lois constitutionnelles à l'égard des limites matérielles autres que celle-ci. C'est‑à‑dire que la Cour constitutionnelle turque ne peut pas vérifier la conformité des lois constitutionnelles à l'esprit de la Constitution ou à certains principes trouvant leur source en dehors de la Constitution.

Alors les principes ou les notions auxquels fait référence la Cour constitutionnelle turque, tels que « l'esprit de la Constitution », « les nécessités de la civilisation contemporaine »[96] ou « la cohérence et la systématique de la Constitution »[97], « le but d'élever la société turque au niveau le plus avancé de la civilisation » ou les interdictions comme « celle de laisser en arrière la société turque », comme « celle de détruire les libertés et droits fondamentaux » ou comme « celle d'anéantir l'Etat de droit »[98] ne figurent pas dans la Constitution de 1961 comme des limites à la révision constitutionnelle. Par conséquent, ils ne sont pas valables. Alors la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces notions ou à ces interdictions.

Sans doute, les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs et lient tous les individus et les organes. Ses interprétions ont le caractère authentique. Il faut cependant observer qu'il n'y a pas ici de disposition qu'elle interprète. Elle pose elle‑même une règle. Dans la Constitution de 1961, il n'y a aucune disposition prévoyant que les révisions constitutionnelles doivent se conformer aux « nécessités de la civilisation contemporaine ». Il n'y a non plus aucune disposition interdisant au pouvoir de révision constitutionnelle de « détruire les libertés et droits fondamentaux ». Ces interdictions sont inventées de toutes pièces par la Cour constitutionnelle elle-même. Elles sont privées de tout fondement positif. Nous avons longuement critiqué les thèses acceptant l'existence des limites à la révision constitutionnelle non inscrites dans les textes constitutionnels[99]. C'est pourquoi, nous nous contentons ici de cette brève critique.

Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont pas non plus à l'abri des réactions des autres organes du système constitutionnel. En effet, la Cour constitutionnelle est libre de choisir son comportement. Mais elle doit prendre en compte les réactions qu'elle peut déclencher de la part de ses partenaires. En effet, comme nous allons voir plus bas, juste après quelques mois de la décision de la Cour constitutionnelle n°1971‑37 du 13 avril 1971, le pouvoir constituant, en révisant l'article 147 de la Constitution de 1961, a interdit à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.

Maintenant nous pouvons passer à l'examen de l'autre question.

e. La question de savoir si la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux limites matérielles à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution

La question posée. – La Cour constitutionnelle peut-elle examiner la conformité des lois constitutionnelles aux limites matérielles à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution ? En d'autres termes, dans le contexte de la Constitution turque de 1961, la Cour constitutionnelle peut‑elle contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ?

La réponse de la Cour. – La Cour a répondu à cette question par l'affirmative. Selon la Cour, elle est compétente pour contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. La motivation de la Cour constitutionnelle est simple. Elle constate que la Constitution de 1961, dans son article 9, pose un principe d'intangibilité. Selon cet article « la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ne peut être modifiée, ni sa modification proposée ». Alors selon la Cour, une loi prévoyant la révision de la forme républicaine de l'Etat ne peut pas être proposée ni adoptée. Et si une telle proposition a été adoptée, elle ne peut avoir aucun effet sur les dispositions existantes de la Constitution. C'est pourquoi, la Cour constitutionnelle a conclu qu'elle doit contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[100].

La critique de la réponse de la Cour constitutionnelle. – Dans la doctrine, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur ce point n'est pas critiquée. Les auteurs ont critiqué en général la définition au sens large de la « république » que nous allons voir plus bas, et non pas la réponse de la Cour constitutionnelle selon laquelle les révisions constitutionnelles doivent être conformes à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.

Egalement, certains auteurs affirment clairement que la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Par exemple selon Cem Erogul,

« une révision constitutionnelle prévoyant la transmission héréditaire du gouvernement de l'Etat est ouvertement contraire à l'article 9 de la Constitution posant le principe de l'intangibilité de la forme républicaine de l'Etat. En ce cas, la Cour constitutionnelle a la compétence d'annulation. Car, ici, le contenu lui-même est de la nature d'une condition de forme »[101].

Selon Erdal Onar aussi, puisque l'article 9 stipule que « la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ne peut être modifiée », la Cour constitutionnelle peut contrôler la constitutionnalité matérielle des lois constitutionnelles à l'égard de cet article[102].

Appréciation générale de la question. – Nous aussi nous pensons que la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En effet, comme nous l'avons montré dans la première partie, il n'y a pas de différence de nature entre les limites de forme et celles de fond inscrites dans le texte de la Constitution. Toutes les deux sont prévues par la même Constitution, par conséquent elles ont la même valeur constitutionnelle. Ainsi si une cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux limites de forme inscrites dans la Constitution, elle peut contrôler aussi la conformité des lois constitutionnelles aux limites de fond inscrites dans le texte de la Constitution. En effet, les limites de forme et celles de fond ne sont que des dispositions de la constitution qui règlent la création des lois constitutionnelles. Par conséquent le contrôle de forme des lois constitutionnelles consiste à vérifier si ces lois ont été proposées, délibéré et adoptées conformément aux dispositions de la Constitution qui règlent la procédure de révision constitutionnelle. Egalement le contrôle de fond des lois constitutionnelles consiste à confronter le contenu de ces lois aux dispositions de la Constitution qui déterminent leur contenu, c'est‑à‑dire les dispositions intangibles. Le premier groupe de ces dispositions (celles qui déterminent la procédure de la création des lois constitutionnelles) se trouve à peu près dans toutes les constitutions. Par contre le deuxième groupe de dispositions (celles qui déterminent le contenu des lois constitutionnelles) ne se trouve pas dans toutes les constitutions, et si elles existent, elles restent exceptionnelles. Elles sont peu nombreuses, telle l'interdiction de réviser la forme républicaine du Gouvernement ou celle de réviser la structure fédérale de l'Etat. C'est pourquoi, le contrôle de forme des lois constitutionnelles est de nature générale. Théoriquement chaque loi constitutionnelle peut être soumise au contrôle de forme de la cour constitutionnelle. Car, dans son adoption il y a des règles qu'elle doit respecter. Mais, le contrôle de fond des lois constitutionnelles reste exceptionnel. D'abord il n'est possible que si la constitution contient des dispositions qui déterminent le contenu des lois constitutionnelles (comme l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat). Deuxièmement l'étendue de ce contrôle est restreinte, car les règles de référence, c'est‑à‑dire les dispositions de la constitution qui déterminent le contenu des lois constitutionnelles sont peu nombreuses.

Mais, s'il existe au moins une disposition de la constitution qui détermine le contenu des lois constitutionnelles, il n'y a aucune raison pour ne pas admettre le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Mais rappelons encore que l'étendue de ce contrôle serait très restreinte.

Ainsi, dans la Constitution turque de 1961, il y a une disposition qui détermine le contenu des lois constitutionnelles : celle de l'article 9. Alors la Cour constitutionnelle turque peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.

Cependant ici se pose encore une autre question : celle de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, autrement dit, la question de la définition de la « forme républicaine de l'Etat ».

f. La question de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution

La question posée. – La question qui se pose ici est celle de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, c'est‑à‑dire, celle de la définition de la « forme républicaine de l'Etat ». En quoi consiste donc l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ? Comment peut‑on déterminer l'étendue de cette interdiction ? Que protège l'article 9 ? Qu'est ce qui est intangible selon cet article ? En d'autres termes, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution protège‑t‑elle la République en tant que la forme de l'Etat (art.1) mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2 ?

Avant de voir la réponse de la Cour constitutionnelle, rappelons le texte de l'article 9 de la Constitution de 1961 :

« La disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ne peut être modifiée, ni sa modification proposée ».

Quant à l'article 1er, intitulé « forme de l'Etat », il dit que

« l'Etat turc est une République ».

Egalement l'article 2, intitulé « caractéristiques de la République », stipule que

« la République de Turquie est un Etat de droit, démocratique, laïque, social et national, basé sur les droits de l'homme et les principes fondamentaux exprimés dans le préambule ».

Alors selon l'article 9, ce qui est intangible est « la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ». Mais que signifie donc cette expression ? En d'autres termes, l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisée dans l'article 9 de la Constitution de 1961 englobe‑t‑elle non seulement la disposition de l'article 1er, mais aussi les dispositions de l'article 2 de la Constitution ?

La réponse de la Cour. – La Cour constitutionnelle à répondu encore à cette question par l'affirmative. Selon la haute juridiction, l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisée dans l'article 9 de la Constitution qui détermine le contenu de l'interdiction de réviser la Constitution comprend non seulement la disposition de l'article 1er, mais aussi celles de l'article 2 de la Constitution de 1961.

La Cour constitutionnelle, en prenant le mot « république » dans son sens large, affirme que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ne vise pas seulement le mot « république », mais aussi le « régime républicain » dont les caractéristiques sont définies par les principes fondamentaux se trouvant dans les articles 1 et 2 et dans le préambule auquel fait référence l'article 2. En d'autres termes, ce qui est intangible n'est pas seulement le mot « république », mais aussi « régime républicain » dont les caractéristiques sont définies dans les articles précités. C'est‑à‑dire, selon la Cour constitutionnelle, non seulement la forme républicaine de l'Etat (art.1), mais aussi les principes de l'Etat de droit, de l'Etat démocratique, de l'Etat laïque, de l'Etat social, de l'Etat national, de l'Etat basé sur les droits de l'homme bénéficient de la protection de l'article 9 de la Constitution de 1961[103].

Alors, la proposition et l'adoption d'une révision constitutionnelle qui établirait, tout en gardant le mot « république », un régime incompatible avec ces principes seraient contraires à la Constitution. Ainsi selon la Cour constitutionnelle, une loi prévoyant la révision de l'un de ces principes ne peut pas être proposée ni adoptée. Et si elle a été adoptée, elle ne peut avoir aucun effet sur les dispositions existantes de la Constitution. Par conséquent, elle doit être annulée par la Cour constitutionnelle[104].

En conclusion selon la Cour constitutionnelle, l'article 9 de la Constitution de 1961 interdit l'établissement non seulement d'un régime dont le chef de l'Etat serait héréditaire, mais aussi d'un régime qui serait contraire à l'un des principes suivants : l'Etat de droit, l'Etat démocratique, l'Etat laïque, l'Etat social, l'Etat national, l'Etat basé sur les droits de l'homme.

Selon l'article 9 l'article 1 était intangible. Ainsi la Cour constitutionnelle a‑t‑elle aussi inclus à cette intangibilité l'article 2 aussi.

Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Nous allons voir d'abord la critique adressée à cette interprétation de la Cour constitutionnelle par ses membres minoritaires dans leurs opinions dissidentes. Ensuite nous allons donner les critiques développées par la doctrine.

(A) La critique adressée par les membres minoritaires de la Cour constitutionnelle. – Deux juges, Celalettin Kuralman et Halit Zarbun, dans leur opinion dissidente annexée à la décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques)[105] firent savoir qu'ils n'approuvaient pas l'interprétation large par la Cour constitutionnelle de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution

Selon les juges minoritaires, la notion de « république » doit être interprétée dans un sens strict. Dans son opinion dissidente, en partant des intitulés des articles, Celalettin Kuralman montre que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ne vise pas les caractéristiques de la République, mais seulement la république comme la forme de l'Etat. Car, l'intitulé de l'article 9 est « intangibilité de la forme de l'Etat » et l'article 1er, intitulé « forme de l'Etat » spécifie que « l'Etat turc est une République ». Par contre, l'article 2 auquel la Cour se réfère s'intitule « caractéristiques de la République ». Ainsi selon le juge dissident,

« le principe d'intangibilité concerne seulement la disposition de l'article 1er spécifiant que ‘l'Etat turc est une République’. En effet, la forme d'un Etat est une chose et les caractéristiques de cette forme sont une autre chose. C'est pourquoi, le principe d'intangibilité ne comprend pas les caractéristiques de la République.

        . . .

        Il résulte du texte de la Constitution que le principe d'intangibilité prévu dans l'article 9 de la Constitution ne concerne que l'article 1er déterminant la forme républicaine de l'Etat et que ce principe ne peut être invoqué à l'égard d'autres articles de la Constitution. La loi constitutionnelle n°1188 révisant l'article 68 de la Constitution concerne les élections du Sénat. Elle n'a rien à voir avec la forme de l'Etat. Par conséquent elle n'entre pas dans l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Par conséquent, il faut examiner seulement si la loi constitutionnelle en question a été adoptée conformément à la procédure déterminée à cet effet dans la Constitution, et non pas le contenu de cette loi »[106].

(B) Les critiques adressées par la doctrine. – L'interprétation large par la Cour constitutionnelle de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution a provoqué un vif débat dans la doctrine turque. Certains auteurs approuvent cette interprétation, alors que d'autres la désapprouvent.

(1) Les auteurs qui approuvent cette interprétation. – Un groupe d'auteurs[107], qui sont d'ailleurs minoritaires, approuve la décision de la Cour constitutionnelle.

Par exemple, selon Rona Serozan, le fait que le pouvoir de révision constitutionnelle puisse modifier, tout en gardant le mot « république », les caractéristiques de la République définies dans l'article 2 implique l'évacuation de l'essence matérielle de la République. En d'autres termes, si l'on pouvait porter atteinte aux principes de l'Etat de droit, de l'Etat démocratique, de l'Etat laïque, de l'Etat social par les révisions constitutionnelles, la « République » pourrait devenir une forme vide[108].

D'autre part Muammer Aksoy lui aussi approuve l'interprétation large du mot « république ». Selon le professeur Aksoy, le but de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ne peut être seulement la protection d'une forme. Car, une règle à laquelle la Constitution accorde une telle importance ne peut viser seulement la désignation du chef de l'Etat par élection. La république a aussi un contenu. C'est pourquoi, la Constitution accorde une telle importance à sa protection. Alors le but de l'article 9 n'est pas la protection d'une quelconque république, mais la protection de la « République de Turquie dont les caractéristiques sont énumérées dans l'article 2 de la Constitution ». Par conséquent, les principes d'Etat de droit, d'Etat démocratique, d'Etat social, d'Etat laïque font partie de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[109].

Yildizhan Yayla aussi approuve l'interprétation large du mot « république » par la Cour constitutionnelle. Il discute du bien‑fondé de cette interprétation d'une façon très détaillée[110]. Nous n'allons pas entrer dans les détails. Seulement précisons que l'auteur souligne d'abord que le mot « république » a différents sens[111]. Ensuite Yildizhan Yayla recherche, parmi ces différents sens, lequel est le plus proche à celui du mot « république » employé dans la Constitution turque de 1961. A la suite d'un long examen, M. Yayla estime qu'en Turquie, la « république » ne peut pas être définie comme le contraire de la monarchie héréditaire, au contraire elle englobe les principes essentiels de l'ordre démocratique[112]. La « république » dans le contexte de Turquie, dit-il, ne peut être pensée séparément du principe démocratique, et ce principe à son tour ne peut pas non plus être envisagée séparément de celui de l'Etat de droit. En d'autres termes, la république, qui était au début une forme de gouvernement qui s'oppose à la monarchie héréditaire, est devenue, avec la Constitution de 1924, un Etat démocratique, et enfin avec la Constitution de 1961, un Etat de droit[113]. Ainsi selon l'auteur, les deux caractéristiques (Etat démocratique et Etat de droit) exprimées dans l'article 2 de la Constitution font partie de la définition de l'expression « République ».

Egalement selon l'auteur, deux autres caractéristiques (Etat laïque et Etat national) exprimées dans l'article 2, elles aussi, entrent dans la définition de la république. Car, le laïcisme et le nationalisme sont, non pas des caractéristiques d'une quelconque république, mais celles de la République de Turquie. Par conséquent, ces deux caractéristiques font partie intégrante de la République turque[114]. Yildizhan Yayla se fonde sur les arguments de caractère historique. Il explique le l'importance du principe de nationalisme par le passage de l'Empire ottoman, qui était un Etat multinational, à la République turque, qui est un Etat-nation[115]. L'auteur affirme encore que le laïcisme aussi fait partie de la définition de la République turque[116]. Pour le principe de l'Etat social aussi Yildizhan Yayla affirme la même chose[117]. Cependant selon lui, seules les principes de l'Etat démocratique et de l'Etat de droit constituent l'essence de la République turque ; le nationalisme, le laïcisme et l'Etat social sont des éléments auxiliaires à ces deux caractéristiques principales[118].

Parmi les auteurs qui approuvent ou désapprouvent cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle, il y a un auteur qui est difficilement classable : c'est Mehmet Akad. Il observe en effet que

« la Cour constitutionnelle n'exerce pas la fonction d'un organe qui fait seulement un contrôle ‘juridictionnel’. Pour défendre le modèle politique qu'elle a fabriqué à partir de la Constitution, la Cour expose une conception de juridiction qui fait un contrôle politique. Cette tendance apparaît dans les décisions précitées. Par conséquent, dans ce contexte, la Cour constitutionnelle peut être considérée comme une unité qui produit des décisions politiques »[119].

Ainsi, comme on le voit, Mehmed Akad constate que la Cour a fait dans ces décisions un contrôle « politique » et non pas juridique, mais curieusement M. Akad affirme qu'« il n'est pas possible de critiquer la Cour constitutionnelle à cause de ce comportement »[120].

(2) Les auteurs qui désapprouvent cette interprétation. – Par contre la majorité des auteurs critique[121] très sévèrement l'interprétation large de l'expression « république » par la Cour constitutionnelle.

(a) Ces auteurs remarquent d'abord que la « république », étant un terme juridique, désigne une forme de l'Etat dans laquelle la transmission héréditaire du pouvoir est interdite. En d'autres termes, la « république » est le contraire de la monarchie héréditaire[122]. Selon Cem Erogul, si l'on ajoutait à cette définition d'autres caractéristiques, la notion de « république » serait forcée inutilement. En effet, lorsqu'on examine les diverses républiques du monde, on voit qu'elles sont très différentes les unes des autres[123]. La seule caractéristique commune entre elles consiste en l'interdiction de la transmission héréditaire du pouvoir[124]. Par conséquent, comme le remarque Mümtaz Soysal, « une révision constitutionnelle ne peut être contraire au principe de l'intangibilité de la forme républicaine de l'Etat que si elle adopte la règle de la transmission héréditaire des compétences étatiques »[125].

(b) Selon un autre argument, exprimé par Ergun Özbudun,

« la Constitution de 1961 a réservé le principe d'intangibilité à seule la ‘disposition spécifiant que la forme de l'Etat est une République’. Si le constituant avait voulu inclure les caractéristiques de la République dans l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution, il aurait pu le faire expressément. Puisqu'il ne l'a pas fait, la Cour constitutionnelle ne peut pas élargir par voie d'interprétation l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution »[126].

En effet, comme l'a montré clairement Celalettin Kuralman dans son opinion dissidente[127], l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution prévue dans l'article 9 a été longuement discutée au cours des débats dans l'Assemblée des représentants[128]. Par exemple, un de ses membres, Necip Bilge, trouvant insuffisante l'interdiction de réviser la disposition spécifiant que forme de l'Etat est une République, a proposé d'inclure les principes de laïcisme et d'Etat démocratique dans l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution. Car, selon lui,

« aujourd'hui, toutes les dictatures du monde, de celle qui est le plus à droite à celle qui est le plus à gauche, se disent républiques. Par conséquent, à mon avis, pour nous protéger des dictatures de gauche ou de droite, il est insuffisant d'interdire seulement de réviser la forme républicaine de l'Etat. C'est pourquoi, je pense qu'il serait utile d'inclure dans l'interdiction de réviser la Constitution non seulement la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les principes de laïcisme et d'Etat démocratique, qui sont les caractéristiques de cette République[129].

Par contre, Muammer Aksoy, porte-parole de la Commission de la Constitution, a répondu que si l'on inclut les principes de laïcisme et d'Etat démocratique dans l'interdiction de réviser la Constitution, il faudrait aussi y inclure d'autres principes. Ainsi la chaîne des d'interdictions sera allongée d'une façon illimitée et par conséquent le domaine de la souveraineté de la nation sera diminué[130].

Ensuite la proposition prévoyant l'inclusion des caractéristiques de la République dans l'interdiction de réviser la Constitution a été présentée au vote de l'Assemblée des représentants, et celle-ci l'a rejetée.

Alors, comme on le voit, la question de l'élargissement de l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution a été discutée et refusée clairement par l'Assemblée constituante.

(c) Le troisième argument invoqué contre l'interprétation large de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est fondé sur un principe d'interprétation selon lequel il faut interpréter restrictivement les normes d'exception. En appliquant ce principe à la question de l'interprétation de l'article 9, les auteurs affirment que l'article 9 doit être soumis à une interprétation restrictive, car, d'une part, en matière de révision constitutionnelle, la règle est la révisabilité des toutes les dispositions de la Constitution et d'autre part l'article 9 constitue une exception à cette règle générale. Par conséquent, l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, étant une exception, ne peut être élargi par voie d'interprétation[131].

(d) D'ailleurs à peu près tous les auteurs soulignent que cette interprétation large donne à la Cour constitutionnelle un pouvoir d'appréciation illimité sur l'issue des révisions constitutionnelles. Comme le remarque à juste titre le professeur Ergun Özbudun, les caractéristiques de la République, telles que le laïcisme, le nationalisme, la démocratie, l'Etat de droit, l'Etat social et le respect des droits de l'homme, sont des notions larges à un tel point qu'il est impossible d'imaginer une révision constitutionnelle qui ne concerne pas l'une de ces caractéristiques[132]. Il est intéressant de voir qu'un auteur, Yildizhan Yayla, qui approuve[133] entièrement l'interprétation large par la Cour constitutionnelle de l'interdiction de réviser la Constitution, avoue lui-même que l'on ne peut pas trouver une révision constitutionnelle qui n'entre pas dans le contenu de l'article 2 de la Constitution[134]. Par conséquent, devant cette interprétation de la Cour, l'organe de révision constitutionnelle ne peut jamais savoir s'il est compétent ou non pour réaliser telle ou telle réforme constitutionnelle[135].

(e) D'autre part, les auteurs qui critiquent la jurisprudence de la Cour constitutionnelle signalent qu'à la suite de l'interprétation large de l'interdiction de réviser la Constitution, le « contrôle de juridicité » de la Cour constitutionnelle risque de se transformer en pratique en un « contrôle d'opportunité »[136]. En effet, comme le remarque le professeur Özbudun, à côté des contenus larges des caractéristiques de la République énumérées dans l'article 2 de la Constitution, ces caractéristiques sont ouvertes à toute appréciation subjective[137].

(f) Egalement, certains auteurs[138] ont signalé le danger du gouvernement des juges qui se cache dans ce raisonnement de la Cour constitutionnelle. Par exemple, selon Mümtaz Soysal, la motivation que la Cour constitutionnelle a utilisée dans l'interprétation large du mot « république »

« est en effet une motivation très dangereuse. En fin de compte, cette motivation peut conduire la société à une conception de ‘gouvernement des juges’ et ainsi elle peut réduire à néant la compétence de réviser la Constitution du Parlement élu par voix du peuple. Les révisions constitutionnelles contraires à une telle interprétation de la Cour constitutionnelle seront annulées par elle, et par conséquent le peuple tombera dans une situation où il sera incapable d'exercer sa compétence de révision constitutionnelle »[139].

Le professeur Soysal pose la question suivante : D'où reçoivent les membres de la Cour constitutionnelle la compétence d'annuler les révisions constitutionnelles, en ajoutant d'autres règles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[140] ? Ainsi Mümtaz Soysal conclut que

« si la Cour constitutionnelle se reconnaît la compétence d'annuler les révisions constitutionnelles, en prétendant que cette révision est contraire aux principes fondamentaux de la Constitution, elle dépasse la place qui lui est attribuée dans le système étatique »[141].

Dans le même ordre d'idées, le professeur Orhan Aldikaçti souligne que

« la Cour constitutionnelle se considère comme un organe supérieur à la Constitution même, et par conséquent elle croit qu'elle peut même dominer la volonté constitutionnelle »[142].

De même Erdogan Teziç exprime son inquiétude face au fait que la Cour constitutionnelle puisse devenir une puissance supérieure même au pouvoir constituant[143].

(g) Enfin, certains auteurs indiquent que cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle est dangereuse même à l'égard de la Cour.

Tahsin Türkçapar a signalé que la jurisprudence en question « pourrait mettre en cause la respectabilité même de la Cour constitutionnelle »[144]. Selon lui, cette jurisprudence a créé l'impression selon laquelle la Cour constitutionnelle se croit supérieure même à la Constitution, et ainsi qu'elle a ouvert la voie aux discussions sur l'existence même de la Cour[145].

La même remarque est faite encore par le professeur Mümtaz Soysal. Selon lui, le fait que la Cour constitutionnelle tende à contrôler les lois constitutionnelles non seulement sur la forme, mais aussi quant au fond, signifie que la Cour entre dans une voie dont l'issue est inconnue. Dans cette voie, la Cour constitutionnelle peut elle‑même mettre en danger sa propre situation[146].

Egalement le professeur Ergun Özbudun est du même avis :

« Le comportement de la Cour constitutionnelle sur le contrôle des lois constitutionnelles pourrait, à long terme, mettre en danger les intérêts institutionnels de la haute juridiction. Les expériences montrent qu'en cas d'opposition profonde entre une cour constitutionnelle et les puissances représentant la majorité de la société, les compétences de la cour constitutionnelle pourraient être limitées par les révisions constitutionnelles. En particulier, dans notre société où le système de contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois est tellement neuf et a rencontré des fortes résistances, il est évident que l'acceptation de l'idée du contrôle juridictionnel des révisions constitutionnelles, c'est‑à‑dire du contrôle de la volonté du pouvoir constituant qui est supérieur à tous les pouvoirs institués, sera extrêmement difficile »[147].

Après avoir ainsi critiqué cette interprétation de la Cour constitutionnelle, à peu près tous les auteurs ont souhaité que la Cour renonce à cette jurisprudence, et qu'elle se déclare incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, tout au moins qu'elle interprète l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution dans un sens restrictif[148].

Appréciation générale de la question. – Nous avons déjà affirmé que la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En effet, il n'y a pas de grande difficulté à accepter que la Cour constitutionnelle puisse contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles à l'égard des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution. Car, ces limites ont le fondement positif. Par conséquent, s'il y a, dans la constitution, des dispositions qui déterminent le contenu des lois de révision constitutionnelle comme l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat, la Cour constitutionnelle peut confronter le contenu de ces lois à ces dispositions.

Nous avons montré que, dans la Constitution turque de 1961, il y a une seule disposition de la Constitution qui détermine le contenu des lois constitutionnelles : celle de l'article 9. Alors la Cour constitutionnelle turque peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.

Mais ici se pose encore une autre question. C'est celle de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, c'est‑à‑dire, celle de la définition de la « forme républicaine de l'Etat ».

C'est un problème d'interprétation. Personnellement, nous aussi nous pensons qu'il faut interpréter dans son sens strict le mot « république », c'est‑à‑dire comme un régime dans lequel la fonction du chef de l'Etat n'est pas héréditaire. Par conséquent, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ne protège pas, à notre avis, les caractéristiques de la République (laïcisme, nationalisme, Etat de droit etc.) énumérées dans l'article 2 de la Constitution. En d'autres termes, seul l'article 1er qui dit que « l'Etat turc est une République » est intangible, et non pas les caractéristiques démocratique, laïque, nationale, etc. de cette République. Ainsi nous souscrivons aux critiques des auteurs qui désapprouvent cette interprétation large du mot « république » par la Cour constitutionnelle. Nous avons exposé longuement les arguments invoqués contre la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

Ainsi, nous désapprouvons entièrement l'interprétation large donnée par la Cour constitutionnelle à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Cependant, notre opinion ainsi que les opinions des auteurs majoritaires ne sont que des opinions personnelles. Or, du point de vue du droit positif, il faut chercher la réponse authentique à la question de savoir en quoi consiste le contenu de cette interdiction.

D'abord rappelons le texte de l'article 9 de la Constitution de 1961 :

« La disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ne peut être modifiée, ni sa modification proposée ».

Quant à l'article 1er, intitulé « forme de l'Etat », il dit que

« l'Etat turc est une République ».

Egalement l'article 2, intitulé « caractéristiques de la République », stipule que

« la République de Turquie est un Etat de droit démocratique, national, laïque et social, basé sur les droits de l'homme et les principes fondamentaux exprimés dans le préambule ».

Alors selon l'article 9, ce qui est intangible est « la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ». Comme nous venons de le montrer, selon nous et selon la majorité de la doctrine turque, cette « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la république » consiste en l'article 1er de la Constitution. Or, selon la Cour constitutionnelle turque, cette « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » est non seulement l'article 1er, mais aussi l'article 2 de la Constitution.

En d'autres termes, ici, il y a une question d'interprétation de l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ». Alors il faut d'abord répondre à la question de savoir si l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisé dans l'article 9 de la Constitution de 1961 englobe non seulement la disposition de l'article 1er, mais aussi les dispositions de l'article 2 de la Constitution.

Il faut donc interpréter l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » employée dans l'article 9 qui détermine l'interdiction de réviser la Constitution. Sans doute chacun peut interpréter cette expression, comme il l'entend. En droit seulement l'une des ces interprétations peut être valable ; les autres ne sont que des opinions personnelles. Alors, il faut choisir l'interprétation qui est valable, autrement dit, l'interprétation authentique, c'est‑à‑dire celle qui ne peut être juridiquement contestée et qui est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques.

Alors déterminons l'interprétation authentique de l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisée dans l'article 9. Dans le système de la Constitution turque de 1961, l'interprétation donnée à la Constitution par la Cour constitutionnelle est de caractère authentique, car « les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs » (art.152 de la Constitution de 1961). Il n'existe pas de voie de recours contre les arrêts de la Cour constitutionnelle. Ces arrêts « lient les organes du législatif, de l'exécutif et du judiciaire ainsi que les autorités administratives et les personnes physiques et morales » (art.152 de la Constitution de 1961). En d'autres termes, nul ne pourrait contester juridiquement l'interprétation de la Cour constitutionnelle, parce qu'elle n'est pas annulable et produit des effets juridiques quel que soit le contenu de cette interprétation. D'ailleurs, logiquement aussi c'est une conclusion cohérente, parce qu'il n'existe pas d'interprétation standard à laquelle on pourrait confronter l'interprétation de la Cour constitutionnelle.

La Cour constitutionnelle turque a interprété l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisée dans l'article 9 qui détermine l'interdiction de réviser la Constitution, comme englobant non seulement la disposition de l'article 1er, mais aussi celles de l'article 2 de la Constitution. La Cour a dit clairement que non seulement la forme Républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques (démocratie, laïcisme, nationalisme, etc.) de cette République exprimées dans l'article 2 sont intangibles[149].

Alors il nous reste à conclure que selon l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle, l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisée dans l'article 9 de la Constitution qui détermine l'interdiction de réviser la Constitution comprend non seulement la disposition de l'article 1er, mais aussi celle de l'article 2 de la Constitution de 1961. Par conséquent, la Cour constitutionnelle peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles non seulement à l'égard de l'article 1er qui prévoit que « l'Etat turc est une République », mais aussi à l'égard de l'article 2 qui détermine les caractéristiques de la République turque comme celles d'Etat de droit démocratique, laïque, social, national, etc.

En droit turc, sous la Constitution de 1961, avant la révision constitutionnelle de 1971, c'est la seule solution qui s'impose. Dans cette période, le mot « république » désigne non seulement un Etat dans lequel la fonction du chef de l'Etat n'est pas héréditaire, mais aussi un Etat de droit démocratique, laïque, national, social et basé sur les droits de l'homme.

 * * *

Les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs. La Cour a le pouvoir d'interprétation authentique. Néanmoins la Cour constitutionnelle n'est pas à l'abri des réactions des autres organes du système constitutionnel. Il est vrai que la Cour constitutionnelle est libre de choisir son comportement. Mais elle doit prendre en considération les réactions qu'elle peut déclencher de la part de ses partenaires, car, en dernière analyse, la Cour constitutionnelle elle aussi fonctionne dans un système politique. Comme le remarquent les auteurs qui critiquent la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, son comportement pourrait, à long terme, mettre en danger les intérêts institutionnels de la Cour elle‑même.

En effet, comme nous allons le voir plus bas (§ 2), juste quelques mois après ces décisions (n°1970‑31 du 16 juin 1970 et n°1971‑37 du 13 avril 1971) de la Cour constitutionnelle, le pouvoir de révision constitutionnelle, en révisant l'article 147 de la Constitution de 1961 (loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971), a interdit à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.

Avant de terminer ce paragraphe, il convient de faire une conclusion au sujet du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Turquie, sous la Constitution de 1961 avant 1971.

Conclusion (Sous la Constitution de 1961 avant 1971)

En Turquie, comme venons de le voir avec les détails, la Constitution de 1961, avant 1971, ne contient aucune disposition sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par conséquent, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles doit être analysé comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé.

Dans un tel système, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible sous deux conditions. Premièrement, il faut qu'il y ait dans le système un organe compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois, et deuxièmement, que cet organe se soit déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

La première condition est nécessaire, car, puisque la solution du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'existe pas dans les textes positifs, cette solution ne peut se trouver que dans la jurisprudence constitutionnelle. Mais pour qu'il y ait une jurisprudence constitutionnelle, il faut qu'il existe avant tout un organe chargé de contrôle de la constitutionnalité. En d'autres termes, il faut qu'il y ait, dans le système, un organe compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois.

La première condition est nécessaire, mais non suffisante. Car, pour que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles soit possible, il faut que cet organe se soit déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. C'est la deuxième condition. En effet si l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, du point de vu du droit positif, il faut admettre que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Car, du point de vue du droit positif, la jurisprudence de cette cour est incontestable. En d'autres termes la décision de cette cour constitue la solution authentique du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Nous venons de vérifier ces deux conditions dans le cas de Turquie sous la Constitution de 1961 avant 1971.

En Turquie, dans cette période, il y avait justement une Cour constitutionnelle chargée de contrôler la constitutionnalité des lois[150]. Par conséquent, la première condition est remplie.

