SITE INTERNET DU DROIT CONSTITUTIONNEL TURC [www.anayasa.gen.tr]

 

 TÜRK ANAYASA HUKUKU SÝTESÝ [www.anayasa.gen.tr]

 


Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p.

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 volumes, 774 pages.

http://www.anayasa.gen.tr/these.htm


 

http://www.anayasa.gen.tr/these.htm

 

  

Cliquez ici pour le format PDF

 

 

Première partie
les limites à la révision constitutionnelle

 

 

 

 

Après avoir montré, dans le titre préliminaire, que le pouvoir de révision constitutionnelle est susceptible d'être limité, dans cette partie, nous nous poserons la question de savoir quelles sont les limites qui s'imposent à l'exercice de ce pouvoir.

D'abord, si l'on regarde les textes constitutionnels, on découvre tout de suite que les constitutions elles-mêmes prévoient des limites à leur révision ; c'est-à-dire qu'il y a des limites à la révision constitutionnelle qui figurent expressément dans les textes constitutionnels. Ces limites feront l'objet du titre premier de cette partie.

Cependant, quand il s'agit de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle, certains auteurs ne se contentent pas d'énumérer les limites à la révision constitutionnelle prévues expressément par la constitution, allant encore plus loin, ils proposent d'autres limites à l'exercice de ce pouvoir. C'est pourquoi, nous avons réservé le deuxième titre de cette première partie à l'étude de la question de savoir s'il y a des limites à la révision constitutionnelle non inscrites dans les textes constitutionnels.

 


 

 

 

 

 

Titre 1
les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les Textes constitutionnels

 

 

 

 

Les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels font l'objet de ce titre. Ainsi nous allons d'abord voir l'inventaire de ces limites (Chapitre 1) et ensuite la question de leur valeur juridique (Chapitre 2).

 

 

 

 

Chapitre 1
L'inventaire des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels

 

 

Cliquez ici pour le format PDF

 

 

Dans cette section nous nous efforcerons d'énumérer et de décrire les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels. Mais il est évident qu'un tel travail d'inventaire ne peut pas porter sur l'ensemble des pays du monde, à moins d'y réserver une étude monographique tout entière. Or, notre thèse a pour objet de rechercher la validité des limites à la révision constitutionnelle, et non pas de faire une étude descriptive de ces limites. Cependant sans les connaître, on ne peut pas étudier leur validité. C'est pourquoi, nous avons procédé à l'inventaire des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels seulement dans deux pays : la France et la Turquie.

Mais, avant de procéder à l'inventaire des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution française de 1958 et dans celui de la Constitution turque de 1982, il convient de faire une typologie générale de ces limites.

La typologie générale des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels

Si l'on regarde les textes constitutionnels, on trouve plusieurs dispositions qui réglementent la révision constitutionnelle. Une partie de ces dispositions organise l'organe chargé de la révision constitutionnelle, d'autres parties déterminent la procédure suivant laquelle cet organe peut adopter une loi constitutionnelle. Enfin une autre partie de ces dispositions imposent des limites à la révision constitutionnelle. Ainsi, les constitutions interdisent leurs révisions pendant un certain délai ou sur tel ou tel point. Par conséquent il y a principalement deux types de limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels : les limites matérielles et les limites temporelles.

A. Les limites matérielles

Si l'on examine les textes, on voit que quelques constitutions interdisent la révision de certaines de leurs dispositions. On appelle ces interdictions les limites matérielles, les limites de fond ou les limites relatives à l'objet de la révision. En d'autres termes, quelques constitutions contiennent des dispositions intangibles, autrement dit des clauses irréformables. On entend par là les dispositions constitutionnelles qui ne peuvent pas être révisées par la procédure de révision constitutionnelle[1]. Ainsi si la constitution prévoit une telle intangibilité, la révision de la constitution ne peut pas porter sur toutes les matières.

Pourquoi une constitution exclut de toute révision certaines de ses dispositions ? Comme nous allons le voir plus tard, les constitutions déclarent intangibles en général les principes qu'elles jugent essentiels pour l'existence du régime politique qu'elles ont établi. Le but de ces interdictions est donc de protéger les bases fondamentales du système étatique.

On trouve les limites matérielles dans les plusieurs constitutions. En 1985, parmi les 142 constitutions écrites, Marie-Françoise Rigaux dénombre 38 constitutions qui consacrent le principe de l'immutabilité de certaines matières constitutionnelles[2].

1. La limite matérielle la plus rencontrée est celle de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement. En France depuis la loi du 14 août 1884, les Constitutions interdisent de réviser la forme républicaine du gouvernement. La même interdiction figure aussi dans les Constitutions italienne (art.139)[3], portugaise (art.288, al.3) et turque (art.4). L'intangibilité de la forme républicaine du gouvernement se retrouve également dans les pays africains : l'Algérie (art.195), le Cameroun (art.37), la Côte-d'Ivoire (art.73), la République centrafricaine (art.42), la Guinée équatoriale (art.59), le Gabon (art.85), le Madagascar (art.108), le Mali (art.76), le Sénégal (art.89), et le Togo (art.53).

2. Avec le même souci, mais dans le sens inverse, certaines constitutions monarchiques déclarent intangibles la forme monarchique de l'Etat. Ainsi au Maroc (art.101) et au Koweït (art.175) ce sont les dispositions constitutionnelles relatives au régime monarchique qui ne peuvent faire l'objet d'une révision. De même autrefois, les Constitutions iranienne de 1906 et grecque de 1952 interdisaient la révision de la forme monarchique de l'Etat.

3. D'autre part, dans certains Etats fédéraux, c'est la structure fédérale de l'Etat qui est intangible. Par exemple, selon la Constitution allemande (art.79, al.3) « toute révision de la présente Loi fondamentale qui toucherait à l'organisation de la Fédération en Länder, au principe de la participation des Länder à la législation... est interdite ». La Constitution brésilienne du 5 octobre 1988, elle aussi, interdit de réviser la forme fédérative de l'Etat (art.60).

4. Par contre, en Turquie, c'est le caractère unitaire de l'Etat qui est intangible (art.3). De même, la Constitution portugaise prévoit que « les lois de révision constitutionnelle doivent respecter... l'unité de l'Etat » (art.288, al.1, a).

5. Une autre interdiction qui l'on rencontre dans divers Etats est assez intéressante : c'est l'interdiction de réviser les fondements idéologiques de l'Etat[4]. Par exemple, la Constitution algérienne (art.195) consacre l'inaltérabilité de son organisation socialiste. La Constitution turque affirme l'intangibilité du nationalisme d'Atatürk (art.2). De même en Algérie (art.195), aux Comores (art.45), en Iran (non seulement la Constitution de 1979, mais aussi celle de 1906) et au Maroc (art.101), le caractère islamique de l'Etat est déclaré intangible.

6. Dans divers pays ce sont les droits de l'homme qui sont déclarés intangibles. (l'Algérie, art.195; l'Allemagne, art.1 en vertu de l'article 79 et le Portugal, art.288).

7. Une autre immutabilité prévue dans les diverses constitutions, c'est l'intégrité du territoire de l'Etat. Par exemple en Algérie (art.195), au Cameroun (art.37), au Portugal (art.288) et en Turquie (art.3) les constitutions interdisent la révision des dispositions constitutionnelles qui touchent à l'intégrité de leur territoire.

8. Nous venons d'énumérer les principales clauses irréformables rencontrées dans les différentes constitutions. Cependant il faut signaler qu'il est presque impossible de faire une liste exhaustive des limites matérielles à la révision constitutionnelle. Car, ces limites sont parfois formulées très largement.

Par exemple en Allemagne selon l'article 79, alinéa 3, les articles 1 et 20 sont intangibles. Et selon l'article 1,

 

        (1) La dignité de l'être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l'obligation de la respecter et de la protéger.

        (2) En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l'être humain des droits inviolables et inaliénables comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde.

        (3) Les droits fondamentaux énoncés ci-après lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à titre de droit directement applicable[5].

 

Quant à l'article 20, il précise que

        (1) La République fédérale d'Allemagne est un Etat fédéral démocratique et social.

        (2) Tout pouvoir d'Etat émane du peuple. Le peuple l'exerce au moyen d'élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

        (3) Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit.

        (4) Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser cet ordre, s'il n'y a pas d'autre remède possible[6].

Enfin il faut souligner que dans le domaine des limites matérielles, le record appartient à la Constitution portugaise qui prévoit 18 limites matérielles. Selon l'article 288, les principes suivants sont intangibles :

- l'indépendance nationale ;

- l'unité de l'Etat ;

- la forme républicaine du gouvernement ;

- la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- les droits, les libertés et les garanties des citoyens ;

- les droits des travailleurs, des commissions des travailleurs et des associations syndicales ;

- la coexistence du secteur public, du secteur privé et du secteur coopératif et social de propriété des moyens de production ;

- l'existence des plans économiques dans le cadre d'une économie mixte ;

- le suffrage universel, direct, secret et périodique ;

- le système de la représentation proportionnelle ;

- le pluralisme de l'expression et de l'organisation politique ;

- le pluralisme des partis politiques ;

- le droit d'opposition démocratique ;

- la séparation et l'interdépendance des organes de souveraineté ;

- le contrôle de la constitutionnalité ;

- l'indépendance des tribunaux ;

- l'autonomie des collectivités locales ;

- l'autonomie politique et administrative des archipels des Açores et de Madère.

B. Les limites temporelles

Les constitutions limitent parfois le pouvoir de révision constitutionnelle dans le temps. En d'autres termes, certaines constitutions interdisent leur révision pendant un certain laps de temps. Dans de tels cas, on parle des limites de temps du pouvoir de révision constitutionnelle.

Ces limites apparaissent de deux façons : la constitution interdit sa révision avant l'écoulement d'un certain délai à partir de sa mise en vigueur[7]. Ou bien elle exclut sa révision dans certaines circonstances. Voyons d'abord le premier cas.

1. L'interdiction de réviser la constitution avant l'écoulement d'un certain délai à partir de sa mise en vigueur

Dans ce cas, la question de révision de la constitution ne peut être posée pour la première fois qu'un certain temps après sa mise en vigueur[8]. En d'autres termes, la possibilité de révision n'est permise qu'après un certain délai[9].

Dans ce but, soit les constitutions interdisent leur révision jusqu'à une date précise, soit elles déterminent un certain délai à partir de son entrée en vigueur.

Par exemple la Constitution des Etats-Unis (art.5) interdisait la révision de la première et de la quatrième clause de la neuvième section du premier article avant l'année 1808 (art.5).

L'exemple le plus classique de l'interdiction de réviser la constitution avant l'expiration d'un certain délai est fourni par la Constitution française de 1791. Cette Constitution interdisait toute proposition de révision aux deux premières législatures, c'est‑à‑dire pendant quatre ans. De même la Constitution de Paraguay de 1967 interdit sa révision totale avant l'écoulement de dix ans, et sa révision partielle avant cinq ans à partir de sa publication (art.219).

Il faut encore signaler que certaines constitutions prévoient un laps de temps après la dernière révision. Par exemple, la Constitution portugaise de 1976 (art.284, al.1) précise que « l'Assemblée de la République peut réviser la Constitution cinq ans révolus après la date de la publication de la dernière loi de révision constitutionnelle ». Il en va de même pour la Constitution grecque de 1975 (art.110, al.6).

Enfin, une autre sorte de limitation du pouvoir de révision constitutionnelle dans le temps consiste à prévoir deux délibérations successives séparées par un intervalle de temps pour l'adoption des lois constitutionnelles. Par exemple, la Constitution italienne de 1947 (art 138, al.1) prévoit un intervalle de trois mois au moins entre deux délibérations. De même, la Constitution française de 1946 (art.90) obligeait l'Assemblée nationale à adopter la résolution de révision en deux lectures séparées d'au moins trois mois. Enfin la Constitution de 1791 introduisait un délai assez long pour allonger la procédure. Le voeu de révision devait être émis par trois législatures consécutives (titre VII, art.2) et c'est seulement au cours de la quatrième législature que la révision pouvait être réalisée (titre VII, art.2). La Constitution de l'an III (art.338) et la Constitution de 1848 (art.111) prévoyaient des délais assez longs pour aboutir à une révision constitutionnelle.

Le but des limitations dans le temps est de permettre au régime nouvellement institué de se mettre en place et de s'affermir[10]. En retardant le moment où l'on pourra effectuer une révision constitutionnelle, on essaye d'assurer une certaine stabilité aux institutions nouvellement créées[11]. En d'autres termes, les limites de temps ont pour objet de permettre à une constitution nouvelle de se consolider[12]. Ainsi la constitution, en limitant le pouvoir de révision constitutionnelle dans le temps, favorise son enracinement[13].

Quant au procédé qui consiste à introduire un délai dans la procédure de révision constitutionnelle, le but est d'éviter les révisions brusques[14]. Ainsi l'on exige que « les modifications qui seront apportées à la constitution le soient après la réflexion »[15].

2. L'interdiction de réviser la constitution dans certaines circonstances

Parfois les constitutions interdisent leur révision dans certaines hypothèses. A cette occasion, on parle de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle dans les circonstances. Paolo Biscaretti di Ruffia parle des « périodes particulièrement délicates de la vie de l'Etat »[16]. Le but de ces limitations « est d'interdire la révision à certaines époques en raison des circonstances, afin d'éviter toute révision sous la pression des événements »[17].

1. Ainsi certaines constitutions interdisent leur révision lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire. Par exemple la Constitution française de 1946, instruite par l'expérience du 10 juillet 1940, interdisait sa révision « au cas d'occupation de tout ou partie du territoire métropolitain par des forces étrangères » (art.94). La même interdiction se retrouve dans la Constitution de 1958 (art.89, al.4). Une interdiction analogue est également adoptée par certains Etats africains (le Mali, art.76 ; la Côte-d'Ivoire, art.73 ; le Gabon, art.84 ; le Togo, art.53).

2. D'autre part, on trouve dans certaines constitutions monarchiques l'interdiction de réviser la constitution en période de régence. Par exemple, selon la Constitution belge, « pendant une régence aucun changement ne peut être apporté à la Constitution en ce qui concerne les pouvoirs constitutionnels du Roi et les articles 85 à 88, 91 à 95, 106 et 197 de la Constitution » (art.197 de la nouvelle Constitution belge du 17 février 1994, art.84 de la Constitution du 7 février 1831).

3. Dans le même sens, certaines constitutions républicaines interdisent leur révision pendant l'intérim de la présidence de la république. Par exemple, selon la Constitution française de 1958, la révision de la Constitution ne peut pas intervenir « durant la vacance de la Présidence de la République ou durant la période qui s'écoule entre la déclaration du caractère définitif de l'empêchement du Président de la République et l'élection de son successeur » (art.7, dernier alinéa).

4. Une autre limite circonstancielle qui se rencontre dans plusieurs constitutions, c'est l'interdiction de réviser la constitution pendant les états exceptionnels. Par exemple, selon la Constitution espagnole, la révision de la Constitution est interdite en temps de guerre ou lorsque l'état d'urgence, ou l'état d'exception, ou l'état de siège est en vigueur (art.169). De même, l'article 289 de la Constitution portugaise précise qu'« aucun acte de révision constitutionnelle ne peut être accompli pendant l'état de siège ou l'état d'urgence ». La Constitution belge interdit la révision de la Constitution en temps de guerre (art.196 de la nouvelle Constitution belge du 17 février 1994; art. 131bis de la Constitution de 1831). Egalement la Constitution brésilienne du 5 octobre 1988 exclut la révision de la Constitution pendant l'état de défense ou l'état de siège (art.60). En France, selon la décision du Conseil constitutionnel du 2 septembre 1992, la révision de la Constitution est interdite lorsque l'article 16 est en application. Ces interdictions ont pour objet d'éviter les révisions constitutionnelles dans une phase où les conditions de légalité démocratique sont fragiles.

C. Les conditions de forme

Après avoir vu les limites de fond et celles de temps, nous allons voir à présent les conditions de forme de la révision constitutionnelle. Nous entendons par « conditions de forme », les conditions qui sont exigées pour la proposition, l'adoption et la ratification des lois de révision constitutionnelle, comme la proposition par un certain nombre de parlementaires, comme la condition de deux délibérations, comme celle de dissolution de l'assemblée qui a proposé la révision, comme la condition de l'adoption par les majorités qualifiées, ou la présence d'un quorum spécial lors des votes du Parlement. Par exemple, comme nous allons le voir plus tard, la Constitution française de 1958 n'impose pas seulement des limites à la révision constitutionnelle, mais elle détermine aussi des conditions de forme dans la procédure de révision constitutionnelle. Ainsi selon l'article 89, l'initiative de la révision du président de la République ne peut s'exercer que sur proposition du Premier ministre. De même « le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques » (art.89, al.2).

Soulignons que nous utilisons l'expression des « conditions » de forme, et non pas celle des « limites » de forme. Car, à notre avis les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de forme de la révision constitutionnelle ne sont pas tout à fait la même chose.

Pour montrer cette différence, commençons d'abord par la définition des termes « limite » et « condition ». Le dictionnaire Petit Robert définit le terme limite comme « point que ne peut ou ne doit pas dépasser une activité, une influence ». Ainsi nous pouvons définir les limites à la révision constitutionnelle comme les points que ne doit pas dépasser le pouvoir de révision constitutionnelle. Le même dictionnaire définit le terme condition (dans le sens de circonstance), comme « état, situation, fait dont l'existence est indispensable pour qu'un autre état, un autre fait existe ». Alors, les conditions de la procédure de révision constitutionnelle sont des états, des situations, des faits dont l'existence est indispensable pour qu'une loi de révision constitutionnelle existe.

Recherchons ainsi la différence entre les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de la procédure de révision constitutionnelle. Posons aussi cette question : si le pouvoir de révision constitutionnelle a dépassé ses limites, quelles en seront les conséquences ? De même si le pouvoir de révision constitutionnelle n'a pas rempli les conditions exigées pour son exercice, quelles en seront les conséquences ? En d'autres termes, y a-t-il des différences entre les conséquences de la violation des limites à la révision constitutionnelle et les conséquences de la violation des conditions de procédure de révision constitutionnelle ?

Supposons que le pouvoir de révision constitutionnelle ait adopté une loi de révision constitutionnelle en dépassant une limite à la révision constitutionnelle. En théorie, la conséquence du dépassement de cette limite est l'invalidité de la partie de la loi constitutionnelle qui a dépassé cette limite. En d'autres termes, le dépassement d'une limite n'entraîne pas en principe l'invalidité complète de la loi constitutionnelle en question. Ainsi s'il y a d'autres parties de la loi constitutionnelle qui ne sont pas contraires à cette limite, elles restent valables. Maintenant supposons que le pouvoir de révision constitutionnelle ait adopté la même loi constitutionnelle, sans remplir une condition de forme exigée pour l'adoption de cette loi, par exemple qu'il ait adopté cette loi à la majorité simple, au lieu d'une majorité qualifiée. La conséquence de la violation de cette condition est l'invalidité complète de la loi de révision constitutionnelle. Car cette condition, c'est‑à‑dire l'adoption de cette loi à la majorité qualifiée, est indispensable pour l'existence de cette loi constitutionnelle. En d'autres termes, le fait que le pouvoir de révision constitutionnelle n'a pas rempli les conditions de la procédure de révision constitutionnelle signifie qu'il n'existe pas une activité du pouvoir de révision constitutionnelle. C'est-à-dire qu'une loi constitutionnelle adoptée en violation des conditions de procédure n'est pas du tout une loi constitutionnelle. Autrement dit, une loi constitutionnelle ne peut être adoptée que dans le cadre déterminé par la constitution. Car, le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut exprimer sa volonté qu'en respectant les conditions de procédure de révision constitutionnelle. Le fait que la révision constitutionnelle est faite contrairement aux conditions de procédure signifie qu'il n'existe pas de volonté valablement exprimée du pouvoir de révision constitutionnelle.

En conséquence, il y a une différence théorique entre la conséquence de la violation d'une limite à la révision constitutionnelle et celle de la violation d'une condition de procédure de révision constitutionnelle. La première n'affecte pas l'existence de la loi constitutionnelle en tant que telle, mais elle entraîne seulement l'invalidité de la partie de la loi constitutionnelle qui a dépassé la limite. Par contre la deuxième entraîne l'invalidité totale de la loi constitutionnelle en question. C'est pourquoi, les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de procédure de révision constitutionnelle sont deux choses différentes.

Cependant, à notre avis, il faut ici examiner non seulement les limites à la révision constitutionnelle, mais aussi les conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle ; car, il n'existe pas de différence entre les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de procédure de révision constitutionnelle du point de vue du juge constitutionnel. En effet, la différence théorique qui existe entre les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de procédure n'entraînerait pas des conséquences différentes dans un éventuel contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Parce que, si le juge constitutionnel est compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il peut censurer une loi constitutionnelle en raison du fait que, soit elle a dépassé ses limites, soit elle n'a pas rempli les conditions de procédure exigées. En effet, les limites à la révision constitutionnelle ou les conditions de procédure de révision constitutionnelle ne sont pas d'autres choses que des dispositions de la constitution qui règlent la révision constitutionnelle. La violation de ces règles peut entraîner l'annulation de la loi constitutionnelle par le juge constitutionnel, si ce dernier est compétent pour contrôler la constitutionnalité des ces lois. En d'autres termes, les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de procédure de révision constitutionnelle, toutes ensemble, constituent des règles de référence dans le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. C'est-à-dire que le juge constitutionnel, s'il se considère comme compétent, peut annuler une loi constitutionnelle pour cause de violation d'une condition de procédure de révision constitutionnelle, aussi bien que pour le motif du dépassement d'une limite à la révision constitutionnelle. Par exemple, si un jour le Conseil constitutionnel français se déclare compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il peut censurer une loi constitutionnelle non seulement pour le non-respect des limitations découlant des articles 7, 16, 89, al.4 et 5, mais aussi pour le non-respect des prescriptions des alinéas 1, 2 et 3 de l'article 89 de la Constitution.

Ainsi le juge constitutionnel peut se référer non seulement aux limites à la révision constitutionnelle, mais aussi aux conditions de forme dans la procédure de révision constitutionnelle pour censurer une loi constitutionnelle. Par conséquent à cet égard, il n'y a pas de différence entre les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de procédure de révision constitutionnelle. Quand il s'agit du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, les conditions de procédure peuvent jouer le même rôle que celui des limites qui s'imposent à la révision constitutionnelle. Elles peuvent être traitées à coté des limites de fond et celles de temps. En conséquence, selon cette réponse, il y a trois types de règles de références dans le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles : les limites de fond, les limites de temps et les conditions de forme.

Toutes les trois peuvent entraîner l'annulation des lois constitutionnelles, si le juge constitutionnel se considère comme compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des ces lois. Par conséquent, dans notre travail, nous devons examiner non seulement les limites à la révision constitutionnelle, mais aussi les conditions de forme. En effet comme on l'a déjà dit, les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de forme ne sont pas autres choses que des dispositions de la constitution qui déterminent la compétence du pouvoir de révision[18]. C'est pourquoi, après avoir vu les limites de fond et celles de temps, nous allons voir ici brièvement les conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle.

Comme on l'a déjà dit, le pouvoir de révision constitutionnelle est un pouvoir qui s'exerce dans le cadre déterminé par les constitutions. Ce cadre est appelé communément la « procédure de révision constitutionnelle ». Les constitutions déterminent ordinairement – mais pas nécessairement – la procédure de révision constitutionnelle en trois phases : l'initiative, l'élaboration et la ratification de la loi de révision constitutionnelle[19].

1. L'initiative de la révision

Le pouvoir de l'initiative de la révision constitutionnelle peut être conféré exclusivement à l'organe exécutif, ou exclusivement à l'organe législatif, ou bien il peut être partagé entre l'exécutif et le législatif. Il peut même être accordé au peuple.

L'initiative accordée exclusivement à l'exécutif.- Par exemple, selon la Constitution française de 1852 (art.31), la proposition de révision du Sénat devait être adoptée par le Pouvoir exécutif. De même le Sénatus-consulte fixant la Constitution de l'Empire du 21 mars 1870 précisait que « la Constitution ne peut être modifiée que par le peuple sur la proposition de l'empereur » (art.44).

L'initiative accordée exclusivement au législatif.- L'exemple le plus connu est celui de la Constitution des Etats-Unis. Cette Constitution accorde le pouvoir de proposer les amendements à la Constitution exclusivement au Congrès ou aux législatures des Etats (art.5). Ainsi aux Etats-Unis, l'exécutif n'a pas le pouvoir de proposer les amendements constitutionnels. De même selon la Constitution des Philippines, le pouvoir de proposer la révision constitutionnelle appartient exclusivement au Congrès. La Constitution turque, quant à elle, attribue ce pouvoir à seul un tiers de membres de l'Assemblée nationale (art.175).

L'initiative accordée à l'exécutif et au législatif.- C'est la formule qui est la plus répandue. Par exemple en France, l'initiative de la révision de la Constitution est partagée entre les membres du Parlement et le président de la République (art.89, al.1). En Espagne aussi, l'initiative de la révision appartient au Gouvernement, au Congrès, et au Sénat (art.166, art.87).

L'initiative accordée aussi au peuple.- Lorsque le peuple a aussi le pouvoir de proposer une révision constitutionnelle on parle de l'initiative populaire. C'est le cas en Suisse, au Liechtenstein, en Corée du Sud et en Uruguay.

Voyons maintenant les conditions de forme dans la phase de l'initiative de la révision.

Les initiatives venant de l'exécutif ne sont pas en général soumises à des conditions particulières. Cependant, en France, le pouvoir de l'initiative du président de la République est soumise à une condition : il s'exerce sur la proposition du Premier ministre.

Quant aux initiatives parlementaires, dans certaines constitutions elles n'obéissent pas à des conditions particulières. Par exemple en France, un membre du Sénat ou de l'Assemblée nationale peut déposer une proposition de révision. Par contre dans d'autres constitutions, les initiatives parlementaires sont soumises à des conditions particulières, comme la signature de la proposition par un certain nombre des parlementaires. Par exemple selon la Constitution grecque de 1975, la proposition de révision doit être faite par au moins cinquante députés (art.110, al.2). Dans d'autres pays cette condition est déterminée comme un taux des membres du parlement. Par exemple selon l'article 175, al.1, de la Constitution turque, « les révisions constitutionnelles peuvent être proposées par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande assemblée nationale ». Il en va de même pour, le Brésil, le Cameroun, la Corée du Sud, la République centrafricaine, la Mauritanie. Parmi les pays qui exigent cette condition, le Burundi et le Maroc se contentent de la signature de la proposition par un quart au moins des membres du parlement. En Algérie, en Libye, en Tunisie, au Gabon et en Uruguay les révisions peuvent être proposées par la majorité absolue des parlementaires. La condition la plus lourde en ce domaine est sans doute celle qui exige la signature de la proposition par les deux tiers au moins des membres du parlement. L'Argentine, la Bolivie, le Guatemala, Monaco et le Rwanda exigent une telle majorité pour la proposer une révision de la constitution. De même l'article 5 de la Constitution des Etats-Unis prévoit que la proposition de révision constitutionnelle doit être faite par les deux tiers des chambres ou par les législatures des deux tiers des Etats.

Les initiatives populaires sont soumises à une condition semblable : la proposition de la révision constitutionnelle doit être signée par un certain nombre d'électeurs. Ce nombre est fixé parfois comme un chiffre absolu, parfois comme un pourcentage du nombre total des électeurs. Par exemple en Suisse la proposition de révision constitutionnelle doit être signée par 100 000 électeurs au moins. Au Liechtenstein ce chiffre est de 900, en Corée du Sud de 500 000. En Uruguay, c'est 10 % des électeurs.

 

 

 

2. L'élaboration de la révision

Dans cette deuxième phase de la procédure de révision, on décide si l'on doit prendre l'initiative en considération et lui donner suite. Cette décision est prise tantôt par une assemblée réunie à cette fin, tantôt par les assemblées ordinaires.

Dans le premier cas, on parle d'assemblée constituante ou de convention. Par exemple, selon la Constitution des Etats-Unis, l'une des procédures de ratification est la ratification des amendements constitutionnels par les trois quarts des conventions réunies à cet effet dans chacun des Etats (art.5). Aux Philippines (art.XV), au Guatemala (art.269) et en Uruguay (art.331) le principe de révision par une assemblée constituante est prévu.

La forte majorité des constitutions donne ce pouvoir aux organes législatifs ordinaires. Cependant pour assurer la rigidité de la constitution, ces constitutions exigent les conditions plus solennelles que celles prévues pour l'adoption des lois ordinaires. Nous allons citer ici quelques unes de ces conditions.

(1) Tout d'abord, il convient de préciser que certaines constitutions prévoient la dissolution du parlement qui a proposé la révision constitutionnelle. Par exemple les Constitutions belge (art.195, al.2), danoise (art.88), hollandaise (art.137, al.3), islandaise et luxembourgeoise (art.114) prévoient la dissolution des assemblées législatives qui ont proposé la révision constitutionnelle. En Espagne la dissolution des Cortès est prévue pour la révision complète de la Constitution ou pour une révision qui affecte le titre préliminaire, le deuxième chapitre, section 1 du titre I ou le titre II (art.168, al.1).

(2) Dans certains pays dont les parlements sont bicaméraux, pour assurer l'égalité des assemblées en matière de révision constitutionnelle, la constitution prévoit l'adoption de la proposition de la révision en termes identiques. Par exemple en France, « le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques ». Ainsi, aucune révision de la Constitution ne peut être valablement réalisée par la voie de l'article 89 sans l'accord des deux chambres. La Constitution allemande donne aussi des pouvoirs égaux au Bundestag et au Bundesrat. Selon l'article 79, alinéa 2, la loi de révision constitutionnelle « doit être approuvée par les deux tiers des membres du Bundestag et les deux tiers des voix du Bundesrat ».

(3) Une autre condition dans cette phase de la procédure de révision constitutionnelle est l'exigence d'une double délibération. Par exemple l'Italie, le Danemark, la Finlande, la Suède, la Turquie, le Brésil, l'Algérie, la Colombie, le Nicaragua, le Pérou, et la Tunisie prévoient deux délibérations successives pour l'adoption du texte de la proposition des lois de révision constitutionnelle. Certaines constitutions, allant encore plus loin, exigent trois délibérations : le Kenya, Cuba, la Malaisie, l'Ouganda. Dans ce domaine, le record appartient au Costa-Rica. La Constitution du Costa-Rica du 7 novembre 1949 (art.195) prévoit six délibérations.

(4) D'autre part certaines constitutions introduisent des délais spéciaux dans la procédure de révision constitutionnelle. Les exemples en sont fournis par les anciennes Constitutions françaises. La Constitution de 1791 introduisait un délai assez long dans la procédure. Le voeu de révision devait être émis par trois législatures consécutives (titre VII, art.2) et c'est seulement au cours de la quatrième législature que la révision pouvait être réalisée (titre VII, art.2). La Constitution de l'an III (art.338) et la Constitution de 1848 (art.111) prévoyaient des délais assez longs pour aboutir à une révision constitutionnelle. De même la Constitution de 1946 (art.90) obligeait l'Assemblée nationale à adopter la résolution de révision en deux lectures séparées d'au moins trois mois. Les exemples contemporains sont nombreux : la Constitution italienne de 1947 (art 138, al.1) prévoit un intervalle de trois mois au moins entre deux délibérations. Il en va de même pour la Tunisie. Cette durée est de deux mois pour l'Algérie. La Constitution de la Corée du Sud prévoit un délai d'un mois entre la proposition et la première délibération, non pas entre deux délibérations.

(5) Sans doute la condition la plus importante exigée dans cette phase est celle de majorité. Les constitutions prévoient différentes majorités pour l'adoption de la proposition de la révision constitutionnelle en fonction de leur rigidité. Celles-ci varient de la majorité relative à la majorité des quatre cinquièmes.

(a) Les constitutions les moins rigides se contentent de prévoir l'adoption de la proposition à la majorité relative. Par exemple en France, comme pour les lois ordinaires, les projets ou les propositions de révision constitutionnelle sont votés à la majorité relative, c'est‑à‑dire à la majorité absolue des suffrages exprimés sans prise en compte des absences ou des abstentions. Il faut signaler toutefois que le projet ou la proposition adopté à la majorité relative doit être approuvé par référendum (art.89, al.2) ou le projet doit être approuvé par les trois cinquièmes des suffrages exprimés au Parlement réuni en Congrès (art.89, al.3).

(b) Certaines constitutions exigent la majorité absolue des membres du parlement, et non pas celle des suffrages exprimés. Par exemple, la Constitution italienne exige « la majorité absolue des membres de chacune des Chambres lors du second vote » pour l'adoption des lois de révision constitutionnelle (art.138, al.1). Il en va de même pour le Cameroun, l'Algérie, le Maroc, l'Equateur, le Nicaragua, le Pérou, et l'Australie.

(c) D'autre part, il y a des constitutions qui prévoient l'adoption des lois de révision constitutionnelle à la majorité des trois cinquièmes. Par exemple, selon la Constitution espagnole (art.167, al.1), « les projets de révision constitutionnelle devront être adoptés par une majorité des trois cinquièmes dans chacune des Chambres ». De même en Turquie, selon l'une des deux voies possibles, la proposition de révision doit être adoptée à la majorité des trois cinquièmes du nombre total des membres de l'Assemblée nationale (art.175).

(d) En effet, parmi les conditions d'adoption par les majorités qualifiées, la solution la plus répandue est celle de la majorité des deux tiers. Plusieurs constitutions exigent l'adoption de la proposition ou du projet de révision à la majorité des deux tiers. Par exemple selon l'article 79, al.2 de la Constitution allemande, la loi de révision constitutionnelle « doit être approuvée par les deux tiers des membres du Bundestag et les deux tiers des voix du Bundesrat ». L'adoption par la majorité des deux tiers est également exigée par les Constitutions autrichienne (art.44: des voix exprimées), italienne (art.138, al.3 : des membres, selon une des hypothèses envisagées), espagnole (art.167, al.2 : si le projet a été adopté par la majorité absolue du Sénat. Ou dans la procédure renforcée prévue par l'article 168), portugaise (art.286, al.1 : des députés effectivement en fonction) et turque (art.175, al.3 : du nombre total des membres de l'Assemblée, selon une des voies possibles).

(e) Une solution encore plus rigide consiste à exiger l'adoption des propositions par une majorité des trois quarts. Par exemple le Tchad, l'Ethiopie, la Côte d'Ivoire, les Philippines et le Kenya prévoient les majorités des trois quarts des membres du parlement pour l'adoption des lois de révision constitutionnelle.

(f) Enfin la solution la plus rigide est choisie par la Constitution du Dahomey du 11 février 1964 (art.99, al.3) et celle du Rwanda du 24 novembre 1962 (art.107, al.3). Ces Constitutions exigent l'adoption de la proposition de révision par une majorité des quatre cinquièmes des membres de leur parlement. Il faut signaler que la Constitution portugaise prévoit « la majorité des quatre cinquièmes des députés effectivement en fonction » pour réviser à tout moment la Constitution (art.284, al.2) ; sinon, pour réviser la Constitution à la majorité des deux tiers des députés, il faut attendre que cinq ans soient révolus après la date de la publication de la dernière loi de révision ordinaire (art.284, al.1).

Comme on peut le remarquer, les constitutions déterminent non seulement les majorités qualifiées exigées, mais aussi la base du calcul de cette majorité. Par exemple les Constitutions allemande (au Bundesrat), italienne, portugaise et turque imposent le calcul de la majorité sur le nombre total des membres des parlements. Par contre les Constitutions française (art.89, al.3) et autrichienne (art.44, al.1 et 2) décident de calculer la majorité sur le nombre des suffrages exprimés. Enfin, une autre partie des constitutions ne précise pas la base du calcul. Dans ce cas, on peut penser que la majorité sera calculée selon la base du calcul déterminée dans la procédure législative ordinaire. Par exemple, l'alinéa 2 de l'article 89 de la Constitution française ne précise pas la base du calcul. Il dit simplement que « le projet ou la proposition de révision doit être votée par les deux assemblées en termes identiques ». Il en résulte que le projet ou la proposition de révision doit être voté conformément à la procédure législative ordinaire, c'est‑à‑dire à la majorité relative, à savoir à la majorité des suffrages exprimés sans prise en compte des absences ou des abstentions[20].

(6) Une autre condition exigée dans la phase d'adoption des propositions est la présence d'un quorum lors des votes du parlement. Par exemple la Constitution autrichienne exige la présence de la moitié au moins des membres du Nationalrat, (art.44).

(7) Dans certaines constitutions la procédure de révision varie selon l'objet de la révision constitutionnelle. Pour la révision totale de la constitution ou celle de certaines dispositions constitutionnelles jugées essentielles, certaines constitutions prévoient une procédure spéciale dans laquelle les conditions d'adoption sont renforcées. A cet égard les constitutions exigent en général une majorité plus élevée, le recours au référendum, ou encore la dissolution des chambres. Par exemple, en Espagne, pour la révision complète de la Constitution ou une révision qui affecte le titre préliminaire, le chapitre deuxième, section 1 du titre I ou le titre II, le vote à la majorité des deux tiers dans chaque Chambre, et la dissolution des Cortès sont exigés (art.168, al.1). La Constitution autrichienne prévoit le référendum obligatoire pour la révision totale de la Constitution (art.44, al.3).

(8) Dans les Etats fédéraux, les Etats fédérés sont associés à la procédure de révision de la Constitution fédérale. Ainsi aux Etats-Unis, l'adoption de la proposition de révision par le Congrès doit être suivie de la ratification des trois quarts des Etats fédérés. De même en Suisse, les révisions constitutionnelles ne doivent pas seulement être approuvées par référendum, mais aussi être acceptées par la majorité des Cantons. La participation des Etats fédérés à la procédure de la révision de la Constitution fédérale est une règle classique du fédéralisme.

(9) En outre, dans les Etats fédéraux, il existe des conditions de forme pour protéger les Etats fédérés. Par exemple, selon la Constitution des Etats-Unis d'Amérique, « aucun Etat ne pourra être privé, sans son consentement, de l'égalité de suffrage au Sénat » (art.5). De même en Australie, la révision de la Constitution prévoyant une réduction du pourcentage de sièges détenu par un Etat dans l'une ou l'autre chambre, doit être approuvée par les électeurs de l'Etat fédéré concerné. En Autriche, les dispositions de la Constitution concernant la composition et les attributions du Conseil fédéral ne peuvent être modifiées que si, au Conseil fédéral la majorité des représentants de quatre Länder au moins s'est prononcée en faveur de la modification proposée (art.35, al.4). En Inde, les textes concernant les relations entre les Etats et l'Union doivent être ratifiés par les Parlements d'au moins la moitié des Etats.

2. La ratification de la révision

C'est la dernière phase de la procédure de révision constitutionnelle. Il s'agit d'un dernier obstacle que doivent surmonter les propositions et les projets des lois constitutionnelles adoptés par les organes compétents avant d'entrer en vigueur. Ainsi les constitutions donnent une dernière occasion de réflexion sur la révision constitutionnelle, avant qu'elle devienne définitive. C'est le droit de la ratification des lois constitutionnelles. Les constitutions, en général, attribuent ce droit au chef de l'Etat ou bien au peuple.

Avant de les exposer, il convient de noter que plupart des constitutions ne prévoient pas la ratification des lois constitutionnelles par le peuple. De plus certaines de ces constitutions ne prévoient pas non plus la ratification des lois constitutionnelles par le chef de l'Etat. Par exemple, selon la Constitution portugaise, les révisions constitutionnelles sont définitives si elles sont approuvées à la majorité des deux tiers des députés effectivement en fonction (art.286). Cette Constitution ne prévoit pas la ratification des lois constitutionnelles par référendum. De plus elle précise que « le président de la République ne peut refuser de promulguer la loi de révision » (art.286). Enfin, il faut citer comme une solution intéressante la Constitution brésilienne du 5 octobre 1988 qui prévoit la promulgation des amendements à la Constitution par le Bureau de la Chambre des Députés, et non pas par le président de la République (art.60).

Cependant certaines constitutions comportent ce dernier obstacle.

a. La ratification par le chef de l'Etat : le veto du chef de l'Etat

Ainsi certaines constitutions prévoient la ratification de la loi de révision constitutionnelle par le chef de l'Etat avant qu'elle entre en vigueur. Puisque le pouvoir de ratification contient également celui de ne pas ratifier la loi constitutionnelle, ce pouvoir peut s'analyser en effet comme un droit de veto accordé au chef de l'Etat en matière de révision constitutionnelle.

(1) La façon la plus souple de ce veto consiste en une demande d'une nouvelle délibération. Dans ce cas, le chef de l'Etat peut retarder la promulgation de la loi constitutionnelle en demandant au Parlement de procéder à une seconde délibération; mais si le Parlement adopte la même loi constitutionnelle à nouveau et avec la même majorité, le chef de l'Etat doit promulguer la loi constitutionnelle. Ce pouvoir est donc une sorte de veto suspensif accordé au chef de l'Etat en matière de révision constitutionnelle. Par exemple, en Tunisie, le président de la République peut renvoyer la loi constitutionnelle au Parlement pour une nouvelle délibération. Si l'Assemblée nationale adopte à nouveau la loi constitutionnelle par la même majorité (2/3 des membres), le président de la République doit promulguer la loi constitutionnelle en question (art.62 et 44, al.2 de la Constitution tunisienne du 1 juin 1959). Par conséquent le veto suspensif du chef de l'Etat n'est pas très efficace : il peut être levé par la même majorité du Parlement.

(2) Par contre, si le veto du chef de l'Etat ne peut être levé que par une majorité plus élevée que celle de la première délibération, le veto du chef de l'Etat en matière de révision constitutionnelle devient très efficace. Dans ce cas, le chef de l'Etat peut non seulement retarder, mais aussi empêcher l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle. Ainsi certaines constitutions exigent une majorité plus élevée dans la seconde délibération que celle la première délibération pour l'adoption de la loi constitutionnelle renvoyée au Parlement par le chef de l'Etat. Par exemple, selon la Constitution turque (art.175, al.3), le président de la République peut renvoyer à l'Assemblée nationale les lois constitutionnelles adoptées à la majorité des trois cinquièmes pour une nouvelle délibération. Dans cette nouvelle délibération, pour lever le veto présidentiel, l'Assemblée nationale doit adopter la même loi constitutionnelle à la majorité des deux tiers. Comme on le voit, le veto présidentiel alourdit la condition d'adoption de la loi constitutionnelle. Ainsi, s'il n'existe pas une majorité exigée au parlement, le chef de l'Etat peut empêcher la révision constitutionnelle par son veto.

(3) Enfin dans certains pays, le chef de l'Etat peut empêcher la révision de la constitution en toutes circonstances. Dans ce cas, on parle du veto absolu du chef de l'Etat en matière de révision constitutionnelle. Par exemple à Cuba, la Constitution ne peut être révisée que par la ratification du président de la République (art.229 de la Constitution de 1959). De même la Constitution indienne de 1949 (art.368) prévoit la ratification des lois de révision constitutionnelle par le Président. D'autre part, dans les monarchies, les rois ont le droit absolu du veto des lois constitutionnelles comme des lois ordinaires. Par exemple, en Jordanie, la loi constitutionnelle ne peut pas entrer en vigueur sans la ratification du Roi (art.126 de la Constitution de 1952). De même dans les monarchies constitutionnelles, théoriquement, les lois constitutionnelles doivent être ratifiées par les monarques. Par exemple au Danemark (art.88), aux Pays-Bas (art.139), au Luxembourg (art.114), les lois constitutionnelles doivent être sanctionnées par le Roi. Il est évident que dans les monarchies constitutionnelles européennes le droit de veto des rois reste symbolique.

b. La ratification par le peuple : le référendum constituant

Certaines constitutions prévoient la ratification de la loi de révision constitutionnelle par le peuple. Ainsi le peuple a la faculté d'empêcher la révision constitutionnelle par le moyen du référendum.

Du point de vue du recours au référendum, on distingue deux sortes de référendum : le référendum obligatoire et le référendum facultatif.

(1) Le référendum obligatoire est celui qui est applicable de plein de droit en vertu de la constitution. Il est donc automatique. Par exemple, en Suisse, le référendum est obligatoire en matière de révision constitutionnelle (art.121). En Australie, le projet ou la proposition de révision constitutionnelle adopté à la majorité absolue par chacune des chambres doit être approuvé par référendum par les électeurs de chacun des Etats (art.128, al.2). De même, selon la Constitution danoise, le projet de révision constitutionnelle adopté par le Folketing, « sera présenté, dans les six mois qui suivent le vote définitif, aux électeurs du Folketing, pour être approuvé ou rejeté au scrutin direct » (art.88). En Irlande aussi, le référendum est obligatoire en matière de révision constitutionnelle (art.46).

Comme on le voit, dans ces pays, le référendum est obligatoire pour la révision de toutes les dispositions de la constitution. Par contre dans certains pays, comme l'Autriche (art.44, al.3), le référendum est obligatoire seulement pour la révision totale de la constitution. Enfin dans d'autres constitutions, le référendum est obligatoire seulement pour la révision de certaines dispositions constitutionnelles jugées essentielles. Par exemple, selon la Constitution islandaise (art.79, al.2), le référendum est prévu seulement pour les révisions concernant l'Eglise. A Malte le référendum est obligatoire seulement pour la révision des dispositions de la Constitution mentionnées dans l'article 67, al.3. de la Constitution.

(2) Par contre le référendum facultatif est celui qui est déclenché sur la demande de certains organes de l'Etat. Dans la détermination de cet ou ces organes, les solutions adoptées varient d'un régime à l'autre. Ainsi le référendum est organisé soit sur la demande du chef de l'Etat, soit sur la demande d'un certain nombre des parlementaires, soit sur la demande d'une partie des électeurs, soit sur la demande des organes régionaux ou locaux.

(a) Le référendum à l'initiative du chef de l'Etat.- Par exemple selon la Constitution turque, le président de la République peut soumettre la loi constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale à référendum.

(b) Le référendum à l'initiative d'un certain nombre des parlementaires.- Par exemple, en Autriche le référendum est organisé sur le demande d'un tiers des membres du Conseil national ou fédéral (art.44, al.3). En Italie cette demande pourrait être faite par un cinquième des membres de l'une des deux Chambres (art.138, al.2), en Espagne par un dixième des membres de l'une quelconque des deux Chambres (art.167, al.3).

(c) Le référendum à l'initiative des Conseils régionaux.- En Italie, le référendum peut également intervenir sur la demande de cinq Conseils régionaux (art.138, al.2).

(d) Le référendum à l'initiative populaire.- Dans certains pays le référendum est déclenché sur la demande d'un certain nombre d'électeurs. Dans un tel cas, on parle de veto populaire. Par exemple en Italie, les lois constitutionnelles adoptées à la majorité absolue des membres de chacune des Chambres « sont soumises à référendum populaire lorsque, dans un délai de trois mois après leur publication, demande en est faite... par 500 000 électeurs » (art.138, al.2).

En principe, le résultat du référendum constituant découle de la majorité simple des suffrages exprimés. Cependant il y a des exceptions à cette règle générale. D'abord, le premier groupe d'exception résulte du principe de la participation des Etats fédérés à la procédure de révision de la Constitution fédérale dans les Etats fédéraux. Ainsi en Suisse, comme une application de ce principe, les révisions constitutionnelles doivent être approuvées non seulement par la majorité des votants, mais aussi par la majorité des Cantons. Le résultat du référendum dans chaque canton est considéré comme le vote du canton (art.123). De même en Australie, la loi de révision constitutionnelle doit recueillir la majorité des votants non seulement sur l'ensemble du territoire australien, mais aussi dans une majorité d'Etats.

D'autre part, certaines constitutions prévoient différentes conditions dans l'adoption des lois constitutionnelles par référendum. Par exemple selon la Constitution danoise (art.88) la majorité des votants doit réunir au moins 40 pour cent de tous les électeurs inscrits. De même la Constitution de la Corée du Sud exige un taux minimum de participation : la moitié au moins des électeurs doit participer à la votation populaire (art.121 de la Constitution de 1948).

Enfin, exceptionnellement, certaines constitutions exigent une majorité qualifiée dans le référendum constituant. Par exemple, selon la Constitution du Liberia de 1847, les lois constitutionnelles ne peuvent être adoptées que par les deux tiers des votants dans le référendum (art.5, al.17). De même, la Constitution de Jamaïque du 25 juillet 1962 prévoit une majorité des trois cinquièmes des votants dans le référendum pour réviser, malgré l'opposition du Sénat, les dispositions mentionnées dans l'alinéa 2 de l'article 49 (art.49, al.5). De même cette Constitution exige une majorité des deux tiers des votants dans le référendum pour la révision des dispositions énumérées dans l'alinéa 3 de l'article 49 (art.49, al.6).

En dernier lieu, il faut signaler que certaines constitutions prévoient encore quelques conditions de formes spéciales. Par exemple, la Constitution hollandaise (art.138) prévoit l'harmonisation des projets de révision et des dispositions restées inchangées de la Constitution; ainsi peut-on « modifier la division en chapitres, sections et articles, ainsi que leur ordonnance et les titres » (art.138). De même l'article 197 de la Constitution du Royaume de Belgique du 17 février 1994 prévoit que « d'un commun accord avec le Roi, les Chambres constituantes peuvent adapter la numération des articles ». Comme condition originale on peut citer la solution de la Constitution de Venezuela de 1961. Selon cette Constitution, les révisions constitutionnelles sont publiées à la fin du texte de la Constitution. Mais on ajoute aux articles révisés les notes en bas de page précisant la date et le numéro de la révision constitutionnelle (art.245, al.6).

Nous venons de voir, d'une part, les limites matérielles et temporelles à la révision constitutionnelle, et d'autre part, les conditions de forme de la révision constitutionnelle. A titre d'exemples, nous avons cité différentes constitutions du monde. Comme nous l'avons déjà dit, les limites à la révision constitutionnelle et les conditions de forme constituent des règles de référence pour le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. C'est pourquoi, cette section représente une importance particulière pour la deuxième partie de notre thèse où nous allons traiter le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

* * *

Après avoir vu la typologie générale des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels, maintenant nous pouvons procéder à l'inventaire de ces limites dans le cadre de la Constitution française de 1958 (Section 1) et dans celui de la Constitution turque de 1982 (Section 2).


 

1. Peter O'Connel, « Les procédures de révision constitutionnelle » (Le rapport adopté par l'Association des Secrétaires généraux des Parlements), in Informations constitutionnelles et parlementaires, 1978, 3e série, n°114, p.41. Il faut signaler que ces dispositions sont toujours révisables par le pouvoir constituant originaire. Car, comme on l'a expliqué dans le titre préliminaire (Chapitre 2, Section 1), le pouvoir constituant originaire est permanent et les révolutions sont inévitables.

 

[2]. Marie-Françoise Rigaux, La théorie des limites matérielles à l'exercice de la fonction constituante, Bruxelles, Larcier, 1985, p.45.

 

[3]. Pour les sources voir la liste des constitutions citées à la fin de ce travail.

 

[4]. Voir Rigaux, op. cit., p.48-49.

 

[5]. Traduction établie par C. Autexier in Henri Oberdorff (éd.), Les Constitutions de l'Europe des Douze, Paris, La Documentation française, 1994, p.21. L'alinéa 3 a été amendé par la loi fédérale du 19 mars 1956.

 

[6]. Traduction établie par C. Autexier in Oberdorff, op. cit., p.26. Le dernier alinéa a été inséré par la loi fédérale du 24 juin 1968.

 

[7]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.290 ; Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.55 ; Barthélemy et Duez, op. cit., p.231 ; Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Troper et Hamon, op. cit., p.81.

 

[8]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.290 ;

 

[9]. Cadoux, op. cit., p.154.

 

[10]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.290.

 

[11]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.235.

 

[12]. Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Troper et Hamon, op. cit., p.81.

 

[13]. Gicquel, op. cit., p.180.

 

[14]. Chantebout, op. cit., p.44.

 

[15]. Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Troper et Hamon, op. cit., p.80.

 

[16]. Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.55.

 

[17]. Debbasch et alii, op. cit., p.92

 

[18]. En effet comme les conditions de forme déterminent la compétence du pouvoir de révision, les limites à la révision constitutionnelle elles aussi peuvent être considérées comme les règles de compétence, car les limites de fond déterminent la compétence ratione materiae, et les limites de temps définissent la compétence ratione temporis de ce pouvoir.

 

[19]. A ce propos voir par exemple Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.250-251 ; Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.47-53 ; Ardant, op. cit., p.81 ; Chantebout, op. cit., p.42 ; Jeanneau, op. cit., p.95 ; Bernard Branchet, La révision de la Constitution sous la Ve République, Paris, L.G.D.J., 1994, p.17-29 ; Debbasch et alii, op. cit., p.94-96 ;

 

[20]. A ce propos voir, Branchet, op. cit., p.26-29.

 

 

-----------------------------------------------------------

 

 

(Annexe)
 
Liste des constitutions citées

Algérie : Constitution du 22 novembre 1976 (D. Beke in Reyntjens, op. cit., vol.I)[1].

Allemagne : Constitution du 23 mai 1949 (C. Autexier in Oberdorff, op. cit., p.40.

Argentin : Constitution du 1er mai 1853 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.7-27).

Australie : Constitution du 9 juillet 1900 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.34-60).

Autriche : Constitution du 26 octobre 1955 (Pfersmann, op. cit., p.30).

Belgique : Constitution du 17 février 1994 (Delpérée et alii, op.cit., p.15-94; Oberdorff, op. cit., p.89).

Bolivie : Constitution du 2 février 1967 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.100-137).

Burundi : Constitution du 1re juillet 1962 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.19-30)

Cameroun : Constitution du 2 juin 1972 (Kontchou Kouomegni in Reyntjens, op. cit., vol.I).

Colombie : Constitution du 4 août 1886 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.279-323).

Corée du Sud : Constitution du 17 juillet 1948 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.577-597).

Costa-Rica : Constitution du 7 novembre 1949 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.328-362).

Côte d'Ivoire : Constitution du 3 novembre 1960 (T. Bakary in Reyntjens, op. cit., vol.I)

Cuba : Constitution du 7 février 1959 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.367-422).

Dahomey : Constitution du 11 janvier 1964 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.151-166).

Danemark : Constitution du 5 juin 1953 (Oberdorff, op. cit., p.104).

Equateur : Constitution du 25 mai 1967 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.460-514).

Espagne : Constitution du 27 décembre 1978 (Oberdorff, op. cit., p.137).

Etats-Unis : Constitution du 17 septembre 1787 (Meny, op. cit., p.387-409).

Finlande : Les lois fondamentales des 17 juillet 1919 et 13 janvier 1928 (Mirkine-Guetzévitch, op. cit., p.397-410).

France : Constitution du 3 septembre 1791 ; Lois constitutionnelles de 1875 ; Loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 ; Constitution du 27 octobre 1946 ; Constitution du 4 octobre 1958.

Gabon : Constitution du 15 avril 1975 (Y. Brard in Reyntjens, op. cit., vol.II).

Grèce: Constitution de 1er janvier 1952 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.403-427); Constitution du
9 juin 1975 (S. Koutsibinas, A. Pantelis et E. Spiliotopoulos in Oberdorff, op. cit., p.212).

Guatemala : Constitution du 15 septembre 1965 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.564-624). 

Inde : Constitution du 26 novembre 1949 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.308-348).

Iran : Constitution de 30 décembre 1906 (Peaslee, op. cit., vol.II, 452-470).

Irlande : Constitution du 1er juillet 1937 (Y. Marx in Oberdorff, op. cit., p.242).

Islande : Constitution du 17 juin 1944 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.449-458).

Italie : Constitution du 27 décembre 1947 (B. Gaudillère in Oberdorff, op. cit., p.247-264.

Jamaïque : Constitution du 25 juillet 1962 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.806-885).

Jordanie : Constitution du 1er janvier 1952 (Peaslee, op. cit., vol.II, 537-557).

Kenya : Constitution du 12 décembre 1952 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.257-418).

Koweït : Constitution du 11 novembre 1962 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.601-620).

Liberia : Constitution du 26 juillet 1847 (G. Shemid in Reyntjens, op. cit., p. vol.II).

Libye : Constitution du  (D. Beke et B. Hasnebaert in Reyntjens, op. cit., vol. II).

Liechtenstein : Constitution du 5 octobre 1921 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.531-550).

Luxembourg : Constitution du 17 octobre 1868 (Oberdorff, op. cit., p.278).

Madagascar : Constitution du 31 décembre 1975 (J. du Bois de Gaudusson in
Reyntjens, op.cit., vol. III).

Malaisie : Constitution du 23 août 1957 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.652-746).

Mali : Constitution du 26 mars 1988 (O. Diarrah in Reyntjens, op. cit., vol. III).

Malte : Constitution du 21 septembre 1964 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.571-633).

Maroc : Constitution du 10 mars 1972 (A. Claisseed et B. Zgani in Reyntjens, op. cit., vol. III).

Mauritanie : Constitution du 20 mai 1961 (A. Salem Ould Bouboutt in Reyntjens, op. cit.,  vol.III).

Monaco : Constitution du 17 décembre 1962 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.549-557).

Nicaragua : Constitution du 1er novembre 1950 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.959-1009).

Ouganda : Constitution du 2 octobre 1962 (Lavroff et Peiser, op. cit., tome 2, p.921-987).

Paraguay : Constitution du 25 août de 1967 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.1067-1101).

Pays-Bas : Constitution du 17 février 1983 (Oberdorff, op. cit., p.297).

Pérou : Constitution du 9 avril 1933 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.1106-1133).

Philippines : Constitution du 8 février 1935 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.1067-1087).

Portugal : Constitution du 2 avril 1976 (V. Pourcher in Oberdorff, op. cit., p.365).

République centrafricaine : Constitution 28 novembre 1986 (J. J. Reynal in Reyntjens, op. cit., vol.IV).

Rwanda : Constitution du 24 novembre 1962 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.675-692).

Suède : Constitution du 6 juin 1809 (Peaslee, op. cit., vol.III, p.847-927).

Suisse : Constitution du 29 mai 1874 (Duverger, op. cit., p.831).

Tchad : Constitution du 16 avril 1962 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.65-81).

Togo : Constitution du 26 mai 1988 (J. P. Duprat in Reyntjens, op. cit., vol.IV).

Tunisie : Constitution du 1er juin 1959 (Peaslee, op. cit., vol.I, p.909-916).

Turquie : Constitution du 9 juillet 1961 (Peaslee, op. cit., vol.II, p.1156-1194).

       Constitution du 7 novembre 1982 (Traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information, Ankara, 1982).

Uruguay : Constitution du 15 février 1967 (Peaslee, op. cit., vol.IV, 1219-1287).

Venezuela : Constitution du 23 janvier 1961 (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.1292-1339).

 


 

[1]. Pour les sources, voir infra, Bibliographie : V. Recueils de textes constitutionnels

 

 

------------------------------------

 

 

 

 

Section 1
Les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la Constitution française de 1958

 

 

 

La Constitution française de 1958, d'une part, détermine les conditions de forme de l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle, et d'autre part, elle impose une limite matérielle et deux limites temporelles à l'exercice de ce pouvoir.

Nous allons voir d'abord la limite matérielle (§ 1), ensuite les limites temporelles (§ 2) et enfin les conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle (§ 3).

§ 1. La limite matérielle : l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement

Dans la Constitution française de 1958, il n'y a qu'une limite matérielle à la révision constitutionnelle. Cette limite matérielle est prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution de 1958 :

« La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ».

Ainsi en France, selon cet alinéa, la révision de la Constitution ne peut pas porter sur la forme républicaine du gouvernement. Cette interdiction de fond a été pour la première fois introduite dans le droit constitutionnel français par la loi constitutionnelle du 14 août 1884.

        Loi du 14 août 1884 portant révision partielle des lois constitutionnelles

        Article 2. – Le § 3 de l'article 8 de la même loi du 25 février 1875 est complété ainsi qu'il suit : « La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision ».

La même disposition est reprise par la Constitution de 1946 dans son article 95.

        Article 95. – La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision.

A l'égard de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement, la vraie question qui se pose est celle de déterminer l'étendue de cette interdiction.

L'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement

Comme on vient de le dire, selon l'alinéa 5 de l'article 89, « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ». Pourtant il y a un débat sur l'étendue de l'interdiction prévue par cet alinéa. Qu'est-ce que protège l'alinéa 5 de l'article 89 ? Qu'est ce qui est intangible selon cet alinéa ? L'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il également la forme démocratique et unitaire de la République française ? Autrement dit la démocratie et l'Etat unitaire bénéficient-ils de la protection de l'alinéa 5 de l'article 89 ? Enfin, l'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il non seulement la forme républicaine du gouvernement, mais aussi l'existence même de cette république ?

1. L'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il la forme démocratique de la République française ?

Selon certains auteurs l'alinéa 5 de l'article 89 protège également la forme démocratique de la République française. En d'autres termes, l'alinéa 5 de l'article 89 interdit non seulement la restauration d'une monarchie, mais aussi l'établissement d'une république dictatoriale.

L'alinéa 5 de l'article 89 dit que « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ». Alors pour pouvoir déterminer le contenu de cette interdiction, il faut d'abord sans doute définir le terme « république ». Que faut-il entendre par « république » ? Comment interpréter l'expression « la forme républicaine du gouvernement » ?

Certes, la « république » a des significations historiques, philosophiques, politiques, et même sentimentales[1]. Pour notre travail, c'est seulement sa signification juridique qui importe. Et dans ce sens, la « république » pourrait être considérée comme la « forme de gouvernement » ou comme « celle de l'Etat ». Le texte de l'alinéa 5 de l'article 89 est clair : il parle de la « forme républicaine du gouvernement ». Il vise la république au sens de « forme de gouvernement ». Mais même en ce sens, il n'y a pas d'unanimité sur la définition de la république dans la doctrine du droit constitutionnel. Une partie des auteurs sont pour une interprétation stricte, tandis que l'autre partie défend une interprétation large de cette expression.

Selon les défenseurs de l'interprétation stricte de cette notion, la république est la forme de gouvernement dans lequel le chef de l'Etat n'est pas héréditaire[2]. Comme on le voit, dans cette définition la république est définie comme l'antinomie de la monarchie. Ainsi dans cette conception, comme le remarque Georges Vedel,

« tant qu'un Chef d'Etat héréditaire n'est pas institué, on est en République. Politiquement et sentimentalement le mot de République vise bien autre chose que cette définition négative, mais juridiquement l'interdiction de changer la forme républicaine du Gouvernement… met seulement l'obstacle au rétablissement d'une monarchie ou d'un empire héréditaire »[3].

Alors selon l'interprétation stricte, la république n'implique pas la démocratie. Par conséquent l'alinéa 5 de l'article 89 ne protège pas la forme démocratique de la République française.

Par contre les défenseurs de l'interprétation large de cette notion considèrent qu'il s'agit ici d'un concept plus vaste englobant les principes essentiels de l'ordre démocratique[4]. Dans cette hypothèse, comme le précise Didier Maus, « la ‘forme républicaine’ contiendrait des principes comme le suffrage universel, le régime représentatif, la séparation des pouvoirs »[5]. Selon Didier Maus, cette interprétation large a une « logique contemporaine »[6]. Le doyen Louis Favoreu remarque que l'expression « forme républicaine » au sens large « constitue l'héritage républicain et... inclut toute une série de valeurs fondamentales inscrites dans l'article 2 de la Constitution et dans les 'principes fondamentaux reconnus par les lois République' »[7]. D'après lui, cette interprétation « est en harmonie avec le texte constitutionnel de 1958 »[8].

Ainsi dans cette conception, la république, ce n'est pas seulement le contraire de la monarchie[9], mais aussi elle sera synonyme de la « démocratie »[10]. Par conséquent l'alinéa 5 de l'article 89 protège également la forme démocratique de la République française. Autrement dit il interdit non seulement l'établissement d'une monarchie héréditaire mais encore une république dictatoriale.

Nous sommes pour une interprétation stricte de l'interdiction prévue par l'alinéa 5 de l'article 89. A notre avis, l'alinéa 5 de l'article 89 n'interdit que la restauration d'une monarchie, c'est‑à‑dire, une forme de gouvernement dans lequel le chef de l'Etat est héréditaire. Ainsi, cet alinéa ne protège pas la forme démocratique de la République française, autrement dit, il n'exclut pas l'établissement d'une république dictatoriale. Et ceci pour trois raisons.

Premièrement, il faut interpréter limitativement l'expression « la forme républicaine du gouvernement ». Car, selon une règle d'interprétation, les dispositions exceptionnelles sont soumises à une interprétation restrictive. Les dispositions intangibles de la Constitution constituent des exceptions à la règle générale, c'est‑à‑dire la révisibilité de toutes les dispositions de la constitution. Par conséquent l'alinéa 5 de l'article 89, étant une exception à la règle de révisibilité, doit être interprété limitativement. Ainsi il faut prendre la république dans son sens strict. Et en ce sens comme on vient de le montrer, la république et la démocratie sont deux choses différentes. L'une n'implique pas l'autre.

Deuxièmement, après avoir accepté que la « république » ne soit pas le synonyme de « démocratie », on peut affirmer que si le constituant avait voulu protéger non seulement la république, mais aussi la démocratie, il aurait pu le préciser expressément. Ainsi, la Constitution allemande de 1949 (art.79, al.3 en vertu duquel art.20, al.1) et la Constitution turque de 1982 (art.4 en vertu duquel art.2) rendent intangibles non seulement la forme républicaine de l'Etat, mais aussi le caractère démocratique de cette république.

Par contre l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française ne parle que de la forme républicaine du gouvernement. Selon l'article 2 « la France est une République... démocratique », mais cette disposition n'est pas mentionnée dans l'alinéa 5 de l'article 89.

Si le constituant de 1958 avait voulu protéger non seulement la république, mais aussi son caractère démocratique, il aurait pu le prévoir expressément, soit en précisant que l'article 2 de Constitution est intangible, comme le font les Constitutions allemande et turque, soit en employant dans l'alinéa 5 de l'article 89 l'expression « la forme démocratique du gouvernement » à côté de « la forme républicaine du gouvernement »[11]. C'est exactement en ce sens là qu'en 1958 un membre du Comité consultatif constitutionnel avait proposé de remplacer les mots « forme républicaine » par « forme démocratique », mais son Président, en accord avec le garde des Sceaux, avait jugé préférable de conserver le texte actuel[12]. Puisque l'alinéa 5 de l'article 89 a été adopté par le peuple tel qu'il est, il en ressort que l'alinéa 5 protège seulement la république, et non pas la démocratie. Par conséquent, il interdit la restauration d'une monarchie, mais il n'exclut pas l'établissement d'une république dictatoriale.

D'ailleurs, comme le remarque le président Dmitri Georges Lavroff, il faut interpréter cette interdiction à la lumière des circonstances dans lesquelles elle a été adoptée pour la première fois en 1884[13]. Il est évident qu'en 1884, on voulait protéger la république contre un éventuel retour à la monarchie[14]. Comme le constate à juste titre Didier Maus, les travaux préparatoires de la loi du 14 août 1884 laissent penser que la « forme républicaine » est limitée à une simple opposition entre la République et la monarchie[15]. De plus si l'on tient en compte que cette loi constitutionnelle rendait inéligibles à la présidence de la République « les membres des familles ayant régné sur la France »[16], il ne reste aucun doute sur le sens du mot « république » : c'est le contraire de la monarchie.

Comme on le voit, nous avons défini la « république » dans un sens négatif, comme l'antinomie de « monarchie ». C'est pourquoi il convient de préciser le critère distinctif entre la monarchie et la république. Pour nous, ce critère est le mode juridique de l'accession à la fonction du chef de l'Etat. La monarchie est la forme de gouvernement dans lequel le chef de l'Etat est un roi héréditaire. Par contre, la république, étant le contraire de monarchie, est définie comme la forme de gouvernement dans lequel le chef de l'Etat n'est pas héréditaire. Ainsi comme le dit à juste titre Georges Vedel, « tant qu'un Chef d'Etat héréditaire n'est pas institué, on est en République »[17].

Ainsi, notre définition de la république et celle de la monarchie sont complètement indifférentes à l'égard des considérations démocratiques ; c'est-à-dire, pour nous, la démocratie n'est ni le critère de la république ni celui de la monarchie. En d'autres termes, une république pourrait être une république démocratique comme elle pourrait être une république dictatoriale[18]. De même une monarchie pourrait être une monarchie absolue comme elle pourrait être une monarchie parlementaire. En outre dans le monde, il y a autant de monarchies démocratiques que de républiques démocratiques. Arend Lijphart constate que sur vingt et un pays démocratiques[19], onze pays sont des monarchies[20]. De même, sur les quinze Etats membres de l'Union européenne, sept sont des monarchies.

