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Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 volumes, 774 pages.


Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p.


 

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Deuxième titre
Existe-t-il des limites à la révision constitutionnelle non inscrites dans les textes constitutionnels
 ?

 

 

 

Nous venons de voir les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels. La question qui se pose maintenant est celle de savoir s'il existe des limites à la révision constitutionnelle autres que celles prévues expressément par la constitution. En effet, quand il s'agit de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle, certains auteurs ne se contentent pas d'énumérer les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution ; allant encore plus loin, ils cherchent d'autres limites susceptibles de s'imposer à la révision constitutionnelle.

Ainsi ces auteurs croient pouvoir découvrir l'existence de limites qui ne figurent pas dans la constitution et qui s'imposent cependant à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle. En d'autres termes, c'est la doctrine qui a inventé ou découvert les limites dont nous allons ici discuter l'existence. Ce sont donc des constructions théoriques. C'est pourquoi Marie-Françoise Rigaux les appelle « les limites matérielles déduites d'une interprétation doctrinale »[1].

Parmi ces auteurs, certains estiment qu'il existe des normes supraconstitutionnelles s'imposant à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle. D'autres pensent que la constitution a un esprit, et en dégagent des limites à la révision constitutionnelle.

Ainsi ce titre se divise en deux chapitres :

Chapitre 1. - Les thèses favorables à l'existence de normes supraconstitutionnelles s'imposant à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle

 

Chapitre 2. - Les thèses déduisant des limites à la révision constitutionnelle de l'esprit de la constitution


 

 
Chapitre 1
Les thèses favorables à l'existence de normes supraconstitutionnelles s'imposant à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle

 

 

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Certains auteurs croient qu'il existe des normes supraconstitutionnelles et en déduisent des limites à la révision constitutionnelle. C'est pourquoi, il convient d'abord de voir la question de l'existence de normes supraconstitutionnelles.

Dans la doctrine de droit constitutionnel, on examine parfois la question de la supériorité des normes de droit international sur celles de la constitution sous le thème de la « supraconstitutionnalité »[2]. A notre avis, il convient de faire une distinction claire entre cette question et celle de la supériorité de certains principes d'ordre interne sur les normes de la constitution. En empruntant les termes de Louis Favoreu[3], on peut appeler la première question « supraconstitutionnalité externe » et la deuxième la « supraconstitutionnalité interne ». Le doyen Favoreu étudie, sous le thème de la supraconstitutionnalité interne, la question « de savoir si les lois constitutionnelles adoptées par le pouvoir constituant dérivé peuvent se voir imposer le respect de normes supraconstitutionnelles nationales »[4], et sous le thème de la supraconstitutionnalité externe, celle « de savoir si les normes constitutionnelles peuvent être soumises au respect de normes internationales ou supranationales »[5].

Le point commun entre les normes supraconstitutionnelles nationales et les normes supraconstitutionnelles internationales consiste dans le fait que l'on accorde une valeur supérieure à la constitution. Cependant la similitude entre ces de types de normes supraconstitutionnelles en reste là, car, elles diffèrent du point de vue de leur origine : comme on va le montrer plus bas, les normes supraconstitutionnelles d'ordre interne sont privées de fondement positif, alors que les normes de droit international, auxquelles on attribue ou non une valeur supérieure à la constitution, ont une origine positive, car elles résultent de traité ou de coutume.

D'ailleurs comme on va le voir plus bas, le débat sur la question de l'existence de normes supraconstitutionnelles internes se déroule entre les jusnaturalistes et les juspositivistes. Les premiers sont favorables à l'existence de telles normes, alors que les deuxièmes la refusent catégoriquement, car pour eux, ces normes sont privées de fondement positif et par conséquent elles ne peuvent pas être valables. En revanche, comme on va le voir plus tard, les juspositivistes eux aussi peuvent parfaitement accepter l'existence de normes supraconstitutionnelles externes, c'est‑à‑dire la supériorité des normes de droit international sur la constitution, s'ils admettent la conception moniste avec la primauté du droit international.

Et pour ces raisons, nous allons étudier séparément la question de l'existence de normes supraconstitutionnelles internes (Section 1) et celle de l'existence de normes supraconstitutionnelles externes (Section 2).

 


 

 

 

 

Section 1
La supraconstitutionnalité interne

 

 

On peut constater que, même sous le thème de la supraconstitutionnalité interne, dans la doctrine du droit constitutionnel, on traite en effet de deux questions différentes. La première consiste à se demander s'il existe des normes juridiques ayant une origine extra-constitutionnelle et une valeur supérieure à la constitution. La deuxième est celle de savoir si toutes les règles faisant partie du bloc de constitutionnalité ont la même valeur. Le doyen Georges Vedel appelle la première la « supraconstitutionnalité complète »[6], la « supraconstitutionnalité à la lettre »[7], la « supraconstitutionnalité à l'état pur »[8] ou la « pleine supraconstitutionnalité »[9] ; et la seconde la « para-supraconstitutionnalité »[10], la « supraconstitutionnalité incomplète », ou la « supraconstitutionnalité cachée »[11].

Quant à nous, nous préférons dénommer la première la « supraconstitutionnalité proprement dite » ou la « supraconstitutionnalité » tout court et la deuxième la « hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité ».

D'abord il convient de noter que ces deux notions ont un point commun : elles sont, toutes les deux, utilisées pour justifier la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle par les limites qui ne sont pas prévues par la constitution. Ainsi si le juge constitutionnel croit à la supraconstitutionnalité comme un corps de règles juridiques, en cas de conflit entre une norme supraconstitutionnelle et une norme constitutionnelle, il va invalider la norme constitutionnelle. De même, la notion de hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité a un « effet équivalent » à celui de la supraconstitutionnalité[12]. Car, si le juge constitutionnel reconnaît une hiérarchie juridique dans le bloc de constitutionnalité, en cas de conflit entre une norme constitutionnelle de premier rang et une norme constitutionnelle de degré inférieur, il va donner la préférence à la norme de premier rang, et ainsi telle ou telle règle de premier rang sera hors de l'atteinte du pouvoir de révision constitutionnelle[13]. Bref ces deux notions ont une fonction commune : limiter le pouvoir de révision constitutionnelle par les limites qui ne sont pas prévues par les textes constitutionnels.

Cependant, à notre avis, même si elles ont un but commun et des effets équivalents, il faut examiner séparément les principes supraconstitutionnels proprement dits et les normes de rang supérieur dans le bloc de constitutionnalité. Car elles diffèrent du point de vue de leur existence matérielle[14] : les principes supraconstitutionnels proprement dits* ne sont pas formulées par les textes constitutionnels[15] ou n'en découlent pas de façon directe ou dérivée[16]. Par conséquent, ces principes sont privés de toute existence matérielle. Tandis que l'on peut facilement établir l'existence matérielle des normes auxquelles on attribue un rang supérieur dans la hiérarchie au sein du bloc de constitutionnalité. En d'autres termes, cette théorie prévoit une hiérarchisation dans l'ensemble des normes ayant leur source dans des textes constitutionnels[17]. Ainsi, les normes constitutionnelles qui sont hiérarchisées, les unes par rapport aux autres, ont toutes une existence positive.

Les notions de supraconstitutionnalité et de hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité sont toutes les deux utilisées couramment dans la doctrine. Cependant , une distinction claire entre ces deux notions n'est pas établie. La question de la hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité est traitée en général sous le thème de la supraconstitutionnalité. Georges Vedel lui-même, en observant que les normes de rang supérieur dans le bloc de constitutionnalité ne sont pas « à la lettre ‘supraconstitutionnelles’ »[18], les examine sous le thème de supraconstitutionnalité[19]. Quant à Louis Favoreu[20], lui aussi, il examine sous le titre de supraconstitutionnalité les questions qui relèveraient en effet du thème de la hiérarchie au sein du bloc de constitutionnalité. Par exemple, sous l'intitulé « supraconstitutionnalité interne », il pose la question de savoir « si les lois constitutionnelles adoptées par le pouvoir de révision constitutionnelle peuvent se voir imposer le respect de normes supraconstitutionnelles nationales, c'est-à-dire issues de la Constitution elle‑même ou déduites de celle‑ci »[21]. Or, selon notre distinction ci‑dessus, les normes ayant une origine constitutionnelle doivent être traitées sous le thème de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles et non pas sous celui de la  supraconstitutionnalité proprement dite.

En résumé, pour nous, les principes supraconstitutionnels proprement dits et les normes constitutionnelles auxquelles on attribue un rang supérieur dans le bloc de constitutionnalité diffèrent par leur existence matérielle. Les premières sont privées de toute existence positive, alors que les deuxièmes ont une existence dans le texte constitutionnel. Par conséquent, les principes supraconstitutionnels proprement dits, non seulement, ne sont pas formulés par les textes constitutionnels, mais encore ils ne sont pas formulés dans quelconque texte positif. En d'autres termes, les normes supraconstitutionnelles sont privées non seulement d'une origine constitutionnelle, mais encore de toute origine positive.

Mais la différence entre les principes supraconstitutionnels proprement dits et les normes constitutionnelles auxquelles on attribue un rang supérieur dans le bloc de constitutionnalité en reste là, car ces dernières elles aussi sont privées de validité juridique. A vrai dire, ces normes ont une existence positive, car elles existent dans un texte constitutionnel ; mais leur statut de supériorité par rapport aux autres normes n'a aucun fondement positif, car une hiérarchie entre les normes constitutionnelles n'est pas fondée du  point de vue du droit positif[22].

Avant de commencer à examiner la question de la validité juridique de ces deux types de normes supraconstitutionnelles, il sera utile de remarquer que la question de l'existence de principes supraconstitutionnels proprement dits relève du conflit qui existe entre les différentes conceptions du droit, comme le jusnaturalisme et le juspositivisme ; car, ces principes n'ont pas d'origine positive. Par conséquent, on peut prédire que les thèses favorables à l'existence de tels principes seront soutenues fort probablement par les jusnaturalistes, de même qu'elles seront attaquées par les juspositivistes. En effet pour ces derniers, comme on l'a vu dans le titre précédent[23], la norme est une création humaine, autrement dit une chose non posée par la volonté humaine ne peut pas être une norme juridique.

D'autre part, la question de l'existence d'une hiérarchie entre les normes constitutionnelles appartient au conflit entre les différentes définitions matérielle et formelle de la constitution. Par conséquent on peut également prédire que la thèse de l'existence d'une telle hiérarchie sera soutenue par les partisans de la définition matérielle de la constitution, et attaquée par les défenseurs de la définition formelle de la constitution.

En résumé le débat sur la question de l'existence de principes supraconstitutionnels proprement dits aura lieu entre les jusnaturalistes et les juspositivistes ; celui sur l'existence d'une hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité entre les tenants des conceptions matérielle et formelle de la constitution. Par conséquent la solution de ces questions dépendra du choix entre ces différents antagonistes.

Nous allons d'abord examiner les thèses favorables à l'existence de principes supraconstitutionnels proprement dits (Sous‑section 1), ensuite celles qui soutiennent l'existence d'une  hiérarchie entre les normes constitutionnelles (Sous‑section 2).


