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Kemal Gözler, “La théorie d'Olivier Beaud”, Ankara Üniversitesi Hukuk Fakültesi Dergisi (Revue de la Faculté de droit de l'Université d'Ankara), Cilt (Volume) 46, 1997, Sayý (No) 1-4, p.129-157. (www.anayasa.gen.tr/beaud.htm; 1.5.2004). [PDF] <http://auhf.ankara.edu.tr/dergiler/auhfd-arsiv/AUHF-1997-46-01-04/AUHF-1997-46-01-04-Gozler.pdf> ; [PDF] www.anayasa.gen.tr/beaud.pdf
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(Le texte original de cet article est publié dans la Reuve de la Faculté de droit de l'Université d'Ankara).
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Kemal GÖZLER*
En France, depuis quelques années, la souveraineté est revenue au centre du débat constitutionnel. L'un des acteurs principaux de ce débat est sans doute Olivier Beaud[1]. Il réexamine la question classique du rapport entre la souveraineté et l'Etat dans son ouvrage sur « la puissance de l'Etat »[2], tiré de sa thèse de doctorat en droit soutenue en janvier 1989, et dans deux articles[3] qui ont fait un grand écho auprès des constitutionnalistes françaises.
Les developpements d'Olivier Beaud constitutent une théorie conséquente avec elle-même. Il tire toutes les conclusions logiques de ses propres prémisses. En d'autres termes, ses conséquences et ses principes forment un ensemble parfaitement cohérent. Son inférence est valide, et par conséquent on ne peut pas critiquer son raisonnement en soi. Alors notre critique ne peut se porter que sur ses prémisses et ses conclusions.
Certes ses prémisses sont bien différentes de celles de la théorie positiviste du droit. Mais il n'y a pas de critère juridique pour évaluer la validité de ses prémisses et de celles juspositivistes. Car, les unes et les autres ne sont que des hypothèses. Par conséquent ses prémisses sont aussi valables que celles positivistes. Le choix entre les deux ne peut pas se décider sur le terrain juridique. Il faut donc accepter la valeur théorique des hypothèses d'Olivier Beaud. Au niveau de prémisses, tout ce que nous faisons ici consiste à souligner la différence qui existe entre les siennes et celles positivistes. Ainsi à cet égard, notre travail n'est pas une étude critique, mais une étude comparative entre la théorie d'Olivier Beaud et la théorie positiviste à la quelle nous nous souscrivons.
D'autre part, on ne peut non plus critiquer les conclusions d'Olivier Beaud. Car comme on l'a dit, la théorie d'Olivier Beaud est une théorie cohérente avec elle-même. L'auteur tire toutes les conclusions logiques de ses propres prémisses. Autrement dit, ses conclusions ne sont que les suites logiques de ses prémisses. Alors en ce qui concerne ses conclusions, nous ne pouvons constater que leur conformité ou non‑conformité avec les données du droit positif. En d'autres termes, nous allons vérifier si ses conclusions sont consacrées ou démenties par la pratique constitutionnelle française. Il faut remarquer que ce deuxième aspect de notre travail n'est pas une étude théorique, mais un travail empirique qui consiste en une simple constatation. En conclusion, nous ne discuterons pas ici le bien-fondé de la logique de la théorie d'Olivier Beaud, mais en vérifiant la conformité de ses conclusions avec le droit positif, nous allons l'accepter ou la refuser dans son ensemble.
Dans ce but, nous relèverons ici les points sur lesquels la théorie d'Olivier Beaud diffère de la théorie positiviste que nous suivons dans notre travail. Sur chaque point, nous exposerons d'abord brièvement la théorie d'Olivier Beaud, ensuite nous nous efforcerons de la critiquer. Mais comme on vient de le dire, notre critique consistera en effet, d'une part à montrer la différence de ses hypothèses de celles positivistes, et d'autre part à vérifier la conformité de ses conclusions avec les données du droit positif français.
a) Exposé.- Le professeur Olivier Beaud, en s'inspirant de la théorie de Carl Schmitt, refuse l'homogénéité du pouvoir constituant originaire et du pouvoir constituant dérivé. Selon lui, ces deux pouvoirs constituants sont complètement distincts et opposés[4]. De même, il les dénomme de manière différente : il appelle le premier le « pouvoir constituant » tout court (à la place du « pouvoir constituant originaire ») et le second le « pouvoir de révision constitutionnelle » (à la place du « pouvoir constituant dérivé »)[5]. Selon le professeur Beaud, il y a un rapport hiérarchique entre le pouvoir constituant et le pouvoir de révision[6]. Le premier est un pouvoir souverain, tandis que le second est un pouvoir non-souverain[7]. Par conséquent, il n'y a pas d'identification entre ces deux pouvoirs. Le pouvoir constituant est toujours illimité et le pouvoir de révision est toujours limité[8]. En effet, pour Olivier Beaud il n'y a qu'un pouvoir constituant, c'est celui que nous appelons le pouvoir constituant originaire. Le pouvoir de révision n'est jamais un pouvoir constituant, il n'est qu'un pouvoir constitué. Il le dit clairement : « le pouvoir de révision n'étant qu'un pouvoir constitué ne peut pas exercer la fonction constituante »[9].
b) Critique.- Comme on le voit, le professeur Olivier Beaud rejette l'homogénéité du pouvoir constituant originaire et du pouvoir constituant dérivé. Il nie la nature constituante du pouvoir de révision. Or selon la théorie positiviste, il existe une unité entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé (le pouvoir de révision).
D'abord il est vrai que le pouvoir constituant originaire et le pouvoir de révision sont deux pouvoirs différents du point de vue de leur organisation. Et de ce point de vue, il y a un rapport hiérarchique entre ces deux pouvoirs. Le pouvoir de révision est inférieur au pouvoir constituant originaire, car il en dérive. Ainsi du point de vue de son organisation, de son origine, le pouvoir de révision est un pouvoir constitué et non pas constituant, car l'organisation et les conditions d'exercice de ce pouvoir sont réglementées par la constitution. Il découle donc de la constitution, il tient d'elle sa compétence. Par contre le pouvoir constituant originaire est un pouvoir de fait, il tient sa puissance de lui-même. Ainsi du point de vue de leur organisation, de leur statut juridique, on peut parler de deux pouvoirs distincts et opposés : le pouvoir constituant originaire et le pouvoir de révision. C'est le premier qui est le seul vrai constituant. Le deuxième n'est qu'un pouvoir constitué. A cet égard, Olivier Beaud a raison.
Mais du point de vue de leur fonction, il n'y a pas de différence entre ces deux pouvoirs, car ils exercent la même fonction : la constitution qui est établie par le pouvoir constituant originaire pourrait être révisée par le pouvoir constituant dérivé. Parce que la norme posée par le pouvoir de révision a la même valeur juridique que celle qui est posée initialement par le pouvoir constituant originaire : elles se trouvent sur le même rang dans la hiérarchie des normes. Par conséquent du point de vue de sa fonction, le pouvoir de révision est un pouvoir constituant, et non pas constitué[10].
En d'autres termes il y a peut-être deux organes constituants, mais certainement pas deux fonctions. C'est dans ce sens‑là que le doyen Georges Vedel écrit : « le pouvoir constituant dérivé n'est pas un pouvoir d'une autre nature que le pouvoir constituant initial »[11]. Et plus récemment encore il a affirmé que le pouvoir constituant dérivé « n'est dérivé que sous l'aspect organique et formel ; il est l'égal du pouvoir constituant originaire du point de vue matériel »[12]. Ainsi le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé diffèrent par leur organisation, par leur origine, mais ils s'unifient par leur fonction. En conclusion, il y a une homogénéité, une identité entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé quant à leur fonction. Or, comme on vient de le montrer, le professeur Olivier Beaud nie complètement cette homogénéité.
a) Exposé.- Le professeur Olivier Beaud distingue le pouvoir constituant [= pouvoir constituant originaire] et du pouvoir de révision [= pouvoir constituant dérivé][13] par son objet. Selon lui, comme on le verra plus tard en détail, les matières touchant à la souveraineté nationale du peuple relèvent de la compétence du pouvoir constituant et celles qui ne la concernent pas relèvent du pouvoir de révision[14]. Car, d'après lui, seul le pouvoir constituant et jamais le pouvoir de révision peut remettre en cause la souveraineté nationale du peuple[15]. Ainsi, la distinction faite par Olivier Beaud entre le pouvoir constituant et le pouvoir de révision est d'ordre matériel.