Nous avons déjà dit que l'alinéa 5 de l'article 89 protège la forme républicaine, et non pas la forme démocratique du gouvernement. C'est-à-dire que selon l'alinéa 5, le chef de l'exécutif ne peut pas être héréditaire. En dehors de cela, il est compatible avec tout autre régime. L'alinéa 5 ne fait pas la distinction entre les types de la république. Par conséquent il n'exclut pas l'établissement d'une république dictatoriale. Maintenant nous pouvons encore ajouter que l'alinéa 5 de l'article 89 ne fait pas la distinction entre les types de la monarchie. Il exclut tout type de monarchie. Ainsi il est interdit non seulement d'établir une monarchie absolue, mais aussi une monarchie démocratique.

A cet égard, il nous paraît impossible de partager l'opinion de Dominique Turpin selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine n'est pas justifiée car la « monarchie et liberté peuvent parfaitement se conjuguer, comme le prouvent les exemples du Royaume-Uni et depuis 1978, de l'Espagne de Juan Carlos »[21]. Comme on vient de le dire, l'alinéa 5 de l'article 89 interdit la restauration de tout type de monarchie, y compris parlementaire qui serait parfaitement démocratique.

A l'égard de l'interdiction de réviser la forme républicaine, une dernière question se pose : la République française peut-elle participer à une fédération dans laquelle il y a des monarchies ? Cette question se posera sans doute dans l'hypothèse où l'Union européenne se transformerait un jour en une Fédération des Etats. D'ailleurs elle a été déjà évoquée par François Luchaire en notant que « personne en France ne s'est plaint de ce que sur les douze Etats membres de la Communauté, six sont des monarchies »[22]. Alors si l'Union européenne se transforme un jour en Fédération, l'alinéa 5 de l'article 89 précisant que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision » serait-il violé ?

Il faut d'abord déterminer le caractère républicain ou monarchique d'une telle Fédération. A notre avis, la simple présence d'Etats fédérés monarchiques dans une telle Fédération, ne la rendra pas monarchique. Il faut déterminer la forme républicaine ou monarchique d'une telle fédération au niveau des institutions fédérales, et non pas à celui des Etats fédérés. Ainsi si le chef de l'exécutif d'une telle Fédération n'est pas héréditaire, cette question ne se posera même pas. Dans ce cas, il s'agirait d'une République fédérale d'Europe. Autrement dit, la forme de gouvernement de cette fédération sera la république.

Mais, si la fonction du chef de l'exécutif de cette Fédération est exercée à tour de rôle par chaque chef d'Etats fédérés, la forme républicaine de cette Fédération n'est pas si évidente. Car, pendant les périodes où cette fonction sera exercée par les monarques des Etats fédérés (le Royaume-Uni, l'Espagne, la Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède), la question de la forme républicaine du gouvernement se posera. Car, dans ces périodes, le chef de l'exécutif de la Fédération européenne sera un roi héréditaire. Par conséquent, selon notre définition de la monarchie, une telle fédération peut être parfaitement qualifiée de monarchie pendant ces périodes. En d'autres termes, dans ce cas, il s'agirait d'une monarchie fédérale d'Europe.

Dans cette dernière hypothèse, on peut penser que l'alinéa 5 de l'article 89 sera violé. Car, la France fera partie d'une fédération dont le chef de l'exécutif sera pour certaines périodes un roi héréditaire. On pourrait alors conclure que l'alinéa 5 de l'article 89 interdit la participation de la France à une fédération monarchique.

Pourtant à notre avis, une telle conclusion n'est pas valable. Parce que dans cette hypothèse, la Constitution française se transformerait en une Constitution d'Etat fédéré. Et par conséquent il serait absurde d'évaluer le caractère républicain ou monarchique d'un Etat fédéral par la disposition d'une constitution fédérée. En d'autres termes, une constitution fédérée ne peut pas être le mesure d'un droit fédéral. A cet égard, la seule remarque que l'on puisse faire consiste à dire que l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 n'est valable que dans le cadre de l'Etat fédéré. Et tant qu'un chef d'Etat héréditaire n'est pas institué dans le cadre d'un tel Etat fédéré, on reste toujours dans la République.

En effet ici il y a une deuxième question qui se pose : l'alinéa 5 de l'article 89 interdit-il la participation de la France à une Fédération (soit monarchique soit républicaine, peu importe) ? Car, dans cette hypothèse, l'existence même de la République française en tant qu'Etat souverain disparaît. L'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence même de cette République ? Mais ceci relève de la question de la souveraineté de l'Etat. Nous allons le voir plus bas.

2. L'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il la forme unitaire de la République française ?

A l'égard de l'alinéa 5 de l'article 89, la deuxième question qui se pose est celle de savoir si cet alinéa 5 protège également la forme unitaire de la République française. Autrement dit l'alinéa 5 de l'article 89 interdit-il de réaliser le fédéralisme ? Le pouvoir constituant dérivé peut-il transformer la République française en République fédérale de France, dans laquelle les régions ou les territoires français seront des Etats fédérés[23] ?

A notre avis, l'alinéa 5 de l'article 89 protège la forme républicaine du gouvernement, et non pas le caractère unitaire de cette république. Autrement dit l'alinéa 5 n'interdit pas le fédéralisme sur le territoire français. Par conséquent, le pouvoir constituant dérivé peut transformer la République française unitaire en République française fédérale.

Car, la république et le caractère unitaire ou fédéral de cette république sont deux choses différentes. Une république peut être unitaire ou fédérale. Si un constituant voulait protéger non seulement la république, comme la forme générale, mais aussi son caractère unitaire ou fédéral, il le préciserait expressément. Ainsi, comme nous les avons vus plus haut, les Constitutions portugaise (art.288, a) et turque (art.4 en vertu duquel art.2) rendent intangibles le caractère unitaire de la république. La Constitution allemande prévoit également l'intangibilité du caractère fédéral de la république (art.79, al.3, art.20, al.1).

Par contre l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française ne parle que de la forme républicaine du gouvernement. Selon l'article 2 « la France est une République indivisible », mais cette disposition n'est pas mentionnée dans l'alinéa 5 de l'article 89. Si le constituant de 1958 avait voulu protéger non seulement la république, mais aussi son caractère unitaire, il aurait pu le prévoir expressément, en précisant que l'article 2 de Constitution est intangible, ou que le caractère unitaire de l'Etat ne peut faire l'objet d'une révision. Puisqu'il ne l'a pas fait, on peut en déduire que l'alinéa 5 ne fait pas la distinction entre république unitaire et fédérale. Par conséquent l'alinéa 5 de l'article 89 n'interdit pas de réviser la forme unitaire de la République française. En révisant la Constitution conformément à sa procédure régulière, on peut transformer la République unitaire en République fédérale.

3. L'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il l'existence même de la République française ?

Nous venons de voir que l'alinéa 5 de l'article 89 n'interdit pas de réaliser le fédéralisme en France. Ainsi le pouvoir constituant dérivé peut transformer la République française en République fédérale de France, dans laquelle les régions ou les territoires français seront des Etats fédérés. Ceci relève de la question du caractère unitaire ou fédéral de l'Etat. Mais dans l'hypothèse de la participation de la République française à une fédération des Etats présente une autre question : celle de la souveraineté de l'Etat. Car, comme on l'a déjà indiqué, dans cette hypothèse, l'existence même de la République française en tant qu'Etat souverain disparaît. Telle est la question qui se pose ici : l'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-il non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence même de cette République ?

En d'autres termes, l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 implique-t-elle l'interdiction de supprimer cette république ?

Ceci n'est pas une hypothèse d'école. Car si elle se poursuit, la construction européenne aboutira, tôt ou tard, à un Etat fédéral d'Europe. Dans un tel Etat fédéral, les Etats, jadis souverains, deviendront des Etats fédérés[24]. Ils seront privés de leur souveraineté, car ils n'exerceront qu'une souveraineté « locale » au regard de la souveraineté de l'Europe[25]. D'autre part, comme l'explique à juste titre le professeur Olivier Beaud, la perte de la souveraineté comme puissance publique signifie la perte de la nature étatique[26]. Car « l'atteinte à la souveraineté nationale implique une atteinte à la souveraineté de l'Etat »[27]. Et la souveraineté de l'Etat (Staatlichkeit)[28] est la condition d'existence de l'Etat[29]. Alors dans un tel Etat fédéral, la République française sera privée de sa souveraineté, c'est‑à‑dire de la nature étatique de son existence. En d'autres termes, il s'agirait de la dissolution de l'Etat français dans un Etat fédéral supranational[30]. Ainsi dans une telle hypothèse, la République française en tant qu'Etat souverain disparaîtrait.

Alors le pouvoir de révision peut-il dissoudre la République française en tant qu'Etat souverain dans un Etat fédéral ? Autrement dit, l'intangibilité prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 protège-t-elle non seulement la forme républicaine, mais aussi la nature étatique de la République française ?

Cette question a été abordée par Olivier Beaud lors du débat sur la ratification du Traité de Maastricht. Selon le professeur Beaud, le pouvoir de révision ne peut pas supprimer l'Etat dans lequel il se trouve. « Seul le pouvoir constituant [originaire], et jamais le pouvoir de révision constitutionnelle, peut porter atteinte à la qualité d'Etat souverain »[31]. Car, selon sa théorie, « une Constitution ne peut statuer elle-même qu'elle autorise sa propre destruction et suppression par n'importe quelle révision constitutionnelle »[32]. A notre avis, il s'agit ici d'une limite matérielle non inscrite dans le texte constitutionnel. Car cette limite, selon laquelle le pouvoir de révision ne peut porter atteinte à la qualité d'Etat souverain, n'est pas inscrite dans le texte de la Constitution de 1958. En d'autres termes elle est privée d'existence textuelle et par conséquent elle sera étudiée non pas ici, mais dans le deuxième titre qui traitera de la question de savoir s'il existe les limites à la révision constitutionnelle non inscrites dans le texte constitutionnel[33].

Mais, Olivier Beaud pour démontrer sa thèse avance encore un autre argument. Et à notre avis, cet argument doit être examiné ici, parce qu'il peut être déduit du texte de l'alinéa 5 de l'article 89. Voyons donc maintenant ce deuxième argument.

Selon le professeur Beaud, certes l'alinéa 5 de l'article 89 selon lequel « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision » « ne vise que la République au sens restreinte de forme de gouvernement »[34]. Mais cette « République », « d'abord et avant tout, présuppose un Etat »[35]. Car selon lui, « la République est d'abord logiquement un Etat avant d'être l'Etat républicain »[36]. Par conséquent, « l'article 89, qui prévoit la protection de la forme républicaine du gouvernement, implique la protection de l'Etat »[37]. Bref pour Olivier Beaud, le pouvoir de révision ne peut pas supprimer l'Etat dans lequel il s'exerce. Parce que l'alinéa 5 de l'article 89 protège non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence même de la République française, car la République française ne peut être une république que s'elle existe en tant qu'Etat souverain[38]. Ainsi l'alinéa 5 de l'article 89 interdit non seulement de réviser la forme républicaine du gouvernement, mais aussi de supprimer cette République en tant qu'Etat souverain.

A notre avis cet argument est tout à fait fondé, parce qu'il a un fondement positif. Comme on vient de le montrer, la limite selon laquelle le pouvoir de révision ne peut pas supprimer la République française en tant qu'Etat souverain peut être déduit du texte de l'alinéa 5 de l'article 89 qui interdit de réviser la forme républicaine. Par conséquent nous citons cette limite ici, c'est‑à‑dire dans le chapitre consacré aux limites inscrites dans le texte constitutionnel.

En conclusion, à notre avis, l'intangibilité prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 protège non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence de cette république. Tel est le contenu de cette limite matérielle.

* * *

Alors en ce qui concerne le contenu de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par l'alinéa 5 de l'article 89, nos conclusions peuvent être résumées comme suit :

1. Il faut interpréter limitativement l'expression « la forme républicaine du gouvernement ». Car, selon une règle d'interprétation, les dispositions exceptionnelles sont soumises à une interprétation restrictive et les dispositions intangibles de la Constitution constituent des exceptions à la règle générale, c'est‑à‑dire la révisibilité de toutes les dispositions de la constitution. Et au sens strict, la république est définie comme la forme de gouvernement dans lequel le chef d'Etat n'est pas héréditaire. Selon cette définition la « république » n'est pas synonyme de « démocratie ». Si le constituant de 1958 avait voulu protéger non seulement la république, mais aussi son caractère démocratique, il aurait pu le prévoir expressément. Or dans l'alinéa 5 de l'article 89, on parle de la « forme républicaine du gouvernement » et non pas de la « forme démocratique du gouvernement ». Par conséquent cet alinéa protège la république, non pas la démocratie. Autrement dit il interdit la restauration d'une monarchie, mais il n'exclut pas l'établissement d'une république dictatoriale.

2. Par ailleurs, l'alinéa 5 de l'article 89 ne protège pas non plus la forme unitaire de cette République. Car la « république » et « son caractère unitaire » sont deux choses différentes. Par conséquent l'alinéa 5 de l'article 89 n'interdit pas de réaliser le fédéralisme en France. Ainsi le pouvoir constituant dérivé peut transformer la République française en République fédérale de France, dans laquelle les régions ou les territoires français seront des Etats fédérés.

3. Par contre, à notre avis, l'intangibilité prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 protège non seulement la forme républicaine, mais aussi l'existence même de cette République. En d'autres termes, cet alinéa interdit non seulement de réviser la forme républicaine du gouvernement, mais aussi de supprimer cette République en tant qu'Etat souverain ; c'est-à-dire que le pouvoir de révision ne peut pas dissoudre la nature étatique de la République française dans un Etat fédéral. Parce que l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 implique nécessairement l'interdiction de supprimer cette république, car une « république », d'abord et avant tout, présuppose un « Etat » ; autrement dit la république est d'abord logiquement un Etat avant d'être l'Etat républicain. Alors le gouvernement français ne peut être une république que s'il existe en tant qu'Etat souverain.

§ 2. Les limites temporelles

La Constitution française de 1958 prévoit deux limites de temps dans son texte : l'interdiction de réviser la Constitution lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire et pendant l'intérim de la présidence de la république.

 

A. L'interdiction de réviser la Constitution lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire

Cette interdiction est prévue par l'alinéa 4 de l'article 89 de la Constitution de 1958 :

Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire.

La même interdiction se retrouvait également dans la Constitution de 1946 :

Article 94. – Au cas d'occupation de tout ou partie du territoire métropolitain par des forces étrangères, aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie.

Il convient de noter que cette interdiction était une réponse à la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 qui a été votée lorsqu'une partie du territoire était occupée par les troupes allemandes[39]. Comme le remarque le président Lavroff, « cette disposition est justifiée par le fait que, si l'intégrité du territoire n'est pas respectée au moment où la proposition de révision de la Constitution est faite, on peut craindre qu'il y ait des pressions exercées sur les assemblées parlementaires, ou sur le peuple, qui les empêchent d'exprimer librement leur volonté »[40].

Enfin en ce qui concerne le contenu de l'interdiction prévue par l'alinéa 4 de l'article 89, des incertitudes existent. Par exemple que faut-il entendre par « territoire » ? Le territoire sera-t-il défini selon le droit national ou international[41] ? D'autre part, que faut-il entendre par « atteinte à l'intégrité » ? La Constitution de 1958 emploie le terme « intégrité », alors que la Constitution de 1946 utilisait celui d'« occupation ». Il est évident que l'occupation du territoire national par une armée étrangère rende impossible l'application de l'article 89. Mais comme l'évoque François Luchaire, il peut y avoir des hésitations sur la nature de cette armée (invitée et alliée ou occupante et ennemie)[42]. D'ailleurs comme le remarque Daniel Gaxie, « avec les moyens de la stratégie moderne, l'intégrité du territoire peut être atteinte, sans que tout ou partie du sol national soit effectivement occupé par des forces étrangères »[43]. D'autre part encore une autre question pourrait se poser : la révolte sur une partie du territoire national peut-elle être considérée comme une atteinte à l'intégrité du territoire[44] ? Comme l'affirme Daniel Gaxie, « ces incertitudes seront difficilement levées, car personne n'est habilité par la Constitution à constater s'il y a, ou non, atteinte à l'intégrité du territoire »[45].

 

 

B. L'interdiction de réviser la Constitution pendant l'intérim de la présidence de la République

Selon le dernier alinéa de l'article 7 de la Constitution de 1958,

Il ne peut être faite application ni des articles 49 et 50 ni de l'article 89 de la Constitution durant la vacance de la Présidence de la République ou durant la période qui s'écoule entre la déclaration du caractère définitif de l'empêchement du Président de la République et l'élection de son successeur.

Il en résulte qu'aucune révision de la Constitution ne peut intervenir pendant la période durant laquelle les fonctions du président de la République sont provisoirement exercées par le président du Sénat[46].

Il faut remarquer que cette disposition a été adoptée par la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 qui prévoit l'élection du président de la République au suffrage universel direct. Comme le remarque Bernard Branchet,

« cette disposition a été interprétée comme ayant pour objet d'empêcher que le Parlement ne prenne prétexte, voire ne profite, de la vacance inopinée de la Présidence de la République, pour procéder à une révision hâtive de la Constitution et tendant à remettre en cause l'élection du Président de la République au suffrage universel direct »[47].

Selon le président Dmitri Georges Lavroff,

« cette disposition est tout à fait justifiée par le fait que la révision de la Constitution est un acte d'une très grande importance politique et que l'urgence d'y procéder n'est pas telle qu'il faille en accorder l'exercice à un président de la République par intérim qui n'exerce ses fonctions que pendant quarante-cinq jours au maximum »[48].

Nous venons ainsi de voir deux limites de temps inscrites dans le texte de la Constitution de 1958. Pourtant selon une thèse, il y a une troisième limite de temps : l'interdiction de réviser la Constitution lorsque l'article 16 est en application.

C. La Constitution de 1958 interdit-elle sa révision lorsque l'article 16 est en application ?

Tout d'abord il faut remarquer qu'une telle interdiction n'est inscrite ni dans le texte de l'article 16, ni dans le texte des autres articles de la Constitution de 1958.

Dans la doctrine du droit constitutionnel, les auteurs ne citent pas en général cette interdiction, lorsqu'ils étudient les limites de temps à la révision constitutionnelle dans la Constitution de 1958[49]. Et quand ils examinent l'article 16 lui-même, ils affirment que le président de la République ne peut pas modifier la Constitution en utilisant les pouvoirs exceptionnels qui lui sont conférés par l'article 16, « car ce serait contraire à son rôle de gardien du texte constitutionnel et à la nécessité qui s'impose à lui de rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs constitutionnel »[50]. En d'autres termes, comme le constate d'ailleurs le doyen Favoreu, « les auteurs, généralement, n'envisagent le problème que sous l'angle des pouvoirs du chef de l'Etat mais ne prennent pas position sur le point de savoir si la révision serait possible au cas où la procédure normale de l'article 89 serait suivi »[51].

D'autre part, il y a des auteurs qui pensent que la révision de la Constitution est possible lorsque l'article 16 est en application. Par exemple, selon Daniel Gaxie, « bien que les conditions de sa mise en oeuvre coïncident partiellement avec les situations visées par l'alinéa 4 de l'Article 89, on peut concevoir qu'une révision intervienne pendant son application »[52].

Pourtant selon une thèse, aucune révision de la Constitution ne peut être effectuée en période d'application de l'article 16. Les défenseurs de cette thèse déduisent en effet cette interdiction non pas du texte, mais de la finalité de l'article 16[53]. L'argument principal invoqué en faveur de cette thèse consiste à dire que l'article 16 confère au président de la République des pouvoirs exceptionnels en vue d'« assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission ». Par conséquent, le président de la République « doit rétablir l'ordre constitutionnel normal, à savoir l'ordre antérieur à la mise en application de cet article »[54]. Par exemple, selon Jean Gicquel, « aucune révision ne peut intervenir... d'une manière implicite, en cas de recours, par le chef de l'Etat, aux pouvoirs extraordinaires de l'article 16 »[55]. Pourtant le professeur Gicquel souligne qu'« à défaut de s'abriter derrière la lettre de l'art.16, il faut en solliciter l'esprit. Sa finalité consiste, en effet, à rétablir au plus tôt, la légalité républicaine, c'est‑à‑dire l'état de choses antérieur. Cependant il serait séant, à l'avenir, de l'indiquer expressis verbis dans le texte »[56].

On pourrait se demander pourquoi nous examinons cette limite dans ce chapitre ; car, comme nous l'avons annoncé plus haut, nous traitons dans ce chapitre exclusivement les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel. Les limites proposées par la doctrine seront traitées dans le deuxième chapitre. On pourrait alors penser que l'interdiction de réviser la Constitution lorsque l'article 16 est en application doit être examiné dans la deuxième partie, parce qu'elle ne figure pas dans le texte de cet article, mais qu'elle est proposée par la doctrine. Pourtant à notre avis, cette objection doit être écartée, car d'une part cette limite n'est pas une pure invention doctrinale, mais elle est déduite de l'article 16. En d'autres termes, si cette interprétation doctrinale était admise par le juge constitutionnel, cette interdiction trouverait sa source, sans doute d'une façon dérivée mais positive, dans le texte constitutionnel. C'est exactement ce qui est le cas depuis la décision 92-312 DC du 2 septembre 1992 du Conseil constitutionnel.

Effectivement le Conseil constitutionnel, par sa décision 92-312 DC du 2 septembre 1992, a entériné cette interprétation doctrinale. Dans cette décision le Conseil a mentionné l'article 16 parmi les articles à partir desquels sont déduites les limitations de temps à l'exercice pouvoir constituant dérivé[57]. Ainsi on pourrait affirmer que cette limite tirée de l'article 16 n'est pas privée d'existence positive depuis le 2 septembre 1992, par conséquent elle fait partie du droit positif. C'est pourquoi, à notre avis, en l'état actuel du droit, la révision de la Constitution ne peut pas intervenir lorsque l'article 16 est en application. Par conséquent, parmi les limites de temps du pouvoir constituant dérivé, il faut également citer la limite de temps tirée de l'article 16, à coté de celles résultant des articles 7 et 89, alinéa 4, de la Constitution.

Certains commentateurs approuvent l'attitude du Conseil constitutionnel. Par exemple d'après le professeur Dominique Rousseau, le Conseil constitutionnel a condamné à juste titre l'interprétation selon laquelle il était permis au président de la République d'engager une procédure de révision pendant les périodes de mise en oeuvre de l'article 16. Le professeur Dominique Rousseau pense que le Conseil s'est appuyé sans doute « sur une lecture croisée des articles 16 et 89 : ce dernier interdit, en effet, toute révision lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire ; or, un des motifs de la mise en application possible des pouvoirs exceptionnels est une menace grave et immédiate à l'intégrité du territoire ; donc, par extension logique et nécessaire, toute révision est impossible durant la période d'application de l'article 16 »[58].

Par contre le président François Luchaire critique la décision du Conseil constitutionnel. Selon lui,

« il est exact que les mesures prises en application de l'article 16 tendent à assurer le fonctionnement normal des pouvoirs constitutionnels et non à les changer ; mais ceci concerne les mesures prises par le Chef de l'Etat et non l'application régulière de l'article 89. Le Conseil constitutionnel paraît cependant s'être référé à une interprétation très large de l'arrêt [Sieur Rubin de Servens et autres][59] du Conseil d'Etat implicitement tout au moins ; ou il est tout à fait exceptionnel que le Conseil constitutionnel dégage un principe constitutionnel d'un texte qui ne le consacre pas expressément »[60].

Le doyen Louis Favoreu lui aussi désapprouve la décision du Conseil constitutionnel. Selon lui, « on pourrait très bien concevoir que le Président de la République demande aux assemblées, d'abord séparément, puis au Congrès (ou au peuple par voie de référendum), de modifier la Constitution »[61]. Or le Conseil constitutionnel a entériné cette interprétation doctrinale, « sans se poser de questions alors que ce n'était pas si évident. Il interprète donc largement la notion de périodes d'interdiction de la révision constitutionnelle »[62].

§ 1. Les conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle

La Constitution française de 1958 prévoient plusieurs conditions à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle. Nous allons voir ces conditions dans le cadre des procédures de révision constitutionnelle. La Constitution française de 1958 contient deux procédures régulières (celle de l'article 85 et celle de l'article 89) et une procédure contestée (celle de l'article 11) de révision constitutionnelle.

A. La procédure de l'article 85

C'est une procédure spécifique et dérogatoire qui ne peut être utilisée que pour la révision des dispositions du titre XIII, intitulé « De la Communauté »[63]. L'article 85 lui même comporte deux procédures distinctes : une procédure initiale (alinéa 1), et une procédure alternative (alinéa 2).

Selon l'alinéa 1 de cet article de l'article 85,

Par dérogation à la procédure de l'article 89, les dispositions du présent titre qui concerne le fonctionnement des institutions communes sont révisées par des lois votées dans les mêmes termes par le Parlement de la République et par le Sénat de la Communauté.

Et l'alinéa 2 de cet article précise que

Les dispositions du présent titre peuvent être également révisées par accords conclus entre les Etats de la Communauté ; les dispositions nouvelles sont mises en vigueur dans les conditions requises par la Constitution de chaque Etat.

Notons que la procédure prévue par l'alinéa 1 de l'article 84 a été appliqué une seule fois pour adopter l'alinéa 2 de cet article (la loi constitutionnelle du 4 juin 1960)[64].

Comme le constate le professeur Jacques Cadart, « aujourd'hui, cette disposition est pratiquement inutilisable, même si juridiquement, elle est toujours en vigueur. En effet le Sénat de la Communauté qui doit intervenir, n'existe plus bien qu'il n'ait jamais été supprimé »[65].

B. La procédure de l'article 89

La Constitution française de 1958 règle essentiellement la procédure de révision constitutionnelle dans son article 89, al.1 à 3, sous le titre XVI intitulé « De la révision ».

        Article 89. – L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier Ministre et aux membres du Parlement.

        Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.

        Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale.

1. L'initiative de la révision

Selon l'alinéa 1 de l'article 89, le pouvoir de proposer la révision de la Constitution est partagé entre les membres du Parlement et le président de la République. Les propositions de révision constitutionnelle faites par les membres du Parlement n'obéissent pas à des conditions particulières ; « elles sont déposées, sous le nom de proposition de révision, dans les formes habituellement suivies pour l'exercice du droit de proposition en matière législative »[66]. D'ailleurs la Constitution française, contrairement à certaines constitutions étrangères[67], n'exige pas la signature de la proposition de révision par un certain nombre de parlementaires. Ainsi un seul membre de l'Assemblée nationale ou du Sénat peut déposer une proposition de révision.

Par contre, le pouvoir d'initiative du président de la République est soumis à une condition : il ne peut s'exercer que sur proposition du Premier ministre (art.89, al.1). En d'autres termes, l'initiative du président de la République doit être contresignée par le Premier ministre (art.19). Ainsi la proposition de révision faite par le président de la République nécessite un accord entre lui et le Premier ministre.

Il convient de se demander si le président de la République est tenu d'accepter la proposition du Premier ministre. Selon certains auteurs, aux termes de l'alinéa 1 de l'article 89, l'initiative « appartient » au président de la République, « ce qui suggère qu'il est libre de donner, ou de ne pas donner suite, à la proposition du Premier Ministre »[68]. Par contre le président de la République doit respecter le contenu de la proposition du Premier ministre. Car, comme le remarque Daniel Gaxie, « écarter certaines dispositions, ou introduire de nouvelles, reviendrait à tourner la Constitution, qui subordonne l'initiative constitutionnelle du Président à l'existence préalable d'une proposition du chef du gouvernement »[69]. Enfin on remarquera que le président de la République a la liberté d'appréciation quant à l'opportunité d'une initiative de révision émanant du Premier ministre[70].

Sur d'autres points, la proposition ou le projet de révision sont soumis à la procédure législative ordinaire.

Ainsi le Gouvernement a la maîtrise de l'ordre du jour, c'est‑à‑dire qu'il fait venir en discussion devant le Parlement les propositions qu'il veut et peut enterrer définitivement les autres[71].

2. L'élaboration de la révision

L'élaboration de la révision est conférée au Parlement. L'alinéa 2 de l'article 89 précise que « le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques ». Il en résulte qu'aucune révision de la Constitution ne peut être réalisée dans le cadre de l'article 89 sans l'accord des deux chambres. Ainsi l'Assemblée nationale et le Sénat se trouvent placés sur un pied d'égalité[72]. Le Premier ministre ne peut provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire, et le Gouvernement ne peut pas demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement (art.45). L'article 89 impose alors le bicaméralisme égalitaire en matière de révision constitutionnelle[73].

Dans cette phase, la procédure de révision est soumise aux mêmes règles que la procédure législative ordinaire[74]. Par conséquent, le gouvernement dispose des mêmes pouvoirs. Par exemple, le Gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission compétente, et recourir à la procédure de « vote bloqué » (art.44), ou engager sa responsabilité (art.49).

Ainsi, comme les lois ordinaires, les projets ou propositions de révision sont votés à la majorité relative, c'est‑à‑dire, à la majorité des suffrages exprimés, sans que l'on tienne compte des absences ou des abstentions[75].

Par contre la procédure de révision constitutionnelle diffère à ce stade de la procédure législative sur le point suivant : le Gouvernement ne dispose d'aucun moyen de contrainte à l'égard du Sénat[76].

3. L'approbation de la révision

Après le vote en termes identiques du texte de révision constitutionnelle par les deux chambres, il faut procéder à son approbation. Pour cela l'article 89 prévoit deux voies alternatives : le recours au référendum ou le vote par le Parlement réuni en Congrès.

Dans l'esprit des constituants de 1958, le référendum devait constituer la voie normale, la procédure de droit commun de la révision constitutionnelle[77]. D'ailleurs, cette interprétation est conforme au texte de l'alinéa 2 de l'article 89 : « la révision est définitive après avoir été approuvée par référendum ». L'approbation par le Congrès apparaît donc comme une possibilité secondaire[78]. Il faut souligner qu'elle est réservée aux seuls projets de révision. L'alinéa 3 de l'article 89 est clair : « Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ».

Le choix entre le référendum et le Congrès appartient au président de la République. La décision du président de la République est soumise au contreseing du Premier ministre, en raison de l'exclusion de l'article 89 de la liste limitative prévue par l'article 19 de la Constitution. Par conséquent ce choix nécessite l'existence d'un accord politique entre le président de la République et le Premier ministre.

Dans le cas où le Congrès repousserait ou n'approuverait pas à la majorité qualifiée un projet de révision, le recours au référendum n'est plus possible. Car le texte même de l'alinéa 3 de l'article 89 semble exclure une telle éventualité. Celui-ci en effet précise que « le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ».

En dernier lieu, il convient de préciser les incertitudes dans la procédure de révision. A ce propos, deux questions se posent.

1. La première consiste à savoir si le président de la République a le droit d'interrompre ou non la procédure de révision après que le projet de révision ait été régulièrement approuvé par les deux assemblées[79]. Le professeur Maurice Duverger soutient que la possibilité pour le président de la République de suspendre la procédure constitue un « droit de veto constitutionnel ». Or la Constitution ne prévoit pas un tel droit. D'ailleurs, l'alinéa 3 précise qu'il n'est pas procédé à un référendum lorsque le président de la République décide de soumettre le projet de révision au Congrès. Ici, l'indicatif présent vaut l'impératif[80]. Sans entrer dans les détails, précisons que la Constitution ne fixe aucun délai. D'ailleurs il n'y a aucune procédure permettant d'obliger le président de la République à soumettre le projet au Congrès ou au référendum. Par conséquent, comme le remarque le président Dmitri Georges Lavroff,

« la seule solution pour surmonter l'opposition du président de la République serait de l'accuser de haute trahison et de le traduire devant la Haute Cour de Justice. En dehors de cette procédure exceptionnelle..., il n'y a pas de moyen juridique susceptible d'interdire au président de la République de stopper en fait la procédure ou de surmonter les effets de son inaction »[81].

Aucune proposition parlementaire n'a abouti jusqu'à ce jour. Mais comme le remarque le professeur Pierre Pactet[82], on peut envisager le même problème pour les propositions parlementaires. Le président de la République peut-il s'opposer à la nécessaire consultation populaire ? Selon le professeur Philippe Ardant, la proposition de révision adoptée par les deux assemblées doit être soumise au peuple par référendum. « Le Président de la République et le Gouvernement n'ont aucune possibilité d'intervenir dans la procédure..., ils seraient obligés d'organiser un référendum après l'approbation par les chambres d'un texte identiques »[83]. Pour le professeur Pierre Pactet aussi,

« en droit, une réponse négative s'impose. En effet, il ressort des textes que le Président ne dispose que d'une compétence de procédure. L'absence de délai préfixé dans l'article 89, si elle laisse une certaine latitude au Président, ne lui confère pas évidemment pas un droit de veto à l'encontre des propositions d'origine parlementaire... Un refus du Président ou un ajournement abusif constitueraient une fraude à la constitution évidemment choquant »[84].

Mais il ajoute tout de suite que « si une telle hypothèse se réalisait, il serait très difficile d'y porter remède, compte tenu de l'irresponsabilité du Président »[85].

2. L'autre question concerne la possibilité de reprendre ou non la procédure un moment suspendue par le président de la République. Selon le doyen Henry Roussillon, le silence de la Constitution ne vaut pas l'absence de délai. On ne peut pas reprendre la procédure au-delà d'un délai raisonnable. Dans la détermination de ce délai, il faut d'abord prendre en considération la cause de l'ajournement. « En effet, dit le doyen Roussillon, on est en droit de considérer que l'opération de révision est suspendue aussi longtemps que la cause de l'ajournement demeure »[86]. Ensuite, le doyen Roussillon propose un critère institutionnel selon lequel

« la révision constitutionnelle ajournée ne peut être reprise que tant que les acteurs qui ont participé à la première phase sont les mêmes ; il s'agit du Président de la République, de l'Assemblée nationale et du Sénat »[87].

Encore rappelons que la Constitution ne prévoit aucun délai et aucun mécanisme pour contraindre le président de la République. Il semble alors que l'interruption de la procédure de révision ne rend pas caduc le texte voté par les deux assemblées[88]. De plus on peut citer un précédent : la loi constitutionnelle n° 63-1327 du 30 décembre 1963. La procédure de cette révision qui a commencé en 1960 avec un vote favorable de l'Assemblée nationale le 15 décembre 1960, n'a été approuvée que le 20 décembre 1963 après le renouvellement de l'Assemblée nationale en 1962[89]. D'ailleurs, comme l'invoque Pierre Pactet[90], cette pratique se trouve à l'origine même de la Ve République : la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 a été adoptée à partir de résolutions votées en 1955.

Enfin, en ce qui concerne le déroulement de la procédure référendaire d'approbation de la révision, devant le silence de la Constitution les auteurs se bornent à noter qu'il appartient au président de la République de fixer la date de la consultation et de convoquer les électeurs[91]. Cette décision est soumise au contreseing du Premier ministre, puisque l'article 19 ne mentionne pas l'article 89. D'ailleurs conformément à l'article 60 de la Constitution, « le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum et en proclame les résultats ».

La Constitution ne précise pas davantage les modalités de l'approbation par le Congrès. Elle indique simplement que « le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale » (art.89, al.3). Le Congrès n'élit donc pas son bureau. Par conséquent le président du Congrès est celui de l'Assemblée nationale[92]. Le Congrès se réunit à Versailles. L'ordre du jour est fixé par le décret de convocation, signé par le président de la République et contresigné par le Premier ministre. Le congrès n'a pas à discuter le projet de révision ; il n'a pas la faculté de l'amender. Le seul objet de la réunion du Congrès est d'émettre un vote sur les textes déjà adoptés par les deux chambres. Le projet de révision est réputé adopté quand il obtient les trois cinquièmes des suffrages exprimés (art.89, al.3). Les abstentions n'interviennent donc pas dans le calcul de la majorité qualifié et favorisent ainsi l'adoption du texte en discussion[93].

4. La promulgation

La loi constitutionnelle ainsi approuvée est promulguée par le président de la République (art.10)[94]. Le pouvoir de promulgation du président de la République est soumis au contreseing du Premier ministre (art.19). Il convient également noter que la possibilité reconnue au président de la République de « demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou certaines de ses articles » (art.10, al.2) peut s'appliquer à la loi constitutionnelle votée par le Congrès du Parlement[95].

C. La procédure contestée de l'article 11

Existe-t-il une troisième procédure de révision de la Constitution de 1958 ?

A deux reprises, en 1962 et en 1969, le général de Gaulle a utilisé l'article 11 pour réviser la Constitution de 1958. L'emploi de cet article pour procéder à une révision de la Constitution a suscité une vaste controverse. Au début, deux thèses se sont affrontées. Selon le général de Gaulle et certains constitutionnalistes, l'utilisation de l'article 11 pour réviser la Constitution est régulière[96]. Par contre, la majorité de la classe politique et de la doctrine ont contesté la régularité de l'emploi de l'article 11[97]. Avec le temps, comme le constate Gérard Conac, « plusieurs constitutionnalistes durent reconnaître qu'effectivement l'article 11 posait aux juristes un problème sérieux dont la solution n'était pas aussi évidente qu'ils avaient pu le penser d'abord »[98]. Aujourd'hui les juristes manifestent moins de réserve. Une bonne partie des constitutionnalistes considèrent que la révision de la Constitution par la voie de l'article 11 est possible[99]. D'ailleurs le président François Mitterrand a déclaré en 1988 que « ...l'usage établi et approuvé par le peuple peut désormais être considéré comme l'une des voies de la révision, concurremment avec l'article 89 »[100]. Nous ne voulons pas entrer dans ce débat qui dépasse largement le cadre limité de notre thèse. Précisons simplement que les lois qui sont adoptées par la voie de l'article 11 ne sont pas annulables[101], par conséquent on ne peut pas contester leur validité. Ainsi, on peut reconnaître avec Michel Troper que

« la Constitution, en s'abstenant d'organiser un contrôle du recours à l'article 11, institue, au profit du Président de la République, un monopole de l'interprétation. En termes juridiques, l'interprétation du Président est seule authentique et l'article 11, notamment l'expression ‘organisation des pouvoirs publics’, ne peut avoir d'autre sens au regard de la Constitution que celui que lui confère le Président »[102].

En conclusion, on peut adopter les lois constitutionnelles valables en application de l'article 11. Il faut alors voir brièvement les conditions de forme exigées dans la procédure de l'article 11.

D'abord voyons le texte de l'article 11.

        Article 11.– Le Président de la République sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peur soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d'un accord de Communauté ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

        Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet, le Président de la République le promulgue dans le délai prévu à l'article précédent.

On peut distinguer les étapes suivantes dans la procédure de l'article 11.

1. L'initiative

Selon l'article 11, l'initiative du référendum appartient au président de la République. La décision de recourir au référendum prend la forme d'un décret du président de la République[103]. C'est ce décret qui fixe la date de convocation du corps électoral[104]. Ce décret n'est pas susceptible de recours juridictionnel[105]. Le Conseil d'Etat considère en effet qu'il s'agit d'un acte de gouvernement[106].

La décision du président de la République de recourir au référendum est soumise à une condition : elle ne peut être prise que sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées. La proposition d'origine gouvernementale est soumise elle-même à une condition de forme : elle ne peut être présentée que pendant la durée des sessions. Il s'agit d'éviter que le parlement ne puisse être mis devant le fait accompli. Ainsi l'Assemblée nationale peut se prononcer sur une motion de censure[107]. Il faut préciser que ce n'est pas le Premier ministre, mais le Gouvernement qui est compétent pour faire la proposition[108].

Le président de la République peut accepter ou refuser de recourir au référendum. Cette décision n'est pas soumise au contreseing du Premier ministre (art.19). Mais le président de la République ne peut pas soumettre au référendum « un autre texte que celui du projet de loi délibéré en Conseil des ministres, ou pour le libellé de la question, une autre rédaction que celle qui est formulée dans la proposition du gouvernement ou celle des deux assemblées »[109].

Dans la pratique on remarquera qu'avant la décision présidentielle, le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel ont été consultés. La consultation du Conseil d'Etat découle de l'article 39 de la Constitution en ce qui concerne l'examen du projet de la loi à soumettre au référendum[110]. Par contre la consultation du Conseil constitutionnel n'est pas une exigence constitutionnelle avant la décision du président de la République[111].

2. Les opérations de référendum

Les règles relatives à l'organisation du scrutin sont fixées par décret[112]. Selon l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, le Conseil constitutionnel doit être consulté par le gouvernement sur l'organisation des opérations de référendum (art.46). La consultation du Conseil constitutionnel est donc obligatoire. Les opinions du Conseil constitutionnel n'ont qu'une valeur consultative[113].

L'article 11 garde le silence sur les modalités de l'organisation du référendum. Il doit être complété par l'article 60 qui indique que « le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum ».

Les résultats du référendum sont proclamés par le Conseil constitutionnel (art.60). Le projet de loi est adopté s'il a réuni la majorité absolue des votes exprimés. A l'opposé de la Constitution danoise[114], la Constitution française n'exige pas un seuil de participation comme une condition de validité du vote.

3. La promulgation

Selon le deuxième alinéa de l'article 11,

Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet, le Président de la République le promulgue dans le délai prévu à l'article précédent.

Ainsi la proclamation des résultats du référendum n'entraîne pas la mise en vigueur de la loi référendaire[115]. Elle doit être promulguée dans les mêmes conditions que les lois ordinaires. Le président de la République le promulgue dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement (art.10). Pour les lois référendaires, cette transmission est effectuée par le président du Conseil constitutionnel[116].


 

[1]. Pour les diverses significations de la « république » voir Jean-Marie Pontier, « La république », Recueil Dalloz Sirey, 1992, 31e Cahier, Chronique, XLVIII, p.239-246.

D'ailleurs il faut noter qu'en France le mot république « a pris une consonance particulière dans la mesure où il s'inscrit dans l'héritage de la Révolution française » (Jean-Louis Quermonne, « République », in Olivier Duhamel et Yves Meny (sous la direction de-), Dictionnaire constitutionnel, Paris, P.U.F., 1992, p.921). Alors, comme en parle Michel-Henry Fabre, il y a une signification « française » de la république (Michel-Henry Fabre, Principes républicaines de droit constitutionnel, 4e édition, Paris, L.G.D.J., 1984, p.3).

 

[2]. En ce sens voir, Julien Laferrière, Le nouveau gouvernement de la France : les actes constitutionnels de 1940-1942, Paris, Sirey, 1942, p.40 ; Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.278, 318 ; Daniel Gaxie, « Article 89 », in François Luchaire et Gérard Conac (sous la direction de-), La Constitution de la République français, Paris, Economica, 2e édition, 1987, p.1329 ; Bernard Branchet, La révision de la Constitution sous la Ve République, Paris, L.G.D.J., 1994, p.64.

 

[3]. Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.278.

 

[4]. Didier Maus, « Sur ‘la forme républicaine du gouvernement’ », Commentaire sous la décision n° 92‑-312 DC du 2 septembre 1992, Revue française de droit constitutionnel, n°11, 1992, p.412. Par exemple, Maurice Agulhon entend par « république », « un système sans roi ni dictateur, un Etat de droit, une démocratie libérale » (Maurice Agulhon, La République : 1880 à nos jours, Paris, Hachette, 1990, cité par Quermonne, « République », op. cit., p.923.

 

[5]. Maus, « Sur ’la forme républicaine du gouvernement’ », op. cit., p.412.

 

[6]Ibid.

 

[7]. Louis Favoreu, Commentaire sous la décision n° 92‑312 DC du 2 septembre 1992, « Maastricht II »,Revue française de droit constitutionnel, 1992, p.738 ; ainsi que Favoreu et Philip, Les grandes décisions..., op. cit., p.7e éd., p.825.

 

[8]. Favoreu, Commentaire sous la décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, op. cit., p.738 ; Favoreu et Philippe, Les grandes décisions..., op. cit., p.7e éd., p.825.

 

[9]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.127.

 

[10]. Selon Maurice Hauriou, « la République est une forme de gouvernement entièrement élective ». Mais il ajoute que « le gouvernement républicain exige que les gouvernants élus ne le soient pas à vie, mais seulement pour un temps ». Ainsi d'après lui, par cette condition, la République « devient une forme d'Etat où la souveraineté nationale est plus pleinement réalisée que dans les autres, parce que la mainmise du suffrage majoritaire sur les pouvoirs de gouvernement est plus complète ; elle devient la forme d'Etat la mieux adaptée à la souveraineté nationale, et elle tend à s'identifier avec celle-ci, ainsi qu'avec la démocratie » (Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929, réimpression par les Editions du C.N.R.S., 1965, p.343).

 

[11]. Selon Georges Liet-Veaux, « en 1946, les constituants pensaient à la dictature, non à la monarchie. Il aurait donc fallu écrire ‘la forme démocratique du Gouvernement’... » (Georges Liet‑Veaux, Droit constitutionnel, Paris, Editions Rousseau, 1949, p.164).

 

[12]. Gaxie, op. cit., p.1329.

 

[13]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.105.

 

[14]. Pour les circonstances dans lesquelles la loi du 14 août 1884 a été adoptée voir Gabriel Arnoult, De la révision des constitutions : Etablissements et révision des constitutions françaises. Systèmes de révision des constitutions étrangères, Thèse, Nancy, Rousseau, 1895, p.280 et s. ; H. De Bousquet de Florian, La révision des constitutions, Paris, Rousseau, 1891, p.126 et s. ; Maurice Fonteneau, Du pouvoir constituant en France et de la révision constitutionnelle dans les Constitutions françaises depuis 1789, Thèse, Caen, 1900, p.168 et s.

 

[15]. Maus, « Sur ‘la forme républicaine du gouvernement’ », op. cit., p.412.

 

[16]. L'article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août 1884.

 

[17]. Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.278.

 

[18]. Il n'est pas nécessaire d'ajouter que le dictateur ne soit pas héréditaire. Car, s'il l'est, on n'est plus dans la république.

 

[19]. L'Australie, l'Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la Finlande, la France, l'Allemagne, l'Irlande, Islande, l'Israël, l'Italie, le Japon, le Luxembourg, le Hollande, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse. Sans entrer dans les détails notons que Arend Lijphart déterminent les pays démocratiques selon deux critères. Le premier consiste en critères de démocratie de Robert Dahl. Le deuxième est la continuité de la démocratie sans interruption depuis la Deuxième Guerre mondiale (Arend Lijphart, Democracies : Patterns of Majoritarian and Consensus Government in Twenty-One Countries, New Haven, Yale University Press, 1984, p.1-2 et 37-39).

 

[20]Les monarchies démocratiques : L'Australie, la Belgique, le Canada, le Danemark, le Japon, le Luxembourg, le Hollande, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Royaume-Uni, la Suède (Lijphart, op. cit., p.88). Les républiques démocratiques : l'Autriche, les Etats-Unis, la Finlande, la France, l'Allemagne, l'Irlande, Islande, l'Israël, l'Italie, la Suisse (Lijphart, op. cit., p.88).

 

[21]. Turpin, Droit constitutionnel, op. cit., p.86.

 

[22]. François Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », Revue du doit public, 1992, p.1591, note 9.

 

[23]. Signalons que la question de savoir si l'alinéa 5 de l'article 89 interdit la participation de la France à une fédération des Etats sera étudiée sous l'intitulé 3. Car cette question concerne non pas le caractère unitaire ou fédéral de la République, mais l'existence même de la République française en tant qu'Etat souverain.

 

[24]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1051.

 

[25]. Ibid., p.1050.

 

[26]Ibid., p.1051.

 

[27]Ibid., p.1047.

 

[28]. C'est-à-dire, l'« étaticité », le « fait d'être un Etat », la « nature étatique » ou la « qualité d'Etat souverain ». Pour ces notions voir, Ibid., p.1048-1051.

 

[29]Ibid., p.1051.

 

[30]Ibid., p.1050.

 

[31]Ibid., p.1051.

 

[32]Ibid.

 

[33]. Voir infra, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous-section 2, § 1, D.

 

[34]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1062.

 

[35]Ibid., p.1062. C'est nous qui soulignons.

 

[36]Ibid.

 

[37]Ibid., p.1050.

 

[38]Ibid., p.1051.

 

[39]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.104.

 

[40]Ibid.

 

[41]. Rigaux, op. cit., p.50.

 

[42]. François Luchaire, Le Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1980, p.129.

 

[43]. Gaxie, op. cit., p.1328.

 

[44]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.129.

 

[45]. Gaxie, op. cit., p.1328.

 

[46]. Et si le président du Sénat est à son tour empêché d'exercer ces fonctions, l'intérim de la présidence de République est assumé par le Gouvernement (art.7, al.4).

 

[47]. Branchet, op. cit., p.62.

 

[48]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.105.

 

[49]. Par exemple, Ardant, Institutions politiques..., op. cit., p.82 ; Cadoux, op. cit., p.154-155 ; Debbasch et alii, op. cit., p.92-93 ; Jeanneau, op. cit., p.94 ; Pactet, op. cit., p.78 ; Turpin, op. cit., p.90.

 

[50]. Dmitri-Georges Lavroff, Le système politique français : Constitution et pratique politique de la Ve République, Paris, Dalloz, 5e édition, 1991, p.474. En ce sens encore voir Jean Lamarque, « Théorie de la nécessité et article 16 de la Constitution », Revue du droit public, 1961, p.617-618.

 

[51]. Louis Favoreu, Commentaire sous la décision n° 92‑312 DC du 2 septembre 1992, Revue française de droit constitutionnel, 1992, p.737.

 

[52]. Gaxie, op. cit., p..1329.

 

[53]. Branchet, op. cit., p.63.

 

[54]Ibid.

 

[55]. Gicquel, op. cit., p.180.

 

[56]Ibid.

 

[57]. Le Conseil constitutionnel s'est fondé probablement, même s'il ne le dit pas, sur la ressemblance entre la situation prévue par l'article 89, alinéa 4 (l'atteinte à l'intégrité du territoire), et les conditions de mise en oeuvre de l'article 16 (l'intégrité du territoire est menacée d'une manière grave et immédiate). D'ailleurs comme nous l'avons expliqué plus haut, plusieurs constitutions étrangères interdisent leur révision pendant les états exceptionnels. Par exemple, selon la Constitution espagnole, la révision de la Constitution est interdite en temps de guerre ou lorsque l'état d'urgence, ou l'état d'exception, ou l'état de siège est en vigueur (art.169). De même l'art.289 de la Constitution portugaise précise qu'« aucun acte de révision constitutionnelle ne peut être accompli pendant l'état de siège ou l'état d'urgence ».

 

[58]. Dominique Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Paris, Montchrestien, 3e édition, 1993, p.182.

 

[59]. C.E., Sieur Rubin de Servens et autres, 2 mars 1962, Revue du doit public, 1962, p.314-315. Pour le Conseil d'Etat, l'article 16 confère au président de la République le pouvoir législatif et un pouvoir réglementaire mais non pas un pouvoir constituant.

 

[60]. François Luchaire, « L'Union européenne et la Constitution », Revue du doit public, 1992, p.1592.

 

[61]. Favoreu, Commentaire sous la décision n° 92‑312 DC du 2 septembre 1992, op. cit., p.737.

 

[62]Ibid.

 

[63]. Cadart, op. cit., t.I, p.149-150 ; Pactet, op. cit., p.500 ; Jean-Louis Quermonne et Dominique Chagnollaud, Le gouvernement de la France sous la Ve République, Paris, Dalloz, 4e édition, 1991, p.519.

 

[64]. La loi constitutionnelle n° 60-525 du 4 juin 1960, Journal officiel du 8 juin 1960.

 

[65]. Cadart, op. cit., t.I, p.149.

 

[66]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.103.

 

[67]. Par exemple la Constitution turque (l'art.175, al.1) exige la signature de la proposition par un tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. De même selon la Constitution grecque (art.110, al.2), la proposition doit être faite par au moins cinquante députés.

 

[68]. Gaxie, op. cit., p.1327.

 

[69]Ibid.

 

[70]. Branchet, op. cit., p.19.

 

[71]. Ardant, Institutions politiques..., op. cit., p.84.

 

[72]. Gaxie, op. cit., p.1331.

 

[73]. Cadart, op. cit., t. I, p.144.

 

[74]. Gaxie, op. cit., p.1329 ; Branchet, op. cit., p.26.

 

[75]. Gaxie, op. cit., p.1331.

 

[76]Ibid.

 

[77]. Ardant, Institutions politiques..., op. cit., p.85 ; Gaxie, op. cit., p.1331 ; Branchet, op. cit., p.29.

 

[78]. Gaxie, op. cit., p.1332.

 

[79]. Un tel cas s'est produit à deux reprises en 1973 et en 1974.

 

[80]. Maurice Duverger, « Un droit de veto constitutionnel », Le Monde, 20-21 octobre 1974, cité par Gaxie, op. cit., p.1333.

 

[81]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.107.

 

[82]. Pactet, op. cit., p.504.

 

[83]. Ardant, Institutions politiques..., op. cit., p.84.

 

[84]. Pactet, op. cit., p.504.

 

[85]Ibid.

 

[86]. Henry Roussillon, « Le devenir du ‘projet Pompidou’ de 1973 : réflexions sur le temps dans la procédure constitutionnelle », in La révision de la constitution, (Journées d'études des 20 mars et 16 décembre 1992), Travaux de l'Association française des constitutionnalistes, Paris, Economica, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1993, p.100.

 

[87]Ibid., p.101.

 

[88]. En ce sens voir Gaxie, op. cit., p.1334 ; Ardant, Institutions politiques..., op. cit., p.84 ; Cadart, op. cit., t.I, p.146 ; Gicquel, op. cit., p.518 ; Quermonne et Chagnollaud, op. cit., p.64 ; Turpin, Droit constitutionnel, op. cit., p.89 ; Georges Vedel, Le Monde, 5 décembre 1991.

 

[89]. Selon le doyen Henry Roussillon, « il ne s'agit pas là d'un précédent puisqu'à aucun moment n'a été prise une décision d'ajournement » (Roussillon, « Le devenir du ‘projet Pompidou’ de 1973... », op. cit., p.103).

 

[90]. Pactet, op. cit., p.503, note 4.

 

[91]. Gaxie, op. cit., p.1334 ; Branchet, op. cit., p.32.

 

[92]. Branchet, op. cit., p.32 ; Gaxie, op. cit., p.1334.

 

[93]. En ce qui concerne le déroulement de la procédure d'approbation de la révision par le Congrès voir Gaxie, op. cit., p.1334-1335 ; Branchet, op. cit., p.32-34.

 

[94]. Jean Massot, « Article 10 », in François Luchaire et Gérard Conac (sous la direction de), La Constitution de la République française, Paris, Economica, 2e édition, 1987, p.403.

 

[95]. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.125.

 

[96]. Cette thèse est défendue par Pierre Lampué et Françoise Goguel. Voir Pierre Lampué, « Le mode d'élection du Président de la République et la procédure de l'article 11 », Revue du droit public, 1962, p.931-935 ; François Goguel, Les institutions politiques de la France, Les cours de droit, I.E.P. de Paris, 1968-1969, (Compléments et rectifications de 1969-1970), p.45 ; François Goguel, « De la conformité du référendum 28 octobre 1962 à la Constitution », in Mélanges offerts en hommage à Maurice Duverger, Paris, P.U.F., 1987, p.115-125.

A l'occasion de l'utilisation de l'article 11 en 1969, une justification par la coutume constitutionnelle a été avancée par Georges Vedel (« Le droit par coutume », Le Monde, 22-23 décembre 1968) et Marcel Prélot (« Sur l'interprétation coutumière de l'article 11 », Le Monde, 15 mars 1969).

 

[97]. Georges Berlia, « Le problème de la constitutionnalité de référendum du 28 octobre 1962 », Revue du droit public, 1962, p. 936-949 ; Maurice Duverger, Le Monde, 17 octobre 1962: P. Bastid, G. Berlia, Ph. Teitgen, L'aurore, 14 octobre 1962 ; Sur le référendum 1969 : Maurice Duverger, « La carte forcée », Le Monde, 22-23 décembre 1968 ; A. Hauriou, « Contre le viol des constitutions », Le Monde, 26-27 juillet 1968.

 

[98]. Gérard Conac, « Article 11 », in Françoise Luchaire et Gérard Conac (sous la direction de-), La Constitution de la République française, Paris, Economica, 2e édition, 1987, p.436.

 

[99]. A cet égard le revirement de Maurice Duverger est impressionnant. Etant contre en 1962 l'utilisation de l'article 11 pour réviser la Constitution, il a admis dans les années 1980 que « l'article 11 et l'article 89 sont désormais placés sur le même pied » (Maurice Duverger, Le système politique français, Paris, P.U.F., 20e édition, 1990, p.385). En ce sens voir encore (mais les opinions très nuancées) : Burdeau, Hamon, Troper, op. cit., p.23e éd., 1993, p.442 ; Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.110-115 ; Quermonne et Chagnollaud, op. cit., p.66-67 ; Philippe Ardant, « La révision constitutionnelle en France : problématique générale », op. cit., p.89-90 ; Gicquel, op. cit., p.519 ; Debbasch et alii, op. cit., p.619-621.

 

[100]. François Mitterrand, « Sur les institutions » (Entretien avec Olivier Duhamel), Pouvoirs, n° 45, avril 1988, p.138.

 

[101]. C.C., décision 62-20 DC du 6 novembre 1962, Rec., p.27. Cette décision sera étudiée dans la deuxième partie de notre travail (Titre 2, Chapitre 2, Section 1, Sous-section 2, § 2, A).

 

[102]. Michel Troper, « La Constitution et ses représentations sous la Ve République », Pouvoirs, n° 4, 1978, p.72.

 

[103]. Conac, op. cit., p.451.

 

[104]Ibid.

 

[105]Ibid.

 

[106]. C.E., Brocas, 19 octobre 1962.

 

[107]. Conac, op. cit., p.447.

 

[108]Ibid., p.447.

 

[109]Ibid., p.452.

 

[110]Ibid.

 

[111]Ibid.

 

[112]Ibid.

 

[113]Ibid.

 

[114]. Comme on l'a vu plus haut, selon l'article 88 de la Constitution danoise, la majorité des votants doit réunir au moins 40 pour cent de tous les électeurs inscrits (Oberdorff, op. cit., p.104).

 

[115]. Conac, op. cit., p.457.

 

[116]Ibid.

 

 

--------------------------------------------------------------------------------------

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Section 2
Les limites à la révision constitutionnelle

inscrites dans la Constitution turque de 1982

 

 

 

 

La première Constitution écrite en Turquie était celle de l'Empire ottoman du 23 décembre 1876. Cette Constitution déterminait la procédure de révision constitutionnelle dans son article 116. Elle ne prévoyait aucune limite à la révision constitutionnelle. Par contre la Constitution de la République turque du 20 avril 1924 prévoit pour la première fois une limite matérielle : l'intangibilité de la forme républicaine de l'Etat. Selon l'article 102 de cette Constitution, la disposition de l'article 1er de la Constitution concernant la forme républicaine de l'Etat ne peut être révisée, ni sa révision proposée. Cette interdiction se retrouve également dans la Constitution du 9 juillet 1961 (art.9). Dans ces deux Constitutions, il n'y avait pas d'autres limites matérielles à la révision constitutionnelle. Par contre la Constitution de la République turque du 7 novembre 1982[1] prévoit plusieurs limites matérielles à la révision constitutionnelle.

§ 1. Les limites matérielles

La Constitution de 1982 détermine les limites matérielles à la révision constitutionnelle dans son article 4, intitulé « les dispositions intangibles ».

        Article 4.– La disposition de l'article 1er de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est une république, ainsi que les caractéristiques de la République précisées dans l'article 2[2] et celles de l'article 3 ne peuvent pas être révisées, ni leur révision proposée[3].

Ainsi selon l'article 4, les dispositions des articles 1 et 3, ainsi que les caractéristiques de la République précisées dans l'article 2 de la Constitution sont intangibles. Maintenant voyons ces dispositions et les caractéristiques.

        Article premier. L'Etat turc est une République.

Comme nous l'avons vu, c'est une interdiction que l'on rencontre dans les plusieurs constitutions.

Ensuite selon l'article 4, « les caractéristiques de la République précisées dans l'article 2 » ne peuvent pas être révisées. L'article 2, intitulé « caractéristiques de la République » est ainsi rédigé :

 

        Article 2.– La République de Turquie est un Etat de droit démocratique, laïque et social, respectueux des droits de l'homme,[4] dans un concept[5] de paix sociale, de solidarité nationale et de justice, attaché au nationalisme d'Atatürk et s'appuyant sur les principes fondamentaux exprimés dans le préambule[6].

Dans la doctrine constitutionnelle turque, il y a un débat sur la détermination des caractéristiques de la République précisées dans l'article 2 de la Constitution.

D'abord il convient de donner la liste des principes sur lesquels il y a l'unanimité dans la doctrine constitutionnelle. Ainsi les principes suivants sont les caractéristiques de la République et par conséquent ils bénéficient de la protection de l'article 4.

- l'Etat de droit ;

- l'Etat démocratique ;

- l'Etat laïque ;

- l'Etat social ;

- l'Etat respectueux des droits de l'homme ;

- le nationalisme d'Atatürk ;

- les principes exprimés dans le préambule.

Pourtant les auteurs ne sont pas unanimes sur certains points : la « paix sociale », la « solidarité nationale » et la « justice » font-elle partie des principes intangibles de la Constitution ?

Selon une thèse, la « paix sociale », la « solidarité nationale » et la « justice » ne font pas partie des caractéristiques de la République, par conséquent elles ne bénéficient pas de la protection de l'article 4. En effet, selon l'article 4, « la disposition de l'article 1er de la Constitution... et celles de l'article 3 ne peuvent pas être révisées ». Par contre en ce qui concerne l'article 2, dans l'article 4, l'expression utilisée est la suivante : « les caractéristiques de la République précisées dans l'article 2 », et non pas celle-ci : « les dispositions de l'article 2 ». Alors on affirme que l'article 4 interdit seulement la révision des « caractéristiques de la République mentionnées dans l'article 2 », et non pas l'ensemble des dispositions de cet article[7].

Ainsi certains auteurs ont tendance à penser que les principes énumérés dans l'article 2 ne sont pas tous des caractéristiques de la République. Par exemple, les principes de l'Etat de droit, de l'Etat démocratique, de l'Etat laïque, de l'Etat social, de l'Etat respectueux des droits de l'homme, et du nationalisme d'Atatürk, ainsi que les principes fondamentaux exprimés dans le préambule peuvent être considérés comme les caractéristiques de la République, par conséquent ils ne peuvent pas être révisées. Par contre, on ne peut pas affirmer la même chose pour le reste de l'article 2, c'est‑à‑dire, pour l'expression « dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice »[8]. En d'autres termes, on pourrait penser que la paix sociale, la solidarité nationale et la justice ne peuvent pas être considérées comme les caractéristiques de la République. Ainsi, certains auteurs interprètent l'expression « dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice » non pas comme une caractéristique de la République, mais comme une définition renforçant les caractéristiques mentionnées dans le reste de cet article. Par conséquent la paix sociale, la solidarité nationale et la justice ne bénéficient pas de la protection de l'article 4[9].

D'autre part, il y a un débat sur l'interprétation de l'expression « dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice ». D'abord rappelons le texte de l'article 2 : « La République de Turquie est un Etat de droit démocratique, laïque et social, respectueux des droits de l'homme, dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice... ». Le professeur Ergun Özbudun se demande si les notions de « paix sociale, de solidarité nationale et de justice » sont des notions encadrant le respect des droits de l'homme, ou bien des principes indépendants. Si l'on accepte la première interprétation, l'accent sur le respect des droits de l'homme serait affaibli. Car, dans ce cas on pourrait en déduire que l'Etat n'a l'obligation de respecter des droits de l'homme que dans le cadre de la paix sociale, de la solidarité nationale et de la justice. Le professeur Özbudun, en constatant que dans le texte de l'article, les expressions « la République de Turquie est un Etat... respectueux des droits de l'homme » et « dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice » sont séparées par une virgule, affirment qu'il faut interpréter les notions de paix sociale, de solidarité nationale et de justice comme des principes indépendants, et non pas comme le cadre du respect des droits de l'homme[10].

Par contre selon le professeur Mümtaz Soysal, il y a ici un problème linguistique résultant de la rédaction du texte de l'article 2. Si l'on enlève la virgule, le respect des droits de l'homme serait encadré par les notions de paix sociale, de solidarité nationale et de justice. Et si on la garde, dans ce cas, la République de Turquie serait un Etat dans un concept de paix sociale, de solidarité nationale et de justice[11].

Erdal Onar, en constatant que l'intitulé de l'article 2 est « les caractéristiques de la République », affirme que l'ensemble des dispositions de l'article 2 entrent dans l'interdiction de révision prévue par l'article 4[12].

Enfin il faut signaler que l'article 2 fait référence aux principes fondamentaux exprimés dans le préambule. Selon cet article, « la République de Turquie est un Etat... s'appuyant sur les principes fondamentaux exprimés dans le préambule ». Ainsi non seulement les principes mentionnés dans l'article 2, mais ceux aussi qui sont exprimés dans le préambule, font partie des limites matérielles à la révision constitutionnelle. C'est pourquoi il convient de voir ces principes. Citons d'abord le texte du préambule.

 

        Préambule.– Alors qu'une guerre civile sanglante, telle qu'on n'en avait pas vu de semblable sous la République, était sur le point d'éclater et menaçait l'Etat de destruction et de division en mettant en cause l'intégrité de la patrie et de la nation turques qui sont éternelles et l'existence sacrée de l'Etat turc ;

        La présente Constitution, qui a été acceptée et approuvée par la Nation turque et établie directement par Elle, et qui est l'oeuvre de ses représentants légitimes que sont l'Assemblée consultative qui l'a préparée, et le Conseil national de Sécurité, qui lui a donné sa forme définitive, à la suite de l'opération du 12 septembre 1980 réalisé par les Forces armées turques à l'appel de la Nation turque avec laquelle elles forment un tout indissociable :

        – Conformément au concept de nationalisme défini par Atatürk et aux principes et aux réformes mise en oeuvre par Lui, fondateur de la République turque, guide immortel et héros incomparable ;

        – Sur la voie de la détermination de la République de Turquie, en tant que membre estimé de la famille des nations du monde et jouissant de droits égaux aux leurs, à perpétuer son existence, à atteindre le bien-être, et le bonheur matériel et spirituel et à s'élever au niveau de la civilisation contemporaine ;

        – Considérant que, vu la suprématie absolue de la volonté nationale, la souveraineté appartient sans condition ni réserve à la notion turque et qu'aucune personne ou institution habilitée à l'exercer au nom de la nation ne peut enfreindre la démocratie libérale spécifiée dans la présente Constitution ni l'ordre juridique défini en fonction de ses exigences ;

        – Considérant que la séparation des pouvoirs n'implique pas un ordre de préséance entre les organes de l'Etat mais consiste en utilisation exclusive par chacun d'eux de pouvoirs étatiques déterminés, comme une forme civilisée de coopération et de division du travail, et que la supériorité appartient à la Constitution et aux lois ;

        – Considérant qu'aucune opinion ou pensée ne peut se voir accorder protection à l'encontre des intérêts nationaux turcs, du principe d'indivisibilité de l'entité turque du point de vue de l'Etat et du territoire, des valeurs historiques et spirituelles inhérentes au peuple turc, ni du nationalisme, des principes, des réformes et du modernisme d'Atatürk, et qu'en vertu du principe de laïcité, les sentiments sacrés de religion ne peuvent en aucun cas être mêlés aux affaires de l'Etat ni à la politique ;

        – Considérant que chaque citoyen turc bénéficie, conformement aux impératifs d'égalité et de justice sociale, des droits et libertés fondamentaux énoncés dans la présente Constitution, et possède dès sa naissance le droit et la faculté de mener une vie décente au sein de la culture nationale, de la civilisation et de l'ordre juridique et de s'épanouir matériellement et spirituellement dans cette voie ;

        – Considérant que l'ensemble des citoyens turcs ont en commun leur sentiment de fierté et de gloire nationales, partagent les joies et peines nationales, les droits et devoirs envers l'entité nationale, les bonheurs et les malheurs, et qu'ils sont associés dans toutes les manifestations de la vie nationale, et ont le droit d'exiger une vie paisible, dans le respect absolu de leurs droits et libertés réciproques et tenant compte des sentiments de fraternité et d'amour sincère dont ils sont animés mutuellement et de leur désir confiant pour la « Paix dans le pays, paix dans le monde »;

        Est livrée et confiée par la nation turque à l'amour pour la patrie et la nation des enfants turcs épris de démocratie,

        En vue d'être comprise conformement à l'esprit, à la foi et à la résolution qui l'animent et interprétée et appliquée en ce sens dans le respect et la loyauté absolue envers sa lettre et son esprit[13].