Deuxièmement, nous avons montré que la Cour constitutionnelle turque s'est déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de la régularité formelle que de leur contenu. La Cour constitutionnelle turque, dans ses décisions des 16 juin 1970 et 3 avril 1971, a effectivement contrôlé la constitutionnalité de deux lois de révision constitutionnelle. De plus, elle a même annulé la loi constitutionnelle n° 1188 du 6 novembre 1969.

Alors du point de vue du droit positif, une seule conclusion s'impose : en Turquie, sous la Constitution de 1961, avant 1971, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ; car, d'une part la Constitution ne contient aucune disposition sur ce point, et d'autre part la Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu.

En conclusion, en Turquie, dans cette période, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution de 1961 sont sanctionnées par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Par conséquent, le pouvoir de révision constitutionnelle est effectivement limité par ces limites selon l'interprétation de la Cour constitutionnelle.

 

* * *

 

Après avoir ainsi vu le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution de 1961, nous examinerons maintenant le même problème, sous la même Constitution, mais après l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971.

Continue après les notes.
 


[1]. Loi n°334 du 9 juillet 1961, Türkiye Cumhuriyeti Resmi Gazetesi [Journal officiel de la République turque], n°10859 du 20 juillet 1961.

[2]. Dès le 12 septembre 1980, le Conseil national de sécurité (Milli Güvenlik Konseyi), composé du chef d'état major général et des commandants des Armés assuma les pouvoirs conférés par la Constitution de 1961 au Parlement. La loi sur l'ordre constitutionnel (Anayasa Düzeni Hakkinda Kanun) n°2324 du 27 octobre 1980 Türkiye Cumhuriyeti Resmi Gazetesi [Journal officiel de la République turque], 28 octobre 1980, n°17145) a cependant maintenu la Constitution de 1961 en vigueur en précisant toutefois que les actes et les décisions du Conseil national de sécurité qui seraient incompatibles avec la Constitution seraient réputées révisions constitutionnelles. Voir, en langue française, Rusen Ergec, Regards sur la Constitution turque de 1982, Ankara, Editions de la Faculté des sciences politiques de l'Université d'Ankara, 1988, p.6.

[3]. Ce titre, Chapitre 1, § 2, B.

[4]. Articles 145 à 152 de la Constitution de 1961.

[5]. Ce titre, Chapitre 1, § 2, B.

[6]. Cour constitutionnelle turque, décision n° 1970-31 du 16 juin 1970, (Restitution des droits politiques), Anayasa Mahkemesi Kararlari Dergisi [Recueil des décisions de la Cour constitutionnelle (turque)], (cité désormais comme A.M.K.D. en abrégé), n° 8, 1971, p.313-340.

[7]Resmi Gazete [Journal officiel], n°13349 du 12 novembre 1969.

[8]. Selon le texte turc de l'article (« affa ugramis olsalar da »).

[9]. Celal Bayar, ex-président de la République, et ses amis.

[10]. Cem Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu : Bir Mukayeseli Hukuk Incelemesi [La question de révision constitutionnelle : une étude de droit comparé], Ankara, Ankara Üniversitesi Siyasal Bilgiler Fakültesi Yayinlari, 1974, p.149-150.

[11]. Pour les moyens développés par la Parti travailliste de Turquie, voir le texte de la requête reproduit dans cette décision de Cour constitutionnelle, in A.M.K.D., n° 8, 1971, p.313-319.

[12]Ibid., p.313.

[13]Ibid., p.314.

[14]Ibid., p.315.

[15]. Première partie, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous-section 2.

[16]. Première partie, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous-section 2, § 2.

[17]A.M.K.D., n° 8, 1971, p.315.

[18]Ibid.

[19]. Lire « coup d'Etat ».

[20]A.M.K.D., n° 8, 1971, p.318. Selon le Parti travailliste, le Gouvernement du Parti démocrate (1950-1960) était illégitime, car il avait donné « les concessions au capital étranger..., ainsi qu'à l'impérialisme américain » (sic!)  (Ibid.).

[21]Ibid., p.318-319.

[22]Ibid., p.319.

[23]Ibid.

[24]Ibid., p.322.

[25]. La proposition par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale et l'adoption à la majorité des deux tiers (art.155, al.1)

[26]A.M.K.D., n° 8, 1971, p.322.

[27]Ibid.

[28]Ibid.

[29]Ibid., p.323. Quatre membres de la Cour (Fazil Uluocak, Salim Basol, Celalettin Kuralmen et Halit Zarbun) pensent que la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Pour leur opinion dissidente voir, A.M.K.D., n° 8, 1971, p.334‑337. Signalons qu'à cette époque la Cour constitutionnelle turque se composait de quinze membres.

[30]A.M.K.D., n° 8, 1971, p.325‑332. Les juges minoritaires sont Lutfi ömerbas, Feyzullah Uslu, Hakki Ketenoglu, Fazil Uluocak, Ihsan Ecemis, Halit Zarbun et Mustafa Karaoglu. Pour leur opinion dissidente voir, Ibid., p.333-340.

[31]Ibid., p.332.

[32]. Cour constitutionnelle turque, décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, (Report des élections du Sénat), A.M.K.D., n° 9, 1972, p.416-449.

[33]Resmi Gazete [Journal officiel], n° 13578 du 22 avril 1970.

[34]. Décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, A.M.K.D., n° 9, 1972, p.416-417.

[35]Ibid., p.418.

[36]Ibid., p.419.

[37]Ibid., p.428-429.

[38]. Décision n°1965-40, A.M.K.D., n°4, 1965, p.329.

[39]Ibid.

[40]. Décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, A.M.K.D., n° 9, 1972, p.422-426.

[41]Ibid., p.426.

[42]Ibid., p.429-430.

[43]. Hakki Ketenoglu, Fazil Uluocak, Sait Koçak, Muhittin Taylan, Ihsan Ecemis, Halit Zarbun, Kani Vrana, Lûtfi Ömerbas, Sevket Müftigil et Ahmet H. Boyacioglu.

[44]. Avni Givda, Sahap Ariç, Recai Seçkin, Ahmet Akar et Muhittin Gürün.

[45]. Hakki Ketenoglu, Avni Givda, Sait Koçak, Muhittin Taylan, Sahap Ariç, Ihsan Ecemis, Recai Seçkin, Ahmet Akar, Kani Vrana, Muhittin Gürün, Lûtfi Ömerbas, Sevket Müftigil et Ahmet H. Boyacioglu.

[46]. Fazil Uluocak et Halit Zarbun.

[47]. Hakki Ketenoglu, Fazil Uluocak, Muhittin Taylan, Sahap Ariç, Ihsan Ecemis, Recai Seçkin, Halit Zarbun, Kani Vrana, Lûtfi Ömerbas, Sevket Müftigil et Ahmet H. Boyacioglu.

[48]. Avni Givda, Sait Koçak, Ahmet Akar et Muhittin Gürün. 

[49]. Décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, A.M.K.D., n° 9, 1972, p.431.

[50]. L'exposé de l'opinion dissidente de Fazil Uluocak dans la décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.313-340.

[51]. Rona Serozan, « Anayasayi Degistirme Yetkisinin Sinirlari » [Les limites de la compétence de révision constitutionnelle], Istanbul Üniversitesi Hukuk Fakültesi Mecmuasi [Revue de la Faculté de droit de l'Université d'Istanbul], Vol.XXXVII, n°1-4, 1972, p.140.

[52]. Décision n°1970-31 du 16 juin 1970, (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.322.

[53]Ibid.

[54]. En dehors de trois auteurs cités ci-dessous (notes 55, 56 et 57), voir : Burhan Kuzu, 1982 Anayasasinin Temel Nitelikleri ve Getirdigi Yenilikler [Les caractéristiques fondamentales de la Constitution de 1982 et ses nouveautés], Istanbul, Filiz Kitabevi, 1990, p.179 ; Mümtaz Soysal, « Türkiye'de Anayasa Yargisinin Islevi ve Konumu » [La fonction et la situation de la justice constitutionnelle en Turquie], Anayasa Yargisi [Juridiction constitutionnelle], Ankara, Anayasa Mahkemesi Yayinlari, 1984, p.92 ; A. Recai Seçkin, « Anayasaya Aykirilik Kavraminin Tanimlanmasi Yolunda Bir Deneme » [Un essai sur la définition de la notion de non-conformité à la constitution], Kemal Fikret Arik'a Armagan [Mélanges offerts à Kemal Fikret Arik, Ankara, 1973, p.451. Egalement pour un résumé des différentes idées doctrinales voir : A. Seref Hocaoglu et Ismet Ocakçioglu, Anayasa ve Anayasa Mahkemesi [La Constitution et la Cour constitutionnelle], Ankara, Ayyildiz Matbaasi, 1971, p.160-169.

[55]. Ergun Özbudun, Türk Anayasa Hukuku [Le droit constitutionnel turc], Ankara, Yetkin Yayinlari, 3e édition, 1993, p.133.

[56]. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.164.

[57]. Erdal Onar, 1982 Anayasasinda Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle sous la Constitution de 1982], Ankara, 1993, p.137‑138.

[58]. Décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.323.

[59]Ibid.

[60]. L'exposé de l'opinion dissidente de Fazil Uluocak et Halit Zarbun dans la décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.313-340.

[61]Cf. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.165 ; Özbudun, op. cit., p.133.

[62]. Özbudun, op. cit., p.133. Dans le même sens, voir Kuzu, op. cit., p.179.

[63]. Première partie, Titre 2, Chapitre 1, Section 1.

[64]. Première partie, Titre 2, Chapitre 2.

[65]. Comme nous l'avons vu dans la première partie (Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous‑section 2), selon certains auteurs, il y a une hiérarchie entre les normes constitutionnelles. Si l'on admet cette thèse, on peut envisager que la Cour constitutionnelle puisse contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux dispositions de la Constitution occupant un rang supérieur dans cette hiérarchie. Dans l'affaire Restitution des droits politiques (décision n°1970‑31 du 16 juin 1970), le Parti travailliste de Turquie, auteur de la saisine, a prétendu qu'il y a une hiérarchie entre les dispositions de la Constitution de 1961 (A.M.K.D., n°8, 1971, p.314). Par contre la Cour constitutionnelle n'a pas répondu à cet argument. Cependant, dans la doctrine du droit constitutionnel turc, Yildizhan Yayla soutient que la Cour constitutionnelle, dans cette décision, établit une certaine hiérarchie entre les normes de la Constitution de 1961 (Yildizhan Yayla, « Anayasa Mahkemesine Göre Cumhuriyetin Özü » [L'essence de la République d'après la Cour constitutionnelle], Hifzi Timur'un Anisina Armagan [Mélanges offerts à la mémoire de Hifzi Timur], Istanbul, I.Ü. Hukuk Fakültesi Milletlerarasi Münasebetler Enstitüsü Yayini, 1979, p.1002‑1019). Or, comme le montre Fazil Saglam, l'analyse de Yildizhan Yayla n'est pas fondée, de plus la citation que M. Yayla a faite pour prouver sa thèse est tirée, non pas de la décision de la Cour, mais de l'exposé des motifs du requérant (Fazil Saglam, Temel Haklarin Sinirlanmasi ve Özü [La limitation des droits fondamentaux et leur essence], Ankara, Ankara Üniversitesi Siyasal Bilgiler Fakültesi Yayinlari, 1982, p.179). Nous pensons, avec Fazil Saglam, que « l'on ne peut trouver aucune décision de la Cour constitutionnelle acceptant qu'il existe une hiérarchie entre les normes de la Constitution » (Saglam, op. cit., p.179).

[66]. Pour les moyens invoqués par le Parti travailliste de Turquie, voir l'exposé des motifs de l'auteur de la saisine reproduit dans la décision du 16 juin 1970, A.M.K.D., n°8, 1971, p.313-319.

[67]. Décision n°1971-37 du 13 avril 1971 (Report des élections du Sénat), A.M.K.D., n°9, 1972, p.428.

Il nous semble que la Cour constitutionnelle en utilisant cette notion de « nécessités de la civilisation contemporaine », s'est référée, d'ailleurs sans le savoir, à la thèse de l'« intangibilité relative » qui a été développée, dans les anciens pays socialistes à propos des limites à la révision constitutionnelle. Selon cette conception, dans les constitutions socialistes, il n'y a pas de place pour les « normes constitutionnelles absolument inchangeables ». Mais, les dispositions de la constitution socialiste peuvent être révisées dans un sens seulement, c'est‑à‑dire dans le sens du socialisme et du communisme. Stefan Rozmaryn les appelle « dispositions relativement immuables » (Paolo Biscaretti Di Ruffia et Stefan Rozmaryn, La constitution comme loi fondamentale dans les Etats de l'Europe occidentale et dans les Etats socialistes, Paris, Torino, L.G.D.J., Libreria Scientifica, 1966, p.117).

Par exemple, en Pologne, à l'époque socialiste, selon cette thèse, les dispositions de la Constitution concernant l'évolution du système socio‑économique et politique vers le socialisme étaient considérées comme relativement intangibles. Ainsi, si la révision constitutionnelle avait pour objet de développer les relations socio‑politiques vers le socialisme, elle était possible, mais si ce n'était pas le cas, elle était interdite. Voir Kazimierz Dziakocha, « Hierarchy of Constitutional Norms and its Function of Protection of Basic Rights » (Polish Report, VIIIth Conference of European Constitutionnal Courts, Ankara, 7‑10 may 1990), in Hierarchy of Constitutional Norms and its Function of Protection of Basic Rights, Ankara, Publications of the Constitutional Court of Turkey, 1990, vol.IV, p.338.

De même, il semble que, selon la Cour constitutionnelle turque, la Constitution peut être révisée dans un sens seulement, c'est‑à‑dire, dans le sens de la civilisation contemporaine.

[68]. « Le fait que les révisions constitutionnelles portent atteinte à la cohérence et à la systématique des dispositions fondamentales de la Constitution détruit la structure juridique dans son ensemble » (Décision n°1971-37 du 13 avril 1971 (Report des élections du Sénat), A.M.K.D., n°9, 1972, p.429).

[69]. Décision n°1965-40, A.M.K.D., n°4, 1965, p.329.

[70]Ibid.

[71]. Hüseyin Nail Kubali, Anayasa Hukuku Dersleri [Leçons de droit constitutionnel], Istanbul, Kutulmus Matbaasi, 1971, p.105 ; « Anayasa Degisikligi » [La révision constitutionnelle], Milliyet, 8 septembre 1971.

[72]. Coskun San, Anayasa Degisiklikleri ve Anayasa Gelismeleri [Révisions et évolutions constitutionnelles], Ankara, Ankara Iktisadi ve Ticari Ilimler Akademisi Yayinlari, 1974, p.134‑135.

[73]. Serozan, op. cit., p.136, 138‑139.

[74]. Ekrem Serim, « Anayasayi Degistirme Sorunu » [La question de révision constitution-nelle], Ankara Barosu Dergisi [Revue du Barreau d'Ankara], Vol.34, 1977, n°1, p.35, 37.

[75]. San, op. cit., p.80-81.

[76]Ibid., p.84-85.

[77]Ibid., p.88.

[78]Ibid., p.88-89.

[79]Ibid., p.131.

[80]. Otto Bachoff, Verfassungswidridge Verfassungsnormen ?, Tübingen, 1951, p.7‑11 cité par San, op. cit., p.131.

[81]. San, op. cit., p.132.

[82]Ibid., p.134.

[83]. Voir par exemple Serozan, op. cit., p.136 ; San, op. cit., p.134-135.

[84]. Mehmet Akad, « Anayasa Yargisi Üzerine Gözlemler » [Les observations sur la juridiction constitutionnelle], Yargi [Juridiction], n°37, mai 1979, p.41.

[85]Ibid.

[86]. C'est nous qui soulignons. Comme le montrent les mots soulignés, Mehmed Akad exprime la thèse de l'« intangibilité relative des dispositions constitutionnelles » qui a été d'ailleurs développée, dans les anciens pays socialistes, à propos des limites à la révision constitutionnelle. Selon cette thèse, comme nous l'avons vu plus haut (note 67), les dispositions de la constitution peuvent être révisées dans un sens seulement. Dans les anciens Etats socialistes, ce « sens unique » qui était le socialisme et le communisme. Dans la conception de la Cour constitutionnelle turque, ce « sens unique » est la « civilisation contemporaine » et même selon l'interprétation de M. Akad, c'est l'« avenir », c'est le « modèle d'Etat social ». D'ailleurs si on remplace les mots « avenir » et « modèle d'Etat social » par celui de « socialisme », on obtient une thèse purement socialiste. Pour la thèse de l'intangibilité relative voir Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.116-118 ; Dziakocha, op. cit., p.338.

[87]. Akad, op. cit., p.43.

[88]Cf. Onar, op. cit., p.139, 141-142 ; Kuzu, op. cit., p.179 ; Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.166‑168 ; Mehmet Turhan, « Anayasaya Aykiri Anayasa Degisiklikleri » [Les révisions constitutionnelles contraires à la constitution], Ankara Üniversitesi Hukuk Fakültesi Dergisi [Revue de la Faculté de droit de l'Université d'Ankara], vol.XXXIII, 1976, n°1-4, p.99.

[89]. Kuzu, op. cit., p.179.

[90]. Erdogan Teziç, Türkiye'de 1961 Anayasasina Göre Kanun Kavrami [La notion de loi en Turquie d'après la Constitution de 1961], Istanbul, Istanbul üniversitesi Hukuk Fakültesi Yayinlari, 1972, p.134.

[91]Ibid., p.134.

[92]. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.166-167. Voir également Cem Erogul, « Anayasa Mahkemesinin Yirminci Yildönümü ve Birkaç Öneri » [Le vingtième anniversaire de la Cour constitutionnelle et quelques propositions], Ankara üniversitesi Siyasal Bilgiler Fakültesi Dergisi [Revue de la Faculté des sciences politiques de l'Université d'Ankara], Vol.XXXVII, 1982, n°3-4, p.134 : « Même si une révision constitutionnelle est considérée comme un ‘coup d'Etat’ contre l'ordre constitutionnel, on ne peut pas en inférer la conclusion selon laquelle la Cour constitutionnelle a la compétence de s'opposer à ce coup d'Etat ».

[93]. Première partie, Titre 1, Chapitre 2, Section 2.

[94]. Première partie, Titre 2.

[95]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2.

[96]. « L'ordre constitutionnel comporte de telles institutions et de tels droits et devoirs que, s'ils sont rattachés aux principes contraires aux nécessités de la civilisation contemporaine, cet ordre pourrait s'effondrer dans son ensemble » (Décision n°1971-37 du 13 avril 1971 (Report des élections du Sénat), A.M.K.D., n°9, 1972, p.428).

[97]. « Le fait que les révisions constitutionnelles portent atteinte à la cohérence et à la systématique des dispositions fondamentales de la Constitution détruit la structure juridique dans son ensemble » (décision n°1971-37 du 13 avril 1971, A.M.K.D., n°9, 1972, p.429).

[98]Ibid.

[99]. Première partie, Titre 2, Section 1.

[100]. Décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.323.

[101]. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.167-168.

[102]. Onar, op. cit., p.141. En effet, avant même ces décisions de la Cour constitutionnelle, certains auteurs ont défendu l'idée selon laquelle la Cour constitutionnelle pouvait contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Voir A. Ülkü Azrak, « Türk Anayasa Mahkemesi » [Cour constitutionnelle turque], Istanbul üniversitesi Hukuk Fakültesi Mecmuasi [Revue de la Faculté de droit de l'Université d'Istanbul], Vol.XXVIII, 1962, n°3‑4, p.679‑680 ; Metin Kiratli, Anayasa Yargisinda Somut Norm Denetimi [Le contrôle concret des normes dans la juridiction constitutionnelle], Ankara, Sevinç Matbaasi, 1966, p.105.

[103]. Décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n° 8, 1971, p.323.

[104]Ibid., p.323.

[105]. in A.M.K.D., n° 8, 1971, p.334-337.

[106]. L'exposé de l'opinion dissidente de Celalettin Kuralman dans la décision n° 1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n° 8, 1971, p.334-336.

[107]. En dehors de Rona Serozan et Yildizhan Yayla dont les critiques sont exposées dans les paragraphes suivants, voir Serim, op. cit., p.36‑37 ; Kubali, Anayasa Hukuku [Droit constitutionnel], op. cit., p.93‑94. Avant même ces décisions de la Cour constitutionnelle, Kemal Fikret Arik défendait que la Cour constitutionnelle peut contrôler les révisions constitutionnelles contraires non seulement à la forme républicaine de l'Etat, mais aussi au principe de laïcité prévu par l'article 2 de la Constitution de 1961 (Kemal Fikret Arik, « Yeni Anayasa Mahkememiz Hakkinda » [A propos de notre Cour constitutionnelle nouvelle], Adalet Dergisi [Revue de justice], Vol.52, septembre - octobre 1961, p.846.

[108]. Serozan, op. cit., p.134.

[109]. Muammer Aksoy, Devrimci Ögretmenin Kiyimi ve Mücadelesi (sic) [Le massacre de l'enseignant révolutionnaire et son combat (sic)], Ankara, Orsel Matbaasi, 1975, t.II, p.1262. Signalons que le professeur Aksoy, lorsqu'il était le porte‑parole de la Commission de la Constitution lors des travaux préparatoires de la Constitution de 1961, avait déclaré qu'il était contre l'inclusion dans l'interdiction de réviser la Constitution des caractéristiques de la République énumérées dans l'article 2 (voir infra, note 130).

[110]. Yayla, « Anayasa Mahkemesine Göre Cumhuriyetin özü » [L'essence de la République d'après la Cour constitutionnelle], op. cit., p.1002‑1019.

[111]Ibid., p.1011.

[112]Ibid., p.1012-1013.

[113]Ibid., p.1013.

[114]Ibid., p.1014.

[115]Ibid.

[116]Ibid., p.1015.

[117]Ibid., p.1015-1016.

[118]Ibid., p.1015. Soulignons cependant que Yildizhan Yayla lui-même n'approuve pas entièrement l'interprétation de la Cour constitutionnelle. Selon lui, dans la définition de la République, la Cour constitutionnelle aurait dû faire référence seulement aux principes de l'Etat démocratique et de l'Etat de droit, et comme les principes auxiliaires, au nationalisme, au laïcisme et au principe d'Etat social. Par conséquent la référence à tous les principes exprimés dans l'article 2 et dans le préambule est mal fondée. Car, selon lui, ces principes, comme les droits de l'homme sont difficiles à cerner (Ibid., p.1016-1018).

[119]. Akad, op. cit., p.42.

[120]Ibid., p.41.

[121]. Outre C. Erogul, E. özbudun, M. Soysal, E. Onar, M. Turhan, E. Teziç, B. Kuzu, O. Aldikaçti et T. Türkçapar, dont les critiques sont données dans les paragraphes suivants, voir Bülent Tanör, Anayasa Hukukunda Sosyal Haklar [Les droits sociaux en droit constitutionnel], Istanbul, May Yayinlari, 1978, p.286‑288 ; Kemal Dal, Türk Esas Teskilat Hukuku [Le droit constitutionnel turc], Ankara, Gazi üniversitesi Basin‑Yayin Yüksek Okulu Basimevi, 1984, p.161‑162.

[122]. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.168 ; Mümtaz Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], Istanbul, Gerçek Yayinevi, 4e édition, 1977, p.219 ; Mehmet Turhan, « Anayasaya Aykiri Anayasa Degisiklikleri [Les révisions constitutionnelles contraires à la Constitution] », Ankara Üniversitesi Hukuk Fakültesi Dergisi [Revue de la Faculté de droit de l'Université d'Ankara], vol.XXXIII, 1976, n°1-4, p.98.

[123]. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.168.

[124]. Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions],op. cit., 4e éd., 1977, p.219.

[125]Ibid., p.219.

[126]. Özbudun, op. cit., 3e éd., p.136. En ce sens voir encore, Onar, op. cit., p.9‑­10 ; Turhan, op. cit., p.98, 80‑82 ; Tahsin Türkçapar, « Anayasa Mahkemesinin Anayasada Yapilan Degisiklikleri Denetleme Yetkisi » [La compétence de la Cour constitutionnelle à contrôler les révisions de la Constitution], Yargitay Dergisi [Revue de la Cour de Cassation], vol.IV, 1978 (janvier - avril), n°1‑2, p.28‑29. D'autre part, le professeur Orhan Aldikaçti souligne que les constituants des différents pays qui veulent rendre intangibles non seulement la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les différentes caractéristiques de cette république, posent des dispositions constitutionnelles expresses prévoyant l'intangibilité de ces caractéristiques (Orhan Aldikaçti, Anayasa Hukukumuzun Gelismesi ve 1961 Anayasasi [Le développement de notre droit constitutionnel et la Constitution de 1961], Istanbul, Istanbul Üniversitesi Hukuk Fakültesi Yayinlari, 1982, p.362.

 

[127]. L'exposé de l'opinion dissidente de Celalettin Kuralman annexé à la décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), in A.M.K.D., n° 8, 1971, p.334-336.

[128]. L'Assemblée des représentants (Temsilciler Meclisi) était l'une des deux ailes de l'Assemblée constituante qui a préparé la Constitution de 1961.

[129]. L'intervention de Necip Bilge est reproduite in Kazim Öztürk, Türkiye Cumhuriyeti Anayasasi [La Constitution de la République de Turquie], Ankara, Ajans‑Türk Matbaasi, 1966, vol.II, p.1208‑1209. Cet ouvrage contient les travaux préparatoires de la Constitution de 1961.

[130]. La réponse de Muammer Aksoy, porte-parole de la Commission de la Constitution, in öztürk, op. cit., p.1209‑1210. Rappelons que le professeur Aksoy a défendu une thèse diamétralement opposée en 1975. Voir supra, note 109).

[131]. Özbudun, op. cit., p.136 ; Teziç, Türkiye'de 1961 Anayasasina Göre Kanun Kavrami [La notion de loi en Turquie d'après la Constitution de 1961], op. cit., p.134 ; Turhan, op. cit., p.99 Kuzu, op. cit., p.182‑183.

[132]. Özbudun, op. cit., p.137.

[133]. Voir supra, p.602.

[134]. Yayla, « Anayasa Mahkemesine Göre Cumhuriyetin Özü » [L'essence de la République d'après la Cour constitutionnelle], op. cit., p.1018.

[135]. Kuzu, op. cit., p.180.

[136]. Özbudun, op. cit., p.137 ; Kuzu, op. cit., p.179.

[137]. Özbudun, op. cit., p.137.

[138]. Outre Soysal, voir Turhan, op. cit., p.100 ; Kuzu, op. cit., p.179.

[139]. Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], op. cit., 1977, p.218‑219. Voir également Soysal, « Türkiye'de Anayasa Yargisinin Islevi ve Konumu [La fonction et la situation de la justice constitutionnelle en Turquie] », op. cit., p.92 : « A partir du moment où la Cour constitutionnelle déclare contraires aux principes fondamentaux de la République des révisions constitutionnelles adoptées à la majorité des deux tiers d'une Assemblée élue par le peuple, dans les esprits surgissent les questions suivantes : ‘allons-nous vers le gouvernement des juges ?’. ‘Par un tel comportement, la Cour constitutionnelle a‑t‑elle voulu laisser sans influence les cadres politiques ?’ ... ».

[140].  Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], op. cit., 1977, p.219.

[141]Ibid.

[142]. Aldikaçti, op. cit., p.362.

[143]. Teziç, Türkiye'de 1961 Anayasasina Göre Kanun Kavrami [La notion de loi en Turquie d'après la Constitution de 1961], op. cit., p.134.

[144]. Türkçapar, op. cit., p.39. Egalement voir Aldikaçti, op. cit., p.362.

[145]. Erogul, « Anayasa Mahkemesinin Yirminci Yildönümü ve Birkaç Öneri » [Le vingtième anniversaire de la Cour constitutionnelle et quelques propositions], op. cit., p.134.

[146]. Soysal, « Türkiye'de Anayasa Yargisinin Islevi ve Konumu » [La fonction et la situation de la justice constitutionnelle en Turquie], op. cit., p.92.

[147]. Özbudun, op. cit., p.137. En ce sens voir, Turhan, op. cit., p.100.

[148]. Voir par exemple Aldikaçti, op. cit., p.362 ; Türkçapar, op. cit., p.39.

[149]. Décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.323.

[150]. Articles 145 à 152 de la Constitution de 1961.

 

 

§ 2. Après 1971

 

Après avoir vu le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution de 1961 avant 1971 dans le paragraphe précédent, nous examinerons maintenant le même problème, sous la même Constitution, mais après l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971.

Nous verrons voir d'abord la réglementation constitutionnelle (A), ensuite la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (B).

A. La réglementation constitutionnelle

L'article 147 de la Constitution de 1961 que nous avons précédemment vu a été révisé par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971. Cette loi de révision constitutionnelle a remplacé la disposition de l'article 147 selon laquelle

« la Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution des lois et du règlement intérieur de la Grande Assemblée nationale de Turquie ».

par la suivante :

« la Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution des lois et du règlement intérieur de la Grande Assemblée nationale de Turquie ; aux conditions de forme indiquées dans la Constitution des lois constitutionnelles ».

En d'autres termes, la nouvelle version de l'article 147 habilite explicitement la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Ainsi le pouvoir constituant dérivé a voulu mettre fin à la discussion surgie à la suite des décisions des 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques) et 13 avril 1971 (Report des élections du Sénat) de la Cour constitutionnelle. Selon cette solution, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme est prévu, mais quant au fond, il a été exclu expressément.

Alors dans la Constitution turque de 1961, avec la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles a été expressément réglementé. Par conséquent, après 1971, le cas de la Turquie doit être analysé comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution.

Nous avons vu plus haut[1] les données théoriques du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un système où il est réglementé par la constitution.

Sans entrer dans les détails, rappelons que, selon les conclusions développées dans le cadre théorique, dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution, la solution positive de ce problème se trouve dans texte de la constitution.

En effet, une constitution peut contenir ou ne pas contenir des dispositions sur cette question. Si la constitution contient de telles dispositions, la solution du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est simple : il est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle.

Lorsque la constitution elle-même a prévu le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, la solution de ce problème ne pose aucune difficulté. Dans cette hypothèse, la constitution habilitera un organe à se prononcer sur la validité des lois de révision constitutionnelle, ainsi que les personnes ou organes à le saisir. De même la constitution pourrait déterminer la procédure suivant laquelle cet organe prendra sa décision.

Ainsi dans cette hypothèse, si une loi de révision constitutionnelle est contraire aux limites à la révision constitutionnelle, à vrai dire si les titulaires du droit de saisine estiment que la loi de révision constitutionnelle en question est contraire aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui impose des limites, ils peuvent saisir l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Et dans ce cas, la question de savoir si la loi de révision constitutionnelle est contraire ou conforme aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui imposent des limites sera résolue par cet organe et suivant la procédure déterminée par la constitution. Ainsi si l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles estime que la loi de révision constitutionnelle en question est contraire aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier à celles qui lui imposent des limites, il peut l'invalider. Cette décision sera définitive. L'interprétation de cet organe aura le caractère authentique. Ainsi, dans cette hypothèse, les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées par la décision de cet organe.

D'autre part, comme la constitution peut organiser un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, elle peut aussi refuser la possibilité d'un tel contrôle. Dans cette hypothèse, puisque la constitution interdit aux tribunaux de se prononcer sur la validité d'une loi de révision constitutionnelle, les limites matérielles du pouvoir constituant dérivé ne sont pas effectivement sanctionnées.

La Constitution turque de 1961 après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971 illustre parfaitement cette hypothèse. Elle réglemente expressément le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Ce contrôle est prévu quant à la forme, mais exclu quant au fond.

On peut donc conclure qu'après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque pouvait contrôler sans aucun doute la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car selon notre cadre théorique développé dans le chapitre précédent[2], lorsque la Constitution elle-même habilite un organe à se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles était possible. Puisque la Constitution de 1961 avec la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, elle même a prévu le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, il est tout à fait normal que la Cour constitutionnelle turque puisse se prononcer sur la régularité formelle des lois constitutionnelles.

Par contre, la Cour constitutionnelle ne pouvait pas contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, car ceci a été expressément exclu par la Constitution.

Ainsi après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, on pouvait attendre que la Cour constitutionnelle change sa jurisprudence, et se déclare incompétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.

Maintenant nous allons vérifier si la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque après 1971 confirme nos affirmations théoriques ci‑dessus.

B. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

Nous exposerons d'abord la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ensuite nous essayerons de faire la critique de cette jurisprudence.

1. Exposé

Entre 1971 et 1980, la Cour constitutionnelle turque a rendu six décisions sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

a. La décision n° 1975-87 du 15 avril 1975, Durée de la détention provisoire, Tribunaux de sûreté d'Etat, Tribunaux militaires, Tribunaux d'état de siège[3]

La loi constitutionnelle n°1699 du 15 mars 1973[4] a révisé la Constitution de
1961 dans ses dispositions concernant la durée de détention provisoire et les tribunaux militaires. D'ailleurs, cette loi constitutionnelle a créé les tribunaux de sûreté d'Etat.

La Cour constitutionnelle a été saisie, le 15 mars 1973, par Özer Derbil et autres, sénateurs, sur la base de l'article 149 de la Constitution de 1961, aux fins d'appréciation de la conformité de ladite loi constitutionnelle à la Constitution.

1. La Cour constitutionnelle a tout d'abord examiné sa compétence. Elle a constaté que

« la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 révisant l'article 147 de la Constitution a réduit l'étendue de la compétence de la Cour constitutionnelle en matière des lois constitutionnelles. Cette loi constitutionnelle, d'une part, attribue à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôler la constitutionnalité des révisions constitutionnelles quant à la forme, mais, d'autre part, elle exclut le contrôle de fond des lois constitutionnelles de la compétence de la Cour constitutionnelle. Ainsi, cette révision constitutionnelle interdit à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond »[5].

a) C'est pourquoi, la Cour s'est déclarée incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond[6].