 

[1]. Rigaux, op. cit., p.95.

 

[2]. Par exemple voir René Chapus, Cours de droit constitutionnel, Les Cours du droit, 1969-1970, p.248 et s ; Favoreu, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.76-77.

 

[3]. Favoreu, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.76.

 

[4]Ibid., p.74-75.

 

[5]Ibid., p.76.

 

[6]. Georges Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs, 1993, n°67, p.84.

 

[7]Ibid.

 

[8]Ibid., p.87.

 

[9]. Georges Vedel emploie l'expression de « pleine supranationalité » (Ibid., p.84).

 

[10]Ibid., p.82.

 

[11]Ibid., p.86.

 

[12]Ibid., p.84.

 

[13]Ibid.

 

[14]. Pour cette notion voir cette partie, titre 1, chapitre 2, section 2, sous‑section 1, § 1, A.

 

[15]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.82.

 

[16]Ibid.

 

[17]Ibid., p.83.

 

[18]Ibid., p.84.

 

[19]Ibid., p.83-86.

 

[20]. Louis Favoreu, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs, 1993, n°67, p.71-77.

 

[21]Ibid., p.74‑75.

 

[22]. Voir infra, cette section, sous-section 2, § 2, A, 1.

 

[23]. Titre 1, chapitre 2, section 2, sous-section 1, § 1, B.

 


 

Sous-section 1
Les thèses favorables à l'existence de principes supraconstitutionnels proprement dits

 

 

 

 Nous avons vu plus haut la définition des principes supraconstitutionnels proprement dits. Rappelons seulement que ces principes se définissent par les deux éléments suivants : une valeur supérieure à la constitution et une origine non positive.

Avant de commencer à examiner les thèses favorables à l'existence de principes supraconstitutionnels, il convient de faire une remarque préliminaire. La question de la supraconstitutionnalité ne commence qu'à partir du moment où l'on attribue la nature de règles de droit à ces principes[1]. En d'autres termes, comme le remarque le doyen Vedel, « il n'y a aucun inconvénient, sinon pour la clarté du langage, à nommer supraconstitutionnelles des normes de caractère éthique ou des principes faisant partie d'un credo politique »[2]. Or, les défenseurs de la supraconstitutionnalité ne se contentent pas d'exposer la valeur morale de certains principes qu'ils jugent fondamentaux, mais allant encore plus loin, ils leur attribuent la valeur juridique. Par exemple, Serge Arné estime que les principes tels que « le respect de la dignité de la personne »[3] ou celui de « la non‑discrimination »[4] sont tellement importants que leur violation « ‘révolte’ tout homme considéré comme civilisé »[5]. Si Serge Arné en était resté là, il n'y aurait pas de discussion. Mais il leur accorde un statut juridique[6], comme on le voit dans sa définition même de la supraconstitutionnalité : « la supra‑constitutionnalité, c'est la supériorité de certaines règles ou principes qualifiés ‘normes’ sur le contenu de la Constitution »[7]. De plus, Serge Arné croit que l'on va attribuer d'abord la « valeur morale puis juridique à ces normes »[8].

Alors, la notion de supraconstitutionnalité n'est pas une simple spéculation doctrinale. Comme l'explique le doyen Vedel, elle a un « effet opératoire »[9]. Cet « effet opératoire », qui est double, peut être résumé en deux affirmations suivantes : 

(1) « l'autorité... investie du pouvoir constituant ne peut ni abroger ni modifier une norme supraconstitutionnelle » ;

(2) « le juge constitutionnel... en cas de conflit entre une norme supraconstitutionnelle et une norme constitutionnelle doit appliquer celle-là et écarter celle-ci »[10].

Ici seule la première nous intéresse. En d'autres termes, les principes auxquels on attribue une valeur supraconstitutionnelle jouent un rôle des limites à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

Cet « effet opératoire » peut être suivi dans les développements de Serge Arné et de Stéphane Rials. Serge Arné affirme que les normes supraconstitutionnelles « ne sauraient supporter aucune dérogation et mieux, aucune limite »[11]. Selon lui, la reconnaissance de ces normes s'impose même au pouvoir constituant[12]. Stéphane Rials, allant encore plus loin, prétend qu'« il ne saurait jamais y avoir de ‘pouvoir constituant originaire’ : on ne peut envisager qu'un pouvoir constituant ‘supraconstitué’ »[13]. Quant au pouvoir constituant dérivé, Stéphane Rials et Serge Arné notent que ce pouvoir ne peut modifier une règle supraconstitutionnelle[14].

Après avoir fait ces remarques préliminaires, nous pouvons passer maintenant à l'examen des thèses favorables à l'existence de principes supraconstitutionnels. Nous allons voir d'abord l'exposé, et ensuite la critique de ces thèses.

Après avoir ainsi fait ces remarques préliminaires, nous pouvons passer maintenant à l'examen des thèses favorables à l'existence de principes supraconstitutionnels proprement dits. Nous allons voir d'abord l'exposé, et ensuite la critique de ces thèses.

§ 1. exposé

Selon certains auteurs, il existe des principes juridiques supérieures à la constitution. Par conséquent, ces principes ne sont pas susceptibles d'être révisés par le pouvoir de révision constitutionnelle. Ainsi ils constituent les limites matérielles à la révision constitutionnelle. Les partisans de la supraconstitutionnalité acceptent tous l'existence de tels principes, et pourtant ne sont pas d'accord sur la liste de ceux-ci. Chacun dresse une liste différente conformément à sa propre conception.

Par exemple pour Serge Arné, au minimum, devraient figurer, parmi les principes supraconstitutionnels :

(1) « le respect de la dignité de la personne humaine »[15] ;

(2) « la non-discrimination et la solidarité »[16] ;

(3) « le pluralisme »[17].

Cependant Stéphane Rials, un autre défenseur de la supraconstitutionnalité, en partant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme, donne quatre principes supraconstitutionnels :

(1) « la constitution doit être écrite ;

(2) la nation est seule titulaire du pouvoir suprême et par voie de conséquence constituante ;

(3) le principe de ‘séparation des pouvoirs’ et

(4) les droits fondamentaux sont supérieurs à la volonté du constituant »[18].

Ainsi la question de savoir comment identifier les principes supraconstitutionnels proprement dits se pose inévitablement. Même en laissant de côté le problème de leur existence, il est impossible de dresser une liste de ces principes acceptée par tous les défenseurs de la supraconstitutionnalité. En effet c'est une situation tout à fait normale. Puisque ces principes ne sont pas d'origine textuelle, chaque auteur est libre de les concevoir librement et de proposer une liste différente. Ici, en choisissant les principes les plus invoqués dans la doctrine de droit constitutionnel comme supraconstitutionnels, nous avons dressé la liste suivante : les principes de droit naturel, les droits fondamentaux, les principes de la Déclaration de 1789, le principe de la souveraineté nationale, les principes généraux du droit et la coutume.

On peut classer certains de ces principes, comme les principes du droit naturel ou les principes généraux du droit, sans aucune difficulté sous le thème de la supraconstitutionnalité proprement dite. Car, ils sont, par définition même, dépourvus d'origine positive. Ils sont envisagés sans texte. Par contre, en ce qui concerne les droits fondamentaux, le principe de la souveraineté nationale et les principes de la Déclaration de 1789, on peut se demander s'il ne faut pas les examiner non pas sous le thème de la supraconstitutionnalité proprement dite, mais sous le thème de la hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité. Car, dans le bloc de constitutionnalité, il y a des normes régissant les droits fondamentaux et le principe de la souveraineté nationale (art. 3 de la Constitution de 1958). Enfin, la Déclaration de 1789 fait partie elle-même du bloc de constitutionnalité.

C'est pourquoi il convient de préciser que les droits fondamentaux, tels qu'ils seront examinés ici, ne font pas partie du bloc de constitutionnalité, et ceux qui en font partie seront étudiés plus tard sous le thème de la hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité[19]. De même, le principe de la souveraineté nationale, tel qu'il est envisagé par les tenants de la supraconstitutionnalité à l'état pur, n'a pas besoin de trouver son fondement dans l'article 3 de la Constitution de 1958. Et la thèse de la supériorité de l'article 3 sur d'autres articles de la Constitution sera discutée plus bas dans la sous‑section consacrée à la question de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles[20]. Quant à la Déclaration de 1789, il est évident que ses principes sont inscrits noir sur blanc. Par conséquent elle a une origine textuelle. Cependant nous devons indiquer que la question de la supraconstitutionnalité de la Déclaration relève, sous la IIIRépublique, du thème de la supraconstitutionnalité proprement dite ; sous les IVe et Ve Républiques, du thème de la hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité. Car, sous la IIIe République, la Déclaration ne trouvait pas sa source dans les textes constitutionnels en vigueur, par contre les Constitutions de 1946 et 1958 font référence à la Déclaration. En d'autres termes, la question de la supraconstitutionnalité de la Déclaration de 1789 que nous avons examinée sous ce titre concerne uniquement le débat classique qui a eu lieu sous la IIIe République. En ce qui concerne les IVe et Ve Républiques, la même question sera abordée plus tard sous le thème de la hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité[21].

Maintenant, nous pouvons passer à l'examen de différentes thèses qui soutiennent la supraconstitutionnalité de tel ou tel principe.

A. La thèse de la supraconstitutionnalité de certains principes du droit naturel

Sans aucun doute, ce sont les principes du droit naturel qui offrent l'exemple le plus pur de la catégorie des principes supraconstitutionnels proprement dits. Ces principes sont privés de toute origine posée. Ils ne sont inscrits nulle part.

Comme on l'a vu dans le titre précédent[22], selon la conception du droit naturel, une norme pour être valable doit être conforme aux exigences d'un certain élément finaliste. En effet cet élément change selon les auteurs jusnaturalistes. Pour les uns, c'est la justice, pour les autres c'est le bien commun ou le bien-être, ou encore même la solidarité. Ainsi si une norme constitutionnelle ne sert pas à réaliser la justice, à rejoindre le bien commun, à promouvoir le bien-être, elle ne peut avoir la qualité juridique. Par conséquent, dans cette conception, cet élément, par exemple l'idée de justice, constitue une limite à la révision constitutionnelle. Ainsi si une loi de révision constitutionnelle n'est pas conforme aux nécessités de la justice, elle n'est pas valable. De ce fait, dans cette conception, le pouvoir de révision constitutionnelle est lié par certains éléments finalistes.

Par exemple, selon un constitutionnaliste suisse Jean Darbellay, le pouvoir de révision est

« un pouvoir souverain, mais non pas inconditionné. Ce pouvoir n'existe que pour le bien du corps politique tout entier, puisque la société politique existe pour le bien de l'homme. Ce pouvoir ne peut instituer de nouvelles normes contre les inclinations naturelles fondamentales de l'homme. Il est soumis au droit naturel...[23]. Il va de soi par ailleurs que l'ordre juridique qu'il appartient au pouvoir constituant d'asseoir sur de telles bases ne peut ignorer les exigences de la justice puisqu'il n'est pas possible d'établir des relations civiles entre les hommes sur une base autre que la justice... Le pouvoir constituant ne saurait dès lors être confondu avec un pouvoir arbitraire. Il est limité par la nature même des choses »[24].