b) Critique.- Or, dans la théorie positiviste, on fait la distinction entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé (pouvoir de révision) par les circonstances dans lesquelles ils s'exercent : le pouvoir constituant originaire est celui qui s'exerce dans le vide juridique, c'est‑à‑dire lorsqu'il n'y a pas ou qu'il n'y a plus de constitution en vigueur. Par contre le pouvoir constituant dérivé (pouvoir de révision) est celui qui s'exerce dans le cadre d'une constitution, plus précisément suivant les règles fixées par la constitution elle-même. Par conséquent on se trouve devant le pouvoir constituant originaire dans toutes les circonstances dans lesquelles on fait une nouvelle constitution ou on change une règle constitutionnelle en dehors du cadre prévu par la constitution elle-même. Il en résulte que, premièrement, tant qu'on reste dans le cadre de révision constitutionnelle prévue par la constitution elle-même, il y a toujours un pouvoir constituant dérivé (pouvoir de révision), et non pas un pouvoir constituant originaire, même si l'on touche à la souveraineté nationale du peuple. Deuxièmement si l'on sort de ce cadre, il y a un acte du pouvoir constituant originaire, non pas du pouvoir constituant dérivé, même si l'on révise une norme constitutionnelle ne touchant pas à la souveraineté nationale du peuple. Ainsi dans la conception positiviste, il n'y a pas de matières réservées au pouvoir constituant originaire et au pouvoir constituant dérivé. Car, ces pouvoirs, on l'a dit, sont définis par les circonstances dans lesquelles ils s'exercent, non pas par leur objet.
a) Exposé.- Comme on vient de le montrer, le professeur Olivier Beaud définit le pouvoir constituant [originaire] par sa matière, c'est‑à‑dire par la souveraineté nationale du peuple. Et si l'on définit le pouvoir constituant originaire par son objet, il serait logique d'attribuer ce pouvoir à celui qui est souverain. Ainsi le titulaire du pouvoir constituant originaire n'est qu'un corollaire de sa définition matérielle. C'est exactement ce que fait le professeur Olivier Beaud. En constatant que « dans les Etats constitutionnels, le peuple est le Souverain parce qu'il donne lui-même une constitution »[16], il affirme que le pouvoir constituant ne peut être exercé que directement par le peuple, et non pas par ses représentants[17]. De même il conclut que les dispositions de la constitution touchant à la souveraineté ne peuvent être révisées que directement par le peuple, c'est‑à‑dire le pouvoir constituant [originaire] et non pas par ses représentants, c'est‑à‑dire le pouvoir de révision[18]. Car, « seul le peuple en tant que Souverain peut aliéner ou échanger sa souveraineté »[19].
Par conséquent, dans le raisonnement d'Olivier Beaud, comme le remarque le président Dmitri Georges Lavroff, le pouvoir constituant serait assimilé au pouvoir exercé directement par le peuple, statuant par référendum, et le pouvoir de révision à celui exercé par ses représentants[20]. Ainsi Olivier Beaud définit le pouvoir constituant non seulement par son objet, mais aussi par son titulaire[21]. Car, comme on vient de le montrer, l'objet de ce pouvoir (souveraineté) implique nécessairement son titulaire (souverain). Et comme on l'a dit, selon Olivier Beaud, dans les démocraties, celui-ci est le peuple.
b) Critique.- Or dans la conception positiviste, les définitions du pouvoir constituant originaire et du pouvoir constituant dérivé sont complètement indépendantes des titulaires de ces pouvoirs. Le titulaire du pouvoir constituant dérivé est déterminé par la constitution, par conséquent il est un organe étatique, comme le parlement. Par contre le titulaire du pouvoir constituant originaire se détermine par les circonstances de force, par conséquent il reste en dehors de notre étude. Le peuple en tant que le pouvoir constituant originaire ne nous intéresse point. Et si le peuple intervient dans la procédure de révision constitutionnelle, suivant les règles fixées par la constitution (comme l'article 89, al.3 ou l'article 11 de la Constitution française*), il est le pouvoir constituant dérivé (pouvoir de révision) et non pas le pouvoir constituant originaire. En d'autres termes, le peuple intervient dans le processus de révision constitutionnelle ès qualité du pouvoir constituant institué. Comme le remarque à juste titre Gérard Conac, « lorsqu'il intervient en application d'une disposition précise de la Constitution, le corps électoral agit en tant que pouvoir institué et non pas à titre de pouvoir originaire, comme c'est le cas dans les périodes de vide constitutionnel ou de crise révolutionnaire »[22]. De même Georges Burdeau affirme que « le fait que le peuple est appelé à se prononcer directement n'enlève rien juridiquement[23] au caractère de pouvoir institué qui est celui de l'organe de révision »[24].
a) Exposé.- Puisque le professeur Olivier Beaud définit le pouvoir constituant originaire par sa matière et qu'il exige l'intervention directe du peuple souverain, le pouvoir constituant originaire peut s'exercer parfaitement dans le cadre d'une constitution. Car, pour qualifier un pouvoir de constituant originaire, il y a seulement deux conditions : son objet doit être une disposition touchant à la souveraineté nationale, et le peuple souverain doit directement intervenir. Par conséquent le fait que cette intervention directe est dans le cadre constitutionnel (par ex. art.89, al.2, de la Constitution française) ou en dehors de ce cadre n'est pas important au regard de la définition. Ainsi s'il s'agit de la révision d'une disposition de la Constitution française et si le peuple est intervenu directement, statuant par référendum, organisé dans le cadre soit de l'article 89, alinéa 2, soit de l'article 11, il y aurait ici un acte du pouvoir constituant originaire. Par exemple, selon Olivier Beaud, la loi de révision constitutionnelle du 25 juin 1992 nécessitait un référendum constituant (art.89, al.2)[25]. Car, à son avis, cette révision constitutionnelle touchait à la souveraineté nationale du peuple[26]. Par conséquent, selon sa théorie, si seul le peuple en tant que le souverain constituant avait dû intervenir en statuant par référendum (art.89, al.2)[27] pour ratifier cette loi de révision constitutionnelle, il y aurait eu un acte du pouvoir constituant originaire. En d'autres termes, pour le professeur Olivier Beaud, il est possible que le pouvoir constituant originaire s'exerce dans le cadre d'une disposition de la Constitution.
b) Critique.- Selon la théorie positiviste, le pouvoir constituant originaire ne peut s'exercer que dans le vide juridique, c'est‑à‑dire lorsqu'il n'y a pas ou qu'il n'y a plus de constitution en vigueur. L'exercice du pouvoir constituant originaire et l'existence d'une constitution en vigueur ne sont pas en même temps concevables. Certes le peuple peut toujours exercer son pouvoir constituant originaire, mais dans ce cas, il aurait accompli au préalable une révolution. Car, l'exercice du pouvoir constituant originaire implique l'abrogation de la constitution en vigueur. Par conséquent tant que le peuple en tant que le pouvoir constituant originaire n'a pas abrogé la constitution en vigueur, son intervention dans le cadre de révision constitutionnelle restera toujours de nature instituée. Ainsi toute intervention du peuple dans le processus de révision constitutionnelle en application d'une disposition constitutionnelle (par exemple art.89, al.2) n'est qu'un exercice du pouvoir de révision, et non pas du pouvoir constituant originaire.
En conclusion pour Olivier Beaud, le pouvoir constituant originaire peut s'exercer dans le cadre d'une constitution, à condition que son objet porte atteinte à la souveraineté nationale et que le peuple intervienne en statuant par référendum. Or selon la théorie positiviste, un pouvoir qui s'exerce dans le cadre constitutionnel ne pourra jamais être un pouvoir constituant originaire, même si le peuple intervient directement en statuant par référendum.
Toute la théorie d'Olivier Beaud est construite à partir du principe de souveraineté nationale. Il dote la souveraineté nationale d'un statut de supraconstitutionnalité, ainsi qu'il établit une hiérarchie entre les dispositions de la Constitution selon qu'elles touchent ou non à la souveraineté nationale. Or selon la théorie positiviste, le principe de la souveraineté nationale n'est qu'une disposition constitutionnelle, par conséquent elle est révisable par le pouvoir de révision comme toute autre disposition de la Constitution.