Par conséquent, la Cour constitutionnelle a déclaré irrecevable le recours en annulation dans ses parties demandant à la Cour constitutionnelle de vérifier la constitutionnalité de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 quant au fond[7].

b) Mais d'autre part, la Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car elle a constaté que la nouvelle version de l'article 147 lui reconnaît expressément cette compétence[8].

2. Alors la Cour constitutionnelle a affirmé qu'elle examinera la constitutionnalité de la loi constitutionnelle déférée uniquement sur la forme[9].

a) Cependant il y avait une deuxième question qui se posait à la Cour constitutionnelle : celle de l'étendue du contrôle de forme. En d'autres termes, en quoi consistait le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme ?

Sans aucun doute les dispositions de l'article 155 de la Constitution de 1961 qui déterminent les conditions de proposition (par un tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée), de délibération (l'interdiction de procédure d'urgence) et d'adoption (à la majorité des deux tiers) des révisions constitutionnelles étaient des règles de forme, et par conséquent l'examen de la conformité d'une loi constitutionnelle à ces règles consistait en un contrôle de forme.

Mais y avait-il d'autres règles de forme susceptibles d'être normes de référence pour le contrôle de forme des lois constitutionnelles ?

La réponse de la Cour constitutionnelle était affirmative. Les règles de forme ne consistaient pas seulement en des dispositions de l'article 155. Selon la Cour, l'article 9 prévoyant que « la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république ne peut être modifiée, ni sa modification proposée » est aussi une règle de forme, et par conséquent l'examen de la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle à l'égard de l'article 9 était un contrôle de forme, et non pas un contrôle de fond. L'argumentation de la Cour était la suivante :

        « Puisque les dispositions de la Constitution concernant la proposition de la révision constitutionnelle sont des règles de forme, la disposition qui interdit cette proposition est aussi sans aucun doute une règle de forme. Parce que cette disposition interdit aux membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie de proposer une loi de révision constitutionnelle qui serait contraire à la forme républicaine de l'Etat. En d'autres termes, si la proposition de révision constitutionnelle n'est pas en contradiction avec le principe d'intangibilité, elle sera poursuivie conformément à sa procédure et deviendra ainsi une loi de révision constitutionnelle. Par contre si la proposition de révision est en contradiction avec le principe d'intangibilité, elle ne pourra pas être proposée ; et si elle a été proposée, elle ne pourra pas être poursuivie conformément à sa procédure ; si elle a été poursuivie, elle ne pourrait être adoptée »[10].

En résumé, selon la Cour constitutionnelle turque, la règle de l'intangibilité de la forme républicaine prévue dans l'article 9, elle aussi, est une règle de forme, comme les autres règles de forme prévues dans l'article 155, c'est‑à‑dire la proposition par un tiers et l'adoption par les deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. Car, selon la Cour, puisque les dispositions de la Constitution concernant la proposition de révision constitutionnelle, telle la disposition de l'article 155 selon laquelle « les révisions constitutionnelles peuvent être proposées par un tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée nationale... », sont des règles de forme, la disposition qui interdit cette proposition, c'est‑à‑dire celle de l'article 9, elle aussi est une règle de forme.

Notons tout de suite que la Cour constitutionnelle a défini le contrôle de forme d'une façon très large. En effet, le contrôle de forme tel qu'il est conçu par la Cour constitutionnelle comporte aussi le contrôle de fond. Nous allons critiquer cette interprétation de la Cour constitutionnelle plus tard[11].

b) Après avoir affirmé que la vérification de la conformité d'une loi constitutionnelle à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution était un contrôle de forme et non pas un contrôle de fond, la Cour constitutionnelle n'en reste pas là. Elle interprète encore d'une façon très large l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Selon cette interprétation, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution comporte non seulement la forme républicaine de l'Etat déterminée dans l'article 1er, mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2 de la Constitution, à savoir l'Etat de droit, démocratique, laïque et social, basé sur les droits de l'homme.

A ce propos, la Cour constitutionnelle a maintenu sa jurisprudence du 16 juin 1970[12]. Elle a répété sa motivation de l'époque, à peu près mot pour mot :

        « Il est évident que le principe d'intangibilité prévu dans cet article (art.9) ne vise pas seulement le mot ‘république’. Par conséquent il est impossible de concilier avec ce principe l'idée selon laquelle la Constitution permet de réviser tous principes et règles en dehors de l'intangibilité du mot ‘république’. Parce que le but essentiel du principe de l'intangibilité exprimé dans l'article 9 est de protéger le système de l'Etat, nommé ‘république’, dont les caractéristiques sont déterminées par les principes fondamentaux se trouvant dans les articles 1 et 2 et dans le préambule auquel fait référence l'article 2. En d'autres termes, ce qui est protégé ici par le principe d'intangibilité n'est pas le mot ‘république’, mais le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans les articles mentionnés ci-dessus. Alors, la proposition et l'adoption d'une révision constitutionnelle qui établirait, tout en gardant le mot ‘république’, un régime incompatible avec les principes fondamentaux de la Constitution de 1961 seraient contraires à la Constitution.

        Il résulte de cette explication qu'une loi prévoyant la révision de l'un de ces principes ou une loi qui a pour objet de modifier ces principes directement ou indirectement par les révisions dans les autres articles de la Constitution ne peuvent pas être proposées et ni adoptées »[13].

Comme on le voit, dans cette décision, la Cour constitutionnelle s'est encore déclarée compétente pour contrôler la conformité des lois constitutionnelles non seulement à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat, mais aussi aux caractéristiques de la République définies dans l'article 2 de la Constitution. Car, selon la Cour constitutionnelle, l'interdiction de réviser la Constitution prévue par l'article 9 protège non seulement l'article 1 qui détermine la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2. Comme on le voit, la Cour interprète cette interdiction d'une façon très large. Ainsi selon la Cour, elle pouvait contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces caractéristiques. D'ailleurs la Cour constitutionnelle affirme que ce contrôle était un contrôle de forme et non pas un contrôle de fond. Nous allons critiquer cette décision plus tard.

La Cour constitutionnelle a ainsi examiné la conformité du contenu de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Selon la Cour, comme on vient de l'expliquer, cet examen était un contrôle de forme, et non pas un contrôle de fond qui lui était exclu expressément par la Constitution. Nous allons donner la critique de cette thèse plus tard[14].

Ensuite la Cour constitutionnelle a passé à l'examen du contenu des dispositions de la loi constitutionnelle du 14 mars 1973.

L'article 1er de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973, Durée de la détention provisoire

L'article 1er de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 a révisé l'alinéa 4 de l'article 30 de la Constitution de 1961 comme suit :

        « La personne arrêtée ou placée en détention est traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures ou, en ce qui concerne les délits et crimes relevant de la compétence des Tribunaux de sûreté d'Etat et les délits et crimes collectifs dans les cas déterminés par la loi, et en cas d'état de siège et de guerre, dans le délai déterminé par la loi, sous réserve de la période nécessaire pour la conduire devant le tribunal le plus proche de son lieu de détention. Ces délais ne peuvent dépasser quinze jours. Nul ne peut être privé de sa liberté au-delà de ces délais sauf en cas de décision du juge. Les proches de la personne arrêtée ou placée en détention sont immédiatement avisés de sa situation ».

Ainsi la loi constitutionnelle en question prolongeait la durée de détention de quarante-huit heures à quinze jours en ce qui concerne les délits et crimes collectifs et ceux relevant de la compétence des Tribunaux de sûreté d'Etat.

Selon les auteurs de la saisine, cette disposition porte atteinte à la liberté et la sécurité individuelle, elle donne aussi une compétence injustifiée au pouvoir exécutif[15].

La Cour constitutionnelle turque constate d'abord que la prolongation à quinze jours de la durée de la traduction devant le juge des personnes arrêtées ou placées en détention constitue une limitation importante de la liberté et de la sécurité individuelle. Néanmoins, la Cour ne considère pas cette limitation comme portant atteinte aux caractéristiques de la République. Selon la Cour, cette disposition est le résultat de l'équilibre nécessaire entre la liberté individuelle et l'ordre public. En effet, le but de cette réglementation consiste à protéger d'une part le régime républicain dont les caractéristiques sont déterminées dans la Constitution et d'autre part la liberté et la sécurité de la personne[16].

La Cour constitutionnelle turque a conclu que, puisque l'article 1er de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 ne porte pas atteinte aux caractéristiques de la République, surtout au principe de l'Etat de droit respectueux des droits de l'homme, cette disposition n'est pas contraire à la disposition de l'article 9 de la constitution prévoyant l'intangibilité de la forme républicaine de l'Etat. C'est pourquoi, la Cour a rejeté la demande en annulation de l'article 1 de la loi constitutionnelle en question[17].

 

L'article 3 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973, Tribunaux de sûreté d'Etat

L'article 3 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 prévoyait la création des Tribunaux de sûreté d'Etat. Voyons d'abord ses dispositions.

        Article 3.- Sont ajoutés à l'article 136 de la Constitution de la République turque les alinéas suivants :

        (Article 136, Alinéa 2) Les Tribunaux de sûreté d'Etat sont créés avec la compétence de statuer sur les infractions portant atteinte à l'unité indivisible de l'Etat, du point de vue du territoire et de la nation, à l'ordre démocratique libre ou à la République, dont les caractéristiques sont définies dans la Constitution ainsi que sur celles qui concernent directement la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat.

        (Alinéa 3) Les Tribunaux de sûreté d'Etat se composent d'un président, de quatre membres titulaires et deux suppléants, d'un procureur et de substituts de procureur en nombre suffisant. Le président, deux membres titulaires et un membre suppléant et le procureur sont nommés parmi les juges et les procureurs de la République de première classe ; deux membres titulaires et un membre suppléant parmi les juges militaires de première classe et les substituts du procureur parmi les procureurs de la République et les juges militaires.

        (Alinéa 4) Dans les nominations du président, des membres titulaires, des membres suppléants, du procureur et des substituts du procureur, le Conseil des ministres propose des candidats en nombre double de celui des postes à pourvoir. Parmi ces candidats, les juges des Tribunaux de Sûreté d'Etat sont nommés par le Conseil supérieur des juges ; le procureur et les substituts de procureurs sont nommés par le Conseil supérieur des procureurs ; et la nomination des membres titulaires, des membres suppléants, des substituts de procureur parmi les juges militaires se déroule selon la procédure déterminée dans ses propres lois.

        (Alinéa 5) Le président, les membres titulaires et suppléants et le procureur et les substituts du procureur des Tribunaux de Sûreté d'Etat sont nommés pour une période de trois ans. Leurs fonctions sont renouvelables.

        (Alinéa 6) L'instance d'appel des décisions des Tribunaux de Sûreté d'Etat est la chambre ou les chambres qui seront créées dans la Cour de cassation pour examiner seulement les décisions de ces Tribunaux. L'assemblée générale est l'assemblée générale des chambres pénales de la Cour de Cassation.

        (Alinéa 6) La formation, le fonctionnement, les pouvoirs et attributions et les autres dispositions relatives aux procédures applicables devant les Tribunaux de Sûreté d'Etat sont déterminés par la loi.

Selon les auteurs de la saisine, la création des Tribunaux de sûreté d'Etat est contraire au principe du juge naturel. Ces Tribunaux sont de la nature d'instances extraordinaires[18]. D'autre part, la procédure de nomination des juges est en contradiction avec le principe d'indépendance des tribunaux, car la nomination dépend de la proposition de l'organe exécutif[19]. D'ailleurs, les auteurs de la saisine ont prétendu que la disposition de l'alinéa 5 selon laquelle les juges des Tribunaux de sûreté d'Etat sont nommés pour une période de trois ans porte atteinte à l'indépendance des juges, car, elle donne la possibilité au Conseil des ministres d'éliminer les juges indésirables au bout de trois ans.

La Cour constitutionnelle a examiné d'abord la nature de Tribunaux de sûreté d'Etat[20]. Selon la Cour, ces Tribunaux ne sont pas des instances extraordinaires, mais des tribunaux de spécialisation[21]. D'autre part, selon la Cour constitutionnelle, la nomination des juges parmi les candidats proposés par le Conseil des ministres n'est pas en contradiction avec les caractéristiques de la République définies dans la Constitution, surtout avec le principe de l'Etat de droit[22]. D'ailleurs, la Cour constitutionnelle a conclu, dans un sens diamétralement opposé à l'argument des auteurs de saisine, que la nomination des juges pour une période de trois ans constitue une garantie de l'indépendance des juges, car il est impossible de les nommer à un autre poste durant cette période[23]

Ainsi la Cour constitutionnelle a jugé que les dispositions de l'article 3 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 ajoutant à l'article 136 les alinéas 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 ne portent pas atteinte aux caractéristiques de la République définies dans la Constitution. Par conséquent elles ne sont pas contraires à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9. En conclusion la Cour constitutionnelle turque a rejeté le demande en annulation concernant l'article 3 de la loi 15 mars 1973[24].

L'article 4 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973, Tribunaux militaires

L'article 4 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 a révisé l'alinéa 4 de l'article 138 de la Constitution de 1961 comme suit :

« La majorité des membres des Tribunaux militaires doit avoir la qualité de juge. Cette condition n'est cependant pas exigée en temps de guerre ».

Selon les sénateurs saisissants, le fait que la majorité des membres des Tribunaux militaires peut ne pas avoir la qualité de juge, même s'il n'est prévu qu'en temps de guerre, est contraire au principe de l'Etat de droit[25].

D'abord, la Cour constitutionnelle rappelle qu'une loi de révision constitutionnelle ne doit pas être contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 et que, par conséquent, elle ne doit pas porter atteinte aux caractéristiques de la République définies dans la Constitution[26].

La Cour constate que, selon la nouvelle version de l'alinéa 4 de l'article 138, il est, en temps de guerre, possible que les Tribunaux militaires se composent des officiers n'ayant pas qualité de juges. D'après la Cour, la condition selon laquelle la majorité des membres des Tribunaux militaires doit être juge constitue une garantie importante pour les libertés individuelles. Par conséquent, la Cour affirme que

« la non-exigence de cette condition en temps de guerre pourrait porter atteinte, d'une part, aux principes constitutionnels en matière de justice, et d'autre part, aux caractéristiques de la République définies dans la Constitution. Il faut alors examiner la conformité d'une telle institution aux principes de la République déterminés dans la Constitution du point de vue du pouvoir judiciaire réglementé par l'article 7 de la Constitution. La Constitution, qui accepte le pouvoir judiciaire comme un pouvoir d'Etat indépendant à l'égard du pouvoir législatif et de la fonction exécutive, a défini ce principe, dans son article 7, en disant que ‘le pouvoir judiciaire est exercé par les tribunaux indépendants au nom de la nation turque’. Un tribunal, dont la majorité des membres ne sont pas de la classe des juges, ne peut être considéré comme un tribunal indépendant qui exerce le pouvoir judiciaire au nom de la nation turque au sens de l'article 7 de la Constitution »[27].

Ainsi la Cour constitutionnelle conclut que la non-exigence de cette condition, même en temps de guerre, est en contradiction avec le principe d'indépendance des tribunaux, et que le principe d'indépendance des tribunaux (art.7) fait partie intégrante du principe de l'Etat de droit (art.2), et que ce dernier, selon l'interprétation large donnée par la Cour au mot « république », bénéficie de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En d'autres termes, selon la Cour, l'article 4 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 est contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9, parce qu'il porte atteinte à l'indépendance des tribunaux (art.7), et que porter atteinte à l'indépendance des tribunaux implique porter atteinte à l'Etat de droit (art.2), et ce qui est interdit par l'article 9[28].

En conséquence l'article 4 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 porte atteinte à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat. Ainsi la Cour constitutionnelle l'a annulé[29].

Comme on le voit, la Cour constitutionnelle a un raisonnement qui est formé de plusieurs étapes. Nous pouvons schématiser son raisonnement comme ceci :

(«  » veut dire « porte atteinte à »)

La révision constitutionnelle art.7 art.2 art.9

L'article 6 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973, Tribunaux d'état de siège

L'article 6 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 a ajouté un article transitoire 21 à la Constitution.

        Article transitoire 21.- Les compétences et attributions des Tribunaux d'état de siège continuent jusqu'à la fin des affaires qui étaient en cours devant eux au moment où l'état de siège a été levé. Les dossiers ne sont pas encore déférés au tribunal et ainsi que les procès suspendus sont transférés aux instances compétentes selon leurs situations et caractéristiques et conformément aux dispositions de la loi.

Les auteurs de la saisine ont affirmé que l'article 6 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 porte atteinte aux dispositions de l'article 32 de la Constitution selon laquelle « nul ne peut être traduit devant une instance autre que le tribunal dont il dépend en vertu de la loi. Il ne peut être institué d'instances extraordinaires dont la compétence juridictionnelle aurait pour conséquence de traduire une personne devant une instance autre que le tribunal dont elle dépend en vertu de la loi »[30].

La Cour constitutionnelle a rejeté cet argument. Selon la Cour, il s'agit ici d'une révision constitutionnelle, et par conséquent, on ne peut pas exiger la conformité d'une disposition de la Constitution (article transitoire 21) à une autre disposition de la même Constitution (art.32). La Cour a affirmé qu'il faut vérifier seulement si la révision constitutionnelle en question porte atteinte aux caractéristiques de la République, et par conséquent si elle est contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9[31]. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle se borne à examiner la conformité de la disposition en cause aux caractéristiques de la République définies dans l'article 2 de la Constitution[32].

Ainsi la Cour constitutionnelle a examiné la conformité de l'article 6 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 aux caractéristiques de la République définies dans l'article 2. Et elle a conclu que la disposition en question ne porte pas atteinte au principe de l'Etat de droit, démocratique et basé sur les droits de l'homme[33]. C'est pourquoi, la Cour constitutionnelle a rejeté la demande en annulation concernant l'article 6 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973.

* * *

La Cour constitutionnelle a examiné encore la conformité de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 aux autres conditions de forme déterminées par l'article 155 de la Constitution de 1961, c'est‑à‑dire la proposition par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie, l'interdiction de la procédure d'urgence et l'adoption à la majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée. La Cour n'a constaté aucune irrégularité sur ces points. Elle a donc rejeté la demande en annulation sur ces points.

* * *

En conclusion, la Cour constitutionnelle turque a contrôlé la constitutionnalité des différentes dispositions de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973. Parmi ces dispositions, seule celle de l'article 4 a été annulée par la décision du 15 avril 1975 de la Cour constitutionnelle turque.

A propos de cette décision, on peut faire tout de suite quatre observations.

1. La Cour constitutionnelle turque se déclare incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.

2. Par contre la Cour constitutionnelle se déclare compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme.

3. Cependant, elle a une conception de contrôle de forme très large. Il englobe non seulement les conditions de proposition, de délibération et d'adoption prévues par l'article 155, mais encore l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9. En d'autres termes, la Cour considère comme une règle de forme, non seulement l'article 155, mais aussi l'article 9 de la Constitution.

4. D'ailleurs, la Cour définit le mot « république » dans son sens large. Selon la Cour, ce qui est intangible est non seulement le mot « république », mais aussi le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans l'article 2 de la Constitution, c'est‑à‑dire, un Etat de droit démocratique, national, laïque, social et basé sur les droits de l'homme.

Nous nous contentons ici d'observer ces quatre points, car nous allons les critiquer plus loin[34].

b. La décision n° 1976-19 du 23 mars 1976, Expropriation I [35]

L'article 1er de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971[36] a modifié l'article 38 de la Constitution de 1961 concernant l'expropriation comme suit :

        Article 38.  L'Etat et les personnes morales publiques sont autorisées, dans les cas où l'intérêt public le rend nécessaire et à condition d'en payer la contrepartie au comptant, à exproprier, en tout ou en partie, les biens se trouvant sous la propriété privée et à fonder des servitudes foncières administratives sur ceux-ci, conformément aux principes et aux procédures déterminés par la loi.

        Le montant de l'indemnité de l'expropriation ne peut dépasser la valeur déclarée au fisc par le propriétaire conformément à la forme et à la procédure fixées par la loi au cas où la totalité du bien immobilier est exproprié, et la part de la valeur d'imposition correspondant à la partie expropriée en cas d'expropriation partielle.

        Au cas où la contre-valeur du bien exproprié a été estimée au-dessous de la valeur fiscale, le propriétaire a le droit de recours.

Comme on le voit, cette loi constitutionnelle prévoyait la prise en compte de la valeur déclarée au fisc par le propriétaire dans le calcul de l'indemnité d'expropriation. En effet, cette loi constitutionnelle avait pour objet de lutter contre la pratique, qui était d'ailleurs très répandue en Turquie, consistant à déclarer au fisc la valeur bien inférieure à celle réelle en matière de taxe foncière. Ainsi, après cette loi constitutionnelle, les propriétaires fraudeurs risquaient de se voir expropriés de leurs biens immobiliers dont la valeur avait été déclarée très inférieure à leur valeur réelle en cas d'une éventuelle expropriation. En résumé, cette loi constitutionnelle obligeait les propriétaires à déclarer ai fisc la valeur réelle de leurs biens immobiliers.

Sur la même loi constitutionnelle, la Cour constitutionnelle a rendu trois décisions. C'est pourquoi, nous allons citer ces décisions sous les appellations d'« Expropriation I », « Expropriation II » et « Expropriation III ».

La Cour constitutionnelle a été saisie par la décision du 7 juillet 1975 du Tribunal civil de première instance d'Elazig[37]. Ce dernier avait estimé que la loi constitutionnelle du 20 septembre 1971 prévoyant le calcul de l'indemnité d'expropriation selon la valeur déclarée au fisc par le propriétaire était contraire au principe de l'Etat de droit[38].

1. La Cour constitutionnelle a d'abord examiné sa compétence. La Cour, en répétant les arguments développés dans sa décision du 15 avril 1975, s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles seulement quant à la forme[39].

Cependant la Cour constitutionnelle a une conception de contrôle de forme très large. Et selon la Cour, en invoquant toujours les mêmes arguments développés dans sa décision du 15 avril 1975, à savoir la disposition de l'article 9 prévoyant que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat est une règle de forme, comme les dispositions de l'article 155 déterminant les conditions de la proposition, de la délibération et l'adoption des lois constitutionnelles[40].

D'ailleurs, selon la Cour, en répétant la motivation exposée dans la décision du 16 juin 1970[41], l'article 9 n'interdit pas seulement de modifier le mot « république », mais le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans l'article 2 de la Constitution, c'est‑à‑dire, un Etat de droit démocratique, laïque, social et basé sur les droits de l'homme. Par conséquent selon la Cour, en vertu de l'article 9, non seulement les dispositions de l'article 1, mais aussi celles de l'article 2 sont intangibles[42].

2. La Cour constitutionnelle a examiné ensuite la conformité des dispositions de la loi constitutionnelle en question aux caractéristiques de la République[43].

Selon la Cour, le principe prévoyant la valeur déclarée au fisc par le propriétaire au lieu de la valeur réelle dans le calcul de l'indemnité de l'expropriation n'est pas en contradiction avec les caractéristiques de la République définies dans l'article 2 et dans le préambule de la Constitution. D'après la haute juridiction, ce principe ne porte pas atteinte à l'essence du droit de propriété. De plus, elle affirme que ce principe a pour objet de satisfaire l'intérêt social, en obligeant les propriétaires à déclarer la valeur réelle de leurs biens au fisc[44].

Ainsi la Cour constitutionnelle a conclu que, puisque les dispositions de la loi constitutionnelle du 29 septembre 1971 ne portent pas atteinte aux caractéristiques de la République indiquées dans l'article 2, cette loi n'est pas en contradiction avec l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9. Par conséquent, la Cour a rejeté la demande en annulation.

Nous allons critiquer cette décision de la Cour constitutionnelle plus loin. Mais notons tout de suite qu'elle a été prise par 8 voix[45] contre 7[46].

c. La décision n° 1976-46 du 12 octobre 1976, Expropriation II [47]

Cette décision porte aussi sur l'article 1er de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971[48] modifiant l'article 38 de la Constitution de 1961.

La Cour constitutionnelle a été de nouveau saisie par un tribunal de première instance[49] aux fins d'appréciation de la conformité à la Constitution de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971[50].

Comme nous avons vu son contenu plus haut[51], cette loi constitutionnelle prévoyait le calcul de l'indemnité d'expropriation selon la valeur déclarée au fisc par le propriétaire. Nous avons déjà noté que cette loi a pour objet d'obliger les propriétaires à déclarer la valeur réelle de leur immobilier au fisc.

1. La Cour constitutionnelle a d'abord examiné sa compétence. La Cour, en répétant les arguments développés dans la décision du 15 avril 1975, s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles seulement quant à la forme. Et selon la Cour, en invoquant toujours les mêmes arguments, la disposition de l'article 9 prévoyant l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat est une règle de forme, comme les dispositions de l'article 155 déterminant les conditions de la proposition, de la délibération et de l'adoption des lois constitutionnelles[52]. Car selon la Cour, puisque les dispositions de la Constitution (art.155) qui règlent la proposition de révision constitutionnelle sont des règles de forme, la disposition de la Constitution (art.9) qui interdit cette proposition, elle aussi est une règle de forme[53].

A ce propos, il est significatif de voir que, dans l'arrêt de la Cour, les paragraphes consacrés à l'examen de la conformité de la loi constitutionnelle en question à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution se trouvent sous l'intitulé « V. L'examen du fond du point de vue de la forme (sic!) »[54]. La Cour constitutionnelle turque se déclare toujours qu'elle n'est pas compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Elle ne contrôle que la régularité formelle de ces lois. Or, dans cette décision, comme le montre parfaitement cette expression curieuse utilisée dans l'intitulé, elle examine bel et bien le fond de la loi constitutionnelle. Sinon, que signifie donc « l'examen du fond du point de vue de la forme » ?

Encore, selon la Cour, en répétant toujours sa jurisprudence du 16 juin 1970 concernant l'interprétation large de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, l'article 9 n'interdit pas seulement de modifier le mot « république », mais le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans l'article 2 de la Constitution, c'est‑à‑dire, un Etat de droit démocratique, laïque, et social, basé sur les droits de l'homme. Par conséquent selon la Cour, en vertu de l'article 9, non seulement les dispositions de l'article 1, mais aussi celles de l'article 2 sont intangibles[55].

2. Par conséquent, la Cour a examiné la conformité des dispositions de la loi constitutionnelle en question aux caractéristiques de la République[56].

La Cour constitutionnelle a d'abord étudié la situation de l'expropriation à l'égard de droit de propriété. La haute instance, en constatant que l'expropriation porte atteinte à l'essence du droit de propriété, affirme que l'expropriation n'est possible, dans un Etat de droit, qu'à la condition du paiement de l'indemnité sur la valeur réelle des biens expropriés[57].

Ensuite la Cour constitutionnelle a observé que le principe de « valeur réelle » prévu par la version initiale de l'article 38 a été remplacé par celui de « valeur fiscale » prévu par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971. Ainsi cette loi constitutionnelle permet d'exproprier les biens immobiliers des particuliers sans respecter la condition de valeur réelle[58].

Après avoir fait ce constat, la Cour a vérifié si la non‑exigence de la condition du calcul de l'indemnité sur la valeur réelle porte atteinte au principe de l'Etat de droit[59].

D'une part, la Cour constitutionnelle observe que, sans l'indemnité calculée sur la valeur réelle, l'expropriation porte atteinte à l'essence du droit de propriété (art.36) ; et d'autre part, elle rappelle que, selon l'article 11, l'essence d'un droit est intangible[60]. De même, la Cour estime que les articles 36 et 11 font partie intégrante du principe de l'Etat de droit exprimé dans l'article 2 de la Constitution. En d'autres termes, si une loi constitutionnelle touche à l'article 11 ou à l'article 36, elle touche aussi à l'article 2. Ainsi la haute juridiction affirme qu'« un Etat qui ne respecte pas le droit de propriété (art.36) ne peut pas être considéré comme un Etat de droit démocratique défini dans l'article 2 de la Constitution »[61]. Alors la loi constitutionnelle du n°1488 du 20 septembre 1971 est contraire au droit de propriété (art.36) et au principe de l'intangibilité de l'essence des droits (art.11) et par conséquent cette loi constitutionnelle porte atteinte au principe de l'Etat de droit (art.2).

Or, selon la Cour constitutionnelle, comme nous l'avons vu plus haut, le principe de l'Etat de droit défini dans l'article 2 bénéficie de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9. Car, d'après la Cour, cette interdiction ne vise pas seulement le mot « république » exprimé dans l'article 1 (« L'Etat turc est une République »), mais aussi le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans l'article 2.

En conséquence, la Cour constitutionnelle a décidé que la disposition de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 prévoyant le calcul de l'indemnité d'expropriation sur la valeur déclarée au fisc par le propriétaire, porte atteinte à l'essence du droit de propriété, et par conséquent à l'Etat de droit ; et que ce dernier bénéficie de l'intangibilité prévue dans l'article 9 selon l'interprétation large de la Cour constitutionnelle. Alors la loi constitutionnelle en question est contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, qui est une règle de forme. Et la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme selon l'article 147 de la Constitution. Alors, la Cour a annulé la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 par 8 voix contre 7.

Comme on le voit, la Cour constitutionnelle a un raisonnement qui est formé de plusieurs étapes. Nous pouvons schématiser son raisonnement comme suit :

(«  » veut dire « porte atteinte à »)

La révision constitutionnelle art.36 art.2 art.9

On peut l'exprimer aussi comme ceci :

Expropriation sur la valeur fiscale Essence du droit de propriété Etat de droit forme républicaine de l'Etat

* * *

Il est significatif de voir que la Cour constitutionnelle a pris deux décisions diamétralement opposées sur la même loi constitutionnelle dans un intervalle de 6 mois. Dans la première décision (celle du 23 mars 1976, Expropriation I), la Cour a décidé que la loi constitutionnelle est conforme à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 par 8 voix[62] contre 7[63]. Dans la deuxième décision (celle du 12 octobre 1976, Expropriation II), la Cour a conclu que la même loi constitutionnelle est contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 par 8 voix[64] contre 7[65]. Ce revirement est probablement explicable par le fait que deux membres (Ihsan Ecemis et Ahmet Akar) participant à la délibération de la première décision ont été remplacés par deux autres membres (Fahrettin Uluç et Adil Esmer) dans la délibération de la deuxième décision et que ces derniers ont voté pour l'annulation de la loi constitutionnelle en question.

d. La décision n°1976-47 du 12 octobre 1976, Expropriation III[66]

C'est la troisième décision qui porte sur l'article 1er de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 modifiant l'article 38 de la Constitution de 1961. La Cour constitutionnelle a été saisie cette fois par le Tribunal de première instance de Palu.

Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle a conclu qu'il n'y avait pas lieu de décider sur la constitutionnalité de cette loi constitutionnelle, car elle venait de l'annuler par sa décision n°1976-46 du même jour[67].

e. La décision n° 1977-4 du 27 janvier 1977, Conseil supérieur des juges[68]

La loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971[69] a révisé l'article 144 de la Constitution de 1961 concernant l'autorité des décisions du Conseil supérieur des juges comme suit :

        Article 144. - Le Conseil supérieur des juges statue définitivement sur les affaires relevant des statuts des juges des tribunaux judiciaires. Les décisions du Conseil ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance.

Ainsi l'article 144 révisé par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 exclut tout recours judiciaire contre les décisions du Conseil supérieur des juges.

En l'espèce, un juge a intenté un recours en annulation devant le Conseil d'Etat contre une décision du Conseil supérieur des juges qui le concernait. La Cinquième chambre du Conseil d'Etat a saisi la Cour constitutionnelle par voie d'exception en estimant que la disposition de l'article 144 prévoyant que « les décisions du Conseil supérieur des juges ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance » est contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[70].

La Cour constitutionnelle a d'abord examiné sa compétence. En répétant sa motivation de la décision du 15 avril 1975, elle a affirmé que le principe d'intangibilité dans l'article 9 était une règle de forme, et par conséquent la Cour constitutionnelle, étant compétente pour contrôler les lois constitutionnelles quant à la forme, a pu examiner la conformité de la loi constitutionnelle à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[71].

La Cour a encore maintenu sa jurisprudence du 16 juin 1970 selon laquelle le principe d'intangibilité prévu dans l'article 9 de la Constitution comprend l'interdiction de réviser non seulement le forme républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques de la République définies dans l'article 2 de la Constitution. La Cour constitutionnelle a répété sa motivation cette fois avec des mots un peu différents :

        « La Constitution a posé, dans son article 9, la règle selon laquelle ‘la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république ne peut être modifiée, ni sa modification proposée’. On ne peut pas penser que l'expression ‘la forme de l'Etat est une république’ utilisée dans l'article vise seulement l'article 1 et le mot ‘république’ mentionné dans cet article. Car, lorsque le principe d'intangibilité est limité par le mot ‘république’ dont le contenu et les caractéristiques se diversifient selon les différentes idées sociales et politiques, tout en gardant l'article 1, on peut dégénérer le fondement du régime, par les révisions des dispositions de l'article 2. Si l'on regarde aux pays du monde, en verrait qu'il y a beaucoup d'Etats qui portent le nom de ‘républiques’, et qui, cependant du point de vue du régime, sont opposés diamétralement au système de notre Constitution.

        Or, la forme de l'Etat que notre Constitution a créée et veut protéger est une République dont les caractéristiques sont définies dans le préambule et dans l'article 2. De même, le principe d'intangibilité prévu dans l'article 9 ne vise pas seulement la protection du mot ‘république’, mais aussi les caractéristiques de cette République.

        . . .

        Il résulte de cette explication que les propositions de révision constitutionnelle ne peuvent prévoir aucune modification dans les principes trouvant dans le préambule et dans l'article 2 de la Constitution... Par conséquent une révision constitutionnelle portant atteinte aux principes fondamentaux de la République ne peut être proposée, ni adoptée par les assemblées législatives. Malgré cela, si la proposition a été faite et adoptée, elle est contraire aux conditions de forme dans l'article 9 de la Constitution »[72].

Ensuite la Cour constitutionnelle turque a examiné la régularité de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 à l'égard de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[73].