Puisque l'article 2 fait référence aux « principes fondamentaux exprimés dans le préambule », mais pas au « préambule », on pourrait conclure que seulement les « principes fondamentaux » sont intangibles, et non pas l'ensemble des dispositions du préambule. Pourtant comme le remarquent plusieurs auteurs[14], il est difficile de déterminer quels sont ces principes fondamentaux. Les différents auteurs donnent différentes listes des principes fondamentaux exprimés dans le préambule. Par exemple, la liste dressée par le professeur Özbudun est la suivante :

– la légitimité de l'opération du 12 septembre 1980 ;

– l'attachement aux réformes et aux principes d'Atatürk ;

– le nationalisme d'Atatürk ;

– la résolution de s'élever au niveau de la civilisation contemporaine ;

– la suprématie absolue de la volonté nationale ;

– le principe de la séparation des pouvoirs ;

– le laïcisme ;

– la justice sociale et l'égalité[15].

Par contre le professeur Soysal détermine ces principes comme suit :

– la légitimité de la Constitution ;

– l'attachement au atatürkisme ;

– la protection de l'existence nationale ;

– les droits naturels ;

– la supériorité de la volonté nationale ;

– le laïcisme ;

– la fidélité à la Constitution[16].

Erdal Onar dresse la liste suivante :

– la légitimité de la Constitution ;

– l'atatürkisme ;

– la souveraineté nationale ;

– la protection de l'identité nationale ;

– le laïcisme ;

– l'égalité ;

– la justice sociale ;

– la séparation des pouvoirs[17].

Comme le remarque Erdal Onar lui-même, si l'on prend en considération l'étendue de la signification de ces notions, il n'existerait pas grande différence entre l'interdiction de réviser l'ensemble du texte du préambule et celle de réviser les principes fondamentaux exprimés dans le préambule[18].

Enfin selon l'article 4, « les dispositions de l'article 3 ne peuvent pas être révisées ». L'article 3 est ainsi rédigé :

        Article 3.– L'Etat turc forme avec son territoire et sa nation une entité indivisible. Sa langue est le turc.

        Son emblème, dont la forme est définie par la loi, est un drapeau de couleur rouge sur lequel il y a une étoile et un croissant blancs.

        Son hymne nationale est la « Marche de l'indépendance ».

Sa capitale est Ankara[19].

Ainsi les principes suivants sont intangibles :

– l'indivisibilité de l'Etat turc du point de vue de son territoire et de sa nation ;

– la langue officielle (le turc) ;

– le drapeau ;

– l'hymne national ;

– la capitale.

Comme on le voit, les limites matérielles à la révision constitutionnelle dans la Constitution turque de 1982 sont extrêmement nombreuses. On compte en effet quinze limites dans les articles 1, 2 et 3. D'ailleurs, en vertu de la référence au préambule par l'article 2, les principes fondamentaux exprimés dans le préambule sont eux aussi intangibles. Mais comme on vient de l'expliquer, il est difficile de donner une liste exacte de ces principes fondamentaux. Pourtant comme le montrent trois listes dressées par trois auteurs différents, que nous avons citées plus haut, on peut énumérer huit principes au moins comme étant des principes fondamentaux exprimés dans le préambule. Ainsi nous obtenons au moins vingt-quatre limites matérielles inscrites dans le texte de la Constitution turque de 1982[20].

Comme nous avons déterminé l'étendue de l'interdiction de réviser le forme républicaine du gouvernement prévue par l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française, il faudrait aussi déterminer ici le contenu de ces principes intangibles énumérés dans les articles 1, 2 et 3 de la Constitution turque de 1982. Et si on se souvient que même la définition de la « république » a nécessité un long développement, on peut affirmer qu'il faudra un long travail pour déterminer le contenu de ces principes; car d'une part, ils sont très nombreux (au moins vingt‑quatre), et d'autre part, certains d'entre eux (le laïcisme, le nationalisme d'Atatürk, la justice sociale) sont difficiles à cerner. C'est pourquoi, nous ne sommes pas tentés ici de faire un tel travail. Signalons simplement que la définition de ces principes peut poser de grands problèmes, si la Cour constitutionnelle turque se déclare compétente pour contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces principes intangibles, comme elle l'a fait sous la Constitution de 1961. D'ailleurs, dans la deuxième partie, lorsque nous examinerons la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, nous verrons la définition de quelques uns de ces principes, comme celui d'Etat de droit[21].

§ 2. Les limites temporelles

Comme on vient de le dire, dans la Constitution turque de 1982, il y a au moins vingt-quatre limites matérielles à la révision constitutionnelle. Par contre la Constitution de 1982 ne prévoit aucune limite de temps à sa révision. Il en était de même pour les anciennes Constitutions turques.

§ 3. Les conditions de forme exigées dans la procédure de révision constitutionnelle

La procédure de révision constitutionnelle est déterminée par l'article 175 de la Constitution de 1982.

        Article 175.– La révision de la Constitution peut être proposée par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie, et ce par écrit. Les propositions concernant la révision de la Constitution sont délibérées deux fois dans l'Assemblée plénière. La proposition de révision ne peut être adoptée que par le vote secret de la majorité des trois cinquièmes du nombre total des membres de l'Assemblée.

        En dehors des conditions énoncées dans cet article, la délibération et l'adoption des propositions concernant la révision de la Constitution se déroulent conformement aux dispositions qui régissent la délibération et l'adoption des lois.

        Le président de la République peut renvoyer les lois de révision de la Constitution à la Grande Assemblée nationale de Turquie en vue d'une nouvelle délibération. Si l'Assemblée adopte la même loi renvoyée à la majorité des deux tiers du nombre totale de ses membres, le président de la République peut soumettre cette loi à référendum.

        Si la loi concernant la révision de la Constitution qui est adoptée par la majorité des trois cinquièmes ou le moins des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée n'est pas renvoyée à l'Assemblée par le président de la République, elle est publiée au Journal officiel en vue de sa soumission à référendum.

        Le président de la République peut soumettre à référendum la loi concernant la révision de la Constitution, ou les articles qu'il juge nécessaire de cette loi, qui est adoptée directement ou sur le renvoi du président de la République à la majorité des deux tiers. La loi ou les articles de la loi qui ne sont pas soumis à référendum sont publiés au Journal officiel.

        Pour la mise en vigueur des lois de révision constitutionnelle, la majorité absolue des voix valablement exprimés dans le référendum doit être le vote d'acceptation.

        Lors de l'adoption des lois de révision constitutionnelle, au cas où cette loi sera soumise à référendum, la Grande Assemblée nationale de Turquie détermine les dispositions qui seront votées ensembles et celles qui seront votées séparément parmi les dispositions révisées de la Constitution[22].

On peut distinguer les phases suivantes dans la procédure de révision constitutionnelle.

A. La proposition

Selon l'alinéa 1 de l'article 175, « la révision de la Constitution peut être proposée par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie ». Ainsi la Constitution de 1982, conformement à la tradition établie par la première Constitution républicaine de 1924 et suivie par celle de 1961, accorde le pouvoir de proposer la révision de la Constitution exclusivement aux parlementaires ; le gouvernement n'a pas de pouvoir d'initiative en matière de révision constitutionnelle.

D'ailleurs la proposition de révision de la Constitution est soumise à des conditions particulières. Elle doit être signée par un tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. Comme la forme, elle doit être écrite (art.175, al.1).

B. La délibération

Selon l'alinéa 2 de l'article 175 de la Constitution, « en dehors des conditions énoncées dans cet article, la délibération... des propositions concernant la révision de la Constitution se déroulent conformement aux dispositions qui régissent la délibération et l'adoption des lois ». Pourtant la Constitution prévoit une condition de forme pour la délibération : « les propositions concernant la révision de la Constitution sont délibérées deux fois dans l'Assemblée plénière » (art.175, al.1). D'autre part, le Règlement intérieur de l'Assemblée nationale prévoit quarante-huit heures au moins entre les deux délibérations successives, dans le but d'éviter des révisions trop brusques[23].

C. L'adoption

L'article 175 de la Constitution de 1982, avant sa révision en 1987, comme les Constitutions de 1924 et de 1961, prévoyait l'adoption des lois de révision constitutionnelle par une majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. La loi n° 3361 du 17 mai 1987 a prévu une procédure d'adoption assez complexe.

Tout d'abord notons que la première nouveauté de cette loi est qu'elle exige le vote secret pour l'adoption de la proposition de révision.

Deuxièmement cette loi prévoit, non pas une seule majorité, mais deux majorités alternatives pour l'adoption de la proposition : les trois cinquièmes (art.175, al.1), ou les deux tiers (art.175, al.3) du nombre total des membres de l'Assemblée nationale.

D. La ratification

La Constitution partage le droit de ratification entre le président de la République et le peuple. Les voies de la ratification changent selon que la proposition de révision constitutionnelle est adoptée par une majorité des trois cinquièmes ou par une majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale.

Présenté sous la forme d'un schéma, la procédure de ratification est la suivant :

 

 

 

 

 

 

 



 

                                                    Proposition 1/3


                                                            Adoption

 

   3/5 Majorité 2/3                                                            Majorité 2/3

 

 Président de la République                                    Président de la République

 

Référendum       Renvoi                           Ratification          Référendum        Renvoi  

 

                 Adoption 2/3                                                                        Adoption 2/3

 

        Président de la République                                                     Président de la République

 

  Référendum                           Ratification                                              Référendum          Ratification
    

 

I. Si la proposition de la révision constitutionnelle est adoptée par une majorité des trois cinquièmes ou plus mais moins des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, le président de la République peut renvoyer cette loi à l'Assemblée nationale pour une nouvelle délibération.

A. Si le président de la République ne renvoie pas la loi à l'Assemblée nationale pour une nouvelle délibération, la loi est soumise obligatoirement à référendum. En d'autres termes, la Constitution ne donne pas au président de la République le pouvoir de ratifier une loi constitutionnelle adoptée seulement par une majorité des trois cinquièmes ou plus mais moins des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. Au cas où le président de la République ne demande pas une nouvelle délibération, le référendum est obligatoire.

B. Si le président de la République renvoie cette loi à l'Assemblée nationale en vue d'une nouvelle délibération, l'Assemblée nationale ne peut adopter la même loi qu'à la majorité des deux tiers de ses membres.

1. Si la loi renvoyée n'est pas adoptée en seconde délibération dans sa version initiale par une majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, elle est censée être rejeter. Comme on le voit, le renvoi de la loi par le président de la République à l'Assemblée nationale en vue d'une nouvelle délibération peut être analysé comme un droit de veto accordé au président de la République en matière de révision constitutionnelle. De plus, il y a ci non seulement un droit de veto suspensif, mais encore un vrai droit de veto présidentiel. En d'autres termes, le président de la République peut, non seulement retarder, mais aussi empêcher la promulgation de la loi constitutionnelle en demandant à l'Assemblée nationale de procéder à une nouvelle délibération. Car dans ce cas, l'Assemblée nationale ne peut lever le veto du président de la République qu'en adoptant la même loi par une majorité plus élevée, c'est‑à‑dire par les deux tiers de ses membres. Par conséquent, le veto présidentiel rend plus difficile l'adoption de la loi constitutionnelle. Ainsi, s'il n'existe pas de majorité des deux tiers à l'Assemblée nationale en faveur de la proposition de la révision constitutionnelle, le président de la République peut empêcher la révision constitutionnelle par son veto.

2. Si la loi renvoyée est adoptée à l'Assemblée nationale en seconde délibération dans sa version initiale par une majorité des deux tiers du nombre total de ses membres, le président de la République a le choix entre la ratification et le référendum : il peut ratifier la loi constitutionnelle ou la soumettre à référendum.

a. Dans le premier cas, le président de la République promulgue la loi constitutionnelle dans un délai de quinze jours maximum à partir de la transmission de la loi à la présidence de la République (art.89, al.1 en vertu de l'article 175, al.2)[24].

b. Dans le second cas, il y a référendum à l'initiative du président de la République.

Selon l'alinéa 5 de l'article 175, le président de la République n'est pas obligé de ratifier ou de soumettre au référendum la loi de révision constitutionnelle en bloc. Il peut ratifier certains articles de la loi et soumettre les autres articles à référendum. La loi ou les articles de la loi qui ne sont pas soumis à référendum sont publiés au Journal officiel.

II. Si la proposition de révision constitutionnelle est adoptée par une majorité des deux tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, le président de la République a le choix entre la ratification, le renvoi et le référendum : il peut ratifier la loi, la soumettre à référendum ou la renvoyer à l'Assemblée nationale pour une nouvelle délibération.

A. Le président de la République peut ratifier la loi de révision constitutionnelle. Dans ce cas, la loi est publiée au Journal officiel et entre en vigueur.

B. Le président de la République peut également soumettre la loi de révision constitutionnelle à référendum. Il s'agit d'un référendum facultatif. Il dépend de l'initiative du président de la République.

C. Le président de la République peut enfin renvoyer la loi de révision constitutionnelle à l'Assemblée nationale en vue d'une nouvelle délibération. Dans ce cas, l'Assemblée nationale peut adopter la même loi par la même majorité, c'est‑à‑dire les deux tiers du nombre total de ses membres. Comme on le voit, dans cette hypothèse la demande d'une nouvelle délibération du président de la République s'analyse comme un droit de veto suspensif accordé au président de la République en matière de révision constitutionnelle. Le président de la République peut retarder, mais non pas empêcher l'adoption de la loi de révision constitutionnelle. Car pour l'adoption de la loi de révision constitutionnelle en seconde délibération, la Constitution n'exige pas une majorité plus élevée que celle de la première délibération. L'Assemblée nationale peut adopter la même loi constitutionnelle à nouveau par la même majorité, c'est‑à‑dire par les deux tiers de ses membres.

Ainsi si l'Assemblée nationale adopte la même loi constitutionnelle à nouveau par la même majorité, c'est‑à‑dire par les deux tiers de ses membres, le président de la République a encore le choix entre la ratification et le référendum.

1. Le président de la République peut ratifier la loi de révision constitutionnelle. Dans ce cas, il promulgue la loi constitutionnelle dans un délai de quinze jours maximum à partir de la transmission de la loi à la présidence de la République (art.89, al.1 en vertu de l'article 175, al.2). La loi est publiée au Journal officiel et entre en vigueur.

2. Le président de la République peut également soumettre la loi de révision constitutionnelle à référendum. Il s'agit d'un référendum facultatif. Il dépend de l'initiative du président de la République.

Comme on le voit, on recourt à référendum dans trois cas : le premier est obligatoire, les deux derniers sont facultatifs.

Si la loi de révision constitutionnelle est adoptée par une majorité des trois cinquièmes ou plus mais moins des deux tiers à l'Assemblée nationale et si le président de la République ne la renvoie pas à l'Assemblée nationale pour une nouvelle délibération, il doit la soumettre à référendum. Il n'a pas de droit de la ratifier. Il s'agit donc d'un référendum obligatoire. Deuxièmement, si le président de la République la renvoie à l'Assemblée nationale pour une nouvelle délibération et si l'Assemblée nationale adopte la même loi en seconde délibération par la majorité des deux tiers, le président de la République a le choix entre la ratification et le référendum : il peut ratifier la loi ou bien il peut la soumettre à référendum. Il s'agit donc d'un référendum facultatif.

Troisièmement si la loi de révision constitutionnelle est adoptée directement par la majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, le président de la République a le choix également entre la ratification et le référendum : il peut ratifier la loi ou bien la soumettre à référendum. Dans ce cas aussi il s'agit d'un référendum facultatif.

Il faut signaler que selon l'alinéa 5 de l'article 175, si la loi de révision constitutionnelle est adoptée, soit directement, soit sur le renvoi du président de la République, par la majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale, le président de la République n'est pas obligé de la ratifier ou de la soumettre à référendum en bloc. Il peut ratifier certains articles de la loi constitutionnelle et soumettre les autres à référendum. Dans ce cas, les articles qui ne sont pas soumis à référendum sont ratifiés par le président de la République et publiés au Journal officiel, et ils entrent ainsi en vigueur.

D'ailleurs selon l'alinéa 7 de l'article 175, « lors de l'adoption des lois de révision constitutionnelle, au cas où cette loi sera soumise à référendum, la Grande Assemblée nationale de Turquie détermine les dispositions qui seront votées ensembles et celles qui seront votées séparément parmi les dispositions révisées de la Constitution ». Par conséquent dans le cas où l'Assemblée nationale décide que les dispositions de la loi de révision constitutionnelle seront votées séparément, il est possible qu'à la suite du référendum, certaines dispositions de la loi de révision constitutionnelle soient approuvées et que d'autres soient rejetées. Ainsi la Constitution donne aux électeurs la possibilité d'approuver seulement les dispositions qu'ils apprécient et de rejeter les dispositions qui ne leur plaisent pas[25]. Il est évident que si le président de la République soumet seulement certaines dispositions de la loi de révision constitutionnelle à référendum, la décision de l'Assemblée nationale n'est valable que pour les dispositions soumises à référendum.

Enfin il convient de préciser brièvement la procédure du référendum.

Le président de la République doit d'abord effectuer son choix entre la ratification[26], le renvoi et le référendum dans un délai de quinze jours maximum à partir de la transmission de la loi à la présidence de la République (art.89, al.1 en vertu de l'article 175, al.2). Ainsi contrairement au président de la République française, le président de la République turque n'a pas de possibilité de suspendre la procédure de révision constitutionnelle. Si le président de la République décide de soumettre à référendum la loi de révision constitutionnelle, il la publie au Journal officiel dans le même délai de limite.

Selon l'article 2 de la loi du 23 mai 1987, « le référendum sur la révision constitutionnelle a lieu le premier dimanche qui suit le 120e jour après la publication de la loi concernant la révision constitutionnelle »[27].

Avec la loi constitutionnelle n° 3361 du 17 mai 1987, la participation à référendum est devenue obligatoire. En effet le dernier alinéa de l'article 175[28], « la loi prend toutes les mesures nécessaires, y compris les amendes, pour assurer la participation au référendum... »[29].

Selon l'article 79 de la Constitution, le référendum se déroule sous l'administration et le contrôle du Conseil électoral supérieur[30].

Les résultats du référendum sont proclamés par le Conseil électoral supérieur (art.79). Pour entrer en vigueur, la loi de révision constitutionnelle soumise à référendum doit réunir en sa faveur la majorité absolue des votes valablement exprimés (art.175, al.6). Ainsi quelque soit le taux de participation à référendum, si le nombre des votes « oui » dépasse celui des « non », la loi de révision constitutionnelle est censée être approuver.

Jusqu'à maintenant il y a eu deux applications du référendum en matière de révision constitutionnelle. Dans le premier, qui a été organisé le 6 septembre 1987, la loi concernant la révision de l'article transitoire 4 de la Constitution a été approuvée par 50,16 % des votes exprimés (taux de participation : 93,58 %)[31]; par contre dans le second référendum, qui a été organisé le 25 septembre 1988, la loi concernant la révision de l'article 127 de la Constitution a été rejetée par 65 % des votes exprimés (taux de participation : 88,82 %)[32].


 

[1]. Loi n° 2709 du 7 novembre 1982, Türkiye Cumhuriyeti Resmi Gazetesi [Journal officiel de la République turque], n°17863 du 9 novembre 1982. Pour sa traduction en français voir : Constitution de la République turque de 1982, Traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information, Ankara, 1982, 129 p. Nos citations sont tirées de cette traduction. Lorsque nous nous en écartons, nous le précisons en bas de page.

 

[2]. Nous nous écartons ici de la traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information (« ...ainsi que les dispositions de l'article 2 relatives aux caractéristiques de la République... »), pour adopter une lecture littérale (« ...ainsi que les caractéristiques de la République précisées dans l'article 2... [...2'nci maddesindeki Cumhuriyetin nitelikleri... ] »).

 

[3]. La traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information, op. cit., p.7.

 

[4]. Signalons qu'il y a une virgule entre les expressions « ...droits de l'homme » et « dans un concept... ». Cette virgule est omise dans la traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information. Voir op. cit., p.6).

 

[5]. Nous nous écartons ici également de la traduction établie par la Direction générale turque de la presse et de l'information (« ...dans un esprit de... »), pour adopter une lecture littérale (« ...dans un concept de... [... anlayisi içinde... ] »).

 

[6]. La traduction établie par la Direction générale turque de la presse, op. cit., p.6.

 

[7]. Yildizhan Yayla, « 1982 Anayasasina Göre Devletin Özü [L'essence de l'Etat selon la Constitution de 1982] », Idare Hukuku ve Ilimleri Dergisi [Revue du droit et des sciences administratives], 1983, n° 1-3, p.38.

 

[8]. Erdal Onar, 1982 Anayasasinda Anayasayi Degistirme Sorunu [Question de révision constitutionnelle sous la Constitution de 1982], Ankara, 1993, p.13.

 

[9]Ibid., p.14.

 

[10]. Ergun Özbudun, Türk Anayasa Hukuku [Le droit constitutionnel turc], Ankara, Yetkin Yayinlari, 1986, p.80.

 

[11]. Mümtaz Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], Istanbul, Gerçek Yayinevi, 1990, s.397-398. Le même problème est souligné encore par Taha Parla, Türkiye'de Anayasalar [Les Constitutions en Turquie], Istanbul, 1991, p.33, ainsi que par Onar, op. cit., p.14.

 

[12]. Onar, op. cit., p.15.

 

[13]. La traduction établie par la Direction générale turque de la presse, op. cit., p.3-5.

 

[14]. Par exemple Soysal, op. cit., p.172 ; Özbudun, op. cit., p.59-60 ; Onar, op. cit., p.16.

 

[15]. Özbudun, op. cit., p.59-60.

 

[16]. Soysal, op. cit., p.172-175.

 

[17]. Onar, op. cit., p.16.

 

[18]Ibid.

 

[19]. La traduction établie par la Direction générale turque de la presse, op. cit., p.6.

 

[20]. Rappelons que l'article 288 de la Constitution portugaise de 1976 prévoit au moins dix-huit limites matérielles dans quatorze alinéas. Ce chapitre, Section 1, § 1.

 

[21]. Voir infra, Deuxième partie, Titre 2, Chapitre 2, Section 2.

 

[22]. La nouvelle version de l'article 175 adoptée par la loi constitution n° 3361 du 17 mai 1987 (Ma traduction).

 

[23]. Özbudun, op. cit., 3e éd., p.125.

 

[24]. Onar, op. cit., p.129.

 

[25]. Onar, op. cit., p.124.

 

[26]. Rappelons toutefois que le président de la République ne peut ratifier une loi constitutionnelle que si la majorité des deux tiers est acquise.

 

[27]. La loi n° 3376 du 23 mai 1987 (La loi sur le référendum constitutionnelle).

 

[28]. Ajouté par la loi n° 3361 du 17 mai 1987.

 

[29]. Signalons que selon l'article 67 de la Constitution, « les citoyens ont le droit... de participer aux référendums ». Autrement dit, l'article 67 a réglementé la participation aux référendums comme un « droit ». Par conséquent le dernier alinéa de l'article 175 est en contradiction avec l'article 67. On peut résoudre cette contradiction par la règle lex posterior derogat priori et par lex specialis derogat generali en faveur du dernier alinéa de l'article 175. Cette disposition est vivement critiquée par la doctrine. Voir par exemple, Soysal, op. cit., p.277, Onar, op. cit., p.119-124 ; Erdogan Teziç, Anayasa Hukuku [Droit constitutionnel], Istanbul, Beta, 1991, p.249.

 

[30]. Le Conseil électoral supérieur (Yüksek Seçim Kurulu) « se compose de sept membres titulaires et de quatre membres suppléantes. Six d'entre eux sont élus par l'Assemblée générale de la Cour de Cassation et cinq par l'Assemblée générale du Conseil d'Etat parmi leurs propres membres... » (art. 79).

 

[31]. Pour les résultats officiels, voir Resmi Gazete [Journal officiel], n° 19572 du 12 septembre 1987.

 

[32]. Pour les résultats officiels, voir Resmi Gazete [Journal officiel], n° 19946 du 1 octobre 1988.

 

 

---------------------

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2
La question de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels

 

 

 

 

Après avoir vu dans le chapitre précédent l'inventaire des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels, dans ce chapitre, nous nous poserons la question de la valeur juridique de ces limites. Nous verrons d'abord les données du débat doctrinal classique sur cette question (Section 1). Ensuite nous essayerons de faire une appréciation générale de la question (Section 2).

 

 


 

 

 

 

 

 

 

Section 1
Les données du  débat doctrinal classique

 

 

 

 

Le débat doctrinal classique sur la question de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels s'articule essentiellement au tour de deux thèses contradictoires. Selon la première thèse, ces limites sont privées de toute valeur juridique, alors que selon la deuxième, elles ont la valeur juridique. Nous verrons d'abord ces deux thèses contradictoires (Sous‑section 1). Ensuite nous examinerons les deux questions suivantes qui occupent une place particulière dans ce débat : celle de savoir si le pouvoir de révision peut surmonter des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels par les révisions successives et celle de savoir si ces limites sont sanctionnées en cas de leur transgression (Sous‑section 2).

 

 

 

 

 

 

Sous-section 1
Les deux thèses classiques

 

 

 

A propos de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels, dans la doctrine classique du droit constitutionnel, on a soutenu en général deux thèses contradictoires. Selon la première thèse, ces limites sont privées de toute valeur juridique, par conséquent elles ne lient pas le pouvoir de révision constitutionnelle. Par contre selon la deuxième, ces limites ont la valeur juridique et par conséquent elles s'imposent à l'exercice de ce pouvoir.

§ 1. La thèse selon laquelle les limites à la révision Constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique

Nous verrons d'abord l'exposé, ensuite, la critique de cette thèse.

A. Exposé

Selon cette thèse qui est d'ailleurs, très répandue dans la doctrine[1], les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel sont privées de toute valeur juridique. En d'autres termes, dans cette thèse, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ne sont pas perçues comme des normes juridiques pleinement obligatoires, mais comme des « idées », ou des « souhaits politiques » sans force juridique[2]. Bref elles ne sont que des « barrières de papier »[3]. Par conséquent, elles ne s'imposent pas à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

I. Avant de voir les arguments sur lesquels cette thèse s'étaye, il convient de remarquer que cette thèse qui nie la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle résulte en effet de la thèse de la permanence exclusive du pouvoir constituant originaire. Comme nous l'avons vu plus haut[4], les défenseurs de cette thèse nient l'existence même d'un pouvoir de révision constitutionnelle. Selon eux, chaque fois que l'on a besoin de réviser la constitution, c'est toujours le même pouvoir originaire qui apparaît. Ainsi, les auteurs qui n'acceptent pas l'existence d'un pouvoir de révision constitutionnelle distinct du pouvoir constituant originaire n'acceptent pas non plus la valeur juridique des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à l'exercice de ce pouvoir. En effet, pour eux, ce problème ne se pose même pas, parce qu'il n'existe pas de pouvoir de révision constitutionnelle à limiter.

C'est pourquoi, les arguments invoqués en faveur de la thèse de la permanence exclusive du pouvoir constituant originaire, autrement dit, celle de la négation de l'existence du pouvoir de révision constitutionnelle, peuvent aussi être avancés en faveur de la thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique. Nous avons vu ces arguments dans le titre préliminaire[5]. C'est pourquoi nous ne n'y revenons pas.

II. Maintenant, voyons les autres arguments sur lesquels s'étaye la thèse niant la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle[6].

1. L'argument le plus habituel invoqué en faveur de cette thèse consiste à dire qu'une génération ne peut lier les générations futures[7]. Les auteurs de la constitution initiale ne peuvent imposer leurs vues aux générations suivantes. Les défenseurs de cette idée s'inspirent en effet essentiellement de la théorie de Thomas Jefferson, selon laquelle

« chaque génération est indépendante de celle à laquelle elle succède, comme celle-là même l'était de la génération qui l'a précédée. Elle a, comme l'une et l'autre, le droit de se choisir la forme de gouvernement, qu'elle juge le plus favorable à son bonheur, et par conséquent, d'accommoder aux circonstances dans lesquelles elle se trouve placée, les institutions qu'elle a reçues de ses pères »[8].

Ainsi, pour Jefferson, « les morts n'ont pas de droits. Ils ne sont rien ». En faveur de cette idée, il est également coutume de citer l'article 28 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 24 juin 1793[9]. Selon cet article,

« un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de réviser sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ».

2. Le deuxième argument consiste à dire que les constitutions sont préparées dans les conditions politiques, sociales à un moment donné. Ces conditions changent toujours conformément à l'évolution sociale. Par conséquent les constitutions aussi doivent s'adapter à ces conditions changées[10].

3. Selon un troisième argument, la valeur de ces limites dépend en effet des circonstances de force. Si les tendances de changement dans la société augmentent, de toute façon, ces limites seront supprimées un jour. Car les révolutions sont inévitables[11]. Les dispositions intangibles de la constitution ne sauraient empêcher une révolution[12]. Si ces dispositions ne sont pas révisables par les moyens réguliers, elles seront révisées par les voies révolutionnaires[13]. Par conséquent, pour de ne pas préparer le terrain aux révolutions, et pour que le système ne soit pas complètement bloqué, la constitution doit être révisable dans toutes ses parties[14].

4. Ensuite, selon les défenseurs de cette thèse, le pouvoir constituant d'aujourd'hui ne peut lier le pouvoir constituant de l'avenir[15]. « Le pouvoir constituant qui s'exerce à un moment donné n'est pas supérieur au pouvoir constituant qui s'exercera dans l'avenir et ne prétendre le restreindre »[16]. D'ailleurs selon Georges Vedel « le pouvoir constituant étant le pouvoir suprême de l'Etat ne peut être lié même par lui-même »[17]. « Le constituant originaire ne dispose pas de pouvoir de lier le titulaire du pouvoir de révision »[18].

5. Un autre argument qui est souvent invoqué pour condamner la valeur juridique de ces limites, c'est l'illégitimité de mettre des entraves à l'exercice de la souveraineté du peuple[19]. D'après les défenseurs de cet argument, les limites à la révision constitutionnelle sont inconciliables avec le principe de la souveraineté nationale. Par exemple, selon Julien Laferrière, « s'interdire de modifier sa Constitution serait de la part de la nation, renoncer à l'élément essentiel de sa souveraineté »[20]. Il invoque cet argument surtout pour les interdictions de réviser la constitution pendant un certain délai. Ainsi selon Julien Laferrière,

« théoriquement, il est douteux qu'une constitution puisse exclure, même pour un certain délai, la possibilité de sa révision, ce qui revient à supprimer chez la nation, pendant cette période l'exercice du pouvoir constituant »[21].

Cet argument a été réaffirmé récemment par Georges Vedel : « Le souverain ne peut se lier lui-même. En vertu de sa souveraineté, il peut changer à tout moment la norme qui interdit de changer » [22].

6. Encore, selon Julien Laferrière « juridiquement la constitution est une loi ; or, de par sa nature, la loi est un acte perpétuellement modifiable »[23]. D'après lui « le système des constitutions rigides doit comporter la possibilité d'entreprendre à tout moment... la révision dont l'opinion publique éprouve la nécessité »[24]. D'ailleurs, comme le remarque Marie-Françoise Rigaux, « le droit lui-même est conçu comme un ensemble de règles susceptibles de changer : elles peuvent être abrogées, modifiées, elles peuvent être suspendues d'application, faire l'objet de régimes transitoires »[25]. D'autre part, dans le même ligne, le principe de logique juridique « non-contradiction » a été invoqué par Paolo Biscaretti Di Ruffia, en faveur de cette thèse. Selon ce principe « la norme postérieure dans le temps pourrait toujours modifier ou abroger la norme antérieure d'égale efficacité »[26].

7. L'un des premiers auteurs qui défendent cette thèse, c'est W. Burckhardt. Il soutient que la révision constitutionnelle ne peut être liée à aucune règle impérative préétablie. Ainsi les dispositions relatives à la révision de la constitution n'ont point la valeur de règles de droit véritables[27]. Selon W. Burckhardt, la constitution originaire est un res facti et son autorité est purement factuelle, par conséquent les révisions constitutionnelles ultérieures ne peuvent pas davantage être subordonnées à une règle de droit proprement dit et demeurent nécessairement res facti, non juris[28].

Argument essentiel de W. Burckhardt, invoqué pour démontrer le caractère extra‑juridique des révisions constitutionnelles, est le suivant :

« les fondateurs d'une Constitution quelconque n'ont point qualité pour en réglementer les révisions futures : il leur faudrait, à cet effet, un pouvoir qu'ils ne sauraient se conférer à eux-mêmes »[29].

Ainsi W. Burckhardt déclare que

« les prescriptions que renferme une Constitution touchant sa révision éventuelle, présupposeraient, pour être juridiquement obligatoires, l'existence d'un statut supérieur, qui ait attribué à l'autorité de qui elles émanent, le pouvoir de régler l'exercice futur de la puissance constituante elle-même : or, il n'existe, en dehors et au‑dessus de la Constitution à réviser aucun statut suprême, qui ait pu déférer à qui que ce soit ce pouvoir superconstituant »[30].

Notons qu'en faveur de cette thèse, deux arguments ont été encore avancés : celui selon lequel le pouvoir de révision constitutionnelle a la possibilité des surmonter ces limites par les révisions successives et celui qui soutient l'absence de sanction en cas de leur transgression. Nous allons étudier en détail ces deux arguments plus bas[31]. Car, a notre avis, ces deux arguments posent des questions particulières et par conséquent méritent d'être examinés d'une façon plus approfondie.

B. Critique

I. Nous avons déjà noté que cette thèse qui nie la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle résulte en effet de la thèse de la permanence exclusive du pouvoir constituant originaire. Comme on l'a vu dans le titre préliminaire[32], les défenseurs de cette thèse n'acceptent pas l'existence d'un pouvoir de révision constitutionnelle distinct du pouvoir constituant originaire. Selon eux, chaque fois que l'on a besoin de réviser la constitution c'est toujours le même pouvoir originaire qui apparaît. Quand on leur montre que les constitutions, en réglant leur révision, créent un pouvoir de révision constitutionnelle et qu'ainsi elles prévoient des limites à son exercice, cette fois-ci, les partisans de cette thèse restent obligés, d'une certaine façon, de nier la valeur juridique des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle. Ainsi, le rejet de la valeur juridique de ces limites résulte en effet d'une certaine attitude doctrinale qui consiste à refuser l'existence d'un pouvoir de révision constitutionnelle distinct du pouvoir constituant originaire. En d'autres termes, l'attitude des partisans de cette thèse est édictée par leur conception niant l'existence du pouvoir de révision constitutionnelle. Pour eux, logiquement, il y a une grande difficulté logique à accepter la valeur juridique des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

En d'autres termes, quand la thèse qui nie l'existence du pouvoir de révision constitutionnelle est démentie par le droit positif, les partisans de cette thèse, au lieu de corriger leur point de vue, ont choisi de nier la valeur juridique des dispositions de la constitution qui réfutent leur thèse. Il est évident que lorsqu'une thèse doctrinale n'est pas confirmée par le droit positif, ce qui doit être révisée, c'est la thèse doctrinale, non pas le droit positif.

Par contre après avoir accepté l'existence d'un pouvoir de révision constitutionnelle distinct du pouvoir constituant originaire, il n'y a pas aucune difficulté logique à accepter la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle, ainsi que la valeur juridique des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à son exercice.

II. Maintenant nous pouvons passer à critiquer les arguments invoqués en faveur de cette thèse ci-dessus. Mais avant de cela, il convient d'abord de déterminer la portée et le destinataire de ces interdictions.

D'abord, notons que les interdictions de réviser la constitution constituent une immutabilité partielle de la constitution, non pas une immutabilité totale de la constitution. A vrai dire, aucune constitution n'interdit à tout jamais et sur tous les points de sa révision[33]. Les constitutions interdisent leur révision seulement pendant un certain délai ou sur tel ou tel point.

Deuxièmement, ces interdictions sont adressées au pouvoir de révision constitutionnelle, non pas au pouvoir constituant originaire. C'est‑à‑dire qu'ici il y a la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle, non pas du pouvoir constituant originaire. En d'autres termes, ces interdictions visent les révisions faites dans le cadre déterminé par la constitution, non pas celles faites par les révolutions ou les coups d'Etat. Les constitutions interdisent leur révision pendant un certain délai, ou sur tel ou tel point par la mise en oeuvre des procédures fixées par elles-mêmes, non pas par les révolutions. Car, comme on l'a déjà indiqué, les révolutions sont des purs faits, qui ne connaissent pas des restrictions juridiques. C'est pourquoi une constitution ne peut ni prévoir, ni interdire sa révision révolutionnaire. Et dans la pratique aussi, les constitutions en général ne contiennent aucune disposition interdisant leur révision révolutionnaire. C'est‑à‑dire que les constitutions en général ne nient pas les révolutions[34]. Les dispositions de la constitution sont adressées aux pouvoirs constitués, y compris au pouvoir de révision constitutionnelle, mais non pas au pouvoir constituant originaire. Ce dernier, étant un pur fait, n'est pas lié par les dispositions de la constitution.

Si l'on prend en considération d'une part que les limites à la révision constitutionnelle sont partielles et d'autre part qu'elles s'adressent au pouvoir de révision constitutionnelle, non pas au pouvoir constituant originaire, une bonne partie de ces arguments invoqués en faveur de la thèse selon laquelle ces limites sont dénuées de valeur juridique s'effondrent.

1. Ainsi si l'on rend compte que ces limites sont partielles, l'argument selon lequel une génération ne peut lier les générations futures s'atténue. Car, ces limites ne lient que les générations futures sur quelques points, non pas sur l'ensemble de la constitution.

Il est évident qu'une génération ne peut lier complètement les générations futures. Cependant les constitutions ne sont pas des textes qui doivent être faits de génération en génération. Elles sont avant tout des textes de stabilité. C'est pourquoi l'intangibilité de ces quelques dispositions peut être jugée comme raisonnable.

D'ailleurs, il y a des auteurs qui n'acceptent pas cet argument de générations futures. Par exemple selon Pierre Pactet,

« il est souhaitable, au contraire, que les constituants fassent ou partagent entre les quelques questions qui leur paraissent essentielles et qui ne peuvent pas être remises en cause sans coup de force et les autres, de beaucoup les plus nombreuses, qui peuvent toujours être modifiées »[35].

Il y a aussi des contre-arguments sur le même thème. On peut ainsi parler de la nécessité d'assurer la continuité entre les générations[36]. D'ailleurs la nation « n'est pas faite uniquement de générations vivantes ; elle regroupe aussi les générations passées et futures »[37]. Par conséquent les générations passées peuvent laisser quelques traces pour les générations futures.

Enfin, il faut noter que les générations futures ont toujours la possibilité de réviser ces dispositions intangibles de la constitution par les moyens révolutionnaires. Car ce qu'interdisent ces dispositions de la constitution, c'est leur révision selon la procédure prévue par la constitution. En d'autres termes, les générations futures peuvent toujours supprimer les limites à la révision constitutionnelle par la mise en oeuvre de leur pouvoir constituant originaire.

2. D'autre part, il est vrai que la société évolue et les conditions sociales, politiques dans lesquelles la constitution a été élaborée changent toujours et par conséquent, la constitution doit s'adapter à ces conditions changées. D'abord notons que les dispositions intangibles de la constitution restent toujours exceptionnelles. En dehors de quelques points essentiels, la forte majorité des dispositions constitutionnelles sont toujours susceptibles d'être révisées en fonction de changements sociaux. D'ailleurs, même la partie intangible, comme on l'a déjà expliqué, peut être changée à tout moment par le pouvoir constituant originaire.

Enfin, comme le remarque Marie-Françoise Rigaux, il faut assurer une certaine stabilité et continuité dans la société qui évolue. Il faut sauvegarder de manière absolue certains principes dans la société mouvante[38]. « La constitution est chargée d'assurer le lien entre la souveraineté politique, les normes sociales et les aspirations existentielles d'une société en mutation constante »[39].

3. Quant à l'argument selon lequel ces interdictions sont toujours révisables par les révolutions, nous pouvons dire que c'est une observation tout à fait juste, mais elle ne concerne pas la portée de ces interdictions. Comme on l'a déjà dit, ces interdictions sont adressées au pouvoir de révision constitutionnelle, non pas au pouvoir constituant originaire. En d'autres termes, elles interdisent la révision des dispositions intangibles par la mise en oeuvre du mode prévu par la constitution. Elles ne concernent nullement la révision de ces dispositions par les modes révolutionnaires.

En d'autres termes comme on va le voir plus loin[40], l'objectif des dispositions intangibles n'est pas d'interdire les révolutions, mais d'éviter les phénomènes révolutionnaires latents qui, sous l'apparence de légalité, bouleverseraient l'ordre des institutions[41]. En d'autres termes, les auteurs de la constitution veulent que ces dispositions ne soient pas remises en cause sans sortir du cadre constitutionnel[42].

4. Ensuite, l'argument qui soutient que le pouvoir constituant d'aujourd'hui ne peut lier le pouvoir constituant de l'avenir résulte en effet du fait que les défenseurs de cet argument n'acceptent pas l'existence d'un pouvoir de révision constitutionnelle distinct du pouvoir constituant originaire. Nous avons vu les idées des ces auteurs dans le titre préliminaire[43]. C'est pourquoi, nous n'y reviendrons pas ici. Mais simplement notons que si l'on accepte l'existence d'un pouvoir de révision constitutionnelle distinct du pouvoir constituant originaire, cet argument ci-dessus s'effondre. Car, dans cette conception, il y a une hiérarchie entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir de révision constitutionnelle. Par conséquent, le pouvoir constituant originaire d'aujourd'hui, étant un pouvoir suprême peut lier le pouvoir de révision constitutionnelle de l'avenir, étant un pouvoir inférieur à lui.

5. Quant à l'argument de la souveraineté invoqué pour démontrer le caractère illimité du pouvoir de révision constitutionnelle, on peut également constater que plusieurs auteurs fondent la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle sur un même argument. Par exemple, selon le professeur Olivier Beaud, comme on l'a vu[44], le pouvoir constituant originaire est un pouvoir souverain, tandis que le pouvoir de révision constitutionnelle est un pouvoir non souverain. Ainsi il en déduit le caractère limité du pouvoir de révision[45]. Le président Dmitri Georges Lavroff aussi utilise le même argument. Selon lui,

« la distinction du pouvoir constituant originaire, qui est directement exercé par le souverain, du pouvoir constituant institué, qui est mis en oeuvre par des organes que la constitution a établis et dans les limites des pouvoirs et des conditions de procédure que celle-ci a fixées, est justifiée par la volonté de faire respecter la volonté du souve­rain par les organes qui ont été créés par lui. Ne pas distinguer le pouvoir originaire directement exercé par le souverain des pouvoirs institués qui sont confiés à des organes créés par la constitution, conduit à nier les pouvoirs du souverain, en tout cas à les amputer au bénéfice des représentants qui agissent en son nom »[46].

Comme on le voit, après avoir fait la distinction du pouvoir constituant originaire et du pouvoir de révision constitutionnelle, l'argument selon lequel les dispositions intangibles de la constitution sont inconciliables avec le principe de la souveraineté nationale s'effondre, car c'est le pouvoir constituant originaire qui est souverain non pas le pouvoir de révision constitutionnelle. Par conséquent, étant un pouvoir non souverain devant le pouvoir constituant originaire, le pouvoir de révision constitutionnelle peut être limité. Et cette limitation ne serait pas contraire au principe de la souveraineté nationale, au contraire c'est la nécessité tirée de ce principe même.

D'ailleurs, comme le disait Carré de Malberg,

« dans le système de la souveraineté nationale, la nation seule, envisagée dans son ensemble organisé, est souveraine : l'un de ses organes, pris séparément, ne peut pas, pour sa part posséder une puissance illimitée. A cet égard, le principe de souveraineté exclusive de la nation exige que la puissance des organes constitués soit déterminée et limitée par une règle supérieure, qui définira les actes dans leur compétence ou, en tout cas, qui imposera à leur activité des bornes qu'ils ne pourront pas dépasser »[47].

De plus, selon certains auteurs, les règles qui empêcheraient un peuple d'exercer ses prérogatives constitutionnelles en toute liberté peuvent être considérées comme légitimes. Car, comme on l'a déjà noté, la nation n'est pas faite seulement de générations vivantes, mais elle regroupe aussi les générations passées et futures[48]. Les générations passées peuvent laisser quelques traces pour les générations futures, en moyen des dispositions intangibles de la constitution.

Enfin, selon Marie-Françoise Rigaux, « que le peuple détienne le pouvoir constituant ne signifie nullement que ce soit là l'unique mode d'expression de sa souveraineté. Celle-ci s'exerce dans tous les pouvoirs qu'il institue et selon la diversité des techniques qu'il prévoit »[49]. La souveraineté populaire se manifeste ainsi au sein du pouvoir législatif, au sein du pouvoir exécutif[50].

Quant à l'argument de l'impossibilité de l'autolimitation du souverain, on peut dire que cet argument s'effondre si l'on prend en considération que les limites à la révision constitutionnelle sont adressées au pouvoir de révision constitutionnelle, non pas au pouvoir constituant originaire. En d'autres termes, il y a ici la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle, non pas de l'autolimitation du pouvoir constituant originaire. Par conséquent le pouvoir constituant originaire, étant un pouvoir souverain, peut prévoir des limites à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle qui est un pouvoir non souverain.

6. Guy Héraud critique l'argument selon lequel « juridiquement la constitution est une loi ; or, de par sa nature la loi est un acte perpétuellement modifiable »[51] en disant que « sans doute la constitution est une loi, Cependant d'un point de vue juridique positif, il n'y a aucune nécessité à concevoir la possibilité de révision constitutionnelle, quand la constitution la prohibe »[52].

D'autre part, le principe de non-contradiction selon lequel « la norme postérieure dans le temps pourrait toujours modifier ou abroger la norme antérieure » ne peut pas être invoqué en faveur de cette thèse. Car ce principe est valable pour les normes occupant le même rang dans la hiérarchie des normes. En d'autres termes, si la règle antérieure occupe un rang supérieur à celui de la règle postérieure dans la hiérarchie des normes, la règle postérieure ne peut modifier la règle antérieure. Dans notre cas, les règles intangibles sont posées par le pouvoir constituant originaire ; et si l'on admet qu'il y a une hiérarchie entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir de révision constitutionnelle, le pouvoir de révision constitutionnelle, étant un pouvoir inférieur à l'autre, ne peut les modifier.

7. Carré de Malberg critique l'argument de Burckhardt qui soutient le caractère extra‑juridique de la révision constitutionnelle. Selon Carré de Malberg, la doctrine de Burckhardt méconnaît le point de vue de la science du droit.

« Une théorie juridique de l'Etat ne peut se baser que sur l'hypothèse du maintien de l'ordre régulier en vigueur : dès qu'on suppose que cet ordre pourrait, à un moment donné, perdre son efficacité, il ne reste plus place pour aucune construction de droit public ; car au cas où les règles de la Constitution viendraient à être mises de coté, on entrerait purement et simplement dans le domaine du hasard et de l'arbitraire. S'il fallait, comme le propose Burckhardt pour la révision, refuser le caractère de règles de droit à toutes celles des prescriptions constitutionnelles qui courent le risque d'être un jour foulées aux pieds, ce critérium aurait pour effet d'ébranler la valeur juridique d'une grande partie des institutions consacrées par la Constitution en vigueur »[53].

Ainsi, tous les arguments invoqués en faveur de la thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique sont en réalité réversibles ou réfutables. Pour cela, comme on vient de le voir, il suffit de prendre en considération, d'une part, le fait que ces limites sont adressées au pouvoir de révision constitutionnelle, non pas au pouvoir constituant originaire, et d'autre part, le fait que ces limites ne constituent qu'une intangibilité partielle de la constitution.

Après avoir ainsi exposé et critiqué la thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont dénuées de toute valeur juridique, maintenant nous pouvons passer à l'examen de la deuxième thèse sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle.

§ 2. La thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle ont la valeur juridique

Tout d'abord, notons que comme la première thèse est défendue essentiellement par les auteurs qui défendent la permanence du pouvoir constituant originaire, cette thèse aussi est défendue par les auteurs qui acceptent l'existence du pouvoir de révision constitutionnelle distinct du pouvoir constituant originaire. Car, après avoir accepté l'existence d'un tel pouvoir, il n'y a aucune difficulté logique à accepter la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle, ainsi que la valeur juridique des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à son exercice.

Bref selon les partisans de cette thèse, le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut s'exercer que dans le cadre déterminé par la constitution. Ainsi, les dispositions de la constitution qui déterminent ce cadre ont la valeur juridique, et s'imposent à l'exercice de ce pouvoir. Nous avons déjà examiné les arguments des partisans de cette thèse dans le titre préliminaire sous la question « le pouvoir de révision constitutionnelle est-il limité »[54]. C'est pourquoi nous allons étudier ici les arguments autres que ceux-ci.

D'abord précisons que les arguments de cette thèse sont développés essentiellement à propos des interdictions de réviser la constitution sur tel ou tel point. Les arguments les plus habituels se concentrent sur l'objectif de ces interdictions.

1. Les auteurs notent que les dispositions intangibles de la constitution ont pour objet d'assurer la permanence du régime, autrement dit une certaine stabilité aux institutions[55]. En d'autres termes, « le mobile essentiel qui pousse un constituant à protéger contre toute modification ultérieure certaines des dispositions initiales » de la constitution s'explique par la « vocation de conjurer les désordres d'une société donnée et de faire accroître sans discontinuer l'harmonie de celle-ci »[56]. Les dispositions intangibles de la constitution participent à cet idéal puisqu'elles donnent à l'Etat ses assises doctrinales[57].

Ainsi, Marie-Françoise Rigaux précise que les dispositions intangibles de la constitution ont pour objet de « préserver les bases essentielles d'un Etat contre des atteintes fatales »[58]. « La protection visée par de telles normes s'inspire du souci plus large de maintenir l'harmonie d'une communauté politique »[59].

2. Selon un autre argument, la constitution doit

« prévoir les instruments qui sauvegardent les institutions d'une société contre des assauts incontrôlés menés par des groupes agissant dans leur intérêt exclusif... Dans cette perspective, on ne peut plus dénier de façon aussi péremptoire toute forme d'effectivité à des règles constitutionnelles qui seraient frappées d'intangibilité dans le but de préserver la société contre des bouleversements qu'elle ne saurait maîtriser à défaut d'elles. Il est des moments, dans la vie constitutionnelle d'un Etat, qui peuvent s'accommoder de ce type de dispositions : un garde-fou juridique peut contenir parfois des mouvements dont l'impétuosité engendrerait des bouleversements non jugulables »[60].

La note accompagnant la rédaction définitive de l'article 79, paragraphe 3 de la Loi fondamentale allemande de 1949 explique parfaitement l'objectif des règles intangibles. Selon la note,

« cette disposition a pour but d'éviter que la loi fondamentale puisse être l'objet d'une révision totale ou d'un anéantissement qui, en particulier cacherait sous un voile de légalité, un mouvement révolutionnaire antidémocratique. Un tel article ne saurait empêcher une révolution ; tout mouvement révolutionnaire est susceptible d'engendrer du droit nouveau, mais au moins il ne saurait tirer d'une légitimité ou d'une qualité juridique apparente, les titres d'une légalité nouvelle »[61].

Ainsi Marie-Françoise Rigaux conclut que l'objectif de telles dispositions intangibles est d'« assurer la pérennité de l'ordre (démocratique) de l'Etat contre un mouvement ‘révolutionnaire’ latent qui, sans déchaînement de violence, suivrait les règles prévues pour la révision de la constitution, mais bouleverserait l'ordonnancement constitutionnel estimé fondamental »[62].

En conclusion, on peut dire que l'objectif des dispositions intangibles n'est pas d'interdire les révolutions, mais d'éviter les phénomènes révolutionnaires latents qui, sous une apparence de légalité, bouleverseraient l'ordre des institutions[63]. En d'autres termes, les auteurs de la constitution veulent que ces dispositions ne soient pas remises en cause sans sortir de la constitution[64].

3. Après avoir ainsi déterminé l'objectif des limites à la révision constitutionnelle, maintenant nous pouvons passer à l'examen des autres arguments invoqués par les différents auteurs en faveur de la thèse acceptant la valeur juridique de ces limites.

D'une façon générale, notons que ces arguments consistent à dire que les limites à la révision constitutionnelle s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision, car elles sont posées par le pouvoir constituant originaire ; et par conséquent le pouvoir de révision, étant un pouvoir institué par ce pouvoir, est lié par ces limites[65].

A notre connaissance, c'est Adhémar Esmein qui a, pour la première fois, défendu la thèse de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle, sous la IIIe République, à propos de l'intangibilité de la forme républicaine du gouvernement (le paragraphe 3 de l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, ajoutée par l'article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août 1884).

Selon Esmein, après la loi constitutionnelle du 14 août 1884, « la portée possible de la révision est limitée sur ce point »[66].

« Il ne faudrait pas, d'ailleurs, dire et croire que l'Assemblée Nationale de révision soit souveraine. Elle exerce, il est vrai, le pouvoir constituant, mais seulement dans la mesure et aux conditions déterminées par les lois constitutionnelles elles-mêmes. En dehors de cette sorte de délégation constitutionnelle, elle est sans titre et sans autorité. Elle ne peut même pas invoquer, pour s'affranchir de ces limitations, un prétendu mandat qu'elle aurait reçu du corps électoral représentant la souveraineté nationale, puisqu'elle n'a pas été spécialement élue en vue de la révision »[67].

En d'autres termes, selon Esmein,

« l'Assemblée Constituante ainsi créée [conformément à la loi constitutionnelle du 25 février 1875] n'aurait pas des pouvoirs illimités. Elle ne pourrait pas changer la forme républicaine du gouvernement, car elle ne tiendrait son existence légale, constitutionnelle, que d'une Constitution qui elle-même contenait cette restriction »[68].

D'autre part, Maurice Hauriou, lui aussi, accorde une valeur juridique à l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par la loi constitutionnelle du 14 août 1884. Selon lui, « il faudrait bien conclure logiquement de ce texte (de 1884) qu'une révision de la constitution modifiant la forme républicaine du gouvernement serait inconstitutionnelle »[69].

Guy Héraud admet l'idée qu'« une bonne Constitution, évidemment, doit prévoir des modes de révision qui permettent un remaniement total... La prohibition des révisions constitutionnelles est vanité de la part du constituant, en même temps que naïve maladresse »[70]. Mais ajoute-t-il, « cette argumentation politique n'a pas de valeur sur le terrain du droit ; d'un point de vue juridique positif il n'y a aucune nécessité à concevoir la possibilité de révision constitutionnelle quand la Constitution la prohibe »[71]. Ainsi, pour Guy Héraud peut-être que certaines des limites à la révision constitutionnelle sont des ordonnancements maladroits, mais non pas anti-juridiques[72]. Par conséquent,

« il n'est pas pertinent de critiquer, sinon d'un point de vue politique, l'état du droit positif. Les procédures politiquement critiquables, ne font qu'utiliser une construction juridique nécessaire à toutes et en particulier à l'explication des procédures satisfaisantes ; aucune argumentation proprement juridique ne permet de récuser la validité des premières »[73].

Egalement, selon Maurice Duverger, juridiquement les limites à la révision constitutionnelle « s'imposent à l'organe de révision : puisqu'il tient son pouvoir de la constitution, il doit la respecter »[74].

Rappelons que Georges Burdeau aussi défend la même thèse à propos des dispositions relatives à l'intangibilité du régime dans son Traité de science politique[75]. Nous avons vu sa théorie dans le titre préliminaire[76]. C'est pourquoi nous n'y revenons pas.

De nos jours, les auteurs acceptent de plus en plus la valeur juridique de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement. Par exemple, Charles Debbasch et ses amis estiment que la thèse qui soutient que l'article 89, alinéa 5, n'a aucune valeur juridique n'est pas fondée. Car, selon eux, « le pouvoir constituant dérivé est obligé de respecter la Constitution en vigueur ; seul le pouvoir constituant originaire qui établit une constitution, pourrait adopter n'importe quelle forme politique »[77]. D'ailleurs ils pensent que « l'autorité de révision étant un pouvoir institué, et non le pouvoir constituant originaire, ne peut, sans commettre de détournement de pouvoir, accomplir une révision contraire à l'esprit qui animait le pouvoir constituant originaire »[78].

Egalement selon Dmitri Georges Lavroff,

« cette interdiction [art.89, al.5] peut être considérée comme ayant une valeur juridique au résultat du raisonnement suivant : le pouvoir de révision de la Constitution est un pouvoir institué, on voit mal comment un pouvoir institué pourrait détruire le texte qui l'institue, car il perdrait du même coup la base de sa légitimité »[79].

En conclusion, selon cette thèse, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ont la valeur juridique, c'est‑à‑dire qu'elles s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle. Car, premièrement, ces dispositions ont pour objet d'assurer la permanence du régime, ainsi que de protéger l'ordre de l'Etat contre un mouvement révolutionnaire latent qui, sans déchaînement de violence, suivrait les règles prévues pour la révision de la constitution, mais bouleverserait l'ordonnancement constitutionnel fondamental. Deuxièmement, ces limites sont prévues par la constitution, et le pouvoir de révision constitutionnelle, étant un pouvoir organisé par la constitution, doit nécessairement les respecter.

* * *

L'appréciation générale de ces deux thèses sera faite plus bas, dans la deuxième section de ce chapitre. Nous l'y avons placée, parce que nous allons la faire à la lumière des notions ou des critères qui seront expliquées dans cette section, comme la notion de l'existence matérielle[80], comme les critères de justice[81] et d'efficacité[82].


 

[1]. Joseph Barthélemy et Paul Duez, Traité de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1933 (Réimpression : Economica, 1985), p.231 ; Julien Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, Paris, Editions Domat-Montchrestien, 2e édition, 1947, p.289 ; Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.117 ; Burdeau, Essai d'une théorie de la révision des lois constitutionnelles, op. cit., p.3‑4 ; Georges Liet-Veaux, Droit constitutionnel, Paris, Editions Rousseau, 1949, p.163 ; Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Hamon et Troper op. cit., p.81 ; Debbasch et alii, op. cit., p.93 ; Gicquel, op. cit., p.180.

 

[2]. Barthélemy et Duez, op. cit., p.231 ; Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.289.

 

[3]. Liet-Veaux, Droit constitutionnel, op. cit., p.163. L'expression « barrière de papier » est reprise récemment par François Luchaire (L'Union européenne et la Constitution », Revue du droit public, 1992, p.1591).

 

[4]. Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 1, § 1, A.

 

[5]. Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 1, § 1, A.

 

[6]. Notons que ces arguments ont été développés en France à l'occasion des dispositions d'abord du paragraphe 3 de l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 (ajouté par la loi constitutionnelle du 14 août 1884) (« la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition »), ensuite des article 94 (« Au cas d'occupation de tout ou partie du territoire métropolitain par des forces étrangères aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie ») et 95 (« la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision ») de la Constitution de 1946 et enfin de l'article 7 in fine ( « il ne peut faire l'application... de l'article 89 de la Constitution durant la vacance de la Présidence de la République... »), des alinéas 4 (« Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire ») et 5 (« la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ») de l'article 89 de la Constitution de 1958.

 

[7]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.288.

 

[8]. Lettre à Samuel de Kerchival du 12 juillet 1816, Mélanges politiques et littéraires, extraites de mémoires et de la correspondance de Thomas Jefferson, Paris, 1883, t.II, p.287, cité par Arnoult, op. cit., p.7. A ce propos voir également Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.410 ; Rigaux, op. cit., p.249.

 

[9]. Voir par exemple, Rigaux, op. cit., p.235.

 

[10]. Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.56 ; Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.288 ; Rigaux, op. cit., p.237.

 

[11]. Héraud, L'ordre juridique..., op. cit., p.234.

 

[12]. Rigaux, op. cit., p.239.

 

[13]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.288.

 

[14]. D'ailleurs, il faut noter que la révolution se définit par la violation des dispositions relatives à la révision de la constitution en vigueur (Voir Georges Liet‑Veaux, La continuité de droit interne : essai d'une théorie juridique des révolutions, (Thèse pour le doctorat en droit, Faculté de Droit de Rennes) Paris, Sirey, 1942, p.64, 103, 400.

 

[15]. Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.117.

 

[16]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.289.

 

[17]. Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.117.

 

[18]. Rigaux, op. cit., p.233.

 

[19]. Ibid., p.235.

 

[20]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.288.

 

[21]Ibid., p.291. A ce propos Gicquel parle d'« image de la souveraineté » (Gicquel, op. cit., p.180).

 

[22]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.90.

 

[23]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.288.

 

[24]Ibid., p. 291.

 

[25]. Rigaux, op. cit., p.237.

 

[26]. Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.56.

 

[27]. W. Burckhardt, Kommentar des Schweizerischen Bundesverfassung vom 29. Mai 1874, Bern, 1905, p.7 et s. cité par Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.524, note 17.

 

[28]Ibid. (cité par Carré de Malberg, Contribution..., op.cit., t.II, p.523). Voir également Rigaux, op. cit., p.36.

 

[29]Ibid. (cité par Carré de Malberg, Contribution..., op.cit., t.II, p.523).

 

[30]Ibid. (cité par Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.523 et Burdeau, Essai d'une théorie de la révision..., op. cit., p.13-14).

 

[31]. Cette section, Sous-section 2, § 1 et § 2.

 

[32]. Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 1, § 1.

 

[33]. Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.117.

 

[34]. A notre connaissance, il y a seulement deux constitutions qui nient le phénomène révolutionnaire. Les constitutions mexicaine (1917) et vénézuélienne (1961) stipulent que les interventions de fait n'ont aucun effet sur la validité de la constitution. (La Constitution mexicaine du 31 janvier 1917, art.136 : « Cette Constitution ne perdra pas sa force et son effet même si son observation est interrompue par la rébellion » (Amos J. Peaslee, Constitutions of Nations, The Hague, Martinus Nijhoff, 3e édition, 1970, vol. IV, The Americas, p.1353). La Constitution vénézuélienne du 23 janvier 1963, art.250 : « Cette Constitution ne perdra pas son effet même si son observation est interrompue par la force ou si elle est abrogée par les moyens autres que ceux prévus par la Constitution elle-même » (Peaslee, op. cit., vol.IV, p.951).

 

[35]. Pactet, op. cit., p.78.

 

[36]. En ce sens, Rigaux, op. cit., p.236-237.

 

[37]Ibid., p.249.

 

[38]Ibid., p.237.

 

[39]Ibid., p.250.

 

[40]. Voir infra, cette section, § 2.

 

[41]. Rigaux, op. cit., p.232, 239.

 

[42]Ibid., p.241.

 

[43]. Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 1, § 1, A.

 

[44]. Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 2, § 2, B, 2.

 

[45]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.319 et s. ; Id., « La souveraineté de l'Etat, la pouvoir constituant et le Traité de Maastricht », op. cit., p.1049 ; Id., « Maastricht et la théorie constitutionnelle », op. cit., p.15.

 

[46]. Lavroff, Le droit constitutionnel... op. cit., p.99-100. C'est nous qui soulignons.

 

[47]. Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.545-546.

 

[48]. Rigaux, op. cit., p.249.

 

[49]Ibid., p.249.

 

[50]Ibid.

 

[51]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.291.

 

[52]. Héraud, L'ordre juridique..., op. cit., p.254.

 

[53]. Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.525-526, note 17.

 

[54]. Titre préliminaire, Chapitre 1, Section 2, § 2.

 

[55]. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.289 ; Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.235.

 

[56]. Rigaux, op. cit., p.236.

 

[57]Ibid., p.237.

 

[58]Ibid., p.248.

 

[59]Ibid., p.255.

 

[60]. Ibid., p.241. M.-F. Rigaux note que « l'expérience douloureuse du nazisme pour le monde et pour nombre de citoyens d'Allemagne peut expliquer qu'en 1949 les députés de Bonn aient songé à adopter un article 79, paragraphe 3, restreignant l'objet des révisions ultérieures de la loi fondamentale portant, notamment, sur le respect des droits de l'homme ou des principes démocratiques » (Ibid., p. 241-242).

 

[61]. Voir le texte allemand in Jahrbuch des offentliches Rechts, Tübingen, Mohr, 1951, B.1, p.586 (séance du 16 décembre 1948) cité par Rigaux, op. cit., p.84 et 232.

 

[62]. Rigaux, op. cit., p.232.

 

[63]Ibid., p.239.

 

[64]Ibid., p.241.

 

[65]. Par exemple : « le pouvoir de révision, par nature institué, est soumis aux règles diverses prévues par le pouvoir constituant originaire » (Rigaux, op. cit., p.234). « De telles interdictions ont une valeur absolue, parce que le pouvoir constituant originaire aurait pu mettre un obstacle de cette nature au pouvoir de révision postérieur, en faisant dépendre la continuité juridique du système normatif tout entier du respect de pareilles normes » (Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.56).

 

[66]. Adhémar Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, 8e édition revue par Henry Nézard, Paris, Sirey, 1928, t.II, p.545.

 

[67]Ibid., p.549.

 

[68]Ibid., p.554.

 

[69]. Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1re édition, 1923, p.297. Notons que, comme on l'a vu dans le titre préliminaire, (Chapitre 2, Section 2, § 2, B) Maurice Hauriou défend le principe de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle en tout état de cause. Il limite le pouvoir de révision constitutionnelle non seulement par la limite matérielle prévue par le texte constitutionnel, mais aussi par d'autres limites non-inscrites dans le texte constitutionnel.

 

[70]. Héraud, L'ordre juridique..., op. cit., p.233.

 

[71]Ibid., p.234.

 

[72]Ibid., p.234. Dans le même sens voir Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.235 : « Ces restrictions peuvent être imprudentes ou inutiles ; elles sont parfaitement et juridiquement fondées ».

 

[73]. Héraud, L'ordre juridique..., op. cit., p.235.

 

[74]. Maurice Duverger, Manuel de droit constitutionnel et de science politique, Paris, P.U.F., 5e édition, 1948, p.195. Pourtant notons que selon Duverger, politiquement ces limites « ne signifient rien, sinon l'obligation de recourir à la révolution pour modifier les dispositions proclamées immuables lors de l'établissement de la constitution » (Ibid.).

 

[75]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p. 236-239.

 

[76]. Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 2, § 2, B, 1.

 

[77]. Debbasch et alii, op. cit., p.606.

 

[78]Ibid., p.93.

 

[79]. Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.106. Rappelons que selon le président Lavroff, « il est toujours possible de recourir au pouvoir constituant originaire qui n'est pas enfermé dans les mêmes limites que le pouvoir institué » (Ibid.). Voir à ce propos supra, Titre préliminaire, Chapitre 2, Section 1, § 1, B, 2.

 

[80]. Pour l'appréciation faite à la lumière de la notion de l'existence matérielle voir infra, ce chapitre, Section 2, Sous-section 1, § 1, A.

 

[81]. Pour l'appréciation faite à la lumière du critère de justice (la validité axiologique) voir infra, ce chapitre, Section 2, Sous-section 2, § 2, A.

 

[82]. Pour l'appréciation faite à la lumière du critère d'efficacité (la validité matérielle) voir infra, ce chapitre, Section 2, Sous-section 2, § 2, B.

 

 

----------------------

 

 

 

 

Sous-section 2
Les deux questions particulières

 

 

 

Dans cette sous-section, nous allons étudier les deux questions qui occupent une place particulière dans le débat doctrinal classique sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels : celle de savoir si le pouvoir de révision constitutionnelle peut surmonter les limites à la révision constitutionnelle par les révisions successives (§ 1) et celle de savoir si ces limites sont sanctionnées en cas de leur transgression (§ 2).

§ 1. Le pouvoir de révision constitutionnelle
peut-il surmonter les limites à la révision constitutionnelle par les révisions successives ?

Nous verrons d'abord les thèses en présence (A). Ensuite nous tenterons de faire une appréciation générale de la question (B).

A. Les thèses en présence

A ce propos, dans la doctrine de droit constitutionnel, il y a deux thèses contradictoires.

1. La thèse selon laquelle le pouvoir de révision peut surmonter les limites à la révision constitutionnelle par les révisions successives[1]

Selon cette thèse, qui est d'ailleurs très répandue dans la doctrine, même si les dispositions intangibles de la constitution ont formellement la valeur juridique, le pouvoir de révision constitutionnelle aurait la possibilité de surmonter ces interdictions en deux temps : en abrogeant d'abord la norme interdisant la modification, et puis en révisant la norme dont la révision est interdite. Par exemple en France, le pouvoir de révision peut d'abord abroger l'alinéa 5 de l'article 89 conformément à sa procédure, et peut réviser ensuite la forme républicaine du Gouvernement.

A propos de la valeur juridique de la loi constitutionnelle de 1884 qui interdisait de réviser « la forme républicaine du Gouvernement », une semblable thèse a été pour la première fois développée par Léon Duguit. Il défendait que l'Assemblée nationale de révision peut même changer la forme républicaine du gouvernement. L'un de ses arguments consistait à dire que

« cette disposition a été votée par une assemblée nationale de révision et... par conséquent elle peut être modifiée ou abrogée par une autre assemblée de révision..., par conséquent, si tant que ce texte existe l'assemblée nationale ne peut pas changer la forme du gouvernement, elle n'a qu'à l'abroger, et la chose faite, elle pourra très constitutionnellement changer la forme républicaine du gouvernement »[2].