Avant d'exposer la théorie de la souveraineté d'Olivier Beaud, il convient de rappeler que selon l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation » et que d'après l'article 3 de la Constitution de 1958, « la souveraineté nationale appartient au peuple ». Signalons encore que dans la Constitution française, il n'y aucune disposition prévoyant l'intangibilité de ces deux articles.
D'abord il convient de remarquer que selon le professeur Olivier Beaud, « la souveraineté nationale inclut non seulement les idées classiques de souveraineté du peuple et d'autodétermination, mais aussi celle de souveraineté de l'Etat (ou de puissance publique) »[28]. Alors notre première remarque peut être décrite comme suit :
Souveraineté du peuple
Autodétermination
Souveraineté nationale
Souveraineté de l'Etat
Puissance publique
D'autre part, le professeur Olivier Beaud essaye de montrer que « l'atteinte à la souveraineté nationale implique une atteinte à la souveraineté de l'Etat que le seul le pouvoir constituant[29] peut légitimer »[30]. C'est la règle principale d'Olivier Beaud. Elle peut être résumée sous la forme suivante :
Souveraineté nationale Souveraineté de l'Etat
Atteinte à la
souveraineté nationale
Atteinte à la souveraineté de l'Etat
(Seul le pouvoir constituant peut le faire)
Maintenant nous allons essayer d'exposer par étapes la théorie de la souveraineté d'Olivier Beaud et les conséquences qu'il en tire.
(1) D'abord on sait que dans les démocraties, la souveraineté est attribuée au peuple ou à la nation. Dans le premier cas on parle de souveraineté nationale, dans le second de souveraineté populaire[31]. Selon la Constitution française de 1958, « la souveraineté nationale appartient au peuple » (art.3). Il s'agit ici du mode d'exercice de souveraineté[32], plus précisément de ses titulaires probables. Mais qu'est-ce que cette souveraineté ? En d'autres termes quel est son objet ? Selon le professeur Olivier Beaud, « l'objet de cette souveraineté est la Constitution définie comme la loi suprême régissant le pouvoir politique d'un Etat »[33]. Et la principale manifestation de cette souveraineté est l'établissement de la constitution[34]. Autrement dit, la souveraineté inclut le pouvoir constituant. C'est dans ce sens-là que le professeur Beaud parle de « souveraineté constituante »[35]. Alors, dans ce cas, « le Souverain est celui qui fait la Constitution »[36]. Schématiquement on peut résumer cette première étape comme suit :
Souveraineté nationale
Souveraineté constituante
(Souveraineté constituante = Pouvoir constituant)
(2) Ensuite Olivier Beaud tire la conclusion suivante : dans les démocraties, la souveraineté appartient au peuple (comme c'est le cas de la France). Par conséquent, la souveraineté constituante, c'est‑à‑dire le pouvoir constituant, ne peut appartenir qu'au peuple (souveraineté constituant du peuple)[37]. Cette conclusion peut être exprimée comme ceci :
Souveraineté nationale
du peuple
Souveraineté constituante du peuple
(Souveraineté constituante du peuple = Pouvoir constituant du peuple)
(3) De plus, selon le professeur Olivier Beaud, cette souveraineté constituante est inaliénable[38]; c'est-à-dire que « le pouvoir constituant ne peut jamais être délégué aux pouvoirs constitués. En d'autres termes, le pouvoir de révision n'étant qu'un pouvoir constitué ne peut pas exercer la fonction constituante du peuple. Ainsi, comme forme moderne de l'inaliénabilité de la souveraineté, l'inaliénabilité du pouvoir constituant protège la nation souveraine contre une usurpation potentielle des titulaires du pouvoir de révision »[39]. Ce principe est montré dans la forme suivante :
Inaliénabilité de la souveraineté Inaliénabilité de la souveraineté constituante (Inaliénabilité de la souveraineté constituante = Inaliénabilité du pouvoir constituant)
(4) D'autre part selon Olivier Beaud, la souveraineté constituante présuppose la souveraineté de l'Etat. En d'autres termes, la souveraineté de l'Etat est la condition de la souveraineté constituante[40]. Pour le démontrer, le professeur Beaud constate d'abord que « la souveraineté de chaque Etat est la base, la condition même d'existence de sa Constitution. Inversement, la Constitution comme norme suprême présuppose l'Etat »[41]. Ensuite il applique cette idée à la souveraineté : la souveraineté de l'Etat, dit Olivier Beaud, « est la condition d'existence de la souveraineté constituante »[42]. Et enfin, puisqu'il assimile la souveraineté nationale à la souveraineté constituante, il conclut logiquement que « la souveraineté de l'Etat est la condition de la souveraineté nationale »[43]. Présenté de façon schématique, le processus de raisonnement se déroule donc comme suit :
Souveraineté nationale Souveraineté constituante Souveraineté de l'Etat (Souveraineté nationale Souveraineté de l'Etat )
Notons que pour Olivier Beaud, la « souveraineté de l'Etat », c'est l'« inhérente qualité de l'Etat »[44], autrement dit c'est la « qualité d'Etat souverain »[45], c'est‑à‑dire la « nature étatique de la puissance publique »[46]. Le professeur Beaud emploie encore le terme « étaticité »[47] ou « fait‑d'être‑un‑Etat » (Staatlichkeit)[48] pour désigner la souveraineté de l'Etat.
(5) Ensuite le professeur Olivier Beaud tire des conclusions de la notion de « souveraineté de l'Etat ». D'abord selon lui, « la constitution d'un Etat ne peut pas se soustraire à la réserve de souveraineté de l'Etat »[49]. La souveraineté de l'Etat est donc une limitation matérielle imposée au pouvoir de révision par le pouvoir constituant[50]. Par conséquent le pouvoir de révision ne peut pas toucher à la souveraineté de l'Etat. En d'autres termes, le pouvoir de révision ne peut pas dissoudre l'Etat dans lequel il s'exerce[51]. De même, il ne peut pas abroger la constitution[52]. En conclusion le professeur Olivier Beaud pose une règle : « seul le pouvoir constituant, et jamais le pouvoir de révision constitutionnelle, peut porter atteinte à la qualité d'Etat souverain... La réserve de la souveraineté d'Etat signifie que seul le pouvoir constituant peut ‘disposer’ de cette souveraineté »[53]. Cette règle peut être présentée de la façon suivante :
Atteinte à la souveraineté nationale
Atteinte à la souveraineté de l'Etat
Seul le pouvoir constituant peut le faire.