La Cour a discuté le point de savoir si la disposition stipulant que « le Conseil supérieur des juges statue définitivement sur les affaires relevant des statuts des juges des tribunaux judiciaires et que les décisions du Conseil ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance » est conforme ou contraire aux caractéristiques de la République[74].

D'abord la Cour constate que le Conseil supérieur des juges est un organe administratif auquel participe le ministre de la justice. Par conséquent la Cour constitutionnelle conclut que les décisions de cet organe ne peuvent être considérées comme des décisions judiciaires[75].

Après avoir ainsi déterminé la nature des décisions du Conseil supérieur des juges, la Cour constitutionnelle examine la question de savoir si la révision constitutionnelle qui a été faite dans l'article 144 est conciliable avec les principes fondamentaux de la République[76].

La Cour rappelle d'abord le texte de l'article 2 :

        Article 2. - La République de Turquie est un Etat de droit national, démocratique, laïque et social, basé sur les droits de l'homme et les principes fondamentaux exprimés dans le préambule.

Ensuite la Cour constitutionnelle examine la disposition en question de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 à l'égard des droits de l'homme, de l'Etat de droit et du principe d'égalité.

1. Du point de vue des droits de l'homme. – D'abord la Cour constitutionnelle fait référence à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales[77], ratifiée le 18 mai 1954 par la Turquie[78], selon laquelle « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle »[79].

Ensuite la Cour constitutionnelle souligne que, selon l'article 2 de la Constitution, la République de Turquie est basée sur les droits de l'homme[80].

Par conséquent, la Cour affirme que

« la disposition de la révision constitutionnelle en question qui interdit le contrôle juridictionnel des décisions du Conseil supérieur des juges est contraire au principe des droits de l'homme »[81].

Ainsi selon la Cour constitutionnelle, cette disposition de révision constitutionnelle est contraire au « principe des droits de l'homme ». Mais on ne comprend pas très bien si ce « principe des droits de l'homme » est celui qui est dans l'article 2 de la Constitution turque de 1961 ou bien celui qui se trouve dans la Convention européenne des droits de l'homme. Si la première hypothèse est vraie, il n'y a pas de nouveauté, et la Cour confirme toujours son ancienne jurisprudence selon laquelle elle peut contrôler la conformité aux principes de la République des lois constitutionnelles. Mais dans ce cas, une question se pose : pourquoi la Cour constitutionnelle a-t-elle fait référence à la Convention européenne des droits de l'homme ? Et si la deuxième hypothèse est vraie, c'est‑à‑dire si ce « principe des droits de l'homme » est celui qui est exprimé par la Convention européenne, la Cour constitutionnelle ouvre encore une nouvelle ère : elle contrôle la conformité d'une révision constitutionnelle à une convention internationale ! Ainsi la thèse de la suprématie des normes du droit international sur la constitution a été confirmée et sanctionnée pour la première fois par une cour constitutionnelle nationale !

2. Du point de vue du principe de l'Etat de droit. – La Cour constitutionnelle souligne que, selon l'article 2 de la Constitution de 1961, l'Etat de droit est une caractéristique de la République de Turquie[82]. Ensuite la Cour tente de définir l'Etat de droit. Selon la Cour constitutionnelle turque, « l'Etat de droit désigne un Etat, qui respecte les règles de droit et de la Constitution, et dont les actes et les actions sont soumis au contrôle judiciaire »[83].

Ensuite la Cour observe que

« la disposition en question de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 modifiant l'article 144 de la Constitution de 1961 supprime le contrôle judiciaire, et prive les juges de la garantie juridique. Dans un pays où les juges sont privés de recours juridictionnel, on ne peut pas prétendre que les individus bénéficient de la protection judiciaire. La radiation des magistrats peut être prononcée par la décision du Conseil supérieur des juges, cependant ces décisions ne peuvent faire l'objet d'un recours juridictionnel. Ceci est inconciliable avec le droit. C'est pourquoi, la fermeture du recours juridictionnel à l'encontre des décisions du Conseil supérieur des juges est contraire à la caractéristique de l'Etat de droit de la République »[84].

3. Du point de vue du principe d'égalité. – La Cour constitutionnelle affirme que l'un des éléments essentiels de l'Etat de droit est le principe d'égalité. Selon la Cour, la disposition en question est contraire à ce principe, car,

« tous les fonctionnaires, y compris les juges de la Cour de Cassation et ceux du Conseil d'Etat, ont le droit d'intenter le recours juridictionnel à l'encontre des actes administratifs concernant leur statut. Or les juges judiciaires ne bénéficient pas d'un tel droit. Il est évident que cette situation est inconciliable avec le principe d'égalité »[85].

En résumé, la Cour constitutionnelle conclut que

« la phrase ‘les décisions du Conseil ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance’ porte atteinte aux principes d'Etat de droit et des droits de l'homme, ceux-ci étant les caractéristiques de la République de Turquie. Par conséquent, cette phrase tombe dans l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. C'est pourquoi elle est contraire à la Constitution. Elle doit alors être annulée du point de vue de sa forme »[86].

En conséquence, la Cour constitutionnelle a annulé la disposition selon laquelle « les décisions du Conseil ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance » par 14 voix contre 1[87].

f. La décision n°1977-117 du 27 septembre 1977, Conseil supérieur des procureurs[88]

La loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971[89] a révisé l'article 137 de la Constitution de 1961 concernant l'autorité des décisions du Conseil supérieur des procureurs comme suit :

        Article 137 (alinéa 2). – [...] Le Conseil supérieur des procureurs a la compétence de statuer sur les sanctions disciplinaires et la radiation des procureurs, ainsi que sur d'autres affaires relevant de leur statut. Les décisions du Conseil sont définitives et elles ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance.

Ainsi la nouvelle version de l'article 137, adoptée par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971, exclut tout recours juridictionnel à l'encontre des décisions du Conseil supérieur des procureurs[90].

En l'espèce, le Conseil supérieur des procureurs à procédé à une sanction disciplinaire contre un procureur. Ce dernier avait intenté un recours en annulation devant le Conseil d'Etat à l'encontre de cette décision. La 5e chambre du Conseil d'Etat a saisi la Cour constitutionnelle par voie d'exception aux fins d'appréciation de la conformité à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, de la disposition de l'article 137 de la Constitution prévoyant que « les décisions du Conseil supérieur des procureurs sont définitives et qu'elles ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance »[91].

A l'égard de notre question, c'est‑à‑dire celle de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, cette affaire est intéressante. Car, dans cette affaire, la Cour constitutionnelle, pour la première fois, ne discute même pas la question de sa compétence. Elle entre directement dans le fond de l'affaire. Or, comme nous l'avons vu, dans sept décisions précédentes, la Cour avait d'abord discuté sa compétence et elle avait affirmé, en répétant toujours la même motivation, qu'elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

On peut penser que la Cour n'a pas estimé nécessaire de répéter sa motivation habituelle, probablement en supposant que sa jurisprudence était établie.

Ainsi la Cour constitutionnelle turque a examiné directement la régularité de la disposition stipulant que « les décisions du Conseil supérieur des procureurs sont définitives et qu'elles ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance » à l'égard de l'article 9 de la Constitution[92].

La Cour constitutionnelle rappelle sa décision précédente par laquelle elle a annulé la nouvelle version de l'article 144 prévoyant la même disposition en ce qui concerne les décisions du Conseil supérieur des juges. La Cour constitutionnelle affirme que

« le Conseil supérieur des procureurs est un organe administratif comme le Conseil supérieur des juges. De plus, parmi les personnes composant le Conseil supérieur des procureurs, il y a des personnes faisant partie directement de l'organe exécutif. Sans aucun doute, le Conseil supérieur des procureurs qui est chargé des affaires disciplinaires des procureurs et des affaires relevant de leur statut est une institution de nature administrative comme le Conseil supérieur des juges. Par conséquent, les moyens d'annulation de la disposition de l'article 144 adoptée par la révision constitutionnelle pour le Conseil supérieur des juges sont valables aussi pour la disposition de l'article 137 adoptée par la même révision constitutionnelle pour le Conseil supérieur des procureurs. Puisque l'exposé des motifs se trouve dans la décision citée ci-dessus (n°1977-4 du 27 janvier 1977, Conseil supérieur des juges), il n'est pas nécessaire de les répéter ici. Alors, la disposition de l'article 137, alinéa 2, en question prévoyant que les décisions du Conseil supérieur des procureurs ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance doit être annulée pour les mêmes motifs »[93].

En conclusion, la Cour constitutionnelle turque a décidé que la disposition de l'article 137, alinéa 2, adopté par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971, prévoyant que « les décisions du Conseil supérieur des procureurs ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance » est contraire à la disposition de l'article 9 de la Constitution stipulant que « la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république ne peut être modifiée, ni sa modification proposée ». Par conséquent la Cour a prononcé l'annulation de cette disposition par 13 voix contre 2[94].

Cette décision était la dernière rendue par la Cour constitutionnelle turque concernant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution de 1961.

* * *

Après avoir ainsi vu la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sous la Constitution de 1961 après 1971, maintenant nous pouvons passer à la critique de cette jurisprudence.

2. Critique

Nous allons critiquer la jurisprudence de la Cour constitutionnelle à travers les questions suivantes :

– La question du contrôle de fond

– La question du contrôle de forme

– La question de l'étendue du contrôle de forme

        – Les dispositions de l'article 155 sont-elles des règles de forme ?

        – L'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans                             l'article 9 de la Constitution est-elle une règle de forme ?

– La question de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat  prévue dans l'article 9 de la Constitution

 

 

a. La question du contrôle de fond

Après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque pouvait-elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond ?

La Cour constitutionnelle a donné une réponse négative à cette question. La Cour constitutionnelle s'est déclarée incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, conformément au texte de l'article 147 de la Constitution[95]. La Cour a constaté que la nouvelle version de l'article 147 de la Constitution de 1961, adoptée par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971, lui interdit de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond,

En effet le contrôle de fond des lois constitutionnelles est exclu expressément par la nouvelle version de l'article 147 de la Constitution de 1961. Par conséquent, après 1971, la Cour constitutionnelle turque ne pouvait pas exercer un contrôle de fond sur les lois constitutionnelles, comme elle avait affirmé qu'elle pouvait le faire avant 1971. Par conséquent l'affirmation de la Cour constitutionnelle selon laquelle elle est incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond est conforme à la solution positive adoptée par la Constitution. C'est pourquoi, elle est loin des critiques.

Mais comme on va le voir en bas, cette déclaration d'incompétence quant au fond n'était qu'une affirmation apparente, car la Cour constitutionnelle a continué à faire en réalité un contrôle de fond sur les lois constitutionnelles. Sur ce point la jurisprudence de la Cour est critiquable, mais nous allons le voir en bas.

b. La question du contrôle de forme

Après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque pouvait-elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme ?

La Cour constitutionnelle a répondu à cette question par l'affirmative. La Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme[96]. Car, la Cour a constaté que la nouvelle version de l'article 147 de la Constitution de 1961, adoptée par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971, lui habilite reconnaît expressément la compétence de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme,

La doctrine constitutionnelle turque approuve la décision de la Cour constitutionnelle sur ce point. En effet, comme nous l'avons déjà vu, la nouvelle version de l'article 147 de la Constitution de 1961, adoptée par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971, habilite expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme.

On peut donc conclure qu'après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque pouvait contrôler sans aucun doute la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car selon notre cadre théorique développé dans le chapitre précédent[97], lorsque la Constitution elle-même a habilité un organe à se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles était possible. Puisque la Constitution de 1961 avec la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, elle-même, a prévu le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, il est tout à fait normal que la Cour constitutionnelle puisse se prononcer sur la régularité formelle des lois constitutionnelles. Ainsi notre cadre théorique est confirmé par la pratique constitutionnelle de Turquie.

En conclusion, après 1971, la Cour constitutionnelle turque ne pouvait exercer qu'un contrôle de forme sur les lois constitutionnelles.

c. La question de l'étendue du contrôle de forme

Cependant il y avait une autre question qui se posait à la Cour constitutionnelle : celle de l'étendue du contrôle de forme. En d'autres termes, en quoi consistait donc le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme ?

En ce qui concerne le contrôle de forme, la Cour constitutionnelle a affirmé qu'elle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles, d'une part, aux dispositions de l'article 155 de la Constitution de 1961 qui déterminent les conditions de proposition, de délibération et d'adoption des révisions constitutionnelles, et d'autre part, à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En d'autres termes, selon la Cour constitutionnelle, non seulement l'article 155, mais aussi l'article 9 de la Constitution, étaient une règle de forme.

Les dispositions de l'article 155 sont-elles des règles de forme ?

La Cour constitutionnelle a répondu par l'affirmative. Elle a affirmé que les dispositions de l'article 155 de la Constitution de 1961 qui déterminent les conditions de proposition (par un tiers au moins des membres de l'Assemblée), de délibération (interdiction de procédure d'urgence) et d'adoption (à la majorité des deux tiers) des révisions constitutionnelles étaient des règles de forme, et par conséquent l'examen de la conformité à ces règles d'une loi constitutionnelle donne lieu à un contrôle de forme.

Ce point est loin des critiques. Car, puisque la Constitution prévoit le contrôle de forme des lois constitutionnelles, il est tout à fait normal que la Cour constitutionnelle vérifie la conformité des lois constitutionnelles aux conditions de proposition, de délibération et d'adoption prévues par l'article 155 de la Constitution.

En effet le contrôle de forme des lois constitutionnelles consiste à vérifier la conformité des lois constitutionnelles aux conditions de forme de la révision constitutionnelle. En d'autres termes, lorsque la Cour constitutionnelle contrôle la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle quant à la forme, elle vérifie si cette loi a été proposée, délibéré et adoptée conformément aux dispositions de la Constitution qui règlent sa création. Alors dans le contrôle de forme des lois constitutionnelles, les règles de référence sont des dispositions de la Constitution qui déterminent la procédure de la révision constitutionnelle. Puisque dans la Constitution turque de 1961, la procédure de révision constitutionnelle est déterminée par les dispositions de l'article 155, l'examen de la conformité à ces dispositions d'une loi constitutionnelle donne lieu à un contrôle de forme. Et d'autre part, puisque la nouvelle version de l'article 147 habilite expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, la Cour constitutionnelle a vérifié la conformité des lois constitutionnelles aux dispositions de l'article 155.

Mais, en allant encore plus loin, la Cour constitutionnelle a affirmé qu'elle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles, non seulement, aux dispositions de l'article 155 de la Constitution de 1961 qui déterminent les conditions de proposition, de délibération et d'adoption des révisions constitutionnelles, mais aussi, à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En d'autres termes, selon la Cour constitutionnelle, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution était une règle de forme. Voyons maintenant cette question.

L'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est-elle une règle de forme ?

La question posée. – Y a-t-il des règles de forme autres que celles prévues dans l'article 155 de la Constitution ? En d'autres termes, la Cour constitutionnelle peut-elle vérifier la conformité à d'autres règles de forme des lois constitutionnelles ?

La réponse de la Cour. – La réponse de la Cour constitutionnelle était affirmative. Les règles de forme ne consistaient pas seulement en des dispositions de l'article 155. Selon la Cour, l'article 9 prévoyant que « la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république ne peut être modifiée, ni sa modification proposée » est aussi une règle de forme. Car, selon la Cour, « puisque les dispositions de la Constitution concernant la proposition de révision constitutionnelle sont des règles de forme, la disposition qui interdit cette proposition est aussi une règle de forme ». Par conséquent l'examen de la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle à l'égard de l'article 9 était un contrôle de forme, et non pas un contrôle de fond[98].

Ainsi on peut dire que la Cour constitutionnelle a une conception de contrôle de forme très large. Il englobe non seulement les conditions de proposition, de délibération et d'adoption prévues par l'article 155, mais encore l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9. En d'autres termes, la Cour considère comme règles de forme, non seulement l'article 155, mais aussi l'article 9 de la Constitution.

Et cette interprétation de la Cour constitutionnelle a été critiquée très violemment dans la doctrine constitutionnelle turque. Voyons maintenant les critiques adressées à cette interprétation.

Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Toutes les critiques s'accordent à dire que la Cour constitutionnelle dans ces décisions a fait en effet un contrôle de fond sous l'apparence d'un contrôle de forme.

1. Les auteurs qui désapprouvent la jurisprudence de la Cour constitutionnelle commencent par souligner le but de la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971 qui modifie l'article 147 de la Constitution. Selon ces auteurs[99], on comprend clairement que le texte de l'article 147 interdit à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. D'ailleurs, selon ces auteurs, le but de cette révision dans l'article 147, comme le montre l'exposé des motifs, était d'exclure le contrôle de fond des lois constitutionnelles. En effet, selon l'exposé des motifs de la révision constitutionnelle,

« la Constitution habilite la Grande Assemblée nationale de Turquie en tant que législateur ordinaire et législateur constituant. Les actes de la Grande Assemblée nationale de Turquie en tant que législateur ordinaire, en dehors des exceptions déterminées dans la Constitution, sont soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle conformément à la procédure et aux principes fixés dans la Constitution... Cependant, la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler la constitutionnalité des révisions constitutionnelles adoptées par la Grande Assemblée nationale de Turquie en tant que législateur constituant. En effet, notre Constitution, dans son article 4, alinéa 3, a posé la règle suivant laquelle ‘nul individu ou nul organe ne peut exercer une compétence étatique qui ne trouve pas sa source dans la Constitution’. Alors, la compétence du contrôle de la constitutionnalité qui a été réservée par la Constitution aux lois et aux règlements intérieurs des Assemblées, ne peut pas être élargie par la Cour constitutionnelle aux lois constitutionnelles... Puisque, dans la pratique des années précédentes, les lois constitutionnelles ont fait l'objet du contrôle de la constitutionnalité, il est apparu nécessaire de clarifier le point de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Ce contrôle est limité seulement à la vérification de la conformité des révisions constitutionnelles aux dispositions de la Constitution qui règlent la proposition, la délibération et l'adoption de ces révisions ; c'est‑à‑dire qu'il ne peut pas porter sur le fond des révisions constitutionnelles... La révision de l'article 147 de la Constitution ne permettra pas d'interprétations et applications autres que ce sens »[100].

Comme on le voit, l'exposé des motifs est claire et veut mettre fin au débat sur la question de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans l'exposé, on souligne que, la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles sur la forme, et non pas quant au fond.

2. D'ailleurs, comme nous l'avons vu plus haut, la Cour constitutionnelle, dans ses décisions rendues avant la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, a affirmé qu'elle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quand au fond en se fondant sur l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En d'autres termes, la Cour avant 1971 a défini le contrôle de fond comme la vérification de la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Or après 1971, puisque la nouvelle version de l'article 147 lui interdit le contrôle de fond, alors la Cour a qualifié la même vérification comme un contrôle de forme. C'est‑à‑dire qu'avant 1971, selon la Cour constitutionnelle, l'article 9 de la Constitution était une règle de forme, mais après 1971, une règle de fond. Il n'y a aucune raison pour que la Cour constitutionnelle ait fait le revirement de jurisprudence, sinon pour contourner la nouvelle version de l'article 147 qui lui interdisait de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond[101].

3. Yildizhan Yayla signale une difficulté technique d'accepter l'examen de la Cour constitutionnelle sur ce point comme un contrôle de forme. Les vices de procédure, dit M. Yayla, sont des vices réparables. Au moins, si un acte a été annulé pour vice de procédure, on peut, en principe, l'adopter à nouveau en respectant les règles de procédure. Or, la loi constitutionnelle qui a été annulée par la Cour constitutionnelle quant à la forme pour cause de la non-conformité à l'article 9 ne peut pas être adoptée de nouveau, car elle sera annulée de nouveau par la Cour constitutionnelle[102].

4. D'autre part, comme le remarque le professeur Ergun özbudun, la vérification de la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution « n'est possible qu'en entrant dans le fond de l'affaire. Or, l'article 147 de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971 n'attribue pas à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond »[103].

En effet, la Cour constitutionnelle, dans cet examen, vérifie d'abord si le contenu de la loi constitutionnelle en question est en contradiction avec les caractéristiques de la République. Ensuite, si elle estime que le contenu de cette loi porte atteinte aux caractéristiques de la République, elle déclare que cette loi est contraire à l'interdiction de proposition prévue dans l'article 9 qui est considérée comme une règle de forme par la Cour constitutionnelle. En d'autres termes, le contrôle de la Cour constitutionnelle, même si l'on accepte qu'il soit un contrôle de forme, est formé de deux étapes : la première nécessite un examen complet du fond de la loi constitutionnelle[104], car la Cour confronte le contenu de la loi constitutionnelle aux caractéristiques de la République définies dans l'article 2 (l'Etat de droit, démocratique, laïque, social etc.). Dans la deuxième étape, si le contenu de la loi constitutionnelle en question est contraire à ces principes, la Cour constitutionnelle déclare la loi constitutionnelle contraire à l'article 9 qui est une règle de forme selon son interprétation. C'est pourquoi, Yildizhan Yayla qualifie ce contrôle comme « contrôle de forme entrant dans le fond »[105]. Ensuite, M. Yayla pose la question suivante : « si la Cour constitutionnelle a dit qu'elle fait le contrôle de fond, qu'est‑ce qu'elle pourrait faire d'autre que cette vérification »[106]? Dans le même sens, le professeur Ergun özbudun reproche à la Cour constitutionnelle de faire un « contrôle de fond sous l'apparence d'un contrôle de forme »[107].

5. En effet, ce point est révélé dans les décisions mêmes de la Cour constitutionnelle. Dans les décisions des 15 avril 1975 et 23 mars 1976, les paragraphes consacrés à l'examen de la conformité des lois constitutionnelles en question à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution se trouvent sous l'intitulé « La question de la conformité à la condition de forme prévue dans l'article 9 »[108].

Il est significatif de voir que, dans les décisions du 12 octobre 1976, et du 27 janvier 1977, les mêmes paragraphes se trouvent sous l'intitulé « V. L'examen du fond du point de vue de la forme (sic) »[109]. La Cour constitutionnelle turque déclare toujours qu'elle n'est pas compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Elle ne contrôle que la régularité formelle de ces lois. Or, dans ces décisions, comme le montre parfaitement cette expression ambiguë, elle examine bel et bien le fond de la loi constitutionnelle. Sinon que signifie l'expression « l'examen du fond du point de vue de la forme » ?

Il est encore frappant de constater que dans sa dernière décision (27 septembre 1977) sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution de 1971, la Cour constitutionnelle a examiné la conformité de loi constitutionnelle en question à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution sous l'intitulé « V. L'examen de fond »[110]. Ceci alors que l'article 147 de la Constitution, depuis la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, lui interdit expressément de faire le contrôle de fond des lois constitutionnelles.

6. On peut critiquer non seulement la jurisprudence de la Cour constitutionnelle selon laquelle elle peut examiner la conformité des révisions constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, mais aussi l'application même dans les cas concrets de cette jurisprudence. Par exemple, comme nous l'avons déjà signalé, la Cour constitutionnelle, en affirmant toujours la même jurisprudence, en suivant toujours le même raisonnement, est arrivée à deux conclusions diamétralement opposées sur la même loi constitutionnelle dans un intervalle de 6 mois.

Dans sa première décision du 23 mars 1976, (Expropriation I), la Cour constitutionnelle, en considérant que

« les alinéas 2 et 3 de l'article 38 de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 ne sont pas contraires à la règle de forme se trouvant dans l'article 9 de la Constitution selon laquelle la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république ne peut être modifiée, ni sa modification proposée »[111],

a rejeté la demande en annulation par 8 voix[112] contre 7[113].

Six mois plus tard, dans sa décision du 12 octobre 1976 (Expropriation II), la Cour constitutionnelle, en considérant que

« les alinéas 2 et 3 de l'article 38 de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 sont contraires à la règle de forme se trouvant dans l'article 9 de la Constitution selon laquelle la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république ne peut être modifiée, ni sa modification proposée »[114],

a prononcé l'annulation de ces dispositions par 8 voix[115] contre 7[116].

Comme on le voit, la Cour constitutionnelle a répété, dans ces deux décisions, la même motivation mot pour mot, dans la première pour valider la révision constitutionnelle, dans la deuxième pour l'invalider. Il y a toujours l'application de la même interdiction de réviser la Constitution (celle prévue par l'article 9). Il s'agit également de la même révision constitutionnelle (celle du 20 septembre 1971 révisant l'article 38 de la Constitution). Dans la première, la Cour constitutionnelle a décidé que cette révision constitutionnelle était conforme à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution? Dans la deuxième, elle a conclu que la même révision constitutionnelle était contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.

Cette application diamétralement opposée de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution sur la même révision constitutionnelle, dans deux décisions séparées d'un intervalle de 6 mois, est inexplicable. Elle est contraire au principe de l'Etat de droit qui nécessite une sécurité juridique et une stabilité dans l'ordre constitutionnel.

En effet, cette situation est probablement due au fait que deux membres (Ihsan Ecemis et Ahmet Akar) participant à la délibération de la première décision ont été remplacés par deux autres membres (Fahrettin Uluç et Adil Esmer) dans la deuxième décision et que ces derniers ont voté pour l'annulation de la loi constitutionnelle en question. Ceci montre que l'interprétation de la Cour constitutionnelle est tout à fait point subjective, et par conséquent que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond est très dangereux. En effet, la vérification de la conformité aux principes de la République des lois constitutionnelles dépend inévitablement de l'appréciation personnelle des membres de la Cour constitutionnelle. Ainsi le changement de deux membres de la Cour suffit à annuler une révision constitutionnelle adoptée par la majorité des deux tiers de l'Assemblée nationale élue par voix du peuple.

7. Il nous semble que la Cour constitutionnelle turque, à cette époque, ne se considérait pas comme liée par les dispositions de la Constitution.

Avant 1971 elle s'était déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme et au fond. De plus elle avait élargi, par l'interprétation, l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.

Comme réaction à cette jurisprudence, le pouvoir de révision constitutionnelle, avec la loi constitutionnelle du 20 septembre 1971, a interdit expressément à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.

Après 1971, la Cour constitutionnelle a cependant répété sa jurisprudence avant 1971. Comme nous l'avons vu, il a affirmé que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme, par conséquent, elle peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. La Cour a examiné la conformité aux caractéristiques de la République des lois constitutionnelles, dans les décisions des 15 avril 1975 et 23 mars 1976, sous l'intitulé « La question de la conformité à la condition de forme prévue dans l'article 9 »[117]; dans les décisions des 12 octobre 1976 et 27 janvier 1977 sous l'intitulé « V. L'examen du fond du point de vue de la forme (sic) »[118], et enfin dans la décision du 27 septembre 1977, elle a fini par utiliser carrément l'intitulé « V. L'examen de fond »[119].

Or, le contrôle de fond des lois constitutionnelles a été expressément exclu par la nouvelle version de l'article 147 adoptée par la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971. Comme on le voit, la Cour constitutionnelle turque ne se sentait pas liée par les dispositions expresses de la Constitution.

C'est pourquoi, on peut soupçonner légitimement de d'« obéissance au législateur constituant » des juges de la Cour constitutionnelle turque. En d'autres termes, chez les juges constitutionnels turcs, la question de savoir s'il existe une « idéologie normative », c'est‑à‑dire un « sentiment d'être lié par les règles », se pose inévitablement.

Alf Ross explique que la validité de droit est fondée en effet sur des « hypothèses relatives à la vie spirituelle des juges ». Il parle de l'« obéissance des juges au législateur » ou du « sentiment des juges d'être lié par les règles »[120]. Dans le même sens, Aulis Aarnio parle de l'« idéologie normative des juges »[121]. Selon Alf Ross « le droit présuppose que le juge ait un comportement régulier, mais aussi qu'il ait le sentiment d'être lié par les règles », c'est‑à‑dire qu'il obéisse au législateur. Sans quoi, les normes édictées par le législateur ne pourront pas être valables. Par exemple, supposons que le juge inflige des sanctions en cas d'avortement. Si un jour le législateur édicte une nouvelle loi dépénalisant l'avortement, le juge change soudain son comportement et il n'inflige plus de sanction en cas d'avortement. La nouvelle loi est valable, car le juge a changé son comportement. Mais si le juge continue à appliquer les sanctions en cas d'avortement malgré la nouvelle loi, ceci signifie que la nouvelle loi n'est pas valable, car, elle est privée de toute efficacité. Alors, la validité de la nouvelle loi est fondée aussi sur l'idéologie normative des juges consistant en l'obéissance des juges au législateur, autrement dit, sur le sentiment des juges d'être lié par les règles[122].

A notre avis, on peut affirmer la même chose en matière de révision constitutionnelle. Et on peut dire qu'une loi de révision constitutionnelle n'est valable que si les juges constitutionnels se considèrent liés à la nouvelle règle constitutionnelle.

En d'autres termes, en suivant le raisonnement d'Alf Ross, nous pouvons parler de l'« obéissance des juges constitutionnels au législateur constituant » ou du « sentiment des juges constitutionnels d'être liés par les révisions constitutionnelles » ou bien, en suivant d'Aulis Aarnio, de l'« idéologie normative des juges constitutionnels ». Ainsi nous pouvons conclure que sans cette obéissance, ce sentiment ou cette idéologie, les révisions constitutionnelles ne peuvent être valables.

A la lumière de cette explication théorique, si l'on regarde la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque après 1971, on constate que les juges de la Cour constitutionnelle turque ne se sont pas montrés très attachés à cette « idéologie normative », à cette « obéissance au législateur constituant », autrement dit, ils n'ont pas le « sentiment d'être liés par les révisions constitutionnelles ». Car, après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, ils ont répété leur jurisprudence avant cette révision constitutionnelle. Or, comme réaction à leur jurisprudence avant 1971, le pouvoir de révision constitutionnelle, avec la loi de révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, leur a interdit expressément de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Si les juges constitutionnels turcs avaient eu ce « sentiment d'être liés par les révisions constitutionnelles », ils auraient dû changer leur comportement et se déclarer incompétents pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. A la suite de ce comportement des juges constitutionnels, la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971 a perdu son efficacité, et par conséquent sa validité.

Ainsi la Cour constitutionnelle turque est devenue le vrai pouvoir constituant dérivé dans le pays.

L'appréciation générale de la question. – D'abord, en partant de notre conception du droit que nous suivons tout au long de cette thèse, nous pouvons affirmer qu'il faut rechercher la réponse positive à la question de savoir si l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme.

D'abord rappelons que selon la nouvelle version de l'article 147 adoptée par la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971,

« La Cour constitutionnelle contrôle... la conformité des lois constitutionnelles aux conditions de forme indiquées dans la Constitution ».

Ainsi selon cet article, la Cour constitutionnelle peut examiner la constitutionnalité des lois constitutionnelles à l'égard des « conditions de forme indiquées dans la Constitution ». Alors du point de vue du droit positif, la question qui se pose ici consiste en celle de déterminer les « conditions de forme indiquées dans la Constitution ».

La Cour constitutionnelle a considéré les dispositions de l'article 155 comme « conditions de forme » au sens de l'article 147. Sur ce point, comme nous l'avons montré, l'affirmation de la Cour constitutionnelle est approuvée par la doctrine constitutionnelle. Nous pouvons alors constater que la Cour constitutionnelle peut vérifier la conformité aux dispositions de l'article 155 des lois constitutionnelles. Parce que les dispositions de l'article 155 sont des « conditions de forme », et que l'article 147 habilite expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux « conditions de forme indiquées dans la Constitution ».

Alors pour que la Cour constitutionnelle puisse contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, il faut montrer que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution peut être considérée comme une « condition de forme » au sens de l'article 147 de la Constitution de 1961.

En d'autres termes, la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution se transforme en celle de savoir si l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution peut être considérée comme une « condition de forme » au sens de l'article 147 de la Constitution. C'est‑à‑dire qu'il faut d'abord répondre à la question de savoir si l'expression « conditions de forme » utilisé dans l'article 147, al.1, de la Constitution de 1961 englobe non seulement les dispositions de l'article 155, mais aussi la disposition de l'article 9 de la Constitution.

Alors il faut interpréter l'expression « conditions de forme » utilisée dans l'article 147 qui détermine la compétence de la Cour constitutionnelle. Sans doute chacun peut interpréter cette expression, comme il l'entend. En droit seulement l'une des ces interprétations peut être valable ; les autres ne sont que des opinions personnelles. Alors, il faut choisir l'interprétation authentique, c'est‑à‑dire celle qui ne peut être juridiquement contestée et qui est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques.

Alors déterminons l'interprétation authentique de l'expression « conditions de forme », utilisée dans l'article 147 vise, et pour laquelle la Cour constitutionnelle a reçu la compétence de contrôle. Dans le système de la Constitution turque de 1961, l'interprétation donnée à la Constitution par la Cour constitutionnelle est authentique, car, les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, il n'existe pas de voie de recours à l'encontre de ses décisions, et celles-ci lient tous les organes de l'Etat (art.152 de la Constitution de 1961). En d'autres termes, nul ne pourrait contester juridiquement l'interprétation de la Cour constitutionnelle, d'une part parce qu'il n'existe pas d'interprétation standard à la quelle on pourrait la confronter, d'autre part parce qu'elle n'est pas annulable et produit des effets juridiques quel que soit son contenu.

Et la Cour constitutionnelle turque a interprété l'expression « conditions de forme » employée dans l'article 147, comme englobant non seulement les dispositions de l'article 155, mais aussi celle de l'article 9. Elle a dit clairement que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme.

Alors il nous reste à conclure que, selon l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle, l'expression « conditions de forme » mentionnée dans l'article 147 de la Constitution qui détermine la compétence de la Cour constitutionnelle comprend aussi l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Par conséquent, l'article 9 est une règle de forme et de ce fait, la vérification de la conformité à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution des lois constitutionnelles est un contrôle de forme, et non pas un contrôle de fond, selon toujours l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle turque. Par conséquent, la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles non seulement aux dispositions de l'article 155, mais aussi à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.

Voilà la seule réponse qui est valable. Cependant cette solution, comme nous l'avons montré plus haut est sévèrement critiquable. Nous aussi personnellement nous désapprouvons entièrement l'interprétation de la Cour constitutionnelle selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme. Cependant, du point de vue du droit positif, c'est la seule interprétation qui est valable.