Jean Darbellay ajoute qu'« une règle déraisonnable, injuste, contre nature ne peut promouvoir le bonheur pour lequel existe la société politique. Toute injustice est dès lors à l'origine d'un dépérissement de la vie politique »[25]. Ainsi lui, la recherche du bien politique est intangible[26]. Par conséquent il conclut que les initiatives en révision constitutionnelle « qui consacrent une injustice flagrante, une violation évidente du droit naturel » pourraient être écartées[27].

Puisque nous avons déjà vu la théorie du droit naturel dans le chapitre précédent sous le titre de la validité axiologique[28], nous nous contentons ici de ce bref exposé.

B. La thèse de la supraconstitutionnalité de certains droits fondamentaux

Serge Arné affirme que les « droits fondamentaux devraient logiquement être placés au‑dessus de la Constitution »[29], Stéphane Rials prétend que « les droits fondamentaux sont supérieurs à la volonté du constituant »[30]. Par conséquent selon ces auteurs, les droits fondamentaux s'imposent non seulement aux pouvoirs constitués, mais aussi au pouvoir constituant.

L'idée que le pouvoir constituant est limité par les droits de l'homme est exprimée d'une manière encore plus forte par d'autres auteurs. Par exemple, René Château estime que

« toute démocratie tend à restreindre... le pouvoir constituant. Elle ne peut admettre qu'aucune révision de la Constitution porte atteinte aux grandes lois fondamentales (libertés individuelles, égalité civile des citoyens... ) sans lesquelles il n'y a pas de démocratie... Elle peut, en certaines occasions, réviser la Constitution, sur des points secondaires... Mais ce ne serait pas pour elle se réviser, se réformer que de toucher à certaines lois fondamentales : ce serait se détruire. Or ces lois fondamentales, auxquelles il ne faut pas toucher, ce sont, avant tout, les droits de l'individu... Et, une fois encore nous revenons à affirmer que, dans une démocratie véritable les droits de l'individu sont supérieurs à tout, à tous les pouvoirs, et même au pouvoir constituant »[31].

Récemment encore, Maryse Baudrez a affirmé qu'« en matière de révision de sa Constitution le peuple est naturellement limité par lui-même ou, tout au moins, par les droits des individus qui en sont les membres »[32].

Il est intéressant de voir que l'idée de la limitation du pouvoir constituant par les droits de l'homme se trouve aussi chez Emmanuel Sieyès, explorateur principal de la notion du pouvoir constituant. Sieyès, devant le comité de Constitution, en juillet 1789, déclarait que « toute union sociale, et, par conséquent, toute constitution politique, ne peut avoir pour objet que de manifester, d'étendre et d'assurer, les droits de l'homme et du citoyen »[33]. Reconnaître et exposer ces droits, « c'est présenter à toutes les Constitutions politiques l'objet ou le but que toutes sans distinction doivent s'efforcer d'atteindre »[34]. Sieyès, dans l'article 9 de son projet de Déclaration, énonçait que « la liberté, la propriété et la sécurité des citoyens doivent reposer sur une garantie sociale, supérieure à toutes les atteintes »[35]. Comme le remarque Carré de Malberg, « sans doute, dans la doctrine de Sieyès, les libres facultés qui doivent être assurées à l'homme, sont des droits naturels, antérieurs comme tels à toute ‘union sociale’ et à tout ordre social ; et par suite, la Déclaration des droits, qui reconnaît et consacre ces facultés, ne limite pas seulement les pouvoirs des autorités constitués, elle lie aussi le pouvoir constituant »[36].

Cette idée se retrouve également dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. L'article 2 de la Déclaration rappelle que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme ». L'article 16 conclut que « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée... n'a point de constitution ». En résumé, dans la conception de la Déclaration de 1789, la constitution a pour objet de garantir les droits de l'homme, et par conséquent, le pouvoir constituant qui va réviser cette constitution se trouve limité par ce but.

C. La thèse de la supraconstitutionnalité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (sous la IIIe République)

En France, la question de la valeur juridique de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 est discutée en doctrine depuis longtemps. Cependant les données de la problématique ont été changées depuis 1946 et surtout depuis 1973. Car les préambules des Constitutions de 1946 et 1958 font référence à la Déclaration de 1789. Ainsi le Conseil constitutionnel a reconnu expressément la valeur constitutionnelle de la Déclaration dans sa décision du 27 décembre 1973[37]. Dès lors, le débat sur la valeur juridique de la Déclaration s'est transformé en celui sur la place de la Déclaration dans le bloc de constitutionnalité. En résumé en ce qui concerne la Déclaration de 1789, il y a deux problèmes à discuter : sous la IIIe République, c'est celui de la valeur juridique de la Déclaration ; sous les IVe et Ve Républiques et surtout depuis 1973, c'est celui de la place de la Déclaration dans le bloc de constitutionnalité. Le premier sera examiné ici, le deuxième plus tard sous le titre de « la hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité »[38].

Sous la IIIe République, malgré le fait que la Déclaration de 1789 n'était pas inscrite dans les lois constitutionnelles de 1875, Maurice Hauriou et Léon Duguit ont pu soutenir la valeur juridique de cette Déclaration.

1. D'abord rappelons-nous que Maurice Hauriou fait une séparation entre la constitution politique et la constitution sociale. Et selon lui, la constitution politique subit de nombreux et périodiques changements, alors que la constitution sociale est considérée comme subsistante[39]. Puis, pour expliquer la survie juridique de la Déclaration de 1789, malgré le silence de la Constitution de 1875, il la place dans la constitution sociale. Car, à son avis, « la Déclaration des droits était justement le texte constitutionnel de cette constitution sociale »[40]. Par conséquent, la Déclaration de 1789, étant partie intégrante de la constitution sociale, subsiste.

Cependant Maurice Hauriou n'attribue pas expressément une valeur supraconstitutionnelle à la Déclaration de 1789. Il se contente seulement d'affirmer son caractère constitutionnel. Toutefois on peut observer que la doctrine de Hauriou n'est pas étrangère aux thèses de la supraconstitutionnalité. Car, il défend la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle non seulement par l'interdiction de réviser la forme républicaine du gouvernement prévue par la loi constitutionnelle du 14 août 1884, mais aussi par les limites matérielles non inscrites dans les textes constitutionnels. Selon lui,

« il existe de nombreux principes fondamentaux susceptibles de constituer une légitimité constitutionnelle placée au-dessus de la constitution écrite... Sans parler de la forme républicaine du gouvernement pour laquelle il y a un texte, il est beaucoup d'autres principes pour lesquels il n'est pas besoin de texte, car le propre des principes est d'exister et de valoir sans texte »[41].

Dans le même sens, il a écrit également ceci :

« La loi constitutionnelle elle-même ne doit pas échapper au contrôle du juge, il y a des occasions où le contrôle pourrait s'exercer sur elle. Par exemple, au fond, un amendement à la constitution en contradiction avec cette légitimité constitutionnelle... qui est au-dessus de la superlégalité elle-même parce qu'elle se compose de principes et que les principes sont toujours au-dessus des textes »[42].

2. Quant à Léon Duguit, allant encore plus loin, il a défendu que la Déclaration de 1789 a une valeur non seulement constitutionnelle, mais aussi supraconstitutionnelle.

Le doyen Duguit se pose la question « de savoir si la Déclaration de 1789 possède encore la valeur positive d'une loi et si le législateur constituant ou le législateur ordinaire, qui ferait une loi en contradiction avec les principes qu'elle formule, ferait une loi contraire au droit »[43]. Il répond à cette question par l'affirmative : 

« les déclarations des droits n'étaient point de simples formules dogmatiques ou de simples énoncés théoriques formulés par un législateur philosophe... ; elles étaient de véritables lois positives obligeant non seulement le législateur ordinaire, mais aussi le législateur constituant... Particulièrement, la déclaration des droits de 1789 a conservé encore de nos jours toute sa force législative positive. Je crois, dit-il, que si aujourd'hui le législateur faisait une loi violant un des principes formulés dans la Déclaration des droits de 1789, cette loi serait inconstitutionnelle. Je crois même que la Déclaration des droits de 1789 s'impose encore non seulement au législateur ordinaire, mais aussi au législateur constituant, et qu'une assemblée nationale formée dans les conditions de l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 ne pourrait point juridiquement faire une loi contraire aux termes de la Déclaration »[44].

Ainsi Léon Duguit affirme que

« dans le système de 1789, il y a trois catégories de lois hiérarchisant, les déclarations des droits, les lois constitutionnelles et les lois ordinaires. Le législateur constituant est soumis aux déclarations, le législateur ordinaire au législateur constituant »[45].

Il est intéressant de constater que le doyen Duguit n'hésite pas à répéter quatre fois à peu près en mêmes termes l'idée que la Déclaration s'impose non seulement au législateur ordinaire mais aussi au législateur constituant entre les pages 603 et 607 du troisième tome de son Traité : « Le système des déclarations des droits tend à déterminer les limites qui s'imposent à l'action de l'Etat, et pour cela, on formule des principes supérieurs que doivent respecter le législateur constituant comme le législateur ordinaire »[46]. « Elle [la Déclaration de 1789] est la loi fondamentale s'imposant au législateur constituant et au législateur ordinaire »[47]. La Déclaration de 1789 limite « les pouvoirs de l'Etat, les pouvoirs du législateur ordinaire et même du législateur constituant »[48]. « La Déclaration des droits ainsi comprise est une loi véritable, supérieure aux lois ordinaires, supérieures même, je le répète, à la loi constitutionnelle et bien distincte d'elle »[49]. Cette même idée est affirmée dans le deuxième tome aussi : la Déclaration, dans l'esprit des hommes de 1789, n'était pas « une simple déclaration philosophique », mais au contraire « la loi fondamentale, la loi supérieure à toutes les lois, même aux lois constitutionnelles »[50].

D. La thèse de la supraconstitutionnalité du principe de la souveraineté nationale[51]

Dans un débat qui a opposé Georges Vedel à Louis Favoreu sur la souveraineté et la supraconstitutionnalité, le doyen Vedel remarque que « le thème de la souveraineté et celui de la supraconstitutionnalité s'entrecroisent sur plusieurs points »[52]. L'un de ces points « intéresse l'utilisation... du concept de supraconstitutionnalité pour mettre hors de toute atteinte le principe de la souveraineté nationale »[53].

La question de la supraconstitutionnalité du principe de la souveraineté nationale a été posée lors du débat sur la ratification du Traité de Maastricht. On a soutenu que le Traité de Maastricht remettait en cause le principe de la souveraineté nationale. Or, selon les défenseurs de cette idée, ce principe est de valeur supraconstitutionnelle, et par conséquent il s'impose même à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

Par exemple selon Léo Hamon,

« au-dessus même des dispositions constitutionnelles écrites, il y a une sorte de super constitutionnalité à laquelle ni les assemblées, ni les majorités passagères de citoyens ne peuvent porter atteinte, parce que ces dispositions s'imposent à la nation... On parle aujourd'hui de droits fondamentaux de l'homme et l'on admet qu'une Constitution – une révision constitutionnelle – ne sont légitimes que si elles respectent ces droits. Et le principe de la souveraineté nationale n'est pas moins impérieux que le principe des droits de l'homme »[54].