(Pouvoir constituant
Souveraineté de l'Etat
Pouvoir de révision
Souveraineté de l'Etat)
(6) Egalement le professeur Olivier Beaud applique cette règle à la construction européenne. D'abord il constate que « si elle se poursuit, la construction européenne privera, tôt ou tard, les Etats membres de leur souveraineté. Par conséquent le peuple français (ou celui de tout autre Etat membre) exercera alors une souveraineté 'locale' au regard de la souveraineté de l'Europe, c'est‑à‑dire qu'il n'exercera plus du tout de souveraineté »[54]. Dans une telle hypothèse, « l'Etat jadis souverain devient un Etat membre, équivalent soit à un Land soit à un Etat membre d'une fédération »[55]. Ce constat peut être formulé comme suit :
Construction européenne Perte de la souveraineté de l'Etat
(7) D'autre part, selon l'auteur, la perte de la souveraineté comme puissance publique signifie la perte de la nature étatique de la République française[56]. Car selon lui, « l'atteinte à la souveraineté nationale implique une atteinte à la souveraineté de l'Etat »[57]. Et la souveraineté de l'Etat (Staatlichkeit) est la condition d'existence de l'Etat[58]. Ainsi dans un tel Etat fédéral, la République française sera privée de sa souveraineté, c'est‑à‑dire de la nature étatique de son existence. Autrement dit, il s'agirait de la dissolution de l'Etat français dans un Etat fédéral supranational[59]. Or, en vertu de la règle selon laquelle « seul le pouvoir constituant, et jamais le pouvoir de révision constitutionnelle, peut porter atteinte à la qualité d'Etat souverain »[60], la construction européenne nécessite l'intervention du pouvoir constituant. En d'autres termes, « si le Traité de Maastricht vaut matériellement comme un changement de constitution..., alors seul un acte du pouvoir constituant, et non pas un pouvoir de révision, peut autoriser sa ratification »[61]. Autrement dit, « les réserves de la souveraineté ne peuvent être levées par le pouvoir de révision constitutionnelle, mais seulement par le pouvoir constituant car seul un acte de souveraineté peut ici défaire un autre acte constituant. Si la loi constitutionnelle de révision est impuissante à lever l'obstacle de la souveraineté nationale, c'est parce que celle-ci doit être interprétée comme faisant partie des dispositions intangibles de la Constitution française. La souveraineté de l'Etat (impliquée par la souveraineté nationale) constitue une limitation autonome et tacite tirée de l'interprétation raisonnable et systématique de la Constitution »[62]. On peut schématiser cette argumentation comme suit :
Le Traité de Maastricht
Atteinte à la souveraineté nationale
Atteinte à la souveraineté de l'Etat
(Seul le pouvoir constituant peut le faire)
(8) En conséquence selon le professeur Olivier Beaud, la ratification du Traité de Maastricht devait emprunter la forme d'un référendum constituant[63]. Car, selon lui, « la ratification d'un traité matériellement constitutionnel requiert un acte constituant »[64]. Et à son avis, le Traité de Maastricht est un traité matériellement constitutionnel, car, il « effectue un transfert de souveraineté qui a pour effet un changement des Constitutions internes des Etats membres »[65]. Alors la ratification de ce Traité « requiert un acte solennel, un acte fondamental au sens plein du terme, et non pas n'importe quelle révision constitutionnelle... Cet acte solennel et politiquement vital est un acte constituant, un acte de souveraineté... L'appel au pouvoir constituant est donc bien le seul moyen de respecter la souveraineté du peuple »[66]. En conséquence, « le souverain constituant, n'étant autre que le peuple seul peut ratifier le Traité de Maastricht. Sa ratification doit emprunter, en démocratie, la forme d'un référendum constituant »[67]. « Le Parlement en législateur ordinaire ou en législateur extraordinaire (pouvoir de révision) n'est pas d'avantage compétent pour ratifier un tel traité... Seul le peuple peut juridiquement exercer la prérogative... d'aliéner sa souveraineté en faveur d'une Fédération. Or, ce souverain est en démocratie le peuple, et lui seul »[68]. Cette conclusion peut être exprimée comme suit :
Ratification du Traité de Maastricht Référendum constituant (= pouvoir constituant du peuple)
Comme on le voit, le professeur Olivier Beaud conclut que la construction européenne nécessite l'intervention du pouvoir constituant du peuple. Car si elle se poursuit, elle aboutira, tôt ou tard, à la perte de la souveraineté de l'Etat de la République française. Or, selon son principe, seul le pouvoir constituant du peuple, et jamais le pouvoir de révision, peut porter atteinte à la souveraineté de l'Etat. Mais d'où tire-t-il ce principe ?
Ce principe n'est pas inscrit dans la Constitution française de 1958. De plus cette notion de « souveraineté de l'Etat » ne figure même pas dans le texte de la Constitution. La Constitution ne parle que de « souveraineté nationale » (art.3), et non pas de « souveraineté de l'Etat ». Mais pour Olivier Beaud, la souveraineté nationale implique la souveraineté de l'Etat, car la souveraineté de l'Etat est la condition de la souveraineté constituante qui est l'objet de la souveraineté nationale. Présenté de façon schématique, le processus de son raisonnement se déroule donc comme suit :
Souveraineté de l'Etat
Souveraineté constituante
Souveraineté constituante
Souveraineté nationale
Souveraineté de l'Etat
Souveraineté nationale
Comme nous l'avons dit au début, nous n'allons pas discuter ici l'exactitude de ce raisonnement. Car, selon nous, la souveraineté nationale implique ou n'implique pas la souveraineté de l'Etat, elle n'est pas une limite à la révision constitutionnelle. Parce que la Constitution ne prévoit pas son intangibilité. La seule limite matérielle inscrite dans le texte de la Constitution française de 1958 est celle de l'intangibilité de la forme républicaine du gouvernement (art.89, al.3). Par conséquent, le fait de montrer que la souveraineté de l'Etat est la condition de la souveraineté constituante et que cette dernière est l'objet principal de la souveraineté nationale ne prouve rien au regard de la question de savoir si le pouvoir de révision peut porter atteinte à la souveraineté de l'Etat. Alors la souveraineté de l'Etat, même si elle est impliquée par la souveraineté nationale, n'a pas d'origine textuelle.
En effet, le professeur Beaud dote la souveraineté nationale d'un statut de supraconstitutionnalité. Or, comme le remarque à juste titre le doyen Georges Vedel, « la souveraineté nationale ne peut, au regard de la Constitution, bénéficier d'aucun statut de supériorité. Elle est l'une des normes de valeur constitutionnelle avec d'autres et peut être tenue en échec par une révision constitutionnelle autorisant à y déroger ou en limitant les effets »[69].
En effet, la souveraineté de l'Etat (même si elle est impliquée par la souveraineté nationale) telle qu'elle est envisagée par le professeur Olivier Beaud n'est pas inscrite dans la Constitution. Elle ne figure dans aucun texte juridique. Par conséquent elle est privée de toute existence positive ; c'est‑à‑dire qu'elle n'est pas une notion juridique valable. Elle ne peut avoir aucune valeur juridique. Puisque la souveraineté de l'Etat est juridiquement inexistante, on peut affirmer que la règle selon laquelle le pouvoir de révision ne peut porter atteinte à la souveraineté de l'Etat est une pure invention doctrinale. D'ailleurs Olivier Beaud lui-même l'avoue en disant qu'« il faudra un effort de construction doctrinale, trop peu tenté par la doctrine constitutionnelle, pour tirer du texte constitutionnel des arguments pour la défense de l'étaticité »[70].
Par conséquent le principe d'Olivier Beaud selon lequel « seul le pouvoir constituant, et jamais le pouvoir de révision peut porter atteinte à la souveraineté de l'Etat » est un principe inévitablement de caractère jusnaturaliste. Cependant le professeur Beaud croit que
« ni la théorie des limitations matérielles de la Constitution ni la théorie de la souveraineté n'ont rien de commun avec une conception jusnaturaliste du droit et de la Constitution. La souveraineté de la nation et encore moins la souveraineté de l'Etat ne sont des principes de droit naturel. Ce sont des produits de l'histoire et de la volonté humaine qui, en tant que tels, sont contingents... Par conséquent la souveraineté... n'est en rien un principe transcendant et éternel comme pourrait l'être l'idée de justice aux yeux d'une théorie jusnaturaliste ancienne »[71].
Or à notre avis, le professeur Beaud aurait dû nous montrer simplement dans quel texte posé par la « volonté humaine » se trouve ce principe de souveraineté. S'il se trouve dans l'article 3 de la Constitution de 1958, comme nous l'avons montré plus haut, elle est l'une des normes de valeur constitutionnelle avec d'autres, par conséquent elle est révisable comme d'autres. Et s'il ne trouve pas sa source dans un texte constitutionnel, ce principe est nécessairement de caractère jusnaturaliste. Il n'existe pas de moyen terme dans cette alternative. Ou bien le principe de souveraineté est inscrit dans la constitution ; ou bien il n'y figure pas. Si la première hypothèse est vraie, comme c'est le cas dans la Constitution française, le principe de la souveraineté nationale est révisable par le pouvoir de révision, comme tous les autres principes constitutionnels. Si on est dans la deuxième hypothèse, ce principe est privé de toute existence matérielle, par conséquent, il ne s'impose pas à l'exercice du pouvoir de révision. Et dans ce cas, affirmer que le pouvoir de révision ne peut pas porter atteinte à la souveraineté nationale du peuple implique nécessairement l'acceptation d'une conception jusnaturaliste du droit.
D'autre part on peut constater que le principe d'Olivier Beaud selon lequel seul le pouvoir constituant, et jamais le pouvoir de révision, peut porter atteinte à la souveraineté nationale du peuple a été catégoriquement démenti par la pratique constitutionnelle française. Car, comme on le verra plus tard, en France, la loi de révision constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 a été adoptée par le pouvoir de révision constitutionnelle et non pas par le pouvoir constituant du peuple ; alors que cette loi touchait au principe de la souveraineté nationale du peuple. D'ailleurs le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision du 2 septembre 1992, que le pouvoir de révision est illimité en dehors des limitations résultant des articles 7, 16, 89, al.4 et 5 de la Constitution. Nous allons reprendre cette décision plus tard, après avoir vu l'exposé et la critique de la théorie d'Olivier Beaud sur la hiérarchie entre les normes constitutionnelles.