Ensuite, sous la IVe République, cette thèse a été défendue par Georges Vedel à propos de la valeur juridique de l'article 95 de la Constitution de 1946 prévoyant la même interdiction. Selon Vedel, l'obstacle de l'article 95 peut être levé de la façon suivante : « Il suffit de faire abroger par voie de révision l'article 95 précité ; après quoi l'obstacle étant ainsi levé, une seconde révision peut porter sur la forme républicaine du gouvernement »[3].

Depuis Léon Duguit et Georges Vedel, cet argument est devenu classique et a été cité a peu près par tous les auteurs qui traitent le sujet de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle[4].

Nous allons discuter longuement le bien-fondé de cette thèse plus bas. Mais notons tout de suite que, si la constitution n'interdit pas la révision de la norme qui prévoit une intangibilité par une règle auto-référentielle (par ex. « Cet article est lui-même exclu de toute révision »), nous aussi nous pensons que le pouvoir de révision constitutionnelle peut surmonter cette intangibilité en deux temps. Car, après avoir abrogé conformément à sa procédure la norme interdisant la révision (par exemple l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française), il ne reste aucune disposition juridique en vigueur qui interdit de toucher l'intangibilité (par ex. la forme républicaine). Dans ce deuxième temps, le pouvoir de révision constitutionnelle peut réaliser la révision anciennement interdite. Car, dans cette deuxième phase, il n'existe aucune limite en vigueur qui peut s'imposer à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

Cependant, cette thèse a été contestée par plusieurs auteurs. Alors voyons maintenant ces critiques, comme deuxième thèse, sur notre question.

2. La thèse selon laquelle le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut pas surmonter les limites à la révision constitutionnelle par les révisions successives

Selon cette thèse, le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut pas toucher la norme dont la révision est interdite même en deux temps. Plusieurs arguments sont invoqués en faveur de cette thèse.

Les auteurs qui défendent cette thèse parlent en général de l'esprit de la constitution, du détournement des normes constitutionnelles, ou de l'hypocrisie de ce procédé.

Par exemple selon Philippe Ardant, dans cette possibilité, « la lettre de la Constitution serait observée mais pourrait-on dire que son esprit ait été respecté? »[5].

Egalement pour Pierre Pactet aussi, la possibilité de surmonter ces limites en deux temps apparaît théorique et douteuse.

« Théorique, dit-il, parce que lorsque les circonstances sont suffisamment graves pour qu'il soit question de passer outre une interdiction constitutionnelle, les titulaires du pouvoir de révision constitutionnelle n'ont généralement pas le loisir de décomposer l'opération en deux temps, ils sont pressés d'aboutir et, de toute manière, le respect de la légalité les préoccupe très peu, comme on l'a bien vu en juillet 1940. Douteuse, affirme-t-il encore, parce qu'il serait trop facile, dans ces conditions, de tourner les dispositions constitutionnelles. En effet, l'argument des deux révisions successives est fallacieux, la vérité étant qu'elles forment un ensemble indissociable, et illicite puisque la première, la plus hypocrite, ne sert qu'à préparer les voies à la seconde. De toute manière, l'esprit du texte est trahi »[6].

A notre avis, les arguments de Pierre Pactet ne sont pas fondés. D'abord son premier argument qui consiste à dire que les titulaires du pouvoir de révision constitutionnelle n'ont généralement pas le loisir de décomposer l'opération de révision en deux temps n'est pas un argument d'ordre juridique. Quant à son deuxième argument, il faut d'abord démontrer que la forme républicaine du gouvernement et l'interdiction de sa révision forment un ensemble indissociable. Cependant Pierre Pactet ne le démontre pas. Sans une telle démonstration, à notre sens, on ne peut pas parler du détournement des dispositions constitutionnelles, ni du caractère illicite de ce procédé. Enfin, son troisième argument, qui consiste à dire que « de toute manière, l'esprit du texte est trahi », nous conduit à un autre problème que nous allons étudier plus loin[7]. On va le voir, l'esprit de la constitution n'est pas une notion objectivement définissable, tout au moins si l'on ne se réfère pas aux dispositions intangibles de la constitution. Et si l'on se réfère a ces dispositions, le troisième argument de Pierre Pactet s'effondre parce qu'il devient syllogistique.

D'autre part, Massimo Luciani aussi refuse la thèse des deux révisions successives par le motif qu'elle est excessivement formaliste et oublie que l'identité de l'Etat est essentiellement forgée par des valeurs fondamentales autour desquelles se forme le consensus unionis. D'où le fait qu'éliminer une de ces valeurs signifie altérer l'identité de l'Etat, c'est‑à‑dire, passer d'une constitution à une autre, pas simplement la modifier[8].

Il nous semble que l'argument de Massimo Luciani est basé essentiellement sur la thèse de supraconstitutionnalité. Car, sans avoir accepté que les valeurs fondamentales dont il parle se trouvent au-dessus de la constitution, on ne peut pas en déduire les conséquences juridiques pour le pouvoir de révision constitutionnelle. Or, comme on va le voir plus bas[9], nous refusons l'existence des normes supraconstitutionnelles.

Plus récemment, Louis Favoreu a refusé la thèse de révisions successives. Il remarque qu'

« une telle démarche, s'apparentant à un détournement de procédure, ne serait sans doute pas acceptée par les juges constitutionnels allemand, autrichien, italien ou espagnol. Même en France, il paraît difficile, politiquement, de procéder ainsi, dès lors que le recours aux lois constitutionnelles tend à se banaliser : ce qui a été fait en 1958, dans une situation exceptionnelle et à l'occasion d'un changement complet de Constitution, est difficilement envisageable en période normale et pour une révision partielle alors surtout que le contexte juridique et l'environnement international ont été profondément modifiés. En définitive donc, le Conseil constitutionnel n'oserait sans doute, en période normale, censurer la démarche ci-dessus décrite ; mais, en période normale, le pouvoir constituant n'oserait pas y procéder »[10]

Otto Pfersmann, en examinant l'alinéa 3 de l'art.79 de la Loi fondamentale allemande, se pose d'abord la question de savoir « quel est le statut de cet alinéa lui‑même ».

« En d'autres termes, cette disposition est-elle auto-référentielle ? Une lecture ‘éliminativiste’ pourrait conclure qu'il suffit de réviser cet alinéa selon la procédure normale pour abroger l'interdiction qu'il entend rendre intangible. Une telle interprétation est souvent et faussement taxée de ‘positiviste’. Ceci est faux, car, on impute ici à une approche positiviste d'introduire une hypothèse additionnelle d'interprétation selon laquelle tout ce qui n'est pas défendu est permis. Or une telle démarche n'est pas positiviste, mais idéaliste, puisqu'elle projette ainsi dans un ordre juridique donné une règle qui lui est de première abord extérieure, car il se pourrait justement que le droit positif en dispose autrement. Mais à défaut d'autres indications, une lecture éliminativiste ne serait pas entièrement exclue. Il serait possible d'avancer que le sens de cette disposition est d'interdire que les limites énoncées soient directement affectées par un amendement constitutionnel. Le législateur qui voudrait déroger à l'intangibilité de la dignité de la personne humaine aurait à franchir un obstacle supplémentaire. Or il ressort clairement du contexte historique de l'élaboration de la Loi fondamentale que les pères constituants n'avaient voulu se contenter d'une si modeste protection, qu'ils avaient au contraire voulu donner à cette disposition le sens d'une interdiction absolue. Il faut donc admettre une règle additionnelle selon laquelle la modification de cet alinéa est également interdite dans le cadre de la Loi fondamentale, faute de quoi cet alinéa serait dépourvu de signification »[11].

Mais Otto Pfersmann constate qu'

« ici se pose un deuxième problème, car on pourrait dire qu'il suffit alors de déroger explicitement par une révision constitutionnelle à cette règle additionnelle (ou à une règle explicite équivalente, si elle figurait dans une constitution : par ex. ‘Cet article est lui-même exclu de toute révision’). Pour se protéger contre cela il faudrait introduire une nouvelle règle interdisant que l'interdiction ne fasse l'objet d'une révision, et ainsi de suite à l'infini. On a parlé de cette occasion du paradoxe de l'auto-référentialité[12] de ce type de règles. Sans pouvoir entrer plus avant dans cette problématique qui exige des développements propres, il nous suffira de remarquer ici que la défense de modification à quelque méta-niveau que ce soit constitue une condition sans laquelle cette disposition serait tout simplement dépourvue de sens »[13].

B. L'Appréciation générale de la question

On vient de voir les deux thèses contradictoires sur la question de savoir si le pouvoir de révision constitutionnelle peut surmonter les limites à la révision constitutionnelle par les révisions successives. Comment peut-on trancher ce débat ?

Nous allons essayer de résoudre cette question essentiellement en nous inspirant du raisonnement d'Otto Pfersmann et ceci sur l'exemple de l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française stipulant que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ».

D'abord, répétons que selon la thèse des révisions successives, l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement peut être surmontée en deux temps : en abrogeant d'abord l'alinéa 5 de l'article 89, en révisant ensuite la forme républicaine. Pour cela il n'y a aucun obstacle juridique, parce que la révision de l'alinéa 5 n'est pas interdite dans la Constitution. Ce qui est interdit, c'est de réviser la forme républicaine, non pas de réviser l'alinéa 5 qui la prévoit. C'est‑à‑dire que l'alinéa 5 lui-même n'est pas exclu de révision.

Cet argument est apparemment logique. Ceci car, le constituant de 1958 avait toujours eu la possibilité d'interdire la révision, non seulement de la forme républicaine, mais aussi de l'alinéa 5 qui prévoit cette interdiction. S'il l'avait voulu, il aurait dû interdire la révision de l'alinéa 5. Puisqu'il ne l'a pas fait, on peut en déduire que le constituant de 1958 a lui-même donné au pouvoir de révision constitutionnelle la possibilité de réviser l'alinéa 5.

En s'inspirant d'Otto Pfersmann, on peut affirmer que cet argument n'est pas tout à fait satisfaisant. En tout cas, cette thèse de la possibilité de surmonter les limites à la révision constitutionnelle en deux temps mérite d'être abordée d'une façon plus détaillée.

En premier lieu, supposons que le pouvoir constituant originaire ait voulu reconnaître une intangibilité absolue à la forme républicaine du gouvernement, et que dans ce but, il ait voulu interdire non seulement la révision de la forme républicaine, mais aussi celle de l'alinéa 5 qui le prévoit. Pour cela, le pouvoir constituant originaire a deux possibilités :

(1) soit il peut ajouter à l'alinéa 5 une deuxième phrase stipulant que « cet alinéa est lui-même exclu de toute révision », c'est‑à‑dire dans la forme d'une règle auto-référentielle[14] ;

(2) soit il peut introduire dans la Constitution une règle additionnelle spécifiant que « l'alinéa 5 de l'article 89 est exclu de toute révision ».

Commençons par la première.

1. L'interdiction de réviser l'alinéa 5 par une règle auto-référentielle

Il est évident que le pouvoir constituant originaire peut ajouter à l'alinéa 5 de l'article 89 la phrase suivante : « Cet alinéa est lui-même exclu de toute révision ». Appelons la nouvelle version de l'alinéa 5, l'« alinéa 5´ ».

Dans ce cas, personne ne peut positivement prétendre que l'interdiction de réviser la forme républicaine peut être surmontée en deux temps. En effet, la forme républicaine est protégée par l'alinéa 5´. Pour modifier la forme républicaine il faut d'abord réviser l'alinéa 5´. Mais ceci est formellement est impossible, car l'alinéa 5´ dit qu'« il est lui-même exclu de toute révision ». C'est‑à‑dire que l'alinéa 5´ est lui-même est un obstacle juridique pour sa révision. Autrement dit, l'interdiction de réviser l'alinéa 5´ résulte de cet alinéa lui-même. C'est pourquoi nous disons que l'alinéa 5´ est auto-référentiel.

Dans cette hypothèse, la réponse à la question de savoir si le pouvoir de révision constitutionnelle peut réviser l'alinéa 5´, est la suivante : Non. Le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut pas réviser l'alinéa 5´, car l'alinéa 5´ interdit sa propre révision.

Il faut remarquer que cette phrase est auto-référentielle. Elle fait référence à elle‑même. La deuxième partie de cette phrase répète la première partie : Le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut pas réviser l'alinéa 5´, car, l'alinéa 5´ dit que « le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut pas réviser l'alinéa 5´ »[15].

2. L'interdiction de réviser l'alinéa 5 par une règle additionnelle

Comme on l'a déjà noté, la révision de l'alinéa 5 peut être interdite par une règle additionnelle qui stipule que « l'alinéa 5 (de l'article 89) est exclu de toute révision ». Cette règle peut être mise sous la forme d'un sixième alinéa ajouté à l'article 89, ou bien sous la forme d'un nouvel article introduit dans la Constitution. Quelle que soit sa forme, appelons cette règle additionnelle l' « alinéa 5».

Maintenant, continuons notre raisonnement. D'abord comme première hypothèse, prenons l'état actuel de la Constitution française ; et comme deuxième hypothèse, supposons que, dans la Constitution française, il y ait une règle additionnelle (alinéa 51) qui protège l'alinéa 5.

Première hypothèse : il n'existe pas d'alinéa 51.

Dans cette hypothèse, l'alinéa 5 peut être révisé conformément à la procédure normale, parce qu'il n'existe pas d'alinéa 51 qui le protège. C'est‑à‑dire que l'interdiction de réviser la forme républicaine peut être surmontée en deux temps : en abrogeant d'abord l'alinéa 5, et en révisant ensuite la forme républicaine. C'est la thèse de la « double révision » que nous avons vue plus haut.

Deuxième hypothèse : Il existe un alinéa 51.

L'alinéa 5 ne peut pas être révisé, parce que l'alinéa 51 est en vigueur.

Mais, dans cette hypothèse aussi l'interdiction de réviser la forme républicaine du Gouvernement n'est pas absolue. Cette interdiction peut être surmontée en trois temps : en abrogeant d'abord l'alinéa 51, en supprimant deuxièmement l'alinéa 5, et enfin en révisant la forme républicaine[16]. Alors, pour protéger cet alinéa 51, on a besoin d'un alinéa 52 qui prévoit que l'alinéa 51 ne peut pas être révisé. Comme troisième hypothèse, supposons qu'il existe un tel alinéa 52.

Troisième hypothèse : Il existe un alinéa 52.

L'alinéa 51 ne peut pas être révisé, parce que l'alinéa 52 est en vigueur.

Mais, dans cette hypothèse aussi, l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement n'est pas absolue. Cette interdiction peut être surmontée en quatre temps : en abrogeant d'abord l'alinéa 52, en abolissant deuxièmement l'alinéa 51, en supprimant troisièmement l'alinéa 5, et en révisant enfin la forme républicaine. Ainsi, pour protéger cet alinéa 52, il faut avoir un alinéa 53 qui protège l'alinéa 52. Même cet alinéa 53, pour se protéger, a besoin d'un alinéa 54, et ainsi de suite à l'infini.

Alors :

- Pour que l'alinéa 5 ne soit pas révisable, il faut qu'il existe l'alinéa 51
- Pour que l'alinéa 5
1 ne soit pas révisable, il faut qu'il existe l'alinéa 52
- Pour que l'alinéa 5
2 ne soit pas révisable, il faut qu'il existe l'alinéa 53
     .
     .
     .
- Pour que l'alinéa 5n ne soit pas révisable, il faut qu'il existe l'alinéa 5n+1

C'est‑à‑dire que pour la valeur n, l'alinéa 5n, pour se protéger, a besoin de l'alinéa 5n+1. Autrement dit, le nième alinéa 5, lui aussi pour se protéger, a besoin d'un n+1ième alinéa 5.

En d'autres termes, même si sont prévues plusieurs règles additionnelles, il y a toujours la possibilité de surmonter l'interdiction. C'est‑à‑dire que s'il y a une règle (par ex. alinéa 5) qui prévoit une intangibilité, on peut surmonter cette intangibilité en deux temps. S'il y a encore une autre règle (par ex. alinéa 51 supposé) qui protège la première règle (par ex. al.5), c'est‑à‑dire s'il y a deux règles qui protègent directement et indirectement la forme républicaine, on peut surmonter cette intangibilité en trois temps et ainsi de suite à l'infini. Pour déterminer alors le nombre de temps dans lequel on peut surmonter l'intangibilité, il faut ajouter « 1 » au nombre de règles relatives à l'intangibilité (l'une prévoit une intangibilité et les autres la protègent). C'est‑à‑dire, s'il y a un nombre « n » de règles qui protègent directement et indirectement le principe intangible, cette intangibilité peut être surmontée en « n+1 » temps.

Alors comme on le voit, même si sont prévues plusieurs règles additionnelles, il y a toujours la possibilité de surmonter l'intangibilité. C'est pourquoi il n'y a pas de différence entre l'existence d'une règle qui prévoit une intangibilité et l'existence d'une règle additionnelle qui interdit la révision de cette règle. Il n'y a pas de différence encore entre l'existence d'une règle qui prévoit une intangibilité et celle de plusieurs règles additionnelles qui se protègent l'une l'autre jusqu'à cette intangibilité. Car, comme on l'a vu, il y a toujours la possibilité de surmonter cette intangibilité en commençant à abroger conformément à la procédure normale de la dernière règle additionnelle vers la première règle qui prévoit l'intangibilité.

Alors comme on le voit, en multipliant les règles additionnelles, on ne résout rien.

Maintenant, rappelons-nous l'argument invoqué en faveur de la thèse de la possibilité de surmonter l'intangibilité en deux temps. Alors, selon cet argument, par la règle prévoyant une intangibilité (par ex. alinéa 5 de l'article 89 : l'interdiction de réviser la forme républicaine), le pouvoir constituant originaire n'a pas voulu assurer une intangibilité absolue à cette interdiction. Car s'il l'avait voulu, il aurait dû adopter une règle additionnelle[17] interdisant la révision de la règle prévoyant l'intangibilité. Puisqu'il ne l'a pas fait, on peut en déduire que le pouvoir constituant originaire a lui‑même permis au pouvoir de révision constitutionnelle de réviser la règle qui prévoit l'intangibilité (par ex. l'alinéa 5).

Ainsi devant notre démonstration ci-dessus cet argument s'effondre. Car, même si le pouvoir constituant originaire avait voulu assurer une intangibilité absolue à une interdiction de réviser la constitution, et dans ce but, même s'il avait adopté plusieurs règles additionnelles protégeant la règle prévoyant cette interdiction, la situation ne change point, parce que, comme on vient de l'expliquer, il y a toujours, pour le pouvoir de révision constitutionnelle, la possibilité de surmonter ces règles additionnelles, même si elles sont très nombreuses. Il lui suffit d'abroger toutes les règles additionnelles en commençant de la dernière jusqu'à la première et enfin de réviser la norme dont la modification est interdite.

Deuxièmement, notons que la logique de la thèse des révisions successives représente un cercle vicieux. Car, en effet, on revient toujours à la situation qui existait au début. L'alinéa 5 pour se protéger a besoin d'une règle additionnelle (alinéa 51). Et la nième règle additionnelle (alinéa 5n), elle aussi, pour se protéger a besoin d'une n+1ième règle additionnelle (alinéa 5n+1). Au début et à la fin de ce raisonnement, c'est toujours la même logique qui se répète : une règle pour se protéger a besoin d'une autre règle.

En résumé, selon le développement ci-dessus, la thèse selon laquelle le pouvoir de révision constitutionnelle a toujours la possibilité de surmonter les interdictions de réviser la constitution sur tel ou tel point par des révisions successives n'est pas satisfaisante, car elle représente un cercle vicieux.

* * *

Conclusion. – 1. Si une constitution prévoit l'intangibilité de l'une de ses dispositions par une règle auto‑référentielle (par ex. : « la forme républicaine du gouvernement et ainsi que cet article lui-même sont exclus de toute révision »), à notre avis, cette disposition bénéficie d'une intangibilité absolue. Car, pour la réviser, il faut d'abord abroger cette disposition ; mais ceci est impossible en vertu de cette disposition elle-même.

2. Par contre, dans l'hypothèse où une constitution prévoit l'intangibilité de l'une de ses dispositions par une règle non auto‑référentielle, c'est‑à‑dire une règle qui n'est pas elle-même exclue de révision (par ex. : l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française), notre conclusion est la suivante :

a) Lorsque la règle qui prévoit l'intangibilité reste en vigueur, on ne peut pas directement modifier la norme dont la révision est interdite. Par exemple en France, on ne peut pas directement réviser la forme républicaine du gouvernement, lorsque l'alinéa 5 de l'article 89 est en vigueur. En effet, dans cette hypothèse, du point de vue du droit positif, il n'y a pas de problème. C'est‑à‑dire tant que l'alinéa 5 de l'article 89 est en vigueur, la forme républicaine du gouvernement reste intangible. C'est ce qu'affirment d'ailleurs les défenseurs de la thèse qui soutient la possibilité de surmonter ces limites en deux temps. Par exemple Léon Duguit, principal défenseur de cette thèse, précisait que « tant que ce texte[18] existe l'assemblée nationale ne peut pas changer la forme républicaine du gouvernement »[19].

b) Et si l'on abroge l'alinéa 5 de l'article 89, il ne reste dans la Constitution aucune règle qui prévoit l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement. Alors, dans cette hypothèse, non plus, du point de vue du droit positif, il n'y a pas de problème, parce qu'il n'existe aucune règle en vigueur interdisant la révision de la forme républicaine du gouvernement. Par conséquent, dans cette deuxième hypothèse, le problème de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle ne se pose même pas.

A la lumière de cette conclusion, nous pouvons affirmer qu'en France, l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement pourrait être surmontée en deux temps, car l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution n'est pas auto-référentiel. Bref, l'alinéa 5 est une règle comme les autres. Par conséquent, il peut être révisé comme toutes les autres règles de la Constitution conformément à la procédure de révision constitutionnelle.

En conséquence, comme on vient de le montrer, si une constitution n'a pas interdit la révision de l'une de ses dispositions par une règle auto‑référentielle, le pouvoir de révision constitutionnelle a toujours la possibilité de surmonter cette interdiction par les révisions successives Même s'il y a plusieurs règles additionnelles qui protègent cette interdiction, la situation ne change point. Il suffit au pouvoir de révision constitutionnelle d'abroger toutes les règles additionnelles en commençant de la dernière jusqu'à la première et enfin, de réviser la norme dont la modification est interdite.

Mais cela ne signifie pas que les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont dénuées de toute valeur juridique. En d'autres termes, il est vrai que les limites à la révision constitutionnelle n'ont pas de valeur juridique absolue, mais elles ont tout de même une valeur juridique relative : tant qu'elles ne sont pas abrogées par une révision préalable, elles s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

§ 2. Les limites à la révision constitutionnelle sont‑elles sanctionnées ?

Dans la doctrine classique du droit constitutionnel, l'autre question qui occupe une place particulière est celle de savoir si les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution sont sanctionnées.

Nous verrons d'abord les thèses qui ont été avancées à propos de cette question (A), ensuite nous essayerons de faire une appréciation générale de la question (B).

A. Les thèses en présence

Voyons d'abord les données classiques de la problématique sous la forme de deux thèses à propos de la question de l'existence de la sanction des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution en cas de leur transgression.

1. La thèse de l'absence de sanction

Sous la IIIe République, à propos de la valeur juridique de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat[20], prévue par l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875[21], Carré de Malberg soutenait que,

« les prescriptions limitatives de l'art 8 n'ont pas de véritable ‘sanction juridique’. Il est certain, en effet, qu'une limitation constitutionnelle dont l'observation dépend de la bonne volonté de l'organe auquel elle est imposée, n'a pas de valeur juridique proprement dite. Ici, en particulier, la limitation est d'autant moins efficace qu'en cas de doute ou de discussion sur sa portée d'application et sur ses effets, il appartient naturellement à l'Assemblée nationale, en tant qu'organe constituant, et même il n'appartient qu'à elle seule, de trancher ces doutes par sa propre interprétation : car, elle seule a, en principe, qualité pour interpréter les textes constitutionnels. Ainsi, toutes ces observations aboutissent, en définitive, à une même conclusion : c'est que la puissance de l'Assemblée nationale ne se trouve pas sérieusement limitée »[22].

Il convient de signaler que même les partisans de la thèse qui soutient la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution soulignent la difficulté de trouver une sanction directe de ces limites. Par exemple Pierre Pactet, après avoir rejeté la thèse selon laquelle le pouvoir de révision a la possibilité de surmonter les interdictions en deux temps, « en revanche, dit-il, on est d'obligé d'admettre que si ces interdictions sont transgressées, il n'y a pratiquement aucune sanction possible »[23].

2. La thèse de l'existence de sanction

Sous la IIIe République, Esmein cherche à trouver une sanction à l'intangibilité de la forme républicaine[24]. D'abord il se pose la question de savoir « comment la théorie de la révision limitée peut-elle s'imposer au respect de l'Assemblée nationale »[25]. Comme réponse à cette question, « il faut, dit-il, s'en remettre à la conscience des membres de l'Assemblée, au sentiment de la règle, qui presque inévitablement dominera la majorité »[26]. En effet, selon Esmein,

« les Constituants de 1789 semblent avoir partagé cette opinion : car, organisant, dans la Constitution de 1791, le système de révision limitée, ils n'ont trouvé que le serment comme moyen de le faire respecter. En 1884, le moyen employé par la majorité de chacune des deux Chambres, qui adoptaient aussi le même système, a été analogue : il y a eu une sorte de contrat, un engagement d'honneur pris par les membres composant cette majorité, de repousser par la question préalable, à l'Assemblée nationale, toute proposition qui porterait sur un point autre que ceux admis par les résolutions préalables des deux Chambres »[27].

D'ailleurs comme une sanction éventuelle des limites à la révision constitutionnelle, Esmein défendait l'idée de retarder indéfiniment la promulgation des lois constitutionnelles[28]. En effet, Esmein constatait que « le délai dans lequel cette promulgation devrait intervenir n'est pas fixé par la Constitution »[29]. Nous allons examiner cette idée d'Esmein dans la deuxième partie de notre thèse à propos de la question de savoir si le président de la République peut refuser la promulgation d'une loi constitutionnelle contraire aux limites à la révision constitutionnelle[30]. C'est pourquoi, on se contentera ici de le signaler.

En conclusion, selon Esmein

« n'y eût-il aucune sanction directe ou indirecte contre les excès de pouvoir commis par une Assemblée Nationale réunie régulièrement pour opérer la révision, il n'en faudrait pas moins tenir fermement que ses pouvoirs ne sont pas illimités. A un certain degré, la loi nécessairement a pour unique sanction et garantie la conscience des autorités suprêmes chargées d'en faire l'application. La Cour de cassation n'a pas d'autorité qui lui soit supérieure quand il s'agit d'établir l'application des lois aux faits particuliers. Qui dirait cependant que la Cour de cassation peut, de parti pris, donner aux lois une interprétation qu'elle saurait ne peut être exacte? Pour être libres, il faut qu'un peuple et ses représentants s'attachent fermement à cette idée, que la Constitution doit toujours être respectée, tant qu'elle existe, en elle-même et pour elle-même »[31].

 

B. L'Appréciation générale de la question

A notre avis, la question de savoir si les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les constitutions sont sanctionnées nécessite la solution d'une question plus générale : la question des normes non sanctionnées.

1. La question des normes non sanctionnées

Peut-il exister des normes non sanctionnées dans un ordre juridique ? Sur cette question, dans la théorie du droit, il y a deux thèses opposées.

a. La thèse selon laquelle il peut exister des normes non sanctionnées dans un ordre juridique

D'abord, les défenseurs de cette thèse constatent que les ordres juridiques historiques contiennent toujours des normes dépourvues de sanctions[32]. Ces normes non sanctionnées se trouvent surtout dans le domaine du droit constitutionnel[33]. On sait que, dans plusieurs cas, les « constitutions contiennent des dispositions précises, des injonctions claires dont cependant la violation ne peut faire l'objet d'aucune réaction institutionnelle quelconque »[34].

Devant ce problème, « la théorie juridique classique a cru pouvoir sortir de la difficulté en inventant une catégorie étrange qu'elle qualifie de ‘lex imperfecta’ »[35]. Par exemple, Jean Dabin baptise le droit constitutionnel ou le droit international de « droit imparfait »[36].

Dans le même sens, une partie de la théorie juridique moderne maintient la définition de l'ordre juridique comme un ordre de contrainte, tout en acceptant qu'il peut y avoir des normes non sanctionnées dans un ordre juridique grosso modo sanctionné. Selon cette thèse, « la contrainte... est une caractéristique qui peut être attribuée à l'ordre juridique pris dans son ensemble, mais non à chacun de ses éléments »[37]. Ainsi par exemple, d'après Guy Héraud,

« la sanction matérielle organisée est le propre de l'ordre juridique, bien qu'on ne puisse dire de chaque règle le composant qu'elle est effectivement sanctionnée, ni même qu'elle bénéficie à coup sûr d'une possibilité de sanction. La sanction, comme ‘la plus grande force’, est le caractère de l'ordre in globo, et non de ses éléments ut singuli »[38].

b. La thèse selon laquelle il ne pourrait pas y avoir de normes juridiques non sanctionnées

Par contre la deuxième thèse, défendue par Hans Kelsen, rejette totalement la catégorie de normes non sanctionnées. Selon lui, il ne pourrait pas y avoir de « normes juridiques dépourvues de sanction, c'est‑à‑dire des normes juridiques qui ordonneraient dans certaines conditions une certaine conduite humaine sans qu'une autre norme institue une sanction pour le cas de non‑obéissance à la première »[39]. Car, d'après Kelsen, une analyse plus serrée montre que les actes qui sont présentés comme des normes non sanctionnées sont, soit, des normes juridiquement irrelevantes, soit, des normes juridiques non indépendantes.

1. Les normes juridiquement irrelevantes. – Il est tout à fait naturel qu'un législateur puisse faire, conformément à sa procédure, un acte qui prescrive une certaine conduite humaine, « sans instituer un acte de contrainte comme sanction pour le cas d'une conduite contraire »[40]. Selon Kelsen,

« en ce cas, si la norme fondamentale supposée est formulée comme une norme qui institue des actes de contrainte, il est impossible de reconnaître à l'acte en question la signification objective correspondant à sa signification subjective ; la norme qui est sa signification subjective ne peut pas être interprétée comme une norme juridique, mais doit être considérée comme juridiquement irrelevante »[41].

En outre, un acte accompli conformément à sa procédure peut être considéré comme juridiquement irrelevant, si la signification de cet acte n'a pas du tout

« le caractère d'une norme qui ordonne ou autorise ou habilite une conduite humaine. Une loi qui a été adoptée d'une façon parfaitement constitutionnelle peut avoir un contenu qui ne représente pas une norme d'aucune sorte, mais qui, par exemple, exprime une théorie religieuse ou politique, ainsi la proposition que le droit émane de Dieu ou que la loi est juste, ou qu'elle réalise l'intérêt du peuple entier »[42].

Ainsi selon Kelsen, « il ne suffit pas que l'acte soit fait suivant une certaine procédure, il faut également et encore qu'il ait une certaine signification subjective »[43] ; c'est‑à‑dire qu'il ait un acte de volonté qui ordonne, autorise ou habilite une conduite humaine. Par conséquent selon Kelsen, on ne peut pas accepter la définition de l'ordre juridique comme simplement un ordre qui est posé conformément à la norme fondamentale, sans y joindre l'élément de contrainte. « Il suit de là, dit-il, qu'il faut rejeter toute définition du droit qui ne le caractérise pas comme un ordre de contrainte »[44].

2. Les normes non indépendantes. – D'autre part, selon Kelsen, la définition de l'ordre juridique comme ordre de contrainte peut être également maintenue à l'égard des normes qui n'instituent pas des actes de contrainte, mais qui donnent simplement le pouvoir de faire des actes, comme par exemple les normes de la constitution qui règlent la procédure de la législation et Cependant qui n'établissent aucune sanction pour le cas où elles ne sont pas observées. Car,

« ce sont des normes non indépendantes, qui simplement déterminent une des conditions auxquelles les actes de contraintes institués par d'autres normes doivent être ordonnés et être exécutés. Ce sont des normes qui attribuent à l'organe de la législation le pouvoir de créer des normes, mais qui n'ordonnent pas cette création de normes ; et, dans cette mesure , des sanctions n'entrent ici absolument pas en ligne de compte. Supposons que les dispositions de la Constitution ne soient pas observées ; il en résulte seulement qu'il ne naît pas de normes juridiques valables ; les normes juridiques ainsi créées sont nulles et annulables »[45].

Ainsi convient-il de parler ici brièvement de la distinction des normes primaires et des normes secondaires. Les normes primaires sont celles qui prescrivent une conduite humaine, tandis que les normes secondaires sont celles qui déterminent de quelle manière ces normes primaires doivent être énoncées[46]. En d'autres termes, les normes secondaires sont des normes de compétence (métanormes) pour établir des normes primaires[47].

Hans Kelsen explique la notion des normes non indépendantes par les termes suivants : « si une norme prescrit une certaine conduite, et si une seconde norme institue une sanction pour le cas d'inobservation de la première, les deux normes sont essentiellement liées l'une à l'autre »[48]. Par exemple les normes qui confèrent à un individu ou à un organe le pouvoir de créer des normes juridiques ont le caractère de normes juridiques non indépendantes[49]. Un exemple illustrera cette catégorie de normes :

« Considérons la situation qui se présente lorsque dans un ordre juridique, le vol est légalement défendu une peine de prison. La condition de la peine ainsi instituée n'est nullement le seul fait qu'un individu a commis un délit. Il faut que le fait du délit soit établi, selon une procédure déterminée par les normes de l'ordre juridique, par le tribunal qui en reçoit le pouvoir à cet effet ; il faut qu'en suite de cette constation, ce tribunal ordonne une peine déterminée par la loi ou par le droit coutumier, et il faut enfin qu'un autre organe exécute cette peine. Le tribunal n'a le pouvoir de prononcer une peine contre le voleur suivant une certaine procédure que lorsqu'une norme générale attachant au vol une certaine peine a été créée suivant une procédure conforme à la Constitution. La norme de la Constitution qui habilite à la création de cette norme générale détermine l'une des conditions auxquelles la sanction est attachée »[50].

On peut ainsi voir apparaître le caractère de normes non indépendantes des règles de la constitution qui donnent le pouvoir de créer des normes générales en réglant l'organisation et la procédure de la législation, ainsi que des règles du Code de procédure pénale qui habilitent à la création de ces normes individuelles. Toutes ces règles ne font que déterminer des conditions dans lesquelles les sanctions pénales doivent être réalisées. « L'accomplissement de tous les actes de contrainte institués par un ordre juridique est conditionné de cette façon »[51]. Ainsi

« la création conforme à la Constitution des normes générales à appliquer par les organes d'application de droit, et la création conforme à la loi des normes individuelles où ces organes ont à appliquer les normes générales, sont des conditions de l'accomplissement des actes de contrainte »[52].

Kelsen conclut en disant qu'« il est juste de caractériser l'ordre juridique comme un ordre de contrainte en dépit du fait que toutes et chacune de ses normes ne statuent pas des actes des contrainte »[53]. Car, premièrement, toutes les « normes qui n'instituent pas elles-mêmes un acte de contrainte sont des normes non indépendantes, puisqu'elles ne valent qu'en liaison avec d'autres qui instituent un acte de contrainte »[54]. Et deuxièmement, « même toutes les normes qui instituent des actes de contrainte n'ordonnent pas toutes une certaine conduite »[55]. Ce sont des normes juridiquement irrelevantes.

En résumé selon cette deuxième thèse, dans un ordre juridique, il ne pourrait pas exister de normes juridiques non sanctionnées. Les normes qui sont présentées comme des normes non sanctionnées sont, en effet soit des normes juridiquement irrelevantes, soit, des normes juridiques non indépendantes.

Maintenant revenons à la question de savoir si les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels sont sanctionnées.

2. Les limites à la révision constitutionnelle sont-elles sanctionnées ?

On se rappellera que, selon plusieurs auteurs, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les constitutions sont privées de valeur juridique, car elles ne sont pas sanctionnées. Il est vrai que les constitutions en général ne prévoient pas de sanctions précises pour ces limites en cas de leur transgression. D'ailleurs, même les auteurs qui acceptent la valeur juridique des ces limites avouent qu'une sanction directe et juridique leur paraît impossible à trouver[56]. Alors comment peut-on résoudre cette question ?

On peut envisager deux solutions.

a. La première solution

Selon une première solution, on peut maintenir le caractère juridique des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les constitutions, malgré l'absence de sanction, en cas de leur transgression. En d'autres termes, ces limites ont le caractère juridique, même si elles sont dépourvues de sanction. Car, comme on l'a vu plus haut, selon une thèse, il peut y avoir des normes non sanctionnées dans un ordre juridique, pris dans son ensemble, appuyé sur la sanction. D'après cette thèse, la sanction, « est une caractéristique qui peut être attribuée à l'ordre juridique pris dans son ensemble, mais non à chacun de ses éléments »[57]. Par exemple selon Guy Héraud, la sanction « est le caractère de l'ordre juridique in globo, et non de ses éléments ut singuli »[58].

Ainsi selon cette solution, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les constitutions ont la valeur juridique, bien qu'elles ne soient pas effectivement sanctionnées. En d'autres termes, selon cette interprétation, l'absence de sanction de ces limites n'enlève pas leur valeur juridique. Car, dans cette interprétation, pour qu'une norme ait le caractère juridique, il lui suffit d'appartenir à un ordre juridique déterminé, même s'il n'est pas prévu pour elle de sanction à part en cas de sa transgression. Mais ceci à la seule condition que l'ordre juridique auquel appartient la norme en question, pris dans son ensemble, soit sanctionné. Autrement dit, un ordre juridique in globo sanctionné peut comporter des normes juridiques dépourvues de sanction. Cependant, ces normes non sanctionnées ne sont pas privées de caractère juridique, si elles font partie d'un ordre juridique déterminé.

Les constitutions contiennent souvent des normes non sanctionnées. Selon cette interprétation, puisque ces normes font partie de l'ordre juridique, elles ont la valeur juridique. De plus, ceci est un phénomène tout à fait normal. Parce que dans la pyramide normative, plus on monte vers le sommet, plus on rencontre de normes non sanctionnées. A vrai dire, quand on monte des normes inférieures vers les normes supérieures, la possibilité d'appliquer les sanctions diminue ; et enfin, quand on atteint la source du pouvoir, c'est‑à‑dire le pouvoir constituant originaire, cette possibilité disparaît totalement. A cet égard, on peut même affirmer que la plupart des normes de constitution sont des normes non sanctionnées, car elles se trouvent au sommet de la pyramide normative, c'est‑à‑dire très proches du pouvoir constituant originaire. Cependant cette absence de sanction n'élimine pas leur caractère juridique, car elles se trouvent, non pas en dehors, mais dans la pyramide juridique, et même à son sommet.

b. La deuxième solution

Par contre selon la deuxième solution, inspirée de l'interprétation de Kelsen sur les normes non indépendantes, ici, il n'y a qu'un faux problème. Car, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les constitutions ne sont pas en effet privées de sanctions. Parce que ce sont des normes non indépendantes, autrement dit des normes secondaires. Comme on l'a déjà vu, ces normes sont des normes de compétence pour établir les normes primaires. En d'autres termes, ce sont des normes qui donnent le pouvoir de créer d'autres normes juridiques.

Selon cette solution, les dispositions de la constitution qui règlent la création des lois de révision constitutionnelle, ainsi que celles qui limitent ces mêmes lois sur tel ou tel point ou bien pendant un certain temps, sont de nature de normes secondaires. Car elles sont des normes qui donnent le pouvoir de réviser la constitution ou bien qui limitent ce même pouvoir ; autrement dit elles sont des normes de compétence. Si ces normes ne sont pas observées, il en résulte seulement qu'il ne naît pas de lois de révision constitutionnelle valables. Par conséquent, les lois de révision constitutionnelle ainsi créées sont nulles ou annulables[59].

Mais comment, c'est‑à‑dire par quels organes et suivant quelles procédures ? Dans la deuxième partie de notre thèse, nous allons discuter de ce problème, c'est‑à‑dire celui de l'invalidation des lois de révision constitutionnelle créées contrairement aux dispositions de la constitution qui règlent leur création.

* * *

En conclusion, on ne peut pas catégoriquement affirmer que les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont des normes non sanctionnées. Du point de vue de la théorie du droit, elles sont des normes secondaires, et par conséquent elles sont sanctionnées lorsque l'invalidation des lois constitutionnelles édictées contrairement à ces limites est possible. Alors, concernant les sanctions des limites à la révision constitutionnelle, la question-clé est celle de savoir si les lois constitutionnelles contraires aux limites à la révision constitutionnelle peuvent être invalidées. La réponse affirmative à cette question dépend de l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Nous avons examiné le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, dans la deuxième partie de notre thèse[60], d'abord dans un cadre théorique[61], ensuite sur le plan pratique[62], à partir de la jurisprudence des cours constitutionnelles de différents pays. En se reportant à nos conclusions de la deuxième partie, notons que dans un pays où il y a un contrôle de la constitutionnalité des lois, si la constitution n'interdit pas expressément au juge constitutionnel de se prononcer sur les lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles ne peut être théoriquement exclu. Le juge constitutionnel peut se déclarer compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Comme nous allons voir, les Cours constitutionnelles allemande[63], autrichienne[64] et turque[65] se sont déjà déclarées compétentes pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Egalement la Cour suprême des Etats-Unis[66] a contrôlé la constitutionnalité de plusieurs amendements constitutionnels.

Ainsi, dans les pays où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées par la décision de l'organe chargé de ce contrôle.

Par contre, dans les pays où il n'existe pas un tel contrôle (par exemple, en France, en ce qui concerne les lois constitutionnelles adoptées par le peuple à la suite d'un référendum[67]), les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas sanctionnées.

En conclusion, nous pensons que l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est décisive pour la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les constitutions. Et si ces limites ne sont pas sanctionnées, le pouvoir de révision constitutionnelle a toujours le choix entre s'y conformer et ne pas s'y conformer. Par conséquent ces limites perdraient leur valeur juridique.

Ainsi, affirmons‑nous la conclusion ci-dessus, selon laquelle l'absence de sanction entraîne inévitablement l'absence de valeur juridique des ces limites. Ainsi, répétons encore une fois que dans les pays où il existe le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées, et par conséquent, elles ont la valeur juridique ; en revanche, dans les pays où il n'existe pas un tel contrôle, ces limites seront dépourvues de sanction, ainsi que de valeur juridique. Et à la fin de notre deuxième partie, nous apporterons une réponse concrète à la question de savoir dans quels pays les limites à la révision constitutionnelle sont sanctionnées, par conséquent, si elles ont la valeur juridique, et dans quels pays elles ne le sont pas, par conséquent si elles sont privées de valeur juridique.

En conséquence, nous pouvons affirmer que l'argument de l'absence de sanction qui était invoqué en faveur de la thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique ne peut pas être catégoriquement retenu, car il y a des pays où ces limites sont sanctionnées. De plus dans les pays où elles ne sont pas sanctionnées, si la constitution n'interdit pas expressément au juge constitutionnel de se prononcer sur les lois constitutionnelles, le juge constitutionnel se déclarera compétent pour contrôler la constitutionnalité de ces lois. Bref, l'argument de l'absence de sanction s'effondre dans l'hypothèse de l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Le dilemme de la sanction

En dernier lieu, en ce qui concerne la question de sanction, on peut parler d'un dilemme. Car, d'une part, comme on vient de l'expliquer, pour que les limites à la révision constitutionnelle soient valables, elles doivent être sanctionnées par le juge constitutionnel. Et d'autre part, comme on va le voir plus tard, pour que le juge constitutionnel puisse sanctionner ces limites, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle doivent être valables[68].

En d'autres termes, la validité des limites à la révision constitutionnelle dépend de leur sanction par le contrôle de constitutionnalité. Et leur sanction par le contrôle de constitutionnalité dépend de la validité de ces limites.

C'est pourquoi l'argument de l'absence de sanction est un argument paradoxal. A vrai dire cet argument peut servir à un observateur extérieur qui veut savoir si telle ou telle disposition de la constitution qui prévoit une limite à la révision constitutionnelle est sanctionnée, et par conséquent valable, mais il ne peut pas servir au juge constitutionnel auquel on demande de statuer sur la validité d'une loi constitutionnelle, car s'il se déclare compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité de cette loi, cela signifie qu'il accepte la validité des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à cette loi constitutionnelle. En d'autres termes, la décision du juge signifie l'application de la sanction.

Alors, dire que pour que les limites à la révision constitutionnelle soient valables, il faut qu'elles soient sanctionnées par le juge constitutionnel, n'a aucun sens du point de vue juge constitutionnel. En effet, la décision du juge constitutionnel signifie l'application de la sanction ; et le juge constitutionnel doit savoir si ces limites sont valables ou non avant de prendre sa décision. En d'autres termes, l'argument de sanction n'est pas un critère utile pour le juge qui veut savoir si ces limites sont valables ou non. C'est pourquoi, l'argument de l'absence de sanction ne peut pas être invoqué devant le juge constitutionnel.

L'un des buts principaux de notre thèse est de savoir si le juge constitutionnel peut contrôler ou non la conformité des lois constitutionnelles aux dispositions de la constitution qui leur imposent des limites. C'est pourquoi nous laissons ici de côté l'argument de l'absence de sanction. Car, comme on vient de le voir, cet argument ne peut jouer aucun rôle devant le juge constitutionnel. Si le juge contrôle ces lois, les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées, et s'il se déclare incompétent, ces limites seront non sanctionnées. C'est pourquoi le juge constitutionnel doit trancher ce débat, sans avoir fait référence à l'argument de sanction. Car tout simplement c'est sa décision qui sera la sanction de ces limites.

Sous-section 2Les deux questions particulières.............................................................. 197

§ 1. Le pouvoir de révision constitutionnellepeut-il surmonter les limites à la révision constitutionnelle par les révisions successives ?.......................................................................................... 197

A. Les thèses en présence.......................................................................................... 197

1. La thèse selon laquelle le pouvoir de révision peut surmonter les limites à la révision constitutionnelle par les révisions successives......................................... 197

2. La thèse selon laquelle le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut pas surmonter les limites à la révision constitutionnelle par les révisions successives...... 199

B. L'Appréciation générale de la question................................................................ 201

1. L'interdiction de réviser l'alinéa 5 par une règle auto-référentielle........ 202

2. L'interdiction de réviser l'alinéa 5 par une règle additionnelle................ 203

§ 2. Les limites à la révision constitutionnelle sont‑elles sanctionnées ?..................... 207

A. Les thèses en présence.......................................................................................... 207

1. La thèse de l'absence de sanction................................................................ 207

2. La thèse de l'existence de sanction............................................................. 208

B. L'Appréciation générale de la question................................................................ 209

1. La question des normes non sanctionnées................................................. 209

a. La thèse selon laquelle il peut exister des normes non sanctionnées dans un ordre juridique............................................................................................... 209

b. La thèse selon laquelle il ne pourrait pas y avoir de normes juridiques non sanctionnées.............................................................................................................. 210

2. Les limites à la révision constitutionnelle sont-elles sanctionnées ?..... 212

a. La première solution........................................................................... 213

b. La deuxième solution.......................................................................... 214

Le dilemme de la sanction............................................................................... 216


 

[1]. Cette thèse est appelée aussi la thèse de la « révision de la révision » (Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.371, 471 ; Id., « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1056) ou « la thèse de la ’double révision’ » (Yann Aguila, Le Conseil constitutionnel et la philosophie du droit, Paris, L.G.D.J., 1994, p.37).

 

2. Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, 2e édition, Paris, Ancienne librairie fontemoing, 1924, t.IV, p.540. C'est nous qui soulignons.

 

[3]. Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.117. Georges Vedel a repris récemment la même thèse. Voir Id., « Schengen et Maastricht », op. cit., p.179 ; Id., « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.90.

 

[4]. Voir par exemple Chantebout, op. cit., p. 39 ; Burdeau, Hamon, Troper, op. cit., 23e éd., p.54 ; Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.57 ; Lavroff, « Le droit saisi par la politique... », op. cit., p.28-29 ; Luchaire, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.124 ; Id., « L'Union européenne et la Constitution », op. cit., p.159 ; Debbasch et alii, op. cit., p.606 ; Shawi, op. cit., p.175 ; Branchet, op. cit., p.62, 64.

 

[5]. Ardant, op. cit., p.78.

 

[6]. Pactet, op. cit., p.76. C'est nous qui soulignons.

 

[7]. Cette partie, Titre 2, Chapitre 2.

 

[8]. Luciani, « La revisione costituzionale in Italia », op. cit., p.134-135 (Escarras, « Présentation du rapport italien de Massimo Luciani », op. cit., p.114).

 

[9]. Cette partie, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous-section 1.

 

[10]. Favoreu, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.76.

 

[11]. Pfersmann, « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.52-53. (C'est nous qui soulignons). Il ajoute, « une révision de cette clause, même par le biais d'une méta‑clause constituerait donc une révolution au sens normatif du terme » (Ibid., p.53).

 

[12]. Voir Alf Ross, « On Self-Reference and a Puzzle in Constitutional Law », Mind, 1969, p.1-24.

 

[13]. Pfersmann,  « La révision constitutionnelle... », op. cit., p.53, note 130.

 

[14]. Une telle règle auto-référentielle se trouvait dans l'article 118 de la Constitution de la République d'Afrique du Sud du 25 avril 1961. L'article 118 prévoyait, d'une part, une procédure renforcée pour la révision de l'article 108 (égalité des langues officielles), et d'autre part, il prévoyait la même procédure renforcée pour sa propre révision (Art. 118. - ... Aucune abrogation ou altération des dispositions du présent article... ne sera valable que si... »). Dmitri Georges Lavroff et G. Peiser, Les constitutions africaines, Paris, Editions A. Pédone, 1964, (Tome II : « Etats anglophones »), p.93.

 

[15]. Il convient de noter que selon un théorème logique, les sentences auto‑référetielles sont dénuées de sens (Voir Alf Ross, « On Self-Reference and a Puzzle in Constitutional Law », Mind, 1969, p.4).

 

[16]. Même si cette hypothèse n'est pas envisagée par la doctrine classique, elle se trouve dans la logique de cette doctrine.

 

[17]. Comme on l'a déjà dit, cette règle additionnelle, qui protège l'alinéa 5, peut être introduite dans la Constitution sous des formes différentes. Par exemple, elle peut être ajoutée à l'alinéa 5, comme deuxième phrase de cet alinéa stipulant que « cet alinéa est lui‑même exclu de toute révision. Ou elle peut être sous la forme d'un alinéa 6 ajoutée à l'article 89 précisant que « l'alinéa 5 est exclu de toute révision ». Ou bien enfin, elle peut être sous la forme d'un article (par exemple l'art.94), ajouté à la Constitution, stipulant que « l'alinéa 5 de l'article 89 ne peut pas être révisé ».

 

[18]. C'est-à-dire le paragraphe 3 de l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février du 1875 (ajouté par la loi constitutionnelle du 14 août 1884).

 

[19]. Duguit, Traité de droit constitutionnel, 2e éd., op. cit., t.IV, p.540.

 

[20]. Le paragraphe 3 de l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 révisée par la loi constitutionnelle du 14 août 1884.

 

[21]. Ajoutée par l'article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août 1884.

 

[22]. Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.603. C'est nous qui soulignons.

 

[23]. Pactet, op. cit., p.76.

 

[24]. Le paragraphe 3 de l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 révisée par la loi constitutionnelle du 14 août 1884.

 

[25]. Esmein, op. cit., t.II, p.549.

 

[26]Ibid. C'est nous qui soulignons.

 

[27]Ibid. C'est nous qui soulignons.

 

[28]. Esmein, op. cit., t.II, p.549.

 

[29]Ibid., p.551-552. C'est nous qui soulignons. L'absence de délai de promulgation a été soulignée encore par Hauriou (Précis de droit constitutionnel, 2e éd., op. cit., p.335).

 

[30]. Deuxième partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2.

 

[31]Ibid., t.II, p.553.

 

[32]. En ce sens voir, Perrin, op. cit., p.84 ; Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.222.

 

[33]. Par exemple Radomir D. Loukitch, dans sa thèse sur La force obligatoire de la norme juridique, écrit ceci : « En examinant la Constitution, nous avons vu qu'elle est une norme ‘pure’, non sanctionnée. Pourquoi alors oblige-t-elle, nous sommes-nous demandé ? Et comment est-il possible que tout l'ordre repose sur une norme ‘pure’, une norme non sanctionnée ? Logiquement ainsi, nous sommes arrivés au problème de la force obligatoire de la norme juridique » (Radomir D. Loukitch, La force obligatoire de la norme juridique et le problème d'un droit objectif, (Thèse, Université de Paris, Faculté de Droit), Paris, Les presses modernes, 1939, p.3).

 

[34]. Perrin, op. cit., p.84 ; Voir également Riccardo Guastini, « Alf Ross : une théorie du droit et de la science juridique », in Paul Amselek (sous la direction de -), Théorie du droit et science, Paris, P.U.F., Coll. « Léviathan », 1992, p.261 : « Dans tout système juridique il y a beaucoup de normes (par exemple, dans le droit public, et notamment dans le droit constitutionnel) qui ne sont pas du tout susceptibles d'une application juridictionnelle ».

 

[35]. Perrin, op. cit., p.84.

 

[36]. Jean Dabin, Théorie générale du droit, Paris, 2e éd., 1953, p.51, cité par Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.223.

 

[37]. Manuel Atienza, « Juridicité », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.324.

 

[38]. Guy Héraud, « La validité juridique », in Mélanges offerts à Jacques Maury, Faculté de Droit et de Sciences économiques de Toulouse, Paris, Librairie Dalloz et Sirey, 1960, t.II, p.479.

 

[39]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.72.

 

[40]Ibid., p.71.

 

[41]Ibid.

 

[42]Ibid.

 

[43]Ibid., p.72.

 

[44]Ibid., p.73.

 

[45]Ibid., p.70. C'est nous qui soulignons.

 

[46]. Michel Troper, « Norme (en théorie du droit) », in André-Jean Arnaud (sous la direction de -), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.406.

 

[47]. Atienza, « Juridicité », in Arnaud, op. cit., p.324.

 

[48]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.74.

 

[49]Ibid., p.76.

 

[50]Ibid.

 

[51]Ibid., p.77.

 

[52]Ibid.

 

[53]Ibid., p.78.

 

[54]Ibid. C'est nous qui soulignons.

 

[55]Ibid.

 

[56]. Voir par exemple Esmein, op. cit., t.II, p.549.

 

[57]. Atienza, « Juridicité », in Arnaud, op. cit., p.324.

 

[58]. Héraud, « La validité juridique », op. cit., p.476.

 

[59]. Par analogie de l'argumentation de Kelsen, (Théorie pure du droit, op. cit., p.70).

 

[60]. Deuxième partie, Titre 2.

 

[61]. Deuxième partie, Titre 2, Chapitre 1.

 

[62]. Deuxième partie, Titre 2, Chapitre 2.

 

[63]. Deuxième partie, Titre 2, Chapitre 2, Section 1, Sous-section 2, § 1, A.

 

[64]. Deuxième partie, Titre 2, Chapitre 2, Section 1, Sous-section 2, § 1, B.

 

[65]. Deuxième partie, Titre 2, Chapitre 2, Section 2.

 

[66]. Deuxième partie, Titre 2, Chapitre 2, Section 1, Sous-section 1.

 

[67]. Deuxième partie, Titre 2, Chapitre 2, Section 1, Sous-section 2, § 2, A.

 

[68]. Car le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est logiquement impossible s'il n'existe pas de limites valables s'imposant à ces lois. Nous allons voir ce problème en détail dans la deuxième partie de notre thèse (Titre 2, Chapitre 2).

 

 

------------------------------------------

 

 

 

Section 2
L'appréciation générale de la question

 

 

 

 

Après avoir vu les données du débat doctrinal classique sur la question de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle, dans cette section, nous essayerons de faire une appréciation générale de cette question. Notons toute suite que cette appréciation sera faite dans une approche positiviste du droit.

1. D'abord, comme remarque préliminaire, précisons ce qu'on entend par l'expression « les limites à la révision constitutionnelle ». Rappelons-nous que nous sommes sous le titre premier[1] qui est consacré à l'examen des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels. Par conséquent, les limites dont nous discutons ici la valeur sont sous la forme d'une disposition constitutionnelle. En effet, elles ne sont pas autre chose que des dispositions de la constitution qui règlent le pouvoir de révision et parfois qui lui imposent des limites. Autrement dit, à la place de l'expression « limites à la révision constitutionnelle », nous pouvons parfaitement utiliser celle de « dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ». Dans ce cas, discuter la valeur juridique des « limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels » revient à discuter la valeur juridique des dispositions constitutionnelles. En d'autres termes, « cette limite (inscrite dans la constitution) est privée de toute valeur juridique » veut dire la même chose que « cette disposition de la constitution est privée de toute valeur juridique ». C'est pourquoi, le problème de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle se transforme en celui de savoir si les dispositions constitutionnelles ont la valeur juridique. En conséquence, celui qui veut savoir la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle doit raisonner sur la valeur juridique des dispositions de la constitution, non pas directement sur ces limites. Si les dispositions de la constitution en général ont la valeur juridique, ces limites l'ont aussi. Bref il faut d'abord résoudre le problème de la valeur juridique des dispositions de la constitution.

Comme on peut le constater dans cette remarque préliminaire, conformément à notre approche formelle que nous avons annoncée dans l'introduction générale, nous recherchons la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle dans leur forme, non pas dans leur contenu. D'ailleurs, en restant dans la conception formelle de la constitution, on ne peut pas adopter une autre attitude. Car, comme on l'a déjà expliqué[2], dans cette conception, il n'y a pas de différence de valeur juridique entre les dispositions se trouvant dans la même constitution.

2. Comme deuxième remarque préliminaire, notons que nous préférons poser la question en terme d'« obligatoriété » ou de « force obligatoire »[3] au lieu de « valeur juridique ». Car, la « valeur juridique », étant un terme vague, comporte plusieurs sens[4] ; alors que le terme « obligatoriété » ou « force obligatoire » a un sens plus ou moins défini[5].

Le terme « obligatoriété », étant un néologisme construit sur l'adjectif « obligatoire » est défini comme « la qualité de ce qui est obligatoire » par le vocabulaire de Cornu[6]. Et l'adjectif « obligatoire » est défini par le même vocabulaire comme « qui oblige juridiquement »[7]. Ainsi le vocabulaire de Cornu note que ce terme est employé lorsqu'il y a « une disposition qui s'impose aux sujets de droit... un comportement positif qui leur est imposé »[8]. C'est exactement la question qui se pose dans ce chapitre : c'est‑à‑dire celle de savoir si ces limites obligent ou non juridiquement leur destinataire, autrement dit, si elles s'imposent ou non à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

3. Et si l'on pose le problème en ces termes, la question de la force obligatoire des limites à la révision constitutionnelle se transforme en celle de savoir si ces limites sont du droit, autrement dit, des normes juridiques. Car, comme le remarque H.L.A. Hart, « le trait général le plus caractéristique du droit à toute époque et en tout lieu est que son existence signifie que certains types de conduite humaine ne sont plus facultatifs, mais... obligatoires »[9]. D'ailleurs comme l'indique la définition du vocabulaire de Cornu, l'obligatoriété, c'est le « pouvoir d'obliger inhérent à la règle de droit »[10], ainsi que « toute règle de droit, toute loi, toute coutume a une force obligatoire »[11]. Cela veut dire que s'il existe une norme de droit, elle sera nécessairement obligatoire. Alors nous pouvons définir l'obligatoriété ou la force obligatoire d'une norme comme son caractère d'être du droit. Pour l'instant appelons ce caractère d'être du droit, la « juridicité ». Nous établissons donc une équation entre la « juridicité » et la « force obligatoire » d'une norme. Alors dans cette acception, on peut affirmer que la juridicité d'une norme est une condition nécessaire et suffisante de sa force obligatoire. Par conséquent, établir la juridicité d'une norme revient à établir sa force obligatoire. Alors si l'on montre la juridicité d'une norme, il sera inutile de discuter sa force obligatoire, car elle sera par hypothèse même obligatoire. En conclusion pour montrer la force obligatoire d'une norme, il suffit d'établir son caractère du droit, c'est‑à‑dire, sa juridicité.

Il en va de même pour le problème de la force obligatoire des limites à la révision constitutionnelle. Pour résoudre ce problème, il suffit donc de montrer leur caractère juridique, c'est‑à‑dire en un mot leur juridicité.

4. Mais notons que la notion de « juridicité », dans le sens où nous l'avons utilisée en haut, est une expression synonyme de la « validité »[12]. Car, la validité est le caractère existant d'une norme juridique. Autrement dit, la validité est une référence à la régularité du mode de production des normes juridiques[13]. C'est‑à‑dire qu'une norme juridique est valable si elle est produite régulièrement. En d'autres termes, comme le remarque Alexander Peczenik, les termes « droit valable » et « droit », tous les deux, veulent dire la même chose. La caractéristique du droit, c'est la validité. Parler de « droit non valable » est un non sens. Le terme « droit » est la forme courte du terme « droit valable »[14]. Ainsi dans le même sens, Michel Virally note qu'« il suffirait de parler de normes juridiques, sans y ajouter le qualificatif : ‘valables’ »[15]. Alors dans cette perspective, ou le mot « juridicité » ou bien celui de « validité » est inutile. Il faut choisir l'un d'entre eux.

Ici nous avons préféré la notion de « validité » au lieu de « juridicité ». Car, comme on va le voir plus tard[16], nous avons employé le terme « juridicité » pour désigner le caractère hypothétique par lequel les normes juridiques peuvent être mises à part de l'ensemble des normes de conduite sociale[17]. En d'autres termes, le problème de la juridicité d'une norme se situe par rapport au problème de la démarcation entre le « social » et le « juridique »[18]. Bref, dans notre thèse, nous employons le terme « juridicité » comme la « ligne de partage entre le droit et le social », non pas comme le caractère de l'existence d'une norme juridique. C'est‑à‑dire que lorsque nous parlons d'une norme juridique, nous voulons dire par là qu'il s'agit d'une norme « juridique », non pas, par exemple, sociale ou morale ou religieuse. En revanche, lorsque nous parlons d'une norme juridique valable, ou de la validité d'une norme juridique, nous voulons dire par là qu'il s'agit d'une norme juridique qui présente les qualités requises pour produire ses effets[19].

5. Reprenons maintenant notre conclusion sur la force obligatoire d'une norme en utilisant le terme « validité », au lieu de celui « juridicité ». Nous pouvons alors affirmer qu'il y a une équation entre la « validité » et la « force obligatoire » d'une norme. Autrement dit, « cette norme est valable » veut dire la même chose que « cette norme est obligatoire ».

Hans Kelsen affirme la même équation. A vrai dire chez Kelsen, il y a une équation entre l' « existence », la « validité » et la « force obligatoire » d'une norme[20]. Comme on va l'expliquer plus tard[21], selon Kelsen, d'une part la validité d'une norme juridique implique sa force obligatoire ; et d'autre part la validité n'est pas un attribut de la norme, mais son existence spécifique, c'est‑à‑dire son existence dans un ordre juridique. En d'autres termes, si une norme existe dans un ordre juridique, elle est valable ; et si elle est valable, elle est obligatoire aussi[22]. Car selon Kelsen, « dire qu'une norme se rapportant à la conduite d'êtres humains est valable (gilt), c'est affirmer qu'elle est obligatoire (verbindlich), que ces individus doivent se conduire de la façon qu'elle prévoit »[23]. Dans sa Théorie pure du droit, Kelsen utilise à peu près dans le même sens les notions d'existence, de validité et de force obligatoire. Pour lui, la validité d'une norme, c'est‑à‑dire son existence dans un ordre juridique, n'est pas autre chose que sa force obligatoire. Par exemple Kelsen parle d'« une norme valable, c'est‑à‑dire obligatoire pour son adressataire »[24] ; ou de « la validité de cette Constitution », c'est‑à‑dire « son caractère de norme obligatoire »[25] ; ou il parle encore de la « norme valable obligeant le destinataire »[26] ; ou bien de « norme... [qui]... vaut objectivement comme norme obligatoire »[27] ; ou bien enfin d'« une ‘norme’ qui ‘vaut’, qui ‘est en vigueur’, qui lie le destinataire »[28]. « Par validité, nous entendons, dit Kelsen, le caractère obligatoire de cet ordre de contrainte[29]. Ce mot exprime l'idée que les individus doivent appliquer et observer les normes qui règlent leur conduite »[30]. En conclusion, selon Kelsen, l'idée d'« être obligatoire » ou d'« obliger » est un caractère essentiel de la norme juridique valable[31].

Alors on peut affirmer qu'il y a une équation entre la « validité » et la « force obligatoire » d'une norme juridique en général[32] et d'une limite à la révision constitutionnelle en particulier. En d'autres termes, « cette limite à la révision constitutionnelle est valable » veut dire la même chose que « cette limite est obligatoire ». Par conséquent, pour résoudre le problème de la force obligatoire des limites à la révision constitutionnelle, il faut établir leur validité.

6. En conclusion, la force obligatoire des limites à la révision constitutionnelle dépend de leur validité juridique. Alors, dans ce cas, au lieu de discuter le bien-fondé des thèses classiques sur la valeur juridique de ces limites, il suffit de montrer simplement la validité de ces limites. Car si elles sont valables, elles seront nécessairement obligatoires. Ainsi la question de la force obligatoire de ces limites se transforme en celle de leur validité juridique.

Bref, pour qu'une limite à la révision constitutionnelle soit obligatoire, elle doit être valable. Dans ce cas, nous devons examiner les conditions de la validité des limites à la révision constitutionnelle. En d'autres termes, la question qui se pose ici est alors celle de savoir quelles sont les conditions que doivent remplir les limites à la révision constitutionnelle pour être valable.

En effet, pour pouvoir déterminer les conditions de la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle, il faut d'abord voir la notion de validité juridique elle‑même.

Alors le plan de cette section s'affiche comme suit :

Sous‑section 1. - La notion de validité juridique

Sous‑section 2. - Les conditions de la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle


 

[1]. Première partie, Titre 1.

 

[2]. Titre préliminaire, Chapitre 1, § 1.

 

[3]. Michel Virally trouve le terme « force obligatoire » moins barbare que celui d'« obligatoriété » (Michel Virally, « Notes sur la validité du droit et son fondement », in Recueil d'études en hommage à Charles Eisenmann, Paris, Editions Cujas, 1975, p.455.

 

[4]. Pour les différents sens du terme de « valeur juridique » voir : José Manuel Delgodo Ocando, « Valeur », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.633-635.

 

[5]. Cependant selon Alf Ross, la force obligatoire n'est non plus une qualité objective. Comme le remarque Riccardo Guastini, « d'après Ross, cette mystérieuse ‘force contraignante’, n'étant pas une qualité empirique et donc observable, n'est pas non plus une qualité objective, et donc les jugements de validité (en ce sens du mot ’validité’) ne peuvent être que des prescriptions. L'affirmation qu'une certaine norme doit être observée ne peut pas être interprétée comme un énoncé descriptif. Le contenu d'une telle affirmation n'est que l'obligation d'obéir à la norme dont elle parle » (Riccardo Guastini, « Alf Ross : une théorie du droit et de la science juridique », in Paul Amselek (sous la direction de-), Théorie du droit et science, Paris, P.U.F., Coll. Léviathan, 1994, 253.

 

[6]. Gérard Cornu (sous la direction de-) Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris, P.U.F., 3e édition, 1992, p.550 : « Obligatoriété (Néol. construit sur obligatoire) : Qualité de ce qui est obligatoire ; pouvoir d'obliger inhérent à la règle de droit ».

 

[7]. Cornu, op. cit., p.550. « Obligatoire : 1. Qui oblige juridiquement (en droit) normatif, qui a pour les sujets de droit le caractère d'une obligation, en tant que pièces de l'ordre juridique, du Droit objectif, en ce sens toute règle de droit, toute loi, toute coutume a une force obligatoire... 2. Exigé, requis, nécessaire, forcé par opposition à facultatif : se dit notamment d'une disposition qui s'impose aux sujets de droit, d'un comportement positif qui leur est imposé » (op. cit., p.549-550).

D'autre part, le dictionnaire Petit Robert définit le mot « obligatoire » comme « qui a la force d'obliger » et le verbe « obliger » comme « assujettir par une obligation d'ordre juridique ».

 

[8]. Cornu, op. cit., p.550.