Le professeur Hamon note que « quand on dit qu'un acte n'est valable que parce qu'il ne porte pas atteinte à la souveraineté nationale, cela veut dire que s'il y portait atteinte il ne serait pas valable »[55]. Ainsi d'après lui, l'instauration d'une politique dite commune en matière de politique extérieure signifie « la disparition de la politique nationale française »[56]. Bref, pour Léo Hamon le principe de la souveraineté nationale est de valeur supraconstitutionnelle[57].

D'autre part Olivier Beaud lui aussi dote la souveraineté nationale d'un statut de supraconstitutionnalité.

Nous avons déjà exposé une partie de la théorie d'Olivier Beaud dans le titre préliminaire[58]. C'est pourquoi sans entrer dans les détails, notons que le professeur Beaud parle d'un principe de l'inaliénabilité du pouvoir constituant[59], comme la forme moderne de l'inaliénabilité de la souveraineté[60]. Il pense que le pouvoir de révision constitutionnelle est limité par ce principe. Ainsi pour lui, les dispositions de la Constitution touchant à la souveraineté du peuple ne peuvent être révisées que par le pouvoir constituant [originaire], non pas par le pouvoir de révision[61]. Car si ces dispositions peuvent être révisées par le pouvoir de révision, « la nature systématique et fondatrice de la souveraineté devait donc s'effacer devant n'importe quel article voté par le législateur constitutionnel »[62]. Ainsi selon Olivier Beaud, la non‑limitation matérielle du pouvoir de révision « rend la souveraineté de l'Etat et du peuple à la merci d'un simple vote de parlementaires réunis en Congrès. Ce qui revient à affirmer que le Parlement réuni en formation de révision redevient le souverain »[63]. Or selon lui, le législateur constitutionnel n'est pas souverain[64]. En vertu du principe de l'inaliénabilité du pouvoir constituant, seul le peuple « peut remettre en cause la souveraineté »[65].

On peut se demander si la théorie d'Olivier Beaud ne devrait pas être rangée sous le thème de la hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité. Nous pensons qu'une partie de sa théorie relève de la question de la supraconstitutionnalité proprement dite, car il limite le pouvoir de révision, on l'a vu, par le principe de l'inaliénabilité du pouvoir constituant [originaire] comme la forme moderne de l'inaliénabilité de la souveraineté. Et ce principe tel qu'il est envisagé par le professeur Beaud ne figure dans aucun texte juridique. En d'autres termes, il est privé de toute existence positive. L'affirmation selon laquelle le pouvoir de révision ne peut pas réviser les dispositions de la Constitution touchant à la souveraineté nationale du peuple ne résulte pas de l'article 3 de la Constitution, mais d'un certain principe de « l'inaliénabilité du pouvoir constituant [originaire] » dont la source textuelle reste inconnue.

Mais d'autre part, Olivier Beaud propose encore une hiérarchisation entre les dispositions de la Constitution en fonction du fait qu'elles touchent ou non à la souveraineté du peuple. Par conséquent il attribue une place supérieure aux dispositions de la Constitution touchant à la souveraineté du peuple. Cette deuxième partie de sa théorie sera traitée plus tard sous le titre de la « hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité »[66].

En Belgique, Pierre Wigny affirme la supraconstitutionnalité de la souveraineté nationale. Selon lui, « la Constitution est supérieure au pouvoir dont elle règle l'organisation et le fonctionnement. Mais elle est inférieure à la Nation dont elle exprime la volonté souveraine. Rien ne peut empêcher un Etat indépendant de modifier son organisation politique »[67]. Le professeur Wigny continue son argumentation en disant que « la Nation est souveraine. Cette souveraineté est inaliénable en tout et dans chacune de ses parties. Aucune disposition de droit écrit ou coutumier ne peut résister à la volonté de la Nation »[68]. En conséquence, selon le professeur Wigny, la révision constitutionnelle ne suffit pas pour supprimer la souveraineté nationale. Pour cela, à son avis, il faut qu'il y ait une révolution[69]. Dans le même sens, Pierre Wigny affirme encore que « l'indépendance de la Belgique est une réalité supraconstitutionnelle »[70].

E. La thèse de l'existence de principes généraux du Droit à valeur supraconstitutionnelle

On sait que le Conseil constitutionnel, dans deux décisions rendues en 1979, a fait référence aux principes généraux du droit (la séparation des pouvoirs[71] et la continuité du service public[72]) sans préciser l'origine textuelle de ces principes. Dans ce cas, ces principes s'imposent au législateur ordinaire[73].

De même, on pourrait se demander s'il n'y a pas de principes généraux du droit qui s'imposeraient non seulement au législateur ordinaire, mais aussi au législateur constituant, c'est‑à‑dire au pouvoir de révision constitutionnelle[74].

Georges Vedel constate qu'

« à l'occasion de discussions sur l'abrégement éventuel du mandat présidentiel..., plus ou moins clairement, on a vu ou entendu soutenir que la révision constitutionnelle devrait être conforme à des ‘principes généraux du droit’ dont l'origine et le titre de légitimité demeurent d'ailleurs mystérieux. De telle sorte que serait frappée d'invalidité juridique une loi de révision qui ne s'appliquerait pas au mandat en cours... »[75].

Ainsi René David, en se référant à la Cour constitutionnelle allemande, note que

« le droit constitutionnel n'est pas limité aux textes de la loi fondamentale, mais il est constitué aussi par ‘certains principes généraux que le législateur n'a pas concrétisés dans une règle positive’ ; il existe d'autre part un droit supra-positif qui lie même le législateur constituant. ‘L'adoption de l'idée selon laquelle le pouvoir constituant pourrait tout régler à son gré signifierait un retour à un positivisme dépassé’ »[76].

F. La thèse de l'existence d'une coutume à valeur supraconstitutionnelle

Georges Vedel observe qu'« on a prétendu... voir dans la coutume la source de certaines règles non seulement constitutionnelles, mais aussi supra‑constitutionnelles qui s'imposeraient au pouvoir constituant lui-même »[77].

Ainsi, en ce qui concerne la valeur de la coutume par rapport à la constitution écrite, Stéphane Rials note que, « de façon très abstraite, une coutume peut avoir valeur supra-constitutionnelle ou constitutionnelle... »[78]. Stéphane Rials pense que « dans la logique de sa position initiale, Duguit se devait d'aller fort loin en ce sens : il a considéré que certaines règles coutumières devaient avoir une valeur supra‑constitutionnelle, parce qu'elles avaient pour origine la Déclaration de 1789 »[79]. D'autre part, Francine Batailler estime que certains auteurs, comme Maurice Hauriou, accordaient une valeur supraconstitutionnelle à la coutume, « puisqu'ils l'ont placée au-dessus de la Constitution elle-même »[80]. Enfin, Francis Delpérée affirme que le pouvoir constituant est limité par une coutume préconstitutionnelle[81].

 

§ 2. critique

Ainsi après avoir terminé l'exposé de différentes thèses favorables à l'existence de principes supraconstitutionnels, maintenant nous pouvons passer à la critique de ces thèses.

D'abord nous allons donner la critique générale de la théorie de la supraconstitutionnalité, puis nous allons voir les critiques particulières adressées à différentes thèses favorables à l'existence de principes supraconstitutionnels.

 

A. La critique générale

On se rappellera que nous avons déjà souligné le rapport entre la supraconstitutionnalité et le jusnaturalisme. Maintenant nous allons effectivement voir que les thèses favorables à l'existence de principes supraconstitutionnels sont soutenues par les jusnaturalistes, de même qu'elles sont attaquées par les juspositivistes.

La plupart des auteurs pensent, contrairement à ce que croit Louis Favoreu[82], que les thèses de la supra-constitutionnalité ne sont soutenables que si et seulement si l'on accepte l'existence d'un droit naturel[83]. Comme le souligne à juste titre le doyen Vedel, « si l'on veut donner à la supraconstitutionnalité une signification acceptable, il faut donc placer le juge sous l'empire, de quelque théorie qu'on l'assortisse et de quelque nom qu'on lui donne, du droit naturel »[84]. Il est intéressant de voir que Stéphane Rials, étant un partisan de la supraconstitutionnalité, avoue lui‑même que « l'idée de supraconstitutionnalité n'est qu'un avatar... du droit naturel »[85]. De plus Stéphane Rials explique l'opportunité de la notion de supraconstitutionnalité, en précisant que cette notion est un moyen de « ‘communication’ d'un constitutionnaliste ‘naturaliste’ avec les autres artisans de sa discipline »[86]. Car, c'est « une problématique intelligible pour eux, susceptible de prendre place – fût-ce de façon un peu scandaleuse – dans le jeu des concepts qui sont les leurs »[87].

C'est le doyen Georges Vedel qui fait la critique la plus systématique de la théorie de la supraconstitutionnalité. Il adresse, parmi d'autres, les critiques suivantes à cette théorie.

Tout d'abord le doyen Vedel constate qu'« il n'existe pas, en droit français, de normes juridiques d'un rang supérieur à celui de la Constitution »[88]. Georges Vedel montre que « le Conseil constitutionnel n'a jamais reçu comme juridiques des normes non formulées par les textes constitutionnels ou n'en découlant pas, ce qui exclut l'existence de normes supraconstitutionnelles ayant une valeur extraconstitutionnelle »[89].

La deuxième critique du doyen Vedel consiste à dire que « le concept de normes juridiques supraconstitutionnelles est logiquement inconstructible »[90]. Parce que « la supraconstitutionnalité, à l'état pur, supposerait qu'il existe des règles supérieures à la Constitution et non formulées par celle-ci » et « qu'il appartiendra à une juridiction suprême de les découvrir et de les mettre en oeuvre »[91]. « En ce cas, demande Georges Vedel, ne serait-il pas plus simple de dire que le juge reçoit le pouvoir constituant ? Il y aurait moins une supraconstitutionnalité de certaines règles qu'une infraconstitutionnalité du droit constitutionnel écrit »[92]. Ainsi la supraconstitutionnalité « correspondrait dans la réalité à donner la puissance initiale à un corps à qui, selon la pratique universelle, le mode de désignation et le statut ne légitiment pas l'attribution d'une telle puissance »[93].

Troisièmement, d'après Georges Vedel, « la supraconstitutionnalité est dangereuse pour l'ordre juridique démocratique »[94]. Elle « mettrait en cause à plus ou moins long terme l'équilibre démocratique »[95].

« L'équilibre démocratique, dit le doyen Vedel, repose sur une répartition des compétences se limitant les unes et les autres et dont l'effectivité est assurée par les juridictions diverses. Mais il faut bien qu'au-delà de ce réseau de compétences distribuées, il existe un lieu juridique où la souveraineté démocratique s'exerce sans partage. Ce lieu est celui du pouvoir constituant »[96].