Mais, avant cela, il faut signaler qu'Olivier Beaud pour démontrer sa thèse avance encore un autre argument. Et il nous semble que ce deuxième argument est tout à fait admissible. Parce qu'il est tiré du texte de l'alinéa 5 de l'article 89. Par conséquent, il n'est pas privé d'existence positive. Alors il n'a rien de commun avec le jusnaturalisme. Voyons donc maintenant ce deuxième argument.
Selon le professeur Beaud, certes l'alinéa 5 de l'article 89 selon lequel « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision » « ne vise que la République au sens restreinte de forme de gouvernement »[72]. Mais cette « République », « d'abord et avant tout, présuppose un Etat »[73]. Car selon lui, « la République est d'abord logiquement un Etat avant d'être l'Etat républicain »[74]. Par conséquent, « l'article 89, qui prévoit la protection de la forme républicaine du gouvernement, implique la protection de l'Etat »[75]. Bref pour Olivier Beaud, le pouvoir de révision ne peut pas porter atteinte à la souveraineté de l'Etat. Parce que l'alinéa 5 de l'article 89 protège non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence même de la République française, car le gouvernement française ne peut être une république que s'il existe en tant qu'Etat souverain[76]. Ainsi l'alinéa 5 de l'article 89 protège non seulement la forme républicaine du gouvernement, mais aussi la nature étatique de cette République, c'est‑à‑dire la souveraineté de l'Etat.
A notre avis, si l'interprétation selon laquelle « la république suppose avant tout un Etat » est acceptée, cet argument serait tout à fait valable. Car, comme on vient de le montrer, il a un fondement positif ; il est tiré du texte de l'alinéa 5 de l'article 89, et non pas d'un principe supraconstitutionnel dont la source reste inconnue.
Le professeur Olivier Beaud propose une hiérarchisation entre les normes de la Constitution en fonction du fait qu'elles touchent ou non à la souveraineté du peuple. Ainsi il attribue une place supérieure aux dispositions de la Constitution relatives à la souveraineté du peuple dans la hiérarchie des normes constitutionnelles[77]. Par conséquent, selon cette interprétation, ces dispositions deviennent intangibles à l'égard du pouvoir de révision.
Tout d'abord Olivier Beaud critique la doctrine dominante selon laquelle « il ne saurait y avoir de primauté d'un article de la Constitution sur un autre, ou encore d'un ‘principe’ constitutionnel comme celui de la souveraineté sur une règle constitutionnelle »[78]. Il estime que, « selon un tel raisonnement, la souveraineté nationale... n'a pas plus de valeur juridique que n'importe quelle disposition constitutionnelle édictée en ‘la forme de révision’ »[79] ! Ensuite le professeur Beaud affirme que la souveraineté nationale est un « élément intangible de la Constitution »[80]. Ainsi selon lui, « les réserves de la souveraineté ne peuvent être levées par le pouvoir de révision constitutionnelle, mais seulement par le pouvoir constituant, car seul un acte de souveraineté peut ici défaire un autre acte constituant. Si la loi constitutionnelle de révision est impuissante à lever l'obstacle de la souveraineté nationale, c'est parce que celle-ci doit être interprétée comme faisant partie des dispositions intangibles de la Constitution française. La souveraineté de l'Etat (impliquée par la souveraineté nationale) constitue une limitation autonome et tacite tirée de l'interprétation raisonnable et systématique de la Constitution »[81].
Ainsi selon le professeur Olivier Beaud, « les réserves de souveraineté font partie des limitations matérielles qui imposent la loi de révision constitutionnelle. Parmi ces réserves figurent non seulement la souveraineté nationale, mais aussi la souveraineté de l'Etat (puissance publique) qui est sa précondition. La souveraineté de l'Etat fait donc partie de réserves de souveraineté, elle est donc un élément intangible de la Constitution française... en tant que tel, protégée contre une révision »[82].
De plus Olivier Beaud établit encore une hiérarchie entre les alinéas 2 et 3 de l'article 89 de la Constitution française. Selon lui, l'alinéa 2 prévoyant la procédure de référendum populaire pour la révision constitutionnelle est supérieure à l'alinéa 3 prévoyant la ratification parlementaire. Il estime que les matières touchant à la souveraineté nationale du peuple ne peuvent pas être révisées par la procédure de ratification parlementaire, mais seulement par le référendum constituant[83].
Comme le précise Olivier Beaud lui-même, sa thèse a pour « effet juridique la reconnaissance d'une supériorité de certaines dispositions constitutionnelles sur d'autres »[84]. Et selon lui, ces dispositions supérieures, comme on vient de le montrer, sont celles qui touchent à la souveraineté nationale du peuple. Ainsi, les dispositions de la Constitution touchant à la souveraineté nationale du peuple sont intangibles à l'égard du pouvoir de révision, par conséquent elles constituent des limites matérielles à la révision constitutionnelle.
Tout d'abord il convient de signaler que la thèse d'Olivier Beaud posant une hiérarchie entre les dispositions de la Constitution en fonction du fait qu'elles touchent ou non à la souveraineté a été avancée en 1992 lors du débat sur la ratification du Traité de Maastricht et de la révision de la Constitution en vue de lever sa non‑conformité avec à la Constitution. En montrant que le principe de souveraineté nationale du peuple est hors de l'atteinte du pouvoir de révision, le but était d'exiger un référendum constituant ; sinon d'empêcher la révision de la Constitution ainsi que la ratification du Traité.
Comme nous l'avons déjà affirmé, le principe de la souveraineté nationale du peuple est l'un des principes à valeur constitutionnelle avec d'autres. Sa valeur résulte de l'article 3 de la Constitution. Et dans la conception formelle de la Constitution une disposition constitutionnelle ne peut pas avoir une valeur supérieure sur d'autres dispositions constitutionnelles. Par conséquent elle peut être révisés comme toutes les autres dispositions de la Constitution par le pouvoir de révision. Ainsi la disposition constitutionnelle qui règle la souveraineté nationale n'est pas un élément intangible de la Constitution et elle ne constitue pas une limite à la révision constitutionnelle.
Enfin, notons que la thèse selon laquelle le principe de la souveraineté nationale (art.3 de la Constitution de 1958 et art.3 de la Déclaration de 1789) est supérieur à d'autres dispositions constitutionnelles, et par conséquent celui-ci est intangible à l'égard du pouvoir de révision a été catégoriquement démentie par la pratique constitutionnelle française. Car, les articles 88-2 et 88-3 ajoutés par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 dérogent effectivement l'article 3 de la Constitution qui règle le principe de la souveraineté nationale. D'ailleurs le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 septembre 1992 a confirmé cette dérogation. En effet, le Conseil constitutionnel dans cette décision, « en ce qui concerne le moyen tiré de ce que le Traité n'est pas conforme à l'article 3 de la Constitution », a affirmé que
« sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16, et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respecte des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles ‘la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision’, le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ; qu'ainsi, rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite »[85].
Comme on le voit, le Conseil constitutionnel, comme les limitations du pouvoir constituant dérivé, mentionne les articles 7, 16, et 89, alinéas 4 et 5, mais non pas l'article 3 de la Constitution de 1958, ni l'article 3 de la Déclaration de 1789. En d'autres termes, le Conseil constitutionnel ne considère pas le principe de la souveraineté nationale comme une limite à la révision constitutionnelle. Ainsi, le pouvoir constituant dérivé peut abroger, modifier ou déroger l'article 3 de la Constitution qui règle la souveraineté nationale. C'est le rejet le plus clair de la thèse selon laquelle le pouvoir constituant dérivé ne peut porter atteinte à la souveraineté nationale. Le Conseil constitutionnel marque ainsi qu'il n'y a aucune limite à la volonté du pouvoir constituant dérivé en dehors de celles qui résultent des articles 7, 16, 89, alinéa 4 et 5. Répétons encore une fois que parmi ces articles mentionnés ne figurent ni l'article 3 de la Constitution de 1958, ni l'article 3 de la Déclaration de 1789.