* * *

Les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs. La Cour a le pouvoir d'interprétation authentique. Néanmoins la Cour constitutionnelle n'est pas à l'abri des réactions des autres organes du système constitutionnel. Il est vrai que la Cour constitutionnelle est libre de choisir son comportement. Mais elle doit prendre en considération les réactions qu'elle peut déclencher de la part de ses partenaires, car, en dernière analyse, la Cour constitutionnelle elle aussi fonctionne dans un système politique. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme pourrait, à long terme, mettre en danger les intérêts institutionnels de la Cour elle‑même.

En effet, comme nous allons le voir plus bas, juste quelques années après ces décisions de la Cour constitutionnelle, à la suite du coup d'Etat du 12 septembre 1980, le pouvoir constituant originaire qui a fait la Constitution turque de 1982, comme réaction à l'interprétation de la Cour selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme, a précisé, dans l'article 148, alinéa 2, de la nouvelle Constitution, en quoi consiste-t-il le contrôle de forme :

        « Le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme se limite à la vérification du respect des majorités nécessaires à leur proposition, et leur adoption et à la condition d'après laquelle elles ne peuvent pas être délibéré selon la procédure d'urgence ».

Nous allons voir cette disposition en détail plus bas. Mais notons tout de suite que sous la Constitution de 1982, devant cette définition claire du contrôle quant à la forme, il est peu probable que la Cour constitutionnelle puisse réaffirmer sa jurisprudence selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat est une règle de forme, et qu'elle peut contrôler la conformité à cette règle des lois constitutionnelles.

d. La question de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution

Après avoir affirmé qu'elle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, il y avait encore une autre question qui se posait à la Cour constitutionnelle : celle de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, c'est‑à‑dire, celle de la définition de la « forme républicaine de l'Etat ». En quoi consiste l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ? Comment peut‑on déterminer l'étendue de cette interdiction ? Que protège l'article 9 ? Qu'est-ce qui est intangible selon cet article ? En d'autres termes, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution protège‑t‑elle la République en tant que forme de l'Etat (art.1) mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2 ?

La Cour constitutionnelle turque a donné une réponse affirmative à ces questions. Elle a interprété encore d'une façon large l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Selon cette interprétation, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution protège non seulement la forme républicaine de l'Etat déterminée dans l'article 1er, mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2 de la Constitution à savoir l'Etat de droit, démocratique, laïque et social, basé sur les droits de l'homme. A ce propos, la Cour constitutionnelle a maintenu sa jurisprudence du 16 juin 1970[123], en répétant sa motivation de l'époque[124].

Ainsi la Cour constitutionnelle s'est déclarée, après 1971 tout comme avant 1971, compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles à l'égard non seulement de l'article 1 qui dit que « l'Etat turc est une République », mais aussi des caractéristiques de la République définies dans l'article 2 de la Constitution. Car, selon la Cour constitutionnelle, l'interdiction de réviser la Constitution prévue par l'article 9 protège non seulement l'article 1 qui détermine la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2. Comme on le voit la Cour interprète cette interdiction d'une façon très large. Ainsi selon la Cour, elle pouvait contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces caractéristiques.

En résumé, la Cour définit le mot « république » dans son sens large. Selon la Cour, ce qui est intangible est non seulement le mot « république », mais aussi le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans l'article 2 de la Constitution, c'est‑à‑dire, l'Etat de droit démocratique, national, laïque, et social, basé sur les droits de l'homme.

Cette interprétation aussi a été très sévèrement critiquée dans la doctrine constitutionnelle turque. En effet, cette interprétation n'était pas une nouveauté, mais l'affirmation de sa jurisprudence avant 1971. Nous avons donné les critiques adressées à l'interprétation large par la Cour constitutionnelle de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution plus haut[125]. C'est pourquoi nous ne reprenons pas ici ces critiques.

Conclusion (Sous la Constitution de 1961 après 1971)

En Turquie, comme venons de le voir avec les détails plus haut, sous la Constitution de 1961, après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles a été expressément réglementé. Par conséquent, après 1971, le cas de la Turquie doit être analysé comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution.

Dans un tel système, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle. Selon la version de l'article 147 adoptée par la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque pouvait contrôler sans aucun doute la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car cet article a habilité expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme.

Ainsi avec cette solution textuelle positive, on pouvait attendre que la Cour constitutionnelle continue à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Conformément à cette réglementation constitutionnelle, la Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Et elle a contrôlé effectivement la constitutionnalité de six lois constitutionnelles quant à la forme. Alors en Turquie, dans cette période, les limites de forme à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution de 1961 étaient sanctionnées par le contrôle de la Cour constitutionnelle. Par conséquent, le pouvoir de révision constitutionnelle était effectivement lié par ces limites selon l'interprétation de la Cour constitutionnelle.

Par contre, sous la Constitution de 1961, après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle ne pouvait pas contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, car ceci a été expressément exclu par l'article 147 de la Constitution.

Après cette révision constitutionnelle, on pouvait attendre que la Cour constitutionnelle change sa jurisprudence, et se déclare incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Conformément à la réglementation constitutionnelle après 1971, la Cour constitutionnelle s'est déclarée incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Mais cette déclaration d'incompétence n'était qu'une affirmation apparente, car, comme nous venons de le voir, la Cour constitutionnelle a continué à exercer un contrôle de fond sur les lois constitutionnelles. En effet la Cour constitutionnelle a contrôlé la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, car, selon l'interprétation de la Cour constitutionnelle, la disposition de l'article 9 était une règle de forme.

Nous avons critiqué longuement cette interprétation de la Cour constitutionnelle. Mais nous avons également signalé que l'interprétation de la Cour constitutionnelle est authentique, et par conséquent sous cette période, la vérification de la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution était un contrôle de forme selon l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle.

Continue après les notes.
 


[1]. Ce titre, Chapitre 1, § 1.

[2]. Ce titre, Chapitre 1, § 1, A.

[3]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1975-87 du 15 avril 1975 (Durée de la détention provisoire, Tribunaux de sûreté d'Etat, Tribunaux militaires, Tribunaux d'état de siège), A.M.K.D., n° 13, 1976, p.403‑478.

[4]Resmi Gazete [Journal officiel], n° 14482 du 20 mars 1973.

[5]A.M.K.D., n° 13, 1976, p.427.

[6]Ibid., p.426‑427.

[7]Ibid.

[8]Ibid., p.427.

[9]Ibid.

[10]Ibid., p.430-431.

[11]. Voir infra, 2, c.

[12]. Voir, cette sous-section, § 1, B, 1, a. (supra, p.575).

[13]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975, A.M.K.D., n° 13, 1976, p.429.

[14]. Voir infra, cette sous-section, § 1 B, 3, a.

[15]. Exposé des motifs des auteurs de saisine, II, A, a. Voir A.M.K.D., n° 13, 1976, p.406‑407.

[16]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975, A.M.K.D., n° 13, 1976, p.435.

[17]Ibid.

[18]Ibid., p.408.

[19]Ibid., p.409-410.

[20]Ibid., p.438-437.

[21]Ibid., p.440.

[22]Ibid., p.443.

[23]Ibid., p.444.

[24]Ibid., p.445.

[25]Ibid., p.441.

[26]Ibid., p.446.

[27]Ibid., p.447.

[28]Ibid., p.447‑448.

[29]Ibid., p.448.

[30]Ibid., p.412.

[31]Ibid., p.449.

[32]Ibid., p.450.

[33]Ibid., p.451.

[34]. Voir infra, « 2. Critique ». (p.635 et s.).

[35]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1976-19 du 23 mars 1976 (Expropriation I), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.118-160.

[36]Resmi Gazete [Journal officiel], n° 13964 du 22 septembre 1971.

[37]. A cette occasion, signalons qu'en Turquie, les Constitutions de 1961 et 1982 prévoient non seulement le contrôle abstrait des normes (contrôle par voie d'action), mais aussi le contrôle concret des normes (contrôle par voie d'exception). Le contrôle concret est exercé par la Cour constitutionnelle à la suite de la saisine d'office par un tribunal ou à la demande d'une des parties au procès. Mais dans ce dernier cas, le tribunal estime si l'exception d'inconstitutionnalité est sérieuse (Constitution de 1961, art.151 ; Constitution de 1982, art.152).

[38]. Voir l'exposé des motifs du Tribunal saisissant, in A.M.K.D., n° 14, 1977, p.118-122.

[39]. Décision n° 1976-19 du 23 mars 1976 (Expropriation I), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.127‑128.

[40]Ibid., p.131-132.

[41]. Cette motivation est également répétée dans les décisions des 13 avril 1971, 15 avril 1975.

[42]. Décision n° 1976-19 du 23 mars 1976 (Expropriation I), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.131.

[43]Ibid., p.134-135.

[44]Ibid., p.136.

[45]. Kani Vrana, Ahmet Akar, Halit Zarbun, Abdullah Uner, Lutfi Ömerbas, Hasan Gürsel, Ahmet Salih Cebi et Nihat O. Akçakayalioglu.

[46]. Sevket Müftügil, Ihsan Ecemis, Ziya Önel, Ahmet Koçak, Sekip Copuroglu, Muhittin Gürün et Ahmet Boyacioglu.

[47]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1976-46 du 12 octobre 1976 (Expropriation II), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.252‑285.

[48]Resmi Gazete [Journal officiel], n° 13964 du 22 septembre 1971.

[49]. Tribunal civil de première instance d'Antalya.

[50]. Voir exposée des motifs du tribunal saisissant, in A.M.K.D., n° 14, 1977, p.252‑255.

[51]. Voir « b. La décision du 23 mars 1976 ».(Supra, p.624)

[52]. Décision n° 1976-46 du 12 octobre 1976 (Expropriation II), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.262‑264.

[53]Ibid., p.264.

[54]Ibid., p.265. [V. Esasin Biçim Yönünden Incelenmesi (sic!)].

[55]Ibid., p.263.

[56]Ibid., p.265.

[57]Ibid., p.266.

[58]Ibid., p.267.

[59]Ibid.

[60]Ibid., p.275.

[61]Ibid., p.276.

[62]. Kani Vrana, Ahmet Akar, Halit Zarbun, Abdullah Üner, Lûtfi Ömerbas, Hasan Gürsel, Ahmet Salih Cebi et Nihat O. Akçakayalioglu.

[63]. Sevket Müftügil, Ihsan Ecemis, Ziya Önel, Ahmet Koçak, Sekip Copuroglu, Muhittin Gürün et Ahmet Boyacioglu.

[64]. Sevket Müftügil, Ziya Önel, Ahmet Koçak, Sekip Copuroglu, Fahrettin Uluç, Muhittin Gürün, Adil Esmer et Ahmet Boyacioglu.

[65]. Kani Vrana, Ahmet Akar, Halit Zarbun, Abdullah Üner, Lûtfi Ömerbas, Hasan Gürsel, Ahmet Salih Cebi et Nihat O. Akçakayalioglu.

[66]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1976-47 du 12 octobre 1976 (Expropriation III), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.286‑300.

[67]Ibid., p.298.

[68]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1977-4 du 25 janvier 1977 (Conseil supérieur des juges), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.106‑131.

[69]Resmi Gazete [Journal officiel], n° 13964 du 22 septembre 1971.

[70]. Voir l'exposé des motifs de la 5e Chambre du Conseil d'Etat, in A.M.K.D., n° 15, 1977, p.106‑108.

[71]. Décision n° 1977-4 du 25 janvier 1977 (Conseil supérieur des juges), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.112.

[72]Ibid., p.113-114.

[73]Ibid., p.114.

[74]Ibid.

[75]Ibid., p.115-116

[76]Ibid., p.116.

[77]. Signée à Rome le 4 novembre 1950.

[78]. La loi n° 6366 du 18 mai 1954, Resmi Gazete [Journal officiel], 19 mai 1954, n° 8662.

[79]. Décision n° 1977-4 du 25 janvier 1977 (Conseil supérieur des juges), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.117.

[80]Ibid.

[81]Ibid.

[82]Ibid., p.117.

[83]Ibid.

[84]Ibid., p.117-118.

[85]Ibid., p.118.

[86]Ibid.

[87]Ibid., p.119. Pour l'opinion dissidente du juge Nihat O. Akçakayalioglu, voir A.M.K.D., n° 15, 1978, p.129-131.

[88]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1977-117 du 27 septembre 1977, (Conseil supérieur des procureurs), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.444‑463.

[89]Resmi Gazete [Journal officiel], n° 13964 du 22 septembre 1971.

[90]. Rappelons que, comme nous venons de l'étudier, la nouvelle version de l'article 144 adoptée par la même loi constitutionnelle avait exclu tout recours juridictionnel contre les décisions du Conseil supérieur des juges.

[91]. Voir l'exposé des motifs de la 5e Chambre du Conseil d'Etat, in A.M.K.D., n° 15, 1978, p.444‑449.

[92]. Décision n° 1977-117 du 27 septembre 1977, (Conseil supérieur des procureurs), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.456.

[93]Ibid., p.456-457.

[94]Ibid., p.458. Les juges minoritaires sont Abdullah Üner et Nihat O. Akçakayalioglu. Leur opinion dissidente est annexée à ladite décision, voir A.M.K.D., n° 15, 1978, p.458‑561.

[95]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975 (Durée de la détention provisoire, Tribunaux de sûreté d'Etat, Tribunaux militaires), A.M.K.D., n° 13, 1976, p.427.

[96]Ibid., p.426‑427.

[97]. Ce titre, Chapitre 1, § 1.

[98]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975, p.430-431.

[99]. Özbudun, op. cit., 1993, p.135 ; Onar, op. cit., p.142-144 ; Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], 1977, op. cit., p.220‑221 ; Türkçapar, op. cit., p.35 ; Akad, op. cit., p.39.  

[100]. Exposé des motifs de la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971 (concernant la révision de l'article 147 de la Constitution). Cette exposée des motifs est annexée au compte rendu du séance n° 156 du 17 août 1971 de l'Assemblée nationale. Millet Meclisi Tutanak Dergisi [Recueil des comptes rendus de l'Assemblée national], (3e Législature, Session 2, Séance 156), vol.17, p.16‑17 cité par Onar, op. cit., p.144.

[101]. Yayla, « Anayasa Mahkemesine Göre Cumhuriyetin Özü » [L'essence de la République d'après le Cour constitutionnelle], op. cit., p.980 ; Türkçapar, op. cit., p.32‑33.

[102]. Yayla, « Anayasa Mahkemesine Göre Cumhuriyetin Özü » [L'essence de la République d'après le Cour constitutionnelle], op. cit., p.980.

[103]özbudun, op. cit., 1993, p.137.

[104]. Erdal Onar souligne que la première étape de cet examen ouvre la voie inévitablement à un contrôle de fond (Onar, op. cit., p.146).

[105]. Yayla, « Anayasa Mahkemesine Göre Cumhuriyetin Özü » [L'essence de la République d'après le Cour constitutionnelle], op. cit., p.980.

[106]Ibid. Egalement, Burhan Kuzu constate que « si la Cour constitutionnelle avait voulu de faire le contrôle de fond, elle utiliserait le même formule » (Kuzu, op. cit., p.179).

[107]özbudun, op. cit., p.137. De même, à propos de l'interprétation de la Cour constitutionnelle selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est un règle de forme, le professeur Mümtaz Soysal parle d'« une méthode confuse et forcée » (Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], 1977, op. cit., p.221).

[108]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975 (Durée de la détention provisoire, Tribunaux de sûreté d'Etat, Tribunaux militaires), A.M.K.D., n° 13, 1976, p.433 ; décision n° 1976-19 du 23 mars 1976 (Expropriation I), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.134.

[109][V. Esasin Biçim Yönünden Incelenmesi]. Décision n° 1976-46 du 12 octobre 1976 (Expropriation II), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.265 ; Cour constitutionnelle turque : décision n° 1976-47 du 12 octobre 1976 (Expropriation III), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.294 ; Cour constitutionnelle turque : décision n° 1977-4 du 25 janvier 1977 (Conseil supérieur des juges), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.112.

[110]. Décision n° 1977-117 du 27 septembre 1977, (Conseil supérieur des procureurs), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.456.

[111]. Décision n° 1976-19 du 23 mars 1976 (Expropriation I), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.140‑141.

[112]. Kani Vrana, Ahmet Akar, Halit Zarbun, Abdullah Üner, Lûtfi Ömerbas, Hasan Gürsel, Ahmet Salih Cebi et Nihat O. Akçakayalioglu.

[113]. Sevket Müftügil, Ihsan Ecemis, Ziya Önel, Ahmet Koçak, Sekip Copuroglu, Muhittin Gürün et Ahmet Boyacioglu.

[114]. Décision n° 1976-46 du 12 octobre 1976 (Expropriation II), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.277‑278.

[115]. Sevket Müftügil, Ziya Önel, Ahmet Koçak, Sekip Copuroglu, Fahrettin Uluç, Muhittin Gürün, Adil Esmer et Ahmet Boyacioglu.

[116]. Kani Vrana, Ahmet Akar, Halit Zarbun, Abdullah Üner, Lûtfi Ömerbas, Hasan Gürsel, Ahmet Salih Cebi et Nihat O. Akçakayalioglu.

[117]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975 (Durée de la détention provisoire, Tribunaux de sûreté d'Etat, Tribunaux militaires), A.M.K.D., n° 13, 1976, p.433 ; décision n° 1976-19 du 23 mars 1976 (Expropriation I), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.134.

[118]. Décision n° 1976-46 du 12 octobre 1976 (Expropriation II), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.265 ; décision n° 1976-47 du 12 octobre 1976 (Expropriation III), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.294 ; décision n° 1977-4 du 25 janvier 1977 (Conseil supérieur des juges), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.112.

[119]. Décision n° 1977-117 du 27 septembre 1977, (Conseil supérieur des procureurs), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.456.

[120]. Alf Ross, On Law and Justice, London, Steven & Sons, 1958, p.36-38 (Extrait de‑) in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.325).

[121]. Aarnio, Le rationnel comme raisonnable..., op. cit., p.53. Egalement voir Aulis Aarnio, « On the Validity, Efficacy and Acceptability of Legal Norms », in W. Krawietz, Th. Mayer-Mly et O. Weinberger (ed.), Objectivierung des Rehtsdenkens: Dedächtnisschrift fur Ilmar Tammelo, Berlin, Duncker & Humblot, 1984, p.427-437, (Extrait de-) in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.328 : « ... Une norme juridique est en vigueur, si et seulement s'il est possible que la norme appartienne à l'idéologie normative qui oblige une autorité. En des termes plus simples : si l'on peut présumer qu'une autorité se considérera liée à la norme juridique ; de ce fait, cette norme juridique est en vigueur ».

[122]. Ross, On Law and Justice, op. cit., p.36-38 (Extrait de-) in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.325). Egalement voir Aarnio, « On the Validity, Efficacy and Acceptability of Legal Norms », op. cit., p.427-437 (Extrait de-) in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p. p.328).

[123]. Voir cette sous-section, § 1, A, 1, a. (Supra, p.570-577, pour la motivation voir p.575).

[124]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975, A.M.K.D., n° 13, 1976, p.429.

[125]. Voir supra, cette sous-section, § 1,  B, 2, f. (Supra, p.599-611).  

 

 

Sous-section 2
Sous la Constitution de 1982

 

 

 

Après avoir vu le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Turquie sous la Constitution de 1961 dans la sous-section précédente, nous examinerons maintenant le même problème, dans le même pays, mais sous la Constitution de 1982.

Nous verrons d'abord la réglementation de la Constitution (§ 1), ensuite la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (§ 2), et enfin nous essayerons de faire une appréciation générale du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans le système de la Constitution turque de 1982 (§ 3).

§ 1. La réglementation constitutionnelle

La Constitution turque de 1961 a été déconstitutionnalisée par le coup d'Etat du 12 septembre 1980. La nouvelle Constitution turque a été adoptée par le référendum du 7 novembre 1982[1].

Comme la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971 révisant l'article 147 de la Constitution de 1961, la Constitution de 1982, elle aussi, réglemente expressément le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

A cet égard il convient de citer essentiellement les trois dispositions de la Constitution de 1982 : les alinéas 1er et 2 de l'article 148 et l'alinéa 1 de l'article 149. L'alinéa 1er de l'article 148 détermine la compétence de la Cour constitutionnelle sur les lois constitutionnelles (A). L'alinéa 2 du même article définit l'étendue du contrôle de forme des lois constitutionnelles (B). Enfin l'article 149, alinéa 1, pose une règle peu habituelle pour un organe juridictionnel, selon laquelle la Cour constitutionnelle ne peut prononcer l'annulation des lois constitutionnelles qu'à la majorité des deux tiers de ses membres (C).

A coté de ces dispositions spéciales pour le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il faut aussi voir brièvement les dispositions qui sont prévues pour le contrôle de la constitutionnalité des lois quant à la forme (D). Car, comme on va le voir, puisque la Cour constitutionnelle ne peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles que sur la forme, ces dispositions sont applicables aussi au contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Voyons maintenant les dispositions de la Constitution de 1982 qui réglementent le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

A. La compétence de la Cour constitutionnelle :
le contrôle de forme est prévu, mais le contrôle
de fond est exclu
(art.148, al.1)

La compétence de la Cour constitutionnelle est déterminée dans l'article 148, alinéa 1er de la Constitution de 1982 :

« La Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution, quant à la forme et quant au fond, des lois, des décrets-lois et du Règlement intérieur de la Grande Assemblée nationale de Turquie. En ce qui concerne les révisions constitutionnelles, son examen et son contrôle portent exclusivement sur la forme ».

Ainsi, la Constitution de 1982 prévoit la compétence de la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles uniquement quant à la forme. En d'autres termes, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond a été exclu expressément par la Constitution.

Alors dans la Constitution turque de 1982, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles a été expressément réglementé. Par conséquent, le cas de la Turquie sous la Constitution de 1982, doit être analysée comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution.

Nous avons vu plus haut[2] les données théoriques de ce problème dans un tel système. D'ailleurs, dans la Constitution de 1961 après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971 aussi, ce problème avait été réglementé de la même façon. Nous l'avons étudié plus haut. C'est pourquoi, sans entrer dans les détails, affirmons que, dans un tel système, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle.

Comme on vient de le dire, dans la Constitution de 1982, le contrôle de forme des lois constitutionnelles a été prévu expressément, mais le contrôle de fond en a été exclu.

Ainsi on peut conclure que sous la Constitution de 1982, la Cour constitutionnelle turque peut contrôler sans aucun doute la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car l'article 148, alinéa 1, de la Constitution habilite expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme.

Par contre, les lois constitutionnelles ne peuvent faire l'objet d'un contrôle de fond de la Cour constitutionnelle, car ceci est exclu expressément par le même article de la Constitution.

B. L'étendue du contrôle de forme (art.148, al.2)

La Constitution de 1982 n'a pas seulement précisé que la Cour constitutionnelle est compétente pour le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme ; elle a également limité l'étendue de ce contrôle, en définissant, dans son article 148, alinéa 2, en quoi consiste le contrôle de forme :

« Le contrôle de la constitutionnalité des révisions constitutionnelles quant à la forme se limite à vérifier si elles ont été proposées et votées à la majorité prévue et si l'interdiction d'en délibérer selon la procédure d'urgence est respectée ».

On se souviendra que, sous la Constitution de 1961, à la suite des décisions des 15 avril 1975, 23 mai 1976, 12 octobre 1976, 27 janvier 1977 et 27 septembre 1977, un débat sur la définition du contrôle de forme avait surgi. Selon la Cour constitutionnelle, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution de 1961 était une règle de forme et par conséquent l'examen de la conformité à cette règle des lois constitutionnelles donnait lieu à un contrôle de forme. Or, selon la majorité écrasante de la doctrine, la disposition de l'article 9 était une règle de fond et en vérifiant la conformité des lois constitutionnelles à cette règle, la Cour constitutionnelle faisait un contrôle de fond qui lui avait été interdit expressément par la Constitution de 1961. Le constituant de 1982 a eu l'intention de mettre fin à ce débat. Comme réaction à cette jurisprudence, il a défini en quoi consistait le contrôle de forme des lois constitutionnelles dans l'article 148, alinéa 2, de la Constitution de 1982.

Selon cet alinéa, la Cour constitutionnelle ne peut vérifier la conformité des lois constitutionnelles qu'aux trois conditions de forme suivantes.

1. Le respect de la majorité nécessaire à la proposition de la révision constitutionnelle

Comme nous l'avons vu dans la première partie[3], selon l'alinéa 1er de l'article 175 de la Constitution de 1982, « la révision de la Constitution peut être proposée par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie ». Alors, la Cour constitutionnelle peut vérifier si la révision constitutionnelle a été proposée par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Si la proposition a été faite par les membres ne constituant pas au moins un tiers de nombre total de l'Assemblée, la Cour constitutionnelle peut prononcer l'annulation de cette révision constitutionnelle.

2. Le respect des majorités nécessaires à l'adoption de la révision constitutionnelle

Comme nous l'avons vu dans la première partie[4], selon l'article 175 de la Constitution de 1982, les lois constitutionnelles doivent être adoptées à la majorité des trois cinquièmes du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. Mais lorsque le président de la République renvoie la loi constitutionnelle à l'Assemblée nationale en vue d'une nouvelle délibération, la loi renvoyée doit être adoptée à la majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. Alors, la Cour constitutionnelle peut vérifier si la loi constitutionnelle a été adoptée à ces majorités. Si ce n'est pas le cas, la Cour peut prononcer l'annulation de cette loi constitutionnelle.

3. L'interdiction de délibérer les révisions constitutionnelles selon la procédure d'urgence

Selon la version originale de l'article 175, alinéa 1, de la Constitution de 1982,

« les propositions de révisions constitutionnelles ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence ».

Cette disposition a été révisée par la révision constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 de la façon suivante :

« les propositions de révision de la Constitution sont délibérées deux fois dans l'Assemblée plénière ».

Il faut alors interpréter l'expression « interdiction de délibérer les lois constitutionnelles selon la procédure d'urgence » utilisée dans l'article 148, alinéa 2, comme « la condition de deux délibérations »[5].

* * *

Devant cette définition claire du contrôle quant à la forme, sous la Constitution de 1982, la Cour constitutionnelle ne peut pas réaffirmer sa jurisprudence selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat est une règle de forme, et par conséquent elle peut contrôler la conformité à cette interdiction des lois constitutionnelles.

D'ailleurs, sous la Constitution de 1982, lors de son contrôle de forme, la Cour constitutionnelle ne peut pas examiner les vices de forme autres que ces trois conditions de forme mentionnées ci-dessus[6].

En résumé, lorsque la Cour constitutionnelle contrôle la constitutionnalité des lois constitutionnelles, sous la Constitution de 1982, son contrôle ne peut porter que sur la vérification de ces trois conditions : majorité de proposition, celle d'adoption et l'interdiction de la procédure d'urgence (condition de deux délibérations).

* * *

Dernièrement, il faut souligner que, selon certains auteurs, la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler la conformité d'une loi constitutionnelle même à ces trois conditions, si cette loi constitutionnelle a été adoptée par le peuple à la suite d'un référendum[7]. L'argument principal de ces auteurs consiste à dire que l'approbation populaire répare les vices de forme d'une loi constitutionnelle. En d'autres termes, l'intervention du peuple souverain valide les éventuelles irrégularités commises dans la procédure de révision constitutionnelle.

Par exemple, selon le professeur Ergun Özbudun,

« après que la volonté du peuple, étant le pouvoir constituant le plus élevé, s'est exprimée, la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler la régularité formelle de cette loi constitutionnelle. L'approbation de la révision constitutionnelle par la volonté du peuple qui est le titulaire originaire du pouvoir constituant supprime les vices de forme dont la loi constitutionnelle est entachée éventuellement lors de sa délibération à la Grande Assemblée nationale de Turquie »[8].

Par contre selon une autre thèse, qui est défendue par le juge constitutionnel Yilmaz Aliefendioglu, la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité à ces trois conditions de forme d'une loi constitutionnelle adoptée par le peuple à la suite d'un référendum. Car, la Constitution, sans avoir fait une distinction entre les lois constitutionnelles approuvées par le référendum et celles réalisées sans référendum, a attribué à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux trois conditions de forme mentionnées dans la l'article 148, alinéa 2. Par conséquent une révision constitutionnelle approuvée par le peuple est soumise au contrôle de la Cour constitutionnelle sur les points de savoir si elles ont été proposées et adoptées à la majorité prévue à l'Assemblée nationale et si l'interdiction d'en délibérer selon la procédure d'urgence est respectée[9].

Il convient d'abord de démythifier le débat : les auteurs parlent du « peuple » ; or il ne s'agit ici que du « corps électoral »[10].

Ensuite précisons que nous avons examiné ce problème, dans la partie préliminaire, sous l'intitulé « Le pouvoir de révision constitutionnelle est-il limité au cas où il est exercé directement par le peuple souverain ?»[11]. Sans entrer dans les détails, rappelons notre conclusion : l'intervention du corps électoral dans la procédure de révision constitutionnelle ne rend pas la loi constitutionnelle illimitée, car, dans une telle hypothèse, il intervient en tant que pouvoir institué et non pas à titre du pouvoir constituant originaire[12].

En d'autres termes, le fait que le corps électoral est appelé à se prononcer sur une loi constitutionnelle dans le cadre de l'article 175 de la Constitution turque de 1982 n'enlève rien juridiquement au caractère de pouvoir institué qui est celui de l'organe de révision. Par conséquent l'argument du professeur Özbudun s'effondre, car son argument n'est valable que si l'on suppose que le « peuple » intervient ès qualité du pouvoir constituant originaire.

En conclusion, à notre avis, la Cour constitutionnelle peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles approuvées par le référendum. Mais rappelons que ce contrôle se limite à vérifier si ces lois ont été proposées et votées à la majorité prévue à l'Assemblée nationale et si l'interdiction d'en débattre selon la procédure d'urgence est respectée.

C. L'annulation des lois constitutionnelles ne peut être décidée qu'à la majorité des deux tiers des membres de la Cour constitutionnelle (art.149, al.1er)

Dans la réaction à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle avant 1980, le constituant de 1982, en allant encore plus loin, a posé une règle peu habituelle pour un organe juridictionnel, dans l'article 149, alinéa 1, de la Constitution de 1982 :

« La Cour constitutionnelle se réunit lorsque son Président et dix de ses membres sont présents et rend ses arrêts à la majorité absolue. L'annulation des révisions constitutionnelles ne peut être décidée qu'à la majorité des deux tiers ».

Cette disposition a été critiquée dans la doctrine[13]. Les auteurs soulignent que, dans un organe juridictionnel, la règle générale est que les décisions sont prises à la majorité absolue de ses membres. Erdal Onar voit une contradiction dans le fait de prévoir, d'une part un contrôle de la constitutionnalité, et, d'autre part, d'essayer de le rendre inefficace[14].

Il est vrai que la condition de majorité qualifiée pour la prise des décisions d'un tribunal est une condition peut habituelle. Cependant, contrairement à la critique ci‑dessus, nous pensons que c'est une condition justifiée.

D'abord rappelons que la Cour constitutionnelle turque, sous la Constitution de 1961, a prononcé l'annulation de plusieurs lois constitutionnelles toujours par 8 voix contre 7. Et, comme on peut le voir dans notre exposé plus haut, l'annulation par la Cour constitutionnelle, par 8 voix contre 7, des révisions constitutionnelles adoptées à la majorité des deux tiers du Parlement élue par le peuple a provoqué de vives réactions dans l'opinion publique.

D'ailleurs on se souviendra que la Cour constitutionnelle a pris deux décisions diamétralement opposées sur la même loi constitutionnelle dans un intervalle de 6 mois. Dans la première décision (celle du 23 mars 1976, Expropriation I), la Cour a décidé que la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 est conforme à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 par 8 voix contre 7, alors que dans la deuxième décision (celle du 12 octobre 1976, Expropriation II), la Cour a conclu que la même loi constitutionnelle est contraire à la même interdiction par 8 voix contre 7. Comme nous l'avons expliqué ce revirement est probablement explicable par le fait que deux membres (Ihsan Ecemis et Ahmet Akar) participant à la première décision ont été remplacés, dans la deuxième décision, par deux autres membres (Fahrettin Uluç et Adil Esmer) et que ces derniers ont voté pour l'annulation de la loi constitutionnelle en question. Alors on peut penser que le constituant a voulu, par cette disposition, assurer une certaine stabilité dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

En effet il me semble que la vraie raison de cette condition se trouve dans le souci du constituant de voir que les règles qu'il a posées (art.148, al.1 : interdiction de contrôle de fond, al.2 : définition limitative du contrôle de forme) seront mises en échec par l'interprétation de la Cour constitutionnelle, c'était le cas sous la Constitution de 1961. En effet comme nous l'avons vu plus haut, le pouvoir constituant, par la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971 révisant l'article 147 de la Constitution de 1961, avait déjà interdit expressément à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Et comme nous l'avons vu, la Cour constitutionnelle a interprété de façon très large l'étendue du contrôle de forme et par conséquent elle a contrôlé le fond des lois constitutionnelles sous l'apparence d'un contrôle de forme. Il est probable que le pouvoir constituant de 1982, en tirant la leçon de cette expérience, a vu le risque que ses règles pourraient voir le même destin que celles posées par le pouvoir constituant de 1971. C'est pourquoi, en dehors des règles qui déterminent la compétence de la Cour constitutionnelle en matière du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, le constituant de 1982 a senti la nécessité de trouver des solutions plus efficaces pour combattre la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu'il a jugée excessive.

Si l'on se souvient que, sous la Constitution de 1961, la Cour constitutionnelle a prononcé l'annulation des lois constitutionnelles toujours par 8 voix contre 7, l'efficacité de la disposition de l'article 149, alinéa 1, apparaît clairement.