 

[9]. H.L.A. Hart, Le concept de droit, trad. par M. van de Kerchove, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1976, p.19.

 

[10]. Cornu, op. cit., p.550.

 

[11]Ibid., p.549.

 

[12]. Pour les relations entre les notions de juridicité et de validité voir Jean-François Perrin, Pour une théorie de la connaissance juridique, Genève, Librairie Droz, 1979, p.95-96.

 

[13]Ibid.

 

[14]. Alexander Peczenik, « The Concept ‘Valid Law’ », Scandinavian Studies in Law, 1972, Vol.16, p.214.

 

[15]. Virally, « Notes sur la validité du droit et son fondement », op. cit., p.458.

 

[16]. Voir infra, Cette section, Sous‑section 1, § 1, C.

 

[17]. Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, P.U.F., 1978, p.175.

 

[18]. Perrin, op. cit., p.77-78.

 

[19]. François Ost et Michel van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1987, p.264.

 

[20]. Pour l'équation kelsénienne « existence=validité=obligatoriété », voir Franco Modugno, « Validità », in Enciclopedia del diritto, vol. XLVI, Giuffrè editore, Varese, 1993, p.6.

 

[21]. Cette section, Sous-section 1, § 2, C.

 

[22]. Riccardo Guastini fait le même remarque. Selon lui, dans la Théorie pure du droit, « la ‘validité’ signifie force contraignante. Dire qu'une certaine norme existe signifie donc qu'une telle norme est obligatoire, et qu'elle doit être observée. Une norme qui n'est pas contraignante est une norme qui n'existe pas, donc elle n'est pas du tout une norme. En d'autres termes, le caractère obligatoire ou la force contraignante sont des traits constitutifs de la notion même de norme : ils appartiennent à la définition de ‘norme’ » (Guastini, « Alf Ross... », op. cit., p.257). Ainsi on peut conclure que dans la Théorie pure du droit, la validité d'une norme découle de son existence (Ibid., p.258).

 

[23]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.255.

 

[24]Ibid., p.257. C'est nous qui soulignons.

 

[25]Ibid., p.265. C'est nous qui soulignons.

 

[26]Ibid., p.11. C'est nous qui soulignons.

 

[27]Ibid., p.12. C'est nous qui soulignons.

 

[28]Ibid., p.11. C'est nous qui soulignons.

 

[29]. Kelsen entend ici par « cet ordre de contrainte », l'« ordre juridique ».

 

[30]. Hans Kelsen, « Quel est le fondement de la validité du droit ? », Revue internationale de criminologie et de police technique, juillet - septembre 1956, p. 161. « En effet, la force obligatoire est un élément essentiel de la notion du droit positif » (Ibid., p.162).

 

[31]. Extrait de : Hans Kelsen, Allgemeine Theorie der Normen, Ed.XXX, p.21, in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-) Le positivisme juridique, Bruxelles, Paris, E.Story-Scientia, L.G.D.J., 1992, p.78.

 

[32]. Cependant Alf Ross n'est pas de même avis. Comme le remarque Riccardo Guastini, selon Ross « décrire le droit est une chose tout à fait différente que de lui attribuer une force contraignante. Et, d'autre part, dire qu'une certaine norme est contraignante ou obligatoire n'est pas décrire cette norme mais l'approuver. La prétendue force contraignante d'une norme est une chose bien différente de son existence. Le droit existant peut et doit être décrit d'une façon purement empirique, indépendamment de son acceptation ou de son refus » (Guastini, « Alf Ross... », op. cit., p.258). Pour le refus de l'équation « validité=obligatoriété » voir encore : Virally, « Notes sur la validité... », op. cit., p.455 : « Elle [l'obligatoriété] désigne, en réalité, l'autorité spécifique dont le droit est revêtu vis-à-vis de ses sujets... La validité ne se confond pas avec cette autorité spécifique du droit, mais elle en est la condition, ou, tout au moins le sceau, en ce sens que seul le droit valable est revêtu d'une telle autorité ». Ainsi que voir Marc Vanquickenborne, « Quelques réflexions sur la notion de validité », Archives de philosophie du droit, 1968, p.189 : « La validité d'une norme et sa force exécutoire sont deux choses différentes ».

 

 

 

 

--------------------------------------------------------------------------------------

 

 

 

 

Sous-section 1
La notion de validité juridique

 

 

 

Avant de définir la notion de validité juridique elle-même, il convient d'abord de voir trois questions préliminaires, comme celles de l'existence matérielle, de la normativité et de la juridicité d'un acte. Parce que, pour qu'on puisse parler de validité juridique, il faut qu'il existe d'abord une norme juridique. Autrement dit, la notion de validité juridique est relative à une norme juridique existante. Cela veut dire que, avant de déterminer la validité d'un acte, il faut premièrement établir son existence matérielle (c'est‑à‑dire, son support concret), deuxièmement sa normativité (c'est‑à‑dire, sa signification de norme), et troisièmement sa juridicité (c'est‑à‑dire son caractère juridique, non pas par exemple social).

§ 1. Les trois questions préliminaires

Comme on vient de le dire, nous allons examiner ici les questions de l'existence matérielle, de la normativité et de la juridicité d'un acte.

A. L'existence matérielle[1]

Quand on parle de la validité juridique d'un acte, la première question qui se pose à son égard est celle de son existence matérielle[2]. Car un acte matériellement inexistant ne peut faire l'objet d'aucune qualification juridique.

Par l'existence matérielle[3] d'un acte, on entend l'existence d'un support concret, comme un document ou une parole rituelle, en un mot, un instrumentum[4]. En d'autres termes, avant de faire l'objet d'une qualification juridique d'un acte, il faut d'abord établir l'existence de l'instrumentum, par exemple, le document dans lequel se trouve cet acte. Dans les systèmes modernes du droit, on peut établir l'existence matérielle d'une loi en consultant le Journal officiel, c'est‑à‑dire, un recueil imprimé au nom du gouvernement[5].

On peut facilement établir l'existence matérielle des limites à la révision constitutionnelle prévues par le texte de la constitution. Elles se trouvent dans un document officiel, publié au Journal officiel, comme loi constitutionnelle. Par exemple en France, les limites à la révision constitutionnelle prévues par les articles 7 et 89 (al.4 et 5) de la Constitution de 1958 matériellement existent, car elles se trouvent dans le texte de la loi constitutionnelle du 4 octobre 1958 publié au Journal officiel de la République française du 5 octobre 1958. Les exemples sont nombreux. A vrai dire, le chapitre précédent qui est consacré au « inventaire des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels » est une parfaite illustration de l'existence matérielle de ces limites[6].

On peut ainsi conclure que les limites à la révision constitutionnelle prévues par le texte de la constitution sont matériellement existantes. Elles sont dans la forme des dispositions constitutionnelles ; plus précisément elles sont des dispositions de la constitution qui règlent le pouvoir de révision et parfois qui lui imposent des limites.

Dans le chapitre « l'inventaire des limites à la révision constitutionnelle prévues par la constitution », on se rappellera que nous avons examiné ces limites en les divisant en trois comme les limites de fond, les limites de temps et les conditions de forme. Maintenant, nous pouvons affirmer que, du point de vue de leur existence matérielle, il n'existe aucune différence entre elles. Elles peuvent avoir ou non la même valeur juridique en tant que limites se trouvant dans le même texte constitutionnel. Elles sont prévues par la constitution ; c'est‑à‑dire, elles sont dans la forme des dispositions constitutionnelles. Si l'une d'entre elles a la valeur juridique, les autres l'ont aussi. Dans la logique de la conception formelle de la constitution, la différence de contenu ne peut avoir aucun effet sur la valeur juridique d'une disposition constitutionnelle.

A cet égard, si l'on regarde notre débat classique ci-dessus[7] sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle, on peut faire quelques remarques.

L'appréciation de deux thèses classiques sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle à la lumière de la notion de l'existence matérielle

D'abord, les deux thèses opposées sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle que nous avons vues dans la section précédente[8] ont été développées essentiellement pour les limites de fond, c'est‑à‑dire, pour les dispositions de la constitution qui interdisent de réviser la constitution sur tel ou tel point, comme la forme républicaine du gouvernement (par exemple l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française). Rappelons-nous que ces limites sont très variées[9]. Il y a des limites de fond[10] comme on vient de les mentionner, il y a aussi des limites de temps[11] comme l'interdiction de réviser la constitution pendant un certain laps de temps (par ex. l'alinéa 4 de l'article 89 de la Constitution française) ; il y a encore des conditions de forme et de procédure[12].

Les auteurs discutent surtout la valeur juridique des limites de fond et rarement celle des limites de temps et presque jamais celle des conditions de forme et de procédure.

Il est significatif de voir que certains auteurs qui refusent la valeur juridique des limites de fond (par ex. l'intangibilité du régime) acceptent la valeur juridique des limites de temps. Par exemple Georges Burdeau affirme que la disposition qui prévoit l'intangibilité de la forme républicaine du gouvernement a une

« signification politique... Elle est difficilement justifiable, car, le pouvoir constituant d'un jour n'a aucun titre à limiter le pouvoir constituant de l'avenir et elle parait peu efficace car on peut toujours réviser l'article qui limite le droit de réviser la Constitution »[13].

Cependant il est curieux de voir que le même auteur accepte la valeur juridique des limites de temps.

« Au contraire, écrit‑il, est parfaitement régulier,... le procédé qui consiste à interdire la révision pendant un certain laps de temps, soit que la constitution fixe un certain délai avant l'écoulement duquel la question de sa révision ne peut être posée, soit que la procédure qu'elle institue ne puisse aboutir qu'après un temps assez long. La première méthode a surtout pour objet de permettre à une constitution nouvelle de se consolider... L'allongement de la procédure répond plutôt au souci d'empêcher les réformes trop hâtives »[14].

D'ailleurs, Georges Burdeau accepte aussi la valeur juridique de la disposition qui interdit de réviser la Constitution en cas d'occupation de tout ou partie du territoire par des forces étrangères. Selon lui, cette disposition a pour objet d'éviter ce qui s'est passé à Vichy le 10 juillet 1940.

« L'intérêt de cette disposition contrairement à l'interdiction de toucher à la forme républicaine du gouvernement, est incontestable car, en paralysant l'exercice de la souveraineté populaire, l'invasion rend impossible l'exercice du pouvoir constituant »[15].

A notre avis, entre ces deux types de limites (celles de fond et celles de temps), il ne peut y avoir aucune différence de valeur juridique. Car les deux aussi sont prévues par la même constitution. Elles sont des dispositions de la constitution. Si l'une a la valeur juridique, l'autre aussi. Comme on l'a déjà dit, dans la conception formelle de la constitution, la différence de contenu entre les dispositions de la constitution ne peut avoir aucun effet sur leur valeur juridique.

D'ailleurs comme nous l'avons indiqué dans l'introduction générale, selon l'approche positiviste que nous avons adoptée dans ce travail, il n'appartient pas à la science du droit de justifier l'opportunité de telle ou telle disposition constitutionnelle. La tâche de la science du droit est seulement de décrire des normes juridiques en vigueur. Comme l'affirme Hans Kelsen, « une science doit décrire son objet tel qu'il est, et non pas prescrire ce qu'il devrait être ou ne devrait pas être du point de vue d'un certain jugement de valeur »[16]. Or, Georges Burdeau estime que l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement « est difficilement justifiable »[17], alors que l'interdiction de réviser la constitution pendant un certain délai « est parfaitement régulière »[18]. Car, selon lui, cette dernière interdiction « a surtout pour objet de permettre à une constitution de se consolider »[19]. Comme on le voit clairement, Georges Burdeau ne fait pas une analyse descriptive de ces dispositions, mais une appréciation de leur opportunité. Répétons encore une fois que la tâche de la science du droit n'est pas de justifier l'opportunité d'une disposition, ni montrer son intérêt, mais seulement de la décrire.

On peut ainsi conclure que les limites à la révision constitutionnelle prévues par le texte de la constitution sont matériellement existantes. Elles sont dans la forme des dispositions constitutionnelles ; plus précisément elles sont des dispositions de la constitution qui règlent le pouvoir de révision et parfois qui lui imposent des limites.

L'existence matérielle des limites à la révision constitutionnelle prévues par le texte de la constitution étant ainsi établie, se pose ensuite une deuxième question portant sur leur normativité : ces limites ont-elles le caractère normatif ? Autrement dit, est-on en présence de normes? Car, la notion de validité que nous examinons dans cette section est une qualification de « norme ». Par conséquent, pour que les limites à la révision constitutionnelle soient valables, elles doivent avoir le caractère normatif, c'est‑à‑dire qu'elles doivent être de nature de norme. Alors, maintenant voyons la question de la normativité des limites à la révision constitutionnelle.

B. La normativité

La question de la normativité d'un acte est une question de signification, non pas une question de son existence matérielle, de son support concret, de son document[20]. En d'autres termes la norme n'est pas le texte d'un acte, mais sa signification. Alors, la question de la normativité d'un acte porte sur la signification qu'il convient d'attribuer au support matériel. Autrement dit cette question se concentre sur le point de savoir si le document auquel on est confronté a une portée normative [21]. En ce qui concerne les limites à la révision constitutionnelle, on peut se demander si l'on est ou non en présence des normes. En d'autres termes, les auteurs de ces limites ont-ils entendu déterminer la conduite d'autrui ou ont-ils voulu simplement exprimer une certaine théorie politique, religieuse, etc ?

Ainsi on débattra ici la question de la normativité des limites à la révision constitutionnelle. Mais pour cela, il nous est nécessaire d'abord de voir brièvement la question de la normativité d'un acte en général, c'est‑à‑dire la définition de la norme.

A. Selon la théorie positiviste que nous suivons tout au long de notre thèse, la norme juridique se caractérise par deux éléments : d'une part, elle est un règlement de la conduite humaine, et d'autre part, elle est posée par la volonté humaine.

1. Selon Hans Kelsen, la norme est tout d'abord un règlement de la conduite des êtres humains[22]. En d'autres termes, une règle qui ne vise pas l'orientation des conduites humaines ne peut avoir le caractère normatif. Par conséquent, une chose qui règle la conduite des animaux, de plantes ou d'objets inanimés ne peut pas être une norme juridique[23].

Ainsi tout ce qui se trouve dans un texte positif peut ne pas avoir un caractère normatif, parce que l'on peut mettre dans un texte positif un énoncé qui ne réglemente pas du tout une conduite humaine[24]. A ce propos, Hans Kelsen parle de « normes juridiquement irrelevantes »[25]. Selon lui,

« une loi qui a été adoptée d'une façon parfaitement constitutionnelle peut avoir un contenu qui ne représente pas une norme d'aucune sorte, mais qui, par exemple, exprime une théorie religieuse ou politique, ainsi la proposition que le droit émane de Dieu ou que la loi est juste, ou qu'elle réalise l'intérêt du peuple »[26].

Par exemple, selon un exemple donné par Georges Vedel, la proposition telle que « le soleil se lève en toutes saisons à six heures du matin » n'est pas une règle de droit, car il lui manque le caractère normatif[27].

Pour illustrer ce cas de figure, Michel Troper donne l'exemple du « décret de la Convention proclamant l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme »[28]. On peut également rappeler que la Déclaration de 1789, dans son préambule évoque l'existence de Dieu :

« L'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'Homme et du Citoyen »[29].

2. Ensuite, selon la théorie positiviste, la norme est une création humaine. Autrement dit, la norme est quelque chose qui a été posée par une volonté humaine[30]. Par conséquent une chose non posée par une volonté humaine n'est pas une norme. Cela veut dire que les principes du droit naturel, « qui n'est pas posée par une volonté – tout au moins pas par une volonté humaine – n'est pas du droit »[31]. Ainsi, selon Kelsen, la norme est un produit de l'acte de volonté humaine ; le concept de norme présuppose celui de volonté[32].

Cependant Hans Kelsen n'admet pas que cette volonté soit elle-même créatrice de la norme. « Il faut, dit-il, distinguer nettement cette ‘norme’ de l'acte de volonté qui la pose »[33]. Car la norme est la signification spécifique de cet acte de volonté. En effet, la norme est un « devoir être (Sollen) », alors que l'acte de volonté est un « être (Sein) »[34]. Par exemple dans la proposition « A veut que B doive se conduire de telle façon »[35], la première partie « se rapporte à un Sein, le fait réel (Seins-Tatsache) de l'acte de volonté ; la seconde partie, à un Sollen, à une norme qui est la signification[36] de cet acte »[37].

Alors, la norme est la signification d'un acte de volonté humain, plus précisément une signification qui s'analyse dans un « devoir être (Sollen) ». Cela veut dire qu'une norme exprime toujours « l'idée que quelque chose doit être ou se produire, en particulier qu'un homme doit se conduire d'une certaine façon »[38]. En d'autres termes, la norme est la signification de certains actes humains qui visent à provoquer une conduite d'autrui[39]. Et les « actes portent en intention sur la conduite d'autrui, quand ils ont pour signification soit d'ordonner (ou commander) cette conduite, soit également de la permettre et en particulier de l'habiliter, c'est‑à‑dire de conférer à l'autre un certain pouvoir, en particulier le pouvoir de poser lui même des normes »[40].

Ainsi Kelsen donne au verbe « devoir (sollen) » une signification plus large que sa signification habituelle. Dans le langage usuel, le verbe « devoir (sollen) » correspond au commandement, « avoir le droit de (dürfen) » à la permission, et enfin « pouvoir (können) » à l'habilitation. Mais tel, que l'emploie Kelsen, le terme « devoir (sollen) » correspond non seulement au commandement, mais aussi à la permission et à l'habilitation. En d'autres termes, « ‘devoir (sollen)’ comprend donc aussi ‘avoir le droit de (dürfen)’ et ‘avoir le pouvoir (können)’. Car aussi bien que commander, une norme peut permettre et, en particulier, donner le pouvoir »[41].

Par conséquent le terme « devoir (sollen) » désigne la signification normative de tout acte qui se rapporte en intention à la conduite d'autrui »[42]. En conclusion, on peut dire qu'« une norme est la signification d'un acte par lequel une conduite est ou prescrite, ou permise et en particulier habilitée »[43]. Bref, une norme pose toujours un Sollen, c'est‑à‑dire un ordre, une permission, une habilitation[44].

* * *

B. Maintenant, à la lumière des ces explications générales relatives à la normativité, recherchons si les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels ont le caractère normatif.

Conformément au développement ci-dessus, on peut affirmer que pour que les limites à la révision constitutionnelle aient le caractère normatif, d'une part, elles doivent régler la conduites des êtres humains, et d'autres part, elles doivent être posées par la volonté humaine.

1. Les limites à la révision constitutionnelle réglementent la conduite du pouvoir de révision constitutionnelle. En effet, le titulaire de ce pouvoir est toujours un homme (le roi, le dictateur) ou des hommes (des représentants dans les procédures parlementaires ou des électeurs dans les procédures référendaires). Ces limites interdisent la conduite des ces hommes consistant à réviser la constitution sur tel ou tel point ou pendant un certain temps.

A cet égard, il convient de noter que la conduite des hommes qui est réglementée par les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution peut être imprécise. Par exemple, nous avons longuement discuté plus haut la signification de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par l'article 89, alinéa 5, de la Constitution française de 1958[45]. Nous avons également signalé l'imprécision de certaines limites matérielles prévues par la Constitution turque de 1982 (par exemple, la « paix sociale », la « solidarité nationale », art. 2 en vertu de l'art. 4)[46]. Cependant, il convient d'indiquer que l'imprécision d'une limite matérielle n'en supprime pas le caractère normatif. Car, comme l'a bien montré Georges Vedel, la normativité et l'imprécision sont deux choses différentes. Par exemple, la proposition selon laquelle « le soleil se lève en toutes saisons à six heures du matin »[47] ne peut avoir aucun contenu normatif[48]. Par conséquent, aucun juge ne peut tirer quelque chose de cette proposition[49]. « En revanche, il pourrait fort bien censurer une loi qui, en matière de calamités nationales, méconnaîtrait le principe de solidarité, car l'imprécision de la prescription n'en supprime pas le caractère normatif »[50].

2. Ensuite, les limites à la révision constitutionnelle sont des créations humaines. Autrement dit, elles sont posées par la volonté humaine. A cet égard, on peut douter de la normativité des dispositions de certaines constitutions qui déclarent intangibilité d'une religion. Par exemple, comme on l'a vu[51], les Constitutions algérienne[52] et marocaine[53] déclarent intangible le caractère islamique de l'Etat. Cependant à notre avis, les dispositions d'une constitution prévoyant l'intangibilité d'une religion ont le contenu normatif ; car, d'une part, elles sont posées par des hommes et non pas par le Dieu, et d'autre elles réglementent la conduite des hommes : elles interdisent aux hommes d'édicter des lois constitutionnelles contraires aux principes d'une certaine religion. Ainsi, au cas où le pouvoir de révision constitutionnelle édicte une loi constitutionnelle qui méconnaîtrait ces principes religieux, le juge constitutionnel peut l'invalider. Car, du point de vue théorique, ces principes peuvent être parfaitement des mesures de censure d'une loi constitutionnelle.

En conclusion, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ont la signification de norme. Car ces dispositions posent un Sollen, c'est‑à‑dire un ordre, une permission ou une habilitation. Ce Sollen peut être expliqué par rapport à celui des dispositions de la constitution qui règlent la création des lois constitutionnelles. C'est pourquoi expliquons d'abord le Sollen de ces dispositions : par les dispositions de la constitution qui règlent la création des lois constitutionnelles (par exemple, les alinéas 1, 2 et 3 de l'article 89 de la Constitution française), le pouvoir constituant originaire habilite le pouvoir de révision à procéder à une révision constitutionnelle. Autrement dit, par ces dispositions, le pouvoir constituant originaire confère au pouvoir constituant dérivé le pouvoir de réviser la constitution, c'est‑à‑dire de poser lui-même des normes constitutionnelles. En d'autres termes, les dispositions de la constitution qui règlent la création des lois de révision constitutionnelle sont l'acte de volonté du pouvoir constituant originaire par lequel le pouvoir de révision constitutionnelle est habilité à réviser la constitution.

Mais ensuite, par les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à cette révision (par exemple, les alinéas 4 et 5 de l'article 89 de la Constitution française), le pouvoir constituant originaire limite l'habilitation qu'il a donnée à ce pouvoir. Ainsi le pouvoir de révision constitutionnelle est habilité à réviser la constitution sauf sur tel ou tel point (par ex. art.89, al.5) ou pendant un certain temps (par ex. art 89, al.4). Ces limitations aussi, c'est‑à‑dire les dispositions de la constitution qui prévoit des limites à la révision constitutionnelle, ont le caractère normatif. Car elles posent un Sollen, c'est‑à‑dire dans notre cas, un ordre, une prescription, à savoir celui de ne pas réviser la constitution sur tel ou tel point ou pendant un certain temps. Bref, les limites à la révision constitutionnelle prévues par les dispositions de la constitution ont le caractère normatif, car elles expriment un Sollen, elles posent une interdiction. En d'autres termes, les limites à la révision constitutionnelle prévues par les dispositions constitutionnelles sont la signification de l'acte de volonté du pouvoir constituant originaire par lequel une certaine conduite du pouvoir de révision constitutionnelle est interdite, à savoir celle de réviser la constitution sur tel ou tel point ou pendant un certain temps.

Ainsi nous arrivons à la conclusion suivante : les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution ont le caractère normatif.

* * *

Nous avons commencé notre argumentation en disant qu'une limite à la révision constitutionnelle, pour être valable, doit être d'abord matériellement existante ; et deuxièmement, avoir le caractère normatif. Nous venons de montrer que ces deux conditions préliminaires sont remplies. Les limites à la révision constitutionnelle prévues par la constitution sont matériellement existantes, et ont le caractère normatif.

Pourtant, ces deux conditions préliminaires (existence matérielle et normativité) sont des conditions nécessaires mais non suffisantes. Car les normes qui existent ne sont pas seulement des normes juridiques ; il y a aussi des normes sociales, morales, religieuses, etc. Alors, pour qu'une limite à la révision constitutionnelle matériellement existante soit valable, elle doit être une norme, et à son tour cette norme doit être d'ordre juridique. Il faut alors distinguer les normes juridiques des autres catégories de normes. Mais comment, c'est‑à‑dire par quels critères peut-on distinguer les normes juridiques des normes non juridiques ? Autrement dit, qu'est-ce qui donne à une norme le caractère juridique ?

Ainsi nous arrivons à la question de la juridicité des limites à la révision constitutionnelle.

 

 

C. La juridicité

La juridicité peut être définie comme « le caractère (par lequel) les règles de droit peuvent être mises à part de l'ensemble des règles de conduite sociale »[54]. Autrement dit, la juridicité est ce qui donne à une norme le caractère « juridique »[55].

Alors qu'est ce qui donne à une norme le caractère juridique ? En d'autres termes, quel est le critère distinctif de la norme juridique des autres types de normes du comportement humain ? En un mot, quel est le critère de la juridicité ?

1. La recherche d'un critère de juridicité d'une norme

Michel Troper relève plusieurs critères qui ont été proposés en théorie du droit[56].

Par exemple selon un critère, tiré de l'objet de la norme, la norme juridique se définit « comme régulation d'un rapport intersubjectif des actions sociales. Elle s'opposerait ainsi à la norme morale, qui impose une obligation à un sujet isolé sans conférer en même temps des droits aux autres. Mais, ce critère ne permet pas de distinguer la norme juridique de la norme sociale »[57].

Selon un deuxième critère, tiré des fins de la norme, « la norme juridique aurait pour fin la conservation de la société. Mais on ignore ce qui est essentiel pour réaliser cette fin »[58].

Selon un troisième critère, tiré du sujet qui pose la norme, « la norme juridique serait celle qui est posée par le pouvoir souverain ou par ses délégués. Mais il n'existe pas de moyen simple d'identifier le pouvoir souverain ou ses délégués, sinon en disant que ce sont ceux qui posent des normes juridiques »[59].

Selon un quatrième critère, tiré de la conformité de la norme à la justice, la norme juridique serait celle qui est conforme à la justice. Mais, « il n'existe pas de critère permettant d'affirmer que telle norme est ou non conforme à la justice »[60].

Encore selon un autre critère, tiré du mode de sanction de l'inobservation de la norme, « la norme juridique serait celle qui serait assortie d'une sanction externe et institutionnalisée »[61].

Enfin, selon un dernier critère, tiré de l'appartenance de la norme à un ordre juridique, les normes juridiques sont celles qui appartiennent à un ordre juridique.

Nous allons discuter ici seulement les deux derniers critères.

a. Le critère de sanction : la norme juridique est celle qui est sanctionnée

Selon ce critère, la norme juridique est une norme « sanctionnée ». Mais qu'est‑ce que la « sanction »?

La sanction est une contrainte produite comme une réaction à la violation de la norme. Cependant la sanction n'est pas n'importe quelle contrainte, mais uniquement celle qui est produite par la structure sociale[62]. Ainsi Michel Virally entend par sanction, « une sanction socialement organisée, c'est‑à‑dire définie par le droit et attachée à la conduite contraire à celle ordonnée par une norme juridique »[63].

Comme l'a bien montré Paul Amselek, la définition de la juridicité de la norme par la sanction est insoutenable. Car, selon cette définition, comme on vient de le dire, ce n'est pas n'importe quelle contrainte qui spécifie la « juridicité », mais seulement celle qui est « socialement organisée ». Or cette « organisation sociale » de la sanction est en réalité une organisation juridique[64]. Ainsi Paul Amselek remarque que l'on tombe dans un cercle vicieux.

« La règle de droit est une règle pour laquelle il existe un mécanisme sanctionnateur, à la différence des autres normes non juridiques, mais ce mécanisme qui spécifierait la règle de droit, est visé par les auteurs en tant qu'il est lui-même institué par une règle de droit. On en vient nécessairement à faire entrer la 'sanction' en question dans le contenu de certaines règles de droit elles-mêmes et ainsi à la rendre inapte à constituer un élément extérieur caractéristique de toutes les règles de droit. La règle de droit serait, en somme, la règle juridiquement sanctionnée »[65] !

En effet, comme le note Jean-François Perrin, « la sanction est une norme au service d'une autre norme »[66].

Ainsi nous arrivons au critère kelsénien, c'est‑à‑dire le critère d'appartenance de la norme à un ordre juridique déterminé.

b. Le critère d'appartenance : la norme juridique est celle qui appartient à un ordre juridique

Tout d'abord nous devons noter que dans la théorie de Kelsen il n'y a pas de différence entre les notions « juridicité » et « validité » d'une norme. A vrai dire, Hans Kelsen définit la juridicité d'une norme par sa validité, c'est‑à‑dire par son appartenance à un ordre juridique. Autrement dit, une norme est juridique, si elle est valable, c'est‑à‑dire si elle fait partie d'un ordre juridique donné.

Alors, dans la conception kelsénienne, expliquer la validité d'une norme revient à expliquer sa juridicité. Nous allons examiner plus loin[67] la question du fondement de la validité d'une norme dans la théorie kelsénienne. C'est pourquoi, nous nous contentons ici de dire que selon Kelsen, une norme est juridique, si elle est valable, c'est‑à‑dire si elle existe dans un ordre juridique déterminé. En d'autres termes, la juridicité d'une norme se définit par sa validité, et à son tour la validité d'une norme se définit par son appartenance à un ordre juridique donné. Bref, une norme est juridique, si elle appartient à un ordre « juridique », mais dans ce cas, il faut déterminer, à son tour, la juridicité d'un ordre normatif. Car, les ordres normatifs qui existent ne sont pas seulement des ordres juridiques, il y a aussi des ordres normatifs sociaux, moraux, religieux, etc.

En d'autres termes, le problème de la juridicité d'une norme se transforme en celui de la juridicité de l'ordre auquel appartient cette norme. C'est‑à‑dire que pour savoir si une norme est juridique ou non, il faut regarder si l'ordre normatif dont fait partie la norme en question est juridique ou non. Ainsi, la norme est juridique si elle appartient à un ordre juridique, mais non pas à un ordre social ou moral ou religieux, etc. On peut donc conclure que la juridicité est la caractéristique d'un ordre normatif, non pas directement d'une norme.

Ainsi nous arrivons au problème de la juridicité d'un ordre normatif.

2. La recherche d'un critère de la juridicité d'un ordre normatif

Comment pouvons-nous définir la juridicité d'un ordre normatif ? C'est‑à‑dire, qu'est-ce qu'un ordre juridique ?

Un ordre juridique est tout d'abord un ordre normatif. Kelsen définit un ordre normatif comme « un système de normes dont l'unité repose sur le fait que leur validité a le même fondement »[68].

Mais comme on l'a déjà dit, les ordres normatifs qui existent ne sont pas seulement des ordres juridiques ; il y a aussi des ordres normatifs moraux, sociaux, religieux, etc. Alors, comment et par quels critères peut-on distinguer l'ordre juridique des autres ordres normatifs ? En d'autres termes, qu'est-ce qui donne le caractère juridique à un ordre normatif ? En un mot, quel est le critère de la juridicité d'un ordre normatif ?

En suivant toujours Kelsen, comme caractères distinctifs des ordres juridiques, on peut relever les points suivants :

Le premier caractère distinctif des ordres juridiques est qu'ils se présentent tous comme des ordres de la conduite humaine. Autrement dit « les normes de l'ordre juridique règlent la conduite d'êtres humains »[69]. Kelsen note que « dans les sociétés primitives, l'ordre juridique règle également la conduite d'animaux, de plantes et même de choses inanimées, de la même façon que la conduite des hommes »[70]. Mais « les ordres juridiques modernes, eux, ne règlent la conduite que des seuls êtres humains, et non la conduite d'animaux, de plantes, ou d'objets inanimés ; ils ne dirigent de sanctions que contre les premiers, et non contre les seconds »[71].

Le deuxième caractère distinctif des ordres juridiques, « est que ce sont des ordres de contrainte »[72]. Ceci veut dire que les ordres juridiques « réagissent par un acte de contrainte à certaines circonstances considérées comme indésirables, parce que socialement nuisibles, en particulier à des faits de comportement humain de cette nature »[73]. Et par un acte de contrainte, « on entend un mal – tel que le retrait de la vie, de la santé, de la liberté, de biens économiques et autres – qui doit être infligé à celui qu'il atteindra, même contre son gré, et, si besoin est, en employant la force physique »[74].

On peut ainsi définir l'ordre juridique comme un ordre de contrainte de la conduite humaine. Et en tant qu'ordre de contrainte, comme le note Kelsen, l'ordre juridique

« se distingue d'autres ordres sociaux. L'élément de la contrainte, c'est‑à‑dire la circonstance que l'acte institué par l'ordre comme conséquence d'une situation considérée comme socialement nuisible doit être réalisée même contre le gré de l'individu qu'elle doit atteindre et, en cas de résistance, par l'emploi de la force physique, – voilà le critérium décisif »[75].

Le droit est un ordre de contrainte. Cependant, ce n'est pas n'importe quelle contrainte ; mais celle qui a le caractère de sanction. La sanction aussi est un acte de contrainte, c'est‑à‑dire un emploi de la violence. Mais, comme l'explique Kelsen, la sanction, à la différence des autres actes de contrainte, est un usage de force permis par l'ordre juridique, « comme la réaction à une situation socialement indésirée, en particulier comme réaction à une conduite humaine socialement nuisible »[76]. Autrement dit, la sanction est une contrainte instituée par l'ordre juridique[77].

Deuxièmement, il faut noter que la sanction est attribuable uniquement à la collectivité juridique. Autrement dit, seulement les individus ou les organes habilités par l'ordre juridique peuvent exercer les actes de contrainte, conformément aux conditions déterminées par cet ordre. « Alors, on peut dire, en ce sens, que l'exercice de la contrainte est érigé en monopole de la collectivité juridique »[78].

Enfin il faut noter que l'ordre de contrainte considéré comme un ordre juridique est plus efficace que tous les autres ordres de contrainte. C'est la différence entre l'ordre juridique et l'ordre d'une bande de voleurs. Mais, si un tel ordre de contrainte (par exemple celui d'une bande de voleurs)

« est limité dans son domaine de validité territorial à un certain territoire et s'il est efficace à l'intérieur de ce territoire, de telle façon que la validité de tout ordre de contrainte semblable est exclue, il peut très bien être considéré comme un ordre juridique, et la collectivité fondée par lui peut très bien être considérée comme un ‘Etat’, même si cet ‘Etat’ développe vers l'extérieur une activité qui soit criminelle au regard du droit international positif »[79].

* * *

Ainsi nous venons de définir l'ordre juridique comme un ordre de contrainte. Mais on invoque très souvent une objection à cette définition. Cette objection se concentre sur le fait que les ordres juridiques historiques contiennent toujours des normes dépourvues de sanctions[80]. Comme on l'a déjà noté ces normes non sanctionnées se trouvent surtout dans le domaine du droit constitutionnel. On sait que, plusieurs fois, les « constitutions contiennent des dispositions précises, des injonctions claires dont cependant la violation ne peut faire l'objet d'aucune réaction institutionnelle quelconque »[81]. Ainsi selon l'exemple donné par Jean-François Perrin, « en Suisse, si le Parlement fédéral décide d'édicter une loi sur une matière pour laquelle la Confédération ne possède aucune délégation de compétence, il viole l'article 3 de la Constitution. Admettons qu'aucun référendum ne soit lancé. La nouvelle loi entrera en vigueur en violation de la susdite disposition. Aucune réaction institutionnelle n'est concevable. L'article 3 de la Constitution fédérale n'est-il pas une disposition juridique »[82] ? En général on peut constater que les normes de la constitution qui règlent la procédure de la législation n'établissent pas toujours une sanction pour le cas où elles ne sont pas observées.

Devant ce problème des normes juridiques non sanctionnées, dans la théorie du droit, il y a généralement deux thèses opposées. Selon la première thèse, il peut exister des normes non sanctionnées dans un ordre juridique grosso modo sanctionné. Selon cette thèse, la sanction « est une caractéristique qui peut être attribuée à l'ordre juridique pris dans son ensemble, mais non à chacun de ses éléments »[83]. En d'autres termes, la sanction est le « caractère de l'ordre in globo, et non de ses éléments ut singuli »[84]. Nous avons vu cette thèse dans la section précédente[85], c'est pourquoi, on se contentera ici de s'y référer.

En revanche, selon une deuxième thèse, dans un ordre juridique, il ne pourrait y avoir des normes non sanctionnées. Car, les normes qui sont présentées comme des normes non sanctionnées sont en effet soit, des normes juridiquement irrelevantes, soit, des normes juridiques non indépendantes. Nous avons déjà exposé cette thèse[86]. C'est pourquoi nous n'y revenons pas.

A notre avis, seule cette deuxième thèse est fondée[87]. Ainsi, pour nous, dans un ordre juridique, il ne pourrait pas y avoir de normes juridiques non sanctionnées.

* * *

En conclusion, conformément à la théorie positiviste, nous pouvons conclure que la juridicité d'une norme se détermine par son appartenance à un ordre juridique ; et la juridicité d'un ordre normatif se détermine par son caractère de contrainte. En d'autres termes une norme est juridique, si elle fait partie d'un ordre juridique déterminé. Et un ordre normatif est juridique, s'il est un ordre de contrainte.

* * *

Maintenant appliquons cette conclusion aux limites à la révision constitutionnelle[88]. Comme on l'a déjà remarqué, ces limites existent sous la forme de dispositions constitutionnelles. Et en tant que dispositions de la constitution, elles appartiennent à l'ordre normatif dont fait partie la constitution. Et on sait que l'ordre normatif auquel appartient la constitution est un ordre juridique, parce que, cet ordre, pris dans son ensemble, est sanctionné. Il faut alors conclure que les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel ont le caractère juridique.

* * *

En résumé, en ce qui concerne la validité des limites à la révision constitutionnelle, jusqu'ici, nous avons dit que, premièrement elles doivent être matériellement existantes, deuxièmement ces limites matériellement existantes doivent avoir le caractère normatif, et troisièmement elles doivent être d'ordre juridique. Et nous venons de montrer que les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel remplissent ces trois conditions préliminaires, c'est‑à‑dire l'existence matérielle, la normativité et la juridicité.

* * *

Toutefois ces trois conditions préliminaires (existence matérielle[89], normativité[90] et juridicité[91]) sont des conditions nécessaires, mais non suffisantes de la validité juridique. Car une norme juridique matériellement existante peut être non valable. En d'autres termes, la « juridicité » d'une norme n'implique pas nécessairement sa « validité ». A vrai dire, pour affirmer qu'« une norme juridique matériellement existante peut être non valable », il faut connaître les critères de la validité juridique d'une norme. Nous allons les voir plus bas[92]. Cependant notons qu'il y a trois conceptions différentes de la validité juridique et que si l'on accepte la conception de la validité matérielle, une norme juridique matériellement existante peut être non valable, si elle n'est pas efficace[93]. C'est le cas de désuétude[94]. La norme qui est tombée en désuétude n'est pas une norme sociale ou morale, au contraire c'est bien une norme juridique, mais une norme juridique « non valable ». D'ailleurs, si l'on prend en considération la conception de la validité axiologique, une norme juridique peut être non valable, si elle n'est pas juste[95].

Alors voyons à présent ces trois conceptions de la validité juridique.

 

 

§ 2. Les trois conceptions de la validité juridique

Pour pouvoir déterminer les conditions de la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle, il faut d'abord nécessairement définir la notion de validité juridique.

François Ost définit la validité comme « la qualité qui s'attache à la norme dont on a reconnu qu'elle satisfait aux conditions requises pour produire les effets juridiques »[96].

Mais comment et sur quelles bases s'opère cette reconnaissance ? Autrement dit, quels sont les critères de la validité juridique d'une norme ?

En théorie du droit, la validité juridique d'une norme s'apprécie en général en référence à trois critères différents : un critère éthique (finaliste, déontique), comme la justice, un critère sociologique, comme l'efficacité et un critère formaliste, comme l'existence spécifique de la norme. Par conséquent, il y a trois conceptions de validité : la validité axiologique[97] (« validité déontique »[98]), la validité matérielle[99] (« validité empirique »[100], « validité factuelle »[101] ou « validité effective »[102]) et la validité formelle[103] (« validité systémique »[104], « validité tout court »[105] ou « validité stricto sensu »[106]). Dans la théorie du droit, la validité axiologique est appelée aussi la justice[107] (« légitimité »[108] ou « acceptabilité »[109]), la validité matérielle l'efficacité[110] (« effectivité »[111]), ainsi que la validité formelle, l'existence spécifique[112] (« appartenance ») de la norme. Notons que la première conception est privilégiée par la théorie du droit naturel, la deuxième par la théorie réaliste américaine et scandinave, et le troisième par la théorie positiviste[113].

Commençons par la validité axiologique.

A. La validité axiologique (la validité comme valeur [justice]) : la théorie du droit naturel

Selon le critère finaliste, la validité d'une norme s'apprécie par sa conformité à des valeurs ou des idéaux méta-positifs. Ces valeurs et idéaux sont d'ordre éthique, moral, religieux, etc[114]. Pour savoir si une norme est valable ou non-valable, il faut comparer le contenu de cette norme avec un certain nombre de valeurs et idéaux. Si la norme est conforme à ces valeurs ou idéaux, elle est valable ; si ce n'est pas le cas, elle n'est pas valable. En d'autres termes, on cherche s'il y a une coïncidence entre le « monde réel » et le « monde idéal » ; entre « ce qu'il est » et « ce qu'il doit être ». C'est pourquoi le critère finaliste s'associe à la validité axiologique du droit. Par conséquent, le critère finaliste, autrement dit, la validité axiologique est un problème déontique du droit.

A notre avis, la validité d'une norme ne peut pas se déterminer dans une telle conception, c'est‑à‑dire par un critère finaliste. Car le problème de la validité axiologique d'une norme se résout en dernière analyse dans un jugement de valeur. En d'autres termes, le problème de savoir si une norme est valable ou non nécessite une comparaison entre le contenu de cette norme et certaines valeurs ou idéaux qui se situent en dehors de la norme. Ils sont d'ordre éthique, religieux, moral, en un mot, de nature méta‑positive. Et à notre sens, l'examen de telles valeurs ou de tels idéaux reste en dehors de la science juridique.

La conséquence systématique de la validité axiologique est la théorie du droit naturel[115]. En d'autres termes, cette conception de validité est privilégiée surtout par les auteurs jusnaturalistes[116]. Selon ces auteurs, la validité axiologique d'une norme est une condition nécessaire et suffisante de sa validité[117]. C'est‑à‑dire que dans la théorie du droit naturel, la validité d'une norme s'apprécie par les éléments finalistes par exemple, par la réalisation de la justice, la satisfaction du bien commun, la protection des droits de liberté, la promotion du bien-être[118]. Ces éléments finalistes changent selon les écoles du droit naturel[119]. Mais le raisonnement reste le même. Si une norme ne sert pas « à rejoindre le bien commun, à réaliser la justice, à garantir la liberté, à promouvoir le bien être »[120], elle n'est pas valable.

Nous avons choisi ici la « justice » comme l'élément finaliste dans la définition du droit naturel[121]. Ainsi, on peut affirmer que, dans la théorie du droit naturel, le droit s'identifie à la justice. C'est la justice qui fonde la validité du droit. A cet égard, on peut brièvement définir la théorie du droit naturel comme une théorie qui dit qu'« une loi pour être loi doit être juste » ou bien comme le disait Saint Augustin, « une loi injuste n'est pas une loi »[122]. En d'autres termes, un acte pour être valable, c'est‑à‑dire pour avoir des effets juridiques, il doit être conforme à l'exigence de la justice, il doit servir à la réaliser. Ainsi, si une norme est juste, elle est valable ; si ce n'est pas le cas, elle est non valable, c'est‑à‑dire non susceptible de produire des effets juridiques ; autrement dit, elle n'a aucune force obligatoire. Bref, dans cette conception, « le droit valable, c'est le droit juste »[123].

La critique la plus destructive qui est adressée à la théorie du droit naturel se concentre sur le fait qu'il n'existe pas de critère universel et objectif qui permet de distinguer « ce qui est juste » de « ce qui est injuste ». Et on ne peut pas obtenir un tel critère par voie de l'observation de la nature[124], si l'on ne veut pas faire appel à Dieu[125]. Si cela est vrai, la question suivante est inévitable : à qui appartient donc la tâche de distinguer « ce qui est juste » de « ce qui est injuste »[126] ? Si on exclut l'existence d'une autorité absolue et transcendante d'une divinité[127], il y a deux et seulement deux réponses possibles à cette question.

Selon la première réponse, la tâche de déterminer « ce qui est juste » appartient à ceux qui détiennent le pouvoir. Il est évident que cette réponse nous éloigne du droit naturel, pour nous amener au positivisme étatique[128].

Selon la deuxième réponse, cette tâche appartient à tous les citoyens[129]. Mais dans cette hypothèse, les principes de justice présentent nécessairement un caractère largement subjectif. Car ces principes sont conçus « par chaque homme selon les données de sa propre conscience ; il y a sans doute des éléments communs à ces différentes conceptions personelles ; mais l'expérience prouve la difficulté de les dégager, faute d'une autorité capable et infaillible. En fait, chacun demeure libre de concevoir le droit naturel selon les exigences de sa propre conscience »[130]. On peut dire que, avec Kelsen, dans ce cas, « on est menacé d'anarchie totale »[131]

D'autre part, comme l'a bien montré Hans Kelsen, il n'existe pas de valeurs absolues. « Toutes les valeurs morales sont relatives. Ceci étant admis, on ne peut attribuer à l'affirmation que des normes sociales ne peuvent être considérées comme droit que si leur contenu est moral, est juste »[132]. Et « étant donné l'extraordinaire diversité de ce que les hommes tiennent pour bon ou pour mauvais, pour juste ou pour injuste, selon les époques[133] et selon les lieux, on ne peut constater l'existence d'aucun élément commun à tous les ordres moraux »[134]. Par conséquent « il faut distinguer l'un de l'autre le droit et la morale en général, le droit et la justice en particulier »[135].

* * *

Maintenant appliquons le critère finaliste aux limites à la révision constitutionnelle ; c'est‑à‑dire recherchons la validité des dispositions de la constitution qui règlent la création et parfois le contenu des lois de révision constitutionnelle selon la conception de la validité axiologique.

Selon cette conception, on peut affirmer que si les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont justes, elles sont valables, et par conséquent elles s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle. Par contre si elles sont injustes, elles ne sont pas valables, et par conséquent elles ne lient pas le pouvoir de révision constitutionnelle.

A notre avis, cette conclusion est inacceptable. Car à la lumière de la critique adressée à la validité axiologique et au droit naturel ci-dessus, on peut dire qu'il n'existe pas de critère objectif et universel qui permet de distinguer les limites à la révision constitutionnelle « justes » des limites à la révision constitutionnelle « injustes ». On a déjà montré que la justice n'est pas une valeur absolue. L'idée de justice change pour chaque individu. C'est‑à‑dire que chacun peut apprécier comme il l'entend la valeur juridique d'une limite à la révision constitutionnelle. Dans ce cas, une limite serait valable pour les uns, et non valable pour les autres. Il est évident qu'un tel résultat n'est donc pas objectif, et par conséquent admissible.

* * *

Avant de passer à l'examen de la deuxième conception de la validité juridique, il convient de critiquer les thèses classiques sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle à la lumière des explications ci-dessus sur la conception de la validité axiologique. En d'autres termes, nous allons appliquer les critiques générales adressées à la théorie du droit naturel aux thèses que nous avons examinées dans la section précédente[136].

 L'appréciation de deux thèses classiques sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle à la lumière de l'exposé et la critique de la conception de la validité axiologique

Si l'on regarde le débat classique sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle à la lumière de la critique ci‑dessus adressée à la validité axiologique, autrement dit à la théorie du droit naturel, on peut constater que la thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique, ou celle qui soutient la validité de ces limites, toutes les deux, sont produites essentiellement dans la conception de la validité axiologique. C'est‑à‑dire que ces deux thèses, l'une et l'autre, sont basées essentiellement sur le critère de justice. Par conséquent, elles sont entachées de même erreur. Car leur raisonnement est le même. Elles sont deux illustrations différentes de la même logique.

Selon les défenseurs de la première thèse, l'existence des limites à la révision constitutionnelle dans la constitution n'est pas juste ; elle n'est pas conforme aux principes de la justice ; par conséquent, ces limites ne sont pas valables. Par contre, selon les défenseurs de la deuxième thèse, l'existence des limites à la révision constitutionnelle dans la constitution est juste ; elle est conforme aux principes de la justice ; par conséquent, ces limites sont valables,

Mais plus précisément, à quels principes de justice ces limites sont-elles conformes ou non conformes ? A notre avis on ne peut donner aucune réponse objective à cette question. A vrai, dire chacun peut nous proposer un principe de justice différent conformément à ses propres idéaux, à ses propres valeurs philosophiques, éthiques, religieuses, politiques, etc.

Par exemple, prenons les trois premiers arguments des défenseurs de la thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique. Selon les défenseurs de cette thèse, on l'a vu[137], ces limites ne sont pas valables, parce que, premièrement, une génération ne peut lier les générations futures ; deuxièmement, la constitution doit s'adapter aux changements sociaux. Et le troisième argument consiste à dire que si les dispositions intangibles de la constitution ne sont pas révisables par les moyens réguliers, elles seront révisées par les voies révolutionnaires et par conséquent pour ne pas préparer le terrain aux révolutions, la constitution doit être révisable dans toutes ses parties.

Ainsi peut‑on remarquer que, comme le principe de justice, le premier argument s'inspire de l'idée selon laquelle une génération n'est pas supérieure aux générations futures, et que les morts n'ont ni droits ni pouvoirs. Le deuxième argument ressort de l'idée de l'évolution sociale. Le troisième argument se fonde sur l'idée de ne pas préparer le terrain aux révolutions.

En revanche, les défenseurs de la thèse de la validité des limites à la révision constitutionnelle, en partant d'autres idées, sont arrivés à une autre conclusion selon laquelle ces limites sont justes, et par conséquent valables. Parce que, tout simplement ils avaient d'autres idées comme le principe de justice, des idées comme celle de stabilité, celle de continuité. Comme on l'a vu[138], selon les défenseurs de cette thèse, ces limites sont valables parce que, premièrement, une nation n'est pas faite seulement d'une génération ; mais elle regroupe les générations futures et passées, et par conséquent il serait normal qu'une génération puisse laisser quelques traces pour les générations futures en moyennant les dispositions intangibles de la constitution. Ainsi il faut assurer une certaine stabilité, une certaine continuité entre les générations. Deuxièmement, il faut sauvegarder d'une manière absolue certains principes dans la société mouvante. Et troisièmement, ces limites sont encore valables, parce qu'elles ont pour objet d'éviter les mouvements révolutionnaires latents. Comme on le voit, dans cette deuxième thèse, les idées de stabilité, de continuité, d'harmonie sociale jouent un rôle de principe de justice. Précisément, comme le principe de justice, le premier argument est basé sur l'idée de continuité entre les générations ; le deuxième, sur celle de stabilité sociale, et le troisième sur celle de légalité.

Ainsi, sur le même problème, il y a deux thèses qui se contredisent. Cependant ces deux thèses, opposées dos à dos, l'une et l'autre, sont entachées des mêmes erreurs. Les deux aussi résultent du même critère de la validité, de la même conception du droit, à savoir de la conception de la validité axiologique. Par conséquent la thèse qui accepte la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle tombe, elle aussi, à son tour, dans la même erreur où est déjà tombée la thèse qui rejette la valeur juridique de ces limites.

C'est pourquoi, le débat sur validité des limites à la révision constitutionnelle est insoluble, si l'on reste toujours dans la conception de la validité axiologique, c'est‑à‑dire, si l'on continue à débattre sur la base des valeurs, des idéaux, des jugements de valeur, en un mot sur la base de la théorie du droit naturel. Car, on invoque un argument pour l'invalidité de ces limites en s'inspirant d'une certaine valeur ou d'un certain idéal, et tout de suite, d'autres auteurs répondent avec un contre‑argument qui s'inspire d'un autre idéal et d'une autre valeur. Puisqu'on ne peut pas montrer la supériorité d'une valeur ou d'un idéal sur un autre, on ne peut pas résoudre ce problème en multipliant ces arguments et contre‑arguments. Alors il faut renoncer à débattre de cette question sur cette base, c'est‑à‑dire sur la conception de la validité axiologique.

En conclusion nous refusons les deux thèses citées sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle, car elles, l'une et l'autre, sont fondées sur la conception de la validité axiologique qui est insoutenable.

D'ailleurs comme nous l'avons plusieurs fois indiqué, selon la conception que nous avons adoptée dans ce travail, il n'appartient pas à la science du droit de justifier l'opportunité de telle ou telle disposition juridique. La science du droit a pour objet les normes juridiques. La tâche de la science du droit, comme celle de toutes les autres sciences est seulement de décrire, non pas de prescrire. Kelsen disait que « ce qui ne se trouve pas dans le contenu des normes juridiques positives ne peut pas entrer dans un concept juridique... Une science doit décrire son objet tel qu'il est, et non pas prescrire ce qu'il devrait être ou ne devrait pas être du point de vue d'un certain jugement de valeur »[139].

A notre avis, les idées ou les valeurs comme l'évolution sociale ou la stabilité sociale, ou la continuité entre les générations sont de nature des jugements de valeur, et par conséquent restent en dehors de la science du droit. De ce fait, nous excluons, par hypothèse même, les arguments invoqués pour justifier l'opportunité ou l'inopportunité des limites à la révision constitutionnelle.

Maintenant voyons la deuxième conception de la validité.

B. La validité matérielle[140] (la validité comme efficacité[141]) : le réalisme juridique américain et scandinave

Dans cette conception, la validité d'une norme est évaluée par son efficacité. Et l'efficacité de la norme se détermine par la correspondance entre la norme et le comportement de ses destinataires[142]. En d'autres termes, l'efficacité de la norme juridique s'apprécie par le fait qu'elle est suivie ou obéie par les sujets qui en sont destinataires[143]. La norme est efficace parce qu'elle a été suivie effectivement pendant une certaine période de temps par un groupe de personnes[144], en un mot parce qu'elle a été obéie. En d'autres termes, on peut dire qu'une norme est efficace dans une société, « si et seulement si la conduite des citoyens montre qu'ils la suivent régulièrement »[145]. Mais les causes de cette obéissance ne sont pas importantes. Il se peut que cette obéissance à la norme juridique soit provoquée par différents motifs soit par la crainte des sanctions du droit, soit par la crainte des sanctions de Dieu, soit seulement par le souhait d'éviter certains désavantages sociaux[146].

La recherche de l'efficacité d'une norme nécessite une comparaison entre le contenu de cette norme et les comportements effectifs d'un groupe social[147]. En d'autres termes, l'efficacité d'une norme s'apprécie, elle-même, sur le plan des faits[148]. C'est pourquoi l'efficacité d'une norme est un problème phénoménologique du droit. Autrement dit, dans la conception de la validité matérielle, les jugements sur la validité d'une norme sont des « propositions dont la vérité ou la fausseté peut être contrôlée de manière empirique »[149]. Il est évident qu'une telle recherche relève du domaine de la sociologie[150] et de la psychologie, plus que de la science du droit. En effet Alf Ross, un représentant du réalisme scandinave, l'affirme clairement : « la science du droit est une branche de la théorie du comportement humain, et par suite le phénomène juridique doit être trouvé dans le domaine de la psychologie et de la sociologie »[151].

La conception de la validité matérielle est privilégiée par les courants des réalismes juridiques américain et scandinave. Selon ces courants, le vrai droit est celui effectivement appliqué par les tribunaux, non pas celui qui est exprimé dans les lois. Autrement dit, les défenseurs de ces courants considèrent seules les normes qui sont effectivement appliquées et suivies comme normes juridiques.

Le réalisme juridique américain définit le droit comme « ce que font les tribunaux »[152]. Selon Felix S. Cohen, il faut définir le droit par ses conséquences[153] et non pas à partir des a priori spéculatifs et formalistes. « D'où l'opposition, typique pour les réalistes entre le droit formel, tel qu'il se présente dans les textes législatifs et les recueils de jurisprudence (law in books), et le droit vivant, se manifestant dans la pratique (law in action), seul le second étant digne d'être pris en considération »[154]. Selon les réalistes américains, c'est le juge qui crée le droit. Ainsi Karl N. Llewellyn fait la distinction entre les « règles réelles » et les « règles sur le papier »[155].

Egalement selon Alf Ross, un représentant du réalisme scandinave[156], estime que « les propositions de la doctrine juridique, comme celles de toute science empirique, doivent être soumises au principe de vérification »[157]. Et d'après lui, la vérification d'une proposition qui affirme qu'une norme juridique est efficace, c'est‑à‑dire valable, consiste dans l'application de la norme par les tribunaux[158]. Autrement dit, c'est dans les décisions des tribunaux que l'on doit rechercher l'efficacité (c'est‑à‑dire la validité pour Alf Ross) de la norme[159].

« Lorsqu'il s'agit, dit-il, de déterminer la validité des normes juridiques, seule importe... l'application du droit par les tribunaux... L'effectivité, qui est la condition de la validité des normes, ne peut donc être recherchée que dans l'application judiciaire du droit et pas dans le droit qui fonctionne entre les personnes privées »[160].

Ainsi les réalistes scandinaves et américains arrivent à la même conclusion : le droit valable est celui effectivement appliqué par les tribunaux. La tâche de la science juridique est la prévision des décisions à venir des tribunaux[161] ?.

* * *

En conséquence, dans la conception de la validité matérielle, la validité d'une norme se détermine par son efficacité, c'est‑à‑dire par l'application de cette norme par le juge. Cependant, comme le remarque Aulis Aarnio, « le problème n'a pas été résolu du point de vue du juge »[162]. En d'autres termes, « si l'efficacité signifie la possibilité d'appliquer une norme, elle n'est pas un critère très utile pour... le juge, qui doit savoir spécifiquement si cette norme oblige lorsqu'il prend une décision »[163]. Aulis Aarnio appelle cela le dilemme de l'efficacité[164]. « D'une part, une norme qui est seulement formellement valide peut rester lettre-morte si elle n'est pas appliquée, et d'autre part une norme devient effective si, et seulement si, elle oblige les autorités »[165]. Autrement dit, sur la base de la conception de la validité matérielle,

« on ne peut pas donner au juge de réponse à la question de savoir s'il est lié ou non par certaines normes... Du point de vue du juge, il n'est pas important... de recevoir des informations sur la manière dont le juge (en d'autres mots, lui-même) agira. Le décideur doit déjà savoir, avant de juger, ce qui oblige et ce qui ne l'oblige pas »[166].

Comme le remarque Theodore M. Benditt, « un observateur peut prédire ce que le juge fait, mais un juge ne peut pas, au moment où il décide d'un cas, seulement prédire ce qu'il fait ; il le fait »[167]. Alors on peut conclure que, du point de vue de l'observateur, on peut peut-être déterminer la validité d'une norme juridique par son efficacité ; mais du point de vue du juge, la validité d'une norme ne peut pas être définie par ce critère. Car, dans ce cas, comme le constate Aulis Aarnio, « la définition perdrait sa logique interne et recouvrirait seulement quelques situations. D'après une telle définition, le juge devient alors l'étalon de ce qu'il doit lui-même considérer comme obligatoire »[168].

* * *

Recherchons à présent la validité des limites à la révision constitutionnelle dans la conception de la validité matérielle, c'est‑à‑dire selon le critère d'efficacité.

A la lumière des explications générales ci-dessus, on peut affirmer que selon cette conception, les dispositions de la constitution qui prévoient les limites à la révision constitutionnelle sont valables, si elles sont efficaces, autrement dit, suivies et appliquées effectivement par leur destinataire, c'est‑à‑dire par le pouvoir de révision constitutionnelle.

Essayons donc de déterminer si les normes de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont efficaces. On a précédemment noté que la recherche de l'efficacité d'une norme nécessite une comparaison entre le contenu de cette norme et la conduite effective de ses destinataires. Le destinataire des limites à la révision constitutionnelle est le pouvoir de révision constitutionnelle. Alors il faut faire une comparaison entre le contenu des normes de la constitution prévoyant des limites à la révision constitutionnelle et le contenu effectif des lois constitutionnelles édictées par le pouvoir de révision constitutionnelle. Dans l'hypothèse où l'on constate une discordance entre les contenus de ces deux groupes de normes, il faut conclure que les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas valables, car elles ne sont pas effecti­vement appliquées et suivies par le pouvoir de révision.

Alors en s'inspirant du réalisme américain, on peut affirmer qu'un juriste doit prévoir[169] ce que feront effectivement les autorités juridiques en cas d'une éventuelle loi de révision constitutionnelle qui serait contraire à ses limites. Pour un instant, essayons de faire une telle prédiction. D'abord rappelons-nous qu'une loi de révision constitutionnelle est édictée par le pouvoir de révi­sion constitutionnelle. Et celui‑ci, comme on l'a vu dans le titre préliminaire[170], est un pouvoir supé­rieur aux autres pouvoirs constitués du point de vue de sa fonction. Car, il exerce une fonction constituante sur les autres pouvoirs constitutionnels. En révisant la constitution, il peut redéfinir l'organisation et le fonctionnement des organes législatif, exécutif et judiciaire. Les derniers ne disposent pas de moyens juridiques[171] suffisants pour répondre au pouvoir de révision, parce que les normes posées par le pouvoir de révision occupent un rang supérieur à celles posées par les pouvoirs législatif, exécutif et judi­ciaire. Alors on peut théoriquement prévoir que tant qu'il n'y a pas d'organe capable d'invalider une loi de révision constitutionnelle, les limites à la révision constitutionnelle ne seront pas efficaces, par conséquent non valables.

Ainsi, de ce point de vue, la validité des limites à la révision constitutionnelle dépend en dernière analyse de leur application par les tribunaux. Car, comme on l'a déjà noté, selon le réalisme juridique américain, le droit est ce que font les tribunaux en cas d'espèce. Et selon le courant réaliste scandinave, la vérification d'une proposition qui affirme qu'une norme juridique est valable consiste dans l'application de la norme par les tribunaux.

Alors, dans cette conception, à la question de savoir s'il y a  une limite à la révision constitutionnelle,  on ne peut donner que la réponse suivante : « Là où il y a une interdiction de réviser la constitution qui sera juridiquement sanctionnée, il y a une limite à la révision constitutionnelle »[172]. Et la réponse affirmative à cette question dépend de l'existence d'une cour constitutionnelle capable de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Il s'ensuit que seule une telle cour peut assurer l'efficacité des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle. En d'autres termes, dans le cas où ces dispositions ne sont pas respectées, c'est‑à‑dire, où le pouvoir de révision adopte une loi de révision constitutionnelle contrairement à ces dispositions, si cette loi de révision constitutionnelle est annulable par une telle cour, ces limites seront efficaces, par conséquent valables. Ainsi le problème de l'efficacité des limites à la révision constitutionnelle se concentre sur le point de savoir s'il existe un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un pays donné.

Comme on l'a déjà annoncé, la deuxième partie de notre thèse est réservée à l'examen du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. C'est‑à‑dire que nous pouvons, à la fin de notre thèse, donner une réponse à la question de savoir si ces limites sont efficaces ou inefficaces suivant les pays. Mais pour l'instant, nous pouvons noter que dans les pays où il y a un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ces limites seront suivies et appliquées, c'est‑à‑dire, efficaces et par conséquent valables. Par contre, dans les pays où il n'existe pas un tel contrôle, ces limites ne seront pas efficaces. Le pouvoir de révision peut avoir alors la possibilité de ne pas se conformer aux limites à la révision constitutionnelle.

En conclusion, selon la conception de la validité matérielle, dans un pays où il n'y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ne sont pas efficaces, par conséquent elles ne sont pas valables. Alors en utilisant les termes du réalisme américain, on peut affirmer que, dans un tel pays, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ne sont pas des « règles réelles », mais des « règles sur le papier »[173]. A cet égard, rappelons-nous que dans la doctrine classique du droit constitutionnel aussi, ces limites sont qualifiées de « barrières de papier » par certains auteurs[174]. Pour l'instant appelons cette conclusion[175] « la théorie réaliste de la validité des limites à la révision constitutionnelle ».

Nous nous contentons ici d'expliquer la validité des limites à la révision constitutionnelle selon la conception de la validité matérielle. La question de savoir si cette conception est fondée, c'est‑à‑dire si la validité de ces limites peut être appréciée par leur efficacité sera étudiée plus loin[176].

C. La validité formelle[177] (la validité comme appartenance[178]) : la théorie positiviste

Dans cette conception, la validité d'une norme se détermine par son appartenance à un ordre juridique donné[179], non pas par une qualité factuelle ou abstraite émanant de son contenu. En d'autres termes une norme est valable si elle fait partie d'un ordre juridique donné.

Cette conception de validité est privilégie par les auteurs positivistes.

Par exemple pour Kelsen, la validité (Geltung) est « le mode d'existence spécifique de la norme »[180]. Selon lui, la validité n'est pas une propriété, un attribut de la norme, « mais son existence spécifique, son existence idéale »[181]. Bref, la validité est l'existence spécifique d'une norme. Qu'est-ce alors que l'existence spécifique d'une norme[182] ? Selon Kelsen, l'existence spécifique d'une norme est l'existence de cette norme dans un ordre normatif[183].

Mais qu'est-ce qu'un ordre normatif ? Un ordre normatif, selon Kelsen, est un système de normes qui est formé par toutes les normes dont la validité peut être rapportée à une seule et même norme fondamentale[184]. En d'autres termes, un ordre normatif se compose de deux types de normes. Le premier est la norme fondamentale qui fonde la validité des autres normes ; le deuxième est toutes les autres normes dont la validité peut être rapportée à cette norme fondamentale[185]. Nous allons appeler cette seconde catégorie de normes des « normes posées », car, elles « doivent nécessairement être posées par un acte de création particulier. Ce sont des normes posées, c'est‑à‑dire positives »[186].

Ainsi, selon Kelsen, la validité est l'existence spécifique d'une norme, et, à son tour, l'existence spécifique est l'existence de cette norme dans un ordre normatif. Et on vient de noter que, selon cette conception, il y a deux types de normes dans un ordre normatif : la norme fondamentale et les normes posées. On peut alors affirmer qu'une norme est valable, si elle existe dans un ordre juridique déterminé. Et puisqu'il y a deux types de normes dans un ordre normatif, alors une norme est valable, si elle est la norme fondamentale qui fonde la validité des autres normes, ou bien si elle est une norme posée qui est fondée sur la norme fondamentale. En d'autres termes, une norme est valable si elle est le fondement de validité dans un ordre normatif ou bien si elle a le fondement de validité dans cet ordre[187].

1. Prenons d'abord le deuxième cas, et examinons la validité des normes posées ; c'est‑à‑dire les normes qui ont leur fondement dans l'ordre normatif, autrement dit, les normes dont la validité peut être rapportée à la norme fondamentale. Alors, une norme posée, pour exister dans un ordre normatif, c'est‑à‑dire pour être valable, doit être édictée conformément aux conditions posées par une autre norme. « Une norme, dit Kelsen, n'est pas valable parce qu'elle a certain contenu..., elle est valable parce qu'elle est créée d'une certaine façon, et plus précisément en dernière analyse, d'une façon qui est déterminée par une norme fondamentale »[188]. « C'est pour cette raison, et pour cette raison seulement qu'elle fait partie de l'ordre juridique dont les normes sont créées conformément à cette norme fondamentale »[189]. En d'autres termes « la validité d'une norme ne peut avoir d'autre fondement que la validité d'une autre norme. En termes figurés, on qualifie la norme qui constitue le fondement de la validité d'une autre norme de norme supérieure par rapport à cette dernière, qui apparaît donc comme une norme inférieure à elle »[190].

Ainsi, « la norme qui constitue le fondement de la validité d'une autre norme est par rapport à celle‑ci une norme supérieure. Mais il est impossible que la quête du fondement de la validité d'une norme se poursuive à l'infini... Elle doit nécessairement prendre fin avec une norme que l'on supposera dernière et suprême »[191]. Kelsen appelle cette norme suprême la « norme fondamentale » (Grundnorm)[192]. Selon Kelsen, cette norme fondamentale

« est la source commune de la validité de toutes les normes qui appartiennent à un seul et même ordre ; elle est le fondement de leur validité. L'appartenance d'une norme à tel ou tel ordre à sa source dans le fait que le fondement ultime de sa validité est la norme fondamentale de cet ordre. C'est cette norme fondamentale qui fonde l'unité d'une pluralité des normes, par le fait qu'elle représente le fondement de la validité de toutes les normes appartenant à cet ordre »[193].

* * *

2. Mais à son tour, cette norme fondamentale, d'où tire-t-elle sa validité ? Alors examinons maintenant la question de la validité de la norme fondamentale.