En conclusion, la théorie d'Olivier Beaud est en contradiction avec les données du droit positif français. Sa théorie est catégoriquement démentie par la pratique constitutionnelle française.
a) Exposé.- Le professeur Olivier Beaud refuse ce qu'il appelle la « révision de la révision », c'est‑à‑dire l'idée selon laquelle le pouvoir de révision a toujours la possibilité de surmonter l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement en deux temps : il peut d'abord abroger l'alinéa 5 de l'article 89 conformément à la procédure de révision constitutionnelle, et puis il peut réviser la forme républicaine du gouvernement. Selon Olivier Beaud, « la ‘révision de la révision’ est inacceptable car elle constitue ni plus ni moins qu'un détournement de la procédure de révision et par la même occasion une négation de l'idée constitutionnelle qui est toujours menacée par cette ‘dynamite’ juridique »[86].
b) Critique.- Selon nous, si la constitution n'interdit pas la révision de la norme qui pose une intangibilité par une règle auto-référentielle (par exemple : « Article X.- La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision. Cet article est lui-même exclu de toute révision. ») le pouvoir de révision a toujours la possibilité de surmonter cette intangibilité en deux temps : en abrogeant d'abord la norme interdisant la révision, et ensuite en révisant la norme dont la modification est interdite.
a) Exposé.- Selon le professeur Olivier Beaud, il y a une hiérarchie entre les alinéas 2 et 3 de l'article 89. L'alinéa 2 prévoyant le référendum pour la révision constitutionnelle est supérieur à l'alinéa 3 prévoyant la ratification parlementaire. Car puisqu'il définit le pouvoir constituant par son objet, c'est‑à‑dire par la souveraineté, le titulaire de ce pouvoir sera nécessairement le souverain, c'est‑à‑dire le peuple[87]. Et puisque d'autre part selon lui, le pouvoir constituant est inaliénable, ce pouvoir ne peut être exercé que directement par le peuple statuant par référendum et non pas par ses représentants[88]. Alors la hiérarchie qui existe entre le pouvoir constituant et le pouvoir de révision entraîne nécessairement une hiérarchie entre le référendum constituant (art.89, al.2) et la ratification parlementaire (art.89, al.3). Par exemple, selon lui, puisque la ratification du Traité de Maastricht était un acte constituant, un acte de souveraineté, l'appel au pouvoir constituant était nécessaire[89]. Par conséquent « le souverain constituant n'étant autre que le peuple seul peut ratifier le Traité de Maastricht. Sa ratification doit emprunter, en démocratie, la forme d'un référendum constituant »[90]. Ainsi selon Olivier Beaud, le Parlement convoqué en Congrès (art.89, al.3) ne peut pas exercer le pouvoir constituant, c'est‑à‑dire qu'il ne peut pas toucher à la souveraineté nationale[91]. Autrement dit, les révisions constitutionnelles portant atteinte à la souveraineté nationale doivent être réalisées par la procédure prévue par l'alinéa 2 de l'article 89, et non par celle prévue dans l'alinéa 3 du même article.
b) Critique.- Or, selon la conception formelle que nous suivons dans cette étude, il n'y a pas de hiérarchie entre les dispositions d'une constitution. Elles sont toutes de la même valeur juridique en tant que dispositions de la même constitution. Ainsi les procédures prévues par les alinéas 2 et 3 de l'article 89 se situent sur le même pied d'égalité, et sont des procédures alternatives. Toutes les dispositions de la Constitution (en dehors de la forme républicaine[92]) peuvent être révisées, soit par la procédure prévue par l'alinéa 2 de l'article 89 (référendum), soit par celle prévue par l'alinéa 3 du même article (ratification parlementaire). De même, une disposition constitutionnelle adoptée par le référendum peut être révisée par voie parlementaire, et inversement.
Cependant il faut signaler que même dans la théorie d'Olivier Beaud, il n'y a pas de différence entre les voies référendaire et parlementaire au cas où la révision constitutionnelle ne porte pas atteinte à la souveraineté nationale du peuple. En d'autres termes, dans les matières ne relevant pas de la souveraineté nationale du peuple, la révision constitutionnelle pourrait être effectuée soit par la voie référendaire, soit par la voie parlementaire. Toutes les deux sont une application du pouvoir de révision, et non pas du pouvoir constituant.
Or, selon la théorie positiviste, comme on l'a déjà dit, sans regarder l'objet de la révision constitutionnelle, soit dans la procédure référendaire, soit dans la procédure parlementaire, il y a toujours une application du pouvoir de révision, et jamais du pouvoir constituant originaire. Car les positivistes définissent* le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé (pouvoir de révision) par leurs circonstances d'apparition et non pas par leur objet. Pour eux, il est logiquement inadmissible qu'il y ait un pouvoir constituant originaire exercé dans le cadre d'une disposition constitutionnelle.
D'autre part, puisque dans la théorie d'Olivier Beaud il y a deux procédures hiérarchiques, pour chaque révision constitutionnelle, il faudra d'abord choisir la procédure de révision constitutionnelle avant d'effectuer la révision. En effet cette question se pose aussi pour la théorie positiviste et non seulement pour la théorie d'Olivier Beaud. Mais pour la théorie positiviste elle ne présente aucun problème : le choix appartient au président de la République. Il peut choisir l'une ou l'autre, car toutes les deux procédures ont la même valeur juridique. Par contre, dans la théorie d'Olivier Beaud ce choix est crucial. Car, si l'on choisit la voie référendaire, il y aurait ici un exercice du pouvoir constituant du peuple, et par conséquent il serait illimité. Par contre, si l'on choisit la ratification parlementaire, il y aura dans ce cas une application du pouvoir de révision, et par conséquent, celui-ci sera limité. La théorie d'Olivier Beaud nous propose un critère pour ce choix : l'objet de la révision constitutionnelle. Si la loi de révision constitutionnelle porte atteinte à la souveraineté nationale, sa ratification nécessite l'intervention directe du pouvoir constituant du peuple, statuant par référendum. Par contre, si la révision constitutionnelle ne concerne pas la souveraineté nationale, elle pourra être adoptée par voie référendaire ou par voie parlementaire. Comme on le voit, le critère de distinction proposé par Olivier Beaud est d'ordre matériel. A notre avis, si l'on prend en considération la difficulté de distinguer les matières relevant de la souveraineté nationale et celles relevant du pouvoir de révision, on pourra affirmer que ce critère n'est pas tout à fait objectif et peut provoquer un débat insoluble.
De plus Olivier Beaud fait une distinction entre le référendum comme un acte constituant et le référendum comme un acte de révision constitutionnelle. Mais comme on l'a dit, le critère de distinction est encore d'ordre matériel. Si le référendum porte atteinte à la souveraineté nationale, il se définit comme acte constituant, mais s'il ne concerne pas la souveraineté, il s'agira d'un référendum comme acte de révision constitutionnelle[93]. Nous pouvons affirmer une fois plus que si l'on prend en considération la difficulté de distinguer les matières relevant de la souveraineté nationale et de celles qui n'en relèvent pas, dans le pays un débat insoluble peut éclater sur la nature même du référendum. D'ailleurs ce risque a été illustré par le débat sur le référendum du 21 septembre 1992 à propos du Traité de Maastricht. Pour Olivier Beaud, ce référendum était un référendum constituant, un acte du pouvoir constituant du peuple[94], alors que la plupart des constitutionnalistes le considéraient comme un référendum législatif, car il était organisé pour ratifier une loi ordinaire (celle de ratification du traité).
Comme on a pu le voir tout au long de cet exposé, toute la théorie d'Olivier Beaud repose sur une conception matérielle de la constitution[95]. Comme le remarque le président Dmitri Georges Lavroff, dans la théorie d'Olivier Beaud, « la matière constitutionnelle est formée des règles définissant les conditions selon lesquelles le pouvoir est exercé dans le respect de la souveraineté du peuple »[96]. Or, en droit français, la conception matérielle de la constitution n'est pas retenue.
