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Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 volumes, 774 pages.


Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p.


 

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Titre 2
Le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles

 

 

 

 

Comme nous venons de le voir, ni les sanctions pénales, ni les sanctions préventives, ni les sanctions personnelles ne constituent en soi des moyens efficaces pour assurer la conformité des lois constitutionnelles aux limites à la révision constitutionnelle. Les limites à la révision constitutionnelle ne sont efficacement sanctionnées que lorsque l'invalidation des lois constitutionnelles est possible. Alors la question qui se pose dans ce titre est la suivante : les lois de révision constitutionnelle contraires aux limites à la révision constitutionnelle peuvent‑elles être invalidées ?

La réponse affirmative à cette question dépend de l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Alors, concernant les sanctions des limites à la révision constitutionnelle, la question la plus importante est celle de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. C'est pourquoi, nous avons consacré ce titre tout entier à l'examen du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Nous allons d'abord étudier ce problème dans un cadre théorique. Ensuite, nous allons essayer d'illustrer ce cadre théorique à partir de la jurisprudence des cours constitutionnelles de différents pays.

Ainsi ce titre se compose de deux chapitres :

Chapitre 1. - Cadre théorique

Chapitre 2. - Etudes de cas

 


 
Chapitre 1
Cadre théorique

 

 

 

Comme nous l'avons déjà annoncé, la question qui se pose dans ce chapitre est la suivante : les lois de révision constitutionnelle contraires aux limites à la révision constitutionnelle peuvent‑elles être invalidées ?

Dans la première partie de ce travail, nous avons vu qu'une loi de révision constitutionnelle doit respecter les dispositions de la Constitution qui règlent sa création et en particulier les dispositions constitutionnelles qui lui imposent des limites. Ainsi, une loi de révision constitutionnelle est irrégulière si elle a été adoptée en dehors de la procédure prévue à cet effet ou si son contenu est contraire aux limites qui lui sont imposées. Par exemple, en France si une loi constitutionnelle a été créée dans une autre procédure que celle prévue par l'article 89 (ou l'article 11) ou bien si cette loi constitutionnelle est adoptée lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire ou durant la vacance de la présidence de la République, ou bien si elle touche à la forme républicaine du Gouvernement, alors elle est irrégulière.

En d'autres termes, comme nous l'avons vu dans la première partie, il y a, d'une part, les dispositions de la constitution qui déterminent la procédure de révision constitutionnelle et parfois même le contenu[1] des lois constitutionnelles et d'autre part les lois de révision constitutionnelle qui sont faites suivant ces dispositions. Il est toujours possible qu'apparaisse un conflit entre ces deux catégories de dispositions, c'est‑à‑dire entre une loi de révision constitutionnelle et les dispositions de la constitution qui la règlent. Si un tel conflit apparaît, comment pouvons-nous le résoudre ? En d'autres termes, la question qui se pose ici consiste à savoir ce qui est de droit lorsqu'une loi de révision constitutionnelle n'est pas conforme aux normes de la constitution qu'elle devrait respecter. Alors quelles sont les conséquences de la non‑conformité d'une loi de révision constitutionnelle aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites ? Une telle loi de révision constitutionnelle est-elle valable ? En résumé, nous allons traiter ici la question de la validité des lois de révision constitutionnelle contraires aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites.

* * *

Selon une première idée, on peut affirmer qu'une loi de révision constitutionnelle contraire aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites ne peut pas être valable. Car, comme nous l'avons vu dans la première partie, la validité d'une norme se détermine par le fait qu'elle a été créée conformément à une autre norme juridique. Alors si une loi de révision constitutionnelle est contraire à une norme qui règle sa création et en particulier à la norme qui lui impose des limites, elle n'est pas valable; elle est nulle, autrement dit elle n'est pas du tout une loi de révision constitutionnelle.

En vérité, comme le remarque Hans Kelsen, « l'idée d'une ‘norme contraire aux normes’ représente une contradiction in adjecto ; une norme dont on pourrait affirmer qu'elle n'est pas conforme à la norme qui règle sa création ne pourrait pas être considérée comme une norme valable ; elle serait nulle, autrement dit elle ne serait pas du tout une norme juridique »[2].

Cette argumentation a été déjà utilisée dans la fameuse décision Marbury v. Madison[3] de la Cour suprême des Etats-Unis, établissant le contrôle de la constitutionnalité des lois. Pour résoudre le conflit entre une loi et la constitution, John Marshall, Chief Justice, affirmait dans cet arrêt :

        « ...C'est une proposition trop évidente pour être contestée que de dire que la Constitution prime sur tout acte législatif qui lui est contraire; s'il en était autrement, la législature pourrait altérer la Constitution par une simple loi.

        Entre ces deux alternatives, il n'y a pas de moyen terme. Ou bien la Constitution est une loi supérieure à tout, non changeable par des moyens ordinaires; ou bien elle est au même niveau que les actes législatifs ordinaires, et comme d'autres actes elle peut être amendable lorsqu'il plaît à la législature de la modifier.

        Si la première partie de cette alternative est vraie, alors un acte législatif contraire à la constitution n'est pas une loi[4]; si la seconde partie est vraie, alors les Constitutions écrites sont d'absurdes tentatives, de la part du peuple, pour limiter un pouvoir qui par sa nature est non limitable.

        Certainement tous ceux qui ont élaboré des constitutions écrites les ont conçues comme formant la loi fondamentale et supérieure du pays, et par conséquent, le principe de tout gouvernement semblable doit être qu'un acte de la législature, contraire à la constitution, est nul[5]...

        Si un acte de la législature, contraire à la constitution, est nul, doit-il, indépendamment de sa non‑validité, lier les tribunaux et les obliger à lui donner des effets? Ou, en d'autres termes, bien qu'il ne soit pas une loi, constitue-t-il une règle aussi opérante qu'une loi ? Admettre cela reviendrait à renverser dans les faits ce qui a été établi en théorie, et pourrait paraître à première vue une absurdité trop énorme pour qu'il soit besoin d'insister »[6].

 

Nous pouvons appliquer le même raisonnement au problème de la validité d'une loi de révision constitutionnelle contraire aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions intangibles de la constitution. Pour cela, remplaçons

- le mot « constitution » par l'expression « dispositions intangibles de la constitution » ;

- « acte législatif » par « loi de révision constitutionnelle » ;

- « législature » par « organe de révision constitutionnelle » et

- « peuple » par « pouvoir constituant originaire ».

 

        ...C'est une proposition trop évidente pour être contestée que de dire que les dispositions intangibles de la constitution priment sur toute loi de révision constitutionnelle qui lui est contraire ; s'il en était autrement l'organe de révision constitutionnelle pourrait altérer les dispositions intangibles de la constitution par une simple loi de révision constitutionnelle.

        Entre ces deux alternatives, il n'y a pas de moyen terme. Ou bien les dispositions intangibles de la constitution sont supérieures à tout, non révisables par des moyens ordinaires; ou bien elles sont au même niveau que les dispositions constitutionnelles ordinaires, et comme d'autres dispositions constitutionnelles, elles peuvent être amendables lorsqu'il plaît à l'organe de révision constitutionnelle de les modifier.

        Si la première partie de cette alternative est vraie, alors une loi de révision constitutionnelle contraire aux dispositions intangibles de la constitution n'est pas une loi de révision constitutionnelle; si la seconde partie est vraie, alors les dispositions intangibles de la constitution sont d'absurdes tentatives, de la part du pouvoir constituant originaire, pour limiter un pouvoir qui par sa nature est non limitable.

        Certainement tous ceux qui ont élaboré les dispositions intangibles de la constitution les ont conçues comme formant la loi fondamentale et supérieure du pays, et par conséquent, le principe de tout gouvernement semblable doit être qu'un acte de l'organe de révision constitutionnelle, contraire aux dispositions intangibles de la constitution, est nul...

        Si un acte de l'organe de révision constitutionnelle, contraire aux dispositions intangibles de la constitution, est nul, doit-il, indépendamment de sa non‑validité, lier les tribunaux et les obliger à lui donner des effets? Ou, en d'autres termes, bien qu'il ne soit pas une loi de révision constitutionnelle, constitue-t-il une règle aussi opérante qu'une loi de révision constitutionnelle ? Admettre cela reviendrait à renverser dans les faits ce qui a été établi en théorie, et pourrait paraître à première vue une absurdité trop énorme pour qu'il soit besoin d'insister...

Alors selon cette argumentation, une loi de révision constitutionnelle contraire aux dispositions intangibles de la constitution ne peut pas être valable. Elle serait nulle, autrement dit, elle n'est pas du tout une loi de révision constitutionnelle.

Ce raisonnement est solide et montre l'invalidité d'une loi de révision constitutionnelle qui est contraire aux normes de la constitution qui règle sa création et en particulier aux normes qui lui imposent des limites.

Dans ce raisonnement, pour résoudre le conflit éventuel entre une loi de révision constitutionnelle et les dispositions de la constitution qui règlent sa création et parfois qui lui imposent des limites, il suffit de se poser une question : la loi de révision constitutionnelle en question est-elle conforme aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui imposent des limites ? Si la réponse de cette question est affirmative, la loi de révision constitutionnelle en question est valable ; et si ce n'est pas le cas, elle ne l'est pas. En d'autres termes, si la loi de révision constitutionnelle en question a été adoptée contrairement aux dispositions de la constitution qui règlent sa création ou à celles qui lui imposent des limites, elle est nulle, elle n'est pas du tout une loi de révision constitutionnelle.

Comme on le voit, dans ce raisonnement, on apporte une solution simple et claire à notre problème, c'est‑à‑dire celui de savoir comment peut-on résoudre le conflit éventuel entre une loi de révision constitutionnelle et les dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui imposent des limites. Pourtant à notre avis, cette solution est loin de résoudre notre problème. D'abord il est vrai qu'il n'y a ici qu'une question à résoudre ; cependant, cette unique question peut avoir plusieurs réponses. En effet chacun peut y donner une réponse différente. Il est tout à fait normal qu'une loi de révision constitutionnelle puisse être contraire aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui imposent des limites aux yeux de X, mais conforme aux yeux de Y[7]. Mais dans la logique juridique, une question ne peut avoir qu'une réponse. Dans le cas contraire, il serait presque impossible qu'une norme lie les sujets[8].

Il est évident que seulement l'une de ces réponses a la valeur juridique, les autres ne sont que des opinions personnelles. Il faut alors tout d'abord choisir la réponse authentique, c'est‑à‑dire, la réponse qui ne peut être juridiquement contestée et qui est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques.

Alors il faut chercher la réponse à la question de savoir si une loi constitutionnelle contraire à ses limites peut être invalidée dans le droit positif. Et si l'on cherche la réponse à cette question dans le droit positif, la question de savoir si les lois constitutionnelles contraires à ses limites peuvent être invalidées se transforme en celle de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Car la réponse affirmative à la question de savoir si les lois constitutionnelles contraires à ses limites peuvent être invalidées implique l'existence d'un organe compétent à se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, ainsi qu'une procédure d'invalidation, c'est‑à‑dire, l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Alors à partir de maintenant nous allons nous poser la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible au lieu de celle de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être invalidées.

Le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est-il possible ?

A propos de la question de savoir si les lois constitutionnelles contraires à ses limites peuvent être invalidées, nous venons d'affirmer qu'il faut rechercher la réponse authentique, c'est‑à‑dire la seule réponse à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques. Puisque la question de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être invalidées s'est transformée en celle de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, il faut encore chercher la réponse à cette dernière question dans le droit positif. En d'autres termes, nous allons ici poser la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible strictement du point de vue du droit positif.

Alors si l'on pose la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible de ce point de vue, il faut rechercher la solution positive. Et cette solution ne peut être trouvée que dans les sources du droit positif. C'est pourquoi il faut regarder tout d'abord la législation, ensuite la jurisprudence.

En d'autres termes, la réponse à la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible pourrait se trouver d'abord dans le texte de la constitution. Une constitution peut contenir ou ne pas contenir des dispositions sur la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Si une constitution contient de telles dispositions, la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou non est simple : il est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle.

Par contre, si la constitution ne contient aucune disposition sur la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, la solution authentique à cette question ne peut se trouver que dans la jurisprudence constitutionnelle. Mais pour qu'il y ait une jurisprudence constitutionnelle, il faut qu'il existe un organe compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois. Nous allons appeler cet organe à partir de maintenant « cour constitutionnelle »[9]. S'il n'y a pas de cour constitutionnelle, il faut conclure que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible.

En revanche, s'il y a une cour constitutionnelle, il faut regarder sa jurisprudence, car, dans cette hypothèse, sa jurisprudence est incontestable, c'est‑à‑dire constitue la solution authentique. Alors, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible si la cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par contre, un tel contrôle est impossible si la cour constitutionnelle s'est déjà déclarée incompétente pour contrôler les lois constitutionnelles. Dans deux cas aussi, la solution du problème est simple : le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou impossible selon la jurisprudence de la cour constitutionnelle. Mais la question est beaucoup plus difficile, lorsque la constitution ne contient aucune disposition sur ce point et que la cour constitutionnelle ne s'est pas encore prononcée sur ce point. A notre avis dans ce cas, il n'y a pas de solution positive de ce problème. Et il n'appartient pas à la science du droit d'inventer une solution lorsqu'elle n'existe pas positivement.

Alors comme on le voit, à l'exception de la dernière hypothèse, dans tous les cas, la solution du problème de contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est simple : il sera résolu soit selon la réglementation de la constitution, soit selon la jurisprudence de la cour constitutionnelle.

D'ailleurs il convient de souligner que, du point de vue du droit positif, la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles ne se pose que dans ces hypothèses. En d'autres termes, en dehors de ces hypothèses, la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles reste en dehors de notre travail, car il s'agit d'une question métajuridique.

* * *

Alors nous pouvons résumer ces affirmations comme suit :

A. Le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un système où il est réglementé par la constitution

1. Lorsque la constitution l'exclut, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible.

2. Lorsque la constitution l'organise, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible.

 

B. Le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un système où il n'est pas réglementé par la constitution

1. S'il n'y a pas de cour constitutionnelle, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible.

2. S'il y a une cour constitutionnelle

a. Lorsque la cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible.

b. Lorsque la cour constitutionnelle s'est déjà déclarée incompétente pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible.

c. Lorsque la cour constitutionnelle ne s'est pas encore prononcée sur ce point, la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles ne se pose pas du point de vue du droit positive.

§ 1. Le problème du contrôle de la Constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un système où il est réglementé par la constitution

D'abord, la réponse à la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible pourrait se trouver dans le texte de la constitution. En effet, une constitution peut contenir ou ne pas contenir des dispositions sur cette question. Si la constitution contient de telles dispositions, la solution du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est simple : il est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle.

A. Le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles lorsqu'il est prévu par la constitution

Lorsque la constitution elle-même a prévu le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, la solution de ce problème ne présente aucune difficulté. Dans cette hypothèse, la constitution habilitera un organe à se prononcer sur la validité des lois de révision constitutionnelle, ainsi que les personnes ou organes à le saisir. De même la constitution pourrait déterminer la procédure suivant laquelle cet organe prendra sa décision.

Ainsi dans cette hypothèse, si une loi de révision constitutionnelle est contraire aux limites à la révision constitutionnelle, à vrai dire si les personnes ou les organes compétents pour saisir l'organe du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles estiment que la loi de révision constitutionnelle en question est contraire aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui impose des limites, ils peuvent saisir l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Et dans ce cas, la question de savoir si la loi de révision constitutionnelle est contraire ou conforme aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui impose des limites sera résolue par cet organe et suivant la procédure déterminée par la constitution. Si l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles estime que la loi de révision constitutionnelle en question est contraire aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites, il peut l'invalider. Cette décision sera définitive. L'interprétation de cet organe aura le caractère authentique. Ainsi, dans cette hypothèse, les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées par la décision de cet organe.

Par exemple, comme nous allons le voir plus tard[10], la Constitution turque de 1961 (depuis 1971) et celle de 1982 prévoient le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Signalons dès maintenant qu'elles excluent cependant le contrôle quant au fond. L'article 147 de la Constitution de 1961 (révisée par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971) et l'article 148 de la Constitution de 1982 habilitent la Cour constitutionnelle turque à se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles exclusivement sur la forme. Ainsi la Cour constitutionnelle turque peut annuler les lois constitutionnelles, si elle juge qu'elle est contraire aux limites de forme à la révision constitutionnelle. Comme nous allons voir plus bas, la Cour constitutionnelle turque a contrôlé la constitutionnalité des lois constitutionnelles à plusieurs reprises. Elle a même annulé les différentes lois constitutionnelles. Ainsi en Turquie, les limites de forme à la révision constitutionnelle sont effectivement sanctionnées par le contrôle de la Cour constitutionnelle.

B. Le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles lorsqu'il est exclu par la constitution

Comme une constitution peut organiser un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, elle peut aussi refuser la possibilité d'un tel contrôle. Par exemple, la Constitution turque admet le contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires, et même celui des lois constitutionnelles. Mais, en ce qui concerne ces dernières, elle limite la compétence du contrôle de la Cour constitutionnelle : celle‑ci ne peut contrôler les lois de révision constitutionnelle que sur la forme. C'est‑à‑dire que la Constitution turque exclut expressément la possibilité d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Alors dans ce cas, puisqu'il est interdit à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la validité d'une loi de révision constitutionnelle quant au fond, les limites matérielles du pouvoir constituant dérivé ne sont pas effectivement sanctionnées.

C'est pourquoi il faut expliquer ici le sens des limites matérielles à la révision constitutionnelle en l'absence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Egalement, il convient de discuter le fondement de la validité des lois de révision constitutionnelle dans une telle hypothèse.

Nous allons les faire plus tard. Car ce problème se pose aussi dans d'autres hypothèses.

§ 2. Le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un système où il n'est pas réglementé par la constitution

Si la constitution ne contient aucune disposition sur la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, la solution authentique à cette question ne peut se trouver que dans la jurisprudence constitutionnelle. En d'autres termes, si la solution n'existe pas dans les textes positifs, il faut la rechercher dans la jurisprudence. Mais pour qu'il y ait une jurisprudence constitutionnelle, il faut qu'il existe avant tout dans le système, un « contrôle de la constitutionnalité des lois ». Cependant peu importe le modèle de ce contrôle. Il peut être exercé par l'ensemble de l'appareil juridictionnel (modèle « décentralisé »)[11], ou bien par une cour constitutionnelle[12], c'est‑à‑dire par une juridiction spécialement créée à cet effet et situé hors de l'appareil juridictionnel ordinaire (modèle « décentralisé »)[13]. La seule chose qui est importante est qu'il y ait une possibilité permettant d'invalider une loi inconstitutionnelle. Nous allons appeler cette procédure communément le « contrôle de constitutionnalité ».

Alors si la constitution ne contient aucune disposition sur la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il faut d'abord regarder s'il y a un contrôle de constitutionnalité dans le système.

A. Lorsqu'il n'existe pas de contrôle de constitutionnalité

Lorsque la constitution ne contient aucune disposition sur la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible et qu'il n'existe pas d'organe compétent pour se prononcer sur la validité des lois, c'est‑à‑dire qu'il n'y a pas de contrôle de la constitutionnalité dans le pays, il faut conclure que, du point de vue du droit positif, dans un tel système, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible. En effet, dans une telle hypothèse, la réponse affirmative à notre question n'existe pas dans le texte de la constitution, et en plus cette réponse ne peut pas être trouvée dans la jurisprudence. En d'autres termes, lorsqu'il n'y a pas de contrôle de constitutionnalité, la réponse affirmative à la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ne peut être fournie par aucun organe.

Par exemple, la Constitution des Pays‑Bas exclut expressément tout contrôle de constitutionnalité des lois. Selon l'article 120 de cette Constitution « le juge ne porte pas de jugement sur la constitutionnalité des lois et des traités »[14]. C'est‑à‑dire qu'aux Pays‑Bas, il n'y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires. A plus forte raison, il n'y a pas non plus de contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Alors dans un tel système, la réponse affirmative à la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible n'existe ni dans le texte ni dans la jurisprudence constitutionnelle. Par conséquent, on ne peut faire aucun contrôle de la conformité des lois constitutionnelles aux limites à la révision constitutionnelle. Alors dans un tel système, les lois constitutionnelles contraires à ses limites ne peuvent pas être invalidées. Par conséquent que les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas effectivement sanctionnées.

Dans ce cas, il faut discuter de deux problèmes. Premièrement puisque les lois constitutionnelles ne peuvent pas être invalidées, et qu'une loi reste en vigueur tant qu'elle n'est pas abrogée ou annulée par un organe compétent, il faut expliquer le fondement de la validité des lois constitutionnelles contraires aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites.

Deuxièmement, puisque les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas sanctionnées par un organe juridictionnel, il faut expliquer leur signification. A quoi sert donc l'existence des limites à la révision constitutionnelle en l'absence des sanctions juridictionnelles ?

Nous allons les examiner plus tard, car ces problèmes se posent aussi dans d'autres cas.

B. Lorsqu'il existe le contrôle de constitutionnalité

Lorsque la constitution ne contient aucune disposition sur la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible et qu'il y a cependant un contrôle de la constitutionnalité des lois, la réponse authentique à cette question pourrait se trouver dans la jurisprudence constitutionnelle. En d'autres termes, en l'absence de solution textuelle, il faut rechercher la solution jurisprudentielle. Car, dans cette hypothèse, la jurisprudence de l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité est incontestable, c'est‑à‑dire que sa décision constitue la solution authentique de la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible.

Alors pour savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou non, il faut regarder la jurisprudence de l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois. Du point de vue du droit positif, dans une telle hypothèse, il faut admettre que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible si cet organe s'est déjà déclaré compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par contre, un tel contrôle est impossible si cet organe se considère comme incompétent pour contrôler les lois constitutionnelles. Alors, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible si la cet organe s'est déjà déclaré compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par contre, un tel contrôle est impossible si cet organe s'est déjà déclaré incompétent pour contrôler les lois constitutionnelles.

 

1. Lorsque l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déjà déclaré compétent pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles

Lorsque l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déjà déclaré compétent pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, du point de vue du droit positif, il faut conclure que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. En effet dans un tel cas, la décision de cet organe est définitive. En d'autres termes, cet organe a le pouvoir de l'interprétation authentique. Par exemple, comme nous allons le voir plus tard, les Cours constitutionnelles allemande et autrichienne se sont déclarées compétentes pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles. Et dans ces pays, les Cours constitutionnelles ont effectivement contrôlé la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Ainsi dans un système dont la constitution ne contient aucune disposition sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles et cependant l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité du pays s'est déjà déclaré compétent pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, on peut conclure que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Alors dans cette hypothèse, les limites à la révision constitutionnelle sont sanctionnées par la décision de cet organe.

2. Lorsque l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité
s'est déjà déclaré incompétent  pour se prononcer sur la validité
des lois constitutionnelles

Si la constitution ne contient aucune disposition sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles et si l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité du pays s'est déjà déclaré incompétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles, du point de vue du droit positif, une seule conclusion s'impose : le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible. C'est la réponse authentique, car elle se trouve dans la jurisprudence constitutionnelle. En effet dans une telle hypothèse, la solution de la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible incombe à l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité. Puisque cet organe a tranché cette question par le négatif, ce contrôle est impossible. Par exemple, comme on va le voir plus tard, le Conseil constitutionnel français s'est déclaré incompétent pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum (décision du 6 novembre 1962). Alors, en France, les lois constitutionnelles adoptées par le référendum ne sont pas soumises au contrôle du Conseil constitutionnel.

Alors dans un pays dont la constitution ne contient aucune disposition sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, si l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déclaré incompétent pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible. Par conséquent, on peut conclure que dans un tel cas, les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas effectivement sanctionnées. Que signifie alors cette absence de sanction ? Les limites à la révision constitutionnelle sont‑elles privées de toutes forces obligatoires ? Si elles ne sont pas sanctionnées, à quoi sert l'existence de telles limites? En d'autres termes, il faut expliquer ici le sens des limites à la révision constitutionnelle en l'absence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Egalement il convient de discuter le fondement de la validité des lois de révision constitutionnelle dans une telle hypothèse. Nous allons le faire plus bas.

3. Lorsque l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité ne s'est pas encore prononcé sur ce point

Dans les cas précédents, la solution de la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou non est simple : il est possible lorsqu'il est prévu par la constitution ou par la jurisprudence de l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité. Il est impossible lorsqu'il est exclu par la constitution ou lorsque l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déjà déclaré incompétente. Mais la question est beaucoup plus difficile, lorsque la constitution ne contient aucune disposition sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles et que l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité ne s'est pas encore prononcé sur ce point.

Par exemple, comme on va le voir plus tard, le Conseil constitutionnel français ne s'est pas encore prononcé sur la question de savoir s'il peut contrôler ou non la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le Congrès du Parlement. A cet égard nous allons examiner la décision du 2 septembre 1992. Mais notons tout de suite que nous pensons que lorsque la constitution ne contient aucune disposition sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles et que l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité ne s'est pas encore prononcé sur ce point, il est inutile de poser la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou non, car précisément dans ces conditions, il n'existe pas de réponse positive à cette question. Du point de vue du droit positif le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est possible que s'il est prévu par la constitution ou par la jurisprudence de la cour constitutionnelle. En d'autres termes, s'il n'existe pas de réglementation constitutionnelle ou de jurisprudence de la cour constitutionnelle, la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles ne se pose pas du point de vue du droit positif. Comme nous l'avons expliqué plusieurs fois, selon la conception que nous avons adoptée, il n'appartient pas à la science du droit d'inventer les solutions, lorsqu'elles n'existent pas positivement.

Conclusion

Comme nous l'avons vu, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible lorsque les constitutions le prévoient ou que les organes chargés du contrôle de la constitutionnalité se sont déjà déclarés compétents pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans une telle hypothèse, les lois constitutionnelles contraires aux limites à la révision constitutionnelle peuvent être invalidées. Ainsi dans un tel système les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées par les décisions des organes chargés du contrôle de la constitutionnalité.

Par contre le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible, lorsque les constitutions l'excluent ou lorsque les organes chargés du contrôle de la constitutionnalité se sont déjà déclarés incompétents pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Ce contrôle est également impossible lorsqu'il n'est pas prévu par la constitution et qu'il n'existe pas de cour constitutionnelle.

Dans une telle hypothèse, les lois constitutionnelles contraires aux limites à la révision constitutionnelle ne peuvent pas être invalidées. Ainsi une loi constitutionnelle contraire à ses limites peut être en vigueur. Car, comme on l'a déjà indiqué, en théorie juridique, tant qu'une loi n'est pas abrogée ou annulée par un organe compétent ; elle sera toujours en vigueur, et par conséquent valable[15]. Dans notre hypothèse, puisque soit le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est exclu par la constitution, soit l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déclaré incompétente, soit il n'existe pas de contrôle de tel organe, une loi constitutionnelle contraire à ses limites sera toujours en vigueur, même si elle est contraire à ses limites selon les vues de X ou de Y[16].

* * *

C'est pourquoi, il faut discuter ici de deux problèmes. Premièrement puisque les lois constitutionnelles ne peuvent pas être invalidées, et qu'une loi reste en vigueur tant qu'elle n'est pas abrogée ou annulée par un organe compétent, il faut expliquer le fondement de la validité des lois constitutionnelles contraires aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites.

Deuxièmement, puisque les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas sanctionnées par un organe juridictionnel, il faut expliquer leur signification. Que signifie alors cette absence de sanction ? Les limites à la révision constitutionnelle sont‑elles privées de toutes forces obligatoires ? Si elles ne sont pas sanctionnées, à quoi sert donc l'existence de telles limites? En d'autres termes, il faut expliquer ici le sens des limites à la révision constitutionnelle en l'absence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Egalement il convient de discuter le fondement de la validité des lois de révision constitutionnelle dans une telle hypothèse.

 

Le fondement de la validité juridique des lois constitutionnelles contraires aux limites à la révision constitutionnelle

Comme nous l'avons expliqué, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible dans ces trois hypothèses : premièrement lorsque la Constitution l'a exclu, deuxièmement lorsqu'il n'y a pas de contrôle de la constitutionnalité dans le système et enfin, lorsque l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déclaré incompétent pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles.

Et lorsque le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible, une loi de révision constitutionnelle pourrait être valable, même si elle était contraire aux dispositions de la constitution qui lui imposent des limites. Alors il faut expliquer le fondement de la validité des lois de révision constitutionnelle contraires aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites, cependant en vigueur.

En l'absence de contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, on peut penser qu'une loi de révision constitutionnelle contraire à ses limites trouve son fondement de validité dans la constitution elle-même, c'est‑à‑dire, dans la volonté du pouvoir constituant originaire. En effet, dans la mesure où la constitution interdit expressément le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles ou exclut la possibilité d'invalidation des lois de révision constitutionnelle en n'organisant pas une cour constitutionnelle, on peut conclure que la constitution elle‑même accepte la validité des lois de révision constitutionnelle contraires à ses limites. Parce que le pouvoir constituant originaire a toujours la possibilité de prévoir le conflit entre une loi de révision constitutionnelle et les dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier les dispositions qui lui imposent des limites, ainsi que la possibilité d'habiliter un organe à le résoudre. Puisqu'il ne l'a pas fait, de plus il l'a exclu expressément, on peut en déduire que le pouvoir constituant originaire lui-même n'a pas voulu que le pouvoir de révision constitutionnelle soit effectivement limité. En d'autres termes, en n'organisant pas de procédure d'annulation, le pouvoir constituant originaire a permis implicitement l'édiction des lois de révision constitutionnelle qui seraient contraires aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites. Le pouvoir constituant originaire a habilité le pouvoir de révision constitutionnelle à édicter des lois de révision constitutionnelle. Mais il n'a pas prévu des sanctions pour cette habilitation. Alors « accorder une telle habilitation non‑sanctionnée, c'est donner par-là même l'habilitation de la transgresser »[17].

Dans l'hypothèse où la possibilité d'invalidation des lois de révision constitutionnelle est exclue par la constitution, il faut conclure que les lois de révision constitutionnelle peuvent voir le jour d'autre façon que celle que détermine directement la constitution, d'une façon que le pouvoir de révision constitutionnelle détermine lui-même. En d'autres termes, la constitution donne au pouvoir constituant dérivé le pouvoir de réviser la constitution, soit par la procédure déterminée directement par les normes de la constitution, soit par quelque autre procédure, et le pouvoir de donner à ces révisions constitutionnelles soit un contenu conforme aux normes de la constitution qui leur imposent des limites, soit un contenu autre. Les normes directes de la constitution sur la procédure de la révision constitutionnelle et sur le contenu des lois constitutionnelles ne représentent plus alors que l'une des possibilités créées par la constitution. La constitution crée elle‑même cette possibilité par le fait qu'elle ne laisse à aucun autre organe que le pouvoir de révision constitutionnelle la faculté de décider si les normes édictées par lui en tant que lois de révision constitutionnelle sont bien des lois de révision constitutionnelle au sens de la constitution. Les dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier les dispositions qui leur imposent des limites ont alors le caractère de dispositions simplement alternatives. La constitution contient tout à la fois un règlement direct et un règlement indirect de la révision constitutionnelle; et le pouvoir de révision constitutionnelle a le choix entre les deux. Dans une hypothèse où il n'existe pas de possibilité d'invalider les lois de révision constitutionnelle, on ne saurait arriver à une conclusion différente[18].

C'est une façon d'expliquer le fondement de la validité des lois constitutionnelles contraires aux limites à la révision constitutionnelle. Cependant nous pensons qu'il n'y a ici qu'un faux problème. A vrai dire, nous n'avons pas besoin d'expliquer le fondement de la validité des lois de révision constitutionnelle contraires aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites. Parce qu'il n'y a ici qu'un conflit apparent entre les lois constitutionnelles et ces dispositions, et non pas juridique. En d'autres termes, dans l'hypothèse où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible, c'est‑à‑dire qu'il n'y a pas d'organe compétent pour se prononcer sur la validité des lois de révision constitutionnelle, cette contradiction ne serait jamais constatée dans l'ordre juridique. Chacun peut exprimer une opinion sur la conformité d'une loi de révision constitutionnelle aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui imposent des limites, pourtant personne n'a reçu compétence pour se prononcer sur la validité d'une telle loi. Autrement dit, il est impossible d'élever cette contradiction au niveau juridique. Lorsque la constitution refuse à tous les organes le pouvoir de contrôler la conformité des lois de révision constitutionnelle aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites, on ne peut pas parler alors de la conformité ou de la contrariété d'une loi constitutionnelle à ces dispositions.

 

La signification des limites à la révision Constitutionnelle en l'absence d'un contrôle de
la Constitutionnalité des lois constitutionnelles

Alors comme on l'a vu, dans les cas où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible, c'est‑à‑dire où il n'y a pas de procédure permettant d'invalider les lois de révision constitutionnelle, une loi de révision constitutionnelle contraire aux limites à la révision constitutionnelle pourrait être valable. En d'autres termes, dans de telles hypothèses, les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas sanctionnées par un organe juridictionnel. Dans ce cas, les questions suivantes se posent inévitablement : que signifie donc cette absence de sanction ? L'affirmation du principe de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle est-elle purement théorique ? Les limites du pouvoir de révision constitutionnelle sont-elles privées de toute force obligatoire ?

Alors dans un tel système, quel est le sens des dispositions de la constitution qui règlent la procédure de révision constitutionnelle et qui déterminent les limites à la révision constitutionnelle ?

Voyons d'abord le sens de telles dispositions dans un système où la constitution habilite un organe, par exemple la cour constitutionnelle, à se prononcer sur la validité des lois de révision constitutionnelle, les dispositions de la constitution qui règlent la procédure de révision constitutionnelle et qui déterminent parfois les limites à la révision constitutionnelle sont adressées d'abord au pouvoir de révision constitutionnelle et ensuite et définitivement à l'organe habilité à se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles. Si le pouvoir de révision constitutionnelle ne respecte pas ces dispositions, à vrai dire si l'on veut contester l'interprétation donnée à ces dispositions par le pouvoir de révision constitutionnelle, on peut saisir cet organe habilité à se prononcer sur la validité des lois de révision constitutionnelle. Dans ce cas, cet organe examinera la question de savoir si la loi de révision constitutionnelle en question est conforme ou contraire aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui imposent des limites. S'il estime qu'elle est contraire à ces dispositions, il peut l'invalider. Et la décision de cet organe est juridiquement incontestable. Ainsi, les dispositions de la constitution qui règlent la procédure de révision constitutionnelle et qui déterminent parfois les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées en dernière analyse selon l'interprétation authentique de l'organe habilité à se prononcer sur la validité des lois de révision constitutionnelle.

Par contre dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible, il faut conclure que les dispositions de la constitution qui règlent la procédure de révision constitutionnelle et qui déterminent parfois les limites à la révision constitutionnelle sont adressées uniquement au pouvoir de révision constitutionnelle. Ainsi, le pouvoir de révision constitutionnelle ne doit pas adopter une révision constitutionnelle en dehors de la procédure prévue à cet effet. De même le pouvoir de révision constitutionnelle ne doit pas voter une proposition de révision constitutionnelle qui est contraire aux dispositions de la constitution qui lui imposent des limites[19]. C'est au pouvoir de révision constitutionnelle et à lui seul qu'appartient le pouvoir d'apprécier si le texte qui lui est présenté est conforme ou contraire à ces dispositions de la constitution[20]. Si le pouvoir de révision constitutionnelle accepte de le voter, ceci signifie qu'il interprète que la proposition en question n'est pas contraire aux limites à la révision constitutionnelle. Il faut alors conclure que, dans cette hypothèse, les dispositions de la constitution qui règlent la procédure de révision constitutionnelle et qui déterminent parfois les limites à la révision constitutionnelle sont sanctionnées par l'interprétation donnée par le pouvoir de révision constitutionnelle lui-même. Par conséquent dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est exclu, toutes les lois constitutionnelles en vigueur sont toujours conformes aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et parfois leur contenu selon l'interprétation authentique du pouvoir de révision constitutionnelle. Car si elles n'étaient pas conformes à ces dispositions, le pouvoir de révision constitutionnelle aurait du les refuser. Alors dans une telle hypothèse, les lois édictées par le pouvoir de révision constitutionnelle comme lois constitutionnelles sont toujours conformes aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites selon l'interprétation du pouvoir de révision constitutionnelle lui‑même[21]. Alors les dispositions de la constitution qui règlent la procédure de révision constitutionnelle et qui déterminent parfois les limites à la révision constitutionnelle sont sanctionnées par l'interprétation authentique du pouvoir de révision constitutionnelle.