D'abord Kelsen constate que les normes posées d'un ordre juridique en dehors de la constitution historiquement première trouvent leur fondement dans cette dernière. Il se demande ensuite « quel est le fondement de la validité de cette Constitution historiquement première, c'est‑à‑dire d'une Constitution qui n'est pas née par voie de modification constitutionnelle d'une Constitution précédente »[194]. En excluant d'une part l'existence d'un droit international, et d'autre part celle d'une autorité métajuridique telle que Dieu ou la Nature, Kelsen affirme qu'il n'y a qu'une réponse possible à cette question : la validité de cette Constitution doit être supposée, admise comme hypothèse[195]. Ainsi la norme fondamentale d'un ordre juridique s'énoncera de la façon suivante :

« des actes de contrainte doivent être posés sous les conditions et de la manière que prévoient la constitution étatique historiquement première et les normes posées conformément à cette Constitution ; ou en forme abrégée : on doit se conduire de la façon que la Constitution prescrit »[196].

Ainsi cette norme fondamentale « a donc pour fonction de fonder la validité objective d'un ordre juridique positif »[197].

Selon Kelsen, la validité de la norme fondamentale « ne peut être que supposée. Sa validité ne peut plus être déduite d'une norme supérieure ; le fondement de sa validité ne peut plus faire l'objet d'une question »[198]. Car « il est impossible que la quête du fondement de la validité d'une norme se poursuive à l'infini... Elle doit nécessairement prendre fin avec une norme que l'on supposera dernière et suprême »[199].

Même si la norme fondamentale est une hypothèse, selon Kelsen cette hypothèse est une norme. Car,

« il faut de toute nécessité que la nécessité que cette hypothèse soit une norme, puisque seule une norme peut être le fondement de la validité d'une autre norme : mais elle ne sera pas une norme posée par une autorité juridique, mais une norme supposée, c'est‑à‑dire une norme que l'on suppose si l'on reconnaît à la signification subjective et de l'acte constituant et des actes créateurs de normes posés conformément à la Constitution, le caractère de signification objective aussi »[200].

En résumé, selon la conception de la validité formelle, une norme est valable, si elle existe dans un ordre juridique donné, autrement dit, si elle appartient à un ordre juridique donné. En d'autres termes, une norme est valable, si et seulement si elle a été produite conformément à une norme supérieure, et en dernière analyse, conformément à la norme fondamentale.


 

[1]. Notons que la question de l'« existence matérielle » correspond à ce qu'Alexander Peczenik appelle la « question bibliographique de la validité juridique ». En effet, Alexander Peczenik analyse le concept de validité avec une méthode qui comporte quatre opérations. La première opération consiste dans l'énumération des règles que les juristes considèrent comme légalement valables. A cet égard, on peut dire que notre première notion (existence matérielle) est l'équivalent de la première opération (énumération) de la méthode descriptive d'Alexander Peczenik. Il affirme que « la question ‘quelles règles sont-elles légalement valables dans un pays donné ?’ peut être résolue sans aucune définition générale de droit valable. A la faculté de droit et dans son métier, chaque juriste compétent acquiert beaucoup d'informations détaillées sur cette question. Cette information est plus bibliographique que théorique » (Peczenik, « The Concept ‘Valid Law’ », op. cit., p.214-215. C'est nous qui soulignons.)

 

[2]. Ost et van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit., p.259 ; François Ost, « Validité », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.636.

 

[3]. Il convient de souligner l'adjectif « matérielle », parce qu'il y a des auteurs, par exemple Kelsen, qui parlent de la validité comme existence spécifique des normes, c'est-à-dire l'existence dans un ordre juridique.

 

[4]. Ost et van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit., p.259 ; Ost, « Validité », op. cit., p.636.

 

[5]. Il est évident que l'existence matérielle d'une règle coutumière ne peut pas être établie par la même méthode. Cependant cette règle n'est pas privée de l'existence matérielle, car elle a un instrumentum.

 

[6]. Par contre, les limites à la révision constitutionnelle non-inscrites dans les textes constitutionnels sont dénuées de l'existence matérielle. Car, ces limites ne figurent pas dans un document. Elles sont de nature des principes déduits d'une certaine interprétation doctrinale, ou d'une certaine philosophie politique (Voir infra, cette partie, Titre 2).

 

[7]. Ce chapitre, Section 1.

 

[8]. Ce chapitre, Section 1, Sous‑section 1, § 1 (La thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique), et § 2 (La thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle ont la valeur juridique).

 

[9]. Voir ce titre, Chapitre 1 (La typologie générale des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels, supra, p.117-135).

 

[10]. Voir ce titre, Chapitre 1, (La typologie générale : A, supra, p.118-120).

 

[11]. Voir ce titre, Chapitre 1, (La typologie générale : A, supra, p.120-123).

 

[12]. Voir ce titre, Chapitre 1, (La typologie générale : A, supra, p.123-135).

 

[13]. Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Hamon et Troper op. cit., p.81. C'est nous qui soulignons.

 

[14]Ibid., p.81-82. C'est nous qui soulignons.

 

[15]Ibid., p.82. C'est nous qui soulignons.

 

[16]. Kelsen, General Theory of Law and State, op. cit., p.xiv.

 

[17]. Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Hamon et Troper op. cit., p.81.

 

[18]Ibid.

 

[19]Ibid.

 

[20]. La question de l'existence matérielle est relative à son support concret, tandis que celle de normativité de cet acte est relative à sa signification.

 

[21]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.261 ; Ost, « Validité », op. cit., p.636.

 

[22]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.7, 43 ; Kelsen, « Quel est le fondement de la validité du droit, », op. cit., p.161.

 

[23]. Hans Kelsen précise que dans les sociétés primitives les normes juridiques règlent également « la conduite des animaux, de plantes ou des choses inanimées, de la même façon que la conduite des hommes » (Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.43). Notons que selon la théorie de Kelsen, à condition qu'une norme juridique règle les conduites humaines, elle peut avoir n'importe quel contenu. Voir Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.262-263.

 

[24]. L'intervention de Michel Troper dans le débat suivi de sa communication sur « La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789 » présentée au Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, Paris, P.U.F., 1989, p.32.

 

[25]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.71.

 

[26]Ibid.

 

[27]. Georges Vedel, « Place de la Déclaration de 1789 dans le ‘bloc de constitutionnalité’ », in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, (Colloque des 25 mai et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel), Paris, P.U.F., 1989, p.54.

 

[28]. Troper, L'intervention au Colloque des 25 et 26 mai 1989, in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, op. cit., p.32.

 

[29]. Voir à ce propos Thibaut Célérier, « Dieu dans la Constitution », Les Petites affiches, 5 juin 1991, n° 67, p.15-20. Il conclut que « par son approbation des termes de la Déclaration de 1789, la Constitution de 1958 est une constitution déiste » (Ibid., p.20).

 

[30]. Voir Norberto Bobbio, « Kelsen et les sources du droit », Revue internationale de philosophie, 1981, n° 138, p.475. A ce propos, Kelsen écrit ceci : « Le droit positif est un ordre coercitif, dont les normes sont créées par des actes de volonté humains, c'est-à-dire créées par voie législative, judiciaire, administrative, ou par des coutumes constituées par des actes d'êtres humains » (Hans Kelsen, « Positivisme juridique et doctrine du droit naturel » Mélanges Jean Dabin, Bruxelles, Emile Bruylant, Paris, Sirey, 1963, p.141).

 

[31]. Michel Troper, « Le positivisme comme théorie du droit (introduction) », in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-) Le positivisme juridique, Bruxelles et Paris, E.Story-Scientia et L.G.D.J., 1992, p.273.

 

[32]. Voir Hans Kelsen, Essays in Legal and Moral Philosophy, Dordrecht, Reidel, 1973, p.216-227, (Extrait de-), in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Story-Scientia, 1992, p.295.

 

[33]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.7.

 

[34]Ibid.

 

[35]Ibid.

 

[36]. En effet, il faut ici préciser que dans la théorie de Kelsen, il y a une distinction entre les significations subjective et objective d'un acte de volonté. Car, « un acte dont la signification subjective est une norme, c'est-à-dire l'idée qu'un individu doit se comporter d'une certaine manière, peut ne peut l'avoir objectivement : Quand un brigand vous ordonne de lui remettre votre portefeuille, la signification subjective de cet acte est que vous devriez faire ce qu'il ordonne. Mais vous n'interprétez pas cet acte comme ayant la signification objective d'une norme obligatoire » (Kelsen, « Quel est le fondement de la validité du droit ? », op. cit., p.162). Ainsi ce que nous traitons sous la question de la normativité est la signification subjective d'un acte, la signification objective sera traitée plus tard sous la question de la validité proprement dite. Pour l'instant notons que la signification objective « ne vient pas de la volonté, ni de l'intention du sujet mais seulement d'une norme supérieure, de sorte qu'en définitive seul le droit crée du droit » (Troper, « Le positivisme comme théorie du droit » op. cit., p.274). Ainsi, la signification subjective d'un acte de volonté est un problème de normativité alors que la signification objective de cet acte est un problème de validité juridique proprement dite.

 

[37]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.7.

 

[38]Ibid., p.6.

 

[39]Ibid.

 

[40]Ibid..

 

[41]Ibid., p.7.

 

[42]Ibid.

 

[43]Ibid.

 

[44]Ibid., p.10.

 

[45]. Voir supra, cette partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 1.

 

[46]. Voir supra, cette partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 1.

 

[47]. Vedel, « Place de la Déclaration de 1789 dans le ‘bloc de constitutionnalité’ », op. cit., p.54.

 

[48]Ibid., p.55.

 

[49]Ibid.

 

[50]Ibid.

 

[51]. Voir supra, cette partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 1.

 

[52]. L'article 195 de la Constitution algérienne du 22 novembre 1976 (Texte établi par D. Beke, in Reyntjens et alii (éds.), Constitutiones Africae, op. cit., Vol.I (Publication sur feuilles mobiles).

 

[53]. L'article 101 de la Constitution marocaine du 12 mars 1972 (Texte établi par A. Claissed et B. Zgani in Reyntjens et alii (éds.), Constitutiones Africae, op. cit., Vol.III, Publication sur feuilles mobiles).

 

[54]. Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, P.U.F., 1978, p.175.

 

[55]Cf. Paul Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit : essai de phénoménologie juridique, (Thèse pour le doctorat en droit, Université de Paris, Faculté de Droit et des Sciences économiques) Paris, L.G.D.J., 1964, p.217.

 

[56]. Michel Troper, « Norme (en théorie du droit) », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.407.

 

[57]Ibid.

 

[58]Ibid.

 

[59]Ibid.

 

[60]Ibid.

 

[61]Ibid.

 

[62]. Perrin, op. cit., p.85.

 

[63]. Michel Virally, La pensée juridique, Paris, L.G.D.J., 1961, p.68.

 

[64]. Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.222. D'ailleurs Michel Virally aussi définit la sanction comme telle : « une sanction socialement organisée, c'est-à-dire, définie par le droit et attachée à la conduite contraire à celle ordonnée par une norme juridique » (Virally, La pensée juridique, op. cit., p. 68. C'est nous qui soulignons.)

 

[65]. Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.222.

 

[66]. Perrin, op. cit., p.93.

 

[67]. Cette sous-section, § 2, C.

 

[68]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.43.

 

[69]Ibid.

 

[70]Ibid.

 

[71]Ibid.

 

[72]Ibid., p.46.

 

[73]Ibid.

 

[74]Ibid.

 

[75]Ibid., p.48.

 

[76]Ibid.

 

[77]Ibid., p.57 : « La notion de sanction peut être étendue à tous les actes de contrainte qui sont prévus par l'ordre juridique ».

 

[78]Ibid., p.50.

 

[79]Ibid., p.65.

 

[80]. En ce sens voir, Perrin, op. cit., p.84 ; Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.222.

 

[81]. Perrin, op. cit., p.84 ; Cf. Guastini, « Alf Ross... », in Amselek (sous la direction de-), Théorie du droit et science, op. cit., p.261 : « Dans tout système juridique il y a beaucoup de normes (par exemple, dans le droit public, et notamment dans le droit constitutionnel) qui ne sont pas du tout susceptibles d'une application juridictionnelle ».

 

[82]. Perrin, op. cit., p.84.

 

[83]. Manuel Atienza, « Juridicité », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.324.

 

[84]. Guy Héraud, « La validité juridique », in Mélanges offerts à Jacques Maury, Faculté de Droit et de Sciences économiques de Toulouse, Paris, Librairie Dalloz et Sirey, 1960, t.II, p.419.

 

[85]. Ce chapitre, Section 1, Sous-section 2, § 2, B, 1, a.

 

[86]. Ce chapitre, Section 1, Sous-section 2, § 2, B, 1, b.

 

[87]. Voir ce Chapitre, Section 1, Sous-section 2, § 2, B.

 

[88]. Rappelons que nous avons déjà discuté de la question de savoir si les limites à la révision constitutionnelle sont sanctionnées. Voir ce chapitre, Section 1, Sous-section 2, § 2.

 

[89]. Comme on l'a déjà expliqué (cette sous‑section, § 1, A), l'existence matérielle est une condition nécessaire, car un acte inexistant ne peut faire l'objet d'aucune qualification juridique ; mais non-suffisante, car tous les actes existants n'ont pas le caractère normatif.

 

[90]. Comme on l'a vu précédemment (cette sous‑section, § 1, B), la normativité est une condition nécessaire, car un acte qui n'a pas de caractère normatif ne peut pas être valable ; mais non‑suffisante, car les normes qui existent ne sont pas toutes juridiques. Il y a aussi des normes sociales, morales, religieuses etc.

 

[91]. Enfin, la juridicité est une condition nécessaire, car la notion de validité concerne les normes juridiques, non pas sociales, morales ou religieuses ; mais non‑suffisante, car une norme juridique peut être non-valable, s'elle est tombée en désuétude.

 

[92]. Voir infra, cette sous-section, § 2.

 

[93]. Voir infra, cette sous-section, § 2, B.

 

[94]. Voir infra, cette section, Sous-section 2, § 2, B.

 

[95]. Voir infra, cette sous-section, § 2, A. Mais, comme on va le voir, nous refusons cette conception de la validité juridique.

 

 

[96]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.264. Egalement Ost, « Validité », op. cit., p.637. Le dictionnaire Petit Robert définit la validité comme « caractère de ce qui est valide » ; et valide comme « qui présente les qualités requises pour produire son effet ». Cf. Virally, « Notes sur la validité... », op. cit., p.454-455 : « Une norme valable est celle qui produit effectivement les effets juridiques auxquels elle prétend ».

 

[97]. Voir Ost et van de Kerchove, op. cit., p.274 ; Aulis Aarnio, Le rationnel comme raisonnable : la justification en droit, Trad. par Geneviève Warland, Bruxelles et Paris, Story-Scientia, L.G.D.J., 1992, p.43 ; Franco Modugno, « Validità », in Enciclopedia del diritto, vol. XLVI, Giuffrè editore, Varese, 1993, p.4. Au lieu de la « validité axiologique » A. G. Conte emploie la « validité idéale » (Amedeo G. Conte, « Validità », in Novissimo digesto italiano, vol. XX. VTET, Torino, 1975, p.421.

 

[98]. Modugno, op. cit., p.4.

 

[99]Ibid.

 

[100]. Voir Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272.

 

[101]. Amedeo G. Conte, « Studio per una teoria della validità », Rivista internazionale di filosofia del diritto, 1970, p.335.

 

[102]. Jerzy Wroblewski, « Verification and Justification in the Legal Sciences », Rechtstheorie, Beiheft 1, 1979, p.207 et s. cité par Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.43.

 

[103]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272 ; Modugno, op. cit., p.4 ; Conte, « Studio... », op. cit., p.334 ; Ost, « Validité », op. cit., p.637-639 ; Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.43-60.

 

[104]. Wroblewski, « Verification... », cité par Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.43.

 

[105]. Modugno, op. cit., p.7 ; Conte, « Studio... », op. cit., p.334.

 

[106]. Voir par exemple Modugno, op. cit., p.4-5.

 

[107]. Modugno, op. cit., p.4 ; Conte, « Studio... », op. cit., p.335.

 

[108]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.274.

 

[109]. C'est Aulis Aarnio qui emploie ce terme (Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.56-60).

 

[110]. Conte, « Studio... », op. cit., p.334 ; Modugno, op. cit., p.4.

 

[111]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272 ; Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op.cit., p.43.

 

[112]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.13.

 

[113]. Ost, « Validité », op. cit., p.638-639.

 

[114]Ibid.

 

[115]. Ost, «Validité », op. cit., p.638-639 ; Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.56.

 

[116]. Ost, « Validité », op. cit., p.637.

 

[117]Ibid., p.638.

 

[118]. Norberto Bobbio, « Sur le positivisme juridique », in Mélanges en l'honneur de Paul Roubier, (Tome I : Théorie générale du droit et droit transitoire), Paris, Librairies Dalloz & Sirey, 1961, p.56-57. Paul Amselek aussi fait le même constat. Dans cette conception « le droit, dit-il, est un moyen au service de telle fin, de tel idéal (qu'on l'appelle le ’Bien Commun’, la ‘justice’, la ‘solidarité’ etc. » (Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.306).

 

[119]. D'où la difficulté de définir le droit naturel. A vrai dire, il n'y a pas une définition, mais une variété de définition de « droit naturel » voir : Laetizia Gianfomaggio, « Droit naturel », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.200.

 

[120]. Bobbio, « Positivisme juridique », op. cit., p.57.

 

[121]. Bien évidemment, on pouvait aussi choisir le bien commun, ou le bien être, ou les droits de l'homme, ou bien la solidarité ; comme l'élément finaliste dans la définition du droit naturel. Même si on choisit un autre élément le résultat ne change pas, car, le raisonnement reste identique.

 

[122]. « Non esse lex quae justa non fuerit » : Saint Augustin, De Libero Arbitrio, 5 ; Saint Thomas d'Aquin, Summa Theologica, Qu. XCV, Arts. 2,4, cité par H.L.A. Hart, Le concept de droit, trad. par Michel van de Kerchove, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1976, p.21.

 

[123]. Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p. 64 : « Le rapport qu'on admet entre justice et droit joue un rôle décisif dans la question de savoir si le droit valable, c'est-à-dire si ces normes doivent appliques et observées ». Selon la conception du droit naturel, « un droit positif ne peut être considère comme valable que dans le cas et dans le mesure où il est créé en conformité avec l'exigence de justice. Le droit valable, c'est le droit juste ; un ordre injuste du comportement humain n'a pas de validité, est n'est pas le droit dans la mesure où droit ne peut signifier qu'ordre valable. C'est-à-dire que la validité de la norme de justice est le fondement de la validité du droit positif » (Ibid. C'est nous qui soulignons). Voir également Ibid., p.102, 112 et 121.

 

[124]. On entend ici par « nature », « la réalité empirique des faits concrets en générale ou la nature particulière telle qu'elle est donnée dans le comportement concret - intérieur ou extérieur - des hommes » (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.68).

 

[125]. Kelsen observe justement que la théorie du droit naturel « a une origine religieuse et métaphysique ; à la base on rencontre l'idée que la réalité de la nature est créée par une autre autorité transcendante qui incarne la valeur morale absolue ; (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.69-70). « Si la nature est créée ou gouvernée par un Dieu juste, alors, mais alors seulement, on peut voir dans les lois de cette nature des normes, on peut trouver dans cette nature le droit juste, on peut déduire de cette nature le droit juste » (Ibid.). Le droit naturel « est d'origine divine. C'est pour cette seule raison qu'il est absolument valable et par conséquent invariable. Cette validité absolue et invariable est un élément essentiel du Droit naturel » (Ibid., p.72).

Kelsen précise que « dans la théorie du Droit naturel, on a tenté, il est vrai, de rendre la validité du Droit naturel indépendante de la volonté de Dieu. Grotius déclare que le Droit naturel qu'il expose resterait valable même si on concédait que n'existe pas, mais il ajoute qu'on ne peut faire cette concession sans tomber dans le plus grave péché. Car c'était un chrétien convaincu, comme l'étaient tous les partisans de la théorie classique du Droit naturel » (Ibid.). Ainsi Kelsen conclut que « si on ne croit pas en une nature créée par un Dieu juste, on ne saurait ­logiquement admettre l'existence d'un droit juste immanent à la nature» (Ibid., p.73-74).

A ce propos voir également Ch. Perelman, « L'idée de justice », Annales de philosophie politique, III, Paris, P.U.F., 1959, p.140.

 

[126]. Kelsen pose à peu près la même question à propos de l'interprétation de l'autorité juridique positive. Selon Kelsen la question de savoir si « un droit positif dans son ensemble ou une norme déterminée de ce droit sont-ils conformes ou non au Droit naturel » est une « question d'interprétation du droit positif. C'est donc celui qui est qualifié pour donner une interprétation authentique du droit positif qui décidera si un droit positif ou une norme déterminée de ce droit doivent être considérés comme valables ou non à cause de leur rapport avec le droit naturel » (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.118).

 

[127]. « C'est à nous, dit Kelsen, qu'il incombe de trancher la question, parce que, lorsqu'il s'agit de savoir ce qui juste et injuste la décision dépend du choix des normes de justice que nous prenons comme fondement de notre jugement de valeur, la réponse pouvant donc être fort différente ; ce choix, seul nous-mêmes, chacun d'entre nous peut le faire, personne d'autre, ni Dieu, ni la nature ni même la raison en tant qu'autorité objective ne peut le faire pour nous. Telle est la vraie signification de l'autonomie morale. Tous ceux qui ne souhaitent pas se charger de cette responsabilité et voudraient s'en remettre de ce choix à Dieu, à la nature ou à la raison, tous ceux-là ont le sentiment que le relativisme ne leur est d'aucun recours. Ils font en vain appel à la théorie du Droit naturel. Car lorsqu'il s'agit de faire le choix, les diverses théories du Droit naturel apportent tout autant de réponses diverses que le positivisme relativiste. Elles n'épargnent pas le choix à l'individu l'illusion que la norme de justice qu'il choisit émane de Dieu, de la nature ou de la raison, qu'elle est donc absolument valable ; et beaucoup achètent cette illusion au prix de n'importe quel sacrificium intellectus» (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.120).

 

[128]. A ce propos Kelsen parle du monopole d'interprétation de l'autorité juridique positive (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.118). Selon Kelsen,  dans ce cas, « il est pratiquement exclu, ou du moins chance est réduite au minimum, qu'on décide que le droit positif n'est pas conforme au droit naturel » (ibid.).

 

[129]. Kelsen refuse cette réponse en disant que, dans ce cas, « on est menacé d'anarchie totale » (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.118).

 

[130]. Maurice Duverger, « Contribution à l'étude de la légitimité des gouvernements de faits », Revue du droit public, 1945, p.77.

 

[131]. Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.118. La doctrine du droit naturel « peut justifier n'importe quel ordre social en prétendant qu'il est conforme à cet idéal » (Christophe Grzegorczyk, « Le positivisme comme méthodologie juridique », in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Story-Scientia, 1992, p.176). Par ailleurs, Bentham a remarqué le danger du jusnaturalisme en disant que l'« on ne peut pas raisonner avec des fanatiques armés d'un droit naturel, que chacun entend comme il lui plaît, applique comme il lui convient, dont il ne peut rien retrancher, qui est inflexible en même temps qu'inintelligible, qui est consacré à ses yeux comme un dogme et dont on ne peut s'écarter sans crime » (Extrait de : J. Bentham Principes de législation et d'économie politique, Paris, Raffalovich, Guilaumin, 1888, p.75 et s. in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Story-Scientia, 1992, p.197).

 

[132]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.87.

 

[133]. A cet égard Norberto Bobbio note, à juste titre, que « si les jusnaturalistes modernes considéraient constamment la liberté, comme un Droit naturel, Aristote estimait que l'esclavage aussi était parfaitement naturel, parce que la nature avait fait en sorte qu'il y eût des hommes naturellement maîtres et d'autre naturellement esclaves (Politique, I, 5). Cette nature était donc tellement complaisante qu'elle permettait, d'un côté, aux théoriciens de l'Etat libéral d'exalter le naturel de la liberté, et, à un philosophe d'une société qui possédait des esclaves, de justifier le naturel de l'esclavage ». (Norberto Bobbio, « Quelques arguments contre le droit naturel », in Annales de philosophie politique, III, Paris, P.U.F., 1959, p.181-182.

 

[134]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.87.

 

[135]Ibid., p.90.

 

[136]. Voir supra, ce chapitre, Section 1, Sous-section 1, § 1 et § 2.

 

[137]. Voir supra, ce chapitre, Section 1, Sous-section 1, § 1, A.

 

[138]. Voir supra, ce chapitre, Section 1, Sous-section 1, § 2.

 

[139]. Kelsen, General Theory of Law and State, op. cit., p.xiii et xiv.

 

[140]. Modugno, op. cit., p.4 ; Conte, « Studio... », op. cit., p.334. Au lieu du terme de « validité matérielle », F. Ost et M. van de Kerchove emploient le terme de « validité empirique » (Ost et M. van de Kerchove, op. cit., p.272) ; ainsi que A. Conte « validité factuelle » (Conte, « Studio... », op. cit., p.335). J. Wroblewski parle de la « validité effective » (J. Wroblewski, « Verification and Justification in the Legal Sciences », Rechtstheorie, Beiheft 1, 1979, p.207 et s. cité par Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.43.)

 

[141]. Conte, « Studio... », op. cit., p.334 ; Modugno, op. cit., p.4. Notons que plusieurs auteurs préfèrent le terme « effectivité » au lieu de celui « efficacité ». Par exemple, Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272 ; Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.332 et s. ; Perrin, op. cit., p.91 et s.  En effet « effectivité » et « efficacité » sont deux notions différentes en théorie du droit. L'effectivité, c'est le « degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit » (Pierre Lascoumes, « Effectivité », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.217 ; Pierre Lascoumes et Evelyne Serverin, « Théories et pratiques de l'effectivité du droit », Droit et société, Janvier 1986, n°2, p.101). Tandis que l'efficacité est le « mode d'appréciation des conséquences des normes juridiques et de leur adéquation aux fins qu'elles visent » (Romano Bettini, « Efficacité », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.219). J.‑F. Perrin explique que « l'auteur de la norme juridique poursuit un dessein et, pour atteindre son objectif, il choisit un moyen. Il veut, par exemple, limiter les conséquences des accidents de la circulation routière et pour ce faire, il prescrit le port obligatoire de la ceinture de sécurité dans les voitures automobiles... On peut ensuite observer, soit le degré de réalisation de l'objectif, soit évaluer le degré d'utilisation réelle du moyen. Dans le premier cas – lorsqu'on confronte l'objectif avec son degré d'accomplissement – on mesure l'efficacité d'une norme ou d'un système de normes. Dans le deuxième cas – lorsqu'on mesure si l'injonction prescrite par la norme a effectivement provoqué le comportement prévu – on mesure l'effectivité de la norme ». (Perrin, op. cit., p.91). Selon J.‑F. Perrin, « les deux concepts entretiennent évidemment des relations, mais celles-ci ne sont pas susceptibles d'être réduites par une équation simple de ce genre : Si la norme est effective  alors elle sera efficace... Il est notamment possible que la norme soit effective à un très bon degré, mais pourtant inefficace car le moyen s'est révélé inadéquat » (Perrin, op. cit., p.91. Voir également Lascoumes et Serverin, op. cit., p.118-119). Cependant dans la littérature de théorie du droit, plusieurs auteurs utilisent les termes « efficacité » et « effectivité » dans des acceptions synonymes (voir par exemple la traduction française de Ch. Eisenmann de la Théorie pure du droit de Kelsen, op. cit., passim). De plus, il nous semble que c'est un usage répandu. Nous aussi nous utilisons le terme d'« efficacité » comme synonyme de celui «effectivité».

 

[142]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272 ; Ost, «Validité», op. cit., p.637.

 

[143]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.16 ; Riccardo Guastini, « Sur la validité de la constitution du point de vue du positivisme juridique », in Michel Troper et Lucien Jaume (sous la direction de -), 1789 et l'invention de la constitution, Actes du colloque de Paris organisé par l'Association française de science politique, les 2, 3 et 4 mars 1989, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Bruylant, 1994, p.221.

 

[144]. Bobbio, « Sur le positivisme juridique » op. cit., p.56.

 

[145]. Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.50.

 

[146]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.17.

 

[147]. C'est‑à‑dire que l'on cherche l'absence ou l'existence d'un écart entre les normes et les pratiques sociales. Voir Lascoumes et Serverin, op. cit., p.103.

 

[148]. Guastini, « Sur la validité de la constitution... », op. cit., p.221.

 

[149]Ibid., p.221.

 

[150]. A cet égard, il est significatif de voir que pour les réalistes américains, par exemple pour J.W. Bingham, la science du droit serait une subdivision de la science du gouvernement, occupée à décrypter les comportements des agents. Voir Françoise Michaut, « Réalisme », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.509.

 

[151]. Alf Ross, Towards a Realistic Jurisprudence, Copenhague, 1946,p.78, cité par Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.282. Par conséquent « le droit doit être décrit, non pas comme un système de normes valables, mais comme un agrégat d'actes effectifs de conduite humaine ». « Le droit n'est pas une norme, mais une conduite effective » (Ibid.)

 

[152]. Par exemple Karl L. Llewellyn écrit : « ce que font ces personnages officiels (les juges, les shérifs, les greffiers, les gardiens de prison ou les avocats) au sujet de conflits, constitue, à mes yeux, le vrai droit lui-même » (Françoise Michaut, « L'approche scientifique du droit chez les réalistes américains », in Paul Amselek (sous la direction de-), Théorie du droit et science, Paris, P.U.F., Coll. « Léviathan », 1994, p.272). Christophe Grzegorczyk, « La dimension positiviste des grands courants de la philosophie du droit »), in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Story-Scientia, 1992, p.52.

 

[153]. Extrait de : Felix S. Cohen, « Transcendental Nonsense and the Fonctional Approach », in Lucy Kramer Cohen (ed.), The Legal Conscience. Selected Papers of Felix S Cohen, New Haven, Yale University Press, 1960, p.337 in Grzegorczyk, Michaut et Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, op. cit., p.127.

 

[154]. Grzegorczyk, « La dimension positiviste des grands courants de la philosophie du droit », op. cit., p.53.

 

[155]. Extrait de : Karl N. Llewellyne, A Realistic Jurisprudence - the Next Step, 1930, in Grzegorczyk, Michaut et Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, op. cit., p.131.

 

[156]. Enrico Pattora, « Réalisme juridique scandinave », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.511. Pour l'ensemble du « réalisme juridique scandinave » voir S. Strömholm et H.-H. Vogel, Le « réalisme scandinave » dans la philosophie du droit, Paris, L.G.D.J., 1975, passim.

 

[157]. Pattaro, « Réalisme juridique scandinave », op. cit., p.511 ; Selon Ross, « la science juridique, si elle veut vraiment être une discipline scientifique, doit appliquer intégralement les critères méthodologiques en vigueur dans les sciences naturelles... et tout particulièrement le principe de vérification » (Vittoria Villa, La science du droit, Traduction d'Odile et Patrick Nerhot, Bruxelles, Paris, Story-Scientia, L.G.D.J., 1991, p.65. Pour la méthodologie de Ross et surtout pour son principe de vérification voir Villa, op. cit., p.59-77. Cf. Ricardo Guastini, « Alf Ross : une théorie du droit et de la science juridique », in Paul Amselek (sous la direction de-), Théorie du droit et science, Paris, P.U.F., Coll. « Léviathan », 1994, p.262 : « La tache de la science juridique, selon Ross, c'est la description du droit en vigueur... (Et) une norme est en vigueur lorsqu'elle est effectivement appliquée par les juges. Un système juridique n'étant, en dernière analyse, qu'un ensemble de règles de conduite pour les tribunaux, on peut conclure qu'un système juridique en vigueur est, tout simplement, un ensemble de règles qui sont réellement employées par les tribunaux dans l'élaboration de leurs décisions. De ce point de vue, le droit en vigueur est complètement identifié aux décisions des tribunaux».

 

[158]. Pattaro, « Réalisme juridique scandinave », op. cit., p.511. Cf. Guastini, «Alf Ross...», op. cit., p.263 : « Les propositions qui affirment la vigueur d'une norme, en particulier, seront vérifiées si, et seulement si, la norme en question sera réellement appliquée par les juges ».

 

[159]. Extrait de : Alf Ross, On Law and Justice, London, Stevensens & Sons, 1958, p.34, in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.323.

 

[160]Ibid.

 

[161]. Guastini, « Alf Ross... », op. cit., p.263.

 

[162]. Extrait de : Aulis Aarnio, « On the Validity, Efficacy and Acceptability of Legal Norms », in, W. Krawietz, Th. Mayer-Mly, O. Weinberger (ed.), Objectivierung des Rechtsdenkens ; Gedächtnisschrift für Ilmar Tammelo, Berlin, Duncker & Humblot, 1984, p.427-437 in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.331.

 

[163]Ibid.

 

[164]Ibid.

 

[165]Ibid.

 

[166]. Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.54.

 

[167]. Theodore M. Benditt, Laws as Rule and Principle, Stanford, 1978, p.13 cité par Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.55.

 

[168]. Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.55.

 

[169]. Olivier Wendell Holmes définit le droit comme système des prédictions de ce que feront effectivement les tribunaux dans des cas d'espèce donnée. Extrait de : Olivier Wendell Holmes, Jr., The Path of the Law, 1897, reprint in Collected Legal Papers, New York, Harcourt, Brace and Howe, 1920, p.167-202, in Grzegorczyk, Michaut et Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, op. cit., p.123). Voir également Grzegorczyk, « La dimension positiviste des grands courants de la philosophie du droit », op. cit., p.52.

 

[170]. Voir supra, Titre préliminaire, Chapitre 1, § 2, C, 5.

 

[171]. Soulignons le mot « juridiques », car à vrai dire, ces pouvoirs peuvent disposer des moyens politiques, sociaux, etc. L'examen de ces moyens, par hypothèse de notre travail, reste en dehors de notre thèse.

 

[172]. A la question de savoir s'il y a un contrat, Felix S. Cohen donne la réponse suivante : « Là où une promesse qui sera juridiquement sanctionnée, il y a un contrat » (Extrait de : Felix S. Cohen, « Transcendental and the Fonctional Approach », in Lucy Kramer Cohen (ed.), The Legal Conscience. Selected Papers of Felix S Cohen, New Haven, Yale University Press, 1960, p.337 in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.127).

 

[173]. Les termes de Llewellyn. Extrait de Karl N. Llewellyne, A Realistic Jurisprudence - the Next Step, 1930, in Grzegorczyk, Michaut et Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, op. cit., p.131. 

 

[174]. Voir supra, ce chapitre, Section 1, Sous-section 1, § 1, A.

 

[175]. C'est‑à‑dire, celle selon laquelle dans les pays où il n'y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas valables.

 

[176].Voir infra, cette Section, Sous-section 2. (Le rapport entre la validité formelle et la validité matérielle).

 

[177]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272 ; Modugno, op. cit., p.4 ; Conte, « Studio... », op. cit., p.334 ; J. Wroblewski et ainsi que A. Aarnio utilisent le terme « validité systémique » au lieu de la « validité formelle » (voir Wroblewski, « Verification... », cité par Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.43). Dans la théorie du droit, la validité formelle est appelée aussi la « validité tout court » ou la « validité stricto sensu ». Voir Modugno, « Validità », op. cit., p.4-5.

 

[178]. L'appartenance de la norme à un ordre normatif. Ou en termes kelséniens, l'existence spécifique de la norme, c'est-à-dire l'existence de la norme dans un ordre normatif. R. Guastini note que dans ce sens la validité signifie « membership » (Riccardo Guastini, « Sur la validité de la constitution du point de vue du positivisme juridique », in Michel Troper et Lucien Jaume (sous la direction de -), 1789 et l'invention de la constitution, Actes du colloque de Paris organisé par l'Association française de science politique, les 2, 3 et 4 mars 1989, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Bruylant, 1994, p.220).

 

[179]. Ost, « Validité », op. cit., p. 433 ; Conte, « Validità », op. cit., p.421 ; Guastini, « Sur la validité de la constitution... », op. cit., p.220.

 

[180]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.13.

 

[181]. Kelsen, « Rechtund Logik », Forum, 12, 1965, p.422, cité par Conte, « Validità », op. cit., p.422.

 

[182]. Conte, « Validità », op. cit., 422.

 

[183]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.261.

 

[184]Ibid., p.257. « Un ‘ordre’ est un système de normes dont l'unité repose sur le fait que leur validité à toutes a le même fondement » (Ibid., p.25).

 

[185]. « Les normes d'un ordre juridique dont cette norme fondamentale est le fondement de validité commun sont... n'est pas un complexe de normes en vigueur les unes à coté des autres, mais une pyramide ou hiérarchie de normes superposées, ou subordonnées les unes aux autres, supérieures ou inférieures » (Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.266).

 

[186]Ibid., p.262.

 

[187]. Conte, « Validità », op. cit., 422.

 

[188]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.261.

 

[189]Ibid.

 

[190]Ibid., p.256.

 

[191]Ibid. p.257.

 

[192]Ibid.

 

[193]Ibid.

 

[194]Ibid., p.264-265.

 

[195]Ibid., p.265.

 

[196]Ibid., p.265-266.

 

[197]Ibid., p.267.

 

[198]Ibid.

 

[199]Ibid.

 

[200]Ibid., p.265. Notons qu'Alf Ross a vivement critiqué Kelsen sur ce point. La critique de Ross consiste à dire que « la science du droit suppose une norme fondamentale qui prescrive d'obéir à la constitution, elle sort de son rôle ; elle n'est plus une science qui décrit objectivement le monde, elle n'est plus une science du tout et Kelsen n'est donc qu'un ‘quasi‑positiviste’» (Troper, « Un système pur du droit... », op. cit., p.128. Voir, Extrait de : Alf Ross, « Validity and the conflict between Legal Positivism and Natural Law », Revista Juridica de Buenos Aires 1961, IV, p. 46 et s. in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.206). En ce sens voir encore Guastini, « Sur la validité de la constitution... », op. cit., p.222-225.

Kelsen, à la fin de sa vie, a adopté une deuxième interprétation sur la norme fondamentale. Selon cette deuxième interprétation, «la norme fondamentale n'a aucun contenu et elle ne prescrit pas d'obéir à la constitution ; elle est simplement un présupposé épistémologique. Il le dit encore d'une autre façon : c'est un présupposé nécessaire de tout juriste quel qu'il soit. Donc ici la science ne fait que dévoiler l'existence de ce présupposé, que postule nécessairement tout juriste dans son travail. Tout juriste qui traite la loi comme droit, présuppose en effet que cette loi est valide et présuppose par conséquent que c'est la constitution qui est le fondement de validité de cette loi. Mais pour présupposer que la constitution est ce fondement, il faut présupposer que la constitution est elle-même valide. Donc, tout juriste qui applique sa méthode spécifique et qui décrit le droit comme le droit, présuppose une norme fondamentale. En ce sens la norme fondamentale est, dit-il dans la dernière partie de sa vie, une fiction ; on ne suppose pas que cette norme fondamentale existe. C'est une fiction à la quelle on ne peut pas ne pas avoir recours si l'on veut interpréter le droit comme droit » (Troper, « Un système pur du droit... », op. cit., p.128-129).

Kelsen, dans son ouvrage posthume Allgemeine Theorie der Normen, écrit que « la norme fondamentale n'est pas une norme positive, mais une norme simplement pensée, la signification de l'acte de volonté non pas réel, mais fictif. Dans cette mesure, elle est une fiction véritable... En effet, le présupposé d'une norme fondamentale... comme la norme fondamentale d'un ordre juridique : ‘On doit se comporter comme le prescrit la constitution historiquement première’ n'est pas seulement contraire à la réalité, puisqu'il n'existe aucune norme de ce genre qui soit la signification d'un acte de volonté réel, mais aussi contradictoire en elle-même, puisqu'elle comporte l'habilitation d'une autorité morale ou juridique suprême et présuppose une autorité - mais seulement fictive - encore supérieure à ces autorités... L'objectif de la norme fondamentale est le suivant : fonder la validité d'une norme qui constitue un ordre positif moral ou juridique, ou interpréter la signification objective des actes qui posent normes comme leur signification objective, c'est-à-dire comme les normes valides et les actes eux-mêmes comme des actes normateurs. Cet objectif ne peut être atteint que par le moyen d'une fiction » (Extrait de : Hans Kelsen, Allgemeine Theorie der Normen, Wien, 1979, p.206-207, in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.138.

 

 

--------------------------------

 

 

 

 

Sous-section 1
La notion de validité juridique

 

 

 

Avant de définir la notion de validité juridique elle-même, il convient d'abord de voir trois questions préliminaires, comme celles de l'existence matérielle, de la normativité et de la juridicité d'un acte. Parce que, pour qu'on puisse parler de validité juridique, il faut qu'il existe d'abord une norme juridique. Autrement dit, la notion de validité juridique est relative à une norme juridique existante. Cela veut dire que, avant de déterminer la validité d'un acte, il faut premièrement établir son existence matérielle (c'est‑à‑dire, son support concret), deuxièmement sa normativité (c'est‑à‑dire, sa signification de norme), et troisièmement sa juridicité (c'est‑à‑dire son caractère juridique, non pas par exemple social).

§ 1. Les trois questions préliminaires

Comme on vient de le dire, nous allons examiner ici les questions de l'existence matérielle, de la normativité et de la juridicité d'un acte.

A. L'existence matérielle[1]

Quand on parle de la validité juridique d'un acte, la première question qui se pose à son égard est celle de son existence matérielle[2]. Car un acte matériellement inexistant ne peut faire l'objet d'aucune qualification juridique.

Par l'existence matérielle[3] d'un acte, on entend l'existence d'un support concret, comme un document ou une parole rituelle, en un mot, un instrumentum[4]. En d'autres termes, avant de faire l'objet d'une qualification juridique d'un acte, il faut d'abord établir l'existence de l'instrumentum, par exemple, le document dans lequel se trouve cet acte. Dans les systèmes modernes du droit, on peut établir l'existence matérielle d'une loi en consultant le Journal officiel, c'est‑à‑dire, un recueil imprimé au nom du gouvernement[5].

On peut facilement établir l'existence matérielle des limites à la révision constitutionnelle prévues par le texte de la constitution. Elles se trouvent dans un document officiel, publié au Journal officiel, comme loi constitutionnelle. Par exemple en France, les limites à la révision constitutionnelle prévues par les articles 7 et 89 (al.4 et 5) de la Constitution de 1958 matériellement existent, car elles se trouvent dans le texte de la loi constitutionnelle du 4 octobre 1958 publié au Journal officiel de la République française du 5 octobre 1958. Les exemples sont nombreux. A vrai dire, le chapitre précédent qui est consacré au « inventaire des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels » est une parfaite illustration de l'existence matérielle de ces limites[6].

On peut ainsi conclure que les limites à la révision constitutionnelle prévues par le texte de la constitution sont matériellement existantes. Elles sont dans la forme des dispositions constitutionnelles ; plus précisément elles sont des dispositions de la constitution qui règlent le pouvoir de révision et parfois qui lui imposent des limites.

Dans le chapitre « l'inventaire des limites à la révision constitutionnelle prévues par la constitution », on se rappellera que nous avons examiné ces limites en les divisant en trois comme les limites de fond, les limites de temps et les conditions de forme. Maintenant, nous pouvons affirmer que, du point de vue de leur existence matérielle, il n'existe aucune différence entre elles. Elles peuvent avoir ou non la même valeur juridique en tant que limites se trouvant dans le même texte constitutionnel. Elles sont prévues par la constitution ; c'est‑à‑dire, elles sont dans la forme des dispositions constitutionnelles. Si l'une d'entre elles a la valeur juridique, les autres l'ont aussi. Dans la logique de la conception formelle de la constitution, la différence de contenu ne peut avoir aucun effet sur la valeur juridique d'une disposition constitutionnelle.

A cet égard, si l'on regarde notre débat classique ci-dessus[7] sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle, on peut faire quelques remarques.

L'appréciation de deux thèses classiques sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle à la lumière de la notion de l'existence matérielle

D'abord, les deux thèses opposées sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle que nous avons vues dans la section précédente[8] ont été développées essentiellement pour les limites de fond, c'est‑à‑dire, pour les dispositions de la constitution qui interdisent de réviser la constitution sur tel ou tel point, comme la forme républicaine du gouvernement (par exemple l'alinéa 5 de l'article 89 de la Constitution française). Rappelons-nous que ces limites sont très variées[9]. Il y a des limites de fond[10] comme on vient de les mentionner, il y a aussi des limites de temps[11] comme l'interdiction de réviser la constitution pendant un certain laps de temps (par ex. l'alinéa 4 de l'article 89 de la Constitution française) ; il y a encore des conditions de forme et de procédure[12].

Les auteurs discutent surtout la valeur juridique des limites de fond et rarement celle des limites de temps et presque jamais celle des conditions de forme et de procédure.

Il est significatif de voir que certains auteurs qui refusent la valeur juridique des limites de fond (par ex. l'intangibilité du régime) acceptent la valeur juridique des limites de temps. Par exemple Georges Burdeau affirme que la disposition qui prévoit l'intangibilité de la forme républicaine du gouvernement a une

« signification politique... Elle est difficilement justifiable, car, le pouvoir constituant d'un jour n'a aucun titre à limiter le pouvoir constituant de l'avenir et elle parait peu efficace car on peut toujours réviser l'article qui limite le droit de réviser la Constitution »[13].

Cependant il est curieux de voir que le même auteur accepte la valeur juridique des limites de temps.

« Au contraire, écrit‑il, est parfaitement régulier,... le procédé qui consiste à interdire la révision pendant un certain laps de temps, soit que la constitution fixe un certain délai avant l'écoulement duquel la question de sa révision ne peut être posée, soit que la procédure qu'elle institue ne puisse aboutir qu'après un temps assez long. La première méthode a surtout pour objet de permettre à une constitution nouvelle de se consolider... L'allongement de la procédure répond plutôt au souci d'empêcher les réformes trop hâtives »[14].

D'ailleurs, Georges Burdeau accepte aussi la valeur juridique de la disposition qui interdit de réviser la Constitution en cas d'occupation de tout ou partie du territoire par des forces étrangères. Selon lui, cette disposition a pour objet d'éviter ce qui s'est passé à Vichy le 10 juillet 1940.

« L'intérêt de cette disposition contrairement à l'interdiction de toucher à la forme républicaine du gouvernement, est incontestable car, en paralysant l'exercice de la souveraineté populaire, l'invasion rend impossible l'exercice du pouvoir constituant »[15].

A notre avis, entre ces deux types de limites (celles de fond et celles de temps), il ne peut y avoir aucune différence de valeur juridique. Car les deux aussi sont prévues par la même constitution. Elles sont des dispositions de la constitution. Si l'une a la valeur juridique, l'autre aussi. Comme on l'a déjà dit, dans la conception formelle de la constitution, la différence de contenu entre les dispositions de la constitution ne peut avoir aucun effet sur leur valeur juridique.

D'ailleurs comme nous l'avons indiqué dans l'introduction générale, selon l'approche positiviste que nous avons adoptée dans ce travail, il n'appartient pas à la science du droit de justifier l'opportunité de telle ou telle disposition constitutionnelle. La tâche de la science du droit est seulement de décrire des normes juridiques en vigueur. Comme l'affirme Hans Kelsen, « une science doit décrire son objet tel qu'il est, et non pas prescrire ce qu'il devrait être ou ne devrait pas être du point de vue d'un certain jugement de valeur »[16]. Or, Georges Burdeau estime que l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement « est difficilement justifiable »[17], alors que l'interdiction de réviser la constitution pendant un certain délai « est parfaitement régulière »[18]. Car, selon lui, cette dernière interdiction « a surtout pour objet de permettre à une constitution de se consolider »[19]. Comme on le voit clairement, Georges Burdeau ne fait pas une analyse descriptive de ces dispositions, mais une appréciation de leur opportunité. Répétons encore une fois que la tâche de la science du droit n'est pas de justifier l'opportunité d'une disposition, ni montrer son intérêt, mais seulement de la décrire.

On peut ainsi conclure que les limites à la révision constitutionnelle prévues par le texte de la constitution sont matériellement existantes. Elles sont dans la forme des dispositions constitutionnelles ; plus précisément elles sont des dispositions de la constitution qui règlent le pouvoir de révision et parfois qui lui imposent des limites.

L'existence matérielle des limites à la révision constitutionnelle prévues par le texte de la constitution étant ainsi établie, se pose ensuite une deuxième question portant sur leur normativité : ces limites ont-elles le caractère normatif ? Autrement dit, est-on en présence de normes? Car, la notion de validité que nous examinons dans cette section est une qualification de « norme ». Par conséquent, pour que les limites à la révision constitutionnelle soient valables, elles doivent avoir le caractère normatif, c'est‑à‑dire qu'elles doivent être de nature de norme. Alors, maintenant voyons la question de la normativité des limites à la révision constitutionnelle.

B. La normativité

La question de la normativité d'un acte est une question de signification, non pas une question de son existence matérielle, de son support concret, de son document[20]. En d'autres termes la norme n'est pas le texte d'un acte, mais sa signification. Alors, la question de la normativité d'un acte porte sur la signification qu'il convient d'attribuer au support matériel. Autrement dit cette question se concentre sur le point de savoir si le document auquel on est confronté a une portée normative [21]. En ce qui concerne les limites à la révision constitutionnelle, on peut se demander si l'on est ou non en présence des normes. En d'autres termes, les auteurs de ces limites ont-ils entendu déterminer la conduite d'autrui ou ont-ils voulu simplement exprimer une certaine théorie politique, religieuse, etc ?

Ainsi on débattra ici la question de la normativité des limites à la révision constitutionnelle. Mais pour cela, il nous est nécessaire d'abord de voir brièvement la question de la normativité d'un acte en général, c'est‑à‑dire la définition de la norme.

A. Selon la théorie positiviste que nous suivons tout au long de notre thèse, la norme juridique se caractérise par deux éléments : d'une part, elle est un règlement de la conduite humaine, et d'autre part, elle est posée par la volonté humaine.

1. Selon Hans Kelsen, la norme est tout d'abord un règlement de la conduite des êtres humains[22]. En d'autres termes, une règle qui ne vise pas l'orientation des conduites humaines ne peut avoir le caractère normatif. Par conséquent, une chose qui règle la conduite des animaux, de plantes ou d'objets inanimés ne peut pas être une norme juridique[23].

Ainsi tout ce qui se trouve dans un texte positif peut ne pas avoir un caractère normatif, parce que l'on peut mettre dans un texte positif un énoncé qui ne réglemente pas du tout une conduite humaine[24]. A ce propos, Hans Kelsen parle de « normes juridiquement irrelevantes »[25]. Selon lui,

« une loi qui a été adoptée d'une façon parfaitement constitutionnelle peut avoir un contenu qui ne représente pas une norme d'aucune sorte, mais qui, par exemple, exprime une théorie religieuse ou politique, ainsi la proposition que le droit émane de Dieu ou que la loi est juste, ou qu'elle réalise l'intérêt du peuple »[26].

Par exemple, selon un exemple donné par Georges Vedel, la proposition telle que « le soleil se lève en toutes saisons à six heures du matin » n'est pas une règle de droit, car il lui manque le caractère normatif[27].

Pour illustrer ce cas de figure, Michel Troper donne l'exemple du « décret de la Convention proclamant l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme »[28]. On peut également rappeler que la Déclaration de 1789, dans son préambule évoque l'existence de Dieu :

« L'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'Homme et du Citoyen »[29].

2. Ensuite, selon la théorie positiviste, la norme est une création humaine. Autrement dit, la norme est quelque chose qui a été posée par une volonté humaine[30]. Par conséquent une chose non posée par une volonté humaine n'est pas une norme. Cela veut dire que les principes du droit naturel, « qui n'est pas posée par une volonté – tout au moins pas par une volonté humaine – n'est pas du droit »[31]. Ainsi, selon Kelsen, la norme est un produit de l'acte de volonté humaine ; le concept de norme présuppose celui de volonté[32].

Cependant Hans Kelsen n'admet pas que cette volonté soit elle-même créatrice de la norme. « Il faut, dit-il, distinguer nettement cette ‘norme’ de l'acte de volonté qui la pose »[33]. Car la norme est la signification spécifique de cet acte de volonté. En effet, la norme est un « devoir être (Sollen) », alors que l'acte de volonté est un « être (Sein) »[34]. Par exemple dans la proposition « A veut que B doive se conduire de telle façon »[35], la première partie « se rapporte à un Sein, le fait réel (Seins-Tatsache) de l'acte de volonté ; la seconde partie, à un Sollen, à une norme qui est la signification[36] de cet acte »[37].

Alors, la norme est la signification d'un acte de volonté humain, plus précisément une signification qui s'analyse dans un « devoir être (Sollen) ». Cela veut dire qu'une norme exprime toujours « l'idée que quelque chose doit être ou se produire, en particulier qu'un homme doit se conduire d'une certaine façon »[38]. En d'autres termes, la norme est la signification de certains actes humains qui visent à provoquer une conduite d'autrui[39]. Et les « actes portent en intention sur la conduite d'autrui, quand ils ont pour signification soit d'ordonner (ou commander) cette conduite, soit également de la permettre et en particulier de l'habiliter, c'est‑à‑dire de conférer à l'autre un certain pouvoir, en particulier le pouvoir de poser lui même des normes »[40].

Ainsi Kelsen donne au verbe « devoir (sollen) » une signification plus large que sa signification habituelle. Dans le langage usuel, le verbe « devoir (sollen) » correspond au commandement, « avoir le droit de (dürfen) » à la permission, et enfin « pouvoir (können) » à l'habilitation. Mais tel, que l'emploie Kelsen, le terme « devoir (sollen) » correspond non seulement au commandement, mais aussi à la permission et à l'habilitation. En d'autres termes, « ‘devoir (sollen)’ comprend donc aussi ‘avoir le droit de (dürfen)’ et ‘avoir le pouvoir (können)’. Car aussi bien que commander, une norme peut permettre et, en particulier, donner le pouvoir »[41].

Par conséquent le terme « devoir (sollen) » désigne la signification normative de tout acte qui se rapporte en intention à la conduite d'autrui »[42]. En conclusion, on peut dire qu'« une norme est la signification d'un acte par lequel une conduite est ou prescrite, ou permise et en particulier habilitée »[43]. Bref, une norme pose toujours un Sollen, c'est‑à‑dire un ordre, une permission, une habilitation[44].

* * *

B. Maintenant, à la lumière des ces explications générales relatives à la normativité, recherchons si les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels ont le caractère normatif.

Conformément au développement ci-dessus, on peut affirmer que pour que les limites à la révision constitutionnelle aient le caractère normatif, d'une part, elles doivent régler la conduites des êtres humains, et d'autres part, elles doivent être posées par la volonté humaine.

1. Les limites à la révision constitutionnelle réglementent la conduite du pouvoir de révision constitutionnelle. En effet, le titulaire de ce pouvoir est toujours un homme (le roi, le dictateur) ou des hommes (des représentants dans les procédures parlementaires ou des électeurs dans les procédures référendaires). Ces limites interdisent la conduite des ces hommes consistant à réviser la constitution sur tel ou tel point ou pendant un certain temps.

A cet égard, il convient de noter que la conduite des hommes qui est réglementée par les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution peut être imprécise. Par exemple, nous avons longuement discuté plus haut la signification de l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par l'article 89, alinéa 5, de la Constitution française de 1958[45]. Nous avons également signalé l'imprécision de certaines limites matérielles prévues par la Constitution turque de 1982 (par exemple, la « paix sociale », la « solidarité nationale », art. 2 en vertu de l'art. 4)[46]. Cependant, il convient d'indiquer que l'imprécision d'une limite matérielle n'en supprime pas le caractère normatif. Car, comme l'a bien montré Georges Vedel, la normativité et l'imprécision sont deux choses différentes. Par exemple, la proposition selon laquelle « le soleil se lève en toutes saisons à six heures du matin »[47] ne peut avoir aucun contenu normatif[48]. Par conséquent, aucun juge ne peut tirer quelque chose de cette proposition[49]. « En revanche, il pourrait fort bien censurer une loi qui, en matière de calamités nationales, méconnaîtrait le principe de solidarité, car l'imprécision de la prescription n'en supprime pas le caractère normatif »[50].

2. Ensuite, les limites à la révision constitutionnelle sont des créations humaines. Autrement dit, elles sont posées par la volonté humaine. A cet égard, on peut douter de la normativité des dispositions de certaines constitutions qui déclarent intangibilité d'une religion. Par exemple, comme on l'a vu[51], les Constitutions algérienne[52] et marocaine[53] déclarent intangible le caractère islamique de l'Etat. Cependant à notre avis, les dispositions d'une constitution prévoyant l'intangibilité d'une religion ont le contenu normatif ; car, d'une part, elles sont posées par des hommes et non pas par le Dieu, et d'autre elles réglementent la conduite des hommes : elles interdisent aux hommes d'édicter des lois constitutionnelles contraires aux principes d'une certaine religion. Ainsi, au cas où le pouvoir de révision constitutionnelle édicte une loi constitutionnelle qui méconnaîtrait ces principes religieux, le juge constitutionnel peut l'invalider. Car, du point de vue théorique, ces principes peuvent être parfaitement des mesures de censure d'une loi constitutionnelle.

En conclusion, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ont la signification de norme. Car ces dispositions posent un Sollen, c'est‑à‑dire un ordre, une permission ou une habilitation. Ce Sollen peut être expliqué par rapport à celui des dispositions de la constitution qui règlent la création des lois constitutionnelles. C'est pourquoi expliquons d'abord le Sollen de ces dispositions : par les dispositions de la constitution qui règlent la création des lois constitutionnelles (par exemple, les alinéas 1, 2 et 3 de l'article 89 de la Constitution française), le pouvoir constituant originaire habilite le pouvoir de révision à procéder à une révision constitutionnelle. Autrement dit, par ces dispositions, le pouvoir constituant originaire confère au pouvoir constituant dérivé le pouvoir de réviser la constitution, c'est‑à‑dire de poser lui-même des normes constitutionnelles. En d'autres termes, les dispositions de la constitution qui règlent la création des lois de révision constitutionnelle sont l'acte de volonté du pouvoir constituant originaire par lequel le pouvoir de révision constitutionnelle est habilité à réviser la constitution.

Mais ensuite, par les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à cette révision (par exemple, les alinéas 4 et 5 de l'article 89 de la Constitution française), le pouvoir constituant originaire limite l'habilitation qu'il a donnée à ce pouvoir. Ainsi le pouvoir de révision constitutionnelle est habilité à réviser la constitution sauf sur tel ou tel point (par ex. art.89, al.5) ou pendant un certain temps (par ex. art 89, al.4). Ces limitations aussi, c'est‑à‑dire les dispositions de la constitution qui prévoit des limites à la révision constitutionnelle, ont le caractère normatif. Car elles posent un Sollen, c'est‑à‑dire dans notre cas, un ordre, une prescription, à savoir celui de ne pas réviser la constitution sur tel ou tel point ou pendant un certain temps. Bref, les limites à la révision constitutionnelle prévues par les dispositions de la constitution ont le caractère normatif, car elles expriment un Sollen, elles posent une interdiction. En d'autres termes, les limites à la révision constitutionnelle prévues par les dispositions constitutionnelles sont la signification de l'acte de volonté du pouvoir constituant originaire par lequel une certaine conduite du pouvoir de révision constitutionnelle est interdite, à savoir celle de réviser la constitution sur tel ou tel point ou pendant un certain temps.

Ainsi nous arrivons à la conclusion suivante : les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution ont le caractère normatif.

* * *

Nous avons commencé notre argumentation en disant qu'une limite à la révision constitutionnelle, pour être valable, doit être d'abord matériellement existante ; et deuxièmement, avoir le caractère normatif. Nous venons de montrer que ces deux conditions préliminaires sont remplies. Les limites à la révision constitutionnelle prévues par la constitution sont matériellement existantes, et ont le caractère normatif.

Pourtant, ces deux conditions préliminaires (existence matérielle et normativité) sont des conditions nécessaires mais non suffisantes. Car les normes qui existent ne sont pas seulement des normes juridiques ; il y a aussi des normes sociales, morales, religieuses, etc. Alors, pour qu'une limite à la révision constitutionnelle matériellement existante soit valable, elle doit être une norme, et à son tour cette norme doit être d'ordre juridique. Il faut alors distinguer les normes juridiques des autres catégories de normes. Mais comment, c'est‑à‑dire par quels critères peut-on distinguer les normes juridiques des normes non juridiques ? Autrement dit, qu'est-ce qui donne à une norme le caractère juridique ?

Ainsi nous arrivons à la question de la juridicité des limites à la révision constitutionnelle.

 

 

C. La juridicité

La juridicité peut être définie comme « le caractère (par lequel) les règles de droit peuvent être mises à part de l'ensemble des règles de conduite sociale »[54]. Autrement dit, la juridicité est ce qui donne à une norme le caractère « juridique »[55].

Alors qu'est ce qui donne à une norme le caractère juridique ? En d'autres termes, quel est le critère distinctif de la norme juridique des autres types de normes du comportement humain ? En un mot, quel est le critère de la juridicité ?

1. La recherche d'un critère de juridicité d'une norme

Michel Troper relève plusieurs critères qui ont été proposés en théorie du droit[56].

Par exemple selon un critère, tiré de l'objet de la norme, la norme juridique se définit « comme régulation d'un rapport intersubjectif des actions sociales. Elle s'opposerait ainsi à la norme morale, qui impose une obligation à un sujet isolé sans conférer en même temps des droits aux autres. Mais, ce critère ne permet pas de distinguer la norme juridique de la norme sociale »[57].

Selon un deuxième critère, tiré des fins de la norme, « la norme juridique aurait pour fin la conservation de la société. Mais on ignore ce qui est essentiel pour réaliser cette fin »[58].

Selon un troisième critère, tiré du sujet qui pose la norme, « la norme juridique serait celle qui est posée par le pouvoir souverain ou par ses délégués. Mais il n'existe pas de moyen simple d'identifier le pouvoir souverain ou ses délégués, sinon en disant que ce sont ceux qui posent des normes juridiques »[59].

Selon un quatrième critère, tiré de la conformité de la norme à la justice, la norme juridique serait celle qui est conforme à la justice. Mais, « il n'existe pas de critère permettant d'affirmer que telle norme est ou non conforme à la justice »[60].

Encore selon un autre critère, tiré du mode de sanction de l'inobservation de la norme, « la norme juridique serait celle qui serait assortie d'une sanction externe et institutionnalisée »[61].

Enfin, selon un dernier critère, tiré de l'appartenance de la norme à un ordre juridique, les normes juridiques sont celles qui appartiennent à un ordre juridique.

Nous allons discuter ici seulement les deux derniers critères.

a. Le critère de sanction : la norme juridique est celle qui est sanctionnée

Selon ce critère, la norme juridique est une norme « sanctionnée ». Mais qu'est‑ce que la « sanction »?

La sanction est une contrainte produite comme une réaction à la violation de la norme. Cependant la sanction n'est pas n'importe quelle contrainte, mais uniquement celle qui est produite par la structure sociale[62]. Ainsi Michel Virally entend par sanction, « une sanction socialement organisée, c'est‑à‑dire définie par le droit et attachée à la conduite contraire à celle ordonnée par une norme juridique »[63].

Comme l'a bien montré Paul Amselek, la définition de la juridicité de la norme par la sanction est insoutenable. Car, selon cette définition, comme on vient de le dire, ce n'est pas n'importe quelle contrainte qui spécifie la « juridicité », mais seulement celle qui est « socialement organisée ». Or cette « organisation sociale » de la sanction est en réalité une organisation juridique[64]. Ainsi Paul Amselek remarque que l'on tombe dans un cercle vicieux.

« La règle de droit est une règle pour laquelle il existe un mécanisme sanctionnateur, à la différence des autres normes non juridiques, mais ce mécanisme qui spécifierait la règle de droit, est visé par les auteurs en tant qu'il est lui-même institué par une règle de droit. On en vient nécessairement à faire entrer la 'sanction' en question dans le contenu de certaines règles de droit elles-mêmes et ainsi à la rendre inapte à constituer un élément extérieur caractéristique de toutes les règles de droit. La règle de droit serait, en somme, la règle juridiquement sanctionnée »[65] !

En effet, comme le note Jean-François Perrin, « la sanction est une norme au service d'une autre norme »[66].

Ainsi nous arrivons au critère kelsénien, c'est‑à‑dire le critère d'appartenance de la norme à un ordre juridique déterminé.

b. Le critère d'appartenance : la norme juridique est celle qui appartient à un ordre juridique

Tout d'abord nous devons noter que dans la théorie de Kelsen il n'y a pas de différence entre les notions « juridicité » et « validité » d'une norme. A vrai dire, Hans Kelsen définit la juridicité d'une norme par sa validité, c'est‑à‑dire par son appartenance à un ordre juridique. Autrement dit, une norme est juridique, si elle est valable, c'est‑à‑dire si elle fait partie d'un ordre juridique donné.

Alors, dans la conception kelsénienne, expliquer la validité d'une norme revient à expliquer sa juridicité. Nous allons examiner plus loin[67] la question du fondement de la validité d'une norme dans la théorie kelsénienne. C'est pourquoi, nous nous contentons ici de dire que selon Kelsen, une norme est juridique, si elle est valable, c'est‑à‑dire si elle existe dans un ordre juridique déterminé. En d'autres termes, la juridicité d'une norme se définit par sa validité, et à son tour la validité d'une norme se définit par son appartenance à un ordre juridique donné. Bref, une norme est juridique, si elle appartient à un ordre « juridique », mais dans ce cas, il faut déterminer, à son tour, la juridicité d'un ordre normatif. Car, les ordres normatifs qui existent ne sont pas seulement des ordres juridiques, il y a aussi des ordres normatifs sociaux, moraux, religieux, etc.

En d'autres termes, le problème de la juridicité d'une norme se transforme en celui de la juridicité de l'ordre auquel appartient cette norme. C'est‑à‑dire que pour savoir si une norme est juridique ou non, il faut regarder si l'ordre normatif dont fait partie la norme en question est juridique ou non. Ainsi, la norme est juridique si elle appartient à un ordre juridique, mais non pas à un ordre social ou moral ou religieux, etc. On peut donc conclure que la juridicité est la caractéristique d'un ordre normatif, non pas directement d'une norme.

Ainsi nous arrivons au problème de la juridicité d'un ordre normatif.

2. La recherche d'un critère de la juridicité d'un ordre normatif

Comment pouvons-nous définir la juridicité d'un ordre normatif ? C'est‑à‑dire, qu'est-ce qu'un ordre juridique ?

Un ordre juridique est tout d'abord un ordre normatif. Kelsen définit un ordre normatif comme « un système de normes dont l'unité repose sur le fait que leur validité a le même fondement »[68].

Mais comme on l'a déjà dit, les ordres normatifs qui existent ne sont pas seulement des ordres juridiques ; il y a aussi des ordres normatifs moraux, sociaux, religieux, etc. Alors, comment et par quels critères peut-on distinguer l'ordre juridique des autres ordres normatifs ? En d'autres termes, qu'est-ce qui donne le caractère juridique à un ordre normatif ? En un mot, quel est le critère de la juridicité d'un ordre normatif ?

En suivant toujours Kelsen, comme caractères distinctifs des ordres juridiques, on peut relever les points suivants :

Le premier caractère distinctif des ordres juridiques est qu'ils se présentent tous comme des ordres de la conduite humaine. Autrement dit « les normes de l'ordre juridique règlent la conduite d'êtres humains »[69]. Kelsen note que « dans les sociétés primitives, l'ordre juridique règle également la conduite d'animaux, de plantes et même de choses inanimées, de la même façon que la conduite des hommes »[70]. Mais « les ordres juridiques modernes, eux, ne règlent la conduite que des seuls êtres humains, et non la conduite d'animaux, de plantes, ou d'objets inanimés ; ils ne dirigent de sanctions que contre les premiers, et non contre les seconds »[71].

Le deuxième caractère distinctif des ordres juridiques, « est que ce sont des ordres de contrainte »[72]. Ceci veut dire que les ordres juridiques « réagissent par un acte de contrainte à certaines circonstances considérées comme indésirables, parce que socialement nuisibles, en particulier à des faits de comportement humain de cette nature »[73]. Et par un acte de contrainte, « on entend un mal – tel que le retrait de la vie, de la santé, de la liberté, de biens économiques et autres – qui doit être infligé à celui qu'il atteindra, même contre son gré, et, si besoin est, en employant la force physique »[74].

On peut ainsi définir l'ordre juridique comme un ordre de contrainte de la conduite humaine. Et en tant qu'ordre de contrainte, comme le note Kelsen, l'ordre juridique

« se distingue d'autres ordres sociaux. L'élément de la contrainte, c'est‑à‑dire la circonstance que l'acte institué par l'ordre comme conséquence d'une situation considérée comme socialement nuisible doit être réalisée même contre le gré de l'individu qu'elle doit atteindre et, en cas de résistance, par l'emploi de la force physique, – voilà le critérium décisif »[75].