Enfin toute la théorie d'Olivier Beaud est basée sur la préférence de la démocratie semi-directe à la démocratie représentative. On a vu qu'il attribue le pouvoir constituant au peuple. Et s'il ne préférait pas la démocratie directe à la démocratie représentative il aurait pu conclure que le pouvoir constituant pourrait être exercé soit directement par le peuple, soit par ses représentants. Or, comme on l'a expliqué, le professeur Olivier Beaud refuse l'idée de représentation en matière de souveraineté constituante. Selon lui, le pouvoir constituant est inaliénable ; il ne peut être exercé que directement par le peuple, et jamais par ses représentants[97]. Ainsi il préfère le procédé du référendum constituant à celui de l'assemblée constituant. Et comme on le sait, le procédé du référendum constituant repose sur le principe de la démocratie semi-directe, alors que le procédé de l'assemblée constituant sur celui de la démocratie représentative. Or, les avantages et inconvénients des systèmes de la démocratie semi-directe et de la démocratie représentative ont été discutés pendant longtemps dans la doctrine classique du droit constitutionnel[98]. Et on a conclu que la démocratie semi-directe et celle représentative sont deux systèmes démocratiques, et par conséquent on ne peut pas avoir de préférence entre les modes parlementaire et référendaire du point de vue du principe démocratique.
La théorie d'Olivier Beaud est une théorie cohérente avec elle-même. Il tire toutes les conclusions logiques de ses propres prémisses. Son inférence est valide, et par conséquent on ne peut pas critiquer son raisonnement en soi. Alors notre critique ne peut se porter que sur ses prémisses et ses conclusions.
Nous avons relevé les points sur lesquels la théorie d'Olivier Beaud diffère de la théorie positiviste. Sur chaque point, nous avons d'abord exposé brièvement la théorie d'Olivier Beaud, ensuite nous nous sommes efforcés de la critiquer. Mais notre critique consiste en effet, d'une part à montrer la différence de ses hypothèses avec celles positivistes, et d'autre part à vérifier la conformité de ses conclusions avec les données du droit positif français.
Voilà les principaux points sur lesquels la théorie d'Olivier Beaud diffère de la théorie positiviste.
1. Le professeur Olivier Beaud refuse l'homogénéité du pouvoir constituant originaire et du pouvoir constituant dérivé, autrement dit, il nie la nature constituante du pouvoir de révision. Or selon nous, du point de vue de leur fonction, il y a une unité entre ces deux pouvoirs, car, ils exercent la même fonction. De ce point de vue-là, le pouvoir de révision, lui aussi est un pouvoir constituant, car, il peut réviser la norme posée initialement par le pouvoir constituant originaire.
2. Le critère de distinction d'Olivier Beaud entre le pouvoir constituant et le pouvoir de révision constitutionnelle est d'ordre matériel. Selon lui, les matières touchant à la souveraineté nationale du peuple relèvent de la compétence du pouvoir constituant et celles qui ne la concernent pas relèvent de celle du pouvoir de révision. Or dans la conception positiviste, il n'y a pas de matières réservées au pouvoir constituant originaire et au pouvoir constituant dérivé (pouvoir de révision). Car, ces pouvoirs sont définis par les circonstances dans lesquelles ils s'exercent, non pas par leur objet.
3. Dans la définition d'Olivier Beaud, le pouvoir constituant serait assimilé au pouvoir directement exercé par le peuple souverain, statuant par le référendum, et le pouvoir de révision à celui exercé par ses représentants. Or dans notre conception, la définition du pouvoir constituant originaire et du pouvoir constituant dérivé est complètement indépendant de leur titulaire.
4. Pour Olivier Beaud, le pouvoir constituant originaire peut s'exercer dans le cadre d'une constitution, à condition que son objet porte atteinte à la souveraineté nationale et que le peuple intervienne statuant par référendum. Or selon nous, un pouvoir qui s'exerce dans le cadre constitutionnel ne pourra jamais être un pouvoir constituant originaire, même si le peuple intervient directement statuant par référendum.
5. Toute la théorie du pouvoir constituant d'Olivier Beaud repose sur le principe de la souveraineté nationale du peuple. Selon lui, la souveraineté nationale implique la souveraineté de l'Etat. De plus d'après lui, seul le pouvoir constituant du peuple, et jamais le pouvoir de révision peut porter atteinte à la souveraineté de l'Etat. Or, selon nous, un tel principe ne peut avoir aucune valeur juridique, car il n'est pas valable ; il est privé d'existence positive, c'est‑à‑dire qu'il ne figure pas dans le texte constitutionnel. Alors on peut affirmer que la règle selon laquelle le pouvoir de révision ne peut porter atteinte à la souveraineté de l'Etat est une pure invention doctrinale. Par conséquent il est un principe inévitablement de caractère jusnaturaliste. D'ailleurs, cette interprétation d'Olivier Beaud a été catégoriquement démentie par la pratique constitutionnelle française.
6. Olivier Beaud établit une hiérarchie entre les normes constitutionnelles en fonction du fait qu'elles touchent ou non au principe de la souveraineté nationale du peuple. Or à notre avis, le principe de la souveraineté nationale du peuple est l'un des principes à valeur constitutionnelle avec d'autres. Sa valeur résulte de l'article 3 de la Constitution. Et dans la conception formelle de la Constitution, une disposition constitutionnelle ne peut pas avoir une valeur supérieure sur d'autres dispositions constitutionnelles. Par conséquent, elle peut être révisée comme toutes les autres dispositions de la Constitution par le pouvoir de révision. Ainsi l'article qui règle la souveraineté nationale n'est pas un élément intangible de la Constitution et il ne constitue pas une limite à la révision constitutionnelle. Notons que sa théorie de hiérarchie elle aussi a été catégoriquement démentie par la jurisprudence constitutionnelle.
7. Selon Olivier Beaud, le pouvoir de révision ne peut pas réviser l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution. Or selon la théorie positiviste, si la constitution n'interdit pas la révision de la norme qui pose une intangibilité par une règle auto-référentielle, le pouvoir de révision a toujours la possibilité de surmonter cette intangibilité en deux temps : en abrogeant d'abord la norme interdisant la révision, et ensuite en révisant la norme dont la modification est interdite.
8. Olivier Beaud établit une hiérarchie entre les deux procédures prévues par l'article 89 au profit du référendum populaire et au détriment de la ratification parlementaire. Or, selon la conception formelle que nous suivons dans cette étude, il n'y a pas de hiérarchie entre les dispositions d'une constitution. Elles sont toutes de la même valeur juridique en tant que dispositions de la même constitution. Ainsi la procédure prévue par l'alinéa 2 de l'article 89 et celle prévue par l'alinéa 3 de cet article se situent sur le même pied d'égalité.
9. Dans la théorie d'Olivier Beaud, puisque le critère de distinction est d'ordre matériel, le choix entre les voies référendaire et parlementaire pourrait poser les problèmes insolubles. Or, dans la théorie positiviste ce choix ne présente aucune difficulté : le choix appartient au président de la République. Il peut choisir l'une ou l'autre, car toutes les deux procédures ont la même valeur juridique.
10. En effet, toute la théorie d'Olivier Beaud repose sur une conception matérielle de la constitution. Or, en droit français, la conception matérielle de la constitution n'est pas retenue.
11. Enfin, la théorie d'Olivier Beaud est basée sur la préférence de la démocratie semi-directe à la démocratie représentative. Or, dans la conception positiviste, la démocratie semi-directe et celle représentative ont la même valeur ; elles sont tous les deux des systèmes démocratiques, par conséquent on ne peut pas avoir de préférence entre les modes parlementaire et référendaire du point de vue du principe démocratique.
* Yard.Doç.Dr., Faculté des sciences économiques et administratives de l'Université d'Uludag, Bursa.
[1]. Il est membre de l'institut universitaire de France, professeur de droit public à l'Université de Lille II et directeur de la revue Droits.
[2]. Olivier Beaud, La puissance de l'Etat, Paris, P.U.F., Coll. Léviathan, 1994, 512 pages.
[3]. Olivier Beaud, « Maastricht et la théorie constitutionnelle », Les Petites affiches, 31 mars 1993, n° 39, p.15 et Id., « La souveraineté de l'Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », Revue française de droit administratif, 1993, p.1048.
[4]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.315.
[5]. Ibid. C'est pourquoi nous employons ici dans le même sens les expressions « pouvoir constituant dérivé » et « pouvoir de révision ».
[6]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.316.
[7]. Beaud, « Maastricht et la théorie constitutionnelle », op. cit., p.15 ; Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.319-325.
[8]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1048.
9. Ibid. C'est nous qui soulignons. Egalement voir Ibid., p.1058 : « La loi constitutionnelle de révision n'exprime ni un 'pouvoir constituant' ni un pouvoir 'souverain', mais bien plutôt un pouvoir constitué, le pouvoir de révision qui est un pouvoir non souverain ».