Sans doute on peut critiquer cette solution en disant que la sanction par l'interprétation du pouvoir de révision constitutionnelle n'est pas une vraie sanction. En effet, ces limites s'imposent à l'exercice de ce pouvoir, autrement dit c'est le pouvoir de révision constitutionnelle qui est le sujet à limiter, cependant, dans cette solution, c'est à lui que revient la compétence de déterminer le sens de ces limites. Ainsi, on voit mal comment un sujet serait limité par les dispositions dont le sens sera déterminé par ce sujet lui‑même.

A notre avis, cette critique n'a pas de sens juridique, car, comme nous l'avons expliqué plus haut, on peut donner plusieurs réponses à la question de savoir si une loi de révision constitutionnelle est conforme ou contraire aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui imposent des limites. Ainsi une loi de révision constitutionnelle peut être contraire à ces dispositions selon X, mais conforme selon Y. Seule la réponse de l'organe compétent est authentique. Les autres ne sont que des opinions subjectives.

En conclusion, dans l'hypothèse où la constitution exclut expressément la possibilité d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, seul le pouvoir de révision constitutionnelle est compétent pour se prononcer sur la conformité des lois de révision constitutionnelle aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites. Il faut alors accepter comme valables toutes les lois de révision constitutionnelle adoptées par le pouvoir de révision constitutionnelle, même si elles sont contraires à ces dispositions selon les vues de X ou de Y.

* * *

En résumé, dans l'hypothèse où la constitution refuse à tous les organes le pouvoir de se prononcer sur la validité des lois de révision constitutionnelle, les organes de l'application ne peuvent pas contrôler la conformité des lois de révision constitutionnelle aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites. Il faut cependant noter que cette conclusion ne peut pas être poussée à l'absolu ; elle comporte nécessairement une limite.

En effet, comme le remarque à juste titre Hans Kelsen en ce qui concerne les lois ordinaires, il est impossible que « les organes appelés à appliquer la loi soient invités à appliquer comme loi tout ce qui se donne subjectivement pour tel. Inévitablement, un minimum de pouvoir de contrôle doit leur être laissé »[22]. Nous pensons que ce qu'affirme Kelsen concernant les lois ordinaires peut aussi être affirmé pour les lois de révision constitutionnelle. Ainsi, en appliquant le raisonnement de Kelsen à notre problème, nous pouvons affirmer que même dans l'hypothèse où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible, les organes d'application des lois de révision constitutionnelle ont inévitablement un minimum de pouvoir de contrôle. Par exemple, les organes d'application et en particulier les tribunaux peuvent vérifier si ce qui a la signification subjective de loi constitutionnelle a été publié comme loi constitutionnelle au Journal officiel, c'est‑à‑dire dans un recueil imprimé au nom du gouvernement, alors que leur est au contraire refusé le pouvoir d'examiner si ce qui a été publié comme loi constitutionnelle a bien été adopté suivant la procédure régulière ou est bien conforme ou contraire aux limites à la révision constitutionnelle[23].

D'ailleurs comme nous l'avons vu dans la section consacrée à la question de la promulgation d'une loi de révision constitutionnelle, les organes qui ont mission d'assurer la publication des lois de révision constitutionnelle ne peuvent pas être tenus de publier comme loi de révision constitutionnelle tout acte qui se présente lui-même comme tel et prétend à l'être. Ces organes doivent nécessairement pouvoir examiner au minimum si ce qui se présente subjectivement comme loi de révision constitutionnelle a été réellement décidé par l'organe constitutionnellement investi du pouvoir de révision constitutionnelle[24], même s'il n'est pas admis à l'examiner, ni si la procédure suivant laquelle la loi de révision constitutionnelle a été adoptée conformément à la constitution, ni si le contenu de la loi de révision constitutionnelle est conforme ou contraire aux limites à la révision constitutionnelle[25].

Mais en dehors de ce minimum de pouvoir de contrôle, nous pouvons réaffirmer notre conclusion ci‑dessus : dans l'hypothèse où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est impossible, seul le pouvoir de révision constitutionnelle est compétent pour se prononcer lui-même sur la conformité des lois de révision constitutionnelle qu'il a adoptées aux dispositions de la constitution qui règlent leur création et en particulier les dispositions qui leur imposent des limites. Il faut alors accepter comme valables toutes les lois de révision constitutionnelle adoptées par le pouvoir de révision constitutionnelle, même si elles sont contraires à ces dispositions selon les vues de X ou de Y.

* * *

Après avoir vu les aspects théoriques du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, nous verrons à présent ce problème sur les cas concrets.

Continue après les notes.

 


[1]. C'est‑à‑dire, les limites matérielles. Si la constitution prévoit des limites matérielles à la révision constitutionnelle, ceci signifie que le contenu des lois de révision constitutionnelle est limité : elles ne peuvent porter sur cette matière. Par exemple, la Constitution française de 1958 limite le contenu des lois de révision constitutionnelle par l'interdiction de réviser la forme républicaine.

[2]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.356. C'est nous qui soulignons.

[3]Marbury v. Madison, 1 Cranch 137, 2 L.Ed. 60 (1803).

[4]. C'est nous qui soulignons.

[5]. C'est nous qui soulignons.

[6]Marbury v. Madison, 1 Cranch 137, 2 L.Ed. 60 (1803). Le texte et l'analyse de cet arrêt se trouvent à peu près dans tous les manuels habituels de droit constitutionnel américain. Voir par exemple, Alpheus Thomas Mason et William M. Beaney, American Constitutional Law : Introductory Essays and Selected Cases, New Jersey, Prentice‑Hall, 3e édition, 1964, p.24-27. Pour les traductions françaises des extraits de cet arrêt voir par exemple, Duverger, Constitutions et documents politiques, op. cit., 1987, p.600-601; Claude Leclercq et Pierre­-Henri Chalvidan, Travaux dirigés de droit constitutionnel, Paris, Litec, 1990, p.75‑77.

[7]. Hans Kelsen affirme la même chose pour la question de la conformité des lois ordinaires à la constitution. Voir Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.362.

[8]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.361.

[9]. Quelle que soit son appellation (conseil constitutionnel, tribunal constitutionnel, cour suprême, etc.). A condition que cet organe soit compétent pour se prononcer sur la validité des lois.

[10]. Voir infra, Chapitre 2, Section 2.

[11]. Louis Favoreu, Les cours constitutionnelles, Paris, P.U.F., Coll. « Que sais-je? », 1986, p.3 ; Pour le modèle décentralisé voir Mauro Cappelletti, Le pouvoir des juges, Traduction par René David, Paris, Economica et Presses universitaires d'Aix‑Marseille, 1990, p.196-199.

[12]. Quel que sa dénomination (cour, conseil, tribunal, etc.) la juridiction qui répond à la définition ci‑dessus est appelée ici « cour constitutionnelle ». (Voir Favoreu, Les cours constitutionnelles, op. cit., p.4).

[13]. Favoreu, Les cours constitutionnelles, op. cit., p.3, 5 ; Cappelletti, op. cit., p.197-209. Mauro Cappelletti et William Cohen, Comparative Constitutional Law, Indianapolis, New York, The Bobbs-Merril Company, 1979, p.73.

[14]. Oberdorff, op. cit., p.295.

[15]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.360.

[16]. Par analogie à l'argumentation développée par Kelsen (Théorie pure du droit op. cit., p.360).

[17]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.17.

[18]. Ce paragraphe est l'application de l'argumentation de Kelsen à notre problème (Théorie pure du droit, op. cit., p.362-363).

[19]. Michel Troper examine le problème de l'interprétation constitutionnelle en l'absence de contrôle de constitutionnalité en recourant à la théorie réaliste de l'interprétation. Il affirme que « si un projet ou une proposition est contraire à la constitution, le Parlement ne doit pas l'adopter... S'il accepte de le voter, c'est qu'il interprète les dispositions constitutionnelles pour constater qu'elles permettent l'édiction de cette loi... Dans ces conditions, toutes les lois en vigueur sont toujours conformes à la constitution selon l'interprétation authentique donnée par le Parlement, la seule ayant une valeur juridique » (Michel Troper, « Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle », Recueil d'études en hommage à Charles Eisenmann, Paris, éditions Cujas, 1975, p.141).

[20]. Sous la IIIe République, Raymond Carré de Malberg affirme la même chose en ce qui concerne la sanction de l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Carré de Malberg conclut qu'« en l'absence de tout moyen constitutionnel qui puisse servir à maintenir l'Assemblée nationale dans les bornes de ses pouvoirs, le respect par celle-ci de ces bornes dépend, en somme, uniquement de son bon vouloir... Il est certain, en effet, qu'une limitation constitutionnelle dont l'observation dépend de la bonne volonté de l'organe auquel elle est imposée, n'a pas de valeur juridique proprement dite. Ici, en particulier, la limitation est d'autant moins efficace qu'en cas de doute ou de discussion sur sa portée d'application et sur ses effets, il appartient naturellement à l'Assemblée nationale, en tant qu'organe constituant, et même il n'appartient qu'à elle seule, de trancher ces doutes par sa propre interprétation: car, elle seule a, en principe, qualité pour interpréter les textes constitutionnels » (Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.603).

[21]. Hans Kelsen affirme la même chose en ce qui concerne les lois ordinaires lorsque la constitution refuse expressément aux organes de l'application des lois le pouvoir de contrôler la constitutionnalité de ces lois. Selon lui, dans une telle hypothèse, « seul l'organe de législation a le pouvoir de décider lui-même si la loi qu'il a adoptée est constitutionnelle, c'est‑à‑dire si tant la procédure suivant laquelle il l'a adoptée que le contenu qu'il lui a donné sont conformes à la Constitution... Ceci signifie que tout ce que cet organe de la législation édicte comme loi doit être considérée comme loi au sens de la Constitution » (Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.362).

[22]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.361.

[23]. Nous adoptons ici le développement de Hans Kelsen concernant les lois ordinaires. Voir Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.362 : « Dans les systèmes où, selon la Constitution, les lois ne deviennent obligatoires qu'après avoir été publiées par les soins du gouvernement dans un Journal officiel, la limitation du pouvoir de contrôle signifie que les organes d'application des lois, en particulier les tribunaux, ont à examiner uniquement si ce qui a la signification subjective de loi a été publié comme loi au Journal officiel, c'est‑à‑dire dans un recueil imprimé au nom du gouvernement, alors que leur est au contraire refusé le pouvoir d'examiner si ce qui a été publié comme loi a bien été décidé par l'organe compétent à cet effet selon la Constitution, suivant la procédure prescrite par elle et présente un contenu compatible avec la Constitution ». Ainsi, d'après Kelsen, l'organe qui a mission d'assurer la publication des lois « ne peut pas être tenu de publier comme loi... tout acte qui se présente lui-même comme tel et prétend à l'être ». L'organe gouvernemental compétent pour la publication doit « nécessairement pouvoir examiner au minimum si ce qui se présente subjectivement comme loi a été réellement décidé par l'organe constitutionnellement investi du pouvoir législatif, même s'il n'est pas admis à examiner ni si la procédure suivant laquelle la décision a été prise, ni si le contenu de la décision sont conformes à la Constitution ».

[24]. Pour plus de détails voir supra. ce titre, Chapitre 1, Section 2.

[25]. Nous suivons toujours le développement de Hans Kelsen concernant les lois ordinaires (Théorie pure du droit, op. cit., p.362).

 


 

 

Chapitre 2
Etudes de cas

 

 

 

Nous venons de discuter sur le plan théorique de la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Nous avons conclu que dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution, la réponse à cette question est simple : le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle : lorsque la constitution l'a exclu, il n'est pas possible, par contre lorsque la constitution l'a prévue, il est possible.

En revanche, dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé par la constitution, la solution de la question de savoir si un tel contrôle est possible ne peut se trouver que dans la jurisprudence de l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois. Ainsi si cet organe s'est déjà déclaré compétent pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Par contre si cet organe s'est déjà déclaré incompétent pour contrôler les lois constitutionnelles, ce contrôle est impossible. Enfin, si la cour constitutionnelle ne s'est pas encore prononcée sur ce point, la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles ne se pose pas du point de vue du droit positif.

Alors, pour savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible dans tel ou tel pays, il faut regarder d'abord la constitution du pays sur le point de savoir si elle contient une disposition sur le contrôle des lois constitutionnelles ; et si ce n'est pas le cas, il faut regarder ensuite la jurisprudence de l'organe du contrôle de la constitutionnalité du pays étudié sur le point de savoir si il se considère comme compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. S'il s'est déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ce contrôle est possible. Si ce n'est pas le cas, ce contrôle est impossible.

* * *

Avant de passer aux études de cas, il convient de voir brièvement en quoi consiste le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles consiste à vérifier si les lois constitutionnelles sont conformes ou contraires aux dispositions de la constitution qui règlent la création des lois constitutionnelles et parfois à celles qui déterminent leur contenu. En d'autres termes, ces dispositions de la constitution constituent des normes de référence pour le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Alors nous avons principalement deux types de normes de référence : celles qui déterminent la procédure de révision constitutionnelle et celles qui imposent quelques limitations relatives à l'objet de la révision[1].

Nous avons étudié, dans la première partie, le premier type de normes de référence sous l'appellation des conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle[2]. Nous avons également examiné, dans la même partie, le deuxième type de normes de référence sous l'appellation des limites matérielles à la révision constitutionnelle[3].

Alors,  conformément à cette différenciation entre les normes de référence, on peut distinguer deux aspects du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles : le contrôle de la constitutionnalité formelle et le contrôle de la constitutionnalité matérielle des lois constitutionnelles.

Le contrôle de la constitutionnalité formelle d'une loi constitutionnelle consiste à vérifier si la loi constitutionnelle en question a été proposée et adoptée par l'organe compétent et conformément aux dispositions de la constitution qui fixent les conditions de forme et de procédure à la révision constitutionnelle. En d'autres termes, le contrôle de la constitutionnalité quant à la forme est la sanction des conditions de forme de la révision constitutionnelle.

Par contre, le contrôle de la constitutionnalité matérielle d'une loi constitutionnelle consiste à vérifier si le contenu de cette loi constitutionnelle est conforme ou contraire aux dispositions de la Constitution qui déterminent son contenu. En d'autres termes, le contrôle de la constitutionnalité quant au fond est la sanction des limites matérielles à la révision constitutionnelle.

D'autre part, on peut remarquer que le contrôle de la constitutionnalité formelle peut s'exercer sans regarder le contenu du texte de la loi constitutionnelle contrôlée. Par exemple, la vérification du respect de la majorité d'adoption d'une loi constitutionnelle ouvre la voie à un contrôle de forme. Car, le problème de savoir si loi constitutionnelle a été adoptée à la majorité prévue par la Constitution peut être résolu sans savoir le contenu de cette loi.

Par contre, le contrôle de la constitutionnalité matérielle ne peut s'exercer sans savoir le contenu de la loi constitutionnelle contrôlée. Car, ce contrôle nécessite la vérification de la conformité du contenu de la loi constitutionnelle avec les dispositions de la constitution qui déterminent des limites matérielles à la révision constitutionnelle. Par exemple, le problème de savoir si une loi constitutionnelle est conforme ou contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat nécessite un examen du fond de la loi en question. En effet sans savoir le contenu de la loi constitutionnelle, on ne peut pas juger si elle porte atteinte à cette interdiction.

Il résulte de ces explications que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles suppose qu'il y ait des règles de référence pour ce contrôle, c'est‑à‑dire, les dispositions de la constitution qui déterminent les conditions de la création des lois constitutionnelles et parfois qui fixent certaines limites relatives à l'objet de ces lois. En d'autres termes, pour qu'il y ait un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il faut qu'il y ait d'abord, dans la constitution, des conditions de forme et des limites matérielles à la révision constitutionnelle. Alors s'il n'existe pas de telles dispositions dans la Constitution, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est par hypothèse même est impossible.

Comme nous l'avons vu dans la première partie, à peu près toutes les constitutions contiennent les conditions de forme et de procédure pour la révision constitutionnelle. En effet le fait que la constitution déterminent la procédure de révision constitutionnelle implique l'existence des conditions de forme de la révision constitutionnelle.

Par contre, toutes les constitutions ne contiennent pas nécessairement les limites matérielles à la révision constitutionnelle. Comme on l'a vu, seulement certaines constitutions prévoient des limites matérielles à la révision constitutionnelle. D'ailleurs même dans ces constitutions, les limites matérielles à la révision constitutionnelle constituent des exceptions à la règle générale qui est la révisabilité de toutes les dispositions de la constitution. Alors dans des systèmes dont les constitutions ne contiennent pas des limites matérielles à la révision constitutionnelle, le contrôle de la constitutionnalité quant au fond est par hypothèse même impossible. Car, la norme posée par le pouvoir de révision constitutionnelle conformément à sa procédure devient une norme constitutionnelle comme une autre. Cette norme a exactement la même valeur juridique que les normes constitutionnelles initiales. Pour elle, la question de la conformité ou contrariété ne se pose pas. Par conséquent, dans un tel système, les lois constitutionnelles ne peuvent pas être contrôlées du point de vue de leur régularité matérielle, parce que tout simplement il n'y a pas de critère pour ce contrôle.

C'est pourquoi, au cours des études de cas, il faut d'abord montrer que  dans le pays étudié, d'une part, la constitution détermine les conditions de forme de la révision constitutionnelle, et d'autre part, que la constitution contient des limites matérielles à la révision constitutionnelle. Dans la première partie, nous avons déjà fait l'inventaire des limites matérielles à la révision constitutionnelle dans la Constitution française[4] et dans la Constitution turque[5]. Pour les autres pays, nous allons les préciser plus bas, avant de voir la jurisprudence constitutionnelle sur la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Par conséquent, le contrôle de la constitutionnalité quant à la forme des lois constitutionnelles est théoriquement possible dans les pays dont les constitutions déterminent la procédure de révision constitutionnelle. Par contre, la question du contrôle de la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles ne peut se poser que dans les pays dont les constitutions contiennent des limites matérielles à la révision constitutionnelle.

* * *

Dans ce chapitre, suivant le schéma théorique que nous avons tracé au chapitre précédent, nous allons examiner le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles à partir d'exemples. Ainsi nous allons voir, dans les divers pays, les réglementations constitutionnelles, ainsi que la jurisprudence des cours constitutionnelles sur le point de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Comme cas de figure nous avons choisi les pays suivants : l'Allemagne, l'Autriche, les Etats-Unis d'Amérique, la France et la Turquie.

Nous allons faire une place à part au cas de la Turquie. Nous avons réservé une section tout entière au problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Turquie, alors que la situation dans les autres pays (l'Allemagne, l'Autriche, les Etats-Unis, la France) seront toutes étudiées dans une même section. La place accordée à la Turquie se justifie à plusieurs égards :

D'abord, parmi les cours constitutionnelles étudiées, la Cour constitutionnelle turque est la seule cour constitutionnelle  qui a prononcé une décision d'annulation sur les lois constitutionnelles. Même si la Cour suprême des Etats‑Unis et les Cours constitutionnelles allemande et autrichienne ont déjà statué sur la validité des lois constitutionnelles, elles n'ont jamais jusqu'à ce jour prononcé l'annulation d'une loi constitutionnelle. Pour la première fois, la Cour constitutionnelle turque a annulé la loi constitutionnelle du 6 novembre 1969 par sa décision du 16 juin 1970. Elle a également prononcé l'annulation des différentes dispositions constitutionnelles dans les quatre décisions suivantes : les décisions des 15 avril 1975, 12 octobre 1976, 27 janvier 1977,  27 septembre 1977.

Deuxièmement, la cour constitutionnelle qui a rendu le plus de décisions sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles, c'est encore la Cour constitutionnelle turque. Elle a rendu 9 décisions sur les lois constitutionnelles. Alors que la Cour suprême des Etats-Unis en a rendu 8, et la Cour constitutionnelle autrichienne 3.

Troisièmement, parmi les pays étudiés, la Turquie est le seul pays où le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé expressément dès 1971 par la Constitution[6]. Comme on va l'étudier plus tard, le pouvoir de révision constitutionnelle en 1971 a attribué à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôler la constitutionnalité quant à la forme des lois constitutionnelles, et exclu expressément le contrôle de la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles. Egalement, le constituant originaire de 1982 a réglementé avec tous les détails le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans la Constitution turque de 1982, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé comme le contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires.

Enfin, l'attribution d'une place particulière au cas de la Turquie se justifie aussi par l'abondance du matériel de travail. Les neuf décisions rendues par la Cour constitutionnelle turque sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles occupent 282 pages dans le recueil des décisions de la Cour constitutionnelle turque[7]. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle est susceptible d'illustrer tous les aspects imaginables de la problématique du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. On y trouve tous les arguments pour être favorable ou défavorable à un tel contrôle. Egalement la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque a provoqué un large et vif débat dans la doctrine turque de droit constitutionnel. Les ouvrages et les articles consacrés à ce problème sont relativement nombreux. De même tous les manuels habituels de droit constitutionnel turc font une place à part  au problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Bref, pour ces raisons, nous avons réservé la deuxième section de ce chapitre au problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Turquie, alors que la situation dans les autres pays (l'Allemagne, l'Autriche, les Etats-Unis et la France) seront étudiées dans une même section.

Alors ce chapitre se compose de deux sections :

Section 1. - La situation dans les grandes démocraties contemporaines

Section 1. - La situation en Turquie

 


 

[1]. Ainsi les conditions de forme de la révision constitutionnelle sont des règles de référence pour le contrôle de la constitutionnalité quant à la forme et les limites matérielles à la révision constitutionnelle sont des règles de référence pour le contrôle de la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles.

 

[2]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Paragraphe unique, C. (Supra, p.123-135).

 

[3]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Paragraphe unique, A. (Supra, p.118-120).

 

[4]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 1.

 

[5]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 1.

 

[6]. A part la Constitution turque, à notre connaissance, la Constitution de l'Afrique du Sud de 1961 prévoyait un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. L'article 94 § 2 reconnaissait explicitement à la Cour suprême la compétence de contrôler la constitutionnalité des lois « qui amende(nt) ou abroge(nt), ou se propose(nt) d'amender ou d'abroger les dispositions des articles 108 et 118 de la Constitution ». Et l'article 108 prévoyait l'égalité des langues officielles (anglais et afrikaan). L'article 118 réglementait la procédure d'amendement constitutionnel. Cet article prévoyait également une procédure renforcée pour la révision des articles 108 et de lui-même. Pour le texte de ces articles voir Dmitri Georges Lavroff et G. Peiser, Les constitutions africaines, (tome 2 : Etats anglophones), Paris, A. Pédone, 1964, p.81, 91, 93.

 

[7]. Voir infra, Section 2.

 

 


 

 

Section 1
La situation dans les grandes démocraties contemporaines

 

 

  

Dans cette section, nous allons examiner le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans les différentes démocraties contemporaines. Comme cas de figure, nous avons choisi les pays suivants :  l'Allemagne, l'Autriche, les Etats-Unis et la France.

La caractéristique commune de ces pays se trouve dans le fait que leurs organes chargés du contrôle de la constitutionnalité ont déjà été appelés à statuer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Il y a aussi des différences entre ces pays au regard de notre problématique. Aux Etats-Unis d'Amérique, le contrôle de la constitutionnalité des lois est exercé par l'ensemble de l'appareil juridictionnel[1]. Autrement dit, la Cour suprême des Etats‑Unis illustre le type « décentralisé » du contrôle de la constitutionnalité des lois[2]. Alors que dans les pays européens ci-dessus, le contrôle de la constitutionnalité des lois est exercé par une cour constitutionnelle, c'est‑à‑dire par une juridiction spécialement créée à cet effet et située hors de l'appareil juridictionnel ordinaire[3]. En d'autres termes, les cours constitutionnelles[4] allemande, autrichienne, française illustrent le type « centralisé » du contrôle de la constitutionnalité des lois[5].

C'est pourquoi, en examinant le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il convient de distinguer les pays étudiés en fonction du modèle de leur justice constitutionnelle. Alors, il y a d'une part les Etats‑Unis d'Amérique qui appliquent un système décentralisé, et d'autre part les pays européens dont les organes de contrôle de constitutionnalité sont de type « centralisé ».

Cette section se subdivise donc en deux sous-sections :

Sous-section 1. - La situation aux Etats‑Unis

Sous-section 2. - La situation dans les pays européens

 


 


[1]. Favoreu, Les cours constitutionnelles, op. cit., p.3.

 

[2]. Pour le contrôle juridictionnel décentralisé voir Cappelletti, op. cit., p.196-199 ; Cappelletti et Cohen, op. cit., p.73.

 

[3]. Favoreu, Les cours constitutionnelles, op. cit., p.3, 5. Egalement du même auteur, « Rapport général introductif » présenté au Colloque d'Aix-en-Provence des 19, 20 et 21 février 1981, in Louis Favoreu (sous la direction de-), Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, Paris, Economica, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1982, p.30, 31.

 

[4]. Quelle que soit sa dénomination (cour, conseil, tribunal, etc.), la juridiction qui répond à la définition ci-dessus est appelée dans notre travail la « cour constitutionnelle » (voir Favoreu, Les cours constitutionnelles, op. cit., p.4).

 

[5]. Cappelletti, op. cit., p.199-211 ; Cappelletti et Cohen, op. cit., p.73.

 


 

 

Sous-section 1
La situation aux Etats-Unis

 

 

Aux Etats‑Unis, la procédure de la révision constitutionnelle est réglementée par l'article 5 de la Constitution du 17 septembre 1787.

        Article 5. – Le Congrès, toutes les fois que les deux tiers des deux Chambres l'estimerait nécessaire, proposera des amendements à cette Constitution ou bien, si les législatures des deux tiers des Etats en font la demande, convoquera une convention pour proposer des amendements ; ces amendements, dans un cas comme dans l'autre, seront validés à tous égards et en tout point, comme partie intégrante de cette Constitution, quand ils auront été ratifiés par les législatures des trois quarts des Etats, ou par les trois quarts des conventions réunies à cet effet dans chacun des Etats, selon que l'un ou l'autre mode de ratification aura été proposé par le Congrès. Toutefois, il ne pourra être fait aucun amendement, de quelque nature que ce soit avant l'année 1808 sur la première et la quatrième clause de la neuvième section du premier article, et aucun Etat ne pourra être privé, sans son consentement, de l'égalité de suffrage au Sénat ».

Comme on le voit, dans la Constitution des Etats‑Unis, il y a une seule limite matérielle à la révision constitutionnelle : le principe d'égalité de suffrage au Sénat des Etats fédérés.

Rappelons qu'aux Etats‑Unis, le contrôle de la constitutionnalité des lois est exercé par l'ensemble de l'appareil juridictionnel[1]. En d'autres termes, la Cour suprême des Etats-Unis illustre le type « décentralisé » du contrôle de la constitutionnalité des lois[2].

La Cour suprême des Etats‑Unis a eu plusieurs occasions de statuer sur la validité des amendements constitutionnels. Aux Etats‑Unis, le contrôle de la constitutionnalité des amendements constitutionnels a une riche histoire. Comme le constate Walter Dellinger, « le contrôle juridictionnel du processus d'amendement est, dans un sens, plus ancien que le contrôle juridictionnel lui-même »[3]. La première décision de la Cour suprême sur la validité d'un amendement constitutionnel est arrivée, en 1798, dans l'affaire Hollingsworth v. Virginia[4], cinq ans avant la fameuse décision Marbury v. Madison (1803)[5] établissant le contrôle de la constitutionnalité des lois[6].

La Cour suprême a statué sur la validité d'un amendement constitutionnel dans les huit affaires suivantes :

1. L'affaire Hollingsworth v. Virginia (1798)[7]

La question de la validité d'un amendement constitutionnel a été pour la première fois invoquée dans l'affaire Hollingsworth v. Virginia (1798)[8]. Cette affaire est relative à l'onzième amendement[9]. Cet amendement a exclu le droit d'intenter des recours devant les cours fédérales contre l'un des Etats par les citoyens d'un autre Etat ou par les citoyens ou sujets d'un Etat étranger.

Le procès de Hollingsworth contre la Virginie a été suspendu devant la Cour suprême, et sur la base de l'amendement, la Virginie a demandé le rejet de cette affaire[10]. Hollingsworth a répondu que l'amendement n'a pas été correctement adopté, parce que la résolution du Congrès proposant cet amendement n'a pas été soumise au Président des Etats‑Unis pour sa signature (approbation ou veto) comme le prévoit l'article 1er de la Constitution[11].

La Cour suprême a rejeté cet argument en affirmant que « le veto du Président s'applique seulement à la législation ordinaire »[12]. Selon la Cour, la proposition de l'amendement par le Congrès est une fonction fédérale dérivée de la Constitution. Elle n'est pas un acte de législation ordinaire, et par conséquent elle n'a pas besoin de l'approbation du Président[13]. Par conséquent la Cour suprême a dit expressément que l'amendement a été « constitutionnellement adopté »[14].

D'ailleurs dans la même affaire, il a été avancé que l'amendement annulait les procès commencés avant son adoption, c'est‑à‑dire, il était ex post facto et par conséquent invalide[15]. La Cour suprême a unanimement répondu que l'amendement est entré en vigueur immédiatement après sa ratification, et de ce fait, il a supprimé la compétence de la Cour suprême de décider dans les procès, avant ou après, dans lesquels l'amendement s'applique[16].

2. L'affaire Myers v. Anderson (1915)[17]

Quarante-cinq ans après son adoption, la question de la validité du quinzième amendement a été soulevée dans l'affaire Myers v. Anderson (1915)[18]. Cependant la Cour suprême s'est abstenue d'exprimer une quelconque opinion sur cette question et l'a passée sub silentio[19].

3. Les National Prohibition Cases (1920)[20]

Cette décision de la Cour suprême concerne le dix-huitième amendement qui interdisait « la fabrication, la vente et le transport des boissons alcooliques, ainsi que leur importation et exportation... sur le territoire des Etats‑Unis »[21].

Au lendemain de la ratification du dix-huitième amendement, les adversaires de la prohibition de l'alcool, « battus devant les deux chambres du Congrès où ils n'avaient pu empêcher le projet de passer à la majorité requise des deux tiers ; battus devant les législatures des trois quarts des Etats »[22], ils ont essayé de convaincre la Cour suprême que l'amendement était invalide[23]. Ils ont avancé essentiellement deux types d'arguments.

D'abord un argument de fond : selon eux, l'objet de cet amendement porte sur une matière pour laquelle l'amendement à la Constitution fédérale ne peut être constitutionnellement édicté[24].

Un pareil argument a été développé également par William L. Marbury[25]. Selon lui, cet amendement était par nature au-delà du pouvoir d'amender la Constitution, et par conséquent il devait être déclaré invalide par la Cour suprême.

La Cour suprême a rejeté cet argument. La Cour a décidé qu'il n'y a aucune restriction sur l'objet des amendements constitutionnels. La Cour a dit que

« l'interdiction de la fabrication, de la vente, du transport, de l'importation et de l'exportation des boissons alcooliques, telle qu'elle est exprimée dans le dix-huitième amendement, est à l'intérieur du pouvoir d'amender prévu par l'article 5 de la Constitution »[26].

D'autre part, les adversaires de la prohibition de l'alcool ont prétendu que le dix-huitième amendement n'a pas été adopté selon les procédures correctes[27]. La Cour a également refusé cet argument en affirmant que le vote des deux tiers requis pour l'adoption d'une proposition d'amendement dans chaque chambre,

« est un vote des deux tiers des membres présents – assurant la présence d'un quorum – et non pas le vote des deux tiers du nombre total des membres présents et absents »[28].

4. L'affaire Hawke v. Smith (1920)[29]

Une résolution commune proposant aux Etats le dix-huitième amendement à la Constitution des Etats‑Unis a été adoptée le 3 décembre 1917. Le 7 janvier 1919, le Sénat et la Chambre des représentants de l'Etat de l'Ohio ont adopté une résolution ratifiant l'amendement proposé par l'Assemblée générale de l'Etat de l'Ohio.

Or la Constitution de l'Ohio, adoptée en novembre 1918, étendait le référendum à la ratification des amendements de la Constitution fédérale. Hawke, un citoyen de l'Ohio, a intenté un recours devant la Cour de commune du chef-lieu Franklin, en vue d'interdire, au Secrétaire d'Etat de l'Ohio, de dépenser l'argent public dans la préparation et l'impression des bulletins de vote pour un référendum sur la question de la ratification du dix-huitième amendement à la Constitution fédérale[30].

Une objection à cette requête a été acceptée par la Cour de commune et son jugement a été confirmé par la Cour suprême de l'Etat de l'Ohio[31].

La Cour suprême de l'Ohio a soutenu que, selon l'article 2, § 1, de la Constitution de l'Ohio, l'Etat a le pouvoir d'exiger la ratification de la proposition du dix-huitième amendement par le peuple de l'Etat de l'Ohio au moyen du référendum[32]. Ainsi selon la Cour suprême de l'Ohio, l'amendement devait être soumis à la ratification du peuple[33].

Statuant sur cette affaire, le 1er juin 1920, la Cour suprême des Etats‑Unis a cassé le jugement de la Cour suprême de l'Ohio[34], et déclaré nul la disposition de la Constitution de l'Ohio exigeant le référendum pour la ratification des amendements à la Constitution fédérale[35].

La Cour suprême fédérale a d'abord observé que l'article 5 de la Constitution fédérale prévoit la ratification par les législatures des trois quarts des Etats, ou par les trois quarts des conventions réunies à cet effet dans chacun des Etats. La méthode de la ratification appartient au Congrès[36]. Le Congrès a choisi la voie de la ratification par les législatures des Etats[37].

Ensuite la Cour suprême a discuté la question de savoir ce que veut dire la disposition de la Constitution qui prévoit la ratification par les « législatures ». La Cour a répondu que la « législature » désigne « un corps représentatif qui fait des lois du peuple ». Il ne signifie aucunement le vote direct du peuple. Si les pères fondateurs avaient voulu que l'amendement fédéral soit ratifié par le vote direct du peuple, ils auraient pu le dire expressément[38].

Puis la Cour suprême a affirmé que

« la ratification par un Etat d'un amendement constitutionnel n'est pas un acte législatif au sens propre du terme. Mais, elle est l'expression d'un assentiment de l'Etat à l'amendement proposé »[39].

        « Il est vrai, dit la Cour, que le pouvoir de légiférer des lois d'un Etat est dérivé du peuple de cet Etat. Par contre le pouvoir de ratifier une proposition d'amendement à la Constitution fédérale trouve sa source dans la Constitution fédérale. L'acte de ratification par l'Etat tire son autorité de la Constitution fédérale à laquelle l'Etat et son peuple ont consenti »[40].

En conséquence, selon la Cour suprême des Etats‑Unis, un Etat fédéré n'a pas le droit d'exiger la soumission à un référendum de la ratification d'un amendement à la Constitution fédérale[41]. Ainsi la disposition de la Constitution de l'Ohio qui prévoit le référendum pour la ratification des amendements à la Constitution fédérale a été déclarée nulle[42].

5. L'affaire Dillon v. Gloss (1921)[43]

Cette affaire aussi concerne le dix-huitième amendement. Cet amendement prévoyait qu'« un an après la ratification de cet article, la fabrication, la vente et le transport des boissons alcooliques... seront interdits... ». Le National Prohibition Acte qui fait du transport des boissons alcooliques un crime fédéral a prévu son entrée en vigueur exactement un an après l'adoption du dix-huitième amendement[44].

J. J. Dillon a été arrêté, le 17 janvier 1920, pour le transport de boissons alcooliques en violation du § 3 du National Prohibition Act[45]. Les trois derniers Etats ont ratifié l'amendement le 16 janvier 1919. Toutefois le Secrétaire d'Etat n'a pas certifié l'adoption de l'amendement jusqu'au 29 janvier 1919[46].

Dillon a intenté un habeas corpus pour obtenir sa relaxe[47]. Il a soutenu que l'amendement n'est pas devenu partie intégrante de la Constitution jusqu'au jour où le Secrétaire d'Etat a proclamé la ratification, et par conséquent le transport des vins n'était pas un crime jusqu'au 29 janvier 1920[48].

La Cour suprême a rejeté la demande de Dillon. La Cour a affirmé que la promulgation du Secrétaire d'Etat n'était pas importante, et que le processus a été accompli entièrement par la ratification du dernier Etat[49].

D'ailleurs dans cette affaire la Cour suprême a conclu que l'on peut déduire de l'article 5 de la Constitution que « la ratification doit être dans un délai raisonnable après la proposition »[50]. Selon la Cour, le dix-huitième amendement n'a pas été inconstitutionnellement adopté, parce que le Congrès, en le soumettant aux Etats, a stipulé qu'il sera caduc s'il n'a pas été ratifié par les législatures des différents Etats dans les sept années. Ainsi la Cour suprême a affirmé que le Congrès peut validement mettre une limite à la période de ratification[51]. Car, « le pouvoir de proposer un amendement comprend le pouvoir de fixer un délai dans lequel un amendement proposé peut être ratifié »[52]. En conséquence, la Cour suprême a jugé que la période de sept années est raisonnable[53].