Le droit est un ordre de contrainte. Cependant, ce n'est pas n'importe quelle contrainte ; mais celle qui a le caractère de sanction. La sanction aussi est un acte de contrainte, c'est‑à‑dire un emploi de la violence. Mais, comme l'explique Kelsen, la sanction, à la différence des autres actes de contrainte, est un usage de force permis par l'ordre juridique, « comme la réaction à une situation socialement indésirée, en particulier comme réaction à une conduite humaine socialement nuisible »[76]. Autrement dit, la sanction est une contrainte instituée par l'ordre juridique[77].

Deuxièmement, il faut noter que la sanction est attribuable uniquement à la collectivité juridique. Autrement dit, seulement les individus ou les organes habilités par l'ordre juridique peuvent exercer les actes de contrainte, conformément aux conditions déterminées par cet ordre. « Alors, on peut dire, en ce sens, que l'exercice de la contrainte est érigé en monopole de la collectivité juridique »[78].

Enfin il faut noter que l'ordre de contrainte considéré comme un ordre juridique est plus efficace que tous les autres ordres de contrainte. C'est la différence entre l'ordre juridique et l'ordre d'une bande de voleurs. Mais, si un tel ordre de contrainte (par exemple celui d'une bande de voleurs)

« est limité dans son domaine de validité territorial à un certain territoire et s'il est efficace à l'intérieur de ce territoire, de telle façon que la validité de tout ordre de contrainte semblable est exclue, il peut très bien être considéré comme un ordre juridique, et la collectivité fondée par lui peut très bien être considérée comme un ‘Etat’, même si cet ‘Etat’ développe vers l'extérieur une activité qui soit criminelle au regard du droit international positif »[79].

* * *

Ainsi nous venons de définir l'ordre juridique comme un ordre de contrainte. Mais on invoque très souvent une objection à cette définition. Cette objection se concentre sur le fait que les ordres juridiques historiques contiennent toujours des normes dépourvues de sanctions[80]. Comme on l'a déjà noté ces normes non sanctionnées se trouvent surtout dans le domaine du droit constitutionnel. On sait que, plusieurs fois, les « constitutions contiennent des dispositions précises, des injonctions claires dont cependant la violation ne peut faire l'objet d'aucune réaction institutionnelle quelconque »[81]. Ainsi selon l'exemple donné par Jean-François Perrin, « en Suisse, si le Parlement fédéral décide d'édicter une loi sur une matière pour laquelle la Confédération ne possède aucune délégation de compétence, il viole l'article 3 de la Constitution. Admettons qu'aucun référendum ne soit lancé. La nouvelle loi entrera en vigueur en violation de la susdite disposition. Aucune réaction institutionnelle n'est concevable. L'article 3 de la Constitution fédérale n'est-il pas une disposition juridique »[82] ? En général on peut constater que les normes de la constitution qui règlent la procédure de la législation n'établissent pas toujours une sanction pour le cas où elles ne sont pas observées.

Devant ce problème des normes juridiques non sanctionnées, dans la théorie du droit, il y a généralement deux thèses opposées. Selon la première thèse, il peut exister des normes non sanctionnées dans un ordre juridique grosso modo sanctionné. Selon cette thèse, la sanction « est une caractéristique qui peut être attribuée à l'ordre juridique pris dans son ensemble, mais non à chacun de ses éléments »[83]. En d'autres termes, la sanction est le « caractère de l'ordre in globo, et non de ses éléments ut singuli »[84]. Nous avons vu cette thèse dans la section précédente[85], c'est pourquoi, on se contentera ici de s'y référer.

En revanche, selon une deuxième thèse, dans un ordre juridique, il ne pourrait y avoir des normes non sanctionnées. Car, les normes qui sont présentées comme des normes non sanctionnées sont en effet soit, des normes juridiquement irrelevantes, soit, des normes juridiques non indépendantes. Nous avons déjà exposé cette thèse[86]. C'est pourquoi nous n'y revenons pas.

A notre avis, seule cette deuxième thèse est fondée[87]. Ainsi, pour nous, dans un ordre juridique, il ne pourrait pas y avoir de normes juridiques non sanctionnées.

* * *

En conclusion, conformément à la théorie positiviste, nous pouvons conclure que la juridicité d'une norme se détermine par son appartenance à un ordre juridique ; et la juridicité d'un ordre normatif se détermine par son caractère de contrainte. En d'autres termes une norme est juridique, si elle fait partie d'un ordre juridique déterminé. Et un ordre normatif est juridique, s'il est un ordre de contrainte.

* * *

Maintenant appliquons cette conclusion aux limites à la révision constitutionnelle[88]. Comme on l'a déjà remarqué, ces limites existent sous la forme de dispositions constitutionnelles. Et en tant que dispositions de la constitution, elles appartiennent à l'ordre normatif dont fait partie la constitution. Et on sait que l'ordre normatif auquel appartient la constitution est un ordre juridique, parce que, cet ordre, pris dans son ensemble, est sanctionné. Il faut alors conclure que les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel ont le caractère juridique.

* * *

En résumé, en ce qui concerne la validité des limites à la révision constitutionnelle, jusqu'ici, nous avons dit que, premièrement elles doivent être matériellement existantes, deuxièmement ces limites matériellement existantes doivent avoir le caractère normatif, et troisièmement elles doivent être d'ordre juridique. Et nous venons de montrer que les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel remplissent ces trois conditions préliminaires, c'est‑à‑dire l'existence matérielle, la normativité et la juridicité.

* * *

Toutefois ces trois conditions préliminaires (existence matérielle[89], normativité[90] et juridicité[91]) sont des conditions nécessaires, mais non suffisantes de la validité juridique. Car une norme juridique matériellement existante peut être non valable. En d'autres termes, la « juridicité » d'une norme n'implique pas nécessairement sa « validité ». A vrai dire, pour affirmer qu'« une norme juridique matériellement existante peut être non valable », il faut connaître les critères de la validité juridique d'une norme. Nous allons les voir plus bas[92]. Cependant notons qu'il y a trois conceptions différentes de la validité juridique et que si l'on accepte la conception de la validité matérielle, une norme juridique matériellement existante peut être non valable, si elle n'est pas efficace[93]. C'est le cas de désuétude[94]. La norme qui est tombée en désuétude n'est pas une norme sociale ou morale, au contraire c'est bien une norme juridique, mais une norme juridique « non valable ». D'ailleurs, si l'on prend en considération la conception de la validité axiologique, une norme juridique peut être non valable, si elle n'est pas juste[95].

Alors voyons à présent ces trois conceptions de la validité juridique.

 

 

§ 2. Les trois conceptions de la validité juridique

Pour pouvoir déterminer les conditions de la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle, il faut d'abord nécessairement définir la notion de validité juridique.

François Ost définit la validité comme « la qualité qui s'attache à la norme dont on a reconnu qu'elle satisfait aux conditions requises pour produire les effets juridiques »[96].

Mais comment et sur quelles bases s'opère cette reconnaissance ? Autrement dit, quels sont les critères de la validité juridique d'une norme ?

En théorie du droit, la validité juridique d'une norme s'apprécie en général en référence à trois critères différents : un critère éthique (finaliste, déontique), comme la justice, un critère sociologique, comme l'efficacité et un critère formaliste, comme l'existence spécifique de la norme. Par conséquent, il y a trois conceptions de validité : la validité axiologique[97] (« validité déontique »[98]), la validité matérielle[99] (« validité empirique »[100], « validité factuelle »[101] ou « validité effective »[102]) et la validité formelle[103] (« validité systémique »[104], « validité tout court »[105] ou « validité stricto sensu »[106]). Dans la théorie du droit, la validité axiologique est appelée aussi la justice[107] (« légitimité »[108] ou « acceptabilité »[109]), la validité matérielle l'efficacité[110] (« effectivité »[111]), ainsi que la validité formelle, l'existence spécifique[112] (« appartenance ») de la norme. Notons que la première conception est privilégiée par la théorie du droit naturel, la deuxième par la théorie réaliste américaine et scandinave, et le troisième par la théorie positiviste[113].

Commençons par la validité axiologique.

A. La validité axiologique (la validité comme valeur [justice]) : la théorie du droit naturel

Selon le critère finaliste, la validité d'une norme s'apprécie par sa conformité à des valeurs ou des idéaux méta-positifs. Ces valeurs et idéaux sont d'ordre éthique, moral, religieux, etc[114]. Pour savoir si une norme est valable ou non-valable, il faut comparer le contenu de cette norme avec un certain nombre de valeurs et idéaux. Si la norme est conforme à ces valeurs ou idéaux, elle est valable ; si ce n'est pas le cas, elle n'est pas valable. En d'autres termes, on cherche s'il y a une coïncidence entre le « monde réel » et le « monde idéal » ; entre « ce qu'il est » et « ce qu'il doit être ». C'est pourquoi le critère finaliste s'associe à la validité axiologique du droit. Par conséquent, le critère finaliste, autrement dit, la validité axiologique est un problème déontique du droit.

A notre avis, la validité d'une norme ne peut pas se déterminer dans une telle conception, c'est‑à‑dire par un critère finaliste. Car le problème de la validité axiologique d'une norme se résout en dernière analyse dans un jugement de valeur. En d'autres termes, le problème de savoir si une norme est valable ou non nécessite une comparaison entre le contenu de cette norme et certaines valeurs ou idéaux qui se situent en dehors de la norme. Ils sont d'ordre éthique, religieux, moral, en un mot, de nature méta‑positive. Et à notre sens, l'examen de telles valeurs ou de tels idéaux reste en dehors de la science juridique.

La conséquence systématique de la validité axiologique est la théorie du droit naturel[115]. En d'autres termes, cette conception de validité est privilégiée surtout par les auteurs jusnaturalistes[116]. Selon ces auteurs, la validité axiologique d'une norme est une condition nécessaire et suffisante de sa validité[117]. C'est‑à‑dire que dans la théorie du droit naturel, la validité d'une norme s'apprécie par les éléments finalistes par exemple, par la réalisation de la justice, la satisfaction du bien commun, la protection des droits de liberté, la promotion du bien-être[118]. Ces éléments finalistes changent selon les écoles du droit naturel[119]. Mais le raisonnement reste le même. Si une norme ne sert pas « à rejoindre le bien commun, à réaliser la justice, à garantir la liberté, à promouvoir le bien être »[120], elle n'est pas valable.

Nous avons choisi ici la « justice » comme l'élément finaliste dans la définition du droit naturel[121]. Ainsi, on peut affirmer que, dans la théorie du droit naturel, le droit s'identifie à la justice. C'est la justice qui fonde la validité du droit. A cet égard, on peut brièvement définir la théorie du droit naturel comme une théorie qui dit qu'« une loi pour être loi doit être juste » ou bien comme le disait Saint Augustin, « une loi injuste n'est pas une loi »[122]. En d'autres termes, un acte pour être valable, c'est‑à‑dire pour avoir des effets juridiques, il doit être conforme à l'exigence de la justice, il doit servir à la réaliser. Ainsi, si une norme est juste, elle est valable ; si ce n'est pas le cas, elle est non valable, c'est‑à‑dire non susceptible de produire des effets juridiques ; autrement dit, elle n'a aucune force obligatoire. Bref, dans cette conception, « le droit valable, c'est le droit juste »[123].

La critique la plus destructive qui est adressée à la théorie du droit naturel se concentre sur le fait qu'il n'existe pas de critère universel et objectif qui permet de distinguer « ce qui est juste » de « ce qui est injuste ». Et on ne peut pas obtenir un tel critère par voie de l'observation de la nature[124], si l'on ne veut pas faire appel à Dieu[125]. Si cela est vrai, la question suivante est inévitable : à qui appartient donc la tâche de distinguer « ce qui est juste » de « ce qui est injuste »[126] ? Si on exclut l'existence d'une autorité absolue et transcendante d'une divinité[127], il y a deux et seulement deux réponses possibles à cette question.

Selon la première réponse, la tâche de déterminer « ce qui est juste » appartient à ceux qui détiennent le pouvoir. Il est évident que cette réponse nous éloigne du droit naturel, pour nous amener au positivisme étatique[128].

Selon la deuxième réponse, cette tâche appartient à tous les citoyens[129]. Mais dans cette hypothèse, les principes de justice présentent nécessairement un caractère largement subjectif. Car ces principes sont conçus « par chaque homme selon les données de sa propre conscience ; il y a sans doute des éléments communs à ces différentes conceptions personelles ; mais l'expérience prouve la difficulté de les dégager, faute d'une autorité capable et infaillible. En fait, chacun demeure libre de concevoir le droit naturel selon les exigences de sa propre conscience »[130]. On peut dire que, avec Kelsen, dans ce cas, « on est menacé d'anarchie totale »[131]

D'autre part, comme l'a bien montré Hans Kelsen, il n'existe pas de valeurs absolues. « Toutes les valeurs morales sont relatives. Ceci étant admis, on ne peut attribuer à l'affirmation que des normes sociales ne peuvent être considérées comme droit que si leur contenu est moral, est juste »[132]. Et « étant donné l'extraordinaire diversité de ce que les hommes tiennent pour bon ou pour mauvais, pour juste ou pour injuste, selon les époques[133] et selon les lieux, on ne peut constater l'existence d'aucun élément commun à tous les ordres moraux »[134]. Par conséquent « il faut distinguer l'un de l'autre le droit et la morale en général, le droit et la justice en particulier »[135].

* * *

Maintenant appliquons le critère finaliste aux limites à la révision constitutionnelle ; c'est‑à‑dire recherchons la validité des dispositions de la constitution qui règlent la création et parfois le contenu des lois de révision constitutionnelle selon la conception de la validité axiologique.

Selon cette conception, on peut affirmer que si les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont justes, elles sont valables, et par conséquent elles s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle. Par contre si elles sont injustes, elles ne sont pas valables, et par conséquent elles ne lient pas le pouvoir de révision constitutionnelle.

A notre avis, cette conclusion est inacceptable. Car à la lumière de la critique adressée à la validité axiologique et au droit naturel ci-dessus, on peut dire qu'il n'existe pas de critère objectif et universel qui permet de distinguer les limites à la révision constitutionnelle « justes » des limites à la révision constitutionnelle « injustes ». On a déjà montré que la justice n'est pas une valeur absolue. L'idée de justice change pour chaque individu. C'est‑à‑dire que chacun peut apprécier comme il l'entend la valeur juridique d'une limite à la révision constitutionnelle. Dans ce cas, une limite serait valable pour les uns, et non valable pour les autres. Il est évident qu'un tel résultat n'est donc pas objectif, et par conséquent admissible.

* * *

Avant de passer à l'examen de la deuxième conception de la validité juridique, il convient de critiquer les thèses classiques sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle à la lumière des explications ci-dessus sur la conception de la validité axiologique. En d'autres termes, nous allons appliquer les critiques générales adressées à la théorie du droit naturel aux thèses que nous avons examinées dans la section précédente[136].

 L'appréciation de deux thèses classiques sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle à la lumière de l'exposé et la critique de la conception de la validité axiologique

Si l'on regarde le débat classique sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle à la lumière de la critique ci‑dessus adressée à la validité axiologique, autrement dit à la théorie du droit naturel, on peut constater que la thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique, ou celle qui soutient la validité de ces limites, toutes les deux, sont produites essentiellement dans la conception de la validité axiologique. C'est‑à‑dire que ces deux thèses, l'une et l'autre, sont basées essentiellement sur le critère de justice. Par conséquent, elles sont entachées de même erreur. Car leur raisonnement est le même. Elles sont deux illustrations différentes de la même logique.

Selon les défenseurs de la première thèse, l'existence des limites à la révision constitutionnelle dans la constitution n'est pas juste ; elle n'est pas conforme aux principes de la justice ; par conséquent, ces limites ne sont pas valables. Par contre, selon les défenseurs de la deuxième thèse, l'existence des limites à la révision constitutionnelle dans la constitution est juste ; elle est conforme aux principes de la justice ; par conséquent, ces limites sont valables,

Mais plus précisément, à quels principes de justice ces limites sont-elles conformes ou non conformes ? A notre avis on ne peut donner aucune réponse objective à cette question. A vrai, dire chacun peut nous proposer un principe de justice différent conformément à ses propres idéaux, à ses propres valeurs philosophiques, éthiques, religieuses, politiques, etc.

Par exemple, prenons les trois premiers arguments des défenseurs de la thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique. Selon les défenseurs de cette thèse, on l'a vu[137], ces limites ne sont pas valables, parce que, premièrement, une génération ne peut lier les générations futures ; deuxièmement, la constitution doit s'adapter aux changements sociaux. Et le troisième argument consiste à dire que si les dispositions intangibles de la constitution ne sont pas révisables par les moyens réguliers, elles seront révisées par les voies révolutionnaires et par conséquent pour ne pas préparer le terrain aux révolutions, la constitution doit être révisable dans toutes ses parties.

Ainsi peut‑on remarquer que, comme le principe de justice, le premier argument s'inspire de l'idée selon laquelle une génération n'est pas supérieure aux générations futures, et que les morts n'ont ni droits ni pouvoirs. Le deuxième argument ressort de l'idée de l'évolution sociale. Le troisième argument se fonde sur l'idée de ne pas préparer le terrain aux révolutions.

En revanche, les défenseurs de la thèse de la validité des limites à la révision constitutionnelle, en partant d'autres idées, sont arrivés à une autre conclusion selon laquelle ces limites sont justes, et par conséquent valables. Parce que, tout simplement ils avaient d'autres idées comme le principe de justice, des idées comme celle de stabilité, celle de continuité. Comme on l'a vu[138], selon les défenseurs de cette thèse, ces limites sont valables parce que, premièrement, une nation n'est pas faite seulement d'une génération ; mais elle regroupe les générations futures et passées, et par conséquent il serait normal qu'une génération puisse laisser quelques traces pour les générations futures en moyennant les dispositions intangibles de la constitution. Ainsi il faut assurer une certaine stabilité, une certaine continuité entre les générations. Deuxièmement, il faut sauvegarder d'une manière absolue certains principes dans la société mouvante. Et troisièmement, ces limites sont encore valables, parce qu'elles ont pour objet d'éviter les mouvements révolutionnaires latents. Comme on le voit, dans cette deuxième thèse, les idées de stabilité, de continuité, d'harmonie sociale jouent un rôle de principe de justice. Précisément, comme le principe de justice, le premier argument est basé sur l'idée de continuité entre les générations ; le deuxième, sur celle de stabilité sociale, et le troisième sur celle de légalité.

Ainsi, sur le même problème, il y a deux thèses qui se contredisent. Cependant ces deux thèses, opposées dos à dos, l'une et l'autre, sont entachées des mêmes erreurs. Les deux aussi résultent du même critère de la validité, de la même conception du droit, à savoir de la conception de la validité axiologique. Par conséquent la thèse qui accepte la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle tombe, elle aussi, à son tour, dans la même erreur où est déjà tombée la thèse qui rejette la valeur juridique de ces limites.

C'est pourquoi, le débat sur validité des limites à la révision constitutionnelle est insoluble, si l'on reste toujours dans la conception de la validité axiologique, c'est‑à‑dire, si l'on continue à débattre sur la base des valeurs, des idéaux, des jugements de valeur, en un mot sur la base de la théorie du droit naturel. Car, on invoque un argument pour l'invalidité de ces limites en s'inspirant d'une certaine valeur ou d'un certain idéal, et tout de suite, d'autres auteurs répondent avec un contre‑argument qui s'inspire d'un autre idéal et d'une autre valeur. Puisqu'on ne peut pas montrer la supériorité d'une valeur ou d'un idéal sur un autre, on ne peut pas résoudre ce problème en multipliant ces arguments et contre‑arguments. Alors il faut renoncer à débattre de cette question sur cette base, c'est‑à‑dire sur la conception de la validité axiologique.

En conclusion nous refusons les deux thèses citées sur la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle, car elles, l'une et l'autre, sont fondées sur la conception de la validité axiologique qui est insoutenable.

D'ailleurs comme nous l'avons plusieurs fois indiqué, selon la conception que nous avons adoptée dans ce travail, il n'appartient pas à la science du droit de justifier l'opportunité de telle ou telle disposition juridique. La science du droit a pour objet les normes juridiques. La tâche de la science du droit, comme celle de toutes les autres sciences est seulement de décrire, non pas de prescrire. Kelsen disait que « ce qui ne se trouve pas dans le contenu des normes juridiques positives ne peut pas entrer dans un concept juridique... Une science doit décrire son objet tel qu'il est, et non pas prescrire ce qu'il devrait être ou ne devrait pas être du point de vue d'un certain jugement de valeur »[139].

A notre avis, les idées ou les valeurs comme l'évolution sociale ou la stabilité sociale, ou la continuité entre les générations sont de nature des jugements de valeur, et par conséquent restent en dehors de la science du droit. De ce fait, nous excluons, par hypothèse même, les arguments invoqués pour justifier l'opportunité ou l'inopportunité des limites à la révision constitutionnelle.

Maintenant voyons la deuxième conception de la validité.

B. La validité matérielle[140] (la validité comme efficacité[141]) : le réalisme juridique américain et scandinave

Dans cette conception, la validité d'une norme est évaluée par son efficacité. Et l'efficacité de la norme se détermine par la correspondance entre la norme et le comportement de ses destinataires[142]. En d'autres termes, l'efficacité de la norme juridique s'apprécie par le fait qu'elle est suivie ou obéie par les sujets qui en sont destinataires[143]. La norme est efficace parce qu'elle a été suivie effectivement pendant une certaine période de temps par un groupe de personnes[144], en un mot parce qu'elle a été obéie. En d'autres termes, on peut dire qu'une norme est efficace dans une société, « si et seulement si la conduite des citoyens montre qu'ils la suivent régulièrement »[145]. Mais les causes de cette obéissance ne sont pas importantes. Il se peut que cette obéissance à la norme juridique soit provoquée par différents motifs soit par la crainte des sanctions du droit, soit par la crainte des sanctions de Dieu, soit seulement par le souhait d'éviter certains désavantages sociaux[146].

La recherche de l'efficacité d'une norme nécessite une comparaison entre le contenu de cette norme et les comportements effectifs d'un groupe social[147]. En d'autres termes, l'efficacité d'une norme s'apprécie, elle-même, sur le plan des faits[148]. C'est pourquoi l'efficacité d'une norme est un problème phénoménologique du droit. Autrement dit, dans la conception de la validité matérielle, les jugements sur la validité d'une norme sont des « propositions dont la vérité ou la fausseté peut être contrôlée de manière empirique »[149]. Il est évident qu'une telle recherche relève du domaine de la sociologie[150] et de la psychologie, plus que de la science du droit. En effet Alf Ross, un représentant du réalisme scandinave, l'affirme clairement : « la science du droit est une branche de la théorie du comportement humain, et par suite le phénomène juridique doit être trouvé dans le domaine de la psychologie et de la sociologie »[151].

La conception de la validité matérielle est privilégiée par les courants des réalismes juridiques américain et scandinave. Selon ces courants, le vrai droit est celui effectivement appliqué par les tribunaux, non pas celui qui est exprimé dans les lois. Autrement dit, les défenseurs de ces courants considèrent seules les normes qui sont effectivement appliquées et suivies comme normes juridiques.

Le réalisme juridique américain définit le droit comme « ce que font les tribunaux »[152]. Selon Felix S. Cohen, il faut définir le droit par ses conséquences[153] et non pas à partir des a priori spéculatifs et formalistes. « D'où l'opposition, typique pour les réalistes entre le droit formel, tel qu'il se présente dans les textes législatifs et les recueils de jurisprudence (law in books), et le droit vivant, se manifestant dans la pratique (law in action), seul le second étant digne d'être pris en considération »[154]. Selon les réalistes américains, c'est le juge qui crée le droit. Ainsi Karl N. Llewellyn fait la distinction entre les « règles réelles » et les « règles sur le papier »[155].

Egalement selon Alf Ross, un représentant du réalisme scandinave[156], estime que « les propositions de la doctrine juridique, comme celles de toute science empirique, doivent être soumises au principe de vérification »[157]. Et d'après lui, la vérification d'une proposition qui affirme qu'une norme juridique est efficace, c'est‑à‑dire valable, consiste dans l'application de la norme par les tribunaux[158]. Autrement dit, c'est dans les décisions des tribunaux que l'on doit rechercher l'efficacité (c'est‑à‑dire la validité pour Alf Ross) de la norme[159].

« Lorsqu'il s'agit, dit-il, de déterminer la validité des normes juridiques, seule importe... l'application du droit par les tribunaux... L'effectivité, qui est la condition de la validité des normes, ne peut donc être recherchée que dans l'application judiciaire du droit et pas dans le droit qui fonctionne entre les personnes privées »[160].

Ainsi les réalistes scandinaves et américains arrivent à la même conclusion : le droit valable est celui effectivement appliqué par les tribunaux. La tâche de la science juridique est la prévision des décisions à venir des tribunaux[161] ?.

* * *

En conséquence, dans la conception de la validité matérielle, la validité d'une norme se détermine par son efficacité, c'est‑à‑dire par l'application de cette norme par le juge. Cependant, comme le remarque Aulis Aarnio, « le problème n'a pas été résolu du point de vue du juge »[162]. En d'autres termes, « si l'efficacité signifie la possibilité d'appliquer une norme, elle n'est pas un critère très utile pour... le juge, qui doit savoir spécifiquement si cette norme oblige lorsqu'il prend une décision »[163]. Aulis Aarnio appelle cela le dilemme de l'efficacité[164]. « D'une part, une norme qui est seulement formellement valide peut rester lettre-morte si elle n'est pas appliquée, et d'autre part une norme devient effective si, et seulement si, elle oblige les autorités »[165]. Autrement dit, sur la base de la conception de la validité matérielle,

« on ne peut pas donner au juge de réponse à la question de savoir s'il est lié ou non par certaines normes... Du point de vue du juge, il n'est pas important... de recevoir des informations sur la manière dont le juge (en d'autres mots, lui-même) agira. Le décideur doit déjà savoir, avant de juger, ce qui oblige et ce qui ne l'oblige pas »[166].

Comme le remarque Theodore M. Benditt, « un observateur peut prédire ce que le juge fait, mais un juge ne peut pas, au moment où il décide d'un cas, seulement prédire ce qu'il fait ; il le fait »[167]. Alors on peut conclure que, du point de vue de l'observateur, on peut peut-être déterminer la validité d'une norme juridique par son efficacité ; mais du point de vue du juge, la validité d'une norme ne peut pas être définie par ce critère. Car, dans ce cas, comme le constate Aulis Aarnio, « la définition perdrait sa logique interne et recouvrirait seulement quelques situations. D'après une telle définition, le juge devient alors l'étalon de ce qu'il doit lui-même considérer comme obligatoire »[168].

* * *

Recherchons à présent la validité des limites à la révision constitutionnelle dans la conception de la validité matérielle, c'est‑à‑dire selon le critère d'efficacité.

A la lumière des explications générales ci-dessus, on peut affirmer que selon cette conception, les dispositions de la constitution qui prévoient les limites à la révision constitutionnelle sont valables, si elles sont efficaces, autrement dit, suivies et appliquées effectivement par leur destinataire, c'est‑à‑dire par le pouvoir de révision constitutionnelle.

Essayons donc de déterminer si les normes de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont efficaces. On a précédemment noté que la recherche de l'efficacité d'une norme nécessite une comparaison entre le contenu de cette norme et la conduite effective de ses destinataires. Le destinataire des limites à la révision constitutionnelle est le pouvoir de révision constitutionnelle. Alors il faut faire une comparaison entre le contenu des normes de la constitution prévoyant des limites à la révision constitutionnelle et le contenu effectif des lois constitutionnelles édictées par le pouvoir de révision constitutionnelle. Dans l'hypothèse où l'on constate une discordance entre les contenus de ces deux groupes de normes, il faut conclure que les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas valables, car elles ne sont pas effecti­vement appliquées et suivies par le pouvoir de révision.

Alors en s'inspirant du réalisme américain, on peut affirmer qu'un juriste doit prévoir[169] ce que feront effectivement les autorités juridiques en cas d'une éventuelle loi de révision constitutionnelle qui serait contraire à ses limites. Pour un instant, essayons de faire une telle prédiction. D'abord rappelons-nous qu'une loi de révision constitutionnelle est édictée par le pouvoir de révi­sion constitutionnelle. Et celui‑ci, comme on l'a vu dans le titre préliminaire[170], est un pouvoir supé­rieur aux autres pouvoirs constitués du point de vue de sa fonction. Car, il exerce une fonction constituante sur les autres pouvoirs constitutionnels. En révisant la constitution, il peut redéfinir l'organisation et le fonctionnement des organes législatif, exécutif et judiciaire. Les derniers ne disposent pas de moyens juridiques[171] suffisants pour répondre au pouvoir de révision, parce que les normes posées par le pouvoir de révision occupent un rang supérieur à celles posées par les pouvoirs législatif, exécutif et judi­ciaire. Alors on peut théoriquement prévoir que tant qu'il n'y a pas d'organe capable d'invalider une loi de révision constitutionnelle, les limites à la révision constitutionnelle ne seront pas efficaces, par conséquent non valables.

Ainsi, de ce point de vue, la validité des limites à la révision constitutionnelle dépend en dernière analyse de leur application par les tribunaux. Car, comme on l'a déjà noté, selon le réalisme juridique américain, le droit est ce que font les tribunaux en cas d'espèce. Et selon le courant réaliste scandinave, la vérification d'une proposition qui affirme qu'une norme juridique est valable consiste dans l'application de la norme par les tribunaux.

Alors, dans cette conception, à la question de savoir s'il y a  une limite à la révision constitutionnelle,  on ne peut donner que la réponse suivante : « Là où il y a une interdiction de réviser la constitution qui sera juridiquement sanctionnée, il y a une limite à la révision constitutionnelle »[172]. Et la réponse affirmative à cette question dépend de l'existence d'une cour constitutionnelle capable de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Il s'ensuit que seule une telle cour peut assurer l'efficacité des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle. En d'autres termes, dans le cas où ces dispositions ne sont pas respectées, c'est‑à‑dire, où le pouvoir de révision adopte une loi de révision constitutionnelle contrairement à ces dispositions, si cette loi de révision constitutionnelle est annulable par une telle cour, ces limites seront efficaces, par conséquent valables. Ainsi le problème de l'efficacité des limites à la révision constitutionnelle se concentre sur le point de savoir s'il existe un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un pays donné.

Comme on l'a déjà annoncé, la deuxième partie de notre thèse est réservée à l'examen du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. C'est‑à‑dire que nous pouvons, à la fin de notre thèse, donner une réponse à la question de savoir si ces limites sont efficaces ou inefficaces suivant les pays. Mais pour l'instant, nous pouvons noter que dans les pays où il y a un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ces limites seront suivies et appliquées, c'est‑à‑dire, efficaces et par conséquent valables. Par contre, dans les pays où il n'existe pas un tel contrôle, ces limites ne seront pas efficaces. Le pouvoir de révision peut avoir alors la possibilité de ne pas se conformer aux limites à la révision constitutionnelle.

En conclusion, selon la conception de la validité matérielle, dans un pays où il n'y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ne sont pas efficaces, par conséquent elles ne sont pas valables. Alors en utilisant les termes du réalisme américain, on peut affirmer que, dans un tel pays, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ne sont pas des « règles réelles », mais des « règles sur le papier »[173]. A cet égard, rappelons-nous que dans la doctrine classique du droit constitutionnel aussi, ces limites sont qualifiées de « barrières de papier » par certains auteurs[174]. Pour l'instant appelons cette conclusion[175] « la théorie réaliste de la validité des limites à la révision constitutionnelle ».

Nous nous contentons ici d'expliquer la validité des limites à la révision constitutionnelle selon la conception de la validité matérielle. La question de savoir si cette conception est fondée, c'est‑à‑dire si la validité de ces limites peut être appréciée par leur efficacité sera étudiée plus loin[176].

C. La validité formelle[177] (la validité comme appartenance[178]) : la théorie positiviste

Dans cette conception, la validité d'une norme se détermine par son appartenance à un ordre juridique donné[179], non pas par une qualité factuelle ou abstraite émanant de son contenu. En d'autres termes une norme est valable si elle fait partie d'un ordre juridique donné.

Cette conception de validité est privilégie par les auteurs positivistes.

Par exemple pour Kelsen, la validité (Geltung) est « le mode d'existence spécifique de la norme »[180]. Selon lui, la validité n'est pas une propriété, un attribut de la norme, « mais son existence spécifique, son existence idéale »[181]. Bref, la validité est l'existence spécifique d'une norme. Qu'est-ce alors que l'existence spécifique d'une norme[182] ? Selon Kelsen, l'existence spécifique d'une norme est l'existence de cette norme dans un ordre normatif[183].

Mais qu'est-ce qu'un ordre normatif ? Un ordre normatif, selon Kelsen, est un système de normes qui est formé par toutes les normes dont la validité peut être rapportée à une seule et même norme fondamentale[184]. En d'autres termes, un ordre normatif se compose de deux types de normes. Le premier est la norme fondamentale qui fonde la validité des autres normes ; le deuxième est toutes les autres normes dont la validité peut être rapportée à cette norme fondamentale[185]. Nous allons appeler cette seconde catégorie de normes des « normes posées », car, elles « doivent nécessairement être posées par un acte de création particulier. Ce sont des normes posées, c'est‑à‑dire positives »[186].

Ainsi, selon Kelsen, la validité est l'existence spécifique d'une norme, et, à son tour, l'existence spécifique est l'existence de cette norme dans un ordre normatif. Et on vient de noter que, selon cette conception, il y a deux types de normes dans un ordre normatif : la norme fondamentale et les normes posées. On peut alors affirmer qu'une norme est valable, si elle existe dans un ordre juridique déterminé. Et puisqu'il y a deux types de normes dans un ordre normatif, alors une norme est valable, si elle est la norme fondamentale qui fonde la validité des autres normes, ou bien si elle est une norme posée qui est fondée sur la norme fondamentale. En d'autres termes, une norme est valable si elle est le fondement de validité dans un ordre normatif ou bien si elle a le fondement de validité dans cet ordre[187].

1. Prenons d'abord le deuxième cas, et examinons la validité des normes posées ; c'est‑à‑dire les normes qui ont leur fondement dans l'ordre normatif, autrement dit, les normes dont la validité peut être rapportée à la norme fondamentale. Alors, une norme posée, pour exister dans un ordre normatif, c'est‑à‑dire pour être valable, doit être édictée conformément aux conditions posées par une autre norme. « Une norme, dit Kelsen, n'est pas valable parce qu'elle a certain contenu..., elle est valable parce qu'elle est créée d'une certaine façon, et plus précisément en dernière analyse, d'une façon qui est déterminée par une norme fondamentale »[188]. « C'est pour cette raison, et pour cette raison seulement qu'elle fait partie de l'ordre juridique dont les normes sont créées conformément à cette norme fondamentale »[189]. En d'autres termes « la validité d'une norme ne peut avoir d'autre fondement que la validité d'une autre norme. En termes figurés, on qualifie la norme qui constitue le fondement de la validité d'une autre norme de norme supérieure par rapport à cette dernière, qui apparaît donc comme une norme inférieure à elle »[190].

Ainsi, « la norme qui constitue le fondement de la validité d'une autre norme est par rapport à celle‑ci une norme supérieure. Mais il est impossible que la quête du fondement de la validité d'une norme se poursuive à l'infini... Elle doit nécessairement prendre fin avec une norme que l'on supposera dernière et suprême »[191]. Kelsen appelle cette norme suprême la « norme fondamentale » (Grundnorm)[192]. Selon Kelsen, cette norme fondamentale

« est la source commune de la validité de toutes les normes qui appartiennent à un seul et même ordre ; elle est le fondement de leur validité. L'appartenance d'une norme à tel ou tel ordre à sa source dans le fait que le fondement ultime de sa validité est la norme fondamentale de cet ordre. C'est cette norme fondamentale qui fonde l'unité d'une pluralité des normes, par le fait qu'elle représente le fondement de la validité de toutes les normes appartenant à cet ordre »[193].

* * *

2. Mais à son tour, cette norme fondamentale, d'où tire-t-elle sa validité ? Alors examinons maintenant la question de la validité de la norme fondamentale.

D'abord Kelsen constate que les normes posées d'un ordre juridique en dehors de la constitution historiquement première trouvent leur fondement dans cette dernière. Il se demande ensuite « quel est le fondement de la validité de cette Constitution historiquement première, c'est‑à‑dire d'une Constitution qui n'est pas née par voie de modification constitutionnelle d'une Constitution précédente »[194]. En excluant d'une part l'existence d'un droit international, et d'autre part celle d'une autorité métajuridique telle que Dieu ou la Nature, Kelsen affirme qu'il n'y a qu'une réponse possible à cette question : la validité de cette Constitution doit être supposée, admise comme hypothèse[195]. Ainsi la norme fondamentale d'un ordre juridique s'énoncera de la façon suivante :

« des actes de contrainte doivent être posés sous les conditions et de la manière que prévoient la constitution étatique historiquement première et les normes posées conformément à cette Constitution ; ou en forme abrégée : on doit se conduire de la façon que la Constitution prescrit »[196].

Ainsi cette norme fondamentale « a donc pour fonction de fonder la validité objective d'un ordre juridique positif »[197].

Selon Kelsen, la validité de la norme fondamentale « ne peut être que supposée. Sa validité ne peut plus être déduite d'une norme supérieure ; le fondement de sa validité ne peut plus faire l'objet d'une question »[198]. Car « il est impossible que la quête du fondement de la validité d'une norme se poursuive à l'infini... Elle doit nécessairement prendre fin avec une norme que l'on supposera dernière et suprême »[199].

Même si la norme fondamentale est une hypothèse, selon Kelsen cette hypothèse est une norme. Car,

« il faut de toute nécessité que la nécessité que cette hypothèse soit une norme, puisque seule une norme peut être le fondement de la validité d'une autre norme : mais elle ne sera pas une norme posée par une autorité juridique, mais une norme supposée, c'est‑à‑dire une norme que l'on suppose si l'on reconnaît à la signification subjective et de l'acte constituant et des actes créateurs de normes posés conformément à la Constitution, le caractère de signification objective aussi »[200].

En résumé, selon la conception de la validité formelle, une norme est valable, si elle existe dans un ordre juridique donné, autrement dit, si elle appartient à un ordre juridique donné. En d'autres termes, une norme est valable, si et seulement si elle a été produite conformément à une norme supérieure, et en dernière analyse, conformément à la norme fondamentale.


 

[1]. Notons que la question de l'« existence matérielle » correspond à ce qu'Alexander Peczenik appelle la « question bibliographique de la validité juridique ». En effet, Alexander Peczenik analyse le concept de validité avec une méthode qui comporte quatre opérations. La première opération consiste dans l'énumération des règles que les juristes considèrent comme légalement valables. A cet égard, on peut dire que notre première notion (existence matérielle) est l'équivalent de la première opération (énumération) de la méthode descriptive d'Alexander Peczenik. Il affirme que « la question ‘quelles règles sont-elles légalement valables dans un pays donné ?’ peut être résolue sans aucune définition générale de droit valable. A la faculté de droit et dans son métier, chaque juriste compétent acquiert beaucoup d'informations détaillées sur cette question. Cette information est plus bibliographique que théorique » (Peczenik, « The Concept ‘Valid Law’ », op. cit., p.214-215. C'est nous qui soulignons.)

 

[2]. Ost et van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit., p.259 ; François Ost, « Validité », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.636.

 

[3]. Il convient de souligner l'adjectif « matérielle », parce qu'il y a des auteurs, par exemple Kelsen, qui parlent de la validité comme existence spécifique des normes, c'est-à-dire l'existence dans un ordre juridique.

 

[4]. Ost et van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit., p.259 ; Ost, « Validité », op. cit., p.636.

 

[5]. Il est évident que l'existence matérielle d'une règle coutumière ne peut pas être établie par la même méthode. Cependant cette règle n'est pas privée de l'existence matérielle, car elle a un instrumentum.

 

[6]. Par contre, les limites à la révision constitutionnelle non-inscrites dans les textes constitutionnels sont dénuées de l'existence matérielle. Car, ces limites ne figurent pas dans un document. Elles sont de nature des principes déduits d'une certaine interprétation doctrinale, ou d'une certaine philosophie politique (Voir infra, cette partie, Titre 2).

 

[7]. Ce chapitre, Section 1.

 

[8]. Ce chapitre, Section 1, Sous‑section 1, § 1 (La thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle sont privées de toute valeur juridique), et § 2 (La thèse selon laquelle les limites à la révision constitutionnelle ont la valeur juridique).

 

[9]. Voir ce titre, Chapitre 1 (La typologie générale des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels, supra, p.117-135).

 

[10]. Voir ce titre, Chapitre 1, (La typologie générale : A, supra, p.118-120).

 

[11]. Voir ce titre, Chapitre 1, (La typologie générale : A, supra, p.120-123).

 

[12]. Voir ce titre, Chapitre 1, (La typologie générale : A, supra, p.123-135).

 

[13]. Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Hamon et Troper op. cit., p.81. C'est nous qui soulignons.

 

[14]Ibid., p.81-82. C'est nous qui soulignons.

 

[15]Ibid., p.82. C'est nous qui soulignons.

 

[16]. Kelsen, General Theory of Law and State, op. cit., p.xiv.

 

[17]. Burdeau, Droit constitutionnel, 21e édition par Hamon et Troper op. cit., p.81.

 

[18]Ibid.

 

[19]Ibid.

 

[20]. La question de l'existence matérielle est relative à son support concret, tandis que celle de normativité de cet acte est relative à sa signification.

 

[21]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.261 ; Ost, « Validité », op. cit., p.636.

 

[22]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.7, 43 ; Kelsen, « Quel est le fondement de la validité du droit, », op. cit., p.161.

 

[23]. Hans Kelsen précise que dans les sociétés primitives les normes juridiques règlent également « la conduite des animaux, de plantes ou des choses inanimées, de la même façon que la conduite des hommes » (Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.43). Notons que selon la théorie de Kelsen, à condition qu'une norme juridique règle les conduites humaines, elle peut avoir n'importe quel contenu. Voir Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.262-263.

 

[24]. L'intervention de Michel Troper dans le débat suivi de sa communication sur « La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789 » présentée au Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, Paris, P.U.F., 1989, p.32.

 

[25]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.71.

 

[26]Ibid.

 

[27]. Georges Vedel, « Place de la Déclaration de 1789 dans le ‘bloc de constitutionnalité’ », in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, (Colloque des 25 mai et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel), Paris, P.U.F., 1989, p.54.

 

[28]. Troper, L'intervention au Colloque des 25 et 26 mai 1989, in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, op. cit., p.32.

 

[29]. Voir à ce propos Thibaut Célérier, « Dieu dans la Constitution », Les Petites affiches, 5 juin 1991, n° 67, p.15-20. Il conclut que « par son approbation des termes de la Déclaration de 1789, la Constitution de 1958 est une constitution déiste » (Ibid., p.20).

 

[30]. Voir Norberto Bobbio, « Kelsen et les sources du droit », Revue internationale de philosophie, 1981, n° 138, p.475. A ce propos, Kelsen écrit ceci : « Le droit positif est un ordre coercitif, dont les normes sont créées par des actes de volonté humains, c'est-à-dire créées par voie législative, judiciaire, administrative, ou par des coutumes constituées par des actes d'êtres humains » (Hans Kelsen, « Positivisme juridique et doctrine du droit naturel » Mélanges Jean Dabin, Bruxelles, Emile Bruylant, Paris, Sirey, 1963, p.141).

 

[31]. Michel Troper, « Le positivisme comme théorie du droit (introduction) », in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-) Le positivisme juridique, Bruxelles et Paris, E.Story-Scientia et L.G.D.J., 1992, p.273.

 

[32]. Voir Hans Kelsen, Essays in Legal and Moral Philosophy, Dordrecht, Reidel, 1973, p.216-227, (Extrait de-), in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Story-Scientia, 1992, p.295.

 

[33]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.7.

 

[34]Ibid.

 

[35]Ibid.

 

[36]. En effet, il faut ici préciser que dans la théorie de Kelsen, il y a une distinction entre les significations subjective et objective d'un acte de volonté. Car, « un acte dont la signification subjective est une norme, c'est-à-dire l'idée qu'un individu doit se comporter d'une certaine manière, peut ne peut l'avoir objectivement : Quand un brigand vous ordonne de lui remettre votre portefeuille, la signification subjective de cet acte est que vous devriez faire ce qu'il ordonne. Mais vous n'interprétez pas cet acte comme ayant la signification objective d'une norme obligatoire » (Kelsen, « Quel est le fondement de la validité du droit ? », op. cit., p.162). Ainsi ce que nous traitons sous la question de la normativité est la signification subjective d'un acte, la signification objective sera traitée plus tard sous la question de la validité proprement dite. Pour l'instant notons que la signification objective « ne vient pas de la volonté, ni de l'intention du sujet mais seulement d'une norme supérieure, de sorte qu'en définitive seul le droit crée du droit » (Troper, « Le positivisme comme théorie du droit » op. cit., p.274). Ainsi, la signification subjective d'un acte de volonté est un problème de normativité alors que la signification objective de cet acte est un problème de validité juridique proprement dite.

 

[37]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.7.

 

[38]Ibid., p.6.

 

[39]Ibid.

 

[40]Ibid..

 

[41]Ibid., p.7.

 

[42]Ibid.

 

[43]Ibid.

 

[44]Ibid., p.10.

 

[45]. Voir supra, cette partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 1.

 

[46]. Voir supra, cette partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, § 1.

 

[47]. Vedel, « Place de la Déclaration de 1789 dans le ‘bloc de constitutionnalité’ », op. cit., p.54.

 

[48]Ibid., p.55.

 

[49]Ibid.

 

[50]Ibid.

 

[51]. Voir supra, cette partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 1.

 

[52]. L'article 195 de la Constitution algérienne du 22 novembre 1976 (Texte établi par D. Beke, in Reyntjens et alii (éds.), Constitutiones Africae, op. cit., Vol.I (Publication sur feuilles mobiles).

 

[53]. L'article 101 de la Constitution marocaine du 12 mars 1972 (Texte établi par A. Claissed et B. Zgani in Reyntjens et alii (éds.), Constitutiones Africae, op. cit., Vol.III, Publication sur feuilles mobiles).

 

[54]. Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, P.U.F., 1978, p.175.

 

[55]Cf. Paul Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit : essai de phénoménologie juridique, (Thèse pour le doctorat en droit, Université de Paris, Faculté de Droit et des Sciences économiques) Paris, L.G.D.J., 1964, p.217.

 

[56]. Michel Troper, « Norme (en théorie du droit) », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.407.

 

[57]Ibid.

 

[58]Ibid.

 

[59]Ibid.

 

[60]Ibid.

 

[61]Ibid.

 

[62]. Perrin, op. cit., p.85.

 

[63]. Michel Virally, La pensée juridique, Paris, L.G.D.J., 1961, p.68.

 

[64]. Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.222. D'ailleurs Michel Virally aussi définit la sanction comme telle : « une sanction socialement organisée, c'est-à-dire, définie par le droit et attachée à la conduite contraire à celle ordonnée par une norme juridique » (Virally, La pensée juridique, op. cit., p. 68. C'est nous qui soulignons.)

 

[65]. Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.222.

 

[66]. Perrin, op. cit., p.93.

 

[67]. Cette sous-section, § 2, C.

 

[68]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.43.

 

[69]Ibid.

 

[70]Ibid.

 

[71]Ibid.

 

[72]Ibid., p.46.

 

[73]Ibid.

 

[74]Ibid.

 

[75]Ibid., p.48.

 

[76]Ibid.

 

[77]Ibid., p.57 : « La notion de sanction peut être étendue à tous les actes de contrainte qui sont prévus par l'ordre juridique ».

 

[78]Ibid., p.50.

 

[79]Ibid., p.65.

 

[80]. En ce sens voir, Perrin, op. cit., p.84 ; Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.222.

 

[81]. Perrin, op. cit., p.84 ; Cf. Guastini, « Alf Ross... », in Amselek (sous la direction de-), Théorie du droit et science, op. cit., p.261 : « Dans tout système juridique il y a beaucoup de normes (par exemple, dans le droit public, et notamment dans le droit constitutionnel) qui ne sont pas du tout susceptibles d'une application juridictionnelle ».

 

[82]. Perrin, op. cit., p.84.

 

[83]. Manuel Atienza, « Juridicité », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.324.

 

[84]. Guy Héraud, « La validité juridique », in Mélanges offerts à Jacques Maury, Faculté de Droit et de Sciences économiques de Toulouse, Paris, Librairie Dalloz et Sirey, 1960, t.II, p.419.

 

[85]. Ce chapitre, Section 1, Sous-section 2, § 2, B, 1, a.

 

[86]. Ce chapitre, Section 1, Sous-section 2, § 2, B, 1, b.

 

[87]. Voir ce Chapitre, Section 1, Sous-section 2, § 2, B.

 

[88]. Rappelons que nous avons déjà discuté de la question de savoir si les limites à la révision constitutionnelle sont sanctionnées. Voir ce chapitre, Section 1, Sous-section 2, § 2.

 

[89]. Comme on l'a déjà expliqué (cette sous‑section, § 1, A), l'existence matérielle est une condition nécessaire, car un acte inexistant ne peut faire l'objet d'aucune qualification juridique ; mais non-suffisante, car tous les actes existants n'ont pas le caractère normatif.

 

[90]. Comme on l'a vu précédemment (cette sous‑section, § 1, B), la normativité est une condition nécessaire, car un acte qui n'a pas de caractère normatif ne peut pas être valable ; mais non‑suffisante, car les normes qui existent ne sont pas toutes juridiques. Il y a aussi des normes sociales, morales, religieuses etc.

 

[91]. Enfin, la juridicité est une condition nécessaire, car la notion de validité concerne les normes juridiques, non pas sociales, morales ou religieuses ; mais non‑suffisante, car une norme juridique peut être non-valable, s'elle est tombée en désuétude.

 

[92]. Voir infra, cette sous-section, § 2.

 

[93]. Voir infra, cette sous-section, § 2, B.

 

[94]. Voir infra, cette section, Sous-section 2, § 2, B.

 

[95]. Voir infra, cette sous-section, § 2, A. Mais, comme on va le voir, nous refusons cette conception de la validité juridique.

 

 

[96]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.264. Egalement Ost, « Validité », op. cit., p.637. Le dictionnaire Petit Robert définit la validité comme « caractère de ce qui est valide » ; et valide comme « qui présente les qualités requises pour produire son effet ». Cf. Virally, « Notes sur la validité... », op. cit., p.454-455 : « Une norme valable est celle qui produit effectivement les effets juridiques auxquels elle prétend ».

 

[97]. Voir Ost et van de Kerchove, op. cit., p.274 ; Aulis Aarnio, Le rationnel comme raisonnable : la justification en droit, Trad. par Geneviève Warland, Bruxelles et Paris, Story-Scientia, L.G.D.J., 1992, p.43 ; Franco Modugno, « Validità », in Enciclopedia del diritto, vol. XLVI, Giuffrè editore, Varese, 1993, p.4. Au lieu de la « validité axiologique » A. G. Conte emploie la « validité idéale » (Amedeo G. Conte, « Validità », in Novissimo digesto italiano, vol. XX. VTET, Torino, 1975, p.421.

 

[98]. Modugno, op. cit., p.4.

 

[99]Ibid.

 

[100]. Voir Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272.

 

[101]. Amedeo G. Conte, « Studio per una teoria della validità », Rivista internazionale di filosofia del diritto, 1970, p.335.

 

[102]. Jerzy Wroblewski, « Verification and Justification in the Legal Sciences », Rechtstheorie, Beiheft 1, 1979, p.207 et s. cité par Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.43.

 

[103]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272 ; Modugno, op. cit., p.4 ; Conte, « Studio... », op. cit., p.334 ; Ost, « Validité », op. cit., p.637-639 ; Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.43-60.

 

[104]. Wroblewski, « Verification... », cité par Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.43.

 

[105]. Modugno, op. cit., p.7 ; Conte, « Studio... », op. cit., p.334.

 

[106]. Voir par exemple Modugno, op. cit., p.4-5.

 

[107]. Modugno, op. cit., p.4 ; Conte, « Studio... », op. cit., p.335.

 

[108]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.274.

 

[109]. C'est Aulis Aarnio qui emploie ce terme (Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.56-60).

 

[110]. Conte, « Studio... », op. cit., p.334 ; Modugno, op. cit., p.4.

 

[111]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272 ; Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op.cit., p.43.

 

[112]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.13.

 

[113]. Ost, « Validité », op. cit., p.638-639.

 

[114]Ibid.

 

[115]. Ost, «Validité », op. cit., p.638-639 ; Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.56.

 

[116]. Ost, « Validité », op. cit., p.637.

 

[117]Ibid., p.638.

 

[118]. Norberto Bobbio, « Sur le positivisme juridique », in Mélanges en l'honneur de Paul Roubier, (Tome I : Théorie générale du droit et droit transitoire), Paris, Librairies Dalloz & Sirey, 1961, p.56-57. Paul Amselek aussi fait le même constat. Dans cette conception « le droit, dit-il, est un moyen au service de telle fin, de tel idéal (qu'on l'appelle le ’Bien Commun’, la ‘justice’, la ‘solidarité’ etc. » (Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.306).

 

[119]. D'où la difficulté de définir le droit naturel. A vrai dire, il n'y a pas une définition, mais une variété de définition de « droit naturel » voir : Laetizia Gianfomaggio, « Droit naturel », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.200.

 

[120]. Bobbio, « Positivisme juridique », op. cit., p.57.

 

[121]. Bien évidemment, on pouvait aussi choisir le bien commun, ou le bien être, ou les droits de l'homme, ou bien la solidarité ; comme l'élément finaliste dans la définition du droit naturel. Même si on choisit un autre élément le résultat ne change pas, car, le raisonnement reste identique.

 

[122]. « Non esse lex quae justa non fuerit » : Saint Augustin, De Libero Arbitrio, 5 ; Saint Thomas d'Aquin, Summa Theologica, Qu. XCV, Arts. 2,4, cité par H.L.A. Hart, Le concept de droit, trad. par Michel van de Kerchove, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1976, p.21.

 

[123]. Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p. 64 : « Le rapport qu'on admet entre justice et droit joue un rôle décisif dans la question de savoir si le droit valable, c'est-à-dire si ces normes doivent appliques et observées ». Selon la conception du droit naturel, « un droit positif ne peut être considère comme valable que dans le cas et dans le mesure où il est créé en conformité avec l'exigence de justice. Le droit valable, c'est le droit juste ; un ordre injuste du comportement humain n'a pas de validité, est n'est pas le droit dans la mesure où droit ne peut signifier qu'ordre valable. C'est-à-dire que la validité de la norme de justice est le fondement de la validité du droit positif » (Ibid. C'est nous qui soulignons). Voir également Ibid., p.102, 112 et 121.

 

[124]. On entend ici par « nature », « la réalité empirique des faits concrets en générale ou la nature particulière telle qu'elle est donnée dans le comportement concret - intérieur ou extérieur - des hommes » (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.68).

 

[125]. Kelsen observe justement que la théorie du droit naturel « a une origine religieuse et métaphysique ; à la base on rencontre l'idée que la réalité de la nature est créée par une autre autorité transcendante qui incarne la valeur morale absolue ; (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.69-70). « Si la nature est créée ou gouvernée par un Dieu juste, alors, mais alors seulement, on peut voir dans les lois de cette nature des normes, on peut trouver dans cette nature le droit juste, on peut déduire de cette nature le droit juste » (Ibid.). Le droit naturel « est d'origine divine. C'est pour cette seule raison qu'il est absolument valable et par conséquent invariable. Cette validité absolue et invariable est un élément essentiel du Droit naturel » (Ibid., p.72).

Kelsen précise que « dans la théorie du Droit naturel, on a tenté, il est vrai, de rendre la validité du Droit naturel indépendante de la volonté de Dieu. Grotius déclare que le Droit naturel qu'il expose resterait valable même si on concédait que n'existe pas, mais il ajoute qu'on ne peut faire cette concession sans tomber dans le plus grave péché. Car c'était un chrétien convaincu, comme l'étaient tous les partisans de la théorie classique du Droit naturel » (Ibid.). Ainsi Kelsen conclut que « si on ne croit pas en une nature créée par un Dieu juste, on ne saurait ­logiquement admettre l'existence d'un droit juste immanent à la nature» (Ibid., p.73-74).

A ce propos voir également Ch. Perelman, « L'idée de justice », Annales de philosophie politique, III, Paris, P.U.F., 1959, p.140.

 

[126]. Kelsen pose à peu près la même question à propos de l'interprétation de l'autorité juridique positive. Selon Kelsen la question de savoir si « un droit positif dans son ensemble ou une norme déterminée de ce droit sont-ils conformes ou non au Droit naturel » est une « question d'interprétation du droit positif. C'est donc celui qui est qualifié pour donner une interprétation authentique du droit positif qui décidera si un droit positif ou une norme déterminée de ce droit doivent être considérés comme valables ou non à cause de leur rapport avec le droit naturel » (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.118).

 

[127]. « C'est à nous, dit Kelsen, qu'il incombe de trancher la question, parce que, lorsqu'il s'agit de savoir ce qui juste et injuste la décision dépend du choix des normes de justice que nous prenons comme fondement de notre jugement de valeur, la réponse pouvant donc être fort différente ; ce choix, seul nous-mêmes, chacun d'entre nous peut le faire, personne d'autre, ni Dieu, ni la nature ni même la raison en tant qu'autorité objective ne peut le faire pour nous. Telle est la vraie signification de l'autonomie morale. Tous ceux qui ne souhaitent pas se charger de cette responsabilité et voudraient s'en remettre de ce choix à Dieu, à la nature ou à la raison, tous ceux-là ont le sentiment que le relativisme ne leur est d'aucun recours. Ils font en vain appel à la théorie du Droit naturel. Car lorsqu'il s'agit de faire le choix, les diverses théories du Droit naturel apportent tout autant de réponses diverses que le positivisme relativiste. Elles n'épargnent pas le choix à l'individu l'illusion que la norme de justice qu'il choisit émane de Dieu, de la nature ou de la raison, qu'elle est donc absolument valable ; et beaucoup achètent cette illusion au prix de n'importe quel sacrificium intellectus» (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.120).

 

[128]. A ce propos Kelsen parle du monopole d'interprétation de l'autorité juridique positive (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.118). Selon Kelsen,  dans ce cas, « il est pratiquement exclu, ou du moins chance est réduite au minimum, qu'on décide que le droit positif n'est pas conforme au droit naturel » (ibid.).

 

[129]. Kelsen refuse cette réponse en disant que, dans ce cas, « on est menacé d'anarchie totale » (Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.118).

 

[130]. Maurice Duverger, « Contribution à l'étude de la légitimité des gouvernements de faits », Revue du droit public, 1945, p.77.

 

[131]. Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.118. La doctrine du droit naturel « peut justifier n'importe quel ordre social en prétendant qu'il est conforme à cet idéal » (Christophe Grzegorczyk, « Le positivisme comme méthodologie juridique », in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Story-Scientia, 1992, p.176). Par ailleurs, Bentham a remarqué le danger du jusnaturalisme en disant que l'« on ne peut pas raisonner avec des fanatiques armés d'un droit naturel, que chacun entend comme il lui plaît, applique comme il lui convient, dont il ne peut rien retrancher, qui est inflexible en même temps qu'inintelligible, qui est consacré à ses yeux comme un dogme et dont on ne peut s'écarter sans crime » (Extrait de : J. Bentham Principes de législation et d'économie politique, Paris, Raffalovich, Guilaumin, 1888, p.75 et s. in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Story-Scientia, 1992, p.197).

 

[132]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.87.

 

[133]. A cet égard Norberto Bobbio note, à juste titre, que « si les jusnaturalistes modernes considéraient constamment la liberté, comme un Droit naturel, Aristote estimait que l'esclavage aussi était parfaitement naturel, parce que la nature avait fait en sorte qu'il y eût des hommes naturellement maîtres et d'autre naturellement esclaves (Politique, I, 5). Cette nature était donc tellement complaisante qu'elle permettait, d'un côté, aux théoriciens de l'Etat libéral d'exalter le naturel de la liberté, et, à un philosophe d'une société qui possédait des esclaves, de justifier le naturel de l'esclavage ». (Norberto Bobbio, « Quelques arguments contre le droit naturel », in Annales de philosophie politique, III, Paris, P.U.F., 1959, p.181-182.

 

[134]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.87.

 

[135]Ibid., p.90.

 

[136]. Voir supra, ce chapitre, Section 1, Sous-section 1, § 1 et § 2.

 

[137]. Voir supra, ce chapitre, Section 1, Sous-section 1, § 1, A.

 

[138]. Voir supra, ce chapitre, Section 1, Sous-section 1, § 2.

 

[139]. Kelsen, General Theory of Law and State, op. cit., p.xiii et xiv.

 

[140]. Modugno, op. cit., p.4 ; Conte, « Studio... », op. cit., p.334. Au lieu du terme de « validité matérielle », F. Ost et M. van de Kerchove emploient le terme de « validité empirique » (Ost et M. van de Kerchove, op. cit., p.272) ; ainsi que A. Conte « validité factuelle » (Conte, « Studio... », op. cit., p.335). J. Wroblewski parle de la « validité effective » (J. Wroblewski, « Verification and Justification in the Legal Sciences », Rechtstheorie, Beiheft 1, 1979, p.207 et s. cité par Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.43.)

 

[141]. Conte, « Studio... », op. cit., p.334 ; Modugno, op. cit., p.4. Notons que plusieurs auteurs préfèrent le terme « effectivité » au lieu de celui « efficacité ». Par exemple, Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272 ; Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.332 et s. ; Perrin, op. cit., p.91 et s.  En effet « effectivité » et « efficacité » sont deux notions différentes en théorie du droit. L'effectivité, c'est le « degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit » (Pierre Lascoumes, « Effectivité », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.217 ; Pierre Lascoumes et Evelyne Serverin, « Théories et pratiques de l'effectivité du droit », Droit et société, Janvier 1986, n°2, p.101). Tandis que l'efficacité est le « mode d'appréciation des conséquences des normes juridiques et de leur adéquation aux fins qu'elles visent » (Romano Bettini, « Efficacité », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.219). J.‑F. Perrin explique que « l'auteur de la norme juridique poursuit un dessein et, pour atteindre son objectif, il choisit un moyen. Il veut, par exemple, limiter les conséquences des accidents de la circulation routière et pour ce faire, il prescrit le port obligatoire de la ceinture de sécurité dans les voitures automobiles... On peut ensuite observer, soit le degré de réalisation de l'objectif, soit évaluer le degré d'utilisation réelle du moyen. Dans le premier cas – lorsqu'on confronte l'objectif avec son degré d'accomplissement – on mesure l'efficacité d'une norme ou d'un système de normes. Dans le deuxième cas – lorsqu'on mesure si l'injonction prescrite par la norme a effectivement provoqué le comportement prévu – on mesure l'effectivité de la norme ». (Perrin, op. cit., p.91). Selon J.‑F. Perrin, « les deux concepts entretiennent évidemment des relations, mais celles-ci ne sont pas susceptibles d'être réduites par une équation simple de ce genre : Si la norme est effective  alors elle sera efficace... Il est notamment possible que la norme soit effective à un très bon degré, mais pourtant inefficace car le moyen s'est révélé inadéquat » (Perrin, op. cit., p.91. Voir également Lascoumes et Serverin, op. cit., p.118-119). Cependant dans la littérature de théorie du droit, plusieurs auteurs utilisent les termes « efficacité » et « effectivité » dans des acceptions synonymes (voir par exemple la traduction française de Ch. Eisenmann de la Théorie pure du droit de Kelsen, op. cit., passim). De plus, il nous semble que c'est un usage répandu. Nous aussi nous utilisons le terme d'« efficacité » comme synonyme de celui «effectivité».

 

[142]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272 ; Ost, «Validité», op. cit., p.637.

 

[143]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.16 ; Riccardo Guastini, « Sur la validité de la constitution du point de vue du positivisme juridique », in Michel Troper et Lucien Jaume (sous la direction de -), 1789 et l'invention de la constitution, Actes du colloque de Paris organisé par l'Association française de science politique, les 2, 3 et 4 mars 1989, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Bruylant, 1994, p.221.

 

[144]. Bobbio, « Sur le positivisme juridique » op. cit., p.56.

 

[145]. Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.50.

 

[146]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.17.

 

[147]. C'est‑à‑dire que l'on cherche l'absence ou l'existence d'un écart entre les normes et les pratiques sociales. Voir Lascoumes et Serverin, op. cit., p.103.

 

[148]. Guastini, « Sur la validité de la constitution... », op. cit., p.221.

 

[149]Ibid., p.221.

 

[150]. A cet égard, il est significatif de voir que pour les réalistes américains, par exemple pour J.W. Bingham, la science du droit serait une subdivision de la science du gouvernement, occupée à décrypter les comportements des agents. Voir Françoise Michaut, « Réalisme », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.509.

 

[151]. Alf Ross, Towards a Realistic Jurisprudence, Copenhague, 1946,p.78, cité par Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.282. Par conséquent « le droit doit être décrit, non pas comme un système de normes valables, mais comme un agrégat d'actes effectifs de conduite humaine ». « Le droit n'est pas une norme, mais une conduite effective » (Ibid.)

 

[152]. Par exemple Karl L. Llewellyn écrit : « ce que font ces personnages officiels (les juges, les shérifs, les greffiers, les gardiens de prison ou les avocats) au sujet de conflits, constitue, à mes yeux, le vrai droit lui-même » (Françoise Michaut, « L'approche scientifique du droit chez les réalistes américains », in Paul Amselek (sous la direction de-), Théorie du droit et science, Paris, P.U.F., Coll. « Léviathan », 1994, p.272). Christophe Grzegorczyk, « La dimension positiviste des grands courants de la philosophie du droit »), in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Story-Scientia, 1992, p.52.

 

[153]. Extrait de : Felix S. Cohen, « Transcendental Nonsense and the Fonctional Approach », in Lucy Kramer Cohen (ed.), The Legal Conscience. Selected Papers of Felix S Cohen, New Haven, Yale University Press, 1960, p.337 in Grzegorczyk, Michaut et Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, op. cit., p.127.

 

[154]. Grzegorczyk, « La dimension positiviste des grands courants de la philosophie du droit », op. cit., p.53.

 

[155]. Extrait de : Karl N. Llewellyne, A Realistic Jurisprudence - the Next Step, 1930, in Grzegorczyk, Michaut et Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, op. cit., p.131.

 

[156]. Enrico Pattora, « Réalisme juridique scandinave », in André-Jean Arnaud (sous la direction de-), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2e édition, 1993, p.511. Pour l'ensemble du « réalisme juridique scandinave » voir S. Strömholm et H.-H. Vogel, Le « réalisme scandinave » dans la philosophie du droit, Paris, L.G.D.J., 1975, passim.

 

[157]. Pattaro, « Réalisme juridique scandinave », op. cit., p.511 ; Selon Ross, « la science juridique, si elle veut vraiment être une discipline scientifique, doit appliquer intégralement les critères méthodologiques en vigueur dans les sciences naturelles... et tout particulièrement le principe de vérification » (Vittoria Villa, La science du droit, Traduction d'Odile et Patrick Nerhot, Bruxelles, Paris, Story-Scientia, L.G.D.J., 1991, p.65. Pour la méthodologie de Ross et surtout pour son principe de vérification voir Villa, op. cit., p.59-77. Cf. Ricardo Guastini, « Alf Ross : une théorie du droit et de la science juridique », in Paul Amselek (sous la direction de-), Théorie du droit et science, Paris, P.U.F., Coll. « Léviathan », 1994, p.262 : « La tache de la science juridique, selon Ross, c'est la description du droit en vigueur... (Et) une norme est en vigueur lorsqu'elle est effectivement appliquée par les juges. Un système juridique n'étant, en dernière analyse, qu'un ensemble de règles de conduite pour les tribunaux, on peut conclure qu'un système juridique en vigueur est, tout simplement, un ensemble de règles qui sont réellement employées par les tribunaux dans l'élaboration de leurs décisions. De ce point de vue, le droit en vigueur est complètement identifié aux décisions des tribunaux».

 

[158]. Pattaro, « Réalisme juridique scandinave », op. cit., p.511. Cf. Guastini, «Alf Ross...», op. cit., p.263 : « Les propositions qui affirment la vigueur d'une norme, en particulier, seront vérifiées si, et seulement si, la norme en question sera réellement appliquée par les juges ».

 

[159]. Extrait de : Alf Ross, On Law and Justice, London, Stevensens & Sons, 1958, p.34, in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.323.

 

[160]Ibid.

 

[161]. Guastini, « Alf Ross... », op. cit., p.263.