En d'autres termes, « seul le pouvoir constituant détient dans sa totalité la souveraineté originaire »[97]. La légitimité du juge constitutionnel trouve son fondement dans le fait que « le pouvoir constituant peut modifier telle ou telle norme ou imposer une interprétation qui n'a pas été celle du juge »[98].

Selon le doyen Vedel, « dans cette construction, l'introduction du mythe de la supraconstitutionnalité introduirait un dérèglement total »[99]. Ainsi le souverain serait détrôné[100], et le pouvoir constituant ne serait plus un pouvoir initial. Il serait soumis « à des conditions de légitimité alors que c'est lui qui devrait incarner ou définir la légitimité »[101]. Bref, la supraconstitutionnalité serait « une machine à détruire le pouvoir constituant »[102].

D'autre part, Georges Vedel affirme que la supraconstitutionnalité ouvrirait la voie au « gouvernement des juges ». Car, si « l'argument de la supraconstitutionnalité est invoqué par une minorité parlementaire pour justifier une saisine du Conseil constitutionnel, son sort dépend du seul Conseil constitutionnel puisque la loi ne peut être promulguée si le Conseil se range à l'argumentation tirée de la supraconstitutionnalité »[103]. Le professeur Vedel constate que

« le Conseil constitutionnel s'est jusqu'ici gardé d'écouter les sirènes de la supraconstitutionnalité. Céder à la séduction lui ferait perdre sa légitimité. Comme, de quelque artifice que l'on use, la norme prétendument supraconstitutionnelle n'est écrite ou saisissable nulle part et n'est qu'une représentation de la psychologie individuelle, la loi pourrait être approuvée ou condamnée au nom d'opinions personelles, drapées il est vrai d'une phraséologie majestueuse. Le juge se fera source primaire du droit, puissance normative initiale, usurpateur de la souveraineté »[104].

D'après le doyen Vedel, « la supraconstitutionnalité... repose sur l'illusion qu'à un certain moment de l'histoire... l'humanité a établi un système de valeurs définitif auquel il n'est plus possible de toucher »[105].

Comme Hans Kelsen constate que la théorie du droit naturel a une origine religieuse et métaphysique[106], Georges Vedel remarque que la théorie de la supraconstitutionnalité est de caractère religieux :

« On pourrait concevoir que, dans un système de croyances assignant à l'homme un statut créature, il existe un corps de règles imposé par le Créateur. Mais si l'homme est l'enfant d'une nature sans visage, dont il est partie la plus consciente, il est son propre créateur au fil des millénaires et il n'a pas de modèle à suivre sinon celui qu'il dessine lui-même »[107].

B. Les critiques particulières

Après avoir ainsi donné la critique générale de la théorie de la supraconstitutionnalité, nous passons maintenant à la critique, une à une, de différentes thèses qui soutiennent la supraconstitutionnalité de tel ou tel principe. Commençons par la critique de la thèse de la supraconstitutionnalité de certains principes du droit naturel.

1. La critique de la thèse de la supraconstitutionnalité de certains principes du droit naturel

A notre avis, la thèse selon laquelle le pouvoir de révision constitutionnelle est lié par certains principes du droit naturel n'est pas fondée, parce que l'existence du droit naturel n'est pas démontrée. Les positivistes ont adressé plusieurs critiques à la théorie du droit naturel. Nous les avons vus plus haut[108]. Rappelons-nous que, selon ces critiques, d'une manière résumée, premièrement, il n'existe pas d'ordre immanent dans la nature, si l'on n'accepte pas que la nature soit créée et gouvernée par un Dieu juste[109]. Deuxièmement il n'existe pas non plus de raison commune à tous les hommes, comme le prétendent les adeptes du rationalisme jusnaturaliste[110]. Troisièmement, il n'existe pas de valeurs absolues[111]. Quatrièmement, le jusnaturalisme confond la science du droit avec l'objet de celle‑ci[112]. Enfin, cette doctrine repose sur une théorie absolue de la justice. Or, il n'existe pas de critère universel et objectif qui permette de distinguer « ce qui est juste » de « ce qui est injuste » ; et on ne peut pas obtenir un tel critère par voie d'observation de la nature. Par conséquent, chacun demeure libre de concevoir le droit naturel selon les exigences de sa propre conscience. Ainsi si l'on accepte cette doctrine, dans la même situation, telle ou telle règle serait supraconstitutionnelle pour les uns, et non supraconstitutionnelle pour les autres. Il est évident qu'un tel résultat n'est pas objectivement acceptable.

2. La critique de la thèse de la supraconstitutionnalité des droits de l'homme

Les droits de l'homme, tels qu'ils sont envisagés par les défenseurs de la supraconstitutionnalité, n'ont aucune valeur juridique, car ils sont privés d'existence matérielle. Quant à la valeur des droits de l'homme inscrits dans les textes constitutionnels, ils ont une valeur constitutionnelle et par conséquent ils lient le législateur ordinaire, mais pas le pouvoir de révision constitutionnelle.

3. La critique de la thèse de la supraconstitutionnalité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 sous la IIIe République[113]

La thèse de Duguit selon laquelle la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 a une valeur supraconstitutionnelle, et par conséquent qu'elle s'impose non seulement au législateur ordinaire, mais aussi au législateur constituant est combattue sous la IIIe République par Esmein et Carré de Malberg.

Pour Adhémar Esmein, la Déclaration des droits de 1789 n'a aucune valeur juridique positive :

« Les Déclarations des droits émanent de corps possédant une autorité légale et même souveraine, d'assemblées constituantes ; mais ce ne sont pas des articles de lois précis et exécutoires. Ce sont purement et simplement des déclarations de principes »[114].

La thèse de Léon Duguit est combattue également par Raymond Carré de Malberg. Il avance trois arguments.

D'abord, Carré de Malberg observe que « la Déclaration de 1789 a été remplacée par celles de 1793, de l'an III, de 1848, dont personne n'a jamais dit qu'elles soient en vigueur aujourd'hui »[115].

Ensuite, selon Carré de Malberg,

« de deux choses l'une : Ou bien la Déclaration de 1789 faisait partie intégrante de la Constitution de 1791, et en ce cas, elle a disparu avec cette Constitution. Ou, au contraire, elle était distincte de l'acte constitutionnel de 1791, et elle ne faisait qu'énoncer les idées essentielles et fondamentales qui devaient servir de base à la Constitution future. Mais alors, elle n'avait plus que la portée dogmatique d'une déclaration de vérités philosophiques... ; ou plutôt elle se ramenait à l'énoncé de concepts de droit naturel... qui ne saurait être considérés comme des prescriptions juridiques ayant l'efficacité de règles de droit positif »[116].

Enfin, Carré de Malberg pense que même si la Déclaration de 1789 avait été incorporée dans la Constitution, elle ne pouvait pas avoir la valeur juridique. Car,

« la Déclaration de 1789... n'est pas, à proprement parler, une déclaration de droits, mais seulement une déclaration de principes : elle ne formule pas des règles juridiques, qui soient susceptibles d'être appliquées pratiquement par un juge ; elle ne met pas les citoyens en état de faire valoir devant les tribunaux telle ou telle faculté individuelle nettement délimitée ; les vagues et générales affirmations auxquelles elle se borne, laissant entière la question de la réglementation législative des droits individuels qu'elle a pu implicitement consacrer ; et par suite, elles laissent entière aussi la puissance du législateur à l'égard de cette réglementation »[117].

Ainsi Raymond Carré de Malberg conclut qu'

« il ne servirait donc à rien de démontrer que la Déclaration de 1789 demeure toujours en vigueur : quand encore il serait établi qu'elle survit actuellement, comme loi supérieure au pouvoir législatif et au pouvoir constituant lui‑même, cela ne diminuerait en aucune façon la puissance inconditionnée, qui, dans le silence de la Constitution de 1875, appartient aux Chambres en ce qui concerne les droits des citoyens »[118].

Bref comme le montre Carré de Malberg, la Déclaration faisait partie de la Constitution de 1791, par conséquent à cette époque, elle avait la même valeur que la Constitution de 1791 à laquelle elle était attachée. Il faut alors conclure que la disparition de cette Constitution a entraîné inévitablement la disparition de la Déclaration. En d'autres termes, sous la IIIe République, la Déclaration, n'étant pas inscrite dans les lois constitutionnelles de 1875, était privée non seulement de valeur supraconstitutionnelle ou constitutionnelle, mais encore de toute valeur juridique.

4. La critique de la thèse de la supraconstitutionnalité de la souveraineté nationale

En effet si le principe de la souveraineté nationale est inscrit dans le texte de la constitution[119], comme c'est le cas dans l'article 3 de la Constitution française de 1958, ce principe a une valeur constitutionnelle, mais non pas supraconstitutionnelle, parce que, dans cette hypothèse, comme le remarque à juste titre le doyen Vedel, « la souveraineté nationale ne peut, au regard de la Constitution, bénéficier d'aucun statut de supériorité. Elle est l'une des normes de valeur constitutionnelle avec d'autres et peut être tenue en échec par une révision constitutionnelle autorisant à y déroger ou en limitant les effets »[120].

Et si le principe de souveraineté nationale auquel on attribue une valeur supraconstitutionnelle n'est pas inscrit dans le texte constitutionnel, il ne peut pas avoir de valeur juridique quelconque. Parce qu'il n'a pas d'existence matérielle. Autrement dit, dans ce cas, le principe de la souveraineté nationale est juridiquement inexistant ; par conséquent il est privé non seulement de valeur supraconstitutionnelle ou constitutionnelle, mais encore de toute valeur juridique.

Par exemple, comme on l'a vu, le professeur Olivier Beaud limite le pouvoir de révision par le principe de l'inaliénabilité du pouvoir constituant [originaire] comme la forme moderne de l'inaliénabilité de la souveraineté. Et ce principe tel qu'il est envisagé par le professeur Beaud ne figure dans aucun texte juridique. En d'autres termes, il est privé de toute existence positive. L'affirmation selon laquelle le pouvoir de révision ne peut pas réviser les dispositions de la Constitution touchant à la souveraineté du peuple ne résulte pas de l'article 3 de la Constitution, mais d'un certain principe de « l'inaliénabilité du pouvoir constituant [originaire] » dont la source textuelle reste inconnue[121]. Par conséquent, comme nous l'avons montré dans le titre préliminaire, ce principe de l'inaliénabilité de la souveraineté est de caractère jusnaturaliste[122].

5. La critique des thèses favorables à l'existence de principes généraux du droit à valeur supraconstitutionnelle

A notre avis, les principes généraux du droit ne lient pas le pouvoir de révision constitutionnelle. Car dans la conception positiviste du droit que nous suivons dans notre travail, un principe ne peut être valable que s'il existe dans un texte posé. Et si un tel principe est reconnu par la constitution[123], il a une valeur constitutionnelle, et non pas supraconstitutionnelle. D'ailleurs cette hypothèse est exclue par la définition même de ces principes. Car, ils sont définis comme des principes « applicables même en l'absence de textes ». De plus ces principes ne sont en effet « généraux » que dans une certaine civilisation donnée.