6. L'affaire Leser v. Garnet (1922)[54]

Cette affaire concerne le dix-neuvième amendement à la Constitution fédérale (1920) qui prévoit que « le droit de vote des citoyens des Etats-Unis ne pourra être refusé ni restreint par les Etats-Unis ni par aucun Etat pour raison de sexe ».

D'abord, les adversaires de cet amendement ont soutenu qu'il est inconstitutionnel quant à son contenu. Car selon eux, l'extension du droit de vote aux femmes constitue une grande addition à l'électorat, et une telle addition, sans consentement de l'Etat (Maryland a refusé de ratifier le dix-neuvième amendement[55]), détruit l'autonomie des Etats fédérés en tant que corps politique, et par conséquent elle va au‑delà du pouvoir d'amendement[56].

La Cour suprême a rejeté cet argument et a souligné que le dix-neuvième amendement est similaire au quinzième amendement[57] qui a été reconnu comme valide depuis 50 ans[58]. Ainsi la Cour constitutionnelle a dit que le dix-neuvième amendement est un exercice approprié du pouvoir d'amendement[59]. On peut donc conclure qu'un amendement constitutionnel ne peut être invalidé en raison de son contenu[60].

D'autre part, certains électeurs de l'Etat de Maryland ont intenté un recours devant la cour de cet Etat pour obliger les officiers électoraux à rayer les noms des femmes de la liste des électeurs[61] en raison du fait que la Constitution de Maryland réserve le droit de suffrage seulement aux hommes et que le dix-neuvième amendement à la Constitution fédérale n'est pas encore valablement ratifié[62]. La Cour de Maryland a rejeté ce recours et son jugement a été confirmé par la Cour suprême de cet Etat[63].

Statuant sur cette affaire, la Cour suprême des Etats‑Unis a confirmé le jugement de la Cour de Maryland[64]. Selon la Cour suprême, les actes des autorités fédérées dans la procédure de ratification de l'amendement proposé doivent être appréciés selon la Constitution fédérale et non pas selon la Constitution de l'Etat fédéré. Car,

« la fonction d'un Etat dans la ratification d'un amendement proposé, comme la fonction du Congrès dans la proposition de l'amendement, est une fonction fédérale dérivée de la Constitution fédérale et elle n'est pas soumise aux limitations imposées par le peuple d'un Etat »[65].

7. L'affaire United States v. Sprague (1931)[66]

Cette affaire aussi concerne le dix-huitième amendement. Pour sa ratification, la section 3 de cet amendement prévoyait la voie de ratification par les législatures et non pas par les conventions.

Les adversaires de cet amendement ont prétendu que le dix-huitième amendement était nul, parce qu'il a été ratifié par les législatures des Etats, et non pas par les conventions des Etats. Selon eux, les amendements constitutionnels mineurs peuvent être ratifiés par les législatures des Etats, mais les amendements conférant aux Etats‑Unis de nouveaux pouvoirs directs sur les individus, comme le dix-huitième amendement, doivent être ratifiés par les conventions[67].

La Cour suprême a refusé cet argument. La Cour a dit que le choix de la méthode pour la ratification de l'amendement proposé (par les législatures ou par les conventions) « appartient exclusivement à l'appréciation du Congrès »[68]. Par conséquent le Congrès a le pouvoir de décider si les ratifications doivent être faites par les législatures ou par les conventions des différents Etats[69]. D'ailleurs, tous les amendements adoptés avant 1931 ont été ratifiés par les législatures des Etats, et beaucoup d'entre eux ont produit des changements aussi important que le dix-huitième amendement[70].

8. L'affaire Coleman v. Miller (1939)[71]

En juin 1924, le Congrès a proposé un amendement à la Constitution, connu sous le nom de Child Labor Amendment[72]. En janvier 1925, la législature du Kansas a adopté une résolution rejetant l'amendement proposé et a certifié la copie de cette résolution qui a été envoyée au Secrétaire d'Etat des Etats‑Unis. Douze ans plus tard, en janvier 1937, la législature du Kansas a, cette fois-ci, ratifié cet amendement qu'elle avait préalablement rejeté[73]

Un recours a été intenté par les 24 sénateurs et représentants de l'Etat du Kansas devant la Cour suprême du Kansas[74]. Les requérants ont demandé à la Cour d'interdire aux officiers de la législature de signer la résolution et de prohiber le Secrétaire d'Etat du Kansas, d'authentifier et de délivrer la résolution au Gouverneur[75].

Les requérants ont soulevé plusieurs questions[76]. Nous n'allons examiner ici que deux d'entre elles.

1. Un Etat peut-il ratifier un amendement qu'il a déjà rejeté auparavant [77] ?

Selon les requérants, la législature du Kansas ne pouvait pas ratifier la proposition de cet amendement, car il avait perdu sa validité à cause de son rejet préalable. En effet, de juin 1924 jusqu'en mars 1927, l'amendement a été rejeté par les législatures de 36 Etats, et a été ratifié seulement par cinq Etats[78]. Ainsi, selon eux, à cause du rejet et de la faillite de la ratification, l'amendement proposé a perdu sa validité[79].

La Cour du Kansas a rejeté la requête. Ainsi elle a admis que la législature, qui a déjà rejeté un amendement proposé par le Congrès, peut le ratifier plus tard. L'argument de la Cour du Kansas consiste à dire que l'article 5 de la Constitution fédérale ne dit rien sur le rejet, mais parle seulement de la ratification[80].

La Cour suprême des Etats‑Unis a confirmé ce jugement.

La Cour suprême a décidé que la question de savoir si la législature d'un Etat peut ratifier une proposition d'amendement qu'elle a préalablement rejetée est une question politique et non pas juridique[81]. Selon la Cour,

« la question de l'efficacité des ratifications par les législatures après un rejet préalable ou le retrait doit être considérée comme une question politique appartenant à l'autorité suprême du Congrès dans l'exercice de son contrôle sur la promulgation de l'adoption de l'amendement »[82].

La Cour suprême a précisé qu'à cause d'un rejet préalable, elle ne peut pas interdire au Secrétaire d'Etat de certifier la ratification. Car, dans la Constitution, il n'y a aucune base pour une telle action. L'article 5 parle seulement de la ratification, et ne contient aucune disposition concernant le rejet[83].

2. Les amendements proposés meurent-ils de vieillesse, et si c'est le cas, combien de temps restent-ils en vie pour les Etats qui ne les ont pas ratifiés[84] ?

Les requérants ont soutenu que la législature du Kansas ne pouvait pas ratifier la proposition d'amendement, parce que cette proposition avait perdu sa vitalité du fait que treize ans se sont écoulés entre la proposition en 1924 et sa ratification en 1937[85]. Selon eux, l'amendement aurait du être ratifié dans un délai raisonnable, et les treize ans ne sont pas un délai raisonnable[86].

La Cour suprême a été invitée ainsi à discuter de la question de savoir si la proposition d'amendement a perdu sa validité durant ce laps de temps ; par conséquent elle n'aurait pas pu être ratifiée par la législature du Kansas en 1937.

Nous avons déjà vu, dans l'affaire Dilon v. Gloss, que la Cour suprême a déduit de l'article 5 de la Constitution que « la ratification doit être faite dans un délai raisonnable après la proposition »[87]. Le dix-huitième amendement n'était pas inconstitutionnel, parce que le Congrès a prévu un délai de sept ans pour sa ratification et que la période de sept années était raisonnable selon l'appréciation de la Cour.

Or, dans la proposition du Child Labor Amendment, le Congrès n'a fixé aucune limite de temps pour la ratification. Les requérants, en s'appuyant sur l'affaire Dilon v. Gloss, ont soutenu qu'en l'absence de détermination d'une telle limite par le Congrès, la Cour peut et doit décider quel est le délai raisonnable dans lequel la ratification peut avoir lieu[88].

La Cour suprême a rejeté cet argument. La Cour a cherché un critère pour la détermination juridique d'un tel délai. Elle a conclu qu'il n'y a aucun critère dans la Constitution[89]

Selon la Cour, la détermination d'un délai raisonnable nécessite une évaluation des différentes conditions sociales, économiques etc. Et ces conditions sont difficilement appréciables par un tribunal. La détermination par un tribunal de telles conditions serait une extension extravagante de l'autorité judiciaire. En effet, l'appréciation de ces conditions appartient aux organes politiques et non pas aux tribunaux, car les questions que la détermination de ces conditions soulève sont essentiellement de nature politique et non pas juridique. Elles peuvent être décidées par le Congrès avec la connaissance et l'appréciation complète des conditions politiques, sociales et économiques qui ont prévalu durant la période de la ratification d'amendement[90].

Ainsi la Cour a décidé que, selon l'article 5 de la Constitution fédérale, le Congrès a le pouvoir de fixer un délai raisonnable pour la ratification de l'amendement. L'appréciation du caractère raisonnable de ce délai appartient également à la compétence du Congrès. En d'autres termes, si le Congrès n'a pas fixé un tel délai, la réponse à la question de savoir si la proposition d'amendement a été ratifiée dans un délai raisonnable doit être donnée encore par le Congrès lui-même. En effet, le Congrès, en certifiant les ratifications des Etats en vue de la promulgation de l'adoption de l'amendement, apprécie le caractère raisonnable du délai dans lequel les Etats ont ratifié la proposition[91]. Alors la décision du Congrès sur la question de savoir si l'amendement a été adopté dans un délai raisonnable ne doit pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire[92].

Pour ces raisons la Cour suprême des Etats‑Unis a confirmé le jugement de la Cour suprême du Kansas[93].

Les juges Black, Roberts, Frankfurter et Douglas ont ajouté une opinion concurrente à cette décision. Le juge Frankfurter, parlant pour lui-même et pour trois autres membres de la Cour, a affirmé que « tout contrôle du processus d'amendement a été donné par l'article 5 exclusivement et complètement au Congrès »[94]. En effet il a constaté que « la Constitution accorde au Congrès le pouvoir exclusif de contrôler la soumission des amendements constitutionnels. La vérification finale du Congrès sur le point de savoir si un amendement a été bien ratifié par les trois quarts des Etats est définitive pour les cours »[95]. Ainsi selon ces quatre juges, le contrôle de la constitutionnalité ne peut prendre aucune place dans le processus d'amendement, parce que « ce processus est ’politique’ dans son ensemble, depuis de sa soumission jusqu'à ce que l'amendement devient une partie intégrante de la Constitution, et il ne fait l'objet d'un contrôle ou d'une intervention juridictionnelle sur aucun point »[96].

Les juges Butler et McReynolds n'ont pas approuvé le jugement de la Cour suprême. Le juge Butler, dans son opinion dissidente à laquelle se joint le juge McReynolds, a constaté que plus de 13 ans se sont écoulés entre la proposition et la ratification. Selon lui, comme la Cour suprême a décidé directement, dans l'affaire Dillon V. Gloss, sur le caractère raisonnable de sept années fixées par le Congrès, la Cour aussi devait décider si le délai de 13 ans entre la proposition et la ratification était un délai raisonnable[97].

Conclusion

Aux Etats‑Unis, le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des amendements constitutionnels est possible. Car, la Cour suprême a déjà statué plusieurs fois sur la validité des amendements constitutionnels. De plus aux Etats‑Unis, le contrôle de la constitutionnalité des amendements constitutionnels est plus ancien que le contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires : la Cour suprême a contrôlé la constitutionnalité d'un amendement constitutionnel pour la première fois, en 1798, dans l'affaire Hollingsworth v. Virginia[98], c'est‑à‑dire, cinq ans avant la fameuse décision Marbury v. Madison (1803)[99] établissant le contrôle de la constitutionnalité des lois[100].

Ainsi, dès 1798, dans les différentes affaires, la Cour a examiné la régularité du processus d'adoption des amendements constitutionnels. Cet examen consistait à vérifier si l'amendement constitutionnel en question avait bien été édicté conformément aux conditions de forme prévues dans l'article 5 de la Constitution. En d'autres termes, cet examen était un contrôle de la constitutionnalité quant à la forme des amendements constitutionnels.

Depuis 1798, dans l'exercice de son contrôle sur les amendements constitutionnels, la Cour suprême a résolu les différents litiges concernant l'application de l'article 5 de la Constitution. Au cours de deux siècles, concernant l'application de l'article 5, la Cour suprême a posé essentiellement les règles suivantes :

- Les amendements constitutionnels n'ont pas besoin de l'approbation du Président des Etats‑Unis (Hollingsworth v. Virginia).

- Le vote des deux tiers requis pour l'adoption d'une proposition d'amendement dans chaque chambre est un vote des deux tiers des membres présents – assurant la présence d'un quorum – et non pas le vote des deux tiers du nombre total des membres présents et absents (National Prohibition Cases).

- Un Etat fédéré n'a pas le droit de soumettre au référendum la ratification d'un amendement à la Constitution fédérale (Hawke v. Smith).

- Le processus d'adoption de l'amendement est accompli entièrement par la ratification du dernier Etat. La proclamation par le Secrétaire d'Etat n'est pas importante à cet égard (Dillon v. Gloss).

- La ratification doit être dans un délai raisonnable après la proposition. La période de sept années est un délai raisonnable (Dillon v. Gloss).

- Le pouvoir de proposer un amendement comprend le pouvoir de fixer un délai dans lequel un amendement proposé peut être ratifié (Dillon v. Gloss).

- La fonction d'un Etat fédéré dans la ratification d'un amendement proposé est une fonction fédérale, dérivée de la Constitution fédérale, et par conséquent elle n'est pas soumise aux limitations imposées par la Constitution d'un Etat (Leser v. Garnet).

- Le choix de la méthode pour la ratification de l'amendement proposé (par les législatures ou par les conventions) appartient exclusivement à l'appréciation du Congrès (United States v. Sprague).

- La question de savoir si la législature d'un Etat peut ratifier une proposition d'amendement qu'elle a préalablement rejetée est une question politique et non pas juridique. Par conséquent, elle appartient à l'appréciation du Congrès dans l'exercice de son contrôle sur la promulgation de l'adoption de l'amendement (Coleman v. Miller).

- La question du caractère raisonnable du délai de la ratification est essentiellement de nature politique et non pas juridique. Par conséquent, la décision du Congrès sur la question de savoir si l'amendement a été adopté dans un délai raisonnable ne doit pas faire l'objet d'un contrôle juridictionnel (Coleman v. Miller).

Comme on le voit dans la dernière affaire (Coleman v. Miller [1939]), la Cour suprême a délimité l'étendue de son contrôle, en utilisant sa doctrine des political questions[101]. Selon la Cour, les deux questions ci-dessus sont de nature politique, par conséquent, il appartient au Congrès de les résoudre. Ainsi, on peut parler d'un judicial self restraint en matière du contrôle de la constitutionnalité des amendements constitutionnels[102].

 * * *

Au cours de deux siècles, la Cour suprême a été invitée également à contrôler non seulement la régularité formelle, mais aussi le contenu même des amendements constitutionnels[103]. Cependant, la Cour n'a jamais affirmé une quelconque opinion en faveur d'un contrôle de fond des amendements constitutionnels.

Par exemple, comme nous venons de le voir, dans l'affaire Hollingsworth v. Virginia (1798), le requérant a soutenu que l'onzième amendement était inconstitutionnel, car il annulait les procès commencés avant son adoption, c'est‑à‑dire, il était ex post facto. Egalement, dans National Prohibition Cases (1920), il a été avancé que l'objet du dix-huitième amendement porte sur une matière pour laquelle l'amendement à la Constitution fédérale ne peut être constitutionnellement édicté. De même, dans l'affaire Leser v. Garnet (1922), les adversaires du dix-neuvième amendement ont soutenu qu'il est inconstitutionnel quant à son contenu, car selon eux, il détruisait l'autonomie des Etats fédérés en tant que corps politique. La Cour suprême a rejeté toujours ces arguments de fond. Elle a répondu qu'il n'y a aucune restriction sur l'objet des amendements constitutionnels.

On peut donc conclure qu'un amendement constitutionnel ne peut être invalidé en raison de son contenu. Ceci est tout à fait logique, car dans la Constitution des Etats‑Unis, il n'y a qu'une limite matérielle à l'amendement constitutionnel : l'interdiction de priver un Etat fédéré, sans son consentement, de l'égalité de suffrage au Sénat (la dernière clause de l'article 5). Et, jusqu'à ce jour, il n'y a pas eu d'amendement à la Constitution sur ce point.

Alors aux Etats‑Unis, le pouvoir d'amendement constitutionnel est limité quant à sa forme, car les conditions de forme prévues à l'exercice de ce pouvoir sont effectivement sanctionnées par le contrôle de la Cour suprême. Cependant dans l'affaire Coleman v. Miller, la Cour suprême a affirmé son rôle restreint dans l'exercice de son contrôle sur la validité des amendements constitutionnels, en évoquant sa doctrine des political questions. Ainsi on peut affirmer que la Cour suprême suit un judicial self restraint en matière d'amendement constitutionnel. Et ceci donne plus de liberté au pouvoir d'amendement constitutionnel.

Continue après les notes.

 


[1]. Favoreu, Les cours constitutionnelles, op. cit., p.3.

[2]. Pour le contrôle juridictionnel décentralisé, voir Cappelletti, op. cit., p.196-199 ; Cappelletti et Cohen, op. cit., p.73.

[3]. Walter Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change : Rethinking the Amendment Process », Harvard Law Review, vol.97, 1983, p.403.

[4]. 3 Dallas 378 ; 1 L. Ed. 644 (1798).

[5]. 1 Cranch 137 (1803).

[6]. Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.403.

[7]. 3 Dallas 378 ; 1 L. Ed. 644 (1798).

[8]. 3 Dallas 378 ; 1 L. Ed. 644 (1798). Pour cette affaire, voir Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.403 ; Robert E. Cushman et Robert F. Cushman, Cases in Constitutional Law, New York, Appleton-Century-Crofts, 3e éd., 1968, p.3 ; Noel T. Dowling, Cases on Constitutional Law, Brooklyn, The Foundation Press, 5e éd., 1954, p.153.

[9]. Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.403 ; Cushman et Cushman, op. cit., p.3 ; Dowling, op. cit., p.53.

[10]. Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.403.

[11]. Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.403 ; Cushman et Cushman, op. cit., p.3.

[12]. 3 Dallas 381, cité par Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.403.

[13]. Paul G. Kauper, Constitutional Law : Cases and Materials, Boston, Toronto, Little, Brown and Company, 2e éd., 1960, p.291 ; Cushman et Cushman, op. cit., p.3 ; Dowling, op. cit., p.153.

[14]. 3 Dallas 382, cité par Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.403.

[15]. Cushman et Cushman, op. cit., p.3.

[16]Ibid.

[17]. 238 U.S. 368 ; 35 Sup. Ct. 932 (1915)

[18]. 238 U.S. 368 ; 35 Sup. Ct. 932 (1915)

[19]. William L. Marbury, « The Limitations upon the Amending Power », Harvard Law Review, vol.XXXIII, 1919-1920, p.233.

[20]National Prohibition Cases (1920), 253 U.S. 350 ; 40 Sup. Ct. 486 ; 64 L. Ed. 946.

[21]. A partir de 1920, la Cour suprême a été appelée plusieurs fois à statuer sur la validité des amendements constitutionnels. A cet égard, le dix-huitième amendement était singulièrement productif. Le dix-huitième amendement a produit quatre décisions dans les affaires suivantes : National Prohibition Cases, Hawke v. Smith, Dilon v. Gloss, et United States v. Sprague. En effet cet amendement mettait fin à une grande industrie. D'énormes sommes d'argent étaient en jeu. Les adversaires de la prohibition ont essayé de contester la validité de l'amendement sur toutes les bases imaginables (Voir Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.403-404).

[22]. Edouard Lambert, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux Etats‑Unis : expérience américaine du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, Paris, Marcel Giard, 1921, p.111-112.

[23]. Robert E. Cushman, Leading Constitutional Decisions, New York, Appleton-Century-Crofts, 10e éd., 1955, p.1.

[24]. Cushman, op. cit., p.1 ; Dowling, op. cit., p.153 ; Thomas Reed Powell, « The Supreme Court and the Constitution », Political Science Quarterly, vol. 35, 1920, p.413. Le dix-huitième amendement ne pouvait pas être édicté par le pouvoir d'amendement, parce qu'il privait des Etats de leurs pouvoirs de police protégés par le 10e amendement. Par conséquent il modifiait la Constitution d'une façon si fondamentale qu'il ne peut pas être considéré comme un « amendement », mais un premier pas vers sa destruction. Ainsi il a été avancé que la nouvelle matière qui a été introduite dans la Constitution a été une simple « addition » et non pas un « amendement », car il n'y avait aucune disposition concernant cette matière dans la Constitution initiale. Voir Powell, op. cit., p.413.

[25]. Marbury, op. cit., p.223-235. Pour sa thèse de la limitation matérielle du pouvoir d'amendement constitutionnel voir, infra, note 103.

[26]. 253 U.S. 386 cité par Cushman, op. cit., p.1. Voir également Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.404.

[27]. Cushman, op. cit., p.1.

[28]. Cité par Dowling, op. cit., p.152. Voir également, Cushman et Cushman, op. cit., p.3 ; Kauper, Constitutional Law..., op. cit., p.291 ; Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.404 ; Powell, op. cit., p.414.

[29]. 253 U.S. 221 ; 40 Sup. Ct. 495 ; 64 L. Ed. 871 (1920).

[30]. Cushman et Cushman, op. cit., p.5.

[31]. Dowling, op. cit., p.140.

[32]. Cushman et Cushman, op. cit., p.6.

[33]. E. D. Graper et H. J. Carman, « Record of Political Events (from August 1, 1919 to June 20, 1920) », supplément à Political Science Quarterly, vol. 35, 1920, p.69.

[34]. Cushman et Cushman, op. cit., p.7 ; Dowling, op. cit., p.140 ; Graper et Carman, op. cit., p.70.

[35]. Graper et Carman, op. cit., p.70.

[36]. 253 U.S. 221, cité par Cushman et Cushman, op. cit., p.7.

[37]. Section 3 du dix-huitième amendement.

[38]. 253 U.S. 221, cité par Cushman et Cushman, op. cit., p.6.

[39]. 253 U.S. 221, cité par Cushman et Cushman, op. cit., p.7.

[40]. 253 U.S. 221, cité par Cushman et Cushman, op. cit., p.7.

[41]. Cushman et Cushman, op. cit., p.7 ; Dowling, op. cit., p.140 ; Powell, op. cit., p.414.

[42]. Graper et Carman, op. cit., p.70.

[43]. 256 U.S. 368 ; 41 S. Ct. 510 ; 65 L. Ed. 994 (1921).

[44]. Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.402.

[45]Ibid., p.402, 412,

[46]Ibid., p.402.

[47]. Kauper, Constitutional Law, op. cit., p.46.

[48]. Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.402.

[49]Dilon v. Gloss, 256 U.S. 376 cité par Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.403.

[50]Dilon v. Gloss, 256 U.S. 368 cité par Cushman, op. cit., p.1.

[51]. Cushman, op. cit., p.1.

[52]. Kauper, Constitutional Law..., op. cit., p.291.

[53]Dilon v. Gloss, 256 U.S. 368 cité par Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.404.

[54]. 258 U.S. 130 ; 42 S. Ct. 217 ; 66 L. Ed. 505 (1922).

[55]. Le 17 février 1920. Egalement la Georgie, la Virginie, l'Alabama, le Mississippi, la Caroline du Sud, l'Etat de Delaware, la Louisiane ont refusé de ratifier le dix‑neuvième amendement. Voir Graper et Carman, op. cit., p.71.

[56]. Dowling, op. cit., p.153 ; Cushman et Cushman, op. cit., p.3 ; Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.405.

[57]. Le quinzième amendement (1870) prévoit que « le droit de vote des Etats-Unis ne pourra être refusé ni restreint par les Etats‑Unis, ni par aucun Etat pour raison de race, de couleur ou d'un état de servitude antérieur ».

[58]. 258 U.S. 130, cité par Cushman et Cushman, op. cit., p.3.

[59]. 258 U.S. 136, cité par Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.405.

[60]. Cushman et Cushman, op. cit., p.3.

[61]. Dowling, op. cit., p.153.

[62]Ibid., p.140.

[63]Ibid., p.140, 153.

[64]Ibid., p.140, 153.

[65]. 258 U.S. 130, cité par Dowling, op. cit., p.152-153, également par Cushman et Cushman, op. cit., p.4.

[66]. 282 U.S. 716 ; 51 S. Ct. 220 ; 75 L. Ed. 640 (1931).

[67]. Cushman et Cushman, op. cit., p.3-4. Egalement voir Kauper, Constitutional Law..., op. cit., p.292 : Ainsi ils ont affirmé que « les amendements portant un changement dans les libertés des citoyens, en comparaison aux changements dans le fonctionnement de gouvernement, doivent être ratifiés par les conventions ».

[68]. Dowling, op. cit., p.152 ; Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.404.

[69]. Kauper, Constitutional Law..., op. cit., p.292.

[70]. Cushman et Cushman, op. cit., p.3-4.

[71]. 307 U.S. 433 ; 59 S. Ct. 972 ; 83 L. Ed. 1835 (1939). La décision de la Cour suprême se trouve également in Cushman et Cushman, op. cit., p.8-19 ; Dowling, op. cit., p.138-151 ; Kauper, Constitutional Law, op. cit., p.37-48.

[72]. Le texte de l'amendement proposé est le suivant : « Le Congrès aura le pouvoir de limiter, réglementer et prohiber le travail des personnes qui ont moins de 18 ans... ». Voir Dowling, op. cit., p.138.

[73]. Dowling, op. cit., p.138 ; Cushman et Cushman, op. cit., p.9.

[74]. Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.390.

[75]Ibid.

[76]. Dowling, op. cit., p.138 ; Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.390.

[77]. Cushman et Cushman, op. cit., p.8.

[78]. Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.390.

[79]. Dowling, op. cit., p.138.

[80]Ibid., p.139, 141.

[81]. Kauper, Constitutional Law..., op. cit., p.292.

[82]. 307 U.S. 433, cité par Dowling, op. cit., p.142.

[83]. 307 U.S. 433, cité par Dowling, op. cit., p.143.

[84]. Cushman et Cushman, op. cit., p.8.

[85]. Dowling, op. cit., p.143.

[86]. Signalons que le dernier amendement (le 27e) a été proposé en 1789. Il n'a été ratifié que par six Etats entre 1789 et 1791. En 1873, l'Ohio l'a ratifié. Puis, entre 1978 et 1992, 37 Etats ont choisi de ratifier (le Missouri, l'Alabama, le Michigan et le New Jersey, les 5 et 7 mai 1992). L'amendement a été certifié le 18 mai 1992. Ainsi il y a 203 ans entre la proposition et la ratification de cet amendement (Marie-France Toinet, « Le 27e amendement de la Constitution des Etats‑Unis », Revue française de droit constitutionnel, n°19, 1994, p.609-610).

[87]. 307 U.S. 433, cité par Cushman, op. cit., p.1.

[88]. Dowling, op. cit., p.144.

[89]Ibid., p.144-145.

[90]. Cité par Dowling, op. cit., p.145.

[91]Ibid.

[92]Ibid.

[93]. Pour la critique de cette décision voir Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.386-432.

[94]Coleman v. Miller, 307 U. S. 459 (Black, J., concurring) in Kauper, Constitutional Law, op. cit., p.45.

[95]Ibid.

[96]Ibid.

[97]Coleman v. Miller, 307 U. S. 459 (Butler, dissenting) in Kauper, Constitutional Law, op. cit., p.46-48.

[98]. 3 Dallas 378 ; 1 L. Ed. 644 (1798).

[99]. 1 Cranch 137 (1803).

[100]. Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.403.

[101]. Pour la doctrine de political questions voir Koenraad Lenaerts, Le juge et la Constitution aux Etats‑Unis d'Amériques et dans l'ordre juridique européen, Bruxelles, Bruylant, 1988, p.98-109, 632-645 ; A. E. Dick Howard, « La conception mécaniste de la constitution », in Michel Troper et Lucien Jaume (sous la direction de-), 1789 et l'invention de la constitution, (Actes du Colloque de Paris organisé par l'Association française de science politique, les 2, 3 et 4 mars 1989), Paris-Bruxelles, L.G.D.J.-Bruylant, 1994, p.168‑173.

[102]. Pour une critique de la jurisprudence de Coleman v. Miller, voir Dellinger, « The Legitimacy of Constitutional Change », op. cit., p.386-432. Par contre pour la défense de cette jurisprudence, voir Laurence H. Tribe, « A Constitution We Are Amending : In Defence of a Restrained Judicial Role », Harvard Law Review, vol.97, 1983, p.433-444. Pour la réponse du professeur Dellinger au professeur Tribe, voir Walter Dellinger, « Constitutional Politics : A rejoinder », Harvard Law Review, Vol. 97, 1983, p.446-450.

 

[103]. En effet le contrôle de la constitutionnalité des amendements constitutionnels tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu a été défendu par William L. Marbury (« The Limitations upon the Amending Power », Harvard Law Review, vol.33, 1919-1920, p.223-235). Selon lui, le pouvoir d'amendement constitutionnel est un pouvoir matériellement limité. Son principal argument consiste à dire que le pouvoir d'amender la Constitution ne comprend pas le pouvoir de le détruire (Ibid., p.223). En partant du préambule de la Constitution fédérale, il affirme que le but du « peuple des Etats‑Unis » en adoptant cette Constitution était de « former une union plus parfaite ». D'après Marbury, il est inconcevable que lorsque le peuple a conféré aux législatures des trois quarts des Etats le pouvoir d'amender cette Constitution, a voulu autoriser l'adoption de n'importe quelle mesure, sous l'apparence d'un amendement, qui pourrait détruire, totalement ou partiellement, cette union (Ibid.). En pratique l'auteur suscite la Cour suprême à contrôler le contenu même du dix-huitième amendement. Selon lui, lorsque la question de savoir s'il y a des limites qui s'imposent au pouvoir d'amender la Constitution est présentée à la Cour suprême, elle peut se prononcer en faveur de la limitation de ce pouvoir (Ibid., p.234).

La thèse de Marbury a fait l'objet d'une sévère critique par Wm. L. Frierson (« Amending The Constitution of the United States : a Reply to Mr Marbury », Harvard Law Review, vol.33, 1919-1920, p.659-666). Selon lui, la constitutionnalité des amendements constitutionnels quant au fond ne peut pas être contrôlé par les cours. Car, la Constitution a confié au Congrès et non pas aux cours, le devoir de déterminer quels sont les amendements nécessaires. Ceci est laissé expressément à la décision des deux tiers des membres de chaque Chambre. La seule question qui peut être examinée par une cour est celle de savoir si le Congrès a proposé cet amendement par cette majorité. Dire que les cours peuvent renverser un amendement régulièrement proposé et ratifié, en prétendant qu'il n'est pas nécessaire et n'est pas opportun, ce serait ajouter à l'article 5 une disposition prévoyant qu'« un amendement proposé par le Congrès et ratifié par les trois quarts des Etats sera valable, pourvu qu'il soit approuvé par la Cour suprême ». En d'autres termes, ce serait substituer la décision de la Cour sur une question de politique et d'opportunité à la décision du Congrès et des législatures d'Etats auxquelles la Constitution a confié la matière. Ce serait contraire à la théorie tout entière sur laquelle les pouvoirs de notre Etat sont distribués entre les différentes branches (Ibid., p.662).

Ainsi selon Wm. L. Frierson, il appartient aux législatures des trois quarts des Etats le pouvoir final et absolu de déterminer si l'amendement régulièrement proposé est nécessaire, désirable ou opportun. Lorsque ce pouvoir a été exercé, comme c'était le cas du dix-huitième amendement, dans le système américain, il n'y a aucun pouvoir d'empêcher que l'amendement ne devienne une partie intégrante de la Constitution (Ibid., p.666). Frierson conclut que le dix-huitième amendement a été régulièrement proposé et a reçu l'approbation des législatures des trois quarts des Etats. Ainsi l'amendement devenu partie intégrante de la Constitution, par conséquent la question de sa validité ne peut se poser devant aucune cour (Ibid.).

Egalement la possibilité d'un contrôle de fond des amendements constitutionnels a été contestée sur le principe démocratique. Selon Todd, le contrôle de la constitutionnalité matérielle des amendements constitutionnels dénie le droit du peuple de placer dans la Constitution une matière que la Cour considère comme non convenable pour faire partie de la Constitution, et ce serait introduire dans la pratique constitutionnelle américaine « un type hautement indésirable du contrôle juridictionnel » (Tood, « Amending the Federal Constitution », Yale Law Journal, vol. 30 (1921), p.334, cité par Frank R. Strong, American Constitution Law, Buffalo, New York, Dennis & Co. Inc., 1950, p.147).

 

 


 

Sous-section 2
La situation Dans les pays européens

 

 

Nous allons étudier dans cette sous-section, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans les pays d'Europe. A titre d'exemples, nous avons choisi l'Allemagne, l'Autriche et la France. La caractéristique commune de ces pays se trouve dans le fait que leurs Cours constitutionnelles ont déjà été appelées à statuer sur une loi constitutionnelle[1]. Les cours constitutionnelles des deux premiers de ces pays se sont déjà déclarées compétentes pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Alors que le Conseil constitutionnel français s'est déclaré incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum (concernant les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, il n'a pas eu encore l'occasion de statuer). Alors parmi les pays européens, nous allons étudier d'abord la jurisprudence des Cours constitutionnelles allemande, autrichienne comme des cours constitutionnelles se déclarant compétentes pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles et ensuite la jurisprudence du Conseil constitutionnel comme une cour constitutionnelle se déclarant incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

 


 

[1]. En effet on peut éventuellement trouver d'autres cours constitutionnelles européennes qui ont déjà eu l'occasion de se prononcer sur le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Il est même possible que certaines de ces cours constitutionnelles se soient déjà déclarées compétentes pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par exemple, la Cour constitutionnelle italienne a déjà statué sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans les décisions suivantes :

a) La décision n° 38 du 27 février 1957 et la décision n° 6 du 22 janvier 1970. –Dans ces décisions, la Cour constitutionnelle s'est prononcée en faveur du principe de la « contrôlabilité » des lois constitutionnelles (Massimo Luciani, « La revisione costituzionale in Italia », in La révision de la constitution, Paris, Economica, 1993, p.136, [Jean-Claude Escarras, « Présentation du rapport italien de Massimo Luciani », in La révision de la constitution, op. cit., p.116]). Ces décisions portent sur la constitutionnalité des articles 24-30 du Statut spécial de la Sicile. Ce Statut a une valeur constitutionnelle. Il a été établi par le Décret-loi n° 455 du 15 mai 1946, et a été converti par l'assemblée constituante en la loi constitutionnelle (celle n° 2 du 26 février 1948) (Présidence du Conseil des Ministres, Services de l'information et de la propriété littéraire, L'Etat italien et sa réglementation, Rome, Instituto Poligrafico dello Stato, 1975, p.118 ; Cole « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.977.) Par conséquent le contrôle de ce Statut implique l'acceptation de la compétence de la Cour constitutionnelle sur les lois constitutionnelles.

L'article 25 du Statut sicilien confie le contrôle de la constitutionnalité « des lois adoptées par l'Assemblée régionale » ainsi que « des lois et des règlements adoptés par l'Etat » qui portent atteinte aux normes de ce Statut à la Haute Cour de la région sicilienne (Maryse Baudrez, Les actes législatifs du gouvernement en Italie : contribution à l'étude de la loi en droit constitutionnel italien, Paris, Economica, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1994, p.83, 108 ; Cole « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.977). Avec la mise en fonction, en 1956, de la Cour constitutionnelle italienne, le conflit de compétence entre ces deux Cours est apparu. Dans la décision n° 38 de 1957, la Cour constitutionnelle a affirmé sa compétence exclusive pour contrôler la constitutionnalité de toutes les lois de l'Etat et des Régions, y compris celles de la Région sicilienne (Baudrez, op. cit., p.83 ; Cole « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.977).

Dans sa décision n° 6 de 1970, la Cour constitutionnelle italienne a déclaré contraires à la Constitution « dans leur ensemble, toutes les normes relatives à la Haute Cour de la Région sicilienne », parce que, selon la Cour,

« dans un Etat unitaire, même s'il s'articule dans un large pluralisme d'autonomies..., le principe de l'unité de la juridiction constitutionnelle ne peut pas tolérer de telles dérogations » (cité par Baudrez, op. cit., p.83).