Comme nous allons l'expliquer plus tard[15], la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque et les réactions du pouvoir constituant à cette jurisprudence confirme la conception mécaniste de la constitution. Et selon cette conception, les organes constitutionnels n'agissent pas en fonction de la formulation linguistique des dispositions constitutionnelles, mais en considérant les réactions qu'ils peuvent déclencher de la part de leurs partenaires[16]. Dans ce schéma, puisque la Cour constitutionnelle est allée trop loin, il est normal que le constituant lui aussi aille trop loin. Ainsi, dans la conception mécaniste de la constitution, la disposition de l'article 149, alinéa 1, de la Constitution de 1982, prévoyant une majorité qualifiée pour les décisions d'annulations des lois constitutionnelles par la Cour constitutionnelle est une réaction qui a été déclenchée par le comportement de la Cour constitutionnelle elle-même.

En effet, nous pensons que cette disposition selon laquelle « la Cour constitutionnelle ne peut décider l'annulation des lois constitutionnelles qu'à la majorité des deux tiers de ses membres » peut être justifiée non seulement comme une réaction efficace contre la jurisprudence excessive de la Cour constitutionnelle, mais aussi, comme une règle équitable en matière du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. En effet, comme nous l'avons vu, les constitutions en général exigent des majorités qualifiées pour l'adoption des lois constitutionnelles, alors qu'elles se contentent d'une majorité simple pour l'adoption des lois ordinaires. Il est normal qu'une loi constitutionnelle qui a été adoptée à la majorité qualifiée du parlement puisse être invalidée par la même majorité de la cour constitutionnelle. Comme nous l'avons vu, la version initiale[17] de l'article 175 de la Constitution turque de 1982 exigeait une majorité des deux tiers de l'Assemblée nationale pour l'adoption des lois constitutionnelles. Alors il est tout à fait normal que la Constitution de 1982 prévoit la même majorité pour l'annulation de ces lois par la Cour constitutionnelle.

Comme nous allons le montrer plus loin[18], la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque confirme la théorie réaliste de l'interprétation. Et dans cette théorie, le véritable pouvoir de révision constitutionnelle n'est pas seulement l'auteur du texte de la loi constitutionnelle, mais c'est l'ensemble de ceux qui participent à sa confection, y compris l'organe du contrôle de cette loi. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle turque est « co-pouvoir de révision constitutionnelle » ou « co-auteur des lois constitutionnelles », car elle participe de manière décisionnelle au processus d'édiction des lois constitutionnelles, en annulant ou en validant ces lois par ses interprétations authentiques.

Alors, puisque la Grande Assemblée nationale de Turquie, c'est‑à‑dire, l'un des « co-auteurs » des lois constitutionnelles, est soumise à une condition de majorité des deux tiers pour l'adoption des lois constitutionnelles, il est tout à fait normal que la Cour constitutionnelle, c'est‑à‑dire l'autre « co‑auteur » de ces lois, soit soumise à la même condition. S'il n'y a pas d'égalité entre ces conditions, les équilibres constitutionnels risquent de s'effondrer. Car, un organe constitutionnel peut choisir son comportement par la majorité absolue de ses membres, alors que son partenaire ne peut réagir contre ce comportement qu'à la majorité qualifiée de ses membres. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle peut invalider une loi constitutionnelle avec la majorité absolue de ses membres, alors que l'organe de révision constitutionnelle ne peut réagir contre ce comportement qu'à la majorité des deux tiers de ses membres. Or, selon la conception mécaniste de la constitution, les organes constitutionnels « ne sont pas à proprement parler soumis à des obligations mais à des contraintes, qui résultent pour chacune d'elles de leur insertion dans un système complexe »[19]. En d'autres termes, la constitution est obligatoire comme une organisation « dans laquelle les autorités ont des compétences et des moyens d'actions mutuels si bien équilibrés qu'elles ne pourraient pas, même si elles le voulaient, outrepasser leurs pouvoirs »[20].

Alors la soumission de l'Assemblée nationale à la condition de la majorité qualifiée pour l'adoption des lois constitutionnelles, alors que la Cour constitutionnelle peut les invalider par sa majorité absolue implique un déséquilibre entre les compétences et les moyens d'actions mutuels des organes du système constitutionnel.

Or, pour les décisions d'annulation des lois constitutionnelles, la soumission de la Cour constitutionnelle à la même condition de majorité à laquelle est soumise l'Assemblée nationale pour les adopter, implique un système dans lequel les organes constitutionnels ont des compétences et des moyens d'actions mutuels si bien équilibrés qu'ils ne pourraient pas, même s'ils le voulaient, outrepasser leurs pouvoirs.

Pour ces raisons, nous approuvons la disposition de l'article 147, alinéa 1, de la Constitution de 1982 selon laquelle « l'annulation des révisions constitutionnelles ne peut être décidée qu'à la majorité des deux tiers » du nombre total des membres de la Cour constitutionnelle.

D. les autres dispositions de la Constitution de 1982 concernant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme

Ainsi nous venons de voir trois principales dispositions de la Constitution de 1982 qui réglementent le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Comme on vient de le voir, ce contrôle ne peut porter que sur la forme des lois constitutionnelles (art.148, al.1). D'ailleurs le contrôle de forme se limite à vérifier si les lois constitutionnelles ont été proposées et adoptées à la majorité prévue et si l'interdiction d'en délibérer selon la procédure d'urgence a été respectée (art.148, al.2). Enfin, l'annulation des lois constitutionnelles ne peut être décidée qu'à la majorité des deux tiers des membres de la Cour constitutionnelle (art.149, al.1). Voilà les dispositions essentielles.

Mais les dispositions de la Constitution de 1982 qui concernent le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme ne consistent pas en ces trois dispositions. Il faut encore citer d'autres dispositions. Nous n'allons pas étudier ces dispositions dans les détails, car nous ne voulons pas entrer dans l'examen de la procédure du contrôle de la constitutionnalité des lois en général. Mais citons quant même brièvement ces dispositions.

D'abord il convient de préciser que les dispositions suivantes, contrairement aux dispositions précédentes, ne sont pas prévues exclusivement pour le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. En effet elles sont prévues pour le contrôle de la constitutionnalité quant à la forme en général. Mais, puisque, en ce qui concerne les lois constitutionnelles, le contrôle de la Cour constitutionnelle ne peut porter que sur la forme, il faut donc conclure que, les règles prévues pour le contrôle de forme en général sont applicables aussi au contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

1. L'exclusion du contrôle par voie d'exception (contrôle concret des normes)[21]

L'inconstitutionnalité des lois constitutionnelles doit faire l'objet d'une action en annulation. Car, selon la dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 148,

« l'action en annulation pour inconstitutionnalité formelle ne peut être invoquée par voie d'exception ».

Puisque la Cour constitutionnelle ne peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles que quant à la forme, cette disposition est applicable au contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Si l'on se souvient que sous la Constitution de 1961, la Cour constitutionnelle turque a annulé trois lois constitutionnelles à la suite d'un contrôle par voie d'exception[22], l'importance de cette disposition apparaît clairement.

2. Les titulaires du droit de saisine : le président de la République et
un cinquième des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie 

En règle générale, selon l'article 150 de la Constitution de 1982,

« ont le droit d'intenter directement devant la Cour constitutionnelle un recours en annulation pour inconstitutionnalité... des lois... le président de la République, les groupes parlementaires du parti au pouvoir et du principal parti d'opposition et un cinquième au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie ».

Cependant l'article 148, alinéa 2, de la Constitution de 1982 pose une règle spéciale pour le contrôle de forme :

« Le contrôle quant à la forme peut être demandé par le président de la République ou par un cinquième des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie ».

Puisque, concernant les lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité de la Cour constitutionnelle ne peut porter que sur la forme, il faut donc conclure que, le recours en annulation contre les lois constitutionnelles ne peut être intenté que par le président de la République ou par un cinquième des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie. En d'autres termes, les groupes parlementaires du parti au pouvoir et du principal parti d'opposition n'ont pas le droit de saisir la Cour constitutionnelle à l'encontre des lois constitutionnelles.

Comme le remarque le professeur Ergun Özbudun, on comprend mal pourquoi le constituant a fait une telle distinction entre les autorités de la saisine pour inconstitutionnalité matérielle et formelle des lois[23]. En effet, en pratique les partis au pouvoir et d'opposition peuvent atteindre le même but à travers leurs membres constituant un cinquième des membres de l'Assemblée nationale (90 députés). Erdal Onar signale l'inconvénient qui existe dans l'hypothèse où les deux grands partis forment un gouvernement de coalition et par conséquent le parti principal d'opposition n'a pas 90 députés, c'est‑à‑dire un cinquième du nombre total des membres de l'Assemblée nationale[24].

Cette disposition est probablement explicable par la volonté du constituant de soumettre le recours en annulation pour l'inconstitutionnalité quant à la forme à des conditions plus strictes que le recours pour l'inconstitutionnalité quant au fond[25].

3. Le délai de recours en annulation : 10 jours

Selon l'article 148, alinéa 2,

« l'action en annulation d'une loi pour vice de forme ne peut être intentée plus de dix jours après la date de sa publication. »

Puisque la Cour constitutionnelle n'est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles que pour la forme, alors à l'encontre de ces lois, le recours en annulation doit être introduit dans les dix jours à compter de la date de la publication de la loi constitutionnelle au Journal officiel. Une fois ce délai écoulé, il n'est plus possible d'intenter aucune action contre les lois constitutionnelles. Signalons que le délai d'action à l'encontre des lois constitutionnelles (ainsi que pour l'inconstitutionnalité formelle des lois) est plus court que celui[26] prévu pour le recours en annulation pour l'inconstitutionnalité matérielle des lois.

Le but du constituant de 1982 est d'accélérer le processus du contrôle de la constitutionnalité quant à la forme. On peut en déduire que le constituant ne veut pas que la question d'inconstitutionnalité formelle reste toujours dans l'ordre du jour du débat politique[27].

Comme on le voit clairement dans la disposition précitée, le délai de recours court à partir de la publication de la loi constitutionnelle au Journal officiel. Cependant il convient de remarquer qu'il y a un débat dans la doctrine constitutionnelle turque sur le point de commencement du délai de recours en annulation à l'encontre des lois constitutionnelles adoptées à la suite d'un référendum.

En effet, comme on l'a vu dans la première partie[28], l'article 175 prévoit la publication de la loi constitutionnelle dans deux cas différents : dans le premier, le texte de la loi constitutionnelle qui sera soumis au référendum est publié au Journal officiel. Dans le deuxième, la loi constitutionnelle qui a été approuvée par le référendum est publiée au Journal officiel. En d'autres termes, il y a deux publications au Journal officiel du texte de la loi constitutionnelle : avant et après le référendum. Alors la question qui se pose ici est la suivante : à partir de laquelle de ces deux publications, le délai de recours court-il ?

On peut envisager naturellement deux réponses à cette question : selon la première, le délai court à partir de la publication avant le référendum, par contre selon la deuxième, il court à partir de celle qui a été effectuée après le référendum.

La première réponse est défendue par Erdal Onar. Selon lui, le délai de recours en annulation, en ce qui concerne les lois constitutionnelles référendaires, court à partir de la première publication au Journal officiel du texte de la loi constitutionnelle qui sera soumis au référendum. Alors, les autorités de la saisine peuvent intenter une action en annulation à l'encontre d'une loi constitutionnelle dès qu'elle a été publiée au Journal officiel en vue de sa soumission au référendum[29]. En d'autres termes, ceux qui ont le droit d'intenter un recours en annulation peuvent saisir la Cour constitutionnelle avant les résultats du référendum.

Par contre selon la deuxième réponse qui a été défendue par Yilmaz Aliefendioglu, membre de la Cour constitutionnelle, le délai de recours en annulation ne court qu'à partir de la publication au Journal officiel de la loi constitutionnelle qui a été approuvée par le référendum. Car, selon lui, si la loi constitutionnelle avait été rejetée par le peuple, la révision constitutionnelle n'aurait été pas réalisée et ainsi elle n'aurait pas été publiée au Journal officiel. Par conséquent, la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler naturellement la constitutionnalité d'un tel texte[30].

Nous souscrivons à la thèse de Yilmaz Aliefendioglu. A notre avis, la solution du problème se trouve dans l'interprétation du mot « publication » utilisé dans la disposition de l'article 148, alinéa 2, selon laquelle « l'action en annulation d'une loi pour vice de forme ne peut être intentée plus de dix jours après la date de sa publication », et de celui de « publication », utilisé dans la disposition de l'article 175, al.4, selon laquelle « ... les lois constitutionnelles qui sont publiées au Journal officiel en vue de leur soumission au référendum ». Erdal Onar interprète le mot « publication » dans l'article 148, alinéa 2, comme englobant la « publication » qui a été prévue par l'article 175 en vue de la soumission d'une loi constitutionnelle au référendum[31].

En effet, ce problème résulte du fait que la Constitution turque de 1982 emploie un seul mot pour la « publication » et la « promulgation » des lois. Elle utilise le mot « publication », non seulement au sens strict[32] de ce mot, mais aussi au sens de la « promulgation »[33]. Par exemple, selon l'article 89 de la Constitution de 1982 « le président de la République publie dans les quinze jours les lois adoptées par la Grande Assemblée nationale de Turquie. Il peut, dans le même délai, renvoyer à la Grande Assemblée nationale de Turquie en vue d'une nouvelle délibération les lois dont il n'approuve pas la publication... ». Comme on le voit, dans le contexte de cet article, il n'y a aucun doute que le mot « publication » est utilisé dans le sens de « promulgation »[34].

Alors si l'on prend en considération ce constat, il faut conclure que le mot « publication » utilisé dans la disposition de l'article 148, alinéa 2, selon laquelle « l'action en annulation d'une loi pour vice de forme ne peut être intentée plus de dix jours après la date de sa publication » veut dire en effet la « promulgation » et par conséquent il faut lire la disposition de l'article 148, alinéa 2, comme stipulant que « l'action en annulation d'une loi pour vice de forme ne peut être intentée plus de dix jours après la date de sa promulgation ».

Et si l'on accepte cette interprétation, la thèse d'Erdal Onar s'effondre. En effet, la publication au Journal officiel qui est prévue par l'article 175 en vue de la soumission au référendum est, non pas une « promulgation » qui rend le texte de la loi constitutionnelle exécutoire, mais au contraire une simple publication ayant pour objet de porter ce texte à la connaissance des électeurs. En effet, la validité du texte dépend de son approbation référendaire. Et la promulgation n'aura lieu que si le texte a été approuvé par le référendum.

D'ailleurs notre interprétation est en conformité avec le système du contrôle de la constitutionnalité des lois en Turquie. Car, dans ce pays, ni dans la Constitution de 1961, ni dans la Constitution de 1982, n'a jamais été prévu un contrôle de constitutionnalité a priori. Le contrôle s'exerce toujours sur les textes qui ont été déjà promulgués et qui ainsi sont devenus valables. Si l'on accepte la thèse d'Erdal Onar, on obtiendra un contrôle de la constitutionnalité a priori, car à ce stade là, la Cour constitutionnelle contrôlera un texte qui n'a pas été promulgué et par conséquent qui est privé de toute force obligatoire. Alors l'interprétation d'Erdal Onar n'est pas une interprétation systémique.

A notre avis, le délai de recours en annulation ne court qu'à partir de la publication au Journal officiel de la loi constitutionnelle qui a été approuvée par le référendum. En d'autres termes, on ne peut faire un recours en annulation à l'encontre d'une révision constitutionnelle qui sera soumise au référendum. Le contrôle ne peut avoir lieu qu'après le résultat affirmatif du référendum.

4. L'examen en priorité

La Constitution de 1982 prévoit dans son article 149, alinéa 2, que

« la Cour constitutionnelle examine les recours en annulation pour vice de forme et statue sur ces recours en priorité. »

Puisque le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est possible que quant à la forme, cette disposition est applicable au contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Alors la Cour constitutionnelle doit examiner les recours en annulation à l'encontre des lois constitutionnelles en priorité.

Ainsi nous venons de voir toutes les dispositions de la Constitution de 1982 sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Maintenant nous allons examiner l'application de ces dispositions, c'est‑à‑dire la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution de 1982.

 * * *

En résumé, dans la Constitution turque de 1982, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles a été expressément réglementé, d'ailleurs d'une façon assez détaillée. Par conséquent, sous la Constitution de 1982, le cas de la Turquie doit être analysé comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution.

Dans un tel système, comme nous l'avons rappelé plusieurs fois, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle.

Comme on vient de le voir, dans la Constitution de 1982, le contrôle de forme des lois constitutionnelles a été prévu, mais le contrôle de fond en a été exclu.

Alors, la Cour constitutionnelle turque ne peut pas contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, car ceci est exclu expressément par l'article 148, alinéa 1, de la Constitution de 1982.

Par contre, la Cour constitutionnelle peut contrôler sans aucun doute la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car l'article 148, alinéa 1, de la Constitution habilite expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Cependant l'étendue de ce contrôle est délimitée par l'article 148, alinéa 2, de la Constitution. Selon cet article, à titre du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, la Cour constitutionnelle ne peut vérifier que si elles ont été proposées et votées à la majorité prévue et si l'interdiction d'en débattre selon la procédure d'urgence a été respectée. Alors en dehors de la vérification de ces trois conditions, la Cour constitutionnelle turque ne peut exercer aucun contrôle sur les lois constitutionnelles.

Cependant il faut noter que dans la doctrine turque, il n'y a pas d'unanimité sur ce point. Certains auteurs pensent que la Cour constitutionnelle peut encore répéter sa jurisprudence sous la Constitution de 1961 selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat est une règle de forme, et par conséquent la Cour peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à cette interdiction.

Ces auteurs remarquent d'abord que, dans la Constitution de 1961, il n'y avait qu'une limite matérielle à la révision constitutionnelle : l'article 9 selon lequel « la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est une République ne peut être modifiée, ni sa modification proposée ». Or, le nombre des limites matérielles à la révision constitutionnelle inscrites dans la Constitution de 1982 a été augmenté[35]. Selon l'article 4 de cette Constitution, les dispositions des articles 1, 2 et 3 de la Constitution ne peuvent pas être révisées, ni leur modification proposée. Ainsi sous la Constitution de 1982, non seulement, la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques de cette république sont intangibles. En d'autres termes, la Constitution de 1982 a élargi l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution.

Alors certains auteurs interprètent cet élargissement comme une confirmation positive, par la Constitution de 1982, de l'interprétation large de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution de 1961[36].

En partant de ces dispositions intangibles, certains auteurs défendent l'idée selon laquelle la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces dispositions intangibles. Par exemple selon Yildizhan Yayla, la jurisprudence de la Constitution, sous la Constitution de 1961, selon laquelle les révisions constitutionnelles qui sont contraires au principe d'intangibilité sont annulées pour vice de forme, pourrait être réaffirmée aujourd'hui. En effet, si une révision constitutionnelle est contraire aux dispositions intangibles de la Constitution, même si son texte a été proposé et adopté avec l'unanimité des membres de l'Assemblée, elle est, a priori, irrégulière quant à sa forme, autrement dit, elle doit être considérée comme mort-née. De plus, les conditions de procédure sont prévues pour la révision constitutionnelle. Dans une matière où la révision est interdite, on ne peut pas même parler de ses conditions. En d'autres termes, les révisions constitutionnelles dont la non-conformité aux dispositions intangibles est attestée par la Cour constitutionnelle, puisqu'elles ne remplissent pas la condition de leur existence, doivent être considérées comme non valables dès le début, et par conséquent la conformité à d'autres conditions ne signifierait pas grand chose[37]. D'après lui, la sanction d'une telle irrégularité est le constat d'inexistence de la révision constitutionnelle. Car, à son avis, dans un tel cas, il n'y a pas de révision constitutionnelle valable[38]. Yildizhan Yayla pense que puisque la Constitution de 1982 définit et rassemble tous les principes intangibles dans un seul article (art.4), il n'y aura plus besoin de l'interprétation forcée de la Cour constitutionnelle comme elle l'avait faite sous la Constitution de 1961. Grâce à l'ampleur et l'étendue de cet article, la compétence de la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles est aussi élargie[39].

En effet, il est vrai que, s'il existait une telle disposition dans la Constitution de 1961, on pouvait plus facilement défendre la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sous cette Constitution. Cependant, avec d'autres auteurs[40], nous pensons que la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux dispositions intangibles de la Constitution de 1982, car, comme on l'a vu plus haut, d'une part, la Cour constitutionnelle est incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond et d'autre part son contrôle de forme est limité à la vérification des trois conditions que nous avons vues plus haut.

Nous allons voir plus bas que c'est cette deuxième thèse qui a été confirmée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sous la Constitution de 1982. Ainsi la Constitution ne peut pas vérifier si les lois constitutionnelles portent atteinte aux dispositions intangibles de la Constitution de 1982.

§ 2. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

Après avoir vu la réglementation de la Constitution de 1982 sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, nous verrons à présent la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sur ce point.

Sous la Constitution de 1982, jusqu'à présent, la Cour constitutionnelle turque a eu une seule occasion de statuer la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Alors, dans cette période nous n'avons qu'une décision à commenter : décision n°1987-15 du 18 juin 1987.

A. La décision n°1987-15 du 18 juin 1987, Abrogation de l'article transitoire 4 [41]

L'alinéa 1 de l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987[42] abrogeait l'article transitoire 4 de la Constitution turque de 1982 prévoyant des restrictions dans les droits politiques de certains anciens hommes politiques[43]. Cependant, l'alinéa 2 de cet article liait l'entrée en vigueur de l'alinéa 1 à la condition de l'approbation référendaire.

La Cour constitutionnelle a été saisie par les 90 députés, en application de l'article 148, alinéa 2, de la Constitution de 1982, à l'effet de se prononcer sur la conformité à la Constitution du deuxième alinéa de l'article 4 de la loi constitutionnelle n° 3361 du 17 mai 1987.

D'abord citons le texte de l'article 4 de la loi constitutionnelle n° 3361 du 17 mai 1987 :

        « L'article transitoire 4 de la Constitution de la République turque a été abrogé.

        Pour l'entrée en vigueur de cette disposition, elle doit être soumise au référendum. Le référendum est organisé selon les dispositions de l'article 175 de la Constitution révisées par cette loi. »

Egalement signalons que l'article 3 de la même loi constitutionnelle a modifié l'article 175 de la Constitution qui détermine la procédure de révision constitutionnelle.

La loi constitutionnelle n° 3361 du 17 mai 1987, comme il le fallait, a été adoptée conformément à la procédure prévue par la version initiale de l'article 175. Et selon cette procédure, une fois que la loi constitutionnelle a été adoptée à la majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée (art.175, alinéa 1, version initiale), le président de la République a le choix entre la promulgation ou le renvoi à l'Assemblée nationale en vue d'une nouvelle délibération (art.175, alinéa 3, version initiale). Et si le président de la République choisit la deuxième option, l'Assemblée nationale doit voter une fois encore la même loi constitutionnelle avec la même majorité. Si ceci a été réalisé, le président de la République peut soumettre la loi constitutionnelle au référendum (art.175, alinéa 3, version initiale). Ainsi, dans la version initiale de l'article 175, le référendum obligatoire n'existait pas. Le président de la République pouvait soumettre au référendum une loi constitutionnelle seulement après l'avoir renvoyée à l'Assemblée nationale en vue d'une nouvelle délibération et à condition que l'Assemblée ait maintenu la même loi constitutionnelle.

Dans notre cas, la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 a été adoptée conformément à la version initiale de l'article 175 de la Constitution de 1982. En d'autres termes, elle a été proposée par un tiers des membres et adoptée par les deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. Alors, comme on vient de le voir, selon la version initiale de l'article 175, alinéa 3, cette loi devait être publiée au Journal officiel et entrée en vigueur, car le président de la République ne l'a pas renvoyée à l'Assemblée nationale en vue d'une nouvelle délibération.

D'ailleurs comme on vient de le voir dans la version initiale de l'article 175, il n'existait pas de référendum obligatoire. Alors de toute façon l'article 4, alinéa 2 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987, prévoyant la soumission au référendum de l'alinéa 1 de cet article était contraire à la version initiale de l'article 175 qui était encore en vigueur[44].

C'est exactement ce qu'ont soulevé les auteurs de la saisine dans leur exposé des motifs. Selon les requérants,

« l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 a été proposé et adopté conformément à la procédure prévue par la version initiale de l'article 175. Alors, puisque le président de la République ne l'a pas renvoyée à l'Assemblée nationale, il devait être mis en vigueur le jour où il a été publié au Journal officiel. Alors que l'alinéa 2 de cet article a attaché l'entrée en vigueur de l'alinéa 1 de cet article à la condition du référendum. Alors ce point est contraire à la version initiale de l'article 175... »[45].

Par contre la Cour constitutionnelle turque n'a pas discuté l'argument des auteurs de la saisine. Elle a constaté simplement que

« l'article 148 de la Constitution qui détermine les pouvoirs et attributions de la Cour constitutionnelle n'attribue pas à la Cour la compétence de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. De même, cet article a limité le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme à la vérification des majorités de proposition et d'adoption des lois constitutionnelles et à la condition d'après laquelle elles ne peuvent pas être délibérées selon la procédure d'urgence. Lorsque la demande en annulation ne concerne pas l'un de ces conditions limitées, l'examen de l'affaire est impossible. Les moyens invoqués dans la requête ne sont pas l'une des vices de forme énumérés dans l'article 148. C'est pourquoi, sans entrer dans le fond de l'affaire, il faut rejeter la demande en annulation, pour cause d'incompétence »[46].

En conclusion la Cour constitutionnelle a déclaré irrecevable le recours en annulation par 10 voix contre 1[47].

Voyons maintenant la critique de cette décision.

 

B. La critique de cette décision

Nous allons voir d'abord la critique adressée à la décision de la Cour constitutionnelle par son membre minoritaire, Yekta Güngör Özden. Ensuite nous allons donner les critiques développées par la doctrine. Enfin, nous allons essayer de faire notre propre critique sur cette décision.

1. Le juge Yekta Güngör Özden a fait savoir qu'il n'approuve par la décision de la Cour constitutionnelle. Son opinion dissidente contient une critique détaillée du jugement.

Dans son opinion dissidente, Yekta Güngör Özden montre, d'abord, que l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 est contraire à la version initiale de l'article 175 qui était en vigueur à ce moment-là[48]. Car, cet article attache son entrée en vigueur à la condition de référendum obligatoire qui n'était pas prévue par l'article 175 de la Constitution[49].

Or, selon le juge Özden, si l'article 175 avait été préalablement révisé de la façon qu'il prévoit le référendum obligatoire l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 n'aurait pas été inconstitutionnel[50].

D'ailleurs d'après Yekta Güngör Özden, cette inconstitutionnalité, contrairement à l'opinion des juges majoritaires, pouvait être examinée par la Cour constitutionnelle. Car, d'une part, l'article 148, alinéa 2, habilitait la Cour constitutionnelle à contrôler la conformité des lois constitutionnelles à la majorité nécessaire pour leur adoption. Et d'autre part, selon lui, cette inconstitutionnalité était une question de « majorité d'adoption » au sens de l'article 148, alinéa 2. En effet, à son avis, le fait que l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 attache son entrée en vigueur à la condition de référendum obligatoire « signifie la suspension du vote d'adoption de l'Assemblée nationale, car la validité de ce vote dépend du résultat positif du référendum »[51]. En d'autres termes, « le vote d'adoption sera valide si le résultat du référendum est ‘oui’, par contre il sera invalide si ce résultat est ‘non’ »[52]. Alors le juge Özden conclut que « le vote d'adoption lié à une condition n'est pas le vote d'adoption que la Constitution prévoit »[53]. Par conséquent, selon lui, la Cour constitutionnelle pouvait contrôler la constitutionnalité de l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 et annuler cet article pour le non-respect à la condition de la majorité de vote définie dans l'article 148, alinéa 2, de la Constitution de 1982.

2. a) En effet l'argument de Yekta Güngör Özden, juge minoritaire, avait été développé, avant le jugement de la Cour constitutionnelle, par Mümtaz Soysal, dans l'un de ses articles quotidiens du journal Milliyet. Selon le professeur Soysal,

« la disposition qui prévoit le référendum obligatoire est contraire à la règle de ‘majorité de vote’ pour l'adoption des lois constitutionnelles qui était en vigueur en ce moment-là. Car, cette disposition, en considérant que cette règle de majorité est insuffisante, impose une condition supplémentaire à l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle... »[54].

Ainsi Mümtaz Soysal interprète largement l'expression « la majorité de vote » (pour l'adoption des lois constitutionnelles) utilisée dans l'article 148, alinéa 2, de la Constitution de 1982[55].

Il y a également d'autres auteurs[56] qui désapprouvent cette décision de la Cour constitutionnelle. Leurs arguments sont tirés essentiellement de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sous la Constitution de 1961. Par exemple, Turgut Kazan, en s'inspirant de l'interprétation de la Cour constitutionnelle, sous la Constitution de 1961, selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution était une règle de forme, affirme que

« l'examen de la majorité nécessaire pour la proposition des lois constitutionnelles ne consiste pas à compter le nombre des signatures. Comme une proposition qui ne porte pas le nombre suffisant de signatures (un tiers des membres de l'Assemblée nationale) n'est pas une proposition valable, une proposition qui détermine une autre procédure d'adoption ne peut non plus être considérée comme une proposition valable... »[57].

b) Par contre, un autre groupe d'auteurs[58] approuve cette décision de la Cour constitutionnelle. Par exemple, selon Serap Hamzaoglu,

« sans doute la méthode juridiquement la plus saine était celle selon laquelle la Grande Assemblée nationale de Turquie révise d'abord l'article 175, après que cette révision est entrée en vigueur, elle modifie l'article transitoire 4 conformément à la nouvelle procédure de révision constitutionnelle. Cependant, comme le remarquent les membres majoritaires de la Cour constitutionnelle, il est très difficile de considérer ce vice de forme comme une irrégularité relative à la ‘majorité de vote’ nécessaire pour l'adoption des lois constitutionnelles. Dans le cas concret, la condition de majorité des deux tiers a été remplie. Le fait que l'entrée en vigueur de la décision de l'Assemblée nationale est liée à une autre condition n'est pas une question qui concerne la majorité de vote au sens où l'entend la Constitution. Si selon la Constitution, le contrôle de forme de la Cour constitutionnelle sur les lois constitutionnelles comportait non seulement les trois irrégularités de forme mentionnées dans la Constitution, mais tous les vices de forme, il est fort probable que la décision de la Cour constitutionnelle pourrait être différente. Par contre, devant la disposition claire de la Constitution, il est maintenant impossible de le défendre »[59].

 

3. Quant à nous, nous pensons que l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 était contraire à la version initiale de l'article 175 qui était en ce moment‑là en vigueur. Car, il prévoyait, pour l'entrée en vigueur de l'alinéa 1 de l'article 4, la condition de référendum obligatoire qui n'existait pas dans la procédure déterminée par l'article 175. Bref, cette disposition était entachée d'une inconstitutionnalité. D'ailleurs, sur ce point, il n'y a pas de discussion : tous les auteurs, ceux qui approuvent la décision de la Cour constitutionnelle et ceux qui ne l'approuvent pas, constatent cette irrégularité. D'ailleurs la Cour n'a pas dit le contraire.

En effet la question qui s'est posée à la Cour constitutionnelle n'était pas celle de savoir si l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 était contraire ou non à la version initiale de l'article 175 de la Constitution de 1982. La vraie question était celle de savoir si la Cour constitutionnelle était compétente ou non pour examiner cette inconstitutionnalité.

Pour résoudre cette question, il faut d'abord déterminer le type de cette inconstitutionnalité. Car, comme on l'a étudié, selon l'article 148 de la Constitution de 1982, la Cour constitutionnelle n'est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles que sur la forme. En d'autres termes, si l'inconstitutionnalité en question était une inconstitutionnalité de fond, la Cour constitutionnelle ne peut pas l'examiner.

A notre avis, il y a ici une inconstitutionnalité de forme. Car, comme on l'a vu, l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 était contraire à la version initiale de l'article 175 qui était en ce moment‑là en vigueur. Et l'article 175 déterminait la procédure de révision constitutionnelle. Il fixait les conditions de proposition, de délibération et d'adoption des lois constitutionnelles. Comme nous l'avons déjà étudié dans la première partie, ces conditions étaient des celles de forme[60]. Par conséquent la vérification de la conformité à ces conditions des lois constitutionnelles donne lieu à un contrôle de forme.

Alors puisque l'article 148 de la Constitution de 1982 habilitait expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, on pouvait affirmer que l'inconstitutionnalité en question pouvait être examinée par la Cour constitutionnelle, et par conséquent, l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 pouvait être annulé.

En effet cette conclusion n'est pas suffisante, car il y a encore une deuxième question à résoudre : celle de savoir si l'inconstitutionnalité en question entre dans l'étendue du contrôle de forme définie limitativement par l'article 148, alinéa 2 de la Constitution de 1982. En effet, comme nous l'avons étudié plus haut, la Constitution de 1982 n'a pas seulement précisé que le contrôle de la Cour constitutionnelle porte exclusivement sur la forme des lois constitutionnelles ; mais elle a également limité l'étendue de ce contrôle, en définissant, dans son article 148, alinéa 2, en quoi consistait le contrôle de forme :

« Le contrôle de la constitutionnalité des révisions constitutionnelles quant à la forme se limite à vérifier si elles ont été proposées et votées à la majorité prévue et si l'interdiction d'en délibérer selon la procédure d'urgence a été respectée. »

Alors il faut résoudre la question de savoir si l'inconstitutionnalité en question concerne l'une de ces trois conditions. D'abord rappelons que l'inconstitutionnalité en question consiste au fait que l'alinéa 2 l'article 4 de la loi constitutionnelle n°3361 du 17 mai 1987 était contraire à la version initiale de l'article 175. Car, pour l'entrée en vigueur de l'alinéa 1 de cet article, il prévoyait une condition (soumission au référendum) qui n'existait pas dans la version initiale de l'article 175 qui était à ce moment en vigueur.

A notre avis cette inconstitutionnalité n'était pas l'une des trois irrégularités limitativement énumérées dans l'article 148, alinéa 2, de la Constitution. Car, cet alinéa a été proposé par au moins un tiers et adopté par une majorité de plus de deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. Egalement cet alinéa n'a pas été délibéré selon la procédure d'urgence. Par conséquent, l'inconstitutionnalité en question ne pouvait pas être contrôlée par la Cour constitutionnelle. Alors nous approuvons donc entièrement la décision du 18 juin 1987 de la Cour constitutionnelle.