6. La critique des thèses favorables à l'existence d'une coutume à valeur supraconstitutionnelle

En ce qui concerne l'idée de coutume supraconstitutionnelle, Georges Vedel a montré que cette idée « n'est qu'un moyen malheureux pour réintroduire le droit naturel dans le système juridique »[124]. D'ailleurs selon le doyen Vedel, « il est impossible d'admettre l'idée d'un droit coutumier supra-constitutionnel qui équivaudrait à conférer une immutabilité absolue à certaines règles de droit positif »[125].

Conclusion : l'invalidité juridique des principes supraconstitutionnels

Ainsi après avoir vu successivement l'exposé et la critique de différentes thèses favorables à l'existence de principes supraconstitutionnels, nous allons maintenant essayer de faire une appréciation générale de la question de la supraconstitutionnalité. cette appréciation sera faite du point de vue de la conception positiviste de la validité juridique. En d'autres termes, nous allons rechercher ici la validité juridique de ces principes auxquels on attribue une valeur supraconstitutionnelle. Comme nous l'avons déjà établi plus haut, pour qu'elle soit valable, elle doit remplir quelques conditions[126]

Maintenant examinons si les principes auxquels on attribue la qualité supraconstitutionnelle remplissent ces conditions de la validité juridique. Commençons par la première condition préliminaire, c'est-à-dire l'existence matérielle[127].

Nous avons constaté plus haut que les défenseurs de la supraconstitutionnalité acceptent tous l'existence de principes supraconstitutionnels. Cependant ils ne sont pas d'accord sur la liste de ceux-ci. Chacun dresse une liste différente conformément à sa propre conception[128]. En effet, cette différence résulte du fait que ces principes sont privés en effet de toute existence matérielle. Ils ne figurent dans aucun support concret, dans aucun document. C'est pourquoi il est complètement impossible d'établir l'existence de l'instrumentum dans lequel se trouvent les principes supraconstitutionnels. Où se trouvent ces principes ? Comment peut-on connaître leur contenu ? En consultant quel document, quel recueil ? On ne peut donner aucune réponse à ces questions, car tout simplement, ces principes ne sont inscrits nulle part.

Par exemple, où est inscrit le principe de Stéphan Rials selon lequel les droits fondamentaux sont supérieurs à la volonté du constituant ? Où figure également le principe de Serge Arné selon lequel la reconnaissance du respect de la dignité de la personne humaine s'impose même au pouvoir constituant ? Où se trouve encore le principe d'Olivier Beaud selon lequel le pouvoir de révision est limité par l'inaliénabilité de la souveraineté ?

Stéphane Rials et Serge Arné répondront peut‑être « dans le coeur de l'homme ou dans la nature » ! Et Olivier Beaud nous dira « dans la nature systématique et fondatrice de la souveraineté »[129] !

Mais en aucun cas, ils ne peuvent nous montrer de document. Car ces principes ne sont pas posés, au moins par une volonté humaine. Or, selon la conception positiviste que nous suivons tout au long de nos développements, comme on l'a vu dans le titre précédent[130], la norme juridique est une création humaine, autrement dit une chose non posée n'est pas une norme juridique. A vrai dire ces « normes supraconstitutionnelles » sont posées par les auteurs jusnaturalistes eux‑mêmes. Ainsi ces auteurs se sont substitués non seulement au législateur ordinaire, mais encore grâce à la théorie de la supraconstitutionnalité, au pouvoir constituant originaire.

De plus, l'inexistence objective de ces principes résulte de leur définition même. Car, ces principes sont définis, on l'a vu, comme les règles supérieures à la constitution et non formulées par celle-ci. Ainsi ces principes prétendument supraconstitutionnels sont en effet non seulement extra-constitutionnels, mais encore extra-textuels. Par conséquent, selon notre conception de la validité juridique, ces principes sont privés non seulement de valeur supraconstitutionnelle et constitutionnelle, mais encore de toute valeur juridique.

En bref, ces principes dits « supraconstitutionnels » sont privés d'existence matérielle, par conséquent ils ne remplissent pas la première condition préliminaire de la validité juridique. C'est pourquoi, ces principes, étant matériellement inexistants, ne peuvent avoir aucune valeur juridique.

Puisque ces principes ne remplissent même pas la première condition préalable, il est inutile de rechercher s'ils remplissent les autres conditions de la validité juridique. Car, ces conditions sont cumulatives, non pas alternatives.

En conclusion, pour nous, il n'existe pas de normes juridiques supraconstitutionnelles et les principes qualifiés par l'adjectif « supraconstitutionnels » sont privés de toute valeur juridique, ainsi que de toute existence matérielle. Ces principes sont en effet de caractère éthique ou politique, mais en tout cas non pas juridique. Par conséquent, on ne peut en déduire des limites à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

 Continue après les notes.

 


[1]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.80.

[2]Ibid.

[3]. Serge Arné, « Existe-t-il des normes supra-constitutionnelles ? Contribution à l'étude des droits fondamentaux et de la constitutionnalité », Revue du droit public, 1993, p.474.

[4]Ibid., p.475.

[5]Ibid., p.473.

[6]Ibid., p.475-480.

[7]Ibid., p.461. C'est nous qui soulignons.

[8]Ibid., p.477.

[9]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.80.

[10]Ibid.

[11]. Arné, « Existe-t-il des normes supra-constitutionnelles ? » , op. cit., p.474.

[12]Ibid., p.481.

[13]. Stéphane Rials, « Supraconstitutionnalité et systématicité du droit », Archives de philosophie du droit, 1986, p.65.

[14]. Rials, « Supraconstitutionnalité... », op. cit., p.65 ; Arné, « Existe-t-il des normes supra-constitutionnelles ? » , op. cit., p.481.

[15]. Arné, « Existe-t-il des normes supra-constitutionnelles ? » , op. cit., p.474.

[16]Ibid., p.475.

[17]Ibid.

[18]. Rials, « Supraconstitutionnalité... », op. cit., p.64.

[19]. Cette section, sous-section 2, § 1, B, 1.

[20]. Cette section, sous-section 2, § 1, B, 2.

[21]. Cette section, sous-section 2, § 1, A, 1.

[22]. Titre 1, chapitre 2, section 2, sous-section 1, § 2, A.

[23]. C'est nous qui soulignons.

[24]. Jean Darbellay, « L'initiative populaire et les limites de la révision constitutionnelle », Revue du droit public, 1963, p.735-736.

[25]Ibid., p.737.

[26]Ibid.

[27]Ibid., p.738.

[28]Supra, titre 1, chapitre 2, section 2, sous-section 1, § 2, A.

[29]. Arné, « Existe-t-il des normes supra-constitutionnelles ? » ,op. cit., p.469.

[30]. Rials, « Supraconstitutionnalité... »,op. cit., p.64.

[31]. René Château, Introduction à la politique : cours d'initiation sociale, civique et humaine, Paris, Publications Chateaubriand, Sans date, p.484.

[32]. Maryse Baudrez et Jean-Claude Escarras, « La révision de la Constitution italienne: doctrine et complexité des faits », in La révision de la constitution, (Journées d'études des 20 mars et 16 décembre 1992, Travaux de l'Association française des constitutionnalistes, Paris, Economica, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1993, p.141.

[33]Archives parlementaires, t.VIII, p.256, cité par Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.518.

[34]Archives parlementaires, t.VIII, p.256, cité par Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.518.

[35]Archives parlementaires, t.VIII, p.260 et 243, cité par Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.519.

[36]. Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.519. C'est nous qui soulignons.

[37]. C.C., décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973, Taxations d'office, Rec., p.25 ; Louis Favoreu et Loïc Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Sirey, 7e édition, 1993, n° 21, p.275-290.

[38]. Cette section, sous-section 2, § 1, A, 1.

[39]. Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Sirey, Paris, 2e édition, 1929 (Réimpression par C.N.R.S., 1965), p.626.

[40]Ibid., p.576, note 2.

[41]. Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1re édition, 1923, p.297. C'est nous qui soulignons.

[42]. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 2e éd., 1929, (Réimp., 1965), op. cit. p.269.

[43]. Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, 3e édition, Paris, Ancienne librairie fontemoing, 1930, t.III, p.606.

[44]Ibid., t.III, p.606-607. C'est nous qui soulignons.

[45]Ibid., t.III, p.604. C'est nous qui soulignons.

[46]Ibid., t.III, p.603. C'est nous qui soulignons.

[47]Ibid., t.III, p.604. C'est nous qui soulignons.

[48]Ibid., t.III, p.605. C'est nous qui soulignons.

[49]Ibid., t.III, p.607. C'est nous qui soulignons.

[50]. Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, 3e édition, Paris, Ancienne librairie fontemoing, 1928, t.II, p.184. C'est nous qui soulignons. Notons que cette idée de Léon Duguit est conforme à sa conception générale du droit. Pour lui, la loi prend sa valeur de sa conformité au droit objectif. La Déclaration était une véritable loi, car, dans sa conception, « la loi formule ou met en oeuvre une règle qui est impérative par elle-même, qui ne tire pas son caractère impératif de la volonté de l'Etat, mais qui, à raison du fondement qu'on lui reconnaît, s'impose par elle-même à l'Etat comme aux individus. C'était, disait Duguit, précisément la pensée des auteurs de nos Déclarations des droits qui, admettant l'existence de droits naturels de l'homme, inaliénables et imprescriptibles, fondaient sur eux une règle impérative pour l'Etat et les individus » (Ibid.).

[51]. Rappelons que, le principe de la souveraineté nationale, tel qu'il est défendu par cette thèse, n'a pas besoin de trouver son fondement dans les textes constitutionnels. La thèse de la supériorité du principe de la souveraineté nationale trouvant sa source dans l'article 3 de la Constitution sera discutée plus tard dans la sous-section 2 consacrée à la question de la hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité.

[52]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.79.

[53]Ibid.

[54]. Léo Hamon, « La souveraineté nationale, la Constitution... et les négociations ‘européennes’ en cours », Recueil Dalloz Sirey, 1991, 43e Cahier, Chronique - LV, p.303.

[55]. L'intervention orale de Léo Hamon au Colloque du 25 mars 1992 au Sénat, in La Constitution et l'Europe, Paris, Montchrestien, 1992, p.221.

[56]Ibid.

[57]Ibid., p.222. En ce sens voir encore l'intervention orale de Nicole Catala au Colloque du 25 mars 1992 au Sénat, in La Constitution et l'Europe, Paris, Montchrestien, 1992, p.218, 227‑228.

[58]. Titre préliminaire, chapitre 1, § 2, A, 2 et chapitre 2, section 2, § 2, B, 2, a.

[59]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.325.

[60]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1048.

[61]Ibid., p.1059.

[62]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.476.

[63]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1059.

[64]. Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.323-325.

[65]Ibid., p.476.

[66]. Cette section, sous-section 2, § 1, A, 2.