 

b) La décision n°1146 du (15 décembre) 29 décembre 1988 (Giurisprudenza costituzionale, Partie première, 6, Année XXXIII - 1988, Fascicule 10, p.5565-5570). – Cette décision porte sur la constitutionnalité des articles 25 et 49 du Statut spécial de la Région du Trentin-Haut Adige (décision n°1146 de 1988, Giurisprudenza costituzionale, op. cit., p.5566). Ce Statut a une valeur constitutionnelle. Il a été établi par la loi constitutionnelle n° 5 du 26 février 1948 et révisé par la loi constitutionnelle n° 1 du 10 novembre 1971 (L'Etat italien et sa réglementation, op. cit., p.120). Les articles 107 et 108 de ce Statut prévoit pour sa mis en oeuvre par le décret législatif du Président de la République (Baudrez, op. cit., p.117). Ce Statut (révisé par la loi constitutionnelle du 10 novembre 1971) a été mise en oeuvre par le décret du président de la République (d.P.R.) n° 670 du 31 août 1972 (Marion Bertolissi, « Regione Trentino-Alto Adige », Enciclopedia del diritto, Giuffrè Editore, 1988, vol. XXXIX, p.433).

La Cour d'assise de Balzano a été saisie d'un procès contre un membre du Conseil provincial, Franz Pahl, accusé du crime prévu par l'article 292 du code pénal italien, pour avoir publiquement insulté le drapeau italien durant la séance du Conseil provincial du Balzano du 18 juin 1986 (décision n° 1146 de 1988, Giurisprudenza costituzionale, op. cit., p.5566).

La Cour de Balzano devait appliquer dans ce cas d'espèce l'article 49 du Statut spécial de la Région du Trentin-Haut Adige. Egalement, l'article 28 du même Statut étendait aux membres du Conseil de la Province autonome de Trento et de Balzano la prérogative de l'irresponsabilité pour les opinions exprimées et les votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions. Ainsi la Cour de Balzano, dans son ordonnance du 9 novembre 1987, a soulevé la question de la conformité des articles 28 et 49 du statut de la Région du Trentin-Haut Adige à l'article 3 de la Constitution (Ibid.).

L'avocat général de l'Etat a invoqué deux exceptions à l'encontre de la question soulevée. D'abord selon l'Avocat général cette question est inadmissible, parce que l'acte contesté a une valeur de lois constitutionnelles et par conséquent, il ne peut pas faire l'objet d'un contrôle de la constitutionnalité prévu de l'article 134 de la Constitution (Ibid.).

La Cour constitutionnelle a rejeté cet argument, et affirmé que les normes du statut ayant valeur de lois constitutionnelles sont contrôlables par la Cour constitutionnelle (Ibid.).

La Cour a d'abord affirmé que

« la Constitution italienne contient quelques principes suprêmes qui ne peuvent être renversés ou modifiés dans leur contenu essentiel même pas par une loi de révision constitutionnelle ou par d'autres lois constitutionnelles » (Ibid., p.5567. La Citation ci-dessus est tirée de Massimo Luciani, « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport italien présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes, (Ankara, 7-10 mai 1990), Traduction de Bruno Genevois, in Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.170).

En ce qui concerne l'identification de ces principes suprêmes, la Cour affirme que sont visés aussi bien

« les principes que la Constitution elle-même prévoit explicitement comme limite absolue au pouvoir de révision constitutionnelle, comme la forme républicaine de gouvernement (art.139 de la Constitution) que les principes qui, bien que n'étant pas expressément mentionnés parmi ceux ne pouvant être assujettis à une procédure de révision constitutionnelle, appartiennent à l'essence des valeurs suprêmes sur lesquelles se fonde la Constitution italienne » (Ibid.).

Ensuite la Cour s'est déclarée

« compétente pour statuer sur la conformité des lois de révision constitutionnelle et des autres lois constitutionnelles aux principes suprêmes de l'ordre constitutionnel » (décision n° 1146 de 1988, Giurisprudenza costituzionale, op. cit., p.5569).

Cependant la Cour, en admettant l'autre exception de l'Avocat général, a déclaré inadmissible la question de la constitutionnalité des articles 28 et 49 Statut spécial de la Région du Trentin-Haut Adige (d.P.R. n° 670 du 31 août 1972) (Ibid., p.5570).

On peut interpréter cette décision, avec Massimo Luciani, comme admettant le principe de la « contrôlabilité » des lois constitutionnelles. Ainsi, les lois constitutionnelles peuvent faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité et être déclarées inconstitutionnelles par la Cour, même si elles ne sont affectées que de vices matériels (Luciani, « La revisione costituzionale in Italia », op. cit., p.136. [Escarras, « Présentation du rapport italien de Massimo Luciani », op. cit., p.115]).

Alors, la Cour constitutionnelle italienne se considère comme compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité matérielle que de leur contenu. D'ailleurs, le contrôle de la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles est très largement défini par la Cour. Dans la décision n° 1146 du 29 décembre 1988, la Cour a affirmé que les lois constitutionnelles doivent respecter non seulement la limite matérielle expresse (la forme républicaine de gouvernement, art.139), mais aussi quelques principes suprêmes non-mentionnés expressément dans la Constitution. Selon la Cour, ces principes « appartiennent à l'essence des valeurs suprêmes sur lesquelles se fonde la Constitution italienne ». Cependant la Cour constitutionnelle n'a pas donné d'énumération précise de ces principes (Ibid., p.116).

En d'autres termes, la Cour constitutionnelle ne s'est pas contentée de faire référence à la limite matérielle inscrite dans le texte constitutionnel (art.139 : l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat), mais en allant encore plus loin, elle a affirmé qu'il existe aussi des limites matérielles non-mentionnées expressément dans le texte constitutionnel. Selon la Cour, ces limites résultent de « l'essence des valeurs suprêmes sur lesquelles se fonde la Constitution ». Ainsi la Cour a déduit de l'« essence de la Constitution » des limites matérielles s'imposant à l'exercice du pouvoir constituant dérivé.

A notre avis, cette interprétation de la Cour constitutionnelle est tout à fait critiquable. Car, comme nous l'avons montré dans la première partie de notre thèse (Titre 1, Chapitre 2), seules les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel sont valables. Les autres limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute existence positive, par conséquent elles ne s'imposent pas à l'exercice du pouvoir constituant dérivé. D'ailleurs nous avons spécialement examiné dans la première partie les thèses favorables à l'existence des limites découlant de l'« essence de la Constitution ». Et nous y avons montré que ces limites ne sont pas juridiquement valables (Première Partie, Titre 2, Chapitre 2). C'est pourquoi nous ne tentons pas de nouveau de critiquer la thèse de la Cour constitutionnelle italienne selon laquelle il existe quelques « principes suprêmes » découlant de l'essence de la Constitution et s'imposant à l'exercice du pouvoir constituant dérivé.

En conclusion, en Italie, la Cour constitutionnelle se considère comme compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu. D'ailleurs la Cour interprète très largement l'étendue de contrôle de la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles.

Alors du point de vue du droit positif, une seule conclusion s'impose : en Italie, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, car, la Cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu.

Cependant il convient de noter que ces décisions de la Cour constitutionnelle italienne ne sont pas aussi importantes que les décisions de la Cour constitutionnelle allemande, autrichienne et turque que nous allons voir plus loin. En effet, en Italie, selon l'article 138 de la Constitution, il y a deux catégories de normes édictées par le pouvoir de révision constitutionnelle : les lois de révision constitutionnelle et les lois constitutionnelles. Quoiqu'elles se trouvent au même niveau hiérarchique, il y a une différence entre elles. Les lois de révision constitutionnelle sont des « normes qui modifient le texte de la Constitution en vigueur », alors que les lois constitutionnelles sont celles qui « n'influent pas sur la teneur textuelle des décisions constitutionnelles » (Luciani, « La revisione costituzionale in Italia », op. cit., p.118, [Escarras, « Présentation du rapport italien de Massimo Luciani », op. cit., p.106]).

A cet égard, les trois décisions que nous avons vues plus haut portent sur les lois constitutionnelles et non pas sur les lois de révision constitutionnelle. D'ailleurs ces lois constitutionnelles sont des Statuts spéciaux des Régions du Trentin-Haut Adige et de la Sicile. En effet, la Cour constitutionnelle italienne s'est prononcée, dans ces affaires, sur les conflits entre l'Etat et les Régions. Même si leur valeur juridique est de même, le contentieux constitutionnel se présentait sous forme de conflit entre la Constitution nationale et les Statut régionaux ayant force de loi constitutionnelle. Et dans un sens, la Cour constitutionnelle italienne a affirmé la supériorité de la Constitution nationale sur les Statuts régionaux. Si ces Statuts n'avaient pas été approuvés par les lois constitutionnelles, ces décisions ne seraient pas étudiées ici.

Alors une véritable décision de contrôle de la constitutionnalité des révisions constitutionnelles viendra de la part de la Cour constitutionnelle italienne, le jour où elle statuera sur une loi de révision constitutionnelle, c'est‑à‑dire sur une norme qui modifie le texte de la Constitution en vigueur.

* * *

On peut également trouver d'autres organes de contrôle de constitutionnalité qui se sont déclarés compétents pour contrôler la constitutionnalité des lois de révision constitutionnelle. Par exemple, la Cour suprême chypriote, dans sa décision du 9 avril 1986, a déjà contrôlé la constitutionnalité de la loi de révision constitutionnelle du 23 janvier 1986 portant la modification des articles 63 et 66 de la Constitution et même l'a déclarée inconstitutionnelle (le recours n°1/1986, la décision du 9 avril 1986, 3 Cyprus Law Reports, p.1439, cité par Savvas S. Papasavvas, « Révision de la Constitution et justice constitutionnelle » Rapport chypriote présenté à la Xe Table-ronde internationale d'Aix‑en‑Provence des 16 et 17 septembre 1994, in Révision de la constitution et justice constitutionnelle, Documents provisoires, Groupe d'études et de recherches sur la justice constitutionnelle, Aix-en-Provence, 1994, p.35-54 (Texte polycopié) (Les communications présentées à cette table‑ronde seront prochainement publiées dans l'Annuaire international de justice constitutionnelle, 1994). Egalement, dans sa décision du 16 décembre 1992, la Cour suprême chypriote a statué sur la loi constitutionnelle n°95 de 1989. Elle a rejeté l'exception d'inconstitutionnalité, mais elle a déclaré qu'« une loi qui modifie la Constitution est soumise au contrôle de constitutionnalité de la Cour tout comme une loi ordinaire » (Voir Papasavvas, op. cit., p.15 [in Documents provisoires, op. cit., p.49]).

 

 

§ 1. La situation dans les pays dont les Cours constitutionnelles se sont déjà déclarées compétentes pour statuer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles

Comme on l'a déjà annoncé, dans ce paragraphe nous allons étudier le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Allemagne, en Autriche. La particularité commune de ces deux pays à l'égard de notre objet se trouve dans le fait que leur Cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

A. La situation En Allemagne

Il convient tout d'abord de voir brièvement les limites à la révision constitutionnelle en Allemagne. Car, comme on l'a expliqué plus haut, pour que les lois constitutionnelles soient soumises au contrôle de la constitutionnalité de la Cour constitutionnelle, il faut qu'il y ait préalablement des limites qui s'imposent à ces lois. En effet lorsqu'il n'y a pas de limites prévues par la Constitution à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle, la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler les lois constitutionnelles. Alors en Allemagne, les limites à la révision constitutionnelle sont prévues par l'alinéa 3 de l'article 79 de cette Loi fondamentale du 23 mai 1949[1].

Selon la première partie de cet alinéa 3 de l'article 79

« toute révision de la présente Loi fondamentale qui toucherait à l'organisation de la Fédération en Länder, au principe de la participation des Länder à la législation... est interdite »[2].

Comme on le voit, la première partie de cet article protège, d'une part, la forme fédérale de l'Etat, et d'autre part, le principe de la participation des Länder à la législation.

Quant à la deuxième partie de l'alinéa 3 de l'article 79, il stipule que

« toute révision de la présente Loi fondamentale qui toucherait... aux principes énoncés aux articles 1 et 20 est interdite »[3].

Ainsi l'autre partie de l'article 79, al.3, revoit aux articles 1 et 20.

L'article 1 énonce le principe de la dignité humaine.

        Article 1. – La dignité de l'être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l'obligation de la respecter et de la protéger.

        En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l'être humain des droits inviolables et inaliénables comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde.

        Les droits fondamentaux énoncés ci-après lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à titre de droit directement applicable[4].

L'article 20  concerne les principes d'organisation de l'Etat.

        Article 20. – La République fédérale d'Allemagne est un Etat fédéral démocratique et social.

        Tout pouvoir d'Etat émane du peuple. Le peuple l'exerce au moyen d'élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

        Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit.

        Tous les allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser cet ordre, s'il n'y a pas d'autre remède possible[5].

* * *

Il convient d'abord de se poser la question de savoir si la Loi fondamentale contient une disposition expresse concernant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. En d'autres termes, la Loi fondamentale attribue-t-elle expressément à la Cour constitutionnelle la compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles ?

En ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité des lois,  la compétence de la Cour constitutionnelle est déterminée par l'article 93 de la Loi fondamentale fédérale :

        « La Cour constitutionnelle fédérale statue... en cas de divergences d'opinion ou de doutes sur la comptabilité formelle et matérielle... du droit fédéral ou du droit d'un Land avec la présente Loi fondamentale... sur demande du gouvernement fédéral, d'un gouvernement de Land, ou d'un tiers des membres du Bundestag »[6].

Comme on le voit, selon cet article, la Cour constitutionnelle est compétente à l'encontre du « droit fédéral ou du droit d'un Land ». Alors, dans cet article, les « lois constitutionnelles » ne sont pas expressément mentionnées. Cependant il semblerait qu'en Allemagne, on interprète cette expression « droit fédéral » comme englobant non seulement les « lois ordinaires », mais aussi toutes les catégories de lois, y compris les « lois constitutionnelles »[7].  Tout au moins la Cour constitutionnelle l'interprète comme telle, car elle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans les décisions des 15 décembre 1970 et 23 avril 1991[8].

1. La décision du 15 décembre 1970[9]

La loi constitutionnelle fédérale du 24 juin 1968[10] a ajouté à l'article 10, alinéa 2,  de la Loi fondamentale une deuxième phrase :

        « Si la restriction est destinée à défendre  l'ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou l'existence ou la sécurité de la Fédération ou d'un Land, la loi peut disposer que l'intéressé n'en sera pas informé et que le recours juridictionnel est remplacé par le contrôle d'organes et d'organes auxiliaires désignés par la représentation du peuple »[11].

Ainsi cette révision constitutionnelle a pour objet d'autoriser des restrictions au principe du secret de la correspondance et des communications[12]. « Il s'agit de l'autorisation des écoutes téléphoniques de certains suspects, mais aussi de personnes non suspectées, en relation de certains crimes terroristes, sans qu'il y ait notification de la décision avant la mise en place des mesures  de surveillance ou après leur levée et sans qu'il y ait un contrôle exercé par un organe judiciaire, mais par un organe indépendant nommé par le Parlement »[13].

La Cour constitutionnelle fédérale fut saisie par le gouvernement du Land de Hesse (recours en contrôle abstrait des normes [abstrakte Normenkontrolle]) et par un groupe de magistrats et d'avocats (recours constitutionnel [Verfassusbeschwerde]). La Cour constitutionnelle déclara recevable les deux recours. En joignant les deux recours, la Cour a rendu son jugement le 15 décembre 1970[14].

La question posée à la Cour constitutionnelle était celle de savoir si les mesures prévues par la deuxième phrase ajoutée à l'alinéa 2 de l'article 10 de la Loi fondamentale par la loi constitutionnelle du 24 juin 1968 ne portent pas atteinte à l'un des principes déclarés intangibles par l'article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale[15].

La Cour constitutionnelle a répondu par la négative à cette question. Selon la Cour, la nouvelle version de l'alinéa 2 de l'article 10 est conforme aux limites à la révision constitutionnelle prévues par l'alinéa 3 de l'article 79 de la Loi fondamentale[16]. Selon la Cour constitutionnelle, l'alinéa 3 de l'article 79 doit être interprété restrictivement[17], car il s'agit

« ...d'une norme d'exception, qui ne doit aucunement mener à ce que le législateur ne puisse, par une révision de la Loi fondamentale, modifier même des principes constitutionnels de base pour autant que cela reste à l'intérieur des données du système »[18].

Ainsi en faisant une interprétation restrictive, la Cour a considéré que l'article 79, alinéa 3, a seulement pour objet d'empêcher l'avènement d'un régime totalitaire par la voie d'une simple révision constitutionnelle[19]. En d'autres termes, selon la Cour, les limites matérielles à la révision constitutionnelle consistent en les seuls principes explicitement mentionnés par les articles 1 et 20[20]. Puis, la Cour constitutionnelle constate que le principe de l'Etat de droit n'est pas expressément mentionné dans l'un de ces deux articles[21]. Par conséquent ce principe n'est pas intangible. Ainsi les restrictions au principe du secret de la correspondance et de communication, ainsi que le remplacement du contrôle judiciaire par un contrôle exercé par des organes désignés par le Parlement, prévues par la nouvelle version de l'article 10, alinéa 2, ne sont pas contraires à l'un des principes intangibles mentionnés dans les articles 1 et 20 auxquels se réfère l'article 79. Car, ni le principe du secret de la correspondance et de communication, ni le droit au recours juridictionnel ne sont protégés par l'article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale[22].

En conséquence, la Cour constitutionnelle a rejeté au fond les deux recours[23].

Il convient de noter que trois juges[24] sur huit ont émis une opinion dissidente le 4 janvier 1971. Il convient de voir brièvement l'opinion des juges minoritaires.

Les juges dissidents donnent une interprétation différente à l'article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale. Selon eux, « cette disposition n'a pas seulement pour objet de s'opposer à l'instauration par les voies légales d'un régime autoritaire, mais qu'il a également pour objet de s'opposer à toute atteinte aux options fondamentales du constituant »[25].

Ensuite, en observant que le mot « affecter » (berühren) employé par l'article 79 ne signifie pas supprimer (aufheben)[26], ils affirment qu'

« il suffit que dans une partie de la sphère de liberté des individus les principes découlant des articles 1 et 20 de la Loi fondamentale ne soient pas respectés... Ceux-ci doivent être protégés contre un processus de démolition progressive qui pourrait se développer si l'on se contentait de tenir compte des principes en général »[27].

En l'espèce, selon les juges minoritaires, « la possibilité d'écouter ou d'ouvrir secrètement les correspondances privées est une atteinte directe à la sphère privée, ce qui fait de l'individu un simple objet entre les mains de l'Etat »[28]. Ainsi, ils ont conclu que

« les principes consacrés par les articles 1 et 20 de la Loi fondamentale sont affectés par la modification de la constitution »[29].

Par conséquent, ces trois juges ont considéré la loi constitutionnelle du 24 juin 1968 comme une violation du principe d'intangibilité prévue par l'article 79, alinéa 3 de la Loi fondamentale[30].

2. La décision du 23 avril 1991[31]

Le conflit en question est né du traité entre la République fédérale d'Allemagne et la République démocratique allemande relatif à la réalisation de l'unité de l'Allemagne  (traité d'Union) signé à Berlin le 31 août 1990[32]. Selon l'article 41, alinéa 1, de ce traité,

« la Déclaration commune du 15 juin 1990 du gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et du gouvernement de la République démocratique allemande, sur le règlement des questions patrimoniales pendantes... fait partie intégrante du présent traité »[33].

Et dans la Déclaration commune, il est dit que

« ...les expropriations ayant pour fondement le droit ou la puissance d'occupation (1945 à 1949) ne sont pas à annuler... »[34].

Il était prévisible que les anciens propriétaires ainsi lésés n'hésiteraient pas à contester ces dispositions. C'est pourquoi, les auteurs du traité ont pris la précaution de conférer à ces dispositions une valeur constitutionnelle en les inscrivant dans la Loi fondamentale de la R.F.A., la future Constitution de toute Allemagne[35]. Ainsi ces dispositions ont été insérées dans la Loi fondamentale au titre d'un nouvel article 143 à la suite d'une révision constitutionnelle qui s'est déroulée conformément à la procédure fixée dans son article 79[36]. L'alinéa 3 de l'article 143 stipule que

« l'article 41 du traité d'Union et les règles prises pour sa mise en oeuvre sont également applicables, même lorsqu'ils prévoient que ces atteintes à la propriété sur le territoire mentionné à l'article 3 dudit traité ont un caractère définitif »[37].

 Ainsi l'article 143, alinéa 3, prévoit un obstacle constitutionnel à toute tentative ultérieure de remise en cause des transferts de propriété  ayant eu lieu entre 1945 et 1949 dans la zone d'occupation soviétique[38].

Les propriétaires expropriés entre 1945 et 1949 ont attaqué devant la Cour constitutionnelle contre la révision de la Loi fondamentale[39]. Les requérants ont avancé que le principe de non-restitution était en contradiction avec les garanties de l'article 79, alinéa 3 de la Loi fondamentale[40]

La Cour constitutionnelle a jugé d'abord la constitutionnalité quant à la forme de la révision de la Loi fondamentale, en vérifiant si elle a été votée selon la procédure correcte (art.79, al.1 et 2)[41]. Elle a étudié ensuite la constitutionnalité quant au fond de la révision constitutionnelle, c'est‑à‑dire la conformité de la révision constitutionnelle aux limitations matérielles au pouvoir de révision constitutionnelle énoncées à l'alinéa 3 de l'article 79 de la Loi fondamentale[42].

La Cour constitutionnelle a jugé que les principes intangibles prévus par l'article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale ne sont pas affectés par ces mesures. En effet, selon la Cour constitutionnelle, la question de savoir si les mesures d'expropriations entre 1945 et 1949 sont contraires ou non à l'article 79, alinéa 3, ne se pose pas, car à cette époque,  cette Loi fondamentale n'était pas encore en vigueur[43]. En d'autres termes, la Loi fondamentale ne protège pas les propriétaires contre des mesures d'expropriation imputables à des autorités étrangères[44]. Et en l'espèce, les expropriations entre 1945 et 1949 étaient imputables non pas à l'ex-R.D.A., mais aux autorités soviétiques qui occupaient alors le territoire[45]. Ainsi l'argument principal de la Cour, comme l'exprime Otto Pfersmann, « consiste à dire que les expropriations sous souveraineté soviétique ne relevaient pas du domaine de la validité spatial... ou temporel de la Loi fondamentale qui n'entre en vigueur qu'après la date retenue dans la Déclaration commune. Les atteintes à la propriété ne lui sont donc pas imputables »[46].

Ainsi la Cour constitutionnelle a rejeté au fond les recours à l'encontre de la révision de la Loi fondamentale.

3. Appréciation générale

Puisqu'en Allemagne, les lois constitutionnelles sont soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle fédérale, il convient de préciser sur quoi peut porter ce contrôle.

Comme on l'a vu, la Cour constitutionnelle contrôle la constitutionnalité des révisions constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que leur contenu.

D'abord, le contrôle de la constitutionnalité quant à la forme des lois constitutionnelles ne pose pas beaucoup de problème. Il consiste à vérifier si la loi de révision constitutionnelle en question a été adoptée conformément aux conditions prévues par l'article 79, alinéas 1 et 2, de la Loi fondamentale. Comme on l'a vu plus haut, dans les décisions du 15 décembre 1970 et 23 avril 1991, la Cour constitutionnelle a d'abord vérifié si les lois constitutionnelles en question ont bien été adoptées conformément selon la procédure prévue dans les alinéas 2 et 3 de l'article 79 de la Loi fondamentale.

Cependant, la Cour constitutionnelle contrôle la constitutionnalité non seulement  quant à la forme, mais aussi quant au fond des lois constitutionnelles. En d'autres termes, le contrôle de la Cour constitutionnelle sur les révisions constitutionnelles ne se limite pas seulement au respect des règles procédurales, mais touche également au respect des limitations matérielles à la révision constitutionnelle. Et le dernier aspect de ce contrôle pose un problème : celui de la détermination des limites matérielles à la révision constitutionnelle, c'est‑à‑dire des normes de référence pour le contrôle de la constitutionnalité matérielle.

La question des règles de référence pour le contrôle de la constitutionnalité matérielle des lois constitutionnelles. – Voyons d'abord la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande sur ce point.

1. La décision du 15 décembre 1970. – Comme nous l'avons vu plus haut, dans la décision du 15 décembre 1970, la Cour constitutionnelle allemande a affirmé que les limites matérielles à la révision constitutionnelle consistent en les seuls principes explicitement mentionnés par les articles 1 et 20[47]. D'ailleurs la Cour a donné une interprétation restrictive à ces principes. Par exemple, la Cour constitutionnelle a constaté que le principe de l'Etat de droit n'est pas expressément mentionné dans l'un de ces deux articles[48]. Par conséquent ce principe n'est pas intangible.

2. La décision du 23 avril 1991. – Dans la décision du 23 avril 1991, la Cour a donné une interprétation plus extensive aux limitations matérielles prévues par l'article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale.

En effet, dans cette affaire, les requérants ont avancé que la révision constitutionnelle aurait porté atteinte à trois normes de base de la Loi fondamentale. D'abord la révision constitutionnelle ne respectait pas la garantie de la propriété (art.14) ; ensuite, elle porte atteinte au principe d'égalité (art.3) parce que les victimes de mesures d'expropriation sont traitées différemment selon que celles-ci ont eu lieu avant ou après 1949 ; enfin la révision constitutionnelle est contraire au caractère social de l'Etat, parce que l'Etat n'assume pas son devoir d'assistance aux personnes frappées par des injustices, « puisque l'indemnisation des victimes d'expropriation antérieures à octobre 1949 n'est pas assurée »[49].

Ainsi la question qui s'est posée à la Cour constitutionnelle était celle de savoir si ces trois normes de base bénéficient de la protection de l'article 79, alinéa 3 de la Loi fondamentale, face à la révision constitutionnelle[50]. Par conséquent, après la décision du 15 décembre 1970, la Cour constitutionnelle a trouvé une nouvelle occasion d'interpréter l'article 73, alinéa 3, de la Loi fondamentale.

Selon la Cour constitutionnelle, le principe d'égalité énoncé à l'article 3, alinéa 1, équivaut à l'interdiction de l'arbitraire. Ce principe, « émanant de l'essence même de l'Etat de droit, obéit au principe de l'équité générale »[51]. Ainsi « on en a déduit que le principe d'égalité, autrement dit l'interdiction de l'arbitraire, devrait être rangé parmi les principes intangibles, à l'abri de toute révision constitutionnelle »[52].

D'après la Cour constitutionnelle,

« les principes essentiels que sont l'Etat de droit et l'Etat social, exprimés par les articles 20, alinéas 1 et 3, sont à respecter. Surtout, l'article 79, alinéa 3 exige d'ailleurs seulement que les principes ici nommés ne soient pas affectés »[53].

Ainsi, dans cette décision, la Cour constitutionnelle a inclus dans le domaine non révisable le principe de l'Etat de droit et le principe d'égalité[54]. Or, comme on l'a vu plus haut, ces deux principes ne sont pas expressément mentionnés dans les articles 1 et 20 auxquelles fait référence l'article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale. Ainsi, à la différence de sa décision du 15 décembre 1970, le juge constitutionnel interprète largement les limites matérielles à la révision constitutionnelle[55]. En conséquence, comme l'observe Olivier Beaud, « d'une interprétation restrictive du champ d'application de l'article 79, alinéa 3, le juge allemand est passé à une interprétation extensive »[56].

D'ailleurs, la Cour constitutionnelle en allant encore plus loin, a affirmé que

« le législateur constitutionnel, de même que le pouvoir constituant, doit ne pas négliger les postulats fondamentaux de la justice parmi lesquels appartiennent le principe d'égalité et la prohibition de l'arbitraire »[57].

En effet comme le remarquent Michel Fromont et Olivier Jouanjan, « ici, plutôt qu'à une interprétation du droit positif, la Cour revoie à l'inspiration du droit naturel, ‘métapositif’ qui fut dès 1951 la sienne »[58].

Olivier Beaud aussi critique cette affirmation de la Cour. Selon lui, la subordination du pouvoir constituant à des « principes de justice »

« transporte la question des limites matérielles de la révision sur le terrain d'une véritable supraconstitutionnalité et d'un droit naturel constitutionnel. Or, si le juge allemand suppose tranchée cette question dans un sens positif, nous ne l'estimons pas tranchée pour notre part. D'après le point de vue ici adopté, les limites tracées au pouvoir constituant l'ont été d'un point de vue immanent, interne au droit constitutionnel positif. Nous lirons donc cette décision dans une autre perspective qui est la limitation matérielle et autonome du pouvoir de révision »[59].

A cet égard, il convient de faire un rappel historique sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande.

3. Dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande des années cinquante, on peut trouver quelques décisions s'inscrivant dans le courant jusnaturaliste, en réaction probablement devant la faillite du positivisme sous le régime national socialiste[60]. A cette époque, la Cour constitutionnelle a fait référence, dans certaines décisions, aux notions jusnaturalistes telles que « normes fondamentales supra-positives », « justice naturelle », « postulats fondamentaux de la justice », « normes de l'éthique objective », etc.[61].

Ainsi la Cour constitutionnelle a affirmé dans les années cinquante qu'elle peut juger non seulement les lois d'après les idées directrices et les principes de base de la Constitution, mais encore qu'elle peut vérifier si la loi et même la norme constitutionnelle sont conformes au droit supra-positif lui-même[62]. Par exemple, dans sa décision du 23 octobre 1951, « Sudweststaat »[63], la Cour avait reconnu, – mais seulement obiter dictum – « l'existence d'un droit supra‑positif qui lierait même le législateur constituant »[64]. Ainsi la Cour a affirmé que

« la nullité d'une disposition constitutionnelle n'est pas exclue du seul fait qu'elle est un élément de la Constitution. Il y a des principes constitutionnels qui sont tellement fondamentaux et sont tellement l'expression d'un droit préexistant à la Constitution qu'ils lient le constituant lui-même et que les autres dispositions constitutionnelles auxquelles ce rang ne revient pas peuvent être nulles parce qu'elles lui portent atteinte »[65].

Enfin, dans la décision du 18 décembre 1953[66], la Cour constitutionnelle allemande a examiné la conformité de la Constitution elle-même à certaines normes supérieures, mais avec « beaucoup de prudence et d'une manière très restreinte »[67].

Dans cette affaire, une cour d'appel a soumis à l'examen de la Cour constitutionnelle fédérale la question de savoir si l'article de la Constitution, qui prévoit qu'à partir du 1er avril 1953 toutes les règles contraires à l'égalité juridique des deux sexes ne seraient plus applicables était inconstitutionnel et par conséquent nul[68].

Dans cette décision, la Cour constitutionnelle fédérale a reconnu la possibilité dans « des cas extrêmes » de l'existence de « normes constitutionnelles inconstitutionnelles »[69]. Ainsi la Cour a admis la possibilité d'un conflit entre le droit positif constitutionnel et un droit supérieur[70]. Selon la Cour constitutionnelle, dans des cas extrêmes, le droit supérieur devrait prévaloir sur le droit positif et par suite la Cour pourrait être amenée à apprécier une telle « inconstitutionnalité »[71].

La Cour constitutionnelle fédérale a d'ailleurs affirmé que

« l'adoption de l'idée selon laquelle le pouvoir constituant pourrait tout régler à son gré signifierait un retour à un positivisme dépassé »[72].

Elle a également estimé qu'une norme de la Loi fondamentale

« peut être nulle lorsqu'elle méconnaît de manière absolument inacceptable les principes de base sur lesquels repose le droit juste (Gerechtigkeit) et qui sont au nombre des principes essentiels de la Loi fondamentale »[73].

La Cour a d'ailleurs ajouté :

« Il est si peu vraisemblable qu'un législateur constituant d'une démocratie libérale outrepasse ces limites que l'éventualité théorique de normes constitutionnelles originellement inconstitutionnelles en est pratiquement exclue »[74].

En résumé, dans la décision du 18 décembre 1953, la Cour constitutionnelle fédérale affirme le principe de la limitation non seulement du pouvoir de révision constitutionnelle, mais aussi du pouvoir constituant originaire même. Car, elle envisage l'hypothèse de la non-conformité des normes initialement constitutionnelles aux normes supra-positives. En effet, la Cour constitutionnelle, d'une part, construit une théorie de la supraconstitutionnalité basée sur la supériorité des normes de droit naturel sur les normes de la Loi fondamentale, et d'autre part, elle établit une « hiérarchie de normes dans la Loi fondamentale »[75].

Critique. – A notre avis, d'abord, la limitation du pouvoir constituant originaire ne peut pas être envisagée du point de vue juridique, car, tout simplement ce pouvoir est un pouvoir extra-juridique. D'autre part, la thèse défendue par la Cour constitutionnelle consistant en la supraconstitutionnalité de certains principes du droit naturel n'est pas fondée. Nous avons vu l'exposé et la critique de cette théorie dans la première partie de notre travail[76]. Nous y avons exposé et critiqué également la théorie de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles[77]. C'est pourquoi nous n'allons pas critiquer ici la théorie de la supraconstitutionnalité ni celle de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles affirmées par la Cour constitutionnelle allemande. Notons simplement que selon nos conclusions de la première partie, les seules limites valables sont celles qui sont inscrites dans le texte constitutionnel[78]. Les limites qui ne trouvent pas leur source dans la constitution ne s'imposent pas à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle, car elles ne sont pas valables ; elles sont privées de toute existence positive[79] . Ainsi selon notre conception, seules les limites matérielles prévues expressément dans le texte de la Loi fondamentale fédérale de 1949 peuvent être valables. Comme on l'a vu plus haut, les limites matérielles à la révision constitutionnelle en Allemagne sont déterminées par l'article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale prévoyant l'intangibilité des principes exprimés dans les articles 1 et 20. Alors la Cour constitutionnelle fédérale ne peut vérifier la conformité des lois constitutionnelles qu'à ces principes énoncés dans les articles 1 et 20. En d'autres termes, les règles de référence pour le contrôle de la constitutionnalité matérielle des lois constitutionnelles consistent en celles mentionnées dans les articles 1 et 20 auxquels se réfère l'article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale. C'est pourquoi, à notre avis, le fait que la Cour constitutionnelle s'est référée aux principes et aux notions jusnaturalistes, dans la décision du 18 décembre 1953, est critiquable.

Toutefois, à l'égard du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il ne faut pas exagérer la référence de la Cour constitutionnelle au droit naturel, et ceci pour plusieurs raisons :

D'abord, il est vrai que la Cour a reconnu, dans l'arrêt « Sudweststaat »[80], « l'existence d'un droit supra-positif qui lierait même le législateur constituant », mais seulement obiter dictum[81]. En effet, la Cour constitutionnelle n'a pas statué ni dans sa décision du 23 octobre 1951, ni dans sa décision du 18 décembre 1953 sur une loi de révision constitutionnelle au sens de l'article 79. Par conséquent ces décisions ne font pas autorité à l'égard de notre problématique qui est le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

D'autre part, il convient de remarquer que dans les années cinquante, on peut trouver aussi des décisions de la Cour constitutionnelle niant l'existence des normes supra-positives. Par exemple, dans une décision du 24 avril 1953, la Cour constitutionnelle a affirmé qu'« il n'y a pas de norme supra-positive qui interdise tout simplement au législateur d'ordonner une expropriation au bénéfice du bien commun sans indemnité »[82]. Dans une décision du 26 février 1954, la Cour a également nié « le droit supra-positif d'un fonctionnaire à l'égard de l'Etat »[83].

Il faut enfin noter que depuis 1953, la Cour constitutionnelle est délibérément plus attentive dans ses références au droit naturel[84]. Elle préfère mettre l'accent sur les « principes de base » exprimés dans la Loi fondamentale[85]. Il est également à préciser que la Cour constitutionnelle n'a plus affirmé qu'il y a une hiérarchie des normes dans le texte constitutionnel initial[86].

* * *

Conclusion. – En Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale se considère comme compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu. La Cour constitutionnelle fédérale, dans ses décisions des 15 décembre 1970 et 23 avril 1991, a effectivement contrôlé la constitutionnalité de deux lois constitutionnelles[87]. Egalement la Cour constitutionnelle vient d'être saisie de la loi constitutionnelle du 28 juin 1993 sur le droit d'asile[88]. Cependant la Cour constitutionnelle fédérale n'a jamais à ce jour annulé une loi constitutionnelle[89].

Alors du point de vue du droit positif, une seule conclusion s'impose : en Allemagne, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, car, la Cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu. En conséquence, en Allemagne, le pouvoir de révision constitutionnelle est effectivement limité. Car les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Loi fondamentale de 1949 sont sanctionnées par le contrôle de la Cour constitutionnelle fédérale.

Continue après les notes.


 

[1]. Pour les limites à la révision constitutionnelle voir Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.52-53 ; Christian Starck, La Constitution : cadre et mesure du droit, Paris, Economica et Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1994, p.55-57.

[2]. Traduction établie par C. Autexier avec le concours des professeurs J.-F. Flauss, M. Fromont, C. Grewe, P. Koenig et A. Rieg, in Oberdorff, op. cit., p.40.

[3]Ibid.

[4]Ibid., p.21. L'alinéa 3 a été amendé par la loi fédérale du 19 mars 1956.