 

[162]. Extrait de : Aulis Aarnio, « On the Validity, Efficacy and Acceptability of Legal Norms », in, W. Krawietz, Th. Mayer-Mly, O. Weinberger (ed.), Objectivierung des Rechtsdenkens ; Gedächtnisschrift für Ilmar Tammelo, Berlin, Duncker & Humblot, 1984, p.427-437 in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.331.

 

[163]Ibid.

 

[164]Ibid.

 

[165]Ibid.

 

[166]. Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.54.

 

[167]. Theodore M. Benditt, Laws as Rule and Principle, Stanford, 1978, p.13 cité par Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.55.

 

[168]. Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.55.

 

[169]. Olivier Wendell Holmes définit le droit comme système des prédictions de ce que feront effectivement les tribunaux dans des cas d'espèce donnée. Extrait de : Olivier Wendell Holmes, Jr., The Path of the Law, 1897, reprint in Collected Legal Papers, New York, Harcourt, Brace and Howe, 1920, p.167-202, in Grzegorczyk, Michaut et Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, op. cit., p.123). Voir également Grzegorczyk, « La dimension positiviste des grands courants de la philosophie du droit », op. cit., p.52.

 

[170]. Voir supra, Titre préliminaire, Chapitre 1, § 2, C, 5.

 

[171]. Soulignons le mot « juridiques », car à vrai dire, ces pouvoirs peuvent disposer des moyens politiques, sociaux, etc. L'examen de ces moyens, par hypothèse de notre travail, reste en dehors de notre thèse.

 

[172]. A la question de savoir s'il y a un contrat, Felix S. Cohen donne la réponse suivante : « Là où une promesse qui sera juridiquement sanctionnée, il y a un contrat » (Extrait de : Felix S. Cohen, « Transcendental and the Fonctional Approach », in Lucy Kramer Cohen (ed.), The Legal Conscience. Selected Papers of Felix S Cohen, New Haven, Yale University Press, 1960, p.337 in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.127).

 

[173]. Les termes de Llewellyn. Extrait de Karl N. Llewellyne, A Realistic Jurisprudence - the Next Step, 1930, in Grzegorczyk, Michaut et Troper (sous la direction de-), Le positivisme juridique, op. cit., p.131. 

 

[174]. Voir supra, ce chapitre, Section 1, Sous-section 1, § 1, A.

 

[175]. C'est‑à‑dire, celle selon laquelle dans les pays où il n'y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, les limites à la révision constitutionnelle ne sont pas valables.

 

[176].Voir infra, cette Section, Sous-section 2. (Le rapport entre la validité formelle et la validité matérielle).

 

[177]. Ost et van de Kerchove, op. cit., p.272 ; Modugno, op. cit., p.4 ; Conte, « Studio... », op. cit., p.334 ; J. Wroblewski et ainsi que A. Aarnio utilisent le terme « validité systémique » au lieu de la « validité formelle » (voir Wroblewski, « Verification... », cité par Aarnio, Le rationnel comme raisonnable, op. cit., p.43). Dans la théorie du droit, la validité formelle est appelée aussi la « validité tout court » ou la « validité stricto sensu ». Voir Modugno, « Validità », op. cit., p.4-5.

 

[178]. L'appartenance de la norme à un ordre normatif. Ou en termes kelséniens, l'existence spécifique de la norme, c'est-à-dire l'existence de la norme dans un ordre normatif. R. Guastini note que dans ce sens la validité signifie « membership » (Riccardo Guastini, « Sur la validité de la constitution du point de vue du positivisme juridique », in Michel Troper et Lucien Jaume (sous la direction de -), 1789 et l'invention de la constitution, Actes du colloque de Paris organisé par l'Association française de science politique, les 2, 3 et 4 mars 1989, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Bruylant, 1994, p.220).

 

[179]. Ost, « Validité », op. cit., p. 433 ; Conte, « Validità », op. cit., p.421 ; Guastini, « Sur la validité de la constitution... », op. cit., p.220.

 

[180]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.13.

 

[181]. Kelsen, « Rechtund Logik », Forum, 12, 1965, p.422, cité par Conte, « Validità », op. cit., p.422.

 

[182]. Conte, « Validità », op. cit., 422.

 

[183]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.261.

 

[184]Ibid., p.257. « Un ‘ordre’ est un système de normes dont l'unité repose sur le fait que leur validité à toutes a le même fondement » (Ibid., p.25).

 

[185]. « Les normes d'un ordre juridique dont cette norme fondamentale est le fondement de validité commun sont... n'est pas un complexe de normes en vigueur les unes à coté des autres, mais une pyramide ou hiérarchie de normes superposées, ou subordonnées les unes aux autres, supérieures ou inférieures » (Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.266).

 

[186]Ibid., p.262.

 

[187]. Conte, « Validità », op. cit., 422.

 

[188]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.261.

 

[189]Ibid.

 

[190]Ibid., p.256.

 

[191]Ibid. p.257.

 

[192]Ibid.

 

[193]Ibid.

 

[194]Ibid., p.264-265.

 

[195]Ibid., p.265.

 

[196]Ibid., p.265-266.

 

[197]Ibid., p.267.

 

[198]Ibid.

 

[199]Ibid.

 

[200]Ibid., p.265. Notons qu'Alf Ross a vivement critiqué Kelsen sur ce point. La critique de Ross consiste à dire que « la science du droit suppose une norme fondamentale qui prescrive d'obéir à la constitution, elle sort de son rôle ; elle n'est plus une science qui décrit objectivement le monde, elle n'est plus une science du tout et Kelsen n'est donc qu'un ‘quasi‑positiviste’» (Troper, « Un système pur du droit... », op. cit., p.128. Voir, Extrait de : Alf Ross, « Validity and the conflict between Legal Positivism and Natural Law », Revista Juridica de Buenos Aires 1961, IV, p. 46 et s. in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.206). En ce sens voir encore Guastini, « Sur la validité de la constitution... », op. cit., p.222-225.

Kelsen, à la fin de sa vie, a adopté une deuxième interprétation sur la norme fondamentale. Selon cette deuxième interprétation, «la norme fondamentale n'a aucun contenu et elle ne prescrit pas d'obéir à la constitution ; elle est simplement un présupposé épistémologique. Il le dit encore d'une autre façon : c'est un présupposé nécessaire de tout juriste quel qu'il soit. Donc ici la science ne fait que dévoiler l'existence de ce présupposé, que postule nécessairement tout juriste dans son travail. Tout juriste qui traite la loi comme droit, présuppose en effet que cette loi est valide et présuppose par conséquent que c'est la constitution qui est le fondement de validité de cette loi. Mais pour présupposer que la constitution est ce fondement, il faut présupposer que la constitution est elle-même valide. Donc, tout juriste qui applique sa méthode spécifique et qui décrit le droit comme le droit, présuppose une norme fondamentale. En ce sens la norme fondamentale est, dit-il dans la dernière partie de sa vie, une fiction ; on ne suppose pas que cette norme fondamentale existe. C'est une fiction à la quelle on ne peut pas ne pas avoir recours si l'on veut interpréter le droit comme droit » (Troper, « Un système pur du droit... », op. cit., p.128-129).

Kelsen, dans son ouvrage posthume Allgemeine Theorie der Normen, écrit que « la norme fondamentale n'est pas une norme positive, mais une norme simplement pensée, la signification de l'acte de volonté non pas réel, mais fictif. Dans cette mesure, elle est une fiction véritable... En effet, le présupposé d'une norme fondamentale... comme la norme fondamentale d'un ordre juridique : ‘On doit se comporter comme le prescrit la constitution historiquement première’ n'est pas seulement contraire à la réalité, puisqu'il n'existe aucune norme de ce genre qui soit la signification d'un acte de volonté réel, mais aussi contradictoire en elle-même, puisqu'elle comporte l'habilitation d'une autorité morale ou juridique suprême et présuppose une autorité - mais seulement fictive - encore supérieure à ces autorités... L'objectif de la norme fondamentale est le suivant : fonder la validité d'une norme qui constitue un ordre positif moral ou juridique, ou interpréter la signification objective des actes qui posent normes comme leur signification objective, c'est-à-dire comme les normes valides et les actes eux-mêmes comme des actes normateurs. Cet objectif ne peut être atteint que par le moyen d'une fiction » (Extrait de : Hans Kelsen, Allgemeine Theorie der Normen, Wien, 1979, p.206-207, in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.138.

 

 

--------------------------------

 

 

 

 

 

Sous-section 2
Les conditions de la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle 

 

 

 

Après avoir ainsi vu les trois conceptions de la validité juridique, nous pouvons maintenant passer à l'examen de la question de savoir quelles sont les conditions que doivent remplir des limites à la révision constitutionnelle pour qu'elles soient valables. Pour pouvoir répondre à cette question, il suffit en effet de déterminer le bien‑fondé de ces trois conceptions de la validité juridique.

Alors quelle conception (validité axiologique, validité matérielle ou validité formelle) est fondée ?

Le rejet de la conception de la validité axiologique. – On se rappellera qu'après avoir exposé la conception de la validité axiologique (validité comme justice), nous avons immédiatement refusé cette conception. Car, comme on l'a vu[1], il n'existe pas de critère objectif et universel qui permet de distinguer « ce qui est juste » de « ce qui est injuste ». Par conséquent, conformément à la théorie de Kelsen, nous pouvons conclure que la validité d'une norme est indépendante de sa valeur (justice), c'est‑à‑dire de sa validité axiologique[2]. Une norme peut être valable, c'est‑à‑dire peut exister dans un ordre juridique sans qu'elle soit juste. Le problème de la justice d'une norme n'entre pas en ligne de compte[3]. Car,

« une norme juridique n'est pas valable parce qu'elle a un certain contenu... elle est valable parce qu'elle est créée d'une certaine façon... Il suit de là que n'importe quel contenu peut être droit. Il n'existe pas de conduite humaine qui serait exclue comme telle, en raison de son fond, de la possibilité de devenir le contenu d'une norme juridique »[4].

En conclusion, en admettant la théorie kelsénienne, nous pouvons affirmer que la validité d'une limite à la révision constitutionnelle ne dépend pas de sa valeur de justice, c'est‑à‑dire de sa validité axiologique. Une limite à la révision constitutionnelle peut être valable sans qu'elle soit juste.

Le rapport entre la validité formelle et la validité matérielle. – On se rappellera également qu'après avoir exposé la conception de la validité matérielle (validité comme efficacité)[5] et la conception de la validité formelle (validité comme appartenance)[6] nous n'avons pas discuté de la question de savoir si ces conceptions sont fondées. Voyons maintenant cette question, c'est‑à‑dire celle de savoir si la validité d'une norme se détermine par son appartenance à un ordre juridique ou par son efficacité ou bien par ces deux critères à la fois. En d'autres termes, nous allons étudier ici le rapport entre la validité formelle et la validité matérielle d'une norme.

Cette question se pose dans le cas où une norme est formellement valable, c'est‑à‑dire qu'elle a été créée conformément à une norme supérieure, et cependant où elle n'est pas efficace, c'est‑à‑dire qu'elle n'est pas effectivement appliquée et suivie par ses destinataires[7].

Sur cette question, il y a deux thèses contradictoires. La première est soutenue par Alf Ross, la deuxième par Hans Kelsen,

1. La thèse d'Alf Ross. – Selon Alf Ross, la norme qui se trouve dans un tel cas n'est pas valable. Car, dans sa théorie, la validité d'une norme dépend de son efficacité. Autrement dit, l'efficacité est la condition de la validité juridique des normes. « L'effectivité, dit-il, n'est autre chose que la validité du droit »[8]. « Lorsqu'il s'agit de déterminer la validité des normes juridiques, seule importe... l'application du droit par les tribunaux »[9]. Le fondement de la validité du droit se trouve dans les décisions des tribunaux[10]. En effet, nous avons vu cette thèse plus haut sous le titre consacré à la conception de la validité matérielle[11].

2. La thèse de Hans Kelsen. – Selon Hans Kelsen, la validité d'une norme dépend essentiellement de son appartenance à un ordre juridique donné. En d'autres termes, la validité d'une norme juridique ne se confond pas avec son efficacité réelle[12]. Car,

« la validité d'une norme constitue un Sollen, et non un Sein, elle est quelque chose de différent de son efficacité, c'est‑à‑dire du fait de Sein que la norme est effectivement appliquée et obéie ou suivie (begolt), que le comportement humain qui y correspond se produit effectivement. Affirmer qu'une norme vaut, est valable, n'équivaut pas simplement à constater le fait qu'elle est appliquée et suivie effectivement »[13].

Par ailleurs, Kelsen montre que la validité et l'efficacité des normes ne coïncident pas non plus dans le temps. Car, les normes juridiques entrent en vigueur avant même qu'elles ne deviennent efficaces, « lorsqu'un tribunal applique dans un cas concret une loi qui vient seulement d'être édictée ; il applique une norme juridique valable, alors qu'elle ne peut pas être déjà devenue effective »[14].

Ainsi, dans la conception kelsénienne que nous suivons tout au long de cette section, c'est la conception de la validité formelle qui est fondée. La norme juridique se définit alors comme celle qui est appartient à un ordre juridique donné. La question de savoir si cette norme est juste ou efficace n'est pas un critère de sa définition.

* * *

Toutefois, Hans Kelsen admet qu'il peut exister une certaine corrélation entre la validité formelle et l'efficacité (validité matérielle) d'une norme[15].

Selon Kelsen, cette corrélation existe à deux égards : d'une part, entre la validité d'une norme et l'efficacité de l'ordre juridique global auquel apparient cette norme, et d'autre part, entre la validité de la norme et son efficacité elle-même. Commençons par la première

a) La validité d'une norme et l'efficacité de l'ordre juridique. - Selon Kelsen, il y a un lien entre la validité d'une norme et l'efficacité de l'ordre juridique auquel appartient cette norme. Si un ordre juridique pris globalement perd son efficacité, toutes les normes qui se trouvent dans cet ordre perdent leur validité. Parce que les normes de l'ordre juridique sont valables, si elles existent dans cet ordre, c'est‑à‑dire si elles sont créées conformément à la norme fondamentale. Et la norme fondamentale, on l'a vu, se définit, d'une façon abrégée, comme la norme qui dit qu'« on doit se conformer à la constitution ». Par conséquent, les normes juridiques sont valables, tant que cette constitution est efficace. « Dès que la Constitution et par conséquent l'ordre juridique posé sur la base de cette Constitution perdent leur efficacité en tant que tout, l'ordre juridique pris globalement et par là même chacune de ses normes en particulier perdent leur validité »[16]. En d'autres termes, « un ordre juridique est considéré comme valable si ces normes sont efficaces, c'est‑à‑dire effectivement obéies et appliquées, en gros et de façon générale »[17].

b) La validité d'une norme et le minimum d'efficacité de cette norme elle-même. - Hans Kelsen admet également qu'il peut exister une certaine corrélation entre la validité d'une norme et l'efficacité ce cette norme elle même. Car,

« on ne considère une norme juridique comme objectivement valable que si la conduite humaine qu'elle règle y correspond effectivement, tout au moins, jusqu'à un certain point. Une norme qui n'est appliquée ni suivie nulle part ni jamais, c'est‑à‑dire une norme qui, comme on s'exprime habituellement, ne bénéficie pas d'un minimum d'‘efficacité’, n'est pas reconnue comme une norme juridique objectivement valable. Un minimum d'‘efficacité’ est donc une condition de la validité des normes juridiques»[18].

En d'autres termes, selon Kelsen, « lorsqu'une norme juridique demeure dépourvue d'efficacité d'une façon durable, elle n'est plus considérée comme valable »[19]. Il convient de souligner qu'il s'agit d'« un minimum d'efficacité ». C'est‑à‑dire que pour Kelsen, « une norme juridique considérée isolement, ne perd pas sa validité par le fait qu'elle n'est pas efficace, c'est‑à‑dire qu'elle n'est pas obéie ou appliquée seulement dans un certain nombre de cas où elle devait l'être »[20]. Mais, d'un autre coté, Kelsen ne considère pas comme valable

« une norme qui n'est en fait jamais obéie ou appliquée. Et, effectivement, une norme juridique peut perdre sa validité par le fait qu'elle demeure d'une façon permanente inappliquée et non obéie : c'est ce que l'on appelle la désuétude, desuetudo. La désuétude est pour ainsi dire une coutume négative, dont la fonction per quam consiste à annuler la validité d'une norme existante »[21].

En conclusion, selon Kelsen, l'efficacité de l'ordre juridique auquel appartient la norme en question et l'efficacité de cette norme elle-même sont des conditions de sa validité.

* * *

Il convient cependant de souligner que, dans la théorie de Kelsen, la condition essentielle de la validité juridique d'une norme est toujours sa validité formelle, c'est‑à‑dire son appartenance à un ordre juridique donné. L'efficacité de l'ordre juridique auquel appartient de la norme et le minimum d'efficacité de cette norme elle‑même ne sont que des conditions additionnelles. En d'autres termes, elles sont des conditions en tant qu'il faut qu'elles s'ajoutent à l'édiction des normes juridiques pour qu'elles ne perdent pas leur validité[22]. En ce sens, Kelsen observe qu'

« une condition ne peut pas être identique à ce qui est conditionné par elle. Ainsi, les hommes ne vivent qu'à condition d'être nés, d'avoir été engendrés ; mais pour qu'ils demeurent en vie, d'autres conditions encore doivent être remplies, – par exemple, il faut qu'ils reçoivent de la nourriture. Si cette condition n'est pas remplie, ils perdent la vie. Mais la vie n'est identique ni avec le fait d'être mis au jour, ni avec le fait de recevoir de la nourriture »[23].

Hans Kelsen explique la même situation dans son General Theory of Law and State, en termes suivants :

« Chaque norme singulière perd donc sa validité quand l'ordre juridique global auquel elle appartient perd globalement son efficacité. L'efficacité de l'ordre juridique tout entier est la condition nécessaire de la validité de chacune des normes particulières de cet ordre. C'est une conditio sine qua non mais non une conditio per quam. L'efficacité de l'ordre juridique globale est la condition, mais non la raison de la validité des normes qui le constituent. Ces normes sont valides, non parce que l'ordre global est efficace, mais parce qu'elles ont été créées de la manière prévue par la constitution. Elles sont valides cependant à la seule condition que l'ordre juridique global soit efficace ; elles cessent d'être valides non seulement lorsqu'elles sont annulées selon la procédure prévue par la constitution, mais aussi lorsque l'ordre juridique global perd son efficacité. On ne peut prétendre que juridiquement les hommes doivent se comporter conformément à une certaine norme si l'ordre juridique global, dont cette norme fait partie intégrante, a perdu son efficacité »[24].

* * *

Maintenant en suivant la théorie kelsénienne, nous pouvons répondre à la question posée au début de cette sous-section, c'est‑à‑dire celle de savoir quelles sont les conditions que doit remplir une norme pour être valable. Alors nous avons une condition per quam et deux conditions sine qua non.

1. La condition per quam de la validité juridique d'une norme est sa validité formelle, c'est‑à‑dire son appartenance à un ordre juridique donné. Une norme qui n'appartient pas à un ordre juridique donné, c'est‑à‑dire, qui n'a pas été produite conformément à une norme supérieure et en dernière analyse à la norme fondamentale ne peut pas être une norme juridique valable.

2. Les conditions sine qua non :

a) La première condition sine qua non de la validité d'une norme juridique est que l'ordre juridique auquel appartient la norme en question doit être efficace. Si l'ordre juridique perd son efficacité, toutes les normes appartenant à cet ordre perdent leur validité.

b) La deuxième condition sine qua non de la validité d'une norme juridique est que la norme en question doit avoir elle-même un minimum d'efficacité. Une norme qui demeure dépourvue d'efficacité d'une façon durable ne peut pas être considérée comme valable[25]. Cependant une norme juridique prise isolément ne perd pas sa validité par le fait qu'elle n'est pas obéie ou appliquée seulement dans un certain nombre de cas où elle devait l'être. Mais, d'un autre côté, on ne considère pas comme valable une norme qui n'est en fait jamais obéie ou appliquée. En d'autres termes, une norme qui est tombée en désuétude perd sa validité juridique.

* * *

Recherchons maintenant si les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel remplissent la condition per quam et les deux conditions sine qua non de la validité juridique. Si ces limites remplissent ces conditions, elles peuvent être identifiées comme normes juridiques valables. Et dans ce cas, elles seront obligatoires conformément à l'équation kelsénienne « validité = force obligatoire » que nous avons adoptée au début de cette section.

§ 1. La condition per quam

Comme nous venons de le dire, la condition per quam de la validité juridique d'une norme est la validité formelle de cette norme. Alors maintenant recherchons si les limites à la révision constitutionnelle prévues par la constitution sont formellement valables. Nous avons plus haut[26] expliqué que la validité formelle d'une norme se détermine par son appartenance à un ordre juridique donné. Si une norme existe dans un ordre juridique, elle est formellement valable. Et pour cela, une norme doit être créée d'une façon qui est déterminée par une norme supérieure, et en dernière analyse par la norme fondamentale.

Alors pour savoir si les limites à la révision constitutionnelle sont formellement valables, il faut poser la question suivante : « ces limites appartiennent-elles à un ordre juridique donné » ? Et pour répondre à cette question, il faut rechercher si ces limites ont été créées d'une façon qui est déterminée par la norme fondamentale.

Les limites à la révision constitutionnelle dont nous parlons ici sont des limites prévues par les textes constitutionnels. En d'autres termes, comme on l'a déjà montré[27], elles sont dans la forme des dispositions constitutionnelles. Et en tant que dispositions de la constitution, elles sont formellement valables, car elles appartiennent à l'ordre juridique dont fait partie la constitution. C'est‑à‑dire, ces limites existent dans la constitution, parce que, soit, elles sont créées par le pouvoir constituant originaire[28], soit, parce qu'elles sont ajoutées à la constitution par le pouvoir de révision constitutionnelle selon la procédure déterminée par cette constitution elle-même[29]. Et l'existence de ces limites dans la constitution signifie qu'elles appartiennent à l'ordre juridique, et par conséquent, elles sont formellement valables. En conclusion, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel remplissent la condition per quam de la validité juridique.

§ 2. Les conditions sine qua non

Mais pour que les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel ne perdent pas leur validité, il faut qu'elles remplissent encore deux conditions sine qua non. Alors vérifions à présent si les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel remplissent ces deux conditions.

A. L'efficacité de l'ordre juridique auquel appartiennent les limites à la révision constitutionnelle

La première condition sine qua non de la validité juridique d'une norme est l'efficacité de l'ordre juridique auquel appartient cette norme. En d'autres termes, pour qu'une norme déjà valable ne perde pas sa validité, il faut que l'ordre juridique auquel appartient cette norme soit efficace[30]. Si l'ordre juridique global perd son efficacité, toutes les normes appartenant à cet ordre perdent leur validité[31]. Les hommes n'ont pas d'obligation d'obéir à un ordre juridique qui n'est plus efficace. En effet, dans la pratique juridique, ce problème se pose très rarement (seulement à la suite des événements révolutionnaires). Car, l'existence même de l'ordre juridique dépend de son efficacité[32]. Autrement dit, s'il existe un ordre juridique, il est nécessairement efficace. Un ordre normatif qui n'est pas efficace n'est pas un ordre juridique[33].

Recherchons alors l'efficacité de l'ordre juridique auquel appartiennent les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle. Un ordre juridique est efficace si la constitution à laquelle se rapporte la norme fondamentale de cet ordre est efficace, c'est‑à‑dire si les normes posées conformément à cette constitution sont appliquées et obéies en gros et de façon générale. Si à la suite d'une révolution, la constitution perd son efficacité, l'ordre juridique global qui est fondé sur cette constitution perd aussi son efficacité. Et dès que l'ordre juridique global perd son efficacité, les normes de cet ordre perdent leur validité. On peut donc affirmer que si l'ordre juridique global perd son efficacité à la suite d'une révolution, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle, et qui appartiennent à cet ordre, perdent leur validité. Bref après une révolution, les limites à la révision constitutionnelle prévues par la constitution ne sont plus valables, par conséquent elles ne sont plus obligatoires pour le pouvoir constituant originaire[34]. On peut donc conclure que tant qu'­il n'y a pas de révolution, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle remplissent la première condition sine qua non de la validité juridique.

B. Le minimum d'efficacité des limites à la révision constitutionnelle elles-mêmes

La deuxième condition sine qua non de la validité juridique d'une norme était le minimum d'efficacité de cette norme elle-même[35]. Selon cette condition, pour qu'une norme appartenant à un ordre juridique donné ne perde pas sa validité, elle doit avoir elle‑même un minimum d'efficacité, c'est‑à‑dire qu'elle doit être appliquée et obéie, tout au moins, jusqu'à un certain point[36]. Une norme qui demeure dépourvue d'efficacité d'une façon durable ne peut pas être considérée comme valable[37]. Cependant une norme prise isolément ne perd pas sa validité par le fait qu'elle n'est pas obéie ou appliquée seulement dans un certain nombre de cas où elle devait l'être[38]. Mais, d'un autre côté, on ne considère pas comme valable une norme qui n'est en fait jamais obéie ou appliquée. En d'autres termes, une norme, pour qu'elle reste valable, ne doit pas tomber en désuétude[39].

Maintenant recherchons si les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle remplissent cette deuxième condition sine qua non. En d'autres termes, vérifions si les limites à la révision constitutionnelle bénéficient d'un minimum d'efficacité.

* * *

Avant cette vérification, il faut résoudre un problème préalable. En effet, la vérification de la condition per quam (la validité formelle) et de la première condition sine qua non (l'efficacité de l'ordre juridique) était facile. Si une limite à la révision constitutionnelle appartenait à l'ordre juridique, elle était valable. Et s'il n'y avait pas de révolution, l'ordre juridique global était efficace. Mais la vérification de la deuxième condition sine qua non s'avère difficile ; car, cette notion kelsénienne d'« un minimum d'efficacité » reste dans plusieurs cas imprécise.

Le problème de la l'imprécision de la notion d'un minimum d'efficacité.– D'abord notons qu'il y a des auteurs, comme Jean Carbonnier ou Paul Amselek, qui critiquent la notion kelsénienne d'un minimum d'efficacité. Leur critique porte en effet sur la version de cette notion dans la première édition de la Théorie pure du droit. Et dans la première édition, Hans Kelsen expliquait la même notion par des termes un peu différents :

« L'ordre positif correspond dans une certaine mesure à la conduite effective des individus régis par lui... On peut se représenter ce rapport comme une tension entre la norme et le fait, mais pour la définir on doit se borner à indiquer une limite inférieure, en disant que la possibilité de concordance ne doit pas dépasser un maximum, ni tomber au-dessus d'un minimum »[40].

Devant cette affirmation, Jean Carbonnier posait la question suivante : « quel est le taux maximum d'ineffectivité qui est compatible avec l'existence d'une règle de droit »[41] ? Quant à Paul Amselek, il affirme qu'

« on ne saurait être plus imprécis, plus obscur : ‘dans une certaine mesure’, cela ne veut-il pas dire, suivant une réflexion très perspicace, ‘dans une mesure incertaine’? Et la science du droit peut-elle retenir, en toute rigueur, une notion aussi peu définie pour caractériser, pour spécifier l'une des notions-clés sur lesquelles elle repose »[42] ?

Rappelons que dans la deuxième édition de la Théorie pure du droit, comme on l'a vu, Kelsen, en parlant de la même condition, utilise l'expression de « la correspondance tout au moins, jusqu'à un certain point entre la norme et la conduite humaine qu'elle règle », ainsi que celle d'« un minimum d'efficacité »[43], au lieu de celle de « la correspondance dans une certaine mesure entre la norme et le fait »[44].

Alors la notion d'« un minimum d'efficacité » est-elle suffisamment précise ?

Notons toute de suite que notre réponse aussi est essentiellement négative. Néanmoins nous allons essayer ici de préciser cette notion en indiquant trois points différents de l'efficacité d'une norme : le point de l'« inefficacité totale », le point de l'« efficacité totale » , et entre ces deux, sur « un certain point », celui de l'« efficacité minimum ».

Le point de l'inefficacité totale et celui de l'efficacité totale sont précis. Ils sont objectivement déterminables. Ainsi, une norme qui n'a été jamais obéie ou appliquée dans les cas où elle devait l'être se trouve dans l'inefficacité totale ; et, une telle norme n'est pas considérée comme une norme valable. D'autre part, une norme qui a été obéie ou appliquée dans tous les cas où elle devait l'être se trouve sur le point de l'efficacité totale ; et une telle norme peut être considérée comme valable.

Cependant Kelsen n'exige pas une efficacité totale pour qu'une norme soit valable. Selon Kelsen une norme juridique considérée isolement ne perd pas sa validité par le fait qu'elle n'est pas obéie ou appliquée seulement dans un certain nombre de cas où elle devait l'être[45]. En d'autres termes, pour qu'une norme soit valable, il lui suffit d'avoir un minimum d'efficacité[46].

Mais qu'est-ce que ce « minimum » d'efficacité ? Comment se détermine-t-il? Pour avoir ce « minimum d'efficacité », jusqu'à quel point la norme doit-elle être obéie ou appliquée ? Kelsen donne la réponse suivante : « tout au moins, jusqu'à un certain point »[47].

A notre avis, cette réponse, elle non plus n'est pas précise. En conclusion, pour nous, la notion d'un « minimum d'efficacité » ainsi que l'expression « tout au moins, jusqu'à un certain point » restent imprécises. On l'a dit, une norme ne perd pas sa validité, lorsqu'elle n'est pas obéie ou appliquée seulement dans un certain nombre de cas. C'est‑à‑dire que pour qu'une norme perde sa validité, la non‑obéissance ou la non‑application de cette norme doit dépasser « un certain nombre de cas ». Mais par exemple, si la norme a été obéie ou appliquée une seule fois sur cent cas où elle devait l'être, peut-on dire qu'elle bénéficie d'un minimum d'efficacité, et par conséquent qu'elle est valable ? Si un seul cas d'obéissance ou d'application n'est pas suffisant, combien de cas d'obéissance ou d'application seront nécessaires, pour que la norme bénéficie d'un minimum d'efficacité ? En d'autres termes, à partir de combien de cas d'obéissance ou d'application, la norme obtient‑elle ce minimum d'efficacité, et ainsi devient‑elle valable ? A notre avis, on ne peut donner aucune réponse suffisamment précise à cette question.

En conséquence, il nous reste une seule question à étudier : l'inefficacité totale. Car, d'une part, selon la conception que nous avons adoptée, l'efficacité totale d'une norme n'est pas une condition de sa validité juridique, et d'autre part, comme on vient de le voir, la notion d'un « minimum d'efficacité » n'est pas une notion suffisamment précise, par conséquent on ne peut pas définir quelles sont les conditions que doit remplir une norme pour qu'elle bénéficie d'un « minimum d'efficacité ». En d'autres termes, d'une part, il n'est pas nécessaire de déterminer l'efficacité totale, et d'autre part, il n'est pas possible de déterminer l'efficacité minimum d'une norme. Alors on ne peut étudier que la question de l'inefficacité totale.

* * *

Maintenant en appliquant cette conclusion à notre problème principal, nous pouvons affirmer que l'on peut seulement déterminer les conditions que doivent remplir des limites à la révision constitutionnelle, pour qu'elles ne tombent pas dans l'inefficacité totale. Car, d'une part, l'efficacité totale de ces limites n'est pas nécessaire pour leur validité juridique, et d'autre part, le minimum d'efficacité de ces limites ne peut être objectivement déterminée. Alors, une limite à la révision constitutionnelle considérée isolément ne perd pas sa validité par le fait qu'elle n'est pas respectée seulement dans un certain nombre de cas par le pouvoir de révision constitutionnelle[48]. En d'autres termes, pour qu'une limite à la révision constitutionnelle soit valable, il lui suffit d'avoir un minimum d'efficacité, c'est‑à‑dire qu'elle doit être observée tout au moins, jusqu'à un certain point[49]. Mais comme on vient de le dire, cette notion d'un minimum d'efficacité est imprécise. Par conséquent, on peut déterminer seulement si une limite à la révision constitutionnelle est tombée dans l'inefficacité totale.

L'inefficacité totale des limites à la révision constitutionnelle. – En suivant les développements ci-dessus, on peut donc affirmer qu'une limite à la révision constitutionnelle qui n'a été jamais obéie ou appliquée dans tous les cas où elle devait l'être se trouve dans l'inefficacité totale. Et l'inefficacité totale de la limite perd sa validité, autrement dit une disposition de la constitution qui prévoit une limite à la révision constitutionnelle qui ne bénéficie d'aucune efficacité n'est pas considérée comme une norme juridique valable. C'est‑à‑dire que l'inefficacité complète d'une limite à la révision constitutionnelle est incompatible avec la validité de cette limite. En employant les termes de Kelsen, on peut affirmer que si une disposition de la constitution qui prévoit des limites à la révision constitutionnelle n'est appliquée ni suivie nulle part ni jamais, elle n'est pas reconnue comme une norme juridique objectivement valable[50]. Lorsqu'une limite à la révision constitutionnelle demeure dépourvue d'efficacité d'une façon durable, elle n'est plus considérée comme valable[51]. Autrement dit, on ne considère pas comme valable une limite à la révision constitutionnelle inscrite dans le texte constitutionnel qui n'est en fait jamais obéie ou appliquée. Et effectivement, une telle limite peut perdre sa validité par le fait qu'elle demeure d'une façon permanente inappliquée et non obéie[52]. En d'autres termes, une limite à la révision constitutionnelle inscrite dans le texte constitutionnel, pour qu'elle reste valable, ne doit pas tomber en désuétude.

Alors recherchons maintenant les conditions nécessaires pour que les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel ne tombent pas dans l'inefficacité totale.

Les conditions nécessaires pour que les limites à la révision constitutionnelle ne tombent pas dans l'inefficacité totale. – En haut nous avons dit qu'une disposition de la constitution qui prévoit une limite à la révision constitutionnelle qui n'a été jamais obéie ou appliquée dans les cas où elle devait l'être se trouve dans l'inefficacité totale ; et, qu'une telle disposition n'est pas considérée comme une norme valable.

Maintenant cherchons pourquoi une disposition de la constitution qui prévoit une limite à la révision constitutionnelle tombe dans l'inefficacité totale. En d'autres termes pourquoi une limite à la révision constitutionnelle inscrite dans le texte constitutionnel ne s'applique pas dans les cas où elle devait l'être ? Pourquoi une telle limite demeure-t-elle dépourvue d'efficacité d'une façon durable ? Autrement dit, pourquoi une disposition de la constitution qui prévoit une limite à la révision constitutionnelle tombe-t-elle en désuétude ? Et par conséquent qu'est-ce qui est nécessaire pour qu'une limite à la révision constitutionnelle inscrite dans le texte constitutionnel ne demeure pas d'une façon permanente dans l'inefficacité totale ?

Pour répondre à ces questions, il convient d'abord de déterminer ce qu'on entend par « efficacité ». Car, il y a plusieurs façons de comprendre l'efficacité d'une norme juridique. Par exemple, on peut penser que la norme est efficace, « si et seulement si la conduite des citoyens montre qu'ils la suivent régulièrement, autrement dit si la norme est, en ce sens, effective dans la société »[53]. Dans ce sens, une norme peut être efficace sans avoir besoin d'être appliquée par les autorités. Par contre selon une autre conception, une norme est efficace, si et seulement si elle a été appliquée par les autorités, surtout par les tribunaux. C'est‑à‑dire dans ce sens « le droit est réalisé dans la société quand il est mis en application par les organes de pouvoir »[54].

Nous préférons la conception kelsénienne de l'efficacité des normes juridiques. Selon Kelsen,

« lorsqu'une norme juridique attache à la condition d'une certaine conduite la conséquence d'une sanction, faisant ainsi de la conduite en question un délit, on devra dire que cette norme est ‘efficace’, soit lorsqu'elle est appliquée dans les cas concrets par les organes de l'ordre juridique, par les tribunaux, c'est‑à‑dire lorsque la sanction est ordonnée et exécutée quand la norme le prévoit, soit également lorsqu'elle est suivie par les sujets, c'est‑à‑dire lorsqu'ils manifestent la conduite qui évite la sanction »[55].

Ainsi, pour nous, conformément à la conception kelsénienne, l'efficacité d'une norme peut résulter de l'application d'une sanction dans un cas concret par un tribunal ou du fait qu'elle est suivie par les sujets par la crainte de sanction.

Alors pour qu'une norme soit efficace, dans les cas où elle doit être suivie par ses destinataires, d'une part, les conduites de ses destinataires doivent être conformes à cette norme, et d'autre part et en dernière analyse, s'il y a des conduites non-conformes à cette norme, elles doivent être sanctionnées par les tribunaux. Bref, une norme doit être obéie par ses destinataires ou (en dernière analyse) appliquée par les tribunaux.

Alors selon cette conception, nous pouvons affirmer que, pour qu'une disposition de la constitution qui prévoit une limite à la révision constitutionnelle soit efficace, en cas de révision constitutionnelle, le destinataire de cette disposition, c'est‑à‑dire le pouvoir de révision constitutionnelle, doit se conformer à cette limite. Et si ce pouvoir ne se conforme pas à cette limite, c'est‑à‑dire qu'il fait une loi de révision constitutionnelle contraire à cette limite, elle doit être sanctionnée par les tribunaux. Bref, une limite à la révision constitutionnelle doit être respectée par le pouvoir de révision constitutionnelle et si ce n'est pas le cas, elle doit être appliquée par les tribunaux. C'est‑à‑dire qu'en dernière analyse, l'efficacité d'une limite à la révision constitutionnelle inscrite dans le texte constitutionnel dépend de son application par les tribunaux.

Ainsi on arrive à peu près à la même conclusion que celle de la théorie réaliste sur la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle. On se rappellera que selon cette théorie[56], les dispositions de la constitution qui prévoient les limites à la révision constitutionnelle sont valables, si elles sont efficaces, autrement dit, suivies et appliquées effectivement par leur destinataire, c'est‑à‑dire par le pouvoir de révision constitutionnelle et que la vérification de l'efficacité d'une disposition consiste dans son application par les tribunaux[57].

D'autre part, rappelons-nous que le destinataire des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle est le pouvoir de révision constitutionnelle. Et celui-ci, comme on l'a vu dans le titre préliminaire[58], est un pouvoir supérieur aux autres pouvoirs constitués. Car, il exerce une fonction constituante sur les autres pouvoirs constitutionnels. En révisant la constitution, il peut redéfinir l'organisation et le fonctionnement des organes législatif, et exécutif. Les dernières ne disposent pas de moyens juridiques suffisants pour répondre au pouvoir de révision. Parce que les normes posées par le pouvoir de révision constitutionnelle, c'est‑à‑dire les lois constitutionnelles, occupent un rang supérieur à celles posées par les pouvoirs législatif ou exécutif.

En conséquence, la question de savoir si les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont efficaces dépend en dernière analyse de leur application par les tribunaux. Cette application ne peut se réaliser que par l'invalidation des lois constitutionnelles qui seraient contraires aux dispositions de la constitution qui leur imposent des limites. Et l'invalidation de telles lois implique l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Alors l'efficacité des limites à la révision constitutionnelle dépend de l'existence du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.

Ainsi arrive‑t‑on au problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Notons que c'est un problème assez compliqué, auquel nous avons réservé le deuxième titre de la deuxième partie de notre thèse. Pour l'instant continuons notre raisonnement en disant que si, et seulement s'il existe un tel contrôle, les lois de révision constitutionnelle contraires à ses limites peuvent être annulées. En d'autres termes, seul un organe chargé de vérifier la conformité des lois de révision constitutionnelle aux dispositions de la constitution qui leur imposent des limites peut statuer sur la validité de telles lois. Comme on va le voir dans la deuxième partie, cet organe peut être une cour suprême ou une cour constitutionnelle capable de contrôler la constitutionnalité, non seulement des lois ordinaires, mais aussi des lois constitutionnelles.

Alors seulement dans les pays où il y a un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, on peut affirmer que les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ne tomberont dans l'inefficacité totale. En d'autres termes, dans le cas où ces dispositions ne sont pas respectées, c'est‑à‑dire où le pouvoir de révision constitutionnelle a fait une loi de révision constitutionnelle contraire à ces dispositions, si cette loi est annulable par une telle cour, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle ne tomberont pas dans l'inefficacité totale, c'est‑à‑dire qu'elles peuvent bénéficier d'un minimum d'efficacité[59]. Par contre, dans un pays où il n'existe pas un tel contrôle, ces dispositions risquent[60] de tomber dans l'inefficacité totale. Car, en dernière analyse, puisqu'il n'existe pas de cour qui va les appliquer au cas où elles ne sont pas respectées, le pouvoir de révision constitutionnelle aurait la possibilité de ne pas s'y conformer. Ainsi le problème se concentre sur l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un pays donné.

Nous avons déjà annoncé que dans la deuxième partie de ce travail, nous allons examiner le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par conséquent, à la fin de notre travail, nous pouvons donner une réponse à la question de savoir si, dans tel ou tel pays, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel risquent de tomber dans l'inefficacité totale. Mais pour l'instant nous pouvons noter que dans les pays où il y a un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ces limites ne tomberont pas dans l'inefficacité totale (c'est‑à‑dire, en ce sens, elles bénéficieront d'un minimum d'efficacité). Car, dans le cas où elles ne sont pas observées, la loi constitutionnelle risque d'être annulée par l'organe chargé de contrôler la conformité de cette loi à ses limites. Par contre dans les pays où il n'existe pas un tel contrôle, ces limites risquent de tomber dans l'inefficacité totale. Parce que le pouvoir de révision constitutionnelle pourrait éventuellement avoir la possibilité de ne pas s'y conformer.

En conclusion, l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est décisive pour la question de l'inefficacité totale des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel. Dans les pays où il existe un tel contrôle ces limites ne seront pas dans l'inefficacité totale. Par contre dans les pays où il n'existe pas un tel contrôle, elles risquent de tomber dans l'inefficacité totale.

Conclusion

Avant de fermer cette section qui est consacrée à l'appréciation de la question de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel, il convient de récapituler les conclusions que nous avons faites dans les différents endroits de cette section.

1. Nous avons d'abord remarqué que les limites à la révision constitutionnelle dont nous discutons ici la valeur juridique ne sont pas en effet autre chose que des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle. Alors, dans ce cas, discuter la valeur juridique des « limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels » revient à discuter la valeur juridique des dispositions constitutionnelles. En d'autres termes, le problème de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle se transforme en celui de savoir si les dispositions constitutionnelles ont une valeur juridique. En conséquence celui qui veut résoudre la question de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle doit raisonner sur la question de la valeur juridique des dispositions de la constitution, non pas directement sur ces limites. Si les dispositions de la constitution en général ont une valeur juridique, ces limites l'ont aussi. Bref, il faut d'abord résoudre la question de la valeur juridique des dispositions de la constitution.

2. Ensuite, nous avons posé la question en terme de « force obligatoire » au lieu de « valeur juridique ». Car, la « valeur juridique », étant un terme vague, comporte plusieurs sens ; tandis que celui de « force obligatoire » a un sens plus ou moins défini. De plus, ce que l'on cherche sous la question de la valeur juridique de ces limites, c'est de savoir si ces limites obligent juridiquement leur destinataire, c'est‑à‑dire, sont obligatoires ou non à l'égard du pouvoir de révision constitutionnelle.

3. Nous avons montré que si l'on pose le problème en ces termes, la question de l'obligatoriété des limites à la révision constitutionnelle se transforme en celle de « validité juridique » de ces limites. Car, dans la conception que nous avons adoptée, il y a une équation entre la validité juridique et l'obligatoriété d'une norme. Autrement dit, dire que « cette limite à la révision constitutionnelle est valable », cela revient au même que de dire que « cette limite est obligatoire ». Par conséquent, nous avons conclu que la force obligatoire des limites à la révision constitutionnelle dépend de leur validité juridique. Alors, dans ce cas, au lieu de discuter le bien-fondé des thèses soutenues dans la doctrine classique du droit constitutionnel sur la valeur juridique de ces limites, il suffit de montrer simplement leur validité juridique. Car si elles sont valables, elles seront nécessairement obligatoires.

* * *

I. Bref, en observant que, pour qu'une limite à la révision constitutionnelle soit obligatoire, elle doit être valable, nous sommes arrivé à la question de savoir quelles sont les conditions que doit remplir une limite à la révision constitutionnelle pour être valable. En effet, pour pouvoir déterminer les conditions de la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle, nous avons d'abord étudié la notion de validité juridique elle‑même.

A. Avant même d'examiner la notion de validité juridique d'une norme, nous avons relevé trois questions préliminaires. La première est celle de l'existence matérielle de ces limites. Car, pour qu'elles soient valables, ces limites doivent tout d'abord matériellement exister. L'existence matérielle de ces limites étant établie, se pose ensuite une deuxième question : celle de leur normativité. Pour être valable, ces limites doivent être de nature de norme. Mais les normes qui existent ne sont pas seulement des normes juridiques, il y a aussi des normes sociales, morales, religieuses, etc. Alors une limite à la révision constitutionnelle doit être une norme, mais à son tour cette norme doit être d'ordre juridique. Ainsi se pose la troisième question, celle de la juridicité des limites à la révision constitutionnelle. On peut alors conclure que pour que les limites à la révision constitutionnelle soient valables, premièrement elles matériellement exister, deuxièmement elles doivent avoir le caractère normatif, troisièmement elles doivent être d'ordre juridique.

Nous avons montré que les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel remplissent ces trois conditions préliminaires. D'abord, ces limites sont matériellement existantes, car elles se trouvent dans un document, c'est‑à‑dire dans le texte de la constitution. Deuxièmement, ces limites ont le caractère normatif, car le document auquel on est confronté a une signification de norme ; autrement dit, il pose un Sollen, c'est‑à‑dire, dans notre cas, un ordre, une prescription, à savoir de ne pas réviser la constitution sur tel ou tel point, ou pendant un certain délai. Troisièmement, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel sont d'ordre juridique. Car, en tant que des dispositions de la constitution, elles font partie d'un ordre normatif. Et l'ordre normatif auquel appartient la constitution est un ordre juridique, parce que, cet ordre, pris dans son ensemble, est sanctionné. Alors il faut conclure que, ayant l'existence matérielle et le caractère de norme, et étant d'ordre juridique, les limites à la révision constitutionnelle prévues par les dispositions de la constitution remplissent toutes les conditions préliminaires pour être valables, par conséquent obligatoires.

B. Ensuite, avant de déterminer les conditions de la validité juridique des limites, nous avons défini la notion de validité juridique et ses critères. Ainsi a‑t‑on expliqué que la validité juridique d'une norme s'apprécie en référence à trois critères différents : un critère éthique comme les valeurs, surtout la justice, un critère sociologique comme l'efficacité et un critère formaliste comme l'existence spécifique de la norme. Par conséquent, il y a trois conceptions de la validité juridique : la validité axiologique, la validité matérielle et la validité formelle. D'ailleurs, on a noté que la première conception est privilégiée par la théorie du droit naturel, la deuxième par la théorie réaliste américaine et scandinave, et la troisième par la théorie positiviste.

1. Ainsi, nous avons noté que, selon la conception de la validité axiologique, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle sont valables, si et seulement si elles sont justes. Et à notre avis, ce résultat est inacceptable. Car il n'existe pas un critère objectif et universel qui permet de distinguer les « limites à la révision constitutionnelle justes » des « limites injustes » ; parce que la justice n'est pas une valeur absolue. L'idée de justice change pour chaque individu. C'est‑à‑dire que chacun peut apprécier comme il l'entend la valeur juridique d'une limite à la révision constitutionnelle. Dans ce cas, une limite serait valable pour les uns, et non-valable pour les autres. Il est évident qu'un tel résultat n'est donc pas objectif, par conséquent admissible.

2. Dans la conception de la validité matérielle, une disposition de la constitution qui prévoit des limites à la révision constitutionnelle est valable, si et seulement si elle est efficace, c'est‑à‑dire effectivement suivie par le pouvoir de révision. Et selon cette conception, l'efficacité d'une telle disposition dépend en dernière analyse de son application par les tribunaux. Par conséquent dans les pays où il n'existe pas un organe chargé de contrôler la conformité des lois de révision constitutionnelle aux dispositions de la constitution qui leur imposent des limites, ces limites ne sont pas efficaces, par conséquent elles ne sont pas valables.

2. Et troisièmement, dans la conception de la validité formelle, la validité d'une norme se détermine par son existence dans un ordre juridique, autrement dit par son appartenance à un ordre juridique donné. Ainsi les limites à la révision constitutionnelle sont valables, si et seulement si elles existent dans un ordre juridique, si elles appartiennent à un ordre juridique donné. Par conséquent les limites à la révision constitutionnelle prévues par la constitution sont valables, parce qu'elles font partie de la constitution qui est un élément de l'ordre juridique.

II. Ainsi, après avoir vu les critères de la validité juridique d'une norme, nous nous sommes attaché à déterminer les conditions de la validité juridique des dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle.

D'abord, nous avons refusé de considérer le critère de justice (validité axiologique) comme une condition de la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle. C'est‑à‑dire qu'une limite à la révision constitutionnelle peut être valable, même si elle n'est pas conforme aux idées de justice de telle ou telle doctrine. En revanche, nous avons accepté le critère de l'appartenance (validité formelle) comme la condition per quam, et le critère de l'efficacité (validité matérielle) comme la condition sine qua non de la validité juridique d'une limite à la révision constitutionnelle.

A. La condition per quam de la validité juridique d'une limite à la révision constitutionnelle est sa validité formelle, c'est‑à‑dire son appartenance à un ordre juridique donné. Une limite qui n'appartient pas à un ordre juridique donné, c'est‑à‑dire, qui n'a pas été produite conformément à une norme supérieure et en dernière analyse, à la norme fondamentale, ne peut pas être considérée comme une norme juridique valable. Et nous avons montré que, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte constitutionnel remplissent la condition per quam, c'est‑à‑dire l'appartenance à un ordre juridique. Car, ces limites sont dans la forme des dispositions constitutionnelles. Et en tant que dispositions de la constitution, elles appartiennent à l'ordre juridique dont fait partie la constitution.

B. Il y a également deux conditions sine qua non de la validité juridique des limites à la révision constitutionnelle. Nous avons souligné que ces deux conditions sont exigées, non pas pour qu'une limite à la révision constitutionnelle soit valable, mais pour qu'une limite déjà valable ne perde pas sa validité juridique.

1. La première condition sine qua non de la validité juridique d'une limite à la révision constitutionnelle est l'efficacité de l'ordre juridique auquel appartient cette limite. En d'autres termes, pour qu'une limite déjà valable ne perde pas sa validité, il faut que l'ordre juridique auquel appartient cette limite soit efficace. Car, si l'ordre juridique global perd son efficacité, toutes les normes appartenant à cet ordre perdent aussi leur validité.

2. La deuxième condition sine qua non de la validité juridique d'une limite à la révision constitutionnelle est le minimum d'efficacité de cette limite elle-même. En d'autres termes, pour qu'une limite à la révision constitutionnelle qui remplit la condition per quam ne perde pas sa validité, elle doit avoir elle-même un minimum d'efficacité. Une limite à la révision constitutionnelle inscrite dans le texte constitutionnel qui est tombée en désuétude perd sa validité juridique. Même si une limite prise isolément ne perd pas sa validité par le fait qu'elle n'est pas obéie ou appliquée seulement dans un certain nombre de cas où elle devait l'être, on ne peut pas considérer comme valable une limite à la révision constitutionnelle qui n'est en fait jamais obéie ou appliquée.

En ce qui concerne la première condition sine qua non, nous avons remarqué que, tant qu'il n'y a pas de révolution, l'ordre juridique auquel appartiennent les limites à la révision constitutionnelle est un ordre efficace. Mais, si l'ordre juridique global perd son efficacité à la suite d'une révolution, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle, et qui appartiennent à cet ordre, perdent aussi leur validité. Bref après une révolution, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution ne sont plus valables, par conséquent elles ne sont plus obligatoires pour le pouvoir constituant originaire. On a donc affirmé que tant qu'­il n'y a pas de révolution, les dispositions de la constitution qui prévoient des limites à la révision constitutionnelle remplissent la première condition sine qua non de la validité juridique.

Par contre, nous avons conclu que la vérification de la deuxième condition sine qua non s'avère difficile. Car, le « minimum d'efficacité » est une notion imprécise. Néanmoins nous avons essayé de préciser cette notion en indiquant trois points différents de l'efficacité des limites à la révision constitutionnelle : le point de l'inefficacité totale, le point de l'efficacité totale, et entre ces deux, sur « un certain point », celui de l'efficacité minimum. Le point de l'inefficacité totale et celui de l'efficacité totale sont précis. Ils sont objectivement déterminables. Ainsi, une disposition de la constitution qui prévoit une limite à la révision constitutionnelle qui n'a été jamais obéie ou appliquée dans les cas où elle devait l'être se trouve dans l'inefficacité totale ; et, une telle disposition n'est pas considérée comme une norme valable. D'autre part, une disposition de la constitution qui prévoit une limite à la révision constitutionnelle qui a été obéie ou appliquée dans tous les cas où elle devait l'être se trouve sur le point de l'efficacité totale ; et une telle limite est considérée comme valable. Par contre le point de l'efficacité minimum n'est pas suffisamment précis. Car, on ne peut pas donner une réponse objective à la question de savoir à partir de quel point la limite à la révision constitutionnelle bénéficie d'un minimum d'efficacité.

Toutefois, nous avons remarqué que l'existence du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un pays donné est un élément assurant un minimum d'efficacité aux limites à la révision constitutionnelle. Alors, pour que les limites à la révision constitutionnelle ne tombent dans l'inefficacité totale, il faut qu'il y ait le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Sans quoi, une limite à la révision constitutionnelle appartenant à l'ordre juridique risque de tomber dans l'inefficacité totale, et par conséquent de perdre sa validité juridique.

Ainsi, tout le problème se concentre sur l'existence d'un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un pays considéré. C'est pourquoi, nous avons réservé le deuxième titre de la deuxième partie de notre thèse à ce problème.

En conclusion, dans les pays où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible, et tant qu'il n'y a pas de révolution, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels remplissent la condition essentielle et les conditions supplémentaires pour être valables. Ainsi elles appartiennent à l'ordre juridique qui est efficace et elles bénéficient elles-mêmes d'un minimum d'efficacité, et par conséquent elles sont valables. De même, en vertu de notre équation « validité = force obligatoire », elles sont obligatoires, c'est-à-dire qu'elles s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.


 

[1]. Cette sous-section, § 1, A.

 

[2]. Notons que les post-positivistes ne sont pas de cet avis. Le point de départ du post-positivisme est « le constat de la permanence des oppositions entre les trois principaux courants théoriques, à savoir le jusnaturalisme, le positivisme et le réalisme juridiques, chacun insistant sur certaines faiblesses évidentes des deux autres, mais aucun n'arrivant à s'imposer au détriment de ses concurrents » (Grzegorczyk, « La dimension positiviste des grands courants de la philosophie du droit », op. cit., p.63). Dans un article programmatique de 1981, les trois post-positivistes (A. Aarnio, R. Alexy et A. Peczenik) constatent que « les imperfections de chacune de ces doctrines sont devenues trop évidentes. L'objectif de la théorie du droit pour le reste de ce siècle n'est pas le choix entre les courants dont chacun sort affaibli de décennies d'analyse critique, mais la collection de leurs parties demeurées intactes. La constitution d'une théorie juridique intégrale ou globale - voilà ce que doit être sa tâche » (Extrait de : Aulis Aarnio, Robert Alexy et Aleksander Peczenik, « The Foundation of Legal Reasoning », Rechtstheorie, 12, in Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut et Michel Troper (sous la direction de -), Le positivisme juridique, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Story-Scientia, 1992, p.159). Par exemple, Aulis Aarnio, étant un post-positiviste, définit la validité d'une norme par trois critères ci-dessus, c'est‑à‑dire la validité systémique, l'efficacité et l'acceptabilité. L'auteur utilise le terme « acceptabilité » pour la validité axiologique (Aarnio, Le rationnel comme raisonnable op. cit., p.43). Selon lui, la validité d'une norme ne dépend pas seulement de sa validité systémique et de son efficacité, mais aussi de son acceptabilité. «Un système juridique, dit-il, est un ordre juridique si et seulement si certains critères moraux sont respectés» (Aarnio, Le rationnel comme raisonnable op. cit., p.49). A titre d'exemples, il évoque les systèmes juridiques des régimes de Hitler et de Pol Pot. « De tels régimes, dit Aarnio, nous confrontent nécessairement à des sérieuses questions portant sur l'acceptabilité de l'ordre juridique. Dans des cas extrêmes, le système normatif dans son entièreté doit être rejeté en tant qu'ordre juridique » (Ibid.).

 

[3]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.267.

 

[4]Ibid., p.262-263

 

[5]. Cette section, sous-section 1, § 2, B.

 

[6]. Cette section, sous-section 1, § 2, C.

 

[7]. En ce qui concerne les dispositions de la constitution, une telle question est posée par Dmitri Georges Lavroff : « est-ce qu'un texte de nature constitutionnelle garde sa valeur lorsqu'il est ouvertement et gravement violé? » (Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.90). Selon le président Lavroff, « le non-respect renouvelé des dispositions de la constitution, l'existence d'un décalage trop grand entre la norme constitutionnelle et la pratique constitutionnelle, entraînent une désuétude de la norme constitutionnelle et, du même coup, sa disparition. La chose est..., particulièrement nette sous la Ve République où... il y a une méconnaissance très profonde des règles constitutionnelles pour tout ce qui concerne la structure organique du pouvoir et les rapports entre les organes constitutionnels. Alors qu'il est patent que les dispositions inscrites dans la Constitution sont ouvertement violées..., il n'y a aucun moyen permettant d'obtenir un respect rigoureux de la Constitution » (Ibid.).

 

[8]. Extrait de : Alf Ross, On Law and Justice, London, Stevens & Sons, 1958, p.34 in Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.323.

 

[9]Ibid., p.323-324.

 

[10]Ibid.

 

[11]. Cette sous-section, § 1, B.

 

[12]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.286.

 

[13]Ibid., p.14-15.

 

[14]Ibid. p.15.

 

[15]Ibid., p.15, 286.

 

[16]Ibid., p.287. Il convient de noter que l'ordre juridique ne perd pas sa ­validité, lorsque « l'une d'entre ses normes juridiques perd son efficacité, c'est‑à‑dire n'est plus appliquée soit du tout soit dans un certain nombre de cas » (Ibid.).

 

[17]Ibid.

 

[18]Ibid., p.14-15.

 

[19]Ibid., p.15. C'est nous qui soulignons. Il convient de préciser ce qu'entend Kelsen par l'efficacité des normes juridiques. « Lorsque, dit Kelsen, une norme juridique attache à la condition d'une certaine conduite la conséquence d'une sanction, faisant ainsi de la conduite en question un délit, on devra dire que cette norme est ‘efficace’, soit lorsqu'elle est appliquée dans les cas concrets par les organes de l'ordre juridique, par les tribunaux, c'est-à-dire lorsque la sanction est ordonnée et exécutée quand la norme le prévoyait, soit également lorsqu'elle est suivie par les sujets, c'est-à-dire lorsqu'ils manifestent la conduite qui évite la sanction » (Ibid.)

 

[20]Ibid. « Bien au contraire..., il est indispensable qu'il puisse y avoir contrariété entre ce qu'une norme statue comme devant avoir lieu et ce qui se passe effectivement ; une norme qui poserait que doit avoir lieu - au sens du Sollen - une chose dont il serait certain par avance que, selon une loi naturelle, elle doit nécessairement arriver, une telle norme serait dépourvue de sens ; on ne pourrait pas la considérer comme une norme valable» (Ibid., p.287-288).

 

[21]Ibid., p.288. « L'efficacité est une condition de la validité, mais elle n'est pas cette validité elle-même » (Ibid.). De plus, « si l'on réduit la validité à une réalité naturelle quelconque, on est hors d'état de saisir le sens authentique dans lequel le droit s'adresse à la réalité qui peut soit être conforme aux normes juridiques, soit y être contraire » (Ibid., p.269). Kelsen, dans sa critique adressée à Alf Ross, affirme qu'« exclure la notion de validité de la notion de droit, c'est éliminer l'élément spécifique juridique, c'est-à-dire l'élément original qui est proprement le critère décisif de cette conduite qui forme l'objet de la science du droit » (Ibid., p.283). Car, l'idée de normativité ne peut pas être exclue de la notion de droit. Et cette idée n'est pas autre chose que celle d'une norme de Sollen (Ibid.). Par conséquent « on ne peut pas définir la notion du droit sans avoir recours à la notion de validité normative » (Ibid., p,284).

 

[22]Ibid., p.15. C'est nous qui soulignons.

 

[23]Ibid., p.287.

 

[24]. Kelsen, General Theory of Law and State, op. cit., p.118-119. (Traduction de ce passage appartient à Grzegorczyk, Michaut et Troper, op. cit., p.326-327).

 

[25]. Par contre, selon Guy Héraud, la validité particulière de chaque pièce de l'ordre juridique se définit seulement par la validité formelle. Ainsi, tout acte émis conformément au droit est valable (Héraud, Validité juridique, op. cit., p.483). Ainsi, pour lui, la sanction est le propre de l'ordre juridique in globo, et non pas de ses éléments ut singuli (op. cit., p.479). Par conséquent pour Guy Héraud, pour la validité d'une norme particulière cette condition supplémentaire, c'est-à-dire l'efficacité minimum, n'est pas exigée. En d'autres termes, une norme appartenant à un ordre juridique peut être valable sans qu'elle soit elle-même efficace ; à condition que l'ordre juridique auquel appartient la norme en question soit efficace (Ibid., p.479-484). En ce sens voir encore Marc Vanquickenborne, « Quelques réflexions sur la notion de validité », Archives de philosophie du droit, 1968, p.191 : « Si la loi n'est pas appliquée correctement par les tribunaux, elle ne perd pas sa validité, car celle-ci est uniquement fonction de sa conformité à la Constitution. C'est pourquoi, l'inobservance d'une loi de la part des citoyens n'a également aucune influence sur sa validité. Ainsi selon G. Héraud et M. Vanquickenborne, il y a une corrélation entre les notions de validité et d'efficacité, mais, à condition que l'efficacité soit le caractère de l'ordre juridique in globo, non pas de la norme juridique prise séparément. En d'autres termes si une norme appartient à un ordre juridique efficace, cette norme est valable, même si cette norme prise séparément n'est pas efficace. (Héraud, op. cit., p.478-479 : « La validité est pour l'ordre juridique, pris comme un tout, le synonyme d'existence : un ordre n'est juridique que s'il est mû, soutenu, par la plus grande force ». Vanquickenborne, op. cit., p.191 : « Mais lorsqu'il s'agit de déterminer la validité de tout un système , il faut admettre qu'elle coïncide simplement avec son efficacité ». Ainsi nous pouvons conclure que ces auteurs n'exigent pas notre deuxième condition supplémentaire, c'est-à-dire l'efficacité minimum de la norme juridique en question. Pour eux, il n'y a qu'une seule condition supplémentaire : l'efficacité de l'ordre juridique in globo.

 

[26]. Cette section, sous-section 1, § 2, C.

 

[27]. Cette section, sous-section 1, § 2, A.

 

[28]. Par exemple, le dernier alinéa de l'article 89 de la Constitution française de 1958 (la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision) a été adopté de cette façon.

 

[29]. Par exemple, le paragraphe 3 de l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 (la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision) a été ajouté à cette loi par la loi du 14 août 1884 par le pouvoir de révision conformément la procédure prévue par la loi constitutionnelle du 25 février 1875.

 

[30]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.286.

 

[31]Ibid., p.287.

 

[32]Ibid.

 

[33]. Dans ce sens Michel Virally remarque à juste titre que « le problème de l'effectivité ne se pose pas pour l'ordre juridique. Ou, plutôt, il se confond avec celui de son existence. Un ordre juridique est effectif ou bien il n'est pas. On peut concevoir une norme dépourvue d'effectivité... mais non pas un ordre juridique » (Virally, La pensée juridique, op. cit., p.140).

 

[34]. On se rappellera que dans le titre préliminaire (chapitre 2, section 2, § 1) nous avons conclu que les limites à la révision constitutionnelle ne s'imposent pas à l'exercice du pouvoir constituant originaire. Ainsi nous venons d'affirmer la même conclusion du point de vue de la théorie de la validité juridique aussi.

 

[35]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.14-15, 287-288.

 

[36]Ibid., p.14-15.

 

[37]Ibid., p.15.

 

[38]Ibid., p.287.

 

[39]Ibid., p.288.

 

[40]. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Trad. par Henri Thévenaz, Neuchâtel, La Bocannière, 1953, p.118 (1988, p.127). Dans la deuxième édition de la Théorie pure du droit, Kelsen dit : « On ne considère une norme juridique comme objectivement valable que si la conduite humaine qu'elle règle y correspond effectivement, tout au moins, jusqu'à un certain point. Une norme qui n'est appliquée ni suivie nulle part ni jamais, c'est-à-dire une norme qui, comme on s'exprime habituellement, ne bénéficie pas d'un minimum d'efficacité, n'est pas reconnue comme une norme juridique objectivement valable. Un minimum d'efficacité est donc une condition de la validité des normes juridiques » (Kelsen, Théorie pure du droit, (Traduction française de la 2e édition de la « Reine Rechtslehre par Ch. Eisenmann), op. cit., p.14-15. C'est nous qui soulignons). « Lorsqu'une norme juridique demeure dépourvue d'efficacité d'une façon durable, elle n'est plus considérée comme valable » (Ibid., p.15. C'est nous qui soulignons).

 

[41]. Jean Carbonnier, « Effectivité et ineffectivité de la règle de droit », L'Année sociologique, 1957-1958, 3e série, p.13-14, cité par Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.334.

 

[42]. Amselek, Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit, op. cit., p.334.

 

[43]. Voir Kelsen, Théorie pure du droit, (Traduction française de la 2e éd. de la « Reine Rechtslehre par Ch. Eisenmann), op. cit., p.14-15.

 

[44]. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Trad. par Henri Thévenaz, Neuchâtel, La Bocannière, 1953, p.118 (1988, p.127) : « L'ordre positif correspond dans une certaine mesure à la conduite effective des individus régis par lui... [Le] rapport... entre la norme et le fait... ».

 

[45]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.287. C'est nous qui soulignons. Notons que l'abréviation « Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., » renvoie toujours à la traduction française de la 2e édition de la « Reine Rechtslehre » par Ch. Eisenmann (Paris, Dalloz, 1962). La référence à la traduction de la première édition de la « Reine Rechtslehre » par H. Thévenaz n'a été faite que dans les notes 40 et 44 ci‑dessus où elle a été citée sans abréviation.

 

[46]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.14-15.

 

[47]Ibid.

 

[48]. Comme on l'a vu, Kelsen le dit pour les normes en général. Voir Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.287.

 

[49]. Cf. Ibid., p.14-15. Et inversement, pour qu'une norme perde sa validité, la non-obéissance ou la non-application de cette norme doit dépasser « un certain nombre de cas ».

 

[50]. Cf. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.15.

 

[51]. Cf. Ibid.

 

[52]. Cf. Ibid., p.288.

 

[53]. Aarnio, Le rationnel comme raisonnable op. cit., p.50.

 

[54]Ibid.

 

[55]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.15.

 

[56]. Cette section, sous-section 1, § 2, B.

 

[57]. Cette section, sous-section 1, § 2, B.

 

[58]. Titre préliminaire, chapitre 1, § 2.

 

[59]. Nous avons déjà affirmé que la notion d'un minimum d'efficacité est une notion imprécise. Cependant comme on le voit, dans le sens où elle signifie que la norme en question n'est pas dans l'inefficacité totale, la notion d'un minimum d'efficacité est une notion opérationnelle et utile.

 

[60]. Nous soulignons ce verbe, car on ne peut pas affirmer qu'en l'absence d'un contrôle de la valeur des lois constitutionnelles, les limites à la révision constitutionnelle tomberont en tout état de cause dans l'inefficacité totale. Car, une norme peut être suivie par son destinataire, sans qu'une sanction soit appliquée par les tribunaux. D'ailleurs, comme on va le voir dans la deuxième partie de notre thèse, pour assurer le respect des limites à la révision constitutionnelle, on peut envisager différentes garanties autres que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, comme le refus de la promulgation, la responsabilité du chef de l'Etat pour haute trahison, etc.

Cliquez ici pour le format PDF

 


(c) Kemal Gözler, 1995 (These), 1997 (Livre), 2004 (Internet Version). Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le present ouvrage sans autorisation da l'auteur. Cependant vous pouvez imprimer une copie en papier de ce livre, pour votre usage strictement personnel et non commercial. Vous pouvez également enregistrer ce livre sur votre PC pour le lire offline plus tard.

 

Cet ouvrage peut être citée sous les formes suivantes:

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 Volumes, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

ou

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

 


Editeurr: Kemal Gözler

E-Mail: kgozler at hotmail.com

Home: www.anayasa.gen.tr