* * *

On peut constater que, sous la Constitution de 1982, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle confirme nos conclusions tirées à partir de la réglementation constitutionnelle sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Sans entrer dans les détails, comme on l'a exposé plus haut[61], rappelons que la Cour constitutionnelle turque ne peut pas contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, car ceci a été exclu expressément par l'article 148, alinéa 1, de la Constitution de 1982. Par contre, la Cour constitutionnelle peut contrôler sans aucun doute la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car l'article 148, alinéa 1, de la Constitution habilite expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme[62].

Cependant, comme nous l'avons expliquée plus haut[63], l'étendue du contrôle de forme est délimitée par l'article 148, alinéa 2, de la Constitution. Selon cet article, au titre du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, la Cour constitutionnelle ne peut vérifier que si elles ont été proposées et votées à la majorité prévue et si l'interdiction d'en débattre selon la procédure d'urgence a été respectée. Alors, nous avons conclu que, en dehors de la vérification de ces trois conditions, la Cour constitutionnelle turque ne peut exercer aucun contrôle sur les lois constitutionnelles.

Nous venons de voir que, dans sa décision du 18 juin 1987, la Cour constitutionnelle turque ne s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles que quant à la forme. D'ailleurs la Cour a décidé que son contrôle de forme des lois constitutionnelles se limite à la vérification des majorités nécessaires à leur proposition et à leur adoption et de la condition d'après laquelle elles ne peuvent pas être délibérées selon la procédure d'urgence.

On peut donc conclure que nos conclusions théoriques sont confirmées par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Alors, dans un système où le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution, ce contrôle est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle.

* * *

D'ailleurs, en ce qui concerne la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, il convient de faire une remarque générale : sous la Constitution de 1982, la Cour constitutionnelle n'a pas montré l'audace qu'elle a exposée plusieurs fois sous la Constitution de 1961. Elle n'a pas tenté de faire une interprétation large de l'article 148 de l'alinéa 2, qui détermine l'étendue du contrôle de forme. Or, comme on le voit dans la critique adressée à sa décision, la Cour constitutionnelle avait la possibilité de faire une interprétation large et de considérer l'irrégularité de l'article 4 de la loi constitutionnelle 17 mai 1987 comme une question entrant dans la condition de la majorité de vote pour laquelle elle est compétente de se prononcer. La Cour constitutionnelle a observé strictement que la Constitution ne lui attribue pas la compétence d'examiner l'irrégularité en question.

Ce comportement de la Cour constitutionnelle appelle une observation : si l'on se souvient que la Cour est allée trop loin dans ses interprétations sous la Constitution de 1961, et que, comme réaction à ces interprétations, le constituant de 1982 a réduit sensiblement sa compétence, la Cour constitutionnelle a probablement tiré la leçon de cette expérience, et s'est abstenue cette fois de faire une interprétation large, tandis que la possibilité juridique existait. La Cour constitutionnelle a eu probablement la crainte d'une éventuelle réaction du pouvoir de révision constitutionnelle. Ainsi, comme on va le voir plus tard[64], cette situation confirme la théorie mécaniste de la constitution, car la Cour constitutionnelle n'agit pas simplement en fonction des dispositions constitutionnelles, mais en considérant les réactions qu'elle peut déclencher de la part du pouvoir de révision constitutionnelle.

§ 3. L'appréciation générale du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans le système de la Constitution turque de 1982

Ainsi nous venons de voir la réglementation constitutionnelle et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution turque de 1982. Maintenant nous allons essayer de faire une appréciation générale de la problématique.

Comme nous l'avons vu plus haut[65], dans la Constitution turque de 1982, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles a été expressément réglementé, d'ailleurs d'une façon assez détaillée. Par conséquent, sous la Constitution de 1982, le cas de la Turquie doit être analysé comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution.

Dans un tel système, comme nous l'avons rappelé plusieurs fois[66], le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle.

Comme on l'a vu plus haut[67], dans la Constitution de 1982, le contrôle de forme des lois constitutionnelles a été prévu, par contre le contrôle de fond en a été exclu.

Ainsi, nous avons plus haut[68] affirmé que la Cour constitutionnelle turque ne peut pas contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, car ceci a été exclu expressément par l'article 148, alinéa 1, de la Constitution de 1982. Par contre, la Cour constitutionnelle peut contrôler sans aucun doute la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car l'article 148, alinéa 1, de la Constitution habilite expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme[69].

Cependant, comme nous l'avons expliquée plus haut[70], l'étendue du contrôle de forme est délimitée par l'article 148, alinéa 2, de la Constitution. Selon cet article, au titre du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, la Cour constitutionnelle ne peut vérifier que si elles ont été proposées et votées à la majorité prévue et si l'interdiction d'en débattre selon la procédure d'urgence a été respectée. Alors, nous avons conclu que, en dehors de la vérification de ces trois conditions, la Cour constitutionnelle turque ne peut exercer aucun contrôle sur les lois constitutionnelles.

* * *

Ensuite nous avons recherché si ces conclusions ont été confirmées par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque.

Nous venons de voir que[71], dans sa décision du 18 juin 1987, la Cour constitutionnelle turque ne s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles que quant à la forme. D'ailleurs la Cour a décidé que son contrôle de forme, en ce qui concerne les lois constitutionnelles, se limite à vérifier si elles ont été proposées et votées à la majorité prévue et si l'interdiction d'en délibérer selon la procédure d'urgence est respectée.

On peut donc observer que nos conclusions théoriques sont confirmées par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Alors, dans un système où le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution, ce contrôle est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle.

Dans la mesure où la constitution prévoit le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ces lois seront contrôlées par l'organe chargé de ce contrôle (cours constitutionnelles), et par conséquent les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées par l'interprétation de cet organe. Comme nous l'avons vu, la Cour constitutionnelle turque se déclare compétente, si la loi constitutionnelle n'a pas été proposée et adoptée à la majorité prévue et si l'interdiction d'en débattre selon la procédure d'urgence n'a pas été respectée. C'est‑à‑dire que si ces trois conditions de forme ne sont pas respectées, elles seront sanctionnées par la décision de la Cour constitutionnelle.

Par contre, en dehors de la vérification de ces trois conditions, la Constitution turque de 1982 n'habilite pas la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Or, comme nous l'avons étudié dans la première partie[72], la Constitution turque de 1982 prévoit d'autres limites de forme[73] et surtout plusieurs limites matérielles à la révision constitutionnelle[74]. Par exemple, la forme républicaine de l'Etat, le principe de l'Etat de droit démocratique et social, le laïcisme, le respect des droits de l'homme, le nationalisme d'Atatürk sont des principes intangibles. Par contre, la Cour constitutionnelle ne peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces principes, car l'article 148, alinéa 1, de la Constitution lui interdit d'exercer un contrôle de fond sur les lois constitutionnelles. D'ailleurs la Cour constitutionnelle ne peut même pas vérifier la régularité formelle des lois constitutionnelles sur d'autres points que les trois conditions définies dans l'article 148, alinéa 2. Or, il est probable qu'une loi constitutionnelle soit entachée d'autres vices de procédure que ces trois irrégularités de forme.

* * *

Alors, dans ce cas, une question se pose. Car, comme on le voit, en Turquie, sous la Constitution de 1982, les lois constitutionnelles peuvent être contraires aux limites matérielles à la révision constitutionnelle et même à des limites de forme autres que les trois conditions mentionnées dans l'article 149 (majorité de proposition, majorité d'adoption et interdiction de débattre les lois constitutionnelles selon la procédure d'urgence). Et si c'est le cas, ces lois seront en vigueur, car elles ne peuvent pas être invalidées. Ainsi, sous la Constitution de 1982, une loi constitutionnelle contraire à ses limites matérielles peut être en vigueur. Car, comme on l'a déjà indiqué, en théorie juridique, tant qu'une loi n'est pas abrogée ou annulée par un organe compétent ; elle sera toujours en vigueur, et par conséquent valable[75]. Et sous la Constitution de 1982, puisque le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond a été exclu par la constitution et que la Cour constitutionnelle s'est déclarée incompétente pour le contrôle de fond des lois constitutionnelles, une loi constitutionnelle contraire à ses limites matérielles sera toujours en vigueur, même si elle est contraire à ses limites matérielles selon les vues de X ou de Y[76].

C'est pourquoi, il faut discuter ici de deux questions suivantes :

A. Le fondement de la validité des lois constitutionnelles contraires aux limites matérielles à la révision constitutionnelle

Comme nous l'avons expliqué, en Turquie sous la Constitution de 1982, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond est impossible, car, la Constitution l'a exclu et d'ailleurs la Cour constitutionnelle s'est déclarée incompétente pour examiner le contenu des lois constitutionnelles. Alors une loi constitutionnelle pourrait être valable, même si elle est contraire aux dispositions de la Constitution qui lui imposent des limites matérielles. C'est pourquoi, il faut expliquer le fondement de la validité des lois de révision constitutionnelle contraires à ses limites matérielles, cependant en vigueur.

Dans le système de la Constitution turque de 1982, on pourrait penser qu'une loi de révision constitutionnelle contraire à ses limites matérielles trouve son fondement de validité dans la Constitution elle-même, c'est‑à‑dire, dans la volonté du pouvoir constituant originaire de 1982. En effet, puisque la Constitution de 1982 interdit expressément le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, on pourrait conclure que cette Constitution elle‑même accepte la validité des lois de révision constitutionnelle contraires à ses limites. Parce que le pouvoir constituant originaire de 1982 avait eu la possibilité de prévoir le conflit entre une loi de révision constitutionnelle et les dispositions de la Constitution qui lui imposent des limites matérielles, c'est‑à‑dire les dispositions intangibles de la Constitution (art.1, 2 et 3), ainsi que la possibilité d'habiliter la Cour constitutionnelle à le résoudre, comme d'ailleurs il l'a fait pour les limites de forme. Puisqu'il ne l'a pas fait, de plus, il a exclu expressément le contrôle de fond, on peut en déduire que le pouvoir constituant originaire de 1982 lui-même n'a pas voulu que la Grande Assemblée nationale de Turquie, en tant qu'organe de révision constitutionnelle, soit matériellement limitée. En d'autres termes, en excluant le contrôle de fond des lois constitutionnelles, le pouvoir constituant originaire de 1982 a permis implicitement l'édiction des lois constitutionnelles qui seraient contraires aux dispositions des articles 1, 2 et 3 de la Constitution de 1982 qui leur imposent des limites matérielles. C'est‑à‑dire que le pouvoir constituant originaire de 1982 a habilité la Grande Assemblée nationale de Turquie à édicter des lois constitutionnelles. Mais il n'a pas prévu une sanction pour cette habilitation quant au fond. Alors « accorder une telle habilitation non sanctionnée, c'est donner par là même l'habilitation de la transgresser »[77].

Alors sous la Constitution de 1982, il faut conclure que les lois constitutionnelles peuvent avoir un contenu qui est contraire aux dispositions intangibles de cette Constitution (articles 1, 2 et 3). En d'autres termes, la Constitution de 1982 donne à la Grande Assemblée nationale de Turquie, en respectant les conditions de majorité, le pouvoir de donner aux lois constitutionnelles soit un contenu conforme aux dispositions intangibles de la Constitution, soit un contenu autre. Par conséquent les dispositions intangibles de la Constitution (articles 1, 2 et 3) ne présentent pas beaucoup d'intérêt. La Constitution de 1982 elle‑même a créé cette possibilité par le fait qu'elle ne laisse à aucun autre organe que la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle, la faculté de décider si les normes édictées par elle en tant que lois de révision constitutionnelle sont conformes aux dispositions intangibles de la Constitution. Les dispositions des articles 1, 2 et 3 de la Constitution qui imposent des limites matérielles aux lois constitutionnelles ont alors le caractère de dispositions simplement alternatives. L'Assemblée nationale, organe de révision constitutionnelle, a le choix entre s'y conformer ou ne pas s'y conformer. Puisque la Cour constitutionnelle est incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, on ne saurait arriver à une conclusion différente[78].

C'est une façon d'expliquer le fondement de la validité des lois constitutionnelles contraires aux limites matérielles à la révision constitutionnelle. Cependant nous pensons qu'il n'y a ici qu'un faux problème. A vrai dire, nous n'avons pas besoin d'expliquer le fondement de la validité des lois constitutionnelles contraires aux dispositions de la Constitution qui leur imposent des limites matérielles. Parce qu'il n'y a ici qu'un conflit apparent, et non pas juridique, entre les lois constitutionnelles et ces dispositions. En d'autres termes, puisque la Cour constitutionnelle turque est incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, cette contradiction ne pourrait jamais être constatée dans l'ordre juridique. Chacun peut exprimer une opinion sur la conformité d'une loi constitutionnelle aux dispositions intangibles de la Constitution, cependant personne n'a reçu la compétence pour se prononcer sur la validité d'une telle loi. Autrement dit, il est impossible d'élever cette contradiction au niveau juridique. Puisque la Constitution turque de 1982 refuse à la Cour constitutionnelle le pouvoir de contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux dispositions intangibles de la Constitution, on ne peut pas alors parler de la conformité ou de la non-conformité d'une loi constitutionnelle à ces dispositions.

B. La signification des limites matérielles à la révision constitutionnelle

Comme on l'a vu, dans le système de la Constitution turque de 1982, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond est impossible. Par conséquent, une loi constitutionnelle contraire aux limites matérielles à la révision constitutionnelle pourrait être valable. En d'autres termes, les limites matérielles à la révision constitutionnelle ne sont pas sanctionnées par la Cour constitutionnelle. Dans ce cas, les questions suivantes se posent inévitablement : que signifie cette absence de sanction ? L'affirmation du principe de la limitation matérielle du pouvoir de révision constitutionnelle est-elle purement théorique ? Les limites du pouvoir de révision constitutionnelle sont-elles privées de toute force obligatoire ?

Alors, en Turquie sous la Constitution de 1982, quel est le sens des limites matérielles à la révision constitutionnelle, c'est‑à‑dire des dispositions intangibles de la Constitution (articles 1, 2 et 3) ?

Rappelons d'abord le sens des dispositions de l'article 175 qui déterminent les conditions de majorités nécessaires à la proposition et l'adoption des lois constitutionnelles et la condition d'après laquelle les lois constitutionnelles ne peuvent être délibérées selon la procédure d'urgence. Comme nous l'avons vu, l'article 148 habilite la Cour constitutionnelle à contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces trois conditions. Par conséquent, ces trois conditions de forme s'adressent d'abord à la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle et ensuite et définitivement à la Cour constitutionnelle turque. Si l'Assemblée nationale ne respecte pas ces trois conditions lorsqu'elle adopte une loi constitutionnelle, à vrai dire si les titulaires du droit de saisine veulent contester l'interprétation donnée à ces trois conditions par l'Assemblée nationale, ils peuvent saisir la Cour constitutionnelle. Dans ce cas, la Cour examinera la question de savoir si la loi constitutionnelle en question a été bien proposée et adoptée à la majorité prévue et si l'interdiction d'en débattre selon la procédure d'urgence a été respectée. Si la Cour constitutionnelle estime que la loi constitutionnelle a été adoptée contrairement à l'une de ces trois conditions, elle peut l'annuler. Et la décision de la Cour constitutionnelle turque, comme nous l'avons vu est juridiquement incontestable. Ainsi, ces trois conditions de forme seront sanctionnées en dernière analyse par l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle.

Par contre, puisque la Cour constitutionnelle turque est incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, il faut conclure que les limites matérielles, c'est‑à‑dire les dispositions intangibles de la Constitution de 1982 (articles 1, 2 et 3) sont adressées uniquement à la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle. Ainsi, l'Assemblée nationale ne doit pas adopter une loi constitutionnelle contraire aux dispositions intangibles de la Constitution de 1982 (articles 1, 2 et 3)[79]. Mais, puisque la Cour constitutionnelle est incompétente pour examiner le contenu des lois constitutionnelles, c'est à l'Assemblée nationale et à elle seule qu'appartient le pouvoir d'apprécier si le texte qui lui a été présenté est conforme ou contraire à ces dispositions[80]. Si l'Assemblée nationale, qui est le pouvoir de révision constitutionnelle, accepte de le voter, ceci signifie qu'elle interprète que la proposition en question n'est pas contraire aux limites matérielles à la révision constitutionnelle. Il faut alors conclure que, dans cette hypothèse, les dispositions intangibles de la Constitution de 1982 (articles 1, 2 et 3), c'est‑à‑dire les limites matérielles, sont sanctionnées par l'interprétation donnée par l'Assemblée nationale elle-même.

Par conséquent, dans le système de la Constitution turque de 1982, puisque le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond est exclu, toutes les lois constitutionnelles en vigueur sont toujours conformes aux limites matérielles à la révision constitutionnelle, c'est‑à‑dire aux dispositions intangibles de la Constitution (art.1, 2 et 3). Car si les lois constitutionnelles n'étaient pas conformes à ces dispositions, la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle, aurait dû refuser les voter. Alors dans une telle hypothèse, les lois édictées par l'Assemblée nationale comme lois constitutionnelles sont toujours conformes aux dispositions intangibles de la Constitution de 1982 (art.1, 2 et 3) selon l'interprétation de l'Assemblée nationale, organe de révision constitutionnelle[81]. Alors, dans le système de la Constitution turque de 1982, les limites matérielles à la révision constitutionnelle sont sanctionnées par l'interprétation authentique de l'Assemblée nationale.

Sans doute on peut critiquer cette solution en disant que la sanction par l'interprétation de la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle, n'est pas une vraie sanction. En effet, ces limites s'imposent à la cette Assemblée, autrement dit c'est elle qui est le sujet à limiter, cependant, dans cette solution, c'est à elle que revient la compétence de déterminer le sens de ces limites. Ainsi, on voit mal comment un sujet serait limité par les dispositions dont le sens sera déterminé par lui‑même.

A notre avis, cette critique n'a pas de sens juridique, car, comme nous l'avons expliqué plus haut[82], on peut donner plusieurs réponses à la question de savoir si une loi constitutionnelle est conforme ou contraire aux dispositions de la constitution qui des limites matérielles. Ainsi une loi constitutionnelle peut être contraire à ces dispositions selon X, mais contraire selon Y. Seulement la réponse de l'organe compétent est authentique. Les autres ne sont que des opinions subjectives.

En conclusion, dans le système de la Constitution turque de 1982, puisque la Cour constitutionnelle est incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, seule la Grande Assemblée nationale de Turquie, en tant qu'organe de révision constitutionnelle, est compétente pour se prononcer sur la conformité des lois constitutionnelles aux dispositions de la Constitution qui leur imposent des limites matérielles. Il faut alors accepter comme valables toutes les lois constitutionnelles édictées par l'Assemblée nationale, en respectant des majorités nécessaires à leur proposition et à leur adoption et l'interdiction d'en débattre selon la procédure d'urgence, même si elles sont contraires aux limites matérielles à la révision constitutionnelle, c'est‑à‑dire aux dispositions intangibles de la Constitution de 1982 (articles 1, 2 et 3), selon les vues de X ou de Y.


(Continue après les notes)


[1]. Loi n° 2709 du 7 novembre 1982, Türkiye Cumhuriyeti Resmi Gazetesi [Journal officiel de la République turque], n°17863 du 9 novembre 1982. Pour sa traduction française, voir : Constitution de la République turque de 1982, (Traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information), Ankara, 1982.

[2]. Ce titre, Chapitre 1, § 1, A.

[3]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 3, A.

[4]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 3, C.

[5]. Onar, op. cit., p.153.

[6]. On peut envisager d'autres vices de forme. Par exemple, selon l'article 175, alinéa 1, la proposition ne peut être faite que par écrit. Alors la Cour constitutionnelle ne peut pas vérifier si la proposition est faite par écrit ou non.

[7]. Comme nous l'avons vu dans la première partie (Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 3, D), l'article 175 de la Constitution de 1982, contient deux types de référendum en fonction des majorités d'adoption des lois constitutionnelles. Si la proposition de révision constitutionnelle a été adoptée par une majorité des trois cinquièmes ou plus mais moins des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, et si le président de la République ne l'a pas renvoyée à l'Assemblée constitutionnelle en vue d'une nouvelle délibération, la loi constitutionnelle est soumise au référendum (art. 175, al.4).

Par contre si la proposition de révision constitutionnelle a été adoptée par une majorité des deux tiers au moins du nombre total de l'Assemblée nationale au référendum, le président de la République a le choix entre la ratification, le renvoi et le référendum (art.175, al.5).

[8]. Özbudun, op. cit., p.139. En ce sens encore voir Onar, op. cit., p.174 ; Kuzu, op. cit., p.184 ; Yildizhan Yayla, « 1982 Anayasasina Göre Devletin Özü » [L'essence de l'Etat selon la Constitution de 1982], op. cit., p.142. Cependant Yildizhan Yayla n'accepte pas cet argument, lorsqu'il s'agit des révisions constitutionnelles touchant aux dispositions intangibles de la Constitution (Ibid., p.142-143).

[9]. Yilmaz Aliefendioglu, « Türk Anayasa Yargisinda Iptal Davasi ve Itiraz Yolu » [L'action en annulation et la voie d'exception dans la juridiction constitutionnelle turque], Anayasa Yargisi [Juridiction constitutionnelle], Ankara, Anayasa Mahkemesi Yayinlari, 1984, p.111-112.

[10]. Selon l'article 68 de la Constitution de 1982, non pas le « peuple », mais « tout citoyen turc âgé de vingt ans... a le droit de participer aux référendums ». Par conséquent ce qui est exprimé par le référendum n'est pas la volonté du peuple, mais, c'est la volonté des électeurs qui ont participé au référendum. Voir une critique des théories de « volonté populaire » dans le contexte turc : Münci Kapani, Politika Bilimine Giris [Introduction à la science politique], Ankara, Bilgi Yayinevi, 1988, p.77.

[11]. Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 2 (Supra, p.107-111).

[12]. Voir Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 2 (Supra, p.107-111). Voir en ce sens : Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.494 ; Schmitt, op. cit., p.235-236 ; Burdeau, Traité..., op. cit., t. IV, p.197, 240 ; Conac, « Article 11 », op. cit., p.439-440 ; Burdeau, Hamon et Troper, op. cit., 23e éd., p.441.

[13]. Voir par exemple, Onar, op.cit., p.178-180, 185; Özbudun, op. cit., 1re éd.,1987, p.399.

[14]. Onar, op. cit., p.180.

[15]. Cette sous-section, § 3.

[16]. Troper, « La Constitution et ses représentations sous la Ve République », op. cit., p.70.

 

[17]. La version adoptée par la révision constitutionnelle du 17 mai 1987 prévoit en principe une majorité au trois tiers du nombre total de l'Assemblée nationale. Cependant en cas du renvoi la loi constitutionnelle à l'Assemblée en vue d'une nouvelle délibération par le président de la République, la loi constitutionnelle doit être adoptée par les deux tiers du nombre total de l'Assemblée nationale (Voir Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 3, C et D).

[18]. Conclusion de cette section.

[19]. Troper, « La Constitution et ses représentations sous la Ve République », op. cit., p.62.

[20]. Ibid.

[21]. A cette occasion, signalons qu'en Turquie, la Constitution de 1982 (art.152) prévoit non seulement le contrôle abstrait des normes (contrôle par voie d'action), mais aussi le contrôle concret des normes (contrôle par voie d'exception). Le contrôle concret s'exerce à la suite de la saisine d'office par un tribunal ou à la demande d'une des parties du procès. Mais dans ce dernier cas, le tribunal estime si l'exception d'inconstitutionnalité est sérieuse (Voir les modalités de contrôle de la Cour constitutionnelle turque en langue français : Ergec, op. cit., p.76-78 ; Dominique Turpin et Akif Menevse, « Turquie », Annuaire international de justice constitutionnelle, vol.VIII, 1992, p.732-735).

[22]. Les décisions des 12 octobre 1976 (Expropriation II), 27 janvier 1977 (Conseil supérieur des juges) et 27 septembre 1977 (Conseil supérieur des procureurs).

[23]özbudun, op. cit., 1re éd., 1987, p.373.

[24]. Onar, op. cit., p.168.

[25]. Ergec, op. cit., p.77.

[26]. 60 jours (art.151).

[27]. Onar, op. cit., p.176-177. Voir également A. Seref Gözübüyük, Anayasa Hukuku [Droit constitutionnel], Ankara, S Yayinlari, 1991, p.253 ; Lûtfi Duran, « Türkiye'de Anayasa Yargisinin Islevi ve Konumu » [La fonction et la situation de la juridiction constitutionnelle en Turquie], Anayasa Yargisi [Juridiction constitutionnelle], Ankara, Anayasa Mahkemesi Yayinlari, 1984, p.68.

[28]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 3, D.

[29]. Onar, op. cit., p.172.

[30]. Aliefendioglu, op. cit., p.112.

[31]. Onar, op. cit., p.172.

[32]. C'est‑à‑dire dans le sens « action de faire connaître au public ».

[33]. Pour les questions concernant la promulgation voir Cette partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2. La promulgation et la publication sont deux actes différents. La promulgation est suivie de la publication. La promulgation rend la loi exécutoire, alors que la publication la rend opposable aux citoyens. Voir Marcel Waline, « Introduction » in Jacques Bernard Herzog, Georges Vlachos et Marcel Waline (sous la direction de-), La promulgation, la signature et la publication des textes législatives en droit comparé, Paris, Travaux et recherches de l'Institut de droit comparé de l'Université de Paris, Les Editions de l'Epargne, 1961, p. 4. Egalement voir Massot, « Article 10 », op. cit., p.402 ; Sauvignon, op. cit., p.991. Il faut signaler qu'en droit constitutionnel turc, il n'est pas coutume de distinguer entre la promulgation [isdar] et la publication [yayin]. D'ailleurs non seulement la Constitution, mais aussi la doctrine utilisent le mot « publication » [yayin] à la place de celui de « promulgation » [isdar]. Voir à ce propos : Özbudun, op. cit., 1987, p.181 ; Teziç, Türkiye'de 1961 Anayasasina Göre Kanun Kavrami [La notion de loi en Turquie d'après la Constitution de 1961], op. cit., p.139‑140.

[34]. D'ailleurs, le mot turc « yayimlama » (littéralement : publication) utilisé dans cet article a été traduit, à juste titre, par la Direction générale turque de la presse, comme « promulgation ». Voir Constitution de la République turque de 1982, Ankara, Direction générale turque de la presse, 1982, p.51.

[35]. Nous avons étudié ces limites dans la première partie (Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 1).

[36]. Voir par exemple, Bakir çaglar, Anayasa Bilimi [Science constitutionnelle], Istanbul, B.F.S. Yayinlari, 1989, p.85.

[37]. Yildizhan Yayla, « 1982 Anayasasina Göre Devletin Özü » [L'essence de l'Etat selon la Constitution de 1982], Idare Hukuku ve Ilimleri Dergisi [Revue du droit et des sciences administratives], 1983, n° 1-3, p.145.

[38]Ibid., p.148.

[39]. Yildizhan Yayla, Anayasa Hukuku Ders Notlari [Les leçons de droit constitutionnel], Istanbul, Filiz Kitabevi, 1985, p.86.

[40]. Voir par exemple, Özbudun, op. cit., 3e éd., p.138 ; Onar, op. cit., p.159-161 ; Kuzu, op. cit., p.71.

[41]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1987-15 du 18 juin 1987, (Abrogation de l'article transitoire 4), A.M.K.D., n° 23, 1989, p.282-294.

[42]Resmi Gazete [Journal officiel] du 18 mai 1987, n° 19464bis [Mükerrer].

[43]. « Les personnes qui étaient le 1er janvier 1980 ou qui ont été par la suite président national, vice-président ou président par intérim, secrétaire générale... des ces partis [les partis politiques dissous en vertu de la loi n° 2533 du 16 octobre 1981] ne peuvent pendant dix ans suivant la date de l'adoption de la Constitution par référendum [le 7 novembre 1982], ni fonder un parti politiques..., ni être candidats aux élections parlementaires. [...]

Les personnes qui étaient le 1er janvier 1980 membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie, en tant que députés ou sénateurs ne peuvent, pendant les cinq ans suivant la date de l'adoption de la Constitution par référendum, ni fonder un parti politique, ni assumer de fonctions de fonctions dans les comités exécutifs centraux ou instances similaires des partis politiques qui seront fondés ».

[44]. Par ailleurs, cette disposition était contraire encore à la nouvelle version de l'article 175. Car, comme nous l'avons vu (Première partie, Titre 1, Chapitre premier, Section 2, § 3, D), dans la nouvelle version non plus, le référendum obligatoire tel que prévoit l'article 4 de la loi constitutionnelle du 17 mai 1987 n'existait pas.

[45]. Résumé de l'exposé des motifs des auteurs de la saisine, in A.M.K.D., n° 23, 1989, p.282-283.

[46]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1987-15 du 18 juin 1987, (Abrogation de l'article transitoire 4) in A.M.K.D., n° 23, 1989, p.285-286.

[47]. Signalons que sous la Constitution de 1982, la Cour constitutionnelle turque se compose de 11 membres (article 146). Le membre minoritaire est Yekta Güngör Özden.

[48]. Opinion dissidente de Yekta Güngör Özden, in décision n° 1987-15 du 18 juin 1987, (Abrogation de l'article transitoire 4), A.M.K.D., n° 23, 1989, p.291.

[49]Ibid., p.292.

[50]Ibid., p.291.

[51]Ibid., p.292.

[52]Ibid., p.293. Y. Güngör Özden affirme que, dans ces conditions, « le vote d'adoption n'est plus un élément accomplissant le processus d'adoption » (Ibid., p.203).

[53]Ibid., p.292.

[54]. Mümtaz Soysal, « Ek Kosul » [Condition supplémentaire], Milliyet, 9 juin 1987, p.2.

[55]. Signalons que, comme on l'a vu (Cette section, Sous-section 1, § 1, B, 2, supra, p.606), le professeur Soysal, sous la Constitution de 1961, était celui qui a critiqué le plus sévèrement l'interprétation large par la Cour constitutionnelle de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Par exemple, selon lui, comme on s'en souviendra, dans cette interprétation se cachait le danger du « gouvernement des juges ». Voir Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], 4e éd., 1977, op. cit., p.218‑219).

[56]. Turgut Kazan, « Référendum Anayasa Mahkemesi'nde [Le référendum devant la Cour constitutionnelle] », Cumhuriyet, 8 juin 1987, p.2, cité par Onar, op. cit., p.156 ; Necip Bilge, « Anayasaya Uygunluk Denetimi ve Kaçirilan Firsatlar [Le contrôle de conformité à la Constitution et les occasions manquées] », Cumhuriyet, 3 septembre 1987, p.2, cité par Onar, op. cit., p.156 ; Necmi Yüzbasioglu, « Halkoylamasi Yargisal Sonuçlar Doguracaktir [Le référendum entraînera des conséquences juridictionnelles] », Milliyet, 30 Haziran 1987, p.11, cité par Onar, op. cit., p.157. Egalement pour le même problème voir, Hikmet Sami Türk, « Siyasal Yasaklar ve Anayasa Mahkemesi [Les interdictions politiques et la Cour constitutionnelle] », Yanki, n° 845, 8-14 juin 1987, p.17.

[57]. Turgut Kazan, « Referendum Anayasa Mahkemesi'nde » [Le référendum devant la Cour constitutionnelle], Cumhuriyet, 8 juin 1987, p.2, cité par Onar, op. cit., p.156.

[58]. Par exemple Özbudun, op. cit., 1993, p.139 ; Onar, op. cit., p.157 ; Serap Hamzaoglu, 1982 Anayasasinin Degistirilmesi Sorunu [La question de la révision de la Constitution de 1982], Milliyet Gazetesi 1989 Yili Yarisma Birincisi (Lauréate du prix Milliyet de l'année 1989), texte dactylographié, p.103, cité par Onar, op. cit., p.157.

[59]. Hamzaoglu, op. cit., p.103 cité par Onar, op. cit., p.157.

[60]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 3.

[61]. Cette sous-section, § 1, A.

[62]. Cette sous-section, § 1, A.

[63]. Cette sous-section, § 1, B.

[64]. Cette section, Conclusion

[65]. Cette sous-section, § 1.

[66]. Ce titre, Chapitre 1.

[67]. Cette sous-section, § 1, A.

[68]. Cette sous-section, § 1, A.

[69]. Cette sous-section, § 1, A.

[70]. Cette sous-section, § 1, B.

[71]. Cette sous-section, § 2, A.

[72]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 1, § 2 et § 3.

[73]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 3.

[74]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 1.

[75]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.360.

[76]. Par analogie à l'argumentation développée par Kelsen (Théorie pure du droit, op. cit., p.360).

[77]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.17.

[78]. Ce paragraphe est l'application de l'argumentation de Kelsen à notre problème (Théorie pure du droit, op. cit., p.362-363).

[79]Cf. Troper, « Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle », op. cit., p.141.

[80]Cf. Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.603.

[81]. Hans Kelsen affirme la même chose en ce qui concerne les lois ordinaires lorsque la constitution refuse expressément aux organes de l'application des lois le pouvoir de contrôler la constitutionnalité de ces lois. Selon lui, dans une telle hypothèse, « seul l'organe de législation a le pouvoir de décider lui-même si la loi qu'il a adoptée est constitutionnelle, c'est‑à‑dire si tant la procédure suivant laquelle il l'a adoptée que le contenu qu'il lui a donnée sont conformes à la Constitution... Ceci signifie que tout ce que cet organe de la législation édicte comme loi doit être considéré comme loi au sens de la Constitution » (Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.362).

[82]. Ce titre 2, Chapitre 1.

 


 

Conclusion de la Section 2
(Le problème du contrôle de la constitutionnalité
des lois constitutionnelles en Turquie)

 

 

En Turquie, sous les Constitutions de 1961 et 1982, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et la réglementation constitutionnelle effectuée comme une réaction à cette jurisprudence par le pouvoir constituant originaire et par le pouvoir de révision constitutionnelle peuvent se résumer comme suit.