[5]Ibid., p.26. Le dernier alinéa a été inséré par la loi fédérale du 24 juin 1968.

[6]Ibid., p.45.

[7]. Jean-Claude Béguin, Le contrôle de la constitutionnalité des lois en République fédérale d'Allemagne, Paris, Economica, 1982, p.63 ; Favoreu, Les Cours constitutionnelles, op. cit., p.60 ; Olivier Jouanjan, « Allemagne » Rapport présenté à la Xe Table-ronde internationale d'Aix‑en‑Provence des 16 et 17 septembre 1994, sur « Révision de la Constitution et justice constitutionnelle », (Les communications présentées à cette table ronde seront prochainement publiés dans l'Annuaire international de justice constitutionnelle, 1994), pour le compte-rendu voir Thierry Di Manno, Ferdinand Mélin-Soucramanien et Joseph Pini, Le compte‑rendu de la Xe Table-ronde internationale d'Aix‑en‑Provence des 16 et 17 septembre 1994, Revue française de droit constitutionnel, n° 19, 1994, p.652-672 ; Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.396.

[8]. En effet, à cet égard, il est coutume de citer la décision du 18 décembre 1953, Comme nous allons voir plus bas (voir Appréciation générale), dans cette décision, la Cour a fait référence au principes supra-positifs. Cependant cette  décision ne porte sur une loi de révision constitutionnelle au sens de l'article 79 de la Loi fondamentale de 1949. Dans cette affaire une cour d'appel a soulevé la question de savoir si une norme initiale de la Loi fondamentale (et non pas une norme édicté selon la procédure de l'article 79) peut être inconstitutionnelle. C'est pourquoi, nous n'estimons que cette décision reste en dehors de notre problématique qui est le contrôle de la constitutionnalité des lois de révision constitutionnelle.

[9]. Cour constitutionnelle allemande : décision du 15 décembre 1970, Sammlung der Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts [Recueil des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale (allemande)], édité par les membres de la Cour, Mohr Tübingen, nommé ci‑après BVerfGE), t.30, p.1 cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.53 ; Starck, op. cit., p.56, note 24.

[10]Bundesgesetzblatt, (Journal officiel des lois fédérales) I/710 (cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.53).

[11]. Traduction établie par C. Autexier in Oberdorff, op. cit., p.23. 

[12]. Michel Fromont, « Le Tribunal constitutionnel allemand en 1970 », Revue du droit public, 1971, p.1419.

[13]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... »,... », op. cit., p.53.

[14]. Fromont, op. cit., p.1421.

[15]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.53 ; Fromont, op. cit., p.1422.

[16]. Fromont, op. cit., p.1422.

[17]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.53. Voir également Fromont, op. cit., p.1422 ; Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.396.

[18]. Décision du 15 décembre 1970, BVerfGE, t.30, p.25 cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.53. Pour cette citation voir aussi Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.397, note 47.

[19]. Fromont, op. cit., p.1423.

[20]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.397.

[21]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.397 ; Fromont, op. cit., p.1423.

[22]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.397.

[23]Ibid.

[24]. MM. Geller, von Schlabrendorff et Hans Rupp (Fromont, op. cit., p.1424).

[25]. Fromont, op. cit., p.1425.

[26]. Fromont, op. cit., p.1426. Egalement voir Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.54.

[27]. Cité par Fromont, op. cit., p.1426.

[28]. Fromont, op. cit., p.1426.

[29]. Cité par Fromont, op. cit., p.1426.

[30]. Klaus Schlaich, « Procédures et techniques de protection des droits fondamentaux », Rapport allemand présenté au IIe Colloque d'Aix-en-Provence des 19-20 et 21 février 1981, (Traduction de Maguelonne Dupont), in Louis in Louis Favoreu (sous la direction de -), Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, Paris, Economica, Presses universitaires d'Aix-Marsaille, 1982, p.114.

[31]. Décision du 23 avril 1991, BVerfGE, t. 84, p.90 et s., cité par Michel Fromont et Olivier Jouanjan, « Chronique des décisions de la Cour constitutionnelle allemande », Annuaire international de justice constitutionnelle, VII, 1991, p.371-373. Voir également Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.53-54 ; Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.397-400.

[32]. Vertag zwischen der Bundesrepublik Deutschland und der Deutchen Demokratischen Republik über die Herstellung der Einheit Deutsclands - Einigungsvertrag, Bundesgesetzblatt, Teil II, n°35, 28 septembre 1990, p.899 et s. cité par Patrice Collas, « Réunification, Constitution et propriété en Allemagne », Revue française de droit constitutionnel, 1991, p.634.

[33]. Vertag zwischen der Bundesrepublik Deutschland und der Deutchen Demokratischen Republik über die Herstellung der Einheit Deutsclands - Einigungsvertrag, Bundesgesetzblatt, Teil II, n°35, 28 septembre 1990, p.904  cité par Collas, « Réunification...», op. cit., p.639-640.

[34]. Cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.54.

[35]. Collas, op. cit., p.640.

[36]. Le traité d'Union a été ratifié à la majorité constitutionnelle des deux tiers par chacune des deux chambres du Parlement de la R.F.A. ainsi que par la Chambre du peuple de la R.D.A., les 20 et 21 septembre 1990 (Collas, op. cit., p.639, 641).

[37]. Traduction établie par C. Autexier in Oberdorff, op. cit., p.62. 

[38]. Collas, op. cit., p.641.

[39]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.54; Collas, op. cit., p.648-649.

[40]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.54; Collas, op. cit., p.649.

[41]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.398-399 ; Fromont et Jouanjan, op. cit., p.372.

[42]. Fromont et Jouanjan, op. cit., p.372 ; Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.398-399.

[43]. Collas, op. cit., p.646.

[44]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.399.

[45]Ibid.

[46]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.54-55. 

[47]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.397.

[48]. Fromont, op. cit., p.1423 ; Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.397.

[49]. Collas, op. cit., p.645 ; Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.54.

[50]. Collas, op. cit., p.649.

[51]. Cité par Collas, op. cit., p.646.

[52]. Collas, op. cit., p.646.

[53]. Décision du 23 avril 1991, BVerfGE, t. 84, p.90 et s., cité par Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.399. Voir également Fromont et Jouanjan, op. cit., p.372.

[54]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.400 ; Fromont et Collas, op. cit., p.372.

[55]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.400.

[56]Ibid.

[57]. Décision du 23 avril 1991, BVerfGE, t. 84, p.90 et s., cité par Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.399. Voir également Fromont et Jouanjan, op. cit., p.372.

[58]. Fromont et Collas, op. cit., p.372.

[59]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.400.

[60]. Béguin, op. cit., p.64 ; Taylor Cole, « The Bundesverfassungsgericht, 1956-1958: An American Appraisal », Jachrbuch des öffentlichen Rechts, Neue folge, Band 8, 1959, p.43-44 ; Taylor Cole, « Three Constitutional Courts : A Comparison », The American Political Science Review, Vol.LIII, décembre 1959, n°4, p.973 ; Paul G. Kauper, « The Constitutions of West Germany and the United States: A Comparative Study », Michigan Law Review, vol.58, 1960, p.1179.

[61]. Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.973, note 36. L'auteur se refère à ces deux articles que nous n'avons pas pu consulter : Heinrich Rommen, « Natural Law in Décisions of the Fédéral Suprême Court and of the Constitutionan Courts in Germany », Natural Law Forum, Vol.4, 1959, p.1-25 et Gottfried Dietze, « Unconstitutional Constitutional Norms? Constitutional Developmentin Postwar Germany », Virginia Law Review, Vol.42, 1956, p.1-22.

[62]. Vilhelm Buerstedde, « La Cour constitutionnelle de la République fédérale allemande », Revue internationale de droit comparé, 1957, p.70.

[63]. Décision du 23 octobre 1951, BVerfGE, t.1, p.14, cité par Buerstedde, op. cit., p.70. Voir également, Cole, « The Bundesverfassungsgericht... », op. cit., p.43.

[64]. Décision du 23 octobre 1951, BVerfGE, t. 1, p.32, cité par Buerstedde, op. cit., p.70.

[65]. Décision du 23 octobre 1951, BVerfGE, t. 1, p.32, cité par Béguin, op. cit., p.63-64. Egalement voir Buerstedde, op. cit., p.70.

[66]. Décision du 18 décembre 1953, BVerfGE, t. 3, p.225. Voir Béguin, op. cit., p.63-64 ; Buerstedde, op. cit., p.70-71 ; Cole, « The Bundesverfassungsgericht... », op. cit., p.43-44 ; Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.973-974 ; Paul G. Kauper, « The Constitutions of West Germany and the United States : A Comparative Study », Michigan Law Review, vol.58, 1960, p.1178-1180.

[67]. Buerstedde, op. cit., p.70.

[68]Ibid.

[69]. Décision du 18 décembre 1953, BVerfGE, t.3, p.231. Cité par Cole, « The Bundesverfassungsgericht... », op. cit., p.44 ; Id., « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.973. Pour la question des « normes constitutionnelles inconstitutionnelles » voir Otto Bachoff, Verfassundswigrige Verfassungsnormen ?, Tübingen, 1951, cité par Cole, « The Bundesversfassungsgericht... », op. cit., p.79. Egalement voir Gottfried Dietze, « Unconstitutional Constitutional Norms ? Constitutional Development in Postwar Germany », Virginia Law Review, Vol.42, 1956, p.1-22 cité par Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.973.

[70]. Décision du 18 décembre 1953, BVerfGE, t.3, p.231. Cité par Cole, « The Bundesverfassungsgericht... », op. cit., p.44 ; Id, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.973 ; Kauper, op. cit., p.1179.

[71]. Buerstedde, op. cit., p.70 ; Kauper, op. cit., p.71.

[72]. Cité par Buerstedde, op. cit., p.70.

[73]. Décision du 18 décembre 1953, BVerfGE, t.3, p.225, cité par Béguin, op. cit., p.64.

[74]Ibid.

[75]. Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.973.

[76]. Première partie, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, Sous-section 1, § 1, A, 1 et B, 1, 2, a.

[77]. Première partie, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous-section 1, § 2.

[78]. Première partie, Titre 1, Chapitre 2.

[79]. Comme les limites supraconstitutionnelles ou celles déduites de l'esprit de la constitution. Voir Première partie, Titre 2.

[80]. Décision du 23 octobre 1951, BVerfGE, t. 1, p.14, cité par Buerstedde, op. cit., p.70. Voir également, Cole, « The Bundesverfassungsgericht... », op. cit., p.43.

[81]. Buerstedde, op. cit., p.70.

[82]. Décision du 24 avril 1953, J. Z., 1953, p.502, cité par Buerstedde, op. cit., p.70.

[83]. Décision du 26 février 1954, J. Z., 1954, p.191 cité par Buerstedde, op. cit., p.70.

[84]. Cole, « The Bundesverfassungsgericht... », op. cit., p.44. T. Cole constate que seulement le premier volume du recueil des décisions de la Cour constitutionnelle fédéral (Sammlung der Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts (BVerfGE) contient une référence au « Naturrecht » dans son index (Ibid., p.44, note 78).

[85]. Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.973.

[86]. Voir surtout Roman Herzog, « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport allemand présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes (Ankara, les 7-10 mai 1990), (Traduction assurée par le service juridique du Conseil constitutionnel), in Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.20 (Egalement in Revue universelle des droits de l'homme, 1990, p.278).

[87]. La Cour constitutionnelle a déclaré irrecevable les recours individuels à l'encontre de la loi de révision constitutionnelle du 21 décembre 1992 (Michel Fromont et Olivier Jouanjan, « République fédérale d'Allemagne » (Chronique de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande en 1993), Annuaire international de justice constitutionnelle, vol.IX, 1993, p.638-639).

[88]. La loi constitutionnelle du 28 juin 1993 a abrogé la dernière phrase de l'article 16 (« les persécutés politiques jouissent du droit d'asile ») et introduit un article 16a. Pour le texte de l'article 16a, voir Oberdorff, op. cit., p.25. Pour le débat sur la constitutionnalité de cette révision constitutionnelle, voir Willy Zimmer, « La réforme constitutionnelle du droit d'asile en République fédérale d'Allemagne : la porte étroite », Revue française de droit constitutionnel, n°19, 1994, p.611-620, spécialement p. 618-619.

[89]. Jouanjan, « Allemagne » Rapport présenté à la Xe Table-ronde internationale d'Aix‑en‑Provence des 16 et 17 septembre 1994, cité par le Compte-rendu effectué par Thierry Di Manno, Ferdinand Mélin-Soucramanien et Joseph Pini in Revue française de droit constitutionnel, n° 19, 1994, p.664.

 

* * *

Après avoir vu le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Allemagne, nous verrons à présent ce problème en Autriche.

B. La situation en Autriche

Il convient tout d'abord de voir brièvement les dispositions de la Constitution autrichienne qui règlent la révision constitutionnelle. En effet le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles consiste à vérifier si les lois constitutionnelles ont été édictées conformément à ces dispositions. En d'autres termes, ces dispositions de la Constitution constituent des règles de référence pour le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par conséquent, s'il n'existe pas de telles dispositions dans la Constitution, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est par hypothèse même impossible.

Les dispositions de la Constitution autrichienne qui règlent la révision constitutionnelle sont les suivantes :

        Article 44. – (1) Le vote des lois constitutionnelles (Verfassungsgesetze) ou des dispositions constitutionnelles (Verfassungsbestimmungen) contenues dans des lois simples requiert la présence de la moitié au moins de membres et la majorité des deux tiers des voix exprimées ; elles doivent être expressément désignées comme telles (« loi constitutionnelle », « disposition constitutionnelle »).

        (2) Des lois constitutionnelles ou des dispositions constitutionnelles contenues dans des lois simples par lesquelles sont restreintes les attributions des Länder dans le domaine de la législation ou de l'exécutif, requièrent par ailleurs le consentement du Conseil fédéral (Bundesrat) en présence de la moitié au moins de ses membres  et avec la majorité des deux tiers au moins des voix exprimées.

        (3) Toute révision totale (Gesamtänderung) de la Constitution fédérale doit, la procédure de l'article 42 une fois est terminée, toutefois avant sa promulgation par le Président fédéral, être soumise au référendum de la population fédérale tout entière. Il en est de même des révisions partielles, lorsque le tiers des membres des membres du Conseil national ou du Conseil fédéral en fait la demande.

       
       
Article 45. – Il est décidé, dans le référendum, à la majorité absolue des voix valablement exprimées.

        Article 50. – (1) Tous les traités politiques et ceux des autres qui  modifient une loi ne sont valables que moyennant approbation par le Conseil national. Si de tels traités touchent aux attributions appartenant au domaine autonome des Länder, le consentement du Conseil fédéral (Bundesrat) est également obligatoire.

        (2) ...

        (3) Les dispositions de l'article 4é, al. 1 à 4 sont applicables par  analogie aux décisions du Conseil national, et s'il s'agit d'un traité qui modifie ou complète du droit constitutionnel, celles de l'article 44, al. 1 et 2. Dans une décision d'approbation selon l'alinéa 1 de tels traités ou de telles dispositions contenues dans des traités doivent être explicitement désignées comme « modifiant la constitution ».

        Article 35. – (4) Les dispositions des articles 34 et 35 (concernant la composition et les attributions du Conseil fédéral) ne peuvent être modifiées que si, au Conseil fédéral – abstraction faite de la majorité généralement requise pour ses décisions – la majorité des représentants de quatre Länder au moins s'est prononcée en faveur de la modification proposée[1].

L'absence des limites matérielles à la révision constitutionnelle : l'impossibilité du contrôle de la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles. – La Constitution autrichienne ne prévoit aucune limite matérielle à la révision constitutionnelle. Par conséquent, en Autriche, le contrôle de la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles est en principe impossible. Car, comme on l'a expliqué plus haut, le contrôle de la constitutionnalité matérielle des lois constitutionnelles suppose qu'il y ait des limites matérielles à la révision constitutionnelle dans la constitution. En effet, dans un système où il n'y a pas de limites matérielles, la norme posée par le pouvoir de révision constitutionnelle conformément à sa procédure devient une norme constitutionnelle comme une autre. Cette norme a exactement la même valeur juridique que les normes constitutionnelles initiales. Pour elle la question de la conformité ou de la contrariété ne se pose pas. Par conséquent, dans un tel système, les lois constitutionnelles ne peuvent pas être contrôlées du point de vue de leur régularité matérielle, parce que tout simplement il n'y a pas de critère pour ce contrôle.

Les conditions de forme dans la procédure de révision constitutionnelle. – Cependant, la Constitution autrichienne prévoit plusieurs conditions de forme dans la procédure de révision constitutionnelle. D'abord il faut préciser que cette Constitution fait une distinction entre la révision partielle et la révision totale de la Constitution du point de vue de la procédure de révision constitutionnelle.

1. Les révisions partielles elles-mêmes se repartissent en plusieurs catégories selon qu'elles concernent ou non les attributions de la Fédération et ou celles des Länder, ou enfin le statut du Conseil fédéral[2].

a) Pour les révisions partielles qui ne concernent pas les attributions de la Fédération et ou celles des Länder, ou enfin le statut du Conseil fédéral,  les conditions de forme exigées dans la procédure d'adoption sont les suivantes : la présence de la moitié au moins de membres du Conseil national et l'adoption à la majorité des deux tiers des voix exprimées au Conseil national.

Dans cette hypothèse, le Conseil fédéral ne pourra s'opposer à la révision constitutionnelle. « Il n'aura que le vote suspensif par lequel il peut retarder la législation ordinaire, obligeant le Conseil national à repasser une nouvelle fois par la même procédure »[3].

b) Par contre les révisions constitutionnelles qui concernent les attributions de la Fédération et ou celles des Länder doivent requérir le consentement du Conseil fédéral (Bundesrat). Le Conseil fédéral donnera son consentement en présence de la moitié au moins de ses membres et avec la majorité des deux tiers au moins des voix exprimées (art. 44, al. 2). 

c) Enfin les révisions partielles concernant la composition et les attributions du Conseil fédéral elles aussi doivent obtenir le consentement du Conseil fédéral. Mais cette fois ci, le Conseil fédéral ne peut donner son consentement que si « la majorité des représentants de quatre Länder au moins s'est prononcée en faveur de la modification proposée » (art. 35)[4].

2. La révision totale de la Constitution doit être soumise au référendum. Mais le problème de savoir ce qu'est exactement une révision totale se pose inévitablement. Nous allons le voir plus tard.

Ainsi après avoir vu les conditions de forme de la révision constitutionnelle, maintenant nous pouvons voir le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

La compétence de la Cour constitutionnelle. – Elle est réglementée par l'article 140 de la Constitution autrichienne du 1er octobre 1920 en termes suivants :

« La Cour constitutionnelle connaît de l'inconstitutionnalité d'une loi fédérale ou de Land sur requête de... »[5].

Comme on le voit, selon cet article, la Cour constitutionnelle est compétente à l'encontre d'une « loi fédérale ». Alors, dans cet article, les « lois constitutionnelles » ne sont pas expressément mentionnées. Cependant en Autriche, on interprète cette expression « loi fédérale » comme englobant non seulement les « lois ordinaires », mais aussi les « lois constitutionnelles »[6]. Tout au moins la Cour constitutionnelle l'interprète comme telle, car elle s'est déjà déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles[7].

Nous allons étudier ici les décisions des 12 décembre 1952, 23 juin 1988 et 29 septembre 1988.

1. La décision du 12[8] décembre 1952, Nationalité de Land[9]

Le gouvernement du Land de Vorarberg a déféré à la Cour constitutionnelle les dispositions d'une loi constitutionnelle fédérale relative à la « citoyenneté de Land ». Le gouvernement requérant a soutenu que la loi constitutionnelle en question était inconstitutionnelle, car, puisqu'elle réalise une « révision totale » de la Constitution, elle aurait dû être adoptée par la voie de l'article 44, alinéa 3, c'est‑à‑dire par le référendum[10].

La Cour constitutionnelle autrichienne a été ainsi pour la première fois invitée à se prononcer sur le point de savoir si un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles fédérales est possible.

La Cour constitutionnelle a examiné cette question en la divisant en deux : la question du contrôle du contenu et celle du contrôle de la forme des lois constitutionnelles. Quant au contrôle du contenu des lois constitutionnelles, la Cour constitutionnelle s'est déclarée incompétente. Car, selon la Cour, les articles de la Constitution ne lui attribuent pas une telle compétence[11]. La Cour a également affirmé qu'elle ne peut pas contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux principes supra-positifs « car, en général, aucun standard n'existe pour un tel examen »[12].

Cependant, quant au contrôle de la constitutionnalité formelle des lois constitutionnelles, la Cour s'est déclarée compétente. Car, selon la haute instance, une loi constitutionnelle doit être adoptée conformément à la Constitution[13]. Par conséquent, elle doit examiner la conformité de la procédure de l'élaboration des lois constitutionnelles aux dispositions de l'article 44 de la Constitution. En d'autres termes, le contrôle de la Cour sur les lois constitutionnelles consiste à vérifier le respect des dispositions de l'article 44. A cet égard les alinéas 1er et 2 de l'article 44 ne posent pas de problème. Par contre l'alinéa 3 de cet article est intéressant. Car il prévoit que

« toute révision totale (Gesamtänderung) de la Constitution fédérale doit... être soumise au référendum de la population fédérale tout entière ».

Alors, selon la Cour, elle doit examiner la question de savoir si la loi constitutionnelle en question est de nature d'une « révision totale » de la Constitution, car, si c'est le cas,  elle devrait être adoptée par la voie de l'article 3, c'est‑à‑dire par le référendum, et non pas par la voie des alinéas 1 et 2 de l'article 44[14]. Et ce dernier point, c'est‑à‑dire la question de savoir si la loi constitutionnelle a été adopté par le référendum est bien une question de forme, par conséquent l'examen de cette question est un contrôle de forme. D'ailleurs, puisque la Constitution autrichienne ne contient aucune limite matérielle à la révision constitutionnelle, le contrôle de la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles est par hypothèse même impossible. Par conséquent, toutes les dispositions de la Constitution sont susceptibles d'être révisées. Seulement il faut respecter une condition : la révision totale de la Constitution nécessite le référendum. Ainsi comme l'affirme la Cour constitutionnelle, son contrôle peut porter uniquement sur le point de savoir si la loi constitutionnelle en question fait une révision totale de la Constitution.

Mais qu'est-ce qu'une révision totale ?

Dans cette décision, la Cour a défini la révision totale comme un changement de telle nature que

« l'un des principes directeurs (teitender Grundsatz) de la Constitution fédérale en est affecté »[15].

Et selon la Cour,

« le principe démocratique, le principe de l'Etat de droit et le principe fédéral peuvent être considérés comme les principes directeurs de la Constitution »[16].

Dans ce cas d'espèce, la Cour constitutionnelle a examiné la question de savoir si la loi déférée porte atteinte aux « principes directeurs de Constitution », c'est‑à‑dire si elle est de nature d'une « révision totale ». Elle a estimé que la loi déférée ne touche pas aux « principes directeurs » de la Constitution, en l'occurrence au principe fédéral, car, « la pérennité de l'Etat fédéral n'est pas atteinte par le défaut d'une nationalité de Land particulier »[17]. Par conséquent la Cour a conclu que la loi constitutionnelle  adoptée sans référendum n'est pas inconstitutionnelle, car elle n'opère pas une « révision totale » de la Constitution[18].

Les principes directeurs que la Cour a énumérés ne sont pas intangibles. Mais leur révision nécessite le référendum. Car, d'une part, la Cour constitutionnelle considère la révision de ces principes comme une révision totale. Et, d'autre part, l'alinéa 3 de l'article 44 prévoit la soumission de la révision totale de la Constitution au référendum.  Par conséquent si une loi constitutionnelle sous la forme d'une révision partielle porte atteinte à l'un de ces principes, elle sera annulée par la Cour constitutionnelle pour cause de non-respect à la condition de référendum. Cependant même si une telle loi a été annulée par la Cour constitutionnelle, le pouvoir de révision constitutionnelle peut l'adopter de nouveau, mais avec une procédure renforcée, c'est‑à‑dire par le référendum. Dans ce cas, la Cour constitutionnelle ne peut plus exercer un contrôle de fond sur cette loi constitutionnelle.

2. La décision du 23 juin 1988[19]

La Cour constitutionnelle a annulé les dispositions de la loi relative à l'octroi des concessions des taxis dans sa décision 23 juin 1986[20]. Le pouvoir de révision constitutionnelle a réagi immédiatement en réédictant la même loi sous la forme de disposition constitutionnelle[21].

Statuant sur cette disposition constitutionnelle, la Cour constitutionnelle a considéré qu'« il était interdit de conférer à une norme, même de rang constitutionnel, un contenu qui la rendait non-conforme à la Constitution »[22].

Car, même si de telles mesures, 

« étaient limitées dans leurs effets immédiats, [elles] seraient de nature à modifier profondément la Constitution fédérale dans son ensemble, surtout si cela devait se reproduire souvent. On ne pourrait accepter une telle révision essentielle de la Constitution qu'à la suite d'un référendum »[23].

3. La décision du 29 septembre 1988[24]

La deuxième phrase de l'alinéa 2 de l'article 103 de la Loi sur les véhicules à moteur de 1967[25] fut annulée par une décision de 1984[26] et une décision de 1985[27] de la Cour constitutionnelle, parce qu'« elle obligeait le détenteur d'un véhicule à indiquer aux autorités le nom de la personne qui avait conduit sa voiture et commis une infraction sans que le contrevenant ait été identifié sur le coup »[28]. Cette obligation avait était jugée contraire au principe d'accusation (l'article 90, alinéa 2 de la Constitution) selon laquelle personne ne peut être contraint par la menace d'une sanction pénale de témoigner sur les faits répréhensibles qui lui sont reprochés[29]. Le pouvoir de révision constitutionnelle a adopté l'ancienne disposition annulée sous forme de disposition constitutionnelle incluse de manière non séparable dans une disposition du code  de la route[30].

« La Cour constitutionnelle fut saisie par voie de recours contre des décisions administratives ainsi que par une demande de contrôle incident introduite par la Cour administrative pour se prononcer sur la constitutionnalité de cette nouvelle disposition »[31]. La Cour n'a pas conclu à l'annulation de cette disposition constitutionnelle. Mais elle a souligné qu'elle maintenait sa jurisprudence selon laquelle toute disposition constitutionnelle doit être conforme aux principes directeurs de la Constitution fédérale[32]. Si ce n'est pas le cas, la révision constitutionnelle en question vaut une révision totale de la Constitution qui nécessite le référendum en vertu de l'article 44, alinéa 3 de la Constitution.

D'ailleurs, la Cour a reconnu, dans cette décision,  que son contrôle avec les droits fondamentaux font partie de ces principes essentiels de la Constitution[33]. De même la Cour constitutionnelle a affirmé que pour qu'il y ait violation de ces principes fondamentaux, une atteinte grave et importante n'est pas nécessaire, « mais il suffit qu'il y ait des mesures ponctuelles mais répétées qui constituent, en fin de compte, une modification essentielle de la Constitution fédérale »[34]. Ainsi selon la Cour constitutionnelle, l'accumulation des révisions partielles revient, si elle franchit un certain seuil, à une révision totale qui nécessite le  référendum[35].

Ceci veut dire que, comme le constate Otto Pfersmann, « la Cour se considère compétente pour statuer sur la constitutionnalité du droit constitutionnel édicté sous forme de révision partielle non seulement quant à la procédure mais aussi quant au contenu »[36].

Alors comme on le voit, tout le problème ce concentre sur le point de savoir ce qu'est exactement une révision totale de la Constitution. 

Au début, dans la doctrine autrichienne de droit constitutionnel, comme le remarque Otto Pfersmann, cette notion était définie selon le critère formel[37]. Ainsi on a affirmé qu'« une révision totale exige la substitution d'un autre document textuel à celui qui se trouve actuellement en vigueur »[38]. Cependant, à partir de 1929, les constitutionnalistes ont évolué vers une conception matérielle[39].

Enfin, comme nous l'avons vu, dans la décision du 12 septembre 1952, la Cour a défini la révision totale dans le sens matériel, en affirmant que la révision totale est un changement de telle nature que « l'un des principes directeurs de la Constitution fédérale en est affecté »[40]. Et selon la Cour, « le principe démocratique, le principe de l'Etat de droit et le principe fédéral peuvent être considérés comme les principes directeurs de la Constitution »[41]. La Cour a ajouté à ces principes celui de la justice constitutionnelle dans la décision du 29 septembre 1988[42].

Appréciation générale

Comme nous l'avons vu plus haut, la Constitution autrichienne ne prévoit aucune limite matérielle à la révision constitutionnelle. Par conséquent, dans ce système, le contrôle de la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles est par hypothèse même exclu. En effet, le contrôle de la constitutionnalité matérielle des lois constitutionnelles suppose qu'il y ait des limites matérielles à la révision constitutionnelle dans la constitution. Par conséquent, à notre avis, la Cour constitutionnelle autrichienne ne peut pas contrôler la régularité matérielle des lois constitutionnelles, parce que tout simplement il n'y a pas de critère pour un tel contrôle.

Alors la Cour constitutionnelle autrichienne ne peut exercer qu'un contrôle de forme sur les lois constitutionnelles.

Quant à la question de savoir en quoi consiste ce contrôle de forme, il faut faire une distinction entre les lois constitutionnelles adoptées sous forme de révision totale, c'est‑à‑dire avec référendum et celles édictées sous forme de révision partielle, c'est‑à‑dire sans référendum.

1. En ce qui concerne les lois constitutionnelles adoptées sous forme de révision totale, le contrôle de la Cour porte uniquement sur la régularité formelle de la révision constitutionnelle. En d'autres termes, ce contrôle consiste à vérifier si la loi constitutionnelle en question a été bien adoptée par le référendum et ceci conformément aux conditions exigées dans l'article 44, alinéa 3, et l'article 45 de la Constitution.

2. En ce qui concerne les lois constitutionnelles adoptées sous forme de révision partielle, le contrôle de forme consiste à vérifier le respect des conditions de procédure prévues dans l'article 44, alinéa 1 et 2, de la Constitution. En d'autres termes, les règles de référence pour un tel contrôle sont celles qui sont contenues dans les alinéas 1 et 2 de l'article 44.

La vraie question qui se pose ici en effet est celle de savoir quelle révision constitutionnelle est une « révision totale » et laquelle une « révision partielle ». Car, l'article 44, alinéa 3, stipule que « toute révision totale de la Constitution doit... être soumise au référendum ». Et ceci est apparemment une condition de forme. Par conséquent, après s'être déclarée compétente pour statuer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il est normal que la Cour constitutionnelle se prononce sur la question de savoir si la révision constitutionnelle en question est une « révision totale » ou une « révision partielle ». C'est une condition préalable avant d'effectuer le contrôle de forme des lois constitutionnelles. En effet les règles de référence dans le contrôle de forme seront fixées en fonction de la nature de la révision constitutionnelle. Alors il faut d'abord déterminer si la révision constitutionnelle en question est de nature d'une « révision totale » ou d'une « révision partielle ».

Mais qu'est-ce qu'une révision totale ?

Comme nous l'avons vu, la Cour a défini la révision totale avec un critère matériel, en affirmant que la révision totale est un changement de telle nature que « l'un des principes directeurs de la Constitution fédérale en est affecté ». Par conséquent si une révision constitutionnelle qui a été adoptée sans référendum porte atteinte à l'un de ces principes, elle sera considérée comme une révision totale, et par conséquent elle sera annulée par la Cour constitutionnelle pour cause de non-conformité à la condition de forme prévue par l'alinéa 3 de la l'article 44, selon laquelle toute révision totale doit être soumise au référendum. Ainsi le contrôle de la conformité à la condition de forme prévue par l'article 44, alinéa 3, nécessite l'examen du contenu de la loi constitutionnelle en question. Car cet examen consiste à vérifier la conformité du contenu de cette loi aux principes directeurs de la Constitution. Et ceci en réalité n'est pas autre chose qu'un contrôle de fond.

Or, puisqu'il n'y a pas de limites matérielles à la révision constitutionnelle dans la Constitution autrichienne, le contrôle de fond des lois constitutionnelles est exclu par principe même. En effet, le manque de limites matérielles à la révision constitutionnelle, c'est‑à‑dire de règles de référence  pour le contrôle de fond est comblé par la Cour constitutionnelle qui définit la « révision totale » par un critère matériel, comme un changement de telle nature que « l'un des principes directeurs de la Constitution fédérale en est affecté ». Ainsi ces « principes directeurs » qui seront définis par la Cour constitutionnelle constitueront des limites matérielles à la révision constitutionnelle, c'est‑à‑dire des règles de référence pour le contrôle de fond des lois constitutionnelles. On peut alors dire que la Cour constitutionnelle a inventé les limites matérielles là où elles n'existent pas.

En conséquence, en ce qui concerne les lois constitutionnelles adoptées sous forme de révision partielle, c'est‑à‑dire sans référendum, la Cour constitutionnelle se considère comme compétente, non seulement quant à la régularité formelle, mais aussi quant au contenu.

Cependant, le pouvoir de révision constitutionnelle a toujours la possibilité de surmonter le contrôle de fond de la Cour sur les lois constitutionnelles sous forme de révision partielle. En effet, même si une loi constitutionnelle a été annulée par la Cour quant au fond, c'est‑à‑dire pour cause de non-conformité à l'un des principes directeurs, le pouvoir de révision constitutionnelle peut adopter à nouveau la même loi constitutionnelle mais cette fois-ci sous forme de révision totale, c'est‑à‑dire avec le référendum. Dans ce cas, la Cour constitutionnelle ne peut plus exercer de contrôle de fond sur cette loi constitutionnelle, car elle est déjà de nature de révision totale.

Conclusion. – En Autriche, la Cour constitutionnelle se considère comme compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. En ce qui concerne les lois constitutionnelles adoptées sous forme de révision partielle, c'est‑à‑dire sans référendum, ce contrôle porte, non seulement sur la régularité formelle, mais aussi sur le contenu de ces lois. Par contre, en ce qui concerne les lois constitutionnelles adoptées sous forme de révision totale, c'est‑à‑dire avec le référendum, le contrôle de la Cour constitutionnelle porte uniquement sur la régularité formelle de la révision constitutionnelle.

En conséquence, du point de vue du droit positif, une seule conclusion s'impose : en Autriche, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, car, la Cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Alors, en Autriche, les conditions de forme et de procédure de la révision constitutionnelle sont sanctionnées par le contrôle de la Cour constitutionnelle. Par conséquent, le pouvoir de révision constitutionnelle est effectivement limité par ces conditions.

 

Continue après les notes.


 

[1]. La traduction par Otto Pfersmann,  « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.30.

[2]Ibid., p.31.

[3]Ibid.

[4]. Rappelons que l'Autriche se compose de neuf Länder.

[5]. Traduit par Sylvie Peyrou-Pistouley, La Cour constitutionnelle et le contrôle de la constitutionnalité des lois en Autriche, Paris, Economica, 1993, p.367.

[6]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39 ; Peyrou-Pistouley, op. cit., p.140-141 ; Siegbert Morscher , « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport autrichien présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes (Ankara, les 7-10 mai 1990), (Traduit par Ulrike Steinhorst), Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.29-35.

[7]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle...», op. cit.,p.39 ; Morscher, op. cit., p.33-35.

[8]. 16 selon Peyrou-Pistouley, op. cit., p.175.

[9]. Décision du 12 décembre 1952, Sammlung der Erkenntnisse und Beschlüsse des Verfassungsgerichtshofes [Recueil des décisions et arrêts de la Cour constitutionnelle (autrichienne)] (nommé ci‑après VfSlg, en abrégé), n°2455, cité par Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.974 ; Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.40, note 91 ; Peyrou-Pistouley, op. cit., p.175.

[10]. Peyrou-Pistouley, op. cit., p.176.

[11]Ibid.

[12]. Décision du 12 décembre 1952, VfSlg, n°2455, cité par Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.974 

[13]. Peyrou-Pistouley, op. cit., p.176.

[14]. Décision du 12 décembre 1952, VfSlg, n°2455, cité par Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.974.

[15]. Décision du 12 décembre 1952, VfSlg, n°2455, cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.40, note 91. Egalement voir Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.974.

[16]. Décision du 12 décembre 1952, VfSlg, n°2455, cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.40, note 91. Egalement voir Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.974 ; Morscher, op. cit., p.30.

[17]. Peyrou-Pistouley, op. cit., p.177.

[18]Ibid., p.177.

[19]. Décision du 23 juin 1988, V 29, V 102/88, cité par Morscher, op. cit., p.34.

[20]. Décision du 23 juin 1986, G 14/86, VfSlg, 10.932, cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.38, note 79.

[21]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.38. La disposition constitutionnelle se trouve in Bundesgesetzblatt [Journal officiel des lois fédéral], 1987/281, cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.38.

[22]. Morscher, op. cit., p.34.