[67]. Pierre Wigny, Droit constitutionnel : principes et droit positif, Bruxelles, Bruylant, 1952, t. I, p.214.

[68]Ibid.

[69]Ibid., p.216.

[70]Ibid.

[71]. C.C., n° 79-104 DC du 23 mai 1979, Territoire de Nouvelle Calédonie. Rec., p.27.

[72]. C.C., n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, Droit de grève à la radio et à la télévision, Rec., p.33.

[73]. Notons qu'avec ces décisions, certains commentateurs, comme Louis Favoreu, avaient cru pouvoir signaler l'apparition de principes généraux du droit à valeur constitutionnelle comme un nouvel élément du bloc de constitutionnalité (Favoreu et Philip, op. cit., 4e éd., p.433). Cependant une telle conclusion a été contestée dans la doctrine. En effet comme le montre Georges Vedel, les principes généraux du droit peuvent être rattachés aux textes constitutionnels. Mais le Conseil constitutionnel a, parfois, omis, dans le passé, d'expliciter sa référence (Vedel, « Place de Déclaration dans le ‘bloc de constitutionnalité’ », op. cit., p.51 ; Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.82-83). Et enfin, comme le remarque Louis Favoreu, à partir de 1980, les principes généraux du droit à valeur constitutionnelle sont écartés du bloc de constitutionnalité. (Louis Favoreu, « Bloc de constitutionnalité », in Olivier Duhamel et Yves Meny (sous la direction de ‑), Dictionnaire constitutionnel, Paris, P.U.F., 1992, p.88. Egalement voir Favoreu, « Les normes de référence », op. cit., p.71-73. Pour ce débat voir encore, Bruno Genevois, La jurisprudence du Conseil constitutionnel : principes directeurs, Paris, Les Editions S.T.H., 1988, p.98-100, 203-204.

[74]. Une question semblable est posée par Louis Favoreu et Loïc Philip. Ils se demandent « s'il [le Conseil constitutionnel] n'accorde pas valeur supraconstitutionnelle à ce principe [la continuité des services publics] » (Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.414.).

[75]. Vedel, « Schengen et Maastricht », op. cit., p.179.

[76]. René David et Camille Jouffret-Spinosi, Les grands systèmes du droit contemporains, Paris, Dalloz, 10e édition, 1992, p.121-122.

[77]. Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.121.

[78]. Stéphane Rials, « Réflexions sur la notion de coutume constitutionnelle : à propos du dixième anniversaire du référendum de 1969 », La Revue administrative, juillet 1979, p.266.

[79]. Rials, « Réflexions sur la coutume constitutionnelle... », op. cit., p.268-269. (Cf. Duguit, Traité de droit constitutionnel, op. cit., 3e éd., t.III, p.554 et s.).

[80]. Francine Batailler, Le Conseil d'Etat, juge constitutionnel, Paris, L.G.D.J., 1966, p.143. Stéphane Rials note que Francine Batailler a tort de cette estimation (Rials, « Réflexions sur la coutume constitutionnelle... », op. cit., p.268, n.22).

[81]. Francis Delpérée, Droit constitutionnel (Tome I : Les données constitutionnelles), Bruxelles, Larcier, 2e édition, 1987, p.83, également p.61-62. Notons que selon le professeur Delpérée, « il n'existe pas de Constitution coutumière ; il n'existe que des coutumes dites constitutionnelles » (op. cit., p.58-59). Jacques Velu note que « le système belge se distingue, en ce qui concerne la valeur attribuée à la coutume constitutionnelle, des systèmes dans lesquelles la coutume est la source non seulement de règles constitutionnelles mais aussi de règles supraconstitutionnelles qui lieraient le pouvoir constituant » (Jacques Velu, « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes (Ankara, les 7-10 mai 1990), in Revue universelle des droits de l'homme, 1990, p.235.).

[82]. Selon le doyen Favoreu, le contexte dans lequel se pose le problème de la supraconstitutionnalité a changé : « la querelle entre jusnaturalistes et juspositivistes n'a plus qu'un intérêt histo­rique et y faire appel aujourd'hui pour répondre à la question posée n'a plus de sens car le contexte n'est plus le même » (Louis Favoreu, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs, 1993, n°67, p.72). Ainsi d'après lui, « la supraconstitutionnalité n'a pas aujourd'hui besoin d'emprunter au droit naturel » (Ibid., p.75).

[83]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.87 ; Id., « Schengen et Maastricht », op. cit., p.179. Egalement en ce sens voir Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.119.

[84]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.87. En ce sens voir encore Vedel, « Schengen et Maastricht », op. cit., p.179 : « ... une mystérieuse ‘supra-constitutionnalité’ qui emprunte au droit naturel sa commode plasticité... ».

[85]. Rials, « Supraconstitutionnalité... », op. cit., p.59-60. C'est nous qui soulignons.

[86]Ibid., p.60.

[87]Ibid.

[88]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.82.

[89]Ibid.

[90]Ibid., p.87.

[91]Ibid.

[92]Ibid.

[93]Ibid.

[94]Ibid., p.92.

[95]. Vedel, « Schengen et Maastricht », op. cit., p.179.

[96]Ibid.

[97]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.93.

[98]Ibid., p.94.

[99]Ibid.

[100]Ibid.

[101]Ibid.

[102]Ibid.

[103]Ibid., p.95.

[104]Ibid., p.95-96.

[105]Ibid., p.94.

[106]. Kelsen, « Justice et droit naturel », op. cit., p.69-74. Pour l'origine religieuse du droit naturel voir supra, titre 1, chapitre 2, section 2, sous-section 1, § 2, A.

[107]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.94-95.

[108]. Cette partie, titre 1, chapitre 2, section 2, sous-section 1, § 2, A.

[109]. Kelsen, « La justice et droit naturel », op. cit., p.69-70.

[110]. Grzegorczyk, « Le positivisme comme méthodologie juridique », op. cit., p.175.

[111]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.87-90.

[112]. Grzegorczyk, « Le positivisme comme méthodologie juridique », op. cit., p.176. Par exemple, l'article de Serge Arné (« Existe-t-il des normes supra‑constitutionnelles ? », op. cit., passim) est une parfaite illustration de cette confusion. Serge Arné pose lui-même des normes supraconstitutionnelles (voir par exemple Ibid., p.474-475). Or, la tâche de la science du droit est de décrire les normes positivement existant, non pas de prescrire les nouvelles normes.

[113]. Rappelons que la discussion sur la valeur juridique de la Déclaration de 1789, sous la IIIe République, relève de la question de la supraconstitutionnalité. Car la Déclaration n'était pas inscrite dans les lois constitutionnelles de 1875. Alors que la même discussion appartient, sous les IVe et Ve Républiques, à la question de la hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité ; car les Constitutions de 1946 et 1958 font référence à la Déclaration de 1789.

[114]. Adhémar Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, 8e édition revue par Henry Nézard, Paris, Sirey, 1927, t.I, p.592.

[115]. Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.580.

[116]Ibid., t.II, p.581.

[117]Ibid. Il paraît que ce troisième argument est infirmé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Comme on va le voir plus tard, depuis 1973, il n'y a aucun doute que la Déclaration de 1789 fait partie du bloc de constitutionnalité. Ainsi, dans le cas où la Déclaration de 1789 est incorporée dans la constitution, elle a une valeur constitutionnelle. En effet Carré de Malberg confond ici l'imprécision d'une règle avec sa validité. Comme l'explique Georges Vedel, « l'imprécision de la prescription n'en supprime pas le caractère normatif » (Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.55. Voir également supra, titre 1, chapitre 2, section 2, sous‑section 1, § 1. B.

[118]. Carré de Malberg, Contribution..., op. cit., t.II, p.581-582.

[119]. Notons que cette hypothèse entre dans « la question de la hiérarchie des règles à l'intérieur de la constitution » que nous allons examiner en bas dans la sous‑section 2 de cette section.

[120]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnelle », op. cit., p.80.

[121]. En effet Olivier Beaud avoue lui-même que « cette souveraineté propre à l'Etat, cette inhérente qualité de l'Etat, cette ‘étaticité’ (Staatlichkeit), ne figure pas dans la Constitution... La Constitution de 1958 est typique de cette oblitération de la souveraineté de l'Etat et même de la souveraineté constituante. Il faudra un effort de construction doctrinale, trop peu tenté par la doctrine constitutionnelle, pour tirer du texte constitutionnel » (Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1049-1050.

[122]. Titre préliminaire, chapitre 1, § 2, C, 1, d.

[123]. Dans ce cas, le problème de savoir si ce principe s'impose au pouvoir de révision constitutionnelle relève du thème de la hiérarchie des règles à l'intérieure de la constitution que nous allons examiner en bas dans la deuxième sous-section 2 de cette section.

[124]. Vedel, Droit constitutionnel, op. cit., p.121.

[125]Ibid.

[126]. Pour ces conditions voir supra, titre 1, chapitre 2, section 2.

[127]. Pour la notion d'existence matérielle voir supra, titre 1, chapitre 2, section 2, sous-section 1, § 1, A.

[128]. Voir cette sous-section, § 1.

[129]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1059.

[130]. Titre 1, chapitre 2, section 2, sous-section 1, § 1, B.

 

 

Sous-section 2
Les thèses favorables à l'existence d'une hiérarchie entre les normes constitutionnelles

 

 

 

Comme on l'a remarqué au début de cette section, les normes auxquelles on attribue un rang supérieur au sein du bloc de constitutionnalité ont une origine constitutionnelle. En d'autres termes, cette théorie prévoit une hiérarchisation dans l'ensemble des normes ayant leur source dans des textes constitutionnels[1]. Ainsi, les normes constitutionnelles qui sont hiérarchisées, les unes par rapport aux autres, ont un fondement direct ou dérivé dans un texte de valeur constitutionnelle[2]. Par conséquent, ces normes ont toutes une existence positive. En résumé, nous définissons les normes de rang supérieur au sein de la constitution par ces deux éléments : une valeur supérieure aux autres normes de la constitution et une origine constitutionnelle.

Nous allons d'abord exposer les diverses thèses favorables à l'existence d'une hiérarchie au sein du bloc de constitutionnalité, et ensuite nous allons essayer de faire la critique de ces thèses.

§ 1. exposé

Dans la doctrine du droit constitutionnel on établit en général deux types de hiérarchie au sein du bloc de constitutionnalité. Certains auteurs posent une hiérarchie entre les différents textes composant le bloc de constitutionnalité. D'autres proposent une hiérarchie non pas entre les textes, mais entre les différentes dispositions de ces textes en fonction de leur contenu respectif. Les premiers seront examinés sous l'intitulé « les thèses posant une hiérarchie entre les textes composant le bloc de constitutionnalité » (A) et les seconds sous « les thèses posant une hiérarchie entre les différentes dispositions constitutionnelles » (B).

A. Les thèses posant une hiérarchie entre les textes composant le bloc de constitutionnalité

Avant de passer à l'examen des différentes thèses posant une hiérarchie entre les textes faisant partie du bloc de constitutionnalité, il convient de préciser brièvement ce que l'on entend par « bloc de constitutionnalité ».