1. Sous la Constitution de 1961, avant la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu. De plus elle a élargi, par l'interprétation, l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution de 1961. Selon la Cour constitutionnelle, non seulement l'article 1er qui dit que « l'Etat turc est une République », mais aussi l'article 2 qui détermine les caractéristiques de cette République étaient intangibles.

2. Comme réaction à cette jurisprudence, la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle, en révisant la Constitution de 1961 dans son article 147, par la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, a interdit expressément à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.

Ainsi la compétence de la Cour constitutionnelle a été réduite. Elle n'était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles que sur la forme. Ceci alors qu'elle s'était reconnue la compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond avant la révision constitutionnelle de 1971.

Si la Cour constitutionnelle n'avait pas inclus les caractéristiques de la République (Etat de droit démocratique, laïque, social, etc.) dans l'interdiction de réviser la Constitution prévue dans l'article 9, le pouvoir de révision constitutionnelle n'aurait pas eu le besoin de lui interdire la compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. En d'autres termes, si la Cour constitutionnelle n'avait pas élargi, par l'interprétation, l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, elle aurait pu garder la compétence pour vérifier la conformité à cette interdiction des lois constitutionnelles. Ainsi, quitte à élargir l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, la Cour constitutionnelle a vu la réduction de sa compétence pour contrôler la conformité à cette règle des lois constitutionnelles. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle, pour obtenir encore plus, a perdu ce qui était entre ses mains.

La Cour constitutionnelle est allée trop loin dans l'utilisation de son pouvoir d'interprétation authentique. Elle n'a pris en considération une éventuelle réaction du pouvoir de révision constitutionnelle. De ce fait, elle a subi les conséquences de son interprétation large de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution : sa compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond a été supprimée. De plus elle a provoqué, dans la société, un débat sur la légitimité de son existence même.

3. Plus grave encore, la Cour constitutionnelle turque n'a pas tiré la leçon de ce qui s'est passé : elle a continué à aller trop loin dans son pouvoir d'interprétation authentique.

Ainsi, après 1971, la Cour constitutionnelle n'avait qu'une compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Mais cette fois-ci, en forçant encore les mots, elle a défini le contrôle de forme d'une façon très large : elle a affirmé que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution était une règle de forme, et par conséquent elle pouvait contrôler la conformité à cette règle des lois constitutionnelles.

Dans cette période non plus, la Cour constitutionnelle n'a pas pris en considération la réaction éventuelle du pouvoir constituant, dans son interprétation authentique.

4. Cette fois-ci, c'est le pouvoir constituant originaire qui a fait la Constitution turque de 1982 qui a réagi contre cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Le constituant originaire de 1982 a défini, dans l'article 148, alinéa 2, de la nouvelle Constitution, en quoi consiste le contrôle de forme. Ainsi avec cette disposition, la compétence de la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme est limitée à la vérification de ces trois conditions : les majorités nécessaires à leur proposition, à leur adoption et la condition d'après laquelle elles ne peuvent pas être délibérées selon la procédure d'urgence. D'ailleurs, le pouvoir constituant originaire de 1982 a posé une règle très efficace pour empêcher les décisions d'annulations de la Cour constitutionnelle. Selon l'article 149, alinéa 1, de la Constitution de 1982, la Cour constitutionnelle ne peut décider l'annulation des révisions constitutionnelles qu'à la majorité des deux tiers de ses membres.

Comme on le voit, cette fois, la Cour constitutionnelle a encore cher payé sa définition large du contrôle de forme. D'une part, elle a vu réduire l'étendue de sa compétence pour le contrôle de forme, et d'autre part, l'annulation des révisions constitutionnelles est soumise à une étrange condition pour un tribunal : la majorité des deux tiers. Si l'on se souvient que, sous la Constitution de 1961, la Cour constitutionnelle a prononcé l'annulation des lois constitutionnelles toujours par 8 voix contre 7, l'efficacité de disposition apparaît clairement.

Comme nous l'avons montré plus haut, si la Cour constitutionnelle, sous la Constitution de 1961, n'avait pas affirmé que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme, il nous semble que le pouvoir constituant originaire qui fait la Constitution de 1982 n'aurait pas eu le besoin, d'une part, de définir limitativement en quoi consistait le contrôle de forme des lois constitutionnelles, et d'autre part de poser cette condition de majorité des deux tiers qui est inhabituelle pour un tribunal.

Enfin sous la Constitution de 1982, la Cour constitutionnelle a changé sa jurisprudence et s'est déclarée incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. D'ailleurs elle a affirmé que son contrôle de forme est limité à la vérification des trois conditions mentionnées dans l'article 148, alinéa 2.

Ainsi, quitte à élargir l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, la Cour constitutionnelle s'est vue, d'une part, définir limitativement le contrôle de forme, et d'autre part, imposer une condition de majorité qualifiée pour prononcer l'annulation des lois constitutionnelles. Ainsi, la Cour constitutionnelle, cette fois aussi, pour obtenir encore plus, a perdu ce qui est entre ses mains.

a. La confirmation de la théorie réaliste de l'interprétation

Il nous semble qu'en Turquie, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles confirme la théorie réaliste de l'interprétation.

D'abord rappelons que selon la théorie classique de l'interprétation[1], « il existe pour toute situation une règle applicable, lorsque cette règle n'est pas claire, le juge doit retrouver la volonté du législateur, mettre au jour un sens qui est déjà là, quoique caché »[2]. Par conséquent selon cette théorie, le juge aurait simplement pour tâche d'appliquer la loi. Il n'est donc pas créateur[3]. En d'autres termes, « selon la conception traditionnelle, la décision juridictionnelle est le produit d'un syllogisme, construit sur le modèle : ‘tous les voleurs doivent être punis de prison ; Dupont est un voleur ; donc Dupont doit être puni de prison’. La prémisse majeure est la loi applicable, la mineure le fait et la conclusion la sentence. Ainsi, la décision n'en est pas réellement une et on comprend que le pouvoir judiciaire soit considéré ‘en quelque sorte nul’, selon la formule de Montesquieu »[4].

Par contre selon la théorie réaliste de l'interprétation[5], « la prémisse majeure, la loi, n'est pas réellement donnée au juge, il doit en interpréter le texte, déterminer sa signification. C'est donc lui qui devient  le véritable créateur de cette prémisse, le véritable législateur. Voilà donc l'essence de la théorie réaliste  de l'interprétation : le véritable législateur n'est pas l'auteur du texte, c'est l'interprète »[6].

La théorie réaliste de l'interprétation s'explique d'abord par la « nécessité d'une interprétation avant tout acte d'application du droit »[7]. Car, comme on l'a vu dans la première partie[8], la norme n'est pas le texte lui-même, mais sa signification. Et « un texte peut être porteur de plusieurs sens »[9], c'est-à-dire qu'« il peut contenir plusieurs normes entre lesquelles l'organe d'application  doit choisir celle qu'il appliquera. Avant que ce choix n'intervienne, il n'y a pas de norme à appliquer, mais seulement un texte. C'est l'interprétation qui, en quelque sorte, insère  dans ce texte  une norme précise... On sait que ce choix est le résultat dans tous les cas d'une opération  de la volonté, qu'elle est manifestation  du libre arbitre de l'organe d'application. C'est lui qui, à proprement parler, pose lui-même la norme qu'il appliquera »[10].

D'autre part, selon la théorie réaliste de l'interprétation, « l'interprétation est un acte de volonté et non pas un acte de connaissance »[11].  Cela tient à deux facteurs : Le premier est qu'il n'existe pas de signification objective susceptible d'être connue. Car, « il est difficile, voire impossible, de connaître  l'état mental de chacun des auteurs du texte, au moment où ils l'ont adopté »[12]. Et le deuxième facteur, comme l'explique Michel Troper, tient au fait que « l'interprétation donnée par certains organes de l'ordre juridique présente un caractère authentique. On désigne par là le caractère d'une interprétation, qui ne peut être juridiquement contestée et qui est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques[13]. Est ainsi authentique l'interprétation de la loi donnée par une Cour souveraine ou celle que donne de la Constitution un juge constitutionnel ou un chef d'Etat, dans les hypothèses où il n'existe pas de voie de recours contre ses actes. Elle n'est pas susceptible d'être vraie ou fausse. Nul en effet ne pourrait la contester efficacement, d'une part parce qu'il n'existe pas d'interprétation standard à laquelle on pourrait confronter, d'autre part parce qu'elle n'est pas annulable et produit des effets quel que soit son contenu. On peut donc seulement dire qu'elle est valide »[14].

Il résulte de là que l'organe d'application du droit, par son interprétation authentique crée du droit. A cet égard, Kelsen observe que « la voie de l'interprétation authentique, c'est-à-dire de l'interprétation des normes par les organes juridiques qui doivent les appliquer, ne permet pas seulement de réaliser l'une d'entre les possibilités révélées par l'interprétation – à base de connaissance – des normes à appliquer, mais peut également aboutir à la création de normes qui sont tout à fait en dehors du cadre que constituent  les normes à appliquer »[15].

* * *

Si l'on examine la constitution à la lumière de la théorie réaliste de l'interprétation, on peut affirmer que la constitution « n'a pour contenu que les normes posées par l'interprétation des organes d'application et ces derniers ne sont jamais soumis qu'à leur propre volonté. En particulier, ils interprètent les dispositions qui définissent leurs compétences, qu'ils déterminent donc eux‑mêmes »[16]. En d'autres termes la « norme n'est que la signification du texte. Cette signification est librement déterminée par un acte de volonté de l'interprète, ici le juge constitutionnel. La norme constitutionnelle n'est donc pas pour lui un donné, car avant l'interprétation, il n'y a pas de norme »[17].

Bref, les organes d'application de la constitution posent eux-mêmes les normes constitutionnelles. Cependant, ces mêmes organes sont créés et organisés par la constitution. Et d'autre part, « il est certain que l'acte de volonté par lequel le constituant adopte une disposition constitutionnelle a la signification subjective d'une norme. Mais, il ne saurait avoir la signification objective d'une norme que si l'ordre juridique attache à sa violation certaines conséquences de droit. Or, c'est précisément, on l'a vu, l'interprétation qu'en donneront les organes d'application qui permettra de déterminer s'il y a violation et s'il y a lieu par conséquent d'appliquer les actes prévus en pareil cas. C'est donc bien l'interprétation – et donc l'application de la constitution – qui seule peut conférer aux dispositions constitutionnelles la signification objective de normes. La constitution apparaît alors non comme un complexe de normes juridiques, mais comme un ensemble de dispositions ayant la signification subjective de normes. Le constituant ne pose pas de véritables normes[18], mais exprime sa volonté que certaines autorités, individus ou collèges, soient organisés de telle manière, qu'ils puissent édicter tels types d'actes, séparément ou conjointement, qu'ils aient tel type de relations mutuelles. Le mot de ‘constitution’ doit ainsi être pris dans son sens primaire : ce n'est pas un corps de règles; c'est une 'organisation', un système d'organes »[19].

* * *

Maintenant nous allons essayer d'appliquer la théorie réaliste de l'interprétation aux dispositions de la Constitution turque de 1961 qui règlent la création des lois constitutionnelles (art.155) et qui lui imposent des limites (art.9).

D'abord on peut affirmer que selon la théorie classique de l'interprétation, les dispositions des articles 155 et 9 de la Constitution de 1961 qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont obligatoires. Parce qu'il y a, en Turquie, une Cour constitutionnelle compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Et cette Cour va assurer le respect de ces dispositions. Le pouvoir de la Cour constitutionnelle peut être considéré ‘en quelque sorte nul’, selon la formule de Montesquieu. Car, en contrôlant la constitutionnalité des lois constitutionnelles, elle n'applique que des dispositions des articles 155 et 9 de la Constitution. Elle n'est donc pas le créateur des limites à la révision constitutionnelle.

Par contre, selon la théorie réaliste de l'interprétation, on ne peut pas affirmer catégoriquement que les dispositions des articles 155 et 9 de la Constitution de 1961 qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont obligatoires. Car, d'une part, la Cour constitutionnelle doit au préalable déterminer le sens du texte de ces dispositions, avant de contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces dispositions. Et, d'autre part, le texte de ces dispositions est toujours affecté d'un certain degré d'indétermination et est porteur de plusieurs sens. Dire que les textes des articles 155 et 9 de la Constitution de 1961 qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle peuvent être porteurs de plusieurs sens, c'est dire qu'ils peuvent porter plusieurs normes entre lesquelles la Cour constitutionnelle peut choisir celle qu'il appliquera. Et c'est dans ce choix que consiste l'interprétation des limites à la révision constitutionnelle. D'autre part, l'interprétation donnée à ces dispositions par la Cour constitutionnelle turque a le caractère authentique, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas être juridiquement contestée et elle est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques. Autrement dit, c'est seulement cette interprétation qui détermine la signification « officielle » de ces dispositions. Par conséquent, le pouvoir de révision constitutionnelle n'est pas soumis au texte des articles 155 et 9 de la Constitution de 1961, mais à une norme créée par la Cour constitutionnelle turque, autrement dit à l'une des significations de ce texte choisie par cette Cour.

Alors, il résulte de tout ce qui a été dit que, lorsque la Cour constitutionnelle turque contrôle la constitutionnalité des lois constitutionnelles, la norme constitutionnelle qui limite la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle, n'est pas réellement donnée à la Cour, mais en interprétant le texte des articles 155 et 9 de la Constitution de 1961, elle doit déterminer leur signification, c'est-à-dire, créer la norme.

En effet dans les décisions rendues, sous la Constitution de 1961, sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles, la Cour constitutionnelle turque, en interprétant le texte des articles 155 et 9 de la Constitution de 1961, a déterminé la signification de ces articles, c'est‑à‑dire qu'elle a créé la norme qui limite la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle.

Nous avons longuement étudié, plus haut, cette « norme » créée par l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle. Ainsi nous avons constaté que selon cette interprétation, l'interdiction de réviser la Constitution prévue dans l'article 9 de la Constitution de 1961 protège, non seulement, la forme républicaine de l'Etat déterminée dans l'article 1, mais aussi, les caractéristiques de la République définies dans l'article 2 de la Constitution. Nous avons critiqué cette interprétation, cependant nous avons constaté que c'est la seule interprétation qui est juridiquement valable.

Alors, c'est donc la Cour constitutionnelle qui est devenue le véritable créateur des normes constitutionnelles qui limitent l'Assemblée nationale, organe de révision constitutionnelle. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle est devenue un véritable pouvoir constituant dérivé. En réalité il faudrait aller plus loin et dire que la Cour constitutionnelle est devenue même un organe supérieur au pouvoir constituant dérivé, car elle peut invalider les révisions constitutionnelles adoptées par ce pouvoir. C'est pourquoi, il n'est pas étonnant de voir que, dans la doctrine constitutionnelle turque, certains auteurs ont reproché à la Cour constitutionnelle de se considérer comme un organe supérieur même au pouvoir constituant[20]. En réalité, selon la théorie réaliste de l'interprétation, ceci est une conséquence tout à fait attendue.

Voilà la conséquence constitutionnelle de la théorie réaliste de l'interprétation pour le système de la Constitution turque de 1961 : le véritable pouvoir constituant dérivé n'est pas la Grande Assemblée nationale de Turquie, auteur des lois constitutionnelles, mais c'est la Cour constitutionnelle turque, interprète authentique des limites à la révision constitutionnelle.

En conclusion, on peut affirmer que, selon la théorie réaliste de l'interprétation, que la Cour constitutionnelle soit compétente ou incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, les dispositions des articles 155 et 9 de la Constitution de 1961 ne s'imposent pas aux lois constitutionnelles[21]. Car,  lorsque la Cour constitutionnelle est incompétente, l'Assemblée nationale, organe de révision constitutionnelle, n'est pas soumise aux limites exprimées par ces dispositions. Mais même si la Cour constitutionnelle se déclare compétente pour un tel contrôle, la situation ne change point. Car, cette fois-ci,  l'Assemblée nationale, organe de révision constitutionnelle, est soumise, non pas aux limites  qui lui sont imposées par le pouvoir constituant originaire, mais  à leur signification donnée par la Cour constitutionnelle. Alors, dans cette hypothèse, c'est la Cour constitutionnelle qui n'est pas elle‑même soumise à la suprématie du pouvoir constituant originaire, et non pas l'Assemblée nationale, organe de révision constitutionnelle. Par conséquent selon la théorie réaliste  de l'interprétation, la Cour constitutionnelle devient le véritable pouvoir constituant dérivé.

En effet, une telle conclusion présuppose qu'en Turquie sous la Constitution de 1961, le « pouvoir de révision constitutionnelle » est la seule Grande Assemblée nationale de Turquie, auteur du texte de la loi constitutionnelle. Mais, le véritable pouvoir de révision constitutionnelle n'est pas seulement l'auteur du texte de la loi constitutionnelle, c'est l'ensemble de ceux qui participent à sa confection, y compris l'organe du contrôle de la constitutionnalité de cette loi[22]. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle turque est un « co‑pouvoir de révision constitutionnelle » ou « co‑auteur des lois constitutionnelles ». Comme l'explique Michel Troper, la qualité de co‑auteur est déterminée à l'aide d'un simple critère : « est auteur ou co‑auteur d'un acte, toute autorité qui participe de manière décisionnelle au processus d'édiction de l'acte, autrement dit toute autorité dont le consentement est indispensable à la formation de l'acte »[23]. Et selon ce critère, on peut dire que la Cour constitutionnelle turque est le co-auteur des lois constitutionnelles, car elle peut annuler ou valider ces lois.

On peut alors conclure qu'en Turquie, sous la Constitution de 1961, le pouvoir de révision constitutionnelle est exercé par un ensemble d'organes, dont l'un des organes est la Grande Assemblée nationale de Turquie, auteur formel des lois constitutionnelles, et dont l'autre organe partiel est la Cour constitutionnelle turque, organe chargé de contrôler ces lois.

B. La confirmation de la conception mécaniste de la constitution

La limitation du pouvoir de révision constitutionnelle se réalise, comme le montre la théorie réaliste de l'interprétation, non pas par les dispositions de la Constitution qui déterminent les limites à la révision constitutionnelle (art.155 et 9 de la Constitution de 1961), mais par les réactions réciproques des deux co-auteurs des lois constitutionnelles, c'est‑à‑dire de la Grande Assemblée nationale de Turquie et de la Cour constitutionnelle turque. Et ce dernier point montre que la pratique du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Turquie confirme aussi la conception mécaniste de la constitution.

D'abord  il convient de noter qu'il y a principalement deux conceptions opposées de la constitution : la conception juridique et la conception mécaniste.

Selon la conception juridique[24], la constitution est considérée comme l'ensemble des normes juridiques, obligatoires pour les pouvoirs publics[25]. En d'autres termes, dans cette conception, la constitution est perçue comme un texte juridique obligatoire. Selon cette conception, on peut affirmer que les dispositions (art. 155 et 9) de la Constitution de 1961 qui limitent le pouvoir de révision constitutionnelle sont perçues comme des normes juridiques obligatoires et par conséquent elles lient l'Assemblée nationale, organe de révision constitutionnelle.

Par contre, dans la conception mécaniste de la constitution[26], la constitution est perçue « comme l'organisation même du pouvoir politique dans l'Etat, dans laquelle les autorités ont des compétences et des moyens d'actions mutuels si bien équilibrés qu'elles ne pourraient pas, même si elles le voulaient, outrepasser leurs pouvoirs. Elles ne sont pas à proprement parler soumises à des obligations mais à des contraintes, qui résultent pour chacune d'elles de leur insertion dans un système complexe »[27]. Comme l'affirme Michel Troper, « les conduites des pouvoirs publics ne sont pas perçues comme l'application ou la violation de normes obligatoires[28], mais comme le produit d'un ensemble complexe de causes, parmi lesquelles figurent les dispositions constitutionnelles et leurs relations mutuelles. La question n'est pas de savoir ce qu'une autorité doit faire ou ce qu'il lui est permis de faire, mais ce qu'il lui sera possible de faire »[29]. En d'autres termes, « si l'on considère... les dispositions constitutionnelles non pas isolément, mais dans leurs relations mutuelles, on doit constater non qu'elles obligent ou habilitent, mais qu'elles rendent possibles des stratégies. Si la Constitution est un ensemble de règles, ce ne sont pas des règles juridiques, mais les règles d'un jeu : chacun des acteurs choisit entre plusieurs conduites, non pas en fonction de la formulation linguistique des dispositions, mais en considérant les réactions qu'il peut déclencher de la part de ses partenaires »[30].

Michel Troper conclut en disant que la constitution « n'est pas obligatoire, mais dans la mesure où elle englobe tous les pouvoirs publics dans un faisceau de relations nombreuses et complexes, elle limite la liberté de chacun de déterminer seul ses propres compétences. Cette limitation n'est pas d'ordre juridique. Il ne s'agit pas d'obligation, mais de contrainte»[31].

* * *

Maintenant appliquons la conception mécaniste aux dispositions de la Constitution turque de 1961 qui règlent la création des lois constitutionnelles (art.155) et qui leur imposent quelques limites (art.9).

Dans cette conception on peut alors affirmer que les dispositions des articles 155 et 9 de la Constitution de 1961 qui règlent la création des lois constitutionnelles et parfois qui leur imposent des limites ne sont pas obligatoires. Elles n'obligent pas la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle ; mais elles constituent seulement des contraintes à cet organe. Par conséquent l'action de la Grande Assemblée nationale de Turquie ne peut être perçue comme l'application ou la violation des dispositions des articles 155 et 9 de la Constitution de 1961 ; mais comme le produit d'un ensemble complexe de causes, parmi lesquelles figurent ces dispositions de la Constitution. Alors la question n'est pas de savoir ce que la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle, doit faire ou ce qu'il lui est permis de faire, mais ce qu'il lui sera possible de faire. En d'autres termes, dans cette conception, on ne peut pas parler, pour la Grande Assemblée nationale de Turquie, de l'obligation de se conformer aux dispositions des articles 155 et 9 de la Constitution de 1961 qui déterminent les limites à la révision constitutionnelle. Ainsi la question se concentre sur le point de savoir s'il est possible ou non à l'Assemblée nationale de ne pas s'y conformer. Et l'Assemblée nationale choisira entre les conduites de se conformer et de ne pas se conformer à ces limites, non pas en fonction de la formulation linguistique des dispositions constitutionnelles qui les prévoient, mais en considérant les réactions qu'elle peut déclencher de la part de ses partenaires, à savoir la Cour constitutionnelle turque.

Ainsi en Turquie, sous la Constitution de 1961, lorsque la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle, adoptait une loi de révision constitutionnelle, elle devait prendre en considération la réaction, c'est-à-dire une éventuelle décision d'annulation, de la Cour constitutionnelle turque. Car, comme nous l'avons vu, cette Cour s'est considérée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles et a annulé plusieurs lois constitutionnelles, pour cause, selon sa propre interprétation, de la non-conformité aux limites prévues dans les articles 155 et 9 de la Constitution de 1961. Dans ce cas, ces limites ont été sanctionnées par l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle.

Par contre, sous la Constitution de 1982, la liberté de la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle, est plus large. Lorsqu'elle adopte une loi constitutionnelle, elle doit faire attention seulement aux trois conditions de forme : les majorités nécessaires à sa proposition et à son adoption et l'interdiction d'en débattre selon la procédure d'urgence. Car, la réaction, c'est-à-dire une éventuelle décision d'annulation de la Cour constitutionnelle turque, ne peut être effectuée que pour le non-respect de ces trois conditions. En effet, comme nous l'avons étudié, la Constitution de 1982 interdit expressément à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles sur d'autres points. D'ailleurs la Cour constitutionnelle elle aussi s'est déclarée incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles en dehors de ces trois conditions de forme. Alors, sous la Constitution de 1982, même si des limites matérielles sont plus nombreuses que celles de la Constitution de 1961, elles ne s'imposent pas obligatoirement à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle, car la Cour constitutionnelle est incompétente pour contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces limites.

Alors selon la conception juridique de la constitution, le pouvoir de révision constitutionnelle, sous la Constitution de 1982, est plus limité que sous la Constitution de 1961. Car, les dispositions intangibles de la Constitution de 1982 sont plus nombreuses que celle de la Constitution de 1961. Cependant, ces dispositions sont privées de la force obligatoire, car la Cour constitutionnelle est incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles à l'égard de ces dispositions. Alors, puisque la Cour constitutionnelle ne peut pas montrer une réaction en dehors de trois conditions de forme mentionnées ci-dessus, le pouvoir de révision constitutionnelle peut ne pas prendre en considération ces limites matérielles.

Mais selon la conception mécaniste, la même conclusion doit être affirmée non seulement à l'égard de la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle, mais aussi à l'égard de la Cour constitutionnelle, organe chargée de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Car, la Cour constitutionnelle, elle non plus, n'agit pas seule en fonction des dispositions constitutionnelles, mais en fonction d'un ensemble complexe de causes. Surtout, comme nous l'avons montré plus haut, la Cour constitutionnelle doit prendre en considération les réactions qu'elle peut déclencher de la part de ses partenaires, à savoir de la part du pouvoir de révision constitutionnelle. En effet, comme nous l'avons expliqué, comme réaction à l'interprétation large par la Cour constitutionnelle de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution de 1961, la Grande Assemblée nationale de Turquie, organe de révision constitutionnelle, par la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, a interdit expressément à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Egalement, comme réaction à l'interprétation de la Cour selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme, le pouvoir constituant originaire qui a fait la Constitution de 1982 a expressément défini limitativement en quoi consistaient les règles de forme. D'ailleurs le même pouvoir constituant a posé la règle selon laquelle la Cour constitutionnelle ne peut annuler une révision constitutionnelle qu'à la majorité des deux tiers de ses membres.

En conséquence, d'abord, la Grande Assemblée nationale de Turquie doit prendre en considération la réaction de la Cour constitutionnelle, lorsqu'elle adopte une loi constitutionnelle, car cette loi constitutionnelle pourrait être annulée par la Cour constitutionnelle. Mais d'autre part, la Cour constitutionnelle, elle aussi, doit prendre en considération la réaction de la Grande Assemblée nationale de Turquie, lorsqu'elle contrôle la constitutionnalité de cette loi constitutionnelle, car l'Assemblée nationale, en adoptant une révision constitutionnelle, peut réduire sa compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

En conclusion, en Turquie, les différentes réglementations constitutionnelles et les différentes décisions de la Cour constitutionnelle confirment, d'une part, la théorie réaliste de l'interprétation, et d'autre part, la conception mécaniste de la constitution, en matière du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.


 

1. H.L.A. Hart appelle cette théorie le « formalisme ». Voir Hart, op. cit., p.155.

2. Troper, « Le positivisme comme théorie du droit », op. cit., p. 280.

[3]. Ibid., p.279.

[4]. Michel Troper, « Justice constitutionnelle et démocratie », Revue française de droit constitutionnel, n°1, 1990, p.36 ; Id., Pour une théorie juridique de l'Etat, op. cit., p.334.

[5]. H.L.A. Hart appelle cette théorie « rule-scepticism ». Voir Hart, op. cit., p.169-174.

[6]. Troper, « Justice constitutionnelle et démocratie », op. cit., p.36. C'est nous qui soulignons. Egalement Michel Troper, « Kelsen, la théorie de l'interprétation et la structure de l'ordre juridique », Revue internationale de philosophie, 1981, p.525 ; Id., « Un système pure du droit... », op. cit., p.133.

 

[7]. Troper, « Justice constitutionnelle et démocratie », op. cit., p.34. Voir aussi Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.453 : « Si  un organe juridique doit appliquer le droit, il faut nécessairement qu'il établisse le sens des normes qu'il a mission d'appliquer, il faut nécessairement qu'il interprète ces normes ».

[8]. Titre 1, Chapitre 2, Section 2, Sous-section 2, § 1, B.

[9]. Michel Troper, « Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité », Recueil d'études en hommage à Charles Eisenmann, Paris, Editions Cujas, 1975, p.142. Voir également Aulis Aarnio, « On the Validity, Efficacy and Acceptability of Legal Norms » in W. Krawietz, Th. Mayer-Mly et O. Weinberger (ed.), Objectivierung des Rehtsdenkens : Gedächtnisschrift für Ilmar Tammelo, Berlin, Duncker & Humblot, 1984, p.427-437, (Extrait de‑) in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.329-330 : « Le texte unique d'une loi exprime  plusieurs normes alternatives ». « Un texte réglementaire peut énoncer plusieurs normes alternatives parmi lesquelles on doit choisir ».

[10]. Troper, « Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité », op. cit., p.142-143. « Un organe chargé d'appliquer un texte doit au préalable déterminer le sens de ce texte, c'est-à-dire, la norme qu'il contient, avant de poser une norme de degré inférieure... Tout texte est  affecté d'un certain degré d'indétermination et est porteur  de plusieurs sens entre lesquels  l'organe d'application doit choisir et c'est dans ce choix  que consiste l'interprétation. Il s'agit d'un   acte libre et la validité de son résultat dépend seulement de qualité de son auteur. Si c'est un organe auquel est conféré le pouvoir d'interpréter, l'interprétation s'incorpore à l'ordre juridique quel que soit le sens choisi» (Ibid. C'est nous qui soulignons.).

En ce sens voir également Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.62 : « L'interprétation est toujours une décision qui implique un choix. Il s'agit d'un choix entre deux ou plusieurs alternatives sémantiquement et légalement possible ».

En effet, comme le remarque Michel Troper, il s'agit d'une doctrine fort ancienne puisqu'on la fait remonter à l'évêque Hoadly qui écrivait au XVIe siècle : « quiconque dispose du pouvoir absolu d'interpréter une loi écrite ou orale est le véritable législateur et non celui qui le premier l'a écrite ou énoncée » (Cité par Troper, « Le positivisme comme théorie du droit », op. cit., p.280).

[11]. Troper, « Justice constitutionnel et démocratie », op. cit., p.35. Pour ce problème en général voir Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.459-462 : « Dans l'application du droit par une organe juridique, l'interprétation du droit à appliquer, par une opération de connaissance, s'unit à un acte de volonté par lequel l'organe applicateur de droit fait un choix entre les possibilités révélées par l'interprétation à base de connaissance. Ou bien cet acte crée une norme de degré inférieure, ou bien il réalise l'acte de contrainte ordonné dans la norme juridique à appliquer ».

[12]. Michel Troper, « Le droit, la raison et la politique », Le Débat, n°64, 1991, p.191. « Mais même si l'on pouvait la connaître, on n'aurait connaissance que du fait, un état mental, psychique et non pas d'une signification » (Troper, « Justice constitutionnelle et démocratie », op. cit., p.35-36).

[13]. C'est nous qui soulignons. Voir également Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.461 ; Troper, « Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité », op. cit., p.142.

[14]. Troper, « Justice constitutionnelle et démocratie », op. cit., p.36. « Ces interprétations dites ‘authentiques’ déterminent la signification ‘officielle’ des textes » (Troper, « Le droit, la raison et la politique », op. cit., p.191).

[15]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.461.

[16]. Troper, « Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité », op. cit.,  p.143.

[17]. Troper, « Le droit, la raison, la politique », op. cit., p.191. C'est nous qui soulignons.

[18]. En ce sens voir encore Troper, « Un système pure du droit... », op. cit., p.134 : « C'est l'interprète qui détermine la signification de la constitution. La norme constitutionnelle n'est donc pas posée de façon objective et intangible par le pouvoir constituant. C'est une norme qui est recréée de façon permanente par l'interprète authentique, c'est-à-dire le contrôleur de la constitution » (C'est nous qui soulignons).   

[19]. Troper, « Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité », op. cit., p.143. C'est nous qui soulignons. 

[20]. Voir cette section, Sous-section 1, § 1, B, 2. Voir par exemple Aldikaçti, op. cit. p.362 ; Teziç, op. cit. p.134.

[21]. Selon Michel Troper, « qu'il existe ou non un organe de contrôle de constitutionnalité, la constitution n'est donc pas supérieure aux lois et aux autres actes des pouvoirs publics. Ceux-ci – autorités juridictionnelles ou non juridictionnelles – doivent, pour appliquer la constitution, l'interpréter donc la recréer sans être liés dans l'exercice de cette activité par aucune norme juridique mais seulement par le système de relations mutuelles dans lequel ils sont insérés » (Troper, « Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité », op. cit., p.150).

[22]. Ce paragraphe est l'application du raisonnement de Michel Troper à notre problème. Troper, « Justice constitutionnelle et démocratie », op. cit., p.39 : « le véritable législateur, l'auteur de la loi, n'est pas le Parlement, c'est l'ensemble de ceux qui participent à sa confection, y compris le juge ».

[23]. Troper, « Justice constitutionnelle et démocratie », op. cit. p.37-38.

[24]. C'est-à-dire la « constitution comme norme », « la constitution comme ensemble des règles juridiques ». Dans le même sens les auteurs parlent encore de la « constitution normative », du « contenu normatif de la constitution », ou de la « lecture juridique de la constitution » etc.

[25]. Michel Troper, « La Constitution et ses représentations sous la Ve République », Pouvoirs, n°4, 1978, p.62.

[26]. Autrement dit, la « constitution institutionnelle » ou la « constitution comme idée ». Dans le même sens les auteurs parlent encore du « contenu politique de la constitution » ou de la « lecture politique de la constitution » .

[27]. Troper, « La Constitution et ses représentations sous la Ve République », op. cit., p.62.

[28]. C'est nous qui soulignons.

[29]. Troper, « La Constitution et ses représentations sous la Ve République », op. cit., p.68.

[30]Ibid., p.70.

 

[31]. Troper, « Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité », op. cit. p.150. C'est nous qui soulignons.

 


(c) Kemal Gözler, 1995 (Theèse), 1997 (Livre), 2004 (Version d'internet). Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le present ouvrage sans autorisation da l'auteur. Cependant vous pouvez imprimer une copie en papier de ce livre, pour votre usage strictement personnel et non commercial. Vous pouvez également enregistrer ce livre sur votre PC pour le lire offline plus tard.

 

Cet ouvrage peut être citée sous les formes suivantes:

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 Volumes, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

ou

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

 


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