[23]Ibid.

[24]. Décision du 29 septembre 1988, G 72, 102-104, 122-125, 136, 151-160/88, cité par Morscher, op. cit., p.35 ; VfSlg, 11.829, cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39, note 84.

[25]Kraftfahrgesetz 1967 dans la version Bundesgesetzblatt, 1967/615 cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39.

[26]VfSlg, 9.950 de 1984, cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39.

[27]VfSlg, 10.394 de 1985, cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39.

[28]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39.

[29]. Morscher, op. cit., p.34. Egalement Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39.

[30]Bundesgesetzblatt, 1986/106 (10e amendement de la Loi sur les véhicules à moteur KFG) cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39. Ainsi la technique législative était la suivante : « les dispositions contraires au principe d'accusation ont le statut d'une simple loi. Elles sont ensuite immunisées par une disposition constitutionnelle » (Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39, note 83).

[31]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39. VfSlg, 11.829. 

[32]. Morscher, op. cit., p.34.

[33]. Morscher, op. cit., p.34 ; Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39.

[34]. Morscher, op. cit., p.35.

[35]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39. « Si une accumulation de modifications successives devait avoir une révision totale pour résultat, elle devrait également être soumise à référendum » (Ibid., p.42).

[36]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.39.

[37]Ibid., p.40.

[38]Ibid.

[39]Ibid.

[40]. Décision du 12 décembre 1952, VfSlg, n°2455, cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.40, note 91. Egalement voir Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.974.

[41]. Décision du 12 décembre 1952, VfSlg, n°2455, cité par Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.40, note 91. Egalement voir Cole, « Three Constitutional Courts... », op. cit., p.974 ; Morscher, op. cit., p.30.

[42]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.40-41. Sylvie Peyrou-Pistouley, en citant Heinz Schaeffer (Verfassungsinterpretation in Oesterreich, Wien, New York, Springer Verlag, 1971, p.76), note qu'il y a, dans la doctrine autrichienne du droit constitutionnel, une véritable inflation de prétendus principes directeurs (Peyrou-Pistouley, op. cit., p.179). Par exemple, selon les différents auteurs, les principes suivants sont des principes directeurs de la Constitution : le principe national, la laïcité de l'Etat, l'indépendance des juges, l'auto-administration communal, etc. (Ibid., p.178).

 


 

§ 2. La situation en France

 

Après avoir vu le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Allemagne et en Autriche, nous verrons à présent ce problème en France.

Selon le cadre théorique que nous avons tracé plus haut[1], pour savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible dans un pays donné il faut d'abord regarder la constitution de ce pays. Si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution, ce contrôle est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle. Alors voyons d'abord les dispositions de la Constitution française qui concernent le contrôle de la constitutionnalité des lois.

Réglementation constitutionnelle. – La Constitution française de 1958 détermine les textes soumis au contrôle du Conseil constitutionnel dans son article 61 :

        Article 61. – Les lois organiques avant leur promulgation, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.

        Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.

Comme on le voit, le Conseil constitutionnel est compétent à l'égard des lois organiques, des règlements des assemblées parlementaires et des lois. Cependant dans l'article, les lois constitutionnelles ne sont pas mentionnées. En d'autres termes, la Constitution française ne contient aucune disposition expresse sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Par conséquent, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans le cas de la France doit être analysé comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé.

Nous avons vu plus haut[2] le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un tel système sur le plan théorique.

Sans entrer dans les détails, rappelons que, selon les conclusions que nous avons faites dans le cadre théorique, dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé, puisque la solution n'existe pas dans les textes positifs, elle ne peut se trouver que dans la jurisprudence constitutionnelle. Mais pour qu'il y ait une jurisprudence constitutionnelle, il faut qu'il existe avant tout un organe chargé du contrôle de la constitutionnalité. En d'autres termes, il faut qu'il y ait, dans le système, un organe compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois.

En France, sous la Ve République, il y a un Conseil constitutionnel chargé de contrôler la constitutionnalité des lois[3]. Par conséquent, la première condition est remplie.

Dans le cadre théorique[4], deuxièmement, nous avons affirmé que, s'il y a un organe chargé de contrôle de la constitutionnalité dans le système, il faut regarder la jurisprudence de cet organe sur le point de savoir s'il se déclare compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Du point de vu du droit positif, dans une telle hypothèse, il faut admettre que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible si l'organe chargé de contrôle de la constitutionnalité s'est déjà déclaré compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par contre, un tel contrôle est impossible si l'organe chargé de contrôle de la constitutionnalité se considère comme incompétent pour contrôler les lois constitutionnelles. Car, du point de vue du droit positif, la jurisprudence de cet organe est incontestable. En d'autres termes la décision de cet organe constitue la solution authentique du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Alors, pour savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou non en France, il faut regarder la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le point de savoir s'il se considère comme compétent pour se prononcer sur la validité de ces lois. S'il s'est déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ce contrôle est possible. Si ce n'est pas le cas, il est impossible.

Voyons alors la jurisprudence du Conseil constitutionnel français sur le point de savoir s'il se déclare compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

* * *

Jusqu'à maintenant, le Conseil constitutionnel français a eu l'occasion de statuer sur la constitutionnalité d'une seule loi constitutionnelle : celle de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel[5]. Cette loi, ayant pour objet de réviser les articles 6 et 7 de la Constitution de 1958, a été adoptée par le peuple à la suite du référendum du 28 octobre 1962. Le Conseil constitutionnel, qui a été saisi par le président du Sénat, a décidé qu'il n'avait pas compétence pour contrôler les lois « adoptées par le Peuple à la suite d'un référendum ». Ainsi nous avons une réponse partielle à la question de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Si la loi constitutionnelle a été adoptée par le peuple à la suite d'un référendum, elle ne peut pas être contrôlée par le Conseil constitutionnel. Cependant en ce qui concerne les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, nous n'avons pas de réponse jurisprudentielle. Le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi jusqu'ici à l'encontre d'une loi constitutionnelle votée par le Congrès du Parlement. Néanmoins, certains auteurs trouvent quelques éléments de réponse dans la décision du 2 septembre 1992.

Alors il convient d'examiner la question du contrôle de la constitutionnalité, d'abord, des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum (A), et ensuite, de celles votées par le Congrès du Parlement (B).

A. La question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum : la jurisprudence du 6 novembre 1962

Sous la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum, il y a deux décisions du Conseil constitutionnel à étudier : celle du 6 novembre 1962 et celle du 23 septembre 1992.

Avant d'examiner ces décisions, il convient de faire quelques remarques préliminaires.

D'abord, il faut tout de suite souligner que le fond de ces affaires ne nous intéresse pas. Nous traitons ici du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. La question de la constitutionnalité des lois dont il s'agit dans ces affaires reste en dehors de notre sujet. En d'autres termes, nous n'allons pas examiner ici la question de savoir si l'on peut réviser la Constitution par l'application de l'article 11[6], mais celle de savoir si le Conseil constitutionnel peut contrôler une loi de révision constitutionnelle adoptée suivant la procédure de cet article. Nous n'allons pas non plus discuter de la question de la conformité à la Constitution de la loi autorisant la ratification du traité sur l'Union européenne adoptée par le référendum du 20 septembre 1992.

Ensuite c'est la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles qui fait l'objet de notre thèse, et non pas celle du contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires. Or, dans les décisions des 6 novembre 1962 et 23 septembre 1992, le Conseil constitutionnel examine la question de savoir s'il est compétent pour statuer sur la constitutionnalité d'une loi adoptée par voie de référendum, et non pas spécialement d'une loi constitutionnelle. Ceci est tout à fait normal pour la décision du 23 septembre 1992, car cette décision porte sur la loi autorisant la ratification du traité sur l'Union européenne, et non pas sur une loi constitutionnelle. Quant à la décision du 6 novembre 1992, même si elle porte sur une loi constitutionnelle adoptée par voie de référendum, le Conseil constitutionnel discute le problème en termes de lois référendaires, et non pas en termes de lois constitutionnelles : le Conseil constitutionnel se demande s'il a compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois référendaires et non pas celle des lois constitutionnelles. La doctrine aussi se pose la question en mêmes termes.

En effet, cette question ne nous intéresse pas directement, car, la question qui se pose dans notre thèse est celle de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, et non pas celle de savoir si le Conseil peut contrôler la constitutionnalité des lois référendaires. Ces deux questions sont, en principe, deux choses différentes, parce que, dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel se serait déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois adoptées par voie de référendum, il pourrait parfaitement se déclarer incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par cette, pour d'autres motifs. Mais dans l'hypothèse inverse, c'est‑à‑dire, dans celle où le Conseil constitutionnel se serait déclaré incompétent pour contrôler les lois adoptées par voie de référendum, cette déclaration d'incompétence impliquerait aussi l'incompétence du Conseil constitutionnel pour contrôler les lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum. En effet, dans cette hypothèse, la motivation d'incompétence serait valable inévitablement pour les lois constitutionnelles adoptées par voie de
référendum, car ces lois, bien que leur objet soit différent, sont des lois référendaires.

C'est pourquoi nous allons examiner ici les décisions du Conseil constitutionnel des 6 novembre 1962 et 23 septembre 1992, même si dans ces décisions, le Conseil discute de la question de savoir s'il a compétence pour contrôler les lois référendaires, et non pas les lois constitutionnelles. En effet, puisque le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour contrôler les lois référendaires, ces décisions apportent une réponse à la question de savoir si les lois constitutionnelles sont soumises au contrôle du Conseil constitutionnel.

Maintenant, après avoir fait ces remarques préliminaires, nous verrons d'abord les décisions du Conseil constitutionnel, ensuite les critiques adressées à ces décisions, et enfin nous essayerons de faire une appréciation générale de la question posée au Conseil constitutionnel à l'occasion de ces affaires. 

1. Les décisions du Conseil constitutionnel

Nous allons voir d'abord la décision du 6 novembre 1962, ensuite celle du 23 septembre 1992.

a. La décision n° 62‑20 DC du 6 novembre 1962, Loi référendaire[7]

Les articles 6 et 7 de la Constitution de 1958 ont été révisés par la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la République au suffrage universel[8]. Cette loi a été adoptée par le référendum du 28 octobre 1962, suivant la procédure de l'article 11.

Le Conseil constitutionnel fut saisi le 3 novembre 1962 par le président du Sénat, sur la base de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, du texte de loi aux fins d'appréciation de sa conformité à la Constitution[9].

Le Conseil constitutionnel a décidé qu'il « n'a pas compétence pour se prononcer sur la demande... du président du Sénat ».

Le Conseil constitutionnel affirme, dans un premier considérant, que sa compétence

« est strictement délimitée par la Constitution, ainsi que par les dispositions de la loi organique du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel prise pour l'application du titre VII de celle-ci ; que le Conseil ne saurait donc être appelé à se prononcer sur d'autres cas que ceux qui sont limitativement prévus par ces textes »[10]

Ainsi le Conseil rappelle d'abord sa qualité de juge d'attribution, c'est‑à‑dire qu'il n'a pas compétence générale pour connaître tous les actes normatifs[11]. En d'autres termes, la haute juridiction affirme le principe de l'interprétation stricte de ses compétences[12]. En effet, comme le constate Léo Hamon[13], ce principe avait été formellement consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 décembre 1960[14] et celle du 14 septembre 1961[15].

Comme le remarquent Louis Favoreu et Loïc Philip, « la question qui se posait au Conseil constitutionnel était celle de savoir si les lois référendaires et les lois parlementaires devaient avoir le même régime contentieux. En somme, devait-il considérer qu'il n'y avait qu'une seule catégorie de lois au regard du contrôle de constitutionnalité ou bien deux catégories »[16] ?

En effet, comme on l'a dit, l'article 61, al.2, de la Constitution de 1958 a habilité le Conseil constitutionnel à statuer sur « les lois ». Mais cet article ne précise pas clairement si « les lois » qu'il vise englobent ou non les lois référendaires[17]. Autrement dit, les lois référendaires sont‑elles des « lois » au sens de l'article 61, al.2, de la Constitution de 1958[18] ?

Selon l'auteur de la saisine, Gaston Monnerville, président du Sénat, « les lois » au sens de l'article 61, al.2, englobaient non seulement les lois votées par le Parlement, mais aussi celles adoptées par voie de référendum. Car, les termes du second alinéa de l'article 61 « ne comportent aucune distinction entre les lois votées par le Parlement et celles qui ont été adoptées par référendum[19]. Par conséquent le président du Sénat conclut que l'on ne saurait pas soutenir que, du fait que la loi en question

« a été adoptée par la procédure du référendum, et non par celle des délibérations et des votes des assemblées parlementaires, le Conseil constitutionnel serait incompétent pour se prononcer sur la conformité de cette loi à la Constitution »[20].

Le Conseil constitutionnel rejette cette interprétation. Selon la haute juridiction,

« les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le peuple à la suite d'un référendum... »[21].

Le Conseil constitutionnel tire cette conclusion d'une part de l'esprit, et d'autre part, du texte de la Constitution de 1958.

I. Le Conseil constitutionnel fait d'abord appel à l'« esprit de la Constitution » :

« ... il résulte de l'esprit de la Constitution qui a fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics que les lois ... ».

En effet la haute instance observe d'abord que l'article 61 de la Constitution qui définit les actes pouvant ou devant être soumis au Conseil ne précise pas si le contrôle de constitutionnalité est limité aux seules lois votées par le Parlement ou s'il s'étend également aux lois adoptées par voie de référendum[22]. Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, l'article 61 ne tranche pas le problème qui est posé devant lui, et par conséquent il convient de se reporter à l'esprit de la Constitution[23].

En invoquant l'esprit de la Constitution, le Conseil constitutionnel s'est lui‑même défini comme « un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics »[24]. Comme le remarque Léo Hamon, il faut alors déterminer ici le sens donné à l'expression « pouvoirs publics ». Le peuple statuant par référendum ne pourrait-il pas être qualifié de « pouvoir public » ? Le Conseil constitutionnel ne l'admet pas. Alors dans cette décision, le terme « pouvoirs publics » désigne les « organes constitués » et non pas le peuple[25]. Il s'ensuit que la « régulation » exercée par le Conseil constitutionnel ne porte que sur l'activité desdits organes constitués et jamais sur la manifestation de la volonté du peuple[26]. En d'autres termes, les lois visées par l'article 61 « sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles... adoptées par le Peuple à la suite d'un référendum »[27]. En effet, ces dernières lois « constituent l'expression directe de la souveraineté nationale »[28]. En conclusion, le Conseil constitutionnel a déduit de l'esprit de la Constitution qu'elle n'avait pas reçu compétence d'assurer la régulation de l'« expression directe de la souveraineté nationale »[29].

II. La décision du Conseil constitutionnel se fonde encore sur des arguments de texte qui sont tirés de la Constitution et de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

A. Le premier groupe de ces arguments sont tirés des articles 60 et 11 de la Constitution de 1958.

1. La haute juridiction se réfère d'abord à l'article 61 qui détermine le rôle du Conseil constitutionnel en matière de référendum. Selon cet article « le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum et en proclame les résultats ». Le Conseil, dans sa décision du 23 décembre 1960 (Regroupement national), a limité son contrôle aux seules réclamations « susceptibles d'être formulés à l'issue du scrutin contre les opérations effectuées »[30]. Alors ceci exclut a priori le contrôle de la constitutionnalité d'une loi référendaire[31].

2. D'autre part, le Conseil constitutionnel se réfère à l'article 11 « qui ne prévoit aucune formalité entre l'adoption d'un projet de loi par le peuple et sa promulgation par le président de la République ».

B. Le deuxième groupe des arguments de texte sont tirés de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a constaté que l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel n'envisage que le contrôle de la constitutionnalité pour des lois votées par le Parlement.

1. L'article 23 de cette loi organique prévoit que « dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi dont il est saisi contient une disposition contraire à la Constitution sans constater en même temps qu'elle est inséparable de l'ensemble de la loi, le président de la République peut, soit promulguer la loi à l'exception de cette disposition, soit demander aux Chambres une nouvelle lecture ». Cette disposition montre bien que l'ordonnance « n'a eu en vue, dans ce cas, que l'hypothèse d'une loi adoptée par les assemblées »[32].

2. L'article 17 de ladite loi est encore plus nette. Il ne fait mention que des « lois adoptées par le Parlement ». Comme le remarque Léo Hamon, « ici encore, l'hypothèse de l'adoption par le Parlement est seule retenue »[33].

Ainsi aucun texte ne prévoit l'intervention du Conseil constitutionnel pour apprécier la conformité à la Constitution d'une loi adoptée par le référendum[34].

 

 

b. La décision n° 92-313 du 23 septembre 1992, Loi autorisant la ratification du traité sur l'Union européenne[35]

La question du maintien de la jurisprudence du 6 novembre 1962 a été posée lors de l'adoption de la loi référendaire portant autorisation de ratifier le traité de Maastricht. Cette loi a été a été adoptée par le référendum du 20 septembre 1992. Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 septembre 1992, postérieurement à 20 heures, par 63 députés, sur la base de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, aux fins d'appréciation de la conformité à la Constitution de la loi autorisant la ratification du traité sur l'Union européenne, adoptée par voie de référendum.

D'abord soulignons que cette décision ne porte pas sur une loi constitutionnelle. Mais puisque le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois adoptées par voie de référendum, la motivation d'incompétence vaut également pour les lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum. C'est pourquoi nous l'examinons ici. Par contre, si le Conseil constitutionnel s'était déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois référendaires, cette motivation ne serait pas valable pour les lois constitutionnelles référendaires, car le Conseil constitutionnel pourrait parfaitement se déclarer incompétent pour contrôler la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle référendaire pour d'autres motifs.

Dans la décision du 23 septembre 1992, le Conseil constitutionnel a maintenu sa décision d'incompétence du 6 novembre 1962, en reprenant mot pour mot sa motivation de l'époque, à deux exceptions près. C'est pourquoi nous ne reprenons pas ici les arguments que nous venons d'étudier. Nous n'allons préciser que les deux différences qui existent entre ces deux décisions.

En premier lieu, le Conseil constitutionnel ne se définit plus comme « un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics ». En effet, depuis 1971, le Conseil constitutionnel a cessé d'être un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics[36], et il est devenu un organe essentiellement chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois et de la protection des droits fondamentaux[37].

En second lieu, le Conseil constitutionnel ne fait plus référence à l'« esprit de la Constitution » comme il l'avait fait dans la décision du 6 novembre 1962. Dans sa décision de 1992, il se fonde désormais sur « l'équilibre des pouvoirs établi par la Constitution »[38].

2. Les critiques adressées ces décisions

Les arguments du Conseil constitutionnel développés dans la décision du 6 novembre 1962 et confirmés dans la décision du 23 septembre ne sont pas à l'abri des critiques.

I. Dans la doctrine du droit constitutionnel français, on a observé que la distinction faite par le Conseil constitutionnel entre l'expression directe et indirecte de la souveraineté nationale n'est pas correcte au regard de l'article 3 de la Constitution qui n'établit aucune hiérarchie entre les modes d'exercice de la souveraineté nationale[39].

En effet l'impossibilité de faire une différenciation entre l'expression directe et indirecte de la souveraineté nationale a été invoquée d'abord par le président du Sénat dans sa lettre de recours. Selon Gaston Monnerville,

« la compétence du Conseil constitutionnel ne peut pas être contestée par une argumentation fondée sur l'article 3 de la Constitution, dont le premier alinéa dispose que ‘la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants et par la voie de référendum’.

        L'exercice de la souveraineté nationale, que ce soit par les représentants du peuple ou par les électeurs consultés par voie du référendum, n'est en effet légitime que dans le respect des règles et des procédures instituées par la Constitution. Admettre qu'il en puisse être autrement en cas de référendum conduirait nécessairement à admettre que les représentants du peuple ne sont également soumis à aucune règle constitutionnelle dans l'exercice de la souveraineté qui leur est déléguée. Ce serait donc ruiner, non seulement la base même du Droit, même celle de toute stabilité des institutions »[40].

François Luchaire aussi critique la distinction entre l'expression directe et indirecte de la souveraineté nationale. Il affirme que

« sur le plan des textes, l'argument ne vaut pas : l'article 3 de la Constitution place en effet sur le même plan l'exercice de la souveraineté nationale par le peuple et ce même par ses représentants ; si le second est contrôlable on ne voit pas pourquoi le premier ne le serait pas »[41].

Egalement selon Claude Franck, l'affirmation du Conseil constitutionnel selon laquelle « seules les lois adoptées par référendum ‘constituent l'expression directe de la souveraineté nationale’ s'avère superfétatoire et inexacte »[42].

En effet, la différenciation entre l'expression directe et indirecte de la souveraineté nationale introduit une hiérarchie entre loi parlementaire et loi
 référendaire. Comme le remarque Léo Hamon
,

« une idée de hiérarchie intervient ici, non plus entre la Constitution, la loi et le règlement, mais entre les expressions directe et indirecte (par des ‘représentants’ qui sont les ‘pouvoirs publics’) de la souveraineté nationale »[43].

Or, l'article 3 de la Constitution n'établit aucune hiérarchie entre les modes d'exercice de la souveraineté nationale.

II. Les arguments de texte invoqués par le Conseil constitutionnel sont eux aussi critiqués. Par exemple François Luchaire critique la réponse négative du Conseil constitutionnel à la question de savoir si les lois référendaires sont des lois au sens de l'article 61 de la Constitution. Selon lui, la réponse à cette question

« résulte clairement du texte même de la formule finale (et de promulgation) de la Constitution : ‘la présente loi sera exécutée comme Constitution de République et de la Communauté’ ; la Constitution adoptée par le référendum populaire est donc elle aussi une loi ; dès lors pourquoi le mot aurait-il compréhension différente dans la formule finale de la Constitution et dans le corps de ses articles »[44] ?

François Luchaire critique également les arguments de texte tirés des articles 17 et 23 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Selon lui,

« que l'ordonnance n'ait organisé le contrôle de la loi parlementaire, c'est une évidence ; mais que ses rédacteurs aient voulu par là même supprimer le contrôle de la loi référendaire, voilà qui n'est absolument pas évident. Peut-être y a‑t‑il une lacune de l'ordonnance ? mais elle ne devrait pas empêcher le Conseil d'exercer la mission que la Constitution lui a confiée et cela d'autant plus qu'un texte organique, mesure d'application de la Constitution, ne peut ni aller à l'encontre de celle-ci, ni réduire les pouvoirs qu'elle donne au Conseil »[45].

* * *

Comme nous l'avons noté, dans la décision du 23 septembre 1992[46], le Conseil constitutionnel a maintenu sa jurisprudence du 6 novembre 1962, en reprenant mot pour mot sa motivation de l'époque. C'est pourquoi, les critiques adressées à la décision du 6 novembre 1962 sont valables aussi pour la décision du 23 septembre 1992. Néanmoins la motivation de la décision du 23 septembre 1992 se diffère de celle de 1962, on l'a vu, sur deux points : d'une part le Conseil constitutionnel ne se définit plus comme « un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics », et d'autre part il ne fait plus référence à l'« esprit de la Constitution ».

On peut penser avec le président Dmitri Georges Lavroff que

« cette renonciation à ‘l'esprit de la Constitution’ est heureuse car la formule était à la fois trop vague et trop incertaine pour justifier une éventuelle déclaration de non‑conformité d'une loi référendaire à la Constitution »[47].

Cependant comme le montre le doyen Louis Favoreu, le remplacement de la formule de 1962 selon laquelle « l'esprit de la Constitution qui a fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur de l'autorité des pouvoirs publics »[48] par celle « l'équilibre des pouvoirs établi par la Constitution »[49] a complètement déstabilisé la motivation principale d'incompétence du Conseil constitutionnel[50]. Selon lui,

« on ne voit pas, en effet, ce qui, dans cette nouvelle formule, justifie le fait que le juge constitutionnel refuse de donner à l'article 61, conférant au Conseil constitutionnel mission de vérifier la conformité ‘des lois’ à la Constitution, un sens non restrictif, englobant lois parlementaires et lois référendaires »[51].

Par conséquent le doyen Favoreu affirme que la formule de remplacement « fait tomber l'un des seuls arguments susceptibles d'étayer la thèse de l'incompétence »[52]. Ainsi Louis Favoreu conclut que « la motivation de l'incompétence du Conseil constitutionnel pour contrôler les lois référendaires est donc aujourd'hui insatisfaisante »[53].

* * *

D'ailleurs l'argument du Conseil constitutionnel est contraire au principe selon lequel une loi référendaire peut être modifiée par une loi adoptée par le Parlement[54]. Comme l'affirme Marcel Prélot,

« le vote par référendum ne donne pas au texte voté un caractère particulier. Une fois adopté, le texte référendaire doit être considéré suivant sa nature comme constitutionnel, légal ou même simplement réglementaire, ce qui aura des conséquences très importantes lorsqu'il s'agira notamment de le modifier ultérieurement »[55].

Egalement le Conseil constitutionnel lui-même admet que des dispositions d'une loi référendaire peuvent être abrogées par le Parlement. Dans sa décision du 4 juin 1976[56], le Conseil a jugé conforme à la Constitution le droit de modifier des dispositions organiques contenues dans la loi constitutionnelle référendaire de 1962 sur élection présidentielle[57]. De même, d'une façon plus significative, dans sa décision du 9 janvier 1990, le Conseil constitutionnel a admis que la loi votée par le Parlement peut abroger les dispositions votées par le peuple par voie de référendum. Il a affirmé que

« le principe de la souveraineté nationale ne fait nullement obstacle à ce que le législateur, statuant dans le domaine de compétence qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution modifie, complète ou abroge des dispositions législatives antérieures ; qu'il importe peu à cet égard que les dispositions modifiées, complétées ou abrogées résultent d'une loi votée par le Parlement ou d'une loi adoptée par voie de référendum »[58].

Comme le note Olivier Beaud, on peut transposer ce raisonnement pour une loi constitutionnelle[59]. Par conséquent une loi constitutionnelle parlementaire vaut en droit une loi constitutionnelle référendaire. Il y a égalité normative. Parce que le parlement peut abroger une loi constitutionnelle ratifiée par le peuple[60]. Comme le souligne Olivier Beaud, « on devrait logiquement déduire que le peuple ne peut plus être considéré comme étant toujours souverain si sa norme peut être abrogée par un tiers, le Parlement »[61].

* * *

Enfin certains auteurs soulignent le danger qui se cache dans cette jurisprudence. Si l'on admet le caractère incontrôlable des lois référendaires, il faudrait estimer que non seulement la loi constitutionnelle référendaire, mais aussi toute loi adoptée par le peuple souverain, pourrait déroger à la Constitution[62]. Selon Olivier Beaud,

« la Constitution serait à la merci de n'importe quelle loi ordinaire dont un gouvernement solliciterait par le peuple. Au lieu d'être stable, elle serait extraordinairement précaire. Inversement : n'importe quelle loi ordinaire pourrait devenir une loi constitutionnelle ; le contenu de la Constitution se réduirait à la disposition prévoyant l'intervention du peuple dans la procédure de révision constitutionnelle.... La loi référendaire fait éclater la structure hiérarchique des normes. Si l'on admettait le raisonnement du juge, les motifs du jugement, non seulement la nation de constitution elle-même perdrait toute stabilité et toute garantie, mais encore tout le patient travail de contrôle de constitutionnalité des lois s'effondrerait tel un château de cartes »[63].

 

En effet, la motivation principale développée par la haute juridiction dans sa jurisprudence du 6 novembre 1962 consiste à dire que, d'une part, le Conseil constitutionnel est « un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics », et que, d'autre part, le peuple statuant par référendum ne peut pas être qualifié de « pouvoir public ». En d'autres termes, selon le Conseil constitutionnel, le peuple statuant par référendum n'est pas un « pouvoir public », c'est‑à‑dire un « pouvoir constitué », mais un « pouvoir constituant ».

La plupart des auteurs approuvent cette affirmation. Par exemple pour Léo Hamon,

« le corps électoral ne peut constituer que l'instance la plus haute, celle dont la décision s'impose nécessairement aux autres instances qui, si élevées soient‑elles, sont au-dessous de la Nation, comme le délégataire reste subordonné aux déléguants »[64].

Un autre auteur, François Luchaire, qui critique d'ailleurs d'autres arguments d'incompétence du Conseil constitutionnel, approuve aussi cette affirmation. Selon lui,

« il y a entre le peuple et ses représentants la différence très classique entre pouvoir instituant et pouvoir institué ; le premier confère les compétences, le second les reçoit ; seul celui-ci peut-être limité ; celui-là dispose au contraire d'un pouvoir illimité et sans contrôle ; tout ceci est une manière un peu théorique de dire que lorsque le peuple a décidé, les organes de l'Etat doivent s'incliner ; c'est cela démocratie »[65].

Par contre certains auteurs désapprouvent cette opinion. Par exemple selon Georges Burdeau, Francis Hamon et Michel Troper, l'argument de l'intervention du peuple souverain invoque la théorie du pouvoir constituant originaire et lui donne « une saveur démocratique extrêmement séduisante »[66]. D'après eux, politiquement ce procédé a été efficace, mais « cela ne veut pas dire que juridiquement il pouvait être considéré comme fondé »[67]. Et les auteurs poursuivent :

        « La théorie du pouvoir constituant originaire s'applique... dans une conjoncture très nettement définie : elle suppose qu'il n'y a pas de constitution. soit parce qu'il n'y en a jamais eu (Etat neuf), soit parce que celle qui existait a été abolie par une révolution. Dans ces hypothèses, le peuple exerce librement son pouvoir constituant. mais au mois d'octobre 1962, il existait une constitution. Si le peuple avait entendu s'en affranchir, il le pouvait certes, mais alors il aurait accompli une révolution. Ne l'ayant pas faite, on doit admettre qu'il renonçait à exercer son pouvoir constituant autrement que selon les voies qu'il avait lui‑même tracées en adoptant la constitution de 1958 »[68].

D'autre part, Gérard Conac aussi souligne que

« lorsqu'il intervient en application d'une disposition précise de la Constitution, le corps électoral agit en tant que pouvoir institué et non pas à titre de pouvoir originaire, comme c'est le cas dans les périodes de vide constitutionnel ou de crise révolutionnaire »[69].

 

Ainsi Gérard Conac conclut que

« lorsque le peuple est saisi au titre de l'article 11..., il n'intervient pas en tant que juge constitutionnel ni à titre de constituant originaire. Il se prononce en tant que législateur sur l'opportunité d'un projet important pour l'avenir de l'Etat »[70].

Le même argument a été également invoqué par Jean-Claude Escarras dans la Xe Table-ronde internationale d'Aix‑en‑Provence des 16 et 17 septembre 1994. A propos du refus du Conseil constitutionnel de contrôler les lois référendaires, il affirme que

« si politiquement on peut aisément concevoir une telle attitude, il faut bien reconnaître, en revanche, que ‘juridiquement, cela ne tient pas’. En effet, lorsque le peuple intervient au titre de l'article 11 de la Constitution de 1958, il intervient en tant que pouvoir institué et non pas en tant que pouvoir instituant »[71].

D'autre part, à cet égard, on peut souligner que l'article 11, alinéa 2, prévoit que « lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet, le Président de la République le promulgue dans le délai prévu à l'article précédent ». Ainsi le constituant n'a pas prévu la mise en vigueur de la loi référendaire dès la proclamation des résultats, mais l'a subordonnée à la promulgation du président de la République dans les mêmes conditions que la loi ordinaire. Selon Gérard Conac,

« il y a là un argument pour ceux qui considèrent que lorsque le corps électoral se prononce au titre de l'article 11, il est dans une situation comparable à celle du parlement. Il exerce une compétence en tant que pouvoir institué. Il n'a pas la souveraineté du pouvoir originaire.

        De même on peut tirer argument de l'existence d'un délai entre la proclamation et la promulgation de la loi référendaire pour considérer que le constituant n'a pas voulu exclure l'éventualité d'un contrôle du Conseil constitutionnel sur les projets de lois adoptés par référendum et que si ce délai est prévu, c'était pour permettre au contraire un tel contrôle, dans les mêmes conditions, que pour les projets de lois adoptés par le parlement »[72].

Ainsi on distingue deux qualités du peuple : peuple en tant que pouvoir originaire et peuple en tant que pouvoir institué. Dans le premier cas, le peuple est souverain, par conséquent sa volonté ne peut être contrôlée par le Conseil constitutionnel. Mais dans sa deuxième qualité, le peuple est un organe constitué, par conséquent sa volonté peut être contrôlée par le Conseil constitutionnel.

Par contre Louis Favoreu et Loïc Philip sont plus réticents devant cette distinction entre les qualités du peuple. Selon eux, si théoriquement la dissociation entre les deux qualités du peuple « est concevable, pratiquement, elle est plus difficile à réaliser et la présente espèce [référendum du 28 octobre 1962) en est une illustration, car, en modifiant le mode d'élection du Président de la République, le peuple agit-il comme pouvoir constitué ou comme pouvoir constituant »[73] ?

* * *

A notre avis, il y a ici en effet un problème théorique que nous avons précédemment examiné. Dans le titre préliminaire, nous avons vu que le pouvoir de révision constitutionnelle est un pouvoir limité[74]. Egalement nous avons discuté spécialement la question de savoir si le pouvoir de révision constitutionnelle est limité au cas où il est exercé directement par le peuple[75]. Sans entrer à nouveau dans cette question, rappelons notre conclusion : le pouvoir de révision constitutionnelle est limité, même s'il est exercé directement par le peuple statuant par référendum, car dans la procédure de révision constitutionnelle, le peuple intervient en tant que pouvoir constitué et non pas en tant que pouvoir constituant originaire.

* * *

Cependant, cette conclusion n'est pas retenue par le Conseil constitutionnel français. Dans sa décision du 6 novembre 1962, le Conseil s'est déclaré incompétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois « adoptées par le peuple à la suite d'un référendum ». Parce que, selon le Conseil, d'une part, il est « un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics » et que, d'autre part, le « peuple » statuant par référendum ne peut pas être qualifié de « pouvoir public ». Cette jurisprudence a été confirmée aussi par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 septembre 1992.

Comme nous venons de le montrer, cette jurisprudence du Conseil constitutionnel est critiquable. Cependant, du point de vue du droit positif une seule conclusion s'impose : en France, les lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum ne sont pas soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. En d'autres termes, en France, si le pouvoir de révision constitutionnelle est exercé directement par le peuple, statuant par le référendum, il est illimité, même si l'intervention du peuple est réalisée dans le cadre prévu par la Constitution. Par conséquent les limites à la révision constitutionnelle ne s'imposent pas aux lois constitutionnelles adoptées par le référendum, car ces lois sont incontrôlables.

3. Appréciation de la question

A notre avis, à propos de la question de savoir si le Conseil constitutionnel a compétence de contrôler les lois référendaires, il faut rechercher la réponse authentique.

D'abord rappelons l'article 61 de la Constitution de 1958 qui détermine les textes soumis au contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnel :

        Article 61. – Les lois organiques avant leur promulgation, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.

        Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs

Comme on le voit, le Conseil constitutionnel est compétent à l'égard des « lois organiques », des « règlements des assemblées parlementaires » et des « lois ». Cependant dans l'article, ni les « lois constitutionnelles », ni les « lois référendaires » ne sont mentionnées. La question qui se pose au Conseil constitutionnel consiste en celle de savoir les « lois » que l'article 61 alinéa 2 visent englobent ou non les « lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum ». Autrement dit, les lois constitutionnelles adoptées à la suite d'un référendum sont‑elles des « lois » au sens de l'article 61, al.2, de la Constitution de 1958 ?

Alors pour pouvoir répondre à la question de savoir si les lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum peuvent être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, il faut d'abord répondre à la question de savoir si le mot « lois » utilisé dans l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de 1958 englobe non seulement les « lois ordinaires » mais aussi les « lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum ».

Cette question pose un problème d'interprétation, car pour y répondre, il faut d'abord interpréter le mot « lois » utilisé dans l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de 1958 qui détermine la compétence du Conseil constitutionnel. Sans doute, chacun peut interpréter ce mot, comme il l'entend. En effet, comme nous venons de le voir, le président du Sénat, auteur de la saisine, et les différents constitutionnalistes interprètent le mot « lois » différemment. Pour les uns, ce mot englobe les lois référendaires, pour d'autres, il ne les englobe pas.

En droit, seulement l'une de ces interprétations peut être valable ; les autres ne sont que des opinions personelles. Il faut donc déterminer authentique, c'est‑à‑dire celle qui ne peut être juridiquement contestée et qui est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques. Déterminons alors l'interprétation authentique du mot « lois », utilisé dans l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de 1958, et pour lesquelles le Conseil constitutionnel est compétent. Dans le système de la Constitution française de 1958, l'interprétation donnée à la Constitution par le Conseil constitutionnel est authentique, car, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » (art.62, al.2 de la Constitution de 1958). En d'autres termes, nul ne pourrait contester juridiquement à l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel à une disposition de la Constitution, parce que, d'une part, il n'existe pas d'interprétation standard à laquelle on pourrait la confronter, d'autre part, parce qu'elle n'est pas annulable et produit des effets juridiques quel que soit son contenu.