[10]. En ce sens Georges Burdeau, dans sa thèse de doctorat, disait que le pouvoir de révision est « l'organe constituant par son but, mais l'organe constitué par son origine » (Georges Burdeau, Essai d'une théorie de la révision des lois constitutionnelles en droit français, Thèse pour le doctorat en droit, Faculté de Droit de Paris, Paris, Macon, 1930, p.43). Egalement Georges Vedel écrivait que le pouvoir de révision « est constituant par ses effets », mais « il est constitué par ses conditions d'exercice » (Georges Vedel, Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, réimpression, 1989, p.160). « Si l'organe constituant existe en vertu d'une Constitution en vigueur, il est constituant par son objet, mais constitué quant à sa compétence » (Ibid., p.277).
[11]. Georges Vedel, « Shengen et Maastricht : à propos de la décision n°91-294 DC du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1991 », Revue française de droit administratif, 1992, p.179.
[12]. Georges Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs, 1993, n° 67, p.90. C'est nous qui soulignons.
[13]. Comme on l'a expliqué plus haut, Olivier Beaud emploie le terme « pouvoir constituant » (tout court) à la place du « pouvoir constituant originaire » et celui « pouvoir de révision » à la place du « pouvoir constituant dérivé ».
[14]. Voir Beaud, « La souveraineté de l'Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », op. cit., p.1048-49.
[15]. Voir Ibid., p.1048-1049, 1059, 1061-1063.
[16]. Ibid., p.1049.
[17]. Ibid., p.1048.
[18]. Ibid., p.1059.
[19]. Ibid., p.1048. « Seul le pouvoir constituant du peuple peut remettre en cause la souveraineté » (Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.476).
[20]. Dmitri Georges Lavroff, Droit constitutionnel de la Ve République, Bordeaux, Librairie Montaigne, Cours polycopié, Année universitaire 1993-1994, p.110.
[21]. En effet, Olivier Beaud veut définir l'acte constituant strictement par son objet et non pas par son auteur. Par exemple le référendum du 21 septembre 1992 était un acte constituant, « ce n'est pas à cause de la qualité de l'auteur de l'acte - le peuple - mais à cause de l'objet de l'acte » (Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.484). Mais puisqu'il définit le pouvoir constituant par son objet et que celui-ci est la souveraineté, le titulaire de ce pouvoir sera nécessairement le souverain, c'est‑à‑dire peuple.
[22]. Gérard Conac, « Article 11 », in Françoise Luchaire et Gérard Conac (sous la direction de), La Constitution de la République française, Paris, Economica, 2e édition, 1987, p.439.
[23]. Nous soulignons le mot « juridiquement », car Georges Burdeau est d'autre avis quand il s'agit du point de vue politique. Voir Georges Burdeau, Traité de science politique, Paris, L.G.D.J., 3e édition, 1983, tome IV, p.240.
[24]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t. IV, p.240.
[25]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.483.
[26]. Ibid.
[27]. Le professeur Olivier Beaud affirme la même chose pour la ratification du Traité de Maastricht (Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1063-1064).
[28]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.460.
[29]. Signalons que le professeur Olivier Beaud emploie l'expression « pouvoir constituant » tout court à la place de celle « pouvoir constituant originaire » et l'expression « pouvoir de révision » à la place du « pouvoir constituant dérivé » (Olivier Beaud, « Maastricht et la théorie constitutionnelle », Les Petites affiches, 31 mars 1993, n° 39, p.19.
[30]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.460.
[31]. Dmitri Georges Lavroff, Le système politique français : Constitution et pratique politique de la Ve République, Paris, Dalloz, 5e édition, 1991, p.170-174.
[32]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », op. cit., p.1048.
[33]. Ibid., p.1049.
[34]. Olivier Beaud écrit que « la manifestation par excellence de la souveraineté est la maîtrise de la Constitution » (Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.460.
[35]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », op. cit., p.1048, 1049.
[36]. Ibid., p.1049.
[37]. Ibid., p.1048.
[38]. Ibid. : « Seul le peuple en tant que souverain peut aliéner ou échanger sa souveraineté ».
[39]. Ibid.
[40]. Ibid., p.1049.
[41]. Ibid.
[42]. Ibid.
[43]. Ibid. C'est nous qui soulignons.
[44]. Ibid.
[45]. Ibid., p.1051. Ou bien l'existence de l'Etat en tant qu'une entité souverain.
[46]. Ibid.
[47]. Ibid., p.1049.
[48]. Ibid., p.1062.
[49]. Ibid., p.1050.
[50]. Ibid.
[51]. Ibid.
[52]. Ibid., p.1051.
[53]. Ibid. Seul un acte constituant est « en mesure d'abolir la souveraineté de l'Etat » (Ibid., p.1063).
[54]. Ibid., p.1050.
[55]. Ibid., p.1051.
[56]. Ibid.
[57]. Ibid., p.1047.
[58]. Ibid., p.1051.
[59]. Ibid., p.1050.
[60]. Ibid., p.1051.
[61]. Ibid., p.1061.
[62]. Ibid., p.1061-1062.
[63]. Ibid., p.1063.
[64]. Ibid., p.1059.
[65]. Ibid., p.1060.
[66]. Ibid., p.1063.
[67]. Ibid.
[68]. Ibid.
[69]. Georges Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs, 1993, n° 67, p.80-81.
[70]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », op. cit., p.1050. C'est nous qui soulignons.
[71]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.491.
[72]. Ibid., p.482.
[73]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », op. cit., p.1062. C'est nous qui soulignons.
[74]. Ibid.
[75]. Ibid., p.1050.
[76]. Ibid., p.1051.
[77]. Olivier Beaud pense qu'« il existe une hiérarchie matérielle au sein de la Constitution en vertu de laquelle la principe de souveraineté prévaut sur toute autre disposition constitutionnelle qui y porte atteinte » (Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.491).
[78]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », op. cit., p.1054.
[79]. Ibid., p.1059.
[80]. Ibid., p.1061.
[81]. Ibid., p.1061-1062.
[82]. Ibid., p.1062.
[83]. Ibid., p.1064.
[84]. Ibid., p.1063.
[85]. C.C., n°92-312 DC du 2 septembre 1992, Traité sur l'Union européenne (Maastricht II), 19e considérant, Journal officiel, 3 septembre 1992, p.12096.
[86]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat, le pouvoir constituant et le traité de Maastricht », op. cit., p.1056.
[87]. Selon Olivier Beaud, dans les démocraties, le souverain est le peuple (Ibid., p.1049).
[88]. Ibid., p.1048.
[89]. Ibid., p.1063.
[90] Ibid.
[91]. Ibid., p.1059.
[92]. Même celle-ci peut être révisée en deux temps. La validité juridique de cette disposition est discuté dans le premier chapitre de la première partie.
[93]. Car, il définit l'acte constituant par son objet et non pas par le qualité de son auteur (Ibid., p.1064).
[94] Car, l'objet de cet acte était constituant (Ibid., p.1064).
[95]. Voir surtout Ibid., p.1048. Olivier Beaud définit la Constitution « comme la loi suprême régissant le pouvoir politique d'un Etat » (Ibid., p.1049). Et selon lui la Constitution fait l'objet de la souveraineté du peuple (Ibid.).
[96]. Lavroff, Droit constitutionnel de la Ve République, op. cit., p.64.
[97]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », op. cit., p.1048.
[98] Voir par exemple Josèphe Barthélemy et Paul Duez, Traité de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1933 (réédition : Economica, 1985), p.123-137 ; B. Mirkine Guetzévitch, Les nouvelles tendances du droit constitutionnel, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1936, p.117-165 ; Maurice Batellli, Les institutions de démocratie semi-directe en droit suisse et comparé moderne, (Thèse, Université de Genève), Paris, Sirey, 1932, p.161-247; Fabre, op. cit., p.226-228; Georges Burdeau, Francis Hamon et Michel Troper, Droit constitutionnel, Paris, L.G.D.J., 22e édition, 1991, p.101-102 ; Jacques Cadart, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Economica, 3e édition, 1990, tome I, p. 206-209 ; Charles Debbasch, Jean-Marie Pontier, Jacques Bourdon et Jean-Claude Ricci, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Economica, 3e édition, 1990, p.50-51 ; Claude Leclercq, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Litec, 7e édition, 1990, p.184-185 ; Georges Vedel, Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, (réimpression, 1989), p.139-140.
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