Et, comme on l'a vu, le Conseil constitutionnel français a interprété le mot « lois » utilisée dans l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de 1958, comme excluant les lois référendaires. Il a dit clairement que « les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles... adoptées par le peuple à la suite d'un référendum »[76].

Il nous reste donc conclure que, selon l'interprétation authentique du Conseil constitutionnel, le mot « lois » mentionné dans l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de 1958 n'englobe pas les lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum. Par conséquent, le Conseil constitutionnel n'a pas compétence pour contrôler les lois constitutionnelles référendaires.

Alors, à propos de la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum, une seule conclusion s'impose : ces lois ne peuvent pas être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel.

* * *

Ainsi nous venons de voir la réglementation constitutionnelle et la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum. Maintenant nous allons essayer de faire une appréciation générale de la problématique.

Comme nous l'avons vu au début de cette section, la Constitution française ne contient aucune disposition expresse sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par conséquent, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans le cas de la France doit être analysé comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé.

Comme nous l'avons vu dans le cadre théorique[77], dans un tel système, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible sous deux conditions. Premièrement, il faut qu'il y ait dans le système un organe compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois, et deuxièmement, que cet organe se soit déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

La première condition est nécessaire, car, puisque la solution du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'existe pas dans les textes positifs, cette solution ne peut se trouver que dans la jurisprudence constitutionnelle. Mais pour qu'il y ait une jurisprudence constitutionnelle, il faut qu'il existe avant tout un organe chargé du contrôle de la constitutionnalité. En d'autres termes, il faut qu'il y ait, dans le système, un organe compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois.

La première condition est nécessaire, mais non suffisante. Car, pour que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles soit possible, il faut que cet organe se soit déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. C'est la deuxième condition. En effet si l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, du point de vue du droit positif, il faut admettre que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Car, de ce point de vue, la jurisprudence de cet organe est incontestable. En d'autres termes, la décision de cet organe constitue la solution authentique du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Nous avons vérifié ces deux conditions dans le cas de la France.

En France, sous la Ve République, il y a justement un Conseil constitutionnel chargé de contrôler la constitutionnalité des lois[78]. Par conséquent, la première condition est remplie.

Deuxièmement, nous avons montré que le Conseil constitutionnel français s'est déclaré incompétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum. C'est‑à‑dire que la deuxième condition n'est pas remplie. Par conséquent, en France le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum est impossible.

Cependant comme nous l'avons vu dans la première partie[79], la Constitution française de 1958 prévoit des limites de temps et une limite de fond à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle. Puisque le Conseil constitutionnel ne peut pas vérifier la conformité des révisions constitutionnelles adoptées par voie de référendum à ces limites, il est possible qu'une telle loi constitutionnelle soit contraire à ces limites. et si cette éventualité s'est réalisée, cette loi sera en vigueur, car elle ne peut pas être invalidée. Ainsi, en France, une loi constitutionnelle adoptée par voie de référendum qui est contraire aux limites à la révision constitutionnelle peut être en vigueur. Car, comme on l'a déjà indiqué, tant qu'une loi n'est pas abrogée ou annulée par un organe compétent ; elle sera toujours en vigueur, et par conséquent valable[80]. Et exactement en France, puisque le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum a été exclu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une loi constitutionnelle adoptée par voie de référendum et qui est contraire aux limites à la révision constitutionnelle sera toujours en vigueur, même si elle est contraire à ces limites selon les vues de X ou de Y[81].

C'est pourquoi, il faut discuter ici de deux questions suivantes.

a) Le fondement de la validité des lois constitutionnelles contraires aux limites à la révision constitutionnelle en l'absence du contrôle de la constitutionnalité. –  Comme nous l'avons expliqué, en France, puisque le Conseil constitutionnel s'est déjà déclaré incompétent pour se prononcer sur la validité des lois référendaires, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum est impossible. Alors, une loi constitutionnelle adoptée par voie de référendum pourrait être valable, même si elle est effectivement contraire aux dispositions de la Constitution qui lui imposent des limites. Il faut donc expliquer le fondement de la validité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum et qui sont contraires aux limites à la révision constitutionnelle, et cependant qui sont en vigueur.

Dans le système de la Constitution française de 1958, on pourrait penser qu'une loi constitutionnelle contraire à ses limites trouve son fondement de validité dans la Constitution elle-même, c'est‑à‑dire, dans la volonté du pouvoir constituant originaire de 1958. En effet, puisque la Constitution de 1958 n'a pas prévu dans son article 61 le contrôle de la constitutionnalité des «lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum »[82], on pourrait conclure que la Constitution elle‑même accepte la validité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum et contraires aux limites à la révision constitutionnelle. Parce que le pouvoir constituant originaire de 1958 avait eu la possibilité de prévoir le conflit entre une loi de révision constitutionnelle adoptée par voie de référendum et les dispositions de la Constitution qui lui imposent des limites, ainsi que la possibilité d'habiliter le Conseil constitutionnel à le résoudre. Puisqu'il ne l'a pas fait, on peut en déduire que le pouvoir constituant originaire de 1958 lui-même n'a pas voulu que le pouvoir de révision constitutionnelle exercé par le peuple à la suite d'un référendum soit limité. En d'autres termes, en ne pas organisant le contrôle des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum, le pouvoir constituant originaire de 1958 a permis implicitement l'édiction des lois constitutionnelles référendaires qui seraient contraires aux limites à la révision constitutionnelle. C'est‑à‑dire que le pouvoir constituant originaire de 1958, d'une part, a habilité le pouvoir de révision constitutionnelle exercé par le peuple à édicter des lois constitutionnelles, mais, d'autre part, il n'a pas prévu une sanction pour cette habilitation. Alors « accorder une telle habilitation non sanctionnée, c'est donner par là même l'habilitation de la transgresser »[83].

Alors dans le système français, il faut conclure que les lois constitutionnelles référendaires peuvent voir le jour d'autre façon que celle que détermine directement la constitution, d'une façon que le pouvoir de révision constitutionnelle détermine lui-même. En d'autres termes, la Constitution donne au pouvoir de révision constitutionnelle la possibilité de réviser la Constitution, soit par la procédure déterminée directement par les normes de la Constitution, soit par quelque autre procédure, et la possibilité de donner à ces révisions constitutionnelles soit un contenu conforme aux normes de la constitution qui leur imposent des limites, soit un contenu autre. Les normes directes de la Constitution sur la procédure de la révision constitutionnelle (art.89, al.1, 2 et 3) et sur le contenu des lois constitutionnelles (art.89, al.5) ne représentent plus alors que l'une des possibilités créées par la Constitution. La Constitution de 1958 crée elle‑même cette possibilité par le fait qu'elle ne laisse à aucun autre organe que le pouvoir de révision constitutionnelle la faculté de décider si les normes édictées par lui en tant que lois constitutionnelles référendaires sont bien des lois de révision constitutionnelle au sens de la Constitution. Les dispositions de la constitution qui règlent leur création (art.89, al.1, 2 et 3) et en particuliers les dispositions qui leur imposent des limites (art.7 in fine, 89, al.4 et 5) ont alors le caractère de dispositions simplement alternatives. La Constitution contient tout à la fois un règlement direct et un règlement indirect de la révision constitutionnelle ; et le pouvoir de révision constitutionnelle exercé par le peuple a le choix entre les deux. De même, le pouvoir de révision constitutionnelle exercé par le peuple a le choix entre se conformer ou ne pas se conformer aux limites à la révision constitutionnelle. Puisque le Conseil constitutionnel s'est déjà déclaré incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum, on ne saurait arriver à une conclusion différente[84].

* * *

C'est une façon d'expliquer le fondement de la validité des lois constitutionnelles référendaires et contraires aux limites à la révision constitutionnelle. Cependant nous pensons qu'il n'y a qu'ici un faux problème. A vrai dire, nous n'avons pas besoin d'expliquer le fondement de la validité de lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum et contraires aux dispositions de la Constitution qui règlent leur création et en particulier aux dispositions qui leur imposent des limites. Parce qu'il n'y a ici qu'un conflit apparent entre les lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum et ces dispositions, et non pas juridique. En d'autres termes, puisqu'en France, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum est impossible, c'est‑à‑dire que le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum, cette contradiction ne sera jamais constatée dans l'ordre juridique. Chacun peut exprimer une opinion sur la conformité d'une loi de révision constitutionnelle aux dispositions de la Constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui imposent des limites, pourtant personne n'a reçu compétence pour se prononcer sur la validité d'une telle loi. Autrement dit, il est impossible d'élever cette contradiction au niveau juridique. Alors en France, puisque le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum, on ne peut pas parler de la conformité ou de la non‑conformité d'une loi constitutionnelle adoptée par voie de référendum aux limites à la révision constitutionnelle.

b) La signification des limites à la révision constitutionnelle en l'absence du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. – Comme on l'a vu, dans le système de la Constitution française de 1958, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum est impossible. Par conséquent, une loi constitutionnelle qui a été adoptée par cette procédure et qui est contraire aux limites à la révision constitutionnelle pourrait être valable. En d'autres termes, les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas sanctionnées par le Conseil constitutionnel. Dans ce cas, les questions suivantes se posent inévitablement : que signifie donc cette absence de sanction ? L'affirmation du principe de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle est-elle purement théorique ? Les limites prévues à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle sont‑elles privées de toute force obligatoire ? Bref, en France, quelle est la signification des limites à la révision constitutionnelle fixées par la Constitution de 1958 ?

Rappelons d'abord la signification de telles limites dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Dans un tel système, les limites à la révision constitutionnelle sont adressées d'abord au pouvoir de révision constitutionnelle et ensuite et définitivement à l'organe qui a été habilité à se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles. Si le pouvoir de révision constitutionnelle ne respecte pas ces limites, à vrai dire si l'on veut contester l'interprétation donnée à ces limites par le pouvoir de révision constitutionnelle, on peut saisir cet organe compétent pour se prononcer sur la validité des lois de révision constitutionnelle. Dans ce cas, cet organe examinera la question de savoir si la loi de révision constitutionnelle en question est conforme ou contraire aux limites à la révision constitutionnelle. S'il estime qu'elle est contraire à ces limites, il peut l'invalider. Et la décision de cet organe est juridiquement incontestable. Ainsi, les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées en dernière analyse selon l'interprétation authentique de l'organe habilité à se prononcer sur la validité des lois de révision constitutionnelle.

Par contre, puisque le Conseil constitutionnel français s'est déjà déclaré incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum, il faut conclure que les limites à la révision constitutionnelle (art.7 in fine, 89, al.4 et 5), sont adressées uniquement au corps électoral en tant que pouvoir de révision constitutionnelle. Ainsi, le corps électoral ne doit pas adopter une loi constitutionnelle contraire aux limites à la révision constitutionnelle fixées par la Constitution de 1958[85]. Mais, puisque le Conseil constitutionnel est incompétent pour examiner la conformité des lois constitutionnelles référendaires à ces limites, c'est au corps électoral et à lui seul qu'appartient le pouvoir d'apprécier si le texte qui lui a été présenté est conforme ou contraire à ces dispositions[86]. Si le corps électoral, en tant que pouvoir de révision constitutionnelle, accepte de le voter, ceci signifie qu'il interprète que le projet de révision en question n'est pas contraire aux limites à la révision constitutionnelle. Il faut alors conclure que, dans cette hypothèse, les limites à la révision constitutionnelle fixées par la Constitution de 1958 (art.7 in fine, 89, al.4 et 5) sont sanctionnées par l'interprétation donnée par le corps électoral.

Par conséquent, dans le système de la Constitution française de 1958, puisque le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum est impossible, toutes les lois constitutionnelles adoptées par cette voie sont toujours conformes aux limites à la révision constitutionnelle. Car si ces lois constitutionnelles n'étaient pas conformes à ces dispositions, le corps électoral statuant par référendum, organe de révision constitutionnelle, aurait dû refuser de les voter. Alors dans une telle hypothèse, les lois adoptées par le corps électoral à la suite d'un référendum comme lois constitutionnelles sont toujours conformes aux limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution de 1958 (art.7 in fine, 89, al.4 et 5) selon l'interprétation du corps électoral, organe de révision constitutionnelle[87]. Alors, dans le système de la Constitution française de 1958, les limites à la révision constitutionnelle sont sanctionnées par l'interprétation authentique du corps électoral statuant par référendum.

Sans doute on peut critiquer cette solution en disant que la sanction par l'interprétation du corps électoral, en tant que pouvoir de révision constitutionnelle, n'est pas une vraie sanction. En effet, ces limites s'imposent au pouvoir de révision constitutionnelle, en l'espèce le corps électoral, autrement dit c'est lui qui est le sujet à limiter, cependant, dans cette solution, c'est à lui qui revient la compétence de déterminer le sens de ces limites. Ainsi, on voit mal comment un sujet serait limité par les dispositions dont le sens est déterminé par lui‑même.

A notre avis, cette critique n'a pas de sens juridique, car comme nous l'avons expliqué plus haut[88], on peut donner plusieurs réponses à la question de savoir si une loi constitutionnelle est conforme ou contraire aux limites à la révision constitutionnelle. Ainsi une loi constitutionnelle peut être conforme à ces dispositions selon X, mais contraire selon Y. Seule la réponse de l'organe compétent est authentique. Les autres ne sont que des opinions subjectives.

En conclusion, dans le système de la Constitution française de 1958, puisque le Conseil constitutionnel s'est déjà déclaré incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum, seule le corps électoral, en tant qu'organe de révision constitutionnelle, est compétent pour se prononcer sur la conformité des ces lois constitutionnelles aux limites à la révision constitutionnelle. Il faut alors accepter comme valables toutes les lois constitutionnelles adoptées par le corps électoral à la suite d'un référendum, même si elles sont contraires aux limites à la révision constitutionnelle fixées par la Constitution de 1958 (art.7 in fine, 89, al.4 et 5), selon les vues de X ou de Y.

* * *

Ainsi nous venons d'examiner la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum. Maintenant nous allons voir la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement.

 

B. La question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement

Le Conseil constitutionnel peut-il contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement ? La jurisprudence du 6 novembre 1962 ne s'y oppose pas, dans la mesure où il ne s'agit pas là de l'expression directe de la souveraineté nationale par le peuple[89]. La réponse à cette question n'est pas claire en l'état actuel de la jurisprudence. Depuis 1958, sept révisions constitutionnelles ont eu lieu par la voie du Congrès. Le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi jusqu'ici à l'encontre d'une loi constitutionnelle votée par le Congrès du Parlement. Par conséquent le Conseil constitutionnel n'a jamais eu l'occasion de se prononcer sur sa compétence à l'égard des lois constitutionnelles. Cependant certains auteurs trouvent quelques éléments de réponse à cette question dans la décision du 2 septembre 1992.

* * *

Avant de passer à l'examen de cette décision, il convient de voir brièvement le débat doctrinal sur la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement.

Avant la décision du 2 septembre 1992, comme l'observe le président Dmitri Georges Lavroff, la question du contrôle éventuel des lois constitutionnelles par le Conseil constitutionnel « a longtemps été considérée comme ne se posant pas »[90].C'est pourquoi, il y a en effet peu d'auteurs[91] qui ont discuté de ce problème sur le plan théorique. Mais mêmes ces auteurs l'ont abordé d'une façon assez laconique.

1. La thèse selon laquelle les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement ne peuvent pas être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel a été généralement défendue au nom du principe de la souveraineté du pouvoir constituant[92]. Cette thèse a été clairement affirmée avant la décision du 2 septembre 1992 par le président Dmitri Georges Lavroff. Il remarque que

« le Conseil constitutionnel a reçu compétence pour juger de la conformité des lois à la Constitution et non pas pour contrôler l'exercice par l'organe constituant de sa compétence pour modifier la Constitution. Admettre un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès serait dénaturer le rôle du Conseil constitutionnel et en faire un organe chargé de défendre la Constitution contre le constituant lui-même. Cela serait absurde et dangereux »[93].

2. François Luchaire, dans son ouvrage sur le Conseil constitutionnel, paru en 1980, a soutenu que les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement peuvent être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Le professeur Luchaire fonde la compétence du Conseil constitutionnel à l'égard des lois constitutionnelles sur l'article 61, alinéa 2, de la Constitution. Selon lui, les « lois » pour lesquelles le Conseil constitutionnel est compétent englobent non seulement les lois ordinaires, mais aussi les lois constitutionnelles. Car,

« le mot loi comprend parfaitement la loi constitutionnelle ; il suffit de regarder la formule finale (et de promulgation de la Constitution pour s'en rendre compte : ‘la présente loi sera exécutée comme Constitution de la République et de la Communauté’ ; la Constitution elle-même est donc appelée loi ; le fait que l'alinéa 1 de l'article 61 vise spécialement la loi organique signifie simplement que l'alinéa 2 vise toutes les lois sauf les lois organiques »[94].

Le même argument a été également avancé par Dominique Turpin[95] et Dominique Rousseau[96] en faveur de la possibilité d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement.

Dominique Rousseau défendait également la possibilité du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles d'une façon générale. Le professeur Rousseau, en distinguant le pouvoir constituant institué du pouvoir constituant originaire, affirmait que

« réviser la Constitution est le travail d'un pouvoir institué qui a reçu cette compétence du pouvoir constituant originaire. Le premier est donc subordonné au second ; son exercice n'est pas libre mais conditionné par les différentes règles de forme et de fond posées par le constituant originaire pour la révision de la Constitution ; il peut dès lors être contrôlé. A la différence du constituant originaire, le constituant dérivé est un pouvoir public, et le Conseil s'est défini lui-même comme ‘l'organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics’ ; il est donc fondé à intervenir, pour vérifier que les auteurs des lois constitutionnelles n'ont pas dépassé les compétences que la Constitution leur a attribuées »[97].

Enfin Louis Favoreu et Loïc Philip se posaient très clairement cette question : le Conseil constitutionnel accepterait-il « de vérifier la conformité à la Constitution de la loi constitutionnelle votée par le Congrès sur la base de l'article 61, al. 2 » [98]? Tout en notant que « la réponse à cette question n'est pas claire à l'état actuel de la jurisprudence »[99], les auteurs affirmaient que l'

« on voit mal, de toute façon, comment le Conseil constitutionnel pourrait refuser un contrôle minimum, celui de l'existence même de la loi constitutionnelle ; car si, par exemple, les conditions de majorité ne sont pas réunies, y aurait-il loi constitutionnelle »[100] ?

Dans la doctrine française du droit constitutionnel, c'est sûrement Olivier Beaud qui affirme d'une façon la plus systématique le caractère contrôlable des lois de révision constitutionnelle. Le professeur Beaud, par opposition à l'acte constituant qui est incontestable, défend l'idée que l'acte de révision constitutionnelle est juridiquement contestable[101]. Selon lui,

« subordonné en raison de sa nature constituée, l'acte de révision peut faire l'objet d'un contrôle par une autorité tierce. La contestation va fournir le moyen juridique d'assurer la garantie de sa subordination en permettant de sanctionner une éventuelle violation de l'acte constituant par l'acte de révision. Son caractère contestable est donc le corollaire logique de sa valeur infraconstituante »[102].

De la distinction entre l'acte constituant et l'acte de révision, le professeur Olivier Beaud déduit que

« la loi constitutionnelle de révision (l'acte de révision) est juridiquement contestable parce qu'elle n'émane pas d'un pouvoir souverain... On sait en effet, dit‑il, qu'en droit la suprématie de la constitution par rapport à la loi de révision n'a de sens que si elle est garantie par le contrôle de la constitutionnalité, moyen juridique de garantir la supériorité d'une norme sur une autre. Ainsi de la même manière qu'une loi ordinaire peut être éventuellement invalidée ou annulée, si elle n'est pas conforme à la Constitution, un acte de révision constitutionnelle peut être aussi invalidé ou annulé pour non conformité à la Constitution. Le contrôle de constitutionnalité de l'acte de révision est le corollaire logique de la thèse de la limitation de l'acte de révision. De même que le développement d'un contrôle juridique des lois a pu mettre fin à l'omnipotence parlementaire, de même l'extension du contrôle constitutionnalité à l'acte de révision s'impose pour lutter contre la potentielle souveraineté de pouvoir de révision qui menace la souveraineté constituante »[103].

* * *

Après avoir ainsi vu le débat doctrinal sur la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, voyons maintenant la décision du Conseil constitutionnel du 2 septembre 1992.

1. La décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Traité sur l'Union européenne[104]

Le Conseil constitutionnel a été saisi par 70 sénateurs le 14 août 1992, en application de l'article 54 de la Constitution, à l'effet de « se prononcer sur la conformité du traité de Maastricht à la Constitution ».

Il convient d'abord de remarquer que cette décision porte sur la conformité d'un traité à la Constitution et non pas sur la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle, ainsi que le Conseil constitutionnel a été saisi sur la base de l'article 54 et non de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution.

Les sénateurs saisissants ont posé au Conseil constitutionnel, dans leur requête, « une question qui n'avait pas place dans la saisine »[105]. Ils lui ont demandé

« jusqu'où peuvent aller des révisions constitutionnelles entérinant des atteintes successives aux ‘conditions essentielles d'exercice de souveraineté’. Quel est le seuil au-delà duquel les transferts dits de ‘compétence’ touchant ou ne touchant pas à ces conditions essentielles et consentis pour favoriser la construction européenne conduiront à changer la nature de l'Etat »[106] ?

Les auteurs de la saisine mettaient ainsi en cause la validité de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992[107].

Le Conseil constitutionnel ne pouvait pas répondre à cette question, car elle n'avait rien à voir avec le contrôle de la constitutionnalité des engagements internationaux. Alors le Conseil constitutionnel a écarté cette argumentation des requérants dans le considérant 45 :

        « L'article 54 de la Constitution... donne uniquement compétence au Conseil constitutionnel pour contrôler si un engagement international déterminé soumis à son examen comporte ou non une clause contraire à la Constitution ; ... la question posée par les auteurs de la saisine ne vise nullement le point de savoir si le traité sur l'Union européenne comporte une stipulation qui serait contraire à la Constitution ; ... l'argumentation en cause est par suite inopérante »[108].

D'autre part, les sénateurs requérants critiquent la révision constitutionnelle opérée par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992. Selon eux, cette révision constitutionnelle aurait à tort négligé de modifier les articles 3, 29, 24 et 34 de la Constitution. Ainsi, comme le constate Bruno Genevois, « il était reproché au constituant de ne pas avoir révisé la Constitution de manière appropriée »[109]. En effet les auteurs de la saisine « soutenaient que la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 n'avait pas su remédier aux contrariétés à la Constitution relevées par la décision du 6 avril 1992. Plutôt que d'ajouter les articles 88‑1, 88‑2, 88‑3 et 88‑4 au texte constitutionnel, le constituant aurait dû modifier directement les articles 3, 20, 27 et 34 de la Constitution[110].

a) Le Conseil constitutionnel a rejeté cette argumentation d'une façon très claire. Le Conseil, au 19e considérant, affirmant que « le pouvoir constituant est souverain », en déduit qu'

« il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ; qu'ainsi, rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite »[111].

Le caractère souverain du pouvoir constituant est affirmé à plusieurs reprises dans la décision.

Au 34e considérant, le Conseil constitutionnel a réaffirmé que

« le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée »[112].

Au 40e considérant, en ce qui concerne le moyen tiré de « l'absence de modification expresse des articles 3 et 34 de la Constitution », la haute juridiction a souligné que

« ressortit exclusivement au pouvoir d'appréciation du constituant les choix consistant à ajouter à la Constitution une disposition nouvelle plutôt que d'apporter des modifications ou compléments à un ou plusieurs articles »[113].

Egalement, au 43e considérant, le Conseil a parlé du « pouvoir souverain d'appréciation du constituant »[114].

Alors on peut conclure que le Conseil constitutionnel affirme le caractère souverain de pouvoir constituant.

b) Mais tout en soulignant que « le pouvoir constituant est souverain », le Conseil constitutionnel a cependant rappelé les limites que la Constitution elle-même impose à l'exercice du pouvoir constituant :

« Sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16, et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respecte des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles ‘la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision’, le pouvoir constituant est souverain... »[115].

Egalement le Conseil constitutionnel a réaffirmé, au considérant 34, que le pouvoir constituant est souverain « dans les limites précédemment indiquées ».

Le Conseil constitutionnel a mentionné d'abord les limites de temps à la révision constitutionnelle. La révision de la Constitution est interdite pendant certaines périodes : l'intérim de la présidence de la République (art.7)[116], l'atteinte à l'intégrité du territoire (art.89, al.4)[117] et l'application de l'article 16[118]. En second lieu, le Conseil a rappelé la limite de fond à la révision constitutionnelle prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 : « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision »[119].

Le fait que le Conseil constitutionnel ait rappelé les limites qui s'imposent au pouvoir constituant a donné lieu à deux interprétations opposées. Une partie des auteurs interprètent cette décision comme refusant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, et d'autres auteurs l'interprètent comme l'admettant.

* * *

Mais avant de voir ces différentes interprétations, il convient de remarquer que la décision du 2 septembre 1992 souffre d'une contradiction interne.

En effet, comme on l'a vu, au 19e considérant, le Conseil constitutionnel affirme que « le pouvoir constituant est souverain », mais « sous réserve... des limitations... ». Certains auteurs voient dans cette affirmation une contradiction interne[120].

Par exemple, selon Dominique Rousseau,

« en affirmant dans le même mouvement que le pouvoir constituant est souverain et les lois constitutionnelles peuvent être contrôlées par le Conseil, la logique interne de la décision du 2 septembre 1992 n'apparaît pas... clairement : ou le constituant est souverain et son oeuvre ne peut être contrôlée ; ou elle le peut et il n'est plus souverain »[121].

A notre avis, pour pouvoir bien interpréter cette décision, il faut préalablement déterminer quel pouvoir constituant (originaire ou dérivé) le Conseil constitutionnel entend-il par l'expression « pouvoir constituant » employée au 19e considérant de la décision du 2 septembre 1992. Ce « pouvoir constituant » ne peut pas être le « pouvoir constituant originaire » car, ce dernier, étant un pouvoir de fait, ne peut pas être limité par les dispositions constitutionnelles (art.7, 16, 89, al.4 et 5). D'ailleurs un tel pouvoir, pour être souverain, n'a pas besoin de la confirmation du Conseil constitutionnel. Egalement il est inimaginable qu'un pouvoir de fait fasse l'objet d'une décision juridictionnelle. Alors, cette expression « pouvoir constituant » utilisée au 19e considérant doit être entendue comme « pouvoir constituant dérivé »[122], c'est‑à‑dire le pouvoir de révision constitutionnelle. Car, ce pouvoir, étant un pouvoir institué par la Constitution, peut bien être limité par les dispositions de celle-ci. Mais dans ce cas, on ne peut pas affirmer que ce pouvoir est souverain.

Alors comme le montre à juste titre Olivier Beaud,

« le vocabulaire utilisé par le juge est donc trompeur : la loi constitutionnelle de révision n'exprime ni un ‘pouvoir constituant [originaire[123]]’ ni un ‘pouvoir souverain’, mais bien plutôt un pouvoir constitué[124], le pouvoir de révision qui est un pouvoir non souverain. Le juge confond ici le pouvoir souverain avec le pouvoir discrétionnaire, qui sont pourtant deux choses distinctes. On peut disposer d'un pouvoir discrétionnaire sans avoir un pouvoir souverain (mais l'inverse n'est pas vrai), car le pouvoir discrétionnaire agit dans le cadre légal, à l'intérieur de normes qui lui autorisent un large pouvoir d'appréciation. En d'autres termes, le pouvoir de révision constitutionnelle n'est pas un pouvoir absolu ou souverain, mais seulement un pouvoir discrétionnaire dans le cercle de ses compétences »[125].

C'est pourquoi, comme nous l'avons remarqué dans le titre préliminaire, il convient toujours de préciser le type (originaire ou dérivé[126]) du pouvoir constituant dont il s'agit.

Signalons que la question à laquelle nous recherchons une réponse dans la décision du 2 septembre 1992 est celle de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel se déclare-t-il compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles ? Avant de donner notre réponse à cette question, voyons d'abord les différentes interprétations doctrinales en présence.

2. Les différentes interprétations doctrinales de cette décision

Le fait que le Conseil constitutionnel ait rappelé les limites qui s'imposent au pouvoir constituant [dérivé] a donné lieu à deux interprétations opposées. Une partie des auteurs interprète cette décision comme refusant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, et d'autres comme l'admettant.

a. L'interprétation de cette décision comme refusant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles

François Luchaire et Bruno Genevois interprètent cette décision comme refusant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement.

Selon le président Luchaire

« rien n'incite à penser qu'en signalant les périodes pendant lesquelles la Constitution ne peut être révisée, le Conseil ait voulu annoncer qu'il se reconnaissait le pouvoir de contrôler une réforme constitutionnelle acceptée par le Congrès du Parlement »[127].

Egalement selon Bruno Genevois,

« le fait que le juge constitutionnel ait énuméré les limitations tant circonstancielles que substantielles aux pouvoirs du constituant n'implique pas qu'il entende exercer un contrôle sur les lois constitutionnelles »[128].

L'argument principal du président Luchaire est le suivant :

« L'alinéa premier de l'article 61 mentionnant les lois organiques, on peut certes considérer que son alinéa 2 ne vise que les lois ordinaires et qu'en conséquence le Conseil n'est pas compétent à l'égard des lois constitutionnelles mêmes adoptées par voie parlementaire »[129].

Pour démontrer que les lois constitutionnelles ne peuvent faire l'objet d'un contrôle du Conseil constitutionnel, François Luchaire invoque également la décision du Conseil constitutionnel du 2 septembre 1992.

Rappelons d'abord le 2e considérant de cette décision :

« Considérant que l'article 61 de la Constitution donne au Conseil constitutionnel mission d'apprécier la conformité à la Constitution des lois organiques et des lois ordinaires[130], qui, respectivement, doivent ou peuvent être soumises à son examen... »[131].

Le président Luchaire affirme que, selon l'interprétation du Conseil,

« l'article 61... ne prévoit... de recours que contre une loi organique (al.1) ou une loi ordinaire (al.2) ; ... en ajoutant l'adjectif ‘ordinaire’ au mot loi qui figure dans l'alinéa 2 de l'article 61, le Conseil élimine par là tout contrôle de la loi constitutionnelle même votée par le Parlement »[132].

Ainsi selon François Luchaire, le Conseil constitutionnel répond à la question de savoir si le Conseil constitutionnel peut censurer une loi constitutionnelle contraire aux interdictions de réviser la Constitution par le négatif :

« une loi approuvée par le Congrès ne peut être contrôlée par le Conseil constitutionnel même si elle intervient au cours d'une période pendant laquelle la Constitution ne peut être révisée »[133].

En effet, comme nous l'avons vu plus haut, le président Luchaire, a discuté le bien-fondé de cet argument dans son ouvrage Le Conseil constitutionnel, paru en 1980[134], et il ne l'a pas trouvé convaincant. Par conséquent il a conclu que « la compétence du Conseil constitutionnel pourrait être admise » à l'égard des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement[135]. Selon lui, comme on l'a vu, « le mot loi comprend parfaitement la loi constitutionnelle... Le fait que l'alinéa 1 de l'article 61 vise spécialement la loi organique signifie simplement que l'article 2 vise toutes les lois sauf les lois organiques »[136].

François Luchaire avance encore d'autres arguments d'ordre procédural, pour démontrer l'incompétence du Conseil constitutionnel à l'encontre des lois constitutionnelles :

« Reconnaître cette compétence au Conseil constitutionnel, dit‑il, c'est aller au devant de difficultés procédurales et qui... ne sont pas sans importance. Faut-il appliquer la jurisprudence du Conseil sur la recevabilité des amendements votés par l'Assemblée nationale et le Sénat ? Que faire si le Congrès modifie le texte voté dans les mêmes termes par les deux Assemblées alors que l'article 89 ne lui permet que d'approuver ou de ne pas approuver ? Que faire encore si la révision d'initiative parlementaire est soumise à l'approbation du Congrès alors que l'article 89 est généralement interprété comme ne permettant de saisir le Congrès que d'un projet initié par le chef de l'Etat »[137] ?

Néanmoins François Luchaire se pose la question suivante :

« Mais pourquoi le Conseil aurait-il rappelé ces interdictions s'il ne s'estimait pas en mesure d'en assurer la sanction »[138] ? Il note également que l'« on peut estimer qu'il est bon que la plus haute autorité juridictionnelle du pays puisse dire ‘non’ à un coup d'Etat »[139].

* * *

Dans l'hypothèse où l'on admet cette interprétation, il faut expliquer, d'une part le fondement de la validité des lois constitutionnelles qui serait éventuellement contraires aux limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel (art.7, al.6, 89, al.4 et 5).

En effet, nous avons expliqué cette question plus haut[140] en ce qui concerne la jurisprudence du 6 novembre 1962 du Conseil constitutionnel refusant la possibilité du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum. Si l'on interprète la décision du 2 septembre 1992 comme refusant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, on peut affirmer les mêmes conclusions concernant le fondement de la validité des lois constitutionnelles contraires aux limites à la révision constitutionnelle et la signification des limites à la révision constitutionnelle. Alors nous nous contentons de nous référer à ces conclusions[141].

b. L'interprétation comme admettant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles

Louis Favoreu interprète cette décision comme

« admettant le contrôle des lois constitutionnelles adoptées par le Congrès, aux fins de vérification non seulement des règles de procédure mais également des prescriptions ou interdictions contenues dans les articles 7, al.6, 16 et 89, al.4 et 5 de la Constitution »[142].

Le professeur Favoreu se fonde sur deux observations :

        « En premier lieu, découle de ces mises en garde[143] que le Conseil constitutionnel acceptera, le cas échéant, de vérifier si la loi constitutionnelle a bien respecté les limites fixées... Ce qui implique évidemment qu'il admettra la recevabilité de recours formés soit par l'une des quatre hautes autorités de l'Etat, soit par 60 députés ou 60 sénateurs, contre une loi constitutionnelle dès que celle-ci aura été adoptée par le Congrès (et non par voie de référendum). On ne voit pas en effet quel serait l'intérêt de ces mises en garde si la méconnaissance des interdictions rappelées n'était pas susceptibles d'être sanctionnée.

        En second lieu, est-il logique d'affirmer que le pouvoir constituant est souverain et de préciser aussitôt qu'il doit respecter des limites fixées par le texte constitutionnel, surtout si le respect de ces limites doit être assuré par le juge ? Si le pouvoir constituant est souverain, il peut méconnaître les limites qu'il s'est lui-même fixées ; mais alors à quoi bon rappeler celles-ci de manière aussi précise et en interprétant certaines dispositions constitutionnelles (l'article 16) de façon aussi extensive »[144] ?

D'autre part, le professeur Dominique Rousseau lui aussi interprète cette décision comme admettant le contrôle des lois constitutionnelles. Selon lui,

« jusqu'en 1992, l'absence de contrôle des lois constitutionnelles était seulement présumée, et fondée sur une argumentation discutable. Avec la décision du 2 septembre 1992, le doute n'est plus permis : le Conseil constitutionnel s'est affirmé compétent pour connaître des lois constitutionnelles »[145].

 

        « Le pouvoir constituant est donc souverain, dit‑il, mais il n'est pas pour autant soustrait à tout contrôle de constitutionnalité. La force de la première affirmation ne doit pas, en effet, faire oublier que le Conseil, dans cette même décision, non seulement reconnaît sa compétence sur les lois constitutionnelles mais encore précise les points sur lesquels son contrôle pourrait porter »[146].

Le professeur Olivier Beaud aussi interprète cette décision comme admettant le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles. D'abord, comme on l'a vu plus haut, Olivier Beaud, défende d'une façon générale l'idée que l'acte de révision constitutionnelle est juridiquement contestable[147]. Par conséquent il défend le contrôle juridictionnel des lois de révision constitutionnelle[148]. Il se demande si « un tel contrôle pourrait-il s'exercer en l'état actuel du droit positif français »[149] ?

En constatant que « très récemment, l'affirmer aurait été une construction de lege ferenda »[150], Olivier Beaud pense que la décision du 2 septembre 1992 a

« radicalement changé les données du problème. En l'espèce le Conseil constitutionnel a effectué un tournant important en s'estimant (implicitement) compétent pour contrôler au fond la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 révisant la Constitution de la Ve République. Quoique non saisi directement, le juge a, pour la première fois, examiné indirectement la constitutionnalité d'une révision constitutionnelle, admettant donc implicitement, mais nécessairement, la validité d'une limitation matérielle de la révision dont il assurerait la sanction »[151].

 

        « En ouvrant des exceptions à cette prétendue souveraineté du législateur constitutionnel (‘... sous réserve de...’), en lui fixant donc des conditions et des limites... le juge admet nécessairement que l'acte de révision doit respecter, c'est‑à‑dire ne pas violer ni abroger l'acte constituant, c'est‑à‑dire les dispositions essentielles ou fondamentales de la constitution de la Ve République »[152].

Le professeur Beaud se pose également la question suivante :

« N'est‑il pas possible d'aller au-delà de cette contestation indirecte de la constitutionnalité matérielle d'une révision constitutionnelle et soutenir la recevabilité d'un recours direct contre la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle de révision »[153] ?

Selon lui, « rien n'empêche... de franchir le pas »[154]. Olivier Beaud affirme que l'article 61, alinéa 2, n'interdit pas le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles,

« puisqu'il attribue au juge la compétence de contrôler la constitutionnalité des ‘lois’. Or si le juge considérait que la loi de révision a une valeur constitutionnelle..., il pourrait s'estimer compétent. Une révision constitutionnelle ne serait peut‑être même pas nécessaire tant une interprétation raisonnable du juge suffirait »[155].

* * *

La question de règles de référence pour le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement. – Dans l'hypothèse où l'on interprète cette décision comme admettant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il faut déterminer les règles de référence pour ce contrôle. Car, comme le remarque à juste titre le doyen Favoreu, dans son intervention à la Xe Table-ronde internationale d'Aix-en-Provence, « le contrôle des lois constitutionnelles suppose l'existence de normes de référence »[156].

En effet, les auteurs qui interprètent la décision du 2 septembre 1992 comme admettant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles discutent également de la question de savoir sur quoi pourrait porter un tel contrôle[157].

Selon Louis Favoreu, « ce contrôle serait très semblable à celui exercé sur les lois organiques et ordinaires »[158]. Le doyen Favoreu souligne que le contrôle des lois constitutionnelles consistera en vérification « non seulement des règles de procédure, mais également des prescriptions ou interdictions contenues dans les articles 7 al.6, 16 et 89 al.4 et 5 de la Constitution »[159]. En ce qui concerne cette dernière disposition, il semble que le Louis Favoreu est en faveur d'une interprétion large de l'interdiction de réviser la forme républicaine du Gouvernement « pour y inclure les valeurs fondamentales de la République »[160]. « Imagine-t-on, par exemple, demande‑t‑il, que le Conseil constitutionnel refuserait de contrôler une loi constitutionnelle apportant une dérogation à l'interdiction de discrimination raciale ou religieuse »[161] ?

Le doyen Favoreu a également affirmé que « si le Conseil constitutionnel s'estime compétent pour exercer un tel contrôle, il faut qu'il puisse faire référence aussi bien à des normes formelles qu'à des normes matérielles »[162]. En ce qui concerne le contrôle de la constitutionnalité quant au fond des lois constitutionnelles, Louis Favoreu précise qu'« il faut supposer l'existence de principes supraconstitutionnels »[163].

D'autre part, Dominique Rousseau, en allant dans le même sens, pose la question de savoir si le Conseil constitutionnel peut « décider de contrôler et censurer les lois constitutionnelles qui dépasseraient, par leur objet et leur portée, les limites inhérentes[164] à l'exercice du droit de révision constitutionnelle »[165]. Selon lui, un tel contrôle

« ne serait pas complètement illogique ou mal fondé ; la révision comporte bien une limite ultime qui est la Constitution elle-même. Modifier la Constitution n'est pas changer de Constitution ; c'est procéder à des aménagements qui respectent le travail constitutionnel des pères fondateurs, adapter le texte aux évolutions politiques sans remettre en cause le schéma initial. En conséquence, une loi de révision constitutionnelle qui dépasserait ces limites pourrait être sanctionnée au motif, notamment, que le constituant dérivé a usurpé un pouvoir qui appartient au constituant ordinaire[166] »[167].

De même, en ce qui concerne la question de normes de référence, le professeur Rousseau, tout en affirmant que « le texte constitutionnel proprement dit » peut être la règle de référence, se pose les questions suivantes :

« Mais pourquoi pas les autres éléments du bloc de constitutionnalité, la Déclaration de 1789 et le Préambule de 1946 ? Pourquoi pas les principes qui figurent depuis deux siècles dans de nombreux textes constitutionnels, pour reprendre l'argumentation du Conseil lui-même à propos du concept juridique de ‘peuple français’ ? Assurément, pour la doctrine comme pour le Conseil, la voie est libre pour construire un au-delà de la Constitution qui s'impose au constituant »[168].

Ainsi le professeur Rousseau laisse une porte ouverte à l'idée de supraconstitutionnalité, même s'il prend la précaution de noter que « sur le plan de la pratique contentieuse, sa mise en oeuvre susciterait certainement de grandes difficultés »[169] et que cette voie de la supraconstitutionnalité serait « risquée »[170].

Le professeur Olivier Beaud non plus ne se contente pas des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel. Ainsi il défend que « le contrôle des lois de révision doit porter sur les conditions non seulement de forme, mais aussi de fond de la révision. Telle est la condition nécessaire de la subordination de l'autorité de révision au pouvoir constituant, seul souverain »[171]. En effet, dans sa théorie, le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles est le corollaire logique de sa thèse sur la limitation matérielle de l'acte de révision[172]. Et, comme on l'a vu dans la première partie[173], cette dernière thèse est fondée sur la distinction entre le pouvoir constituant [originaire] qui est souverain et le pouvoir de révision qui est non souverain[174]. Par conséquent logiquement pour le professeur Beaud, les règles de référence ne consistent pas en celles prévues expressément dans le texte constitutionnel.

* * *

Quant à nous, la question de normes de référence ne se pose pas ici. En effet nous avons répondu à cette question dans la première partie : seulement les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel sont valables[175]. En dehors de celles-ci, il n'existe aucune limite qui s'impose à l'exercice du pouvoir constituant dérivé[176]. Ainsi il n'existe pas de limites à la révision constitutionnelle résultant des principes supraconstitutionnels[177], il n'existe pas non plus de limites découlant de l'esprit de la Constitution[178]. Nous nous contentons ici de nous référer aux développements faits dans la première partie.

En effet si l'on admet que le Conseil constitutionnel se reconnaît dans cette décision la compétence de contrôler les lois constitutionnelles, la détermination des règles de référence ne doit pas poser beaucoup de problème, car dans le même considérant, la haute juridiction énumère les limites à la révision constitutionnelle prévue par le texte constitutionnel. Et comme nous l'avons vu, il ne mentionne que les limites à la révision constitutionnelle fixées par le texte constitutionnel de 1958[179]. Par conséquent le Conseil constitutionnel refuse toute idée de supraconstitutionnalité ainsi que d'autres limites à révision constitutionnelle qui ne sont pas prévues par le texte constitutionnel.

En conclusion, si l'on interprète la décision du 2 septembre 1992 comme admettant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ce contrôle se limite à vérifier la conformité des lois constitutionnelles aux limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel, à savoir l'interdiction de réviser la Constitution lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire (art.89, al.4)[180], celle de réviser la Constitution pendant l'intérim de la présidence de la République (art.7, al.6)[181] et celle de réviser la forme républicaine du Gouvernement (art.89, al.5)[182]. Nous avons, dans la première partie, remarqué qu'il faut interpréter limitativement cette dernière interdiction[183]. Egalement notre conclusion concernant la question de savoir si la Constitution interdit sa révision constitutionnelle lorsque l'article 16 est en application se trouve dans la première partie[184].

3. Appréciation de la question

A notre avis, comme nous l'avons affirmé en ce qui concerne la question du contrôle de la constitutionnalité des lois référendaires, à propos de la question de savoir si le Conseil constitutionnel a compétence de contrôler les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, il faut rechercher la réponse authentique.

D'abord rappelons encore une fois que selon l'article 61 de la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel est compétent à l'égard des « lois organiques », des « règlements des assemblées parlementaires » et des « lois ». Cependant dans le texte de cet article, les « lois constitutionnelles » ne sont pas mentionnées.

Alors la question qui se pose ici est celle de savoir si les « lois » que vise l'article 61 alinéa 2 englobent ou non les « lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement ». Autrement dit, les lois qui sont adoptées suivant la procédure de l'alinéa 3 de l'article 89 sont‑elles des « lois » au sens de l'article 61, al.2, de la Constitution de 1958 ?

Alors pour pouvoir répondre à la question de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, il faut d'abord répondre à la question de savoir si le mot « lois » utilisé dans l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de 1958 englobe non seulement les « lois ordinaires » mais aussi les « lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement ».

Et cette question pose un problème d'interprétation. Car, pour y répondre, il faut donc interpréter le mot « lois » utilisé dans l'article 61, alinéa 2, de la Constitution. Sans doute, chacun peut interpréter ce mot, comme il l'entend. En effet, comme nous venons de le voir, les différents auteurs interprètent le mot « lois » différemment. Pour les uns ce mot englobe les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, pour d'autres non.

En droit seulement l'une des ces interprétations peut être valable ; les autres ne sont que des opinions personnelles. Il faut donc choisir l'interprétation authentique, c'est‑à‑dire celle qui ne peut être juridiquement contestée et qui est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques.

Déterminons alors l'interprétation authentique du mot « lois », utilisé dans l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de 1958, et pour lesquelles le Conseil constitutionnel est habilité. Dans le système de la Constitution française de 1958, l'interprétation donnée à la Constitution par le Conseil constitutionnel est authentique, car, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » (art.62, al.2 de la Constitution de 1958). En d'autres termes, nul ne pourrait contester juridiquement l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel à une disposition de la Constitution, parce que, d'une part, il n'existe pas d'interprétation standard à laquelle on pourrait la confronter, et d'autre part, parce qu'elle n'est pas annulable et produit des effets juridiques quel que soit son contenu.

* * *

Alors quelle est l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel à ce mot « lois » utilisé dans l'article 61, alinéa 2, de la Constitution ?

Nous avons vu plus haut la décision du Conseil constitutionnel du 2 septembre 1992. Nous avons vu également que cette décision a donné lieu à deux interprétations doctrinales différentes. Certains auteurs interprètent cette décision comme admettant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, alors que d'autres l'interprètent comme refusant un tel contrôle.

A notre avis, la décision du 2 septembre 1992 ne peut être interprétée ni dans un sens ni dans l'autre. Car, elle ne comporte pas une réponse à la question de savoir si le mot « lois » employé dans l'article 61, alinéa 2, englobe ou non les « lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement ». En effet cette décision, par sa nature même, ne pouvait pas apporter une réponse à cette question. Parce que, comme on l'a déjà remarqué, cette décision porte sur la conformité à la Constitution d'un traité international et non pas sur la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle. Et par conséquent, le Conseil constitutionnel a été saisi sur la base de l'article 54 et non pas de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution. Alors, dans cette décision, le Conseil constitutionnel n'a pas eu à se prononcer sur sa compétence à l'égard des lois constitutionnelles. De ce fait, même si cette décision a été interprétée par certains auteurs comme admettant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, et par d'autres comme refusant un tel contrôle, elle ne peut pas apporter une réponse authentique à la question de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel.

Alors, la décision du 2 septembre 1992 est loin de résoudre notre problème. La réponse authentique à la question de savoir si les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement peuvent être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel n'existe pas en l'état actuel de la jurisprudence constitutionnelle. Car, tout simplement la décision du 2 septembre 1992 ne porte pas sur une loi constitutionnelle. Une décision rendue sur la base du contrôle de la conformité à la Constitution des engagements internationaux (art.54) ne peut pas faire la jurisprudence en matière du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Pour qu'une réponse authentique soit apportée à notre question, le Conseil constitutionnel doit être saisi à l'encontre d'une loi constitutionnelle votée par le Congrès du Parlement et sur la base de l'article 61, al. 2, de la Constitution.

Depuis 1958, sept lois constitutionnelles ont été votées par le Congrès du Parlement. Le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi jusqu'ici à l'encontre d'une loi constitutionnelle votée par le Congrès du Parlement. Par conséquent le Conseil constitutionnel n'a jamais eu l'occasion de se prononcer sur sa compétence à l'égard des lois constitutionnelles. Une saisine du Conseil constitutionnel à l'encontre de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 (votée par le Congrès du Parlement) a failli se produire en juin 1992 (sur l'initiative de M. Mazeaud et des députés R.P.R.)[185]. Et une telle saisine pourrait se produire éventuellement dans le futur. Et si un jour le Conseil était saisi, soit par l'une des quatre hautes autorités de l'Etat, soit par 60 députés ou 60 sénateurs, sur la base de l'article 61, alinéa 2, à l'effet de se prononcer sur la conformité à la Constitution d'une loi constitutionnelle, nous aurions une réponse authentique à notre question, c'est‑à‑dire, à celle de savoir si le mot « lois » utilisé dans le second alinéa de l'article 61 englobe ou non les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, et par conséquent si le Conseil constitutionnel est compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Mais jusqu'à ce jour, la réponse authentique à cette question n'existe pas. Par conséquent en l'état actuel de la jurisprudence, nous ne pouvons pas répondre à la question de savoir si le Conseil constitutionnel peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Alors, en l'état actuel de jurisprudence, en France, il est vain de poser la question de savoir si les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement peuvent être contrôlées par le Conseil constitutionnel. Car, la réponse positive à cette question n'existe pas. Par conséquent la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en ce qui concerne les lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement échappe au juriste. En effet, comme nous l'avons exposé dans l'introduction générale de notre thèse, selon la conception positiviste que nous suivons dans notre travail, la tâche de la science du droit est de décrire la solution authentique, et non pas d'inventer une solution là où elle n'existe pas positivement.

Alors, en ce qui concerne la question du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles votées par le Congrès du Parlement, une seule conclusion s'impose : cette question ne se pose pas en l'état actuel de la jurisprudence.


 

[1]. Ce titre, Chapitre 1.

[2]. Ce titre, Chapitre 1.

[3]. Articles 56-63 de la Constitution de 1958.

[4]. Ce titre, Chapitre 1.

[5]Journal officiel, 7 novembre 1962.

[6]. Comme nous l'avons déjà expliqué (Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 3, C), à deux reprises, en 1962 et en 1969, le général de Gaulle a utilisé l'article 11 pour réviser la Constitution de 1958. L'emploi de cet article pour procéder à une révision de la Constitution a suscité une vaste controverse. Au début, deux thèses se sont affrontées. Selon le général de Gaulle et certains constitutionnalistes, l'utilisation de l'article 11 pour réviser la Constitution est régulière. Cette thèse est défendue par Pierre Lampué et Françoise Goguel. Voir Pierre Lampué, « Le mode d'élection du Président de la République et la procédure de l'article 11 », Revue du droit public, 1962, p.931-935 ; François Goguel, Les institutions politiques de la France, Les cours de droit, I.E.P. de Paris, 1968-1969, (Compléments et rectifications de 1969-1970), p.45 ; François Goguel, « De la conformité du référendum 28 octobre 1962 à la Constitution », in Mélanges offerts en hommage à Maurice Duverger, Paris, P.U.F., 1987, p.115-125.

Par contre la majorité de la classe politique et de la doctrine ont contesté la régularité de l'emploi de l'article 11 (Georges Berlia, « Le problème de la constitutionnalité du référendum du 28 octobre 1962 », Revue du droit public, 1962, p. 936-949 ; Maurice Duverger, Le Monde, 17 octobre 1962 ; P. Bastid, G. Berlia, Ph. Teitgen, L'aurore, 14 octobre 1962 ; Sur le référendum 1969 : Maurice Duverger, « La carte forcée », Le Monde, 22-23 décembre 1968 ; A. Hauriou, « Contre le viol des constitutions », Le Monde, 26-27 juillet 1968).

Avec le temps, comme le constate Gérard Conac, « plusieurs constitutionnalistes durent reconnaître qu'effectivement l'article 11 posait aux juristes un problème sérieux dont la solution n'était pas aussi évidente qu'ils avaient pu le penser d'abord » (Conac, « Article 11 », op. cit., p.436).

Aujourd'hui les juristes manifestent moins du réserve. Une bonne partie des constitutionnalistes considèrent que la révision de la Constitution par la voie de l'article 11 est possible (Maurice Duverger, Le système politique français, Paris, P.U.F., 20e édition, 1990, p.385). En ce sens voir encore (mais les opinions sont très nuancées) : Burdeau, Hamon, Troper, op. cit., 23e éd., 1993, p.442 ; Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.110-113 ; Quermonne et Chagnollaud, op. cit., p.66-67; Ardant, « La révision constitutionnelle en France : problématique générale », op. cit., p.89-90 ; Gicquel, op. cit., p.519 ; Debbasch et alii, op. cit., p.619-621.

[7]. C.C., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, (Loi référendaire), Rec., 1962, p.27.

[8]Journal officiel du 7 novembre 1962.

[9]. Texte du recours du président du Sénat, in Didier Maus, Textes et documents sur la pratique institutionnelle de la Ve République, Paris, La Documentation française, 2e édition 1982, p.365-367.

[10]. C.C., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Rec., p.27.

[11]. Favoreu et Philip, op. cit., p.178-179 ; Genevois, La jurisprudence... op. cit., p.29.

[12]. Claude Franck, Les grandes décisions de la jurisprudence : droit constitutionnel, Paris, P.U.F., Thémis, 1978, p.280-281.

[13]. Léo Hamon, Note sous C.C., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Recueil Dalloz, 1963, p.398.

[14]. C.C., décision du 23 décembre 1960, Regroupement national, Rec., p.67.

[15]. C.C., décision du 14 septembre 1961, Demande d'avis, Rec., p.55.

[16]. Favoreu et Philip, op. cit., p.179. 

[17]. Franck, op. cit., p.282.

[18]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.127.

[19]. La lettre du recours du président du Sénat, in Maus, Textes et documents, op. cit., p.366

[20]Ibid.

[21]. C.C., n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Rec., p.27.

[22]. Franck, op. cit., p.281. Léo Hamon observe que « rien dans cet article [61] qui mentionne, prévoit ou exclut l'intervention de la Haute instance dans l'hypothèse d'une loi adoptée au référendum » (Hamon, Note sous C.C., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, op. cit., p.399).

[23]. Genevois, op. cit., p.30.

[24]. C.C., n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Rec., p.27, 2e considérant. En effet, comme le remarque MM. Favoreu et Philip, dans le système constitutionnel de 1958, « le Conseil constitutionnel a été conçu comme une pièce essentielle du mécanisme destiné à maintenir l'équilibre entre Parlement et pouvoir exécutif » (Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.184).

[25]. Hamon, Note sous C.C., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, op. cit., p.399.

[26]. Franck, op. cit., p.281.

[27]. C.C., n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Rec., p.27, 2e considérant.

[28]Ibid.

[29]. Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.11.

[30]. C.C., décision du 23 décembre 1960, Regroupement national, Rec., p.67.

[31]. Franck, op. cit., p.282.

[32]. Hamon, Note sous C.C., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, op. cit., p.399. En ce sens voir encore Favoreu et Philip, op. cit., 1993, p.185 ; Genevois, La jurisprudence... op. cit., p.30 ; Franck, op. cit., p.282.

[33]. Hamon, Note sous C.C., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, op. cit., p.399.

[34]. Hamon, Note sous C.C., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, op. cit., p.399 ; Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.185 ; Franck, op. cit., p.282.

[35]. C.C., décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992, Loi autorisant la ratification du traité sur l'Union européenne (Maastricht III), Rec., 1992, p.94-95. Louis Favoreu, Commentaire sous C.C., décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992, Revue française de droit constitutionnel, 1992, p.746. Egalement voir Groupe d'études et de recherches sur la justice constitutionnelle (Louis Favoreu et alii), « France », (Chronique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel français ‑ 1992), Annuaire international de justice constitutionnel, 1992, p.473 ; Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.184-187, 826 ; François Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution (quatrième partie) », Revue du droit public, 1992, p.1606 ; Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.165-166 ; Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p.176-179.

[36]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.166.

[37]. Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.185.

[38]. C.C., décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992, 2e considérant.

[39]. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., 3e éd. p.177 ; Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.128 ; Franck, op. cit.,p.281 ; Conac, « Article 11 », op. cit., p.459.

[40]. Texte du recours du président du Sénat, in Maus, Textes et documents, op. cit., p.366.

[41]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.128.

[42]. Franck, op. cit., p. 281.

[43]. Hamon, Note sous C.C., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, op. cit., p.399.

[44]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.127-128.

[45]Ibid., p.128.

[46]. C.C., n° 92-313 DC 23 septembre 1992, Rec., p.94-95.

[47]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.166. Egalement voir François Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution (quatrième partie) », Revue du droit public, 1992, p.1606 : « Il est toujours dangereux de faire appel à l'esprit des textes ».

[48]. C.C., n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Rec., p.27, 2e considérant.

[49]Ibid.

[50]. Louis Favoreu, Commentaire sous C.C., décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992, Revue française de droit constitutionnel, 1992, p.746. Egalement Groupe d'études et de recherches sur la justice constitutionnelle (Louis Favoreu et alii), Chronique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel français, Annuaire international de justice constitutionnel, 1992, p.473.

[51]. Favoreu, Commentaire sous C.C., décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992, op. cit., p.746.

[52]Ibid.

[53]Ibid.

[54]. Franck, op. cit., p.282 ; Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.424.

[55]. Marcel Prélot, « Sur une interprétation coutumière de l'article 11 », Le Monde, 25 mars 1969. Egalement René Capitant, qui défend le caractère incontestable des lois référendaires, admet qu'une loi parlementaire peut modifier une loi référendaire (René Capitant, Intervention à l'Assemblée nationale, à la séance du 3 janvier 1963, Journal officiel, Débats parlementaires, Assemblée nationale, 1963, p.294).

[56]. C.C., décision n°76-65 DC du 14 juin 1976, Examen de la loi organique modifiant la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à élection du Président de la République au suffrage universel, Rec., 1976, p.28.

[57]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.426.

[58]. C.C., décision n° 89-266 DC du 9 janvier 1990, Loi portant amnistie d'infractions commises à l'occasion d'événements survenus en Nouvelle-Calédonie, Rec., 1990, p.14.

[59]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.426.

[60]Ibid.

[61]Ibid.

[62]Ibid. En ce sens voir, Jean-François Prévost, « Le droit référendaire dans l'ordonnancement juridique de la Constitution de 1958 », Revue du droit public, 1977, p.13 : « La structuration de la hiérarchie normative reste sans effet sur la loi référendaire... On peut dire, sans vouloir se prononcer sur la ‘violation’ de la Constitution, que la loi référendaire ‘ignore plutôt’ cette Constitution ; elle déconstitutionnalise la Constitution ».

[63]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.426.

[64]. Hamon, Note sous C.C., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, op. cit., p.399.

[65]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.129.

[66]. Burdeau, Hamon et Troper, op. cit., 23e éd., p.441.

[67]Ibid.

[68]Ibid.

[69]. Conac, « Article 11 », op. cit., p.439.

[70]Ibid.

[71]. Jean-Claude Escarras, Intervention à la Xe Table-ronde internationale d'Aix‑en‑Provence des 16 et 17 septembre 1994, sur « Révision de la Constitution et justice constitutionnelle ». (Compte rendu de cette table-ronde réalisé par Thierry Di Manno, Ferdinand Mélin-Soucramanien et Joseph Pini, Revue française de droit constitutionnel, n° 19, 1994, p.660).

[72]. Conac, « Article 11 », op. cit., p.457.

[73]. Favoreu et Philip, op. cit., 6e éd., p.182.

[74]. Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 2, § 2, B.

[75]. Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 2, § 2. (Supra, p.107‑111).

[76]. C.C., n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Rec., p.27, considérant 2.

[77]. Ce titre, Chapitre 1, § 2.

[78]. Article 61 de la Constitution de 1958.

[79]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1.

[80]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.360.

[81]. Par analogie à l'argumentation développée par Kelsen (Théorie pure du droit, op. cit., p.360).

[82]. Comme on l'a vu, selon l'interprétation authentique du Conseil constitutionnel, le mot « lois » mentionné dans l'article 61, alinéa 2, n'englobe pas les « lois constitutionnelles adoptées par voie de référendum ».

[83]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.17.

[84]. Ce paragraphe est l'application de l'argumentation de Kelsen à notre problème (Théorie pure du droit, op. cit., p.362-363).

[85]Cf. Troper, « Le problème de l'interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle », op. cit., p.141.

[86]Cf. Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.603.

[87]. Hans Kelsen affirme la même chose en ce qui concerne les lois ordinaires lorsque la constitution refuse expressément aux organes de l'application des lois le pouvoir de contrôler la constitutionnalité de ces lois. Selon lui, dans une telle hypothèse, « seul l'organe de législation a le pouvoir de décider lui-même si la loi qu'il a adoptée est constitutionnelle, c'est‑à‑dire si tant la procédure suivant laquelle il l'a adoptée que le contenu qu'il lui a donné sont conformes à la Constitution... Ceci signifie que tout ce que cet organe de la législation édicte comme loi doit être considérée comme loi au sens de la Constitution » (Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.362).

[88]. Ce titre, Chapitre 1.

[89]. Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.187.

[90]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.166. Egalement, à propos de la question de savoir si les pouvoir constituant peut être limité et contrôlé, le professeur Louis Favoreu note que « la doctrine française de droit constitutionnel n'avait jusque-là, jamais envisagé qu'elle pût être posée tant il paraissait sacrilège d'en évoquer même l'éventualité. Ce qui est couramment débattu en Allemagne, Autriche, Espagne ou Portugal est un sujet tabou en France » (Favoreu, Commentaire sous C.C., décision n° 92-312 DC  du 2 septembre 1992, op. cit., p.735).

[91]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.125 ; Turpin, Contentieux constitution-nel, op. cit., p.97 ; Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., 2e éd. p.173-174.

[92]. En effet les défenseurs de cette thèse, soit, affirment la permanence d'un pouvoir constituant originaire, soit nient le caractère limité du pouvoir constituant dérivé.

[93]. Lavroff, Le système politique français, op. cit., p.127. Notons qu'après la décision du 3 septembre 1992, le président Lavroff a une position plus nuancée sur la question. Voir Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.166-168.

[94]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.125.

[95]. Turpin, Contentieux constitutionnel, op. cit., p.97.

[96]. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., 2e éd. p.173-174.

[97]Ibid., p.174.

[98]. Favoreu et Philip, op. cit., 6e éd., p.183.

[99]Ibid.

[100]Ibid.

[101]. Olivier Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.131. Le professeur Beaud se fonde sur sa distinction entre l'acte constituant et l'acte de révision. Rappelons que, dans sa théorie, l'acte qui édicte la constitution s'appelle l'acte constituant et l'acte qui révise la constitution l'acte de révision de même que l'autorité qui prend le premier se nomme le « pouvoir constituant » tout court (à la place du pouvoir constituant originaire) et le second le pouvoir de révision (à la place du pouvoir constituant dérivé) (Ibid., p.131).

[102]Ibid., p.356.

[103]. Olivier Beaud, « Maastricht et la théorie constitutionnelle », Les Petites affiches, 2 avril 1993, n° 40, p.7. Voir également Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.386.

[104]. C.C. décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Traité sur l'Union européenne (Maastricht II), Rec., 1992, p.76-84.

[105]. Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », op. cit., p.1590.

[106]. Saisine du Conseil constitutionnel en date du 14 août 1992, présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 54 de la Constitution et visé dans la décision n°92-312 (traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht, le 7 février 1992, paragraphe n° XXIII (Journal officiel, 3 septembre 1992, p.12107).

[107]. Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », op. cit., p.1590.

[108]. C.C. n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Rec., p.85 (45e considérant).

[109]. Bruno Genevois, « Le Traité sur l'Union européenne et la Constitution révisée », Revue française de droit constitutionnel, 1992, p.944, voir également p.946 : « En d'autres termes, il était fait grief au constituant d'avoir procédé à une révision inappropriée et même contradictoire ». Voir encore Favoreu, Commentaire sous C.C., décision n° 92-312 DC  du 2 septembre 1992, op. cit., p.737 : « Les constituants auraient dû modifier le texte des dispositions auxquelles il était dérogé et d'une manière plus générale, assurer la cohérence de l'ensemble de la Constitution » ; Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd. p.823 et 824 ; Louis Favoreu, « Constitution révisée ou Constitution bis », Le Figaro, 21 avril 1992 (reproduit in La Constitution et l'Europe, Journée d'étude du 25 mars 1992 au Sénat, Paris, Montchrestien, 1992, p.355-356) ; Dominique Rousseau, « Chronique de jurisprudence constitutionnelle 1991-1992 », Revue du droit public, 1993, p.17 ; Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., 3e éd., p.184.

[110]Ibid.

[111]. C.C., n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Rec., p.80 (19e considérant).

[112]. C.C. n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Rec., p.82 (34e considérant).

[113]. C.C., n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Rec., p.83 (40e considérant).

[114]. C.C., n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Rec., p.84 (43e considérant).

[115]. C.C., n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Rec., p.80 (19e considérant).

[116]. Pour l'interdiction de réviser la Constitution pendant l'intérim de la présidence de la République voir supra, Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 2, B.

[117]. Pour l'interdiction de réviser la Constitution lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire voir supra, Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 2, A.

[118]. Pour la question de savoir si la Constitution de 1958 interdit sa révision lorsque l'article 16 est en application voir supra Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 2, C.

[119]. Pour l'interdiction de réviser la forme républicaine du Gouvernement voir supra Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 1.

[120]. Voir par exemple Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.473 ; Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., 3e éd., p.185 ; Favoreu, Note sous C.C., décision n° 92-312 DC  du 2 septembre 1992, op. cit., p.738.

[121]. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., 3e éd., p.185. Selon le professeur Rousseau, cette deuxième hypothèse est « finalement retenue par le Conseil » (Ibid.).

[122]. Signalons que Georges Vedel aussi entend par cette expression « pouvoir constituant » le « pouvoir constituant dérivé ». Le doyen Vedel, dans son article sur « Souveraineté et supraconstitutionnalité », écrit ceci : « Comme l'a récemment dit le Conseil constitutionnel, le pouvoir constituant (en l'espèce ‘dérivé’)... » (Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.90.

[123]. Dans le vocabulaire d'Olivier Beaud, le « pouvoir constituant » tout court est employé à la place du « pouvoir constituant originaire » (Voir Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.315).

[124]. C'est nous qui soulignons.

[125]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.474. Voir également Beaud, « La souveraineté de l'Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », op. cit., p.1058.

[126]. Rappelons que dans notre travail nous utilisons l'expression « pouvoir de révision constitutionnelle » à la place de celle « pouvoir constituant dérivé ».

[127]. Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », op. cit., p.1593.

[128]. Genevois, « Le traité sur l'Union européenne et la Constitution révisée », op. cit., p.945.

[129]. Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », op. cit., p.1592. Remarquons que le président Luchaire, avait soutenu, en 1980, que cet argument n'est pas convaincant et que la compétence du Conseil constitutionnel pourrait être admise. Voir Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.124-125.

[130]. C'est nous qui soulignons.

[131]. C.C., décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992, considérant 2, Rec., p.95.

[132]. Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », op. cit., p.1608. Le même argument est invoqué également par Bruno Genevois : « La décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992 oppose pour l'application de l'article 61 de la Constitution, les lois organiques adoptées par voie parlementaire qui doivent être soumises à l'examen du juge constitutionnel et les « lois ordinaires » qui peuvent lui être déférées, ce qui paraît exclure un contrôle sur les lois constitutionnelles » (Genevois, « Le traité sur l'Union européenne et la Constitution révisée », op. cit., p.945).

[133]. Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », op. cit., p.1608. Par contre selon Louis Favoreu, certes le Conseil constitutionnel indique dans sa décision du 2 septembre 1992, l'article 61 de la Constitution lui donne mission de contrôler la constitutionnalité des « lois organiques et des lois ordinaires » ; mais, à son avis, « cette formule figurait déjà dans la décision du 6 novembre 1962 et n'a donc pas de signification particulière » (Favoreu, Commentaire sous C.C., décision n° 92-312 DC  du 2 septembre 1992, op. cit., p.738, note 27).

[134]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.124.

[135]Ibid., p.125.

[136]Ibid.

[137]. Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », op. cit., p.1592.

[138]Ibid.

[139]Ibid.

[140]Supra, p.541-542.

[141]. Voir supra, p.541-544.

[142]. Favoreu, Commentaire sous C.C., décision n° 92-312 DC  du 2 septembre 1992, op. cit., p.738.

[143]. Les limites sus-mentionnées que devait respecter le pouvoir constituant.

[144]. Favoreu, Commentaire sous C.C., décision n° 92-312 DC  du 2 septembre 1992, op. cit., p.738. Egalement voir Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.825-826 ; Favoreu et alii, « France », op. cit., p.478. Le professeur Favoreu affirmait dans son premier commentaire de la décision du 2 septembre 1992 qu'« une loi constitutionnelle peut être déférée au Conseil constitutionnel pour non-respect des prescriptions sus-indiquées car on ne voit pas sinon, pourquoi le juge constitutionnel aurait, à deux reprises, fait référence à ces ‘limites’ ou ‘limitations’. Certes, le champ du contrôle sera réduit ; mais l'important est que le principe du contrôle soit admis. En outre, on peut très bien concevoir, que le Conseil constitutionnel accepte de contrôler la régularité de la procédure d'adoption de la loi constitutionnelle » (Louis Favoreu, Premier commentaire sous C.C., décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Revue française de droit constitutionnel, 1992, p.409. M. Favoreu a également affirmé que l'« on conçoit... difficilement qu'il refuse de sanctionner des vices de procédure entachant la révision constitutionnelle ou même des changements fondamentaux tels que l'abrogation de l'interdiction des discriminations raciales et religieuses. Alors surtout que dans sa décision du 2 septembre 1992 il a bien souligné que le pouvoir constituant est souverain, mais... dans le respect de certaines limites fixées par la Constitution » (Favoreu, « Souveraineté et la supraconstitutionnalité », op. cit., p.75.

[145]. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., 3e éd., p.179, également voir  p.181.

[146]. Dominique Rousseau, « Chronique de la jurisprudence constitutionnelle 1991-1992 », Revue du droit public, 1993, p.19. Egalement voir Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., 3e éd., p.185 : En partant de l'affirmation du Conseil constitutionnel selon laquelle « sous réserve, d'une part..., et d'autre part... le pouvoir constituant est souverain », le professeur Rousseau souligne que « par deux petits mots – ‘sous réserve’ – le Conseil pose le principe de sa compétence sur les lois constitutionnelles et précise, ensuite, les points sur lesquels son contrôle pourrait, le cas échéant, porter ».

[147]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.131, 356 ; Beaud, « Maastricht et la théorie constitutionnelle », op. cit., p.7.

[148]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.356, 396.

[149]Ibid., p.400.

[150]Ibid.

[151]Ibid.

[152]Ibid., p.401.

[153]Ibid.

[154]Ibid.

[155]Ibid.

[156]. Selon le compte-rendu de Thierry Di Manno, Ferdinand Mélin-Soucramanien et Joseph Pini, « Révision de la Constitution et justice constitutionnelle », Xe Table-ronde internationale d'Aix‑en‑Provence des 16 et 17 septembre 1994, in Revue française de droit constitutionnel, n° 19, 1994, p.662.

[157]. Rousseau, Le droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p.182 ; Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.187 ; Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.387.

[158]. Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.187.

[159]. Favoreu, Commentaire sous C.C., décision n° 92-312 DC  du 2 septembre 1992, op. cit., p.738.

[160]Ibid.

[161]Ibid., p.738, note 29. Voir également Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.826 ; Groupe d'études de recherches sur la justice constitutionnelle (Favoreu et alii), « France », op. cit., p.478.

[162]. Selon le compte-rendu de Di Manno, Mélin-Soucramanien et Pini, op. cit., p.662.

[163]Ibid. Voir également Favoreu, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.71-77.

[164]. C'est nous qui soulignons.

[165]. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p.182.

[166]. Lire « originaire ».

[167]. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p.182-183.

[168]Ibid., p.185.

[169]Ibid., p.183.

[170]Ibid., p.185.

[171]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.387.

[172]. Beaud, « Maastricht et la théorie constitutionnelle », op. cit., p.7 ; Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.386.

[173]. Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous-section 2, § 2, B, 2, b.

[174]. Voir Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.329, 357.

[175]. Première partie, Titre 1.

[176]. Première partie, Titre 2.

[177]. Première partie, Titre 2, Chapitre 1.

[178]. Première partie, Titre 2, Chapitre 2.

[179]. En effet, l'une des limites mentionnées par le Conseil constitutionnel ne figure pas explicitement dans le texte constitutionnel. Nous avons discuté dans la première partie la question de savoir si la Constitution interdit sa révision constitutionnelle lorsque l'article 16 est en application (Voir supra, Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 2, C).

[180]. Voir Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 2, A.

[181]. Voir Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 2, B.

[182]. Voir Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 1.

[183]. Voir Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 1.

[184]. Voir Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 2, C.

[185]. Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.187.


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