Le bloc de constitutionnalité lato sensu comprend « toutes les normes de valeur supérieure à celle de la loi et dont le Conseil constitutionnel est chargé d'assurer le respect »[3]. Par contre le bloc de constitutionnalité stricto sensu se définit comme « l'ensemble des principes et règles à valeur constitutionnelle dont le respect s'impose au pouvoir législatif »[4]. Il est évident que pour traiter le problème de la hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité seulement c'est le deuxième sens qui peut être retenu. Car, le bloc de constitutionnalité au sens large contient également les lois organiques. Or, ces lois se situent dans un rang inférieur à celui de la Constitution. Comme l'a montré le doyen Vedel, « lorsque le juge constitutionnel censure une loi ordinaire... comme contraire à une loi organique, le fondement de cette censure... est en dernière analyse la méconnaissance par celui-ci des dispositions de l'article 46 de la Constitution »[5]. C'est pourquoi, dans notre travail, le bloc de constitutionnalité est pris dans son sens strict. Et dans ce sens, le bloc de constitutionnalité se compose exclusivement de textes de niveau constitutionnel[6] : les articles de la Constitution de 1958 et son Préambule. Et ce dernier fait référence d'une part à la Déclaration de 1789[7] et d'autre part au Préambule de la Constitution de 1946[8]. Le préambule de 1946 à son tour comporte lui-même la référence aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République »[9] et aux « principes particulièrement nécessaires à notre temps »[10]. Ainsi les normes du droit international[11] et les principes généraux du droit[12] ne font pas partie du bloc de constitutionnalité.

Dès lors que le bloc de constitutionnalité est composé de plusieurs textes, le problème de la hiérarchisation de ces textes les uns par rapport aux autres se pose inévitablement[13]. Ainsi tous les textes faisant partie du bloc de constitutionnalité ont‑ils la même valeur ? « Certains ne doivent-ils pas, en cas de conflit être préférés à d'autres ? Par exemple, la Déclaration de 1789 prime-t-elle ou non les dispositions du Préambule de 1946 ? Prime-t-elle les articles de la Constitution »[14] ?

Une partie de la doctrine répond par l'affirmative. Pour certains auteurs, il y a une hiérarchie entre les textes composant le bloc de constitutionnalité. Selon leurs thèses, tel ou tel texte faisant partie du bloc de constitutionnalité prévalent sur les autres textes de ce bloc. Cependant il est intéressant de constater que ces auteurs, tous partisans d'une telle hiérarchisation, ne sont pas d'accord sur le rang qui sera attribué dans la hiérarchie à tel ou tel texte. Pour certains, c'est la Déclaration de 1789 qui occupe le premier rang dans la hiérarchie. Pour d'autres, c'est le Préambule de la Constitution de 1946 qui prévaut sur les autres parties du bloc de constitutionnalité.

1. La thèse de la supériorité de la Déclaration de 1789 sur le préambule de la Constitution de 1946

En faveur de cette thèse deux arguments sont invoqués.

a) Le premier argument se fonde sur le caractère absolu et imprescriptible des droits proclamés par la Déclaration.

Par exemple, François Goguel affirme que la Déclaration de 1789 a une prééminence par rapport aux « principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps » énoncés par le Préambule de la Constitution de 1946. Selon lui, cette prééminence

« se justifie fort bien. Il résulte des termes mêmes de la Déclaration de 1789 que celle-ci ne prétend pas correspondre à un état donné du développement de l'histoire de l'humanité et de l'évolution des sociétés. Les droits qu'elle proclame appartiennent à l'homme en tant qu'il est homme. Ils sont absolus et imprescriptibles. Au contraire les principes énoncés par le Préambule de 1946 sont expressément déclarés ‘particulièrement nécessaires à notre temps’. Ils ont donc pu ne pas être nécessaires dans le passé, ils pourront ne plus l'être dans l'avenir... Les principes particulièrement nécessaires à notre temps, à la différence des Droits proclamés en 1789, sont donc affectés d'un certain coefficient de contingence et de relativité »[15].

De même Stéphane Rials estime que

« d'un côté, il y a quelques principes qui sont à la base de tout mouvement juridique, des principes que notre ordonnancement juridique, par le truchement de la déclaration de 1789, ne se permet pas de constituer mais reconnaît comme antérieurs et supérieurs, naturels et imprescriptibles. Ils bénéficient d'un exceptionnel consensus. De l'autre, il y a d'une part des principes qui correspondent à un moment donné de notre civilisation juridique – éminents certes, mais manifestement inférieurs aux précédents qu'ils se contentent souvent de préciser au regard de l'éthique du dernier siècle –, et d'autre part des propositions programmatiques qui ne font certes pas l'objet d'un sentiment unanime de l'opinion (les nationalisations par exemple), qui apparaissent étroitement marquées par les circonstances de leur élaboration, qui ont parfois le caractère de simples directives (ainsi lorsque le préambule de 1946 pose que ‘la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement’ ; ou que ‘tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises’ »[16].

André de Laubadère et Pierre Delvolvé, en constatant le caractère libéral des principes proclamés par la Déclaration de 1789 et le caractère interventionniste des principes de 1946, placent, eux aussi, les principes libéraux au premier plan. Pour les auteurs,

« les principes interventionnistes ne viennent qu'en second lieu (ils sont proclamés ‘en outre’). Dans la mesure où ils contredisent les précédents, ils l'emportent sur eux. Mais en dehors de ceux qu'ils impliquent nécessairement, les principes libéraux retrouvent application. Si l'on voulait schématiser, on dirait que ces derniers constituent le droit commun, alors que les autres constituent l'exception. La formule est sans doute trop brutale. Il n'en faut pas moins considérer que l'interventionnisme qu'appelle le préambule s'inscrit dans un système dont il maintient le libéralisme »[17].

b) Le deuxième argument se concentre sur le caractère complémentaire du préambule de la Constitution de 1946. En effet les termes mêmes du préambule de la Constitution de 1958 affirment que le préambule de la Constitution de 1946 « confirme » et « complète » la Déclaration de 1789[18].

Ainsi en soulignant le caractère complémentaire du préambule de la Constitution de 1946, Jean-François Flauss soutient que les droits sociaux ont un « rang inférieur et subordonné dans le bloc des règles à valeur constitutionnelle »[19]. Selon lui que « les droits sociaux peuvent venir enrichir, mais non amputer, les droits et libertés issus de la Déclaration de 1789 »[20]. « En d'autres termes, c'est dire que les principes constitutionnels résultant de la Déclaration de 1789 sont, par rapport à ceux issus du Préambule de 1946, dotés d'une autorité supérieure. Par voie de conséquence, en cas de conflit les premiers primeront les seconds »[21].

2. La thèse de la supériorité du préambule de la Constitution de 1946 sur la Déclaration de 1789

En sens inverse, certains auteurs ont soutenu que le texte du préambule de la Constitution de 1946 a une prééminence sur celui de la Déclaration de 1789. En faveur de cette thèse, comme l'observe le doyen Georges Vedel, deux arguments sont avancés. « Le premier serait de faire valoir que le texte le plus récent doit être préféré au plus ancien. Le second serait que les ‘principes particulièrement nécessaires à notre temps’ doivent l'emporter sur des principes venant d'autres temps »[22].

a) Le premier argument consiste en l'application de la règle lex posterior derogat priori. Ainsi, selon cette règle, en cas de conflit le texte le plus récent l'emporte sur le plus ancien. En appliquant cette règle au bloc de constitutionnalité, Loïc Philip a affirmé que

« les dispositions contenues dans la Constitution de 1958 l'emporteraient sur celles du Préambule de 1946, lesquelles prévaudraient sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, qui eux-mêmes l'emporteraient sur la Déclaration de 1789. Les dispositions contenues dans ce texte ne pourraient donc recevoir valeur constitutionnelle que dans la mesure où elles ne seraient pas contredites par d'autres dispositions constitutionnelles postérieures et leur portée devraient être définie compte tenu des limitations qui ont pu intervenir par la suite dans des textes de valeur constitutionnelle »[23].

b) Quant au deuxième argument, il a été avancé en 1974 par François Luchaire. Selon lui,

« la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 répondait aux exigences de son époque ; mais notre époque a d'autres exigences : la propriété ‘droit inviolable et sacré’ est devenue une fonction sociale ; l'égalité en droit est dépassée par le souci d'une égalité matérielle ; la Déclaration de 1789 ne doit pas être interprétée comme elle l'aurait été au début de la grande révolution, mais en fonction de notre temps et naturellement des autres dispositions très générales de la Constitution de 1958 de son préambule comme celui de 1946. A cet égard une disposition de l'actuelle Constitution apparaît fondamentale ‘la France est une République... sociale’ ; cette affirmation apporte la clé d'interprétation de la Déclaration de 1789 qui la fait correspondre aux exigences de notre temps »[24].

B. Les thèses posant une hiérarchie entre les différentes dispositions constitutionnelles

Nous avons déjà remarqué qu'il y a un deuxième aspect de la hiérarchie au sein du bloc de constitutionnalité. Dans cet aspect, on établit une hiérarchie non pas entre les différents textes composant le bloc de constitutionnalité, mais entre les différentes dispositions de ces textes en fonction de leur contenu respectif.

La question de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles a été formulée par le doyen Georges Vedel avec un certain humour :

« il faut se demander si, dans l'ensemble des normes ayant leur source dans des textes constitutionnels, le juge constitutionnel n'admet pas une certaine hiérarchie, s'il n'y a pas pour lui des normes de premier rang et des normes de second ou troisième rang. Parodiant la boutade fameuse selon laquelle ‘tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que les autres’ ne pourrait-on pas dire que ‘toutes les règles écrites dans la Constitution sont constitutionnelles, mais certaines le sont plus que les autres’ »[25] ?

Certains auteurs donnent une réponse affirmative à cette question. Pour eux, il y a une certaine hiérarchie au sein des normes constitutionnelles. Ils estiment que les dispositions de la constitution sont d'une valeur différente. Certaines normes que l'on juge essentielles en fonction de leur contenu sont supérieures aux autres.

Ainsi selon cette thèse, les dispositions auxquelles on attribue le premier rang dans la hiérarchie constituent des limites à la révision constitutionnelle. En d'autres termes, selon ces auteurs, comme le remarque le doyen Vedel, « il y a dans la constitution des principes tellement fondamentaux qu'ils sont même à l'abri d'un futur pouvoir constituant »[26]. Au plan matériel, selon eux, il existerait des dispositions qui, en raison de leur importance, seront soustraites de toute révision constitutionnelle. Par conséquent ces principes seraient intangibles non seulement à l'égard du pouvoir législatif, mais même à l'égard du pouvoir constituant.

Ainsi dans la doctrine française, certains auteurs pensent que les dispositions de la constitution concernant le noyau dur des droits fondamentaux ont une valeur supérieure par rapport aux autres (1). Par contre d'autres estiment que ce sont les dispositions de la constitution touchant à la souveraineté nationale qui prévalent sur d'autres (2) [27].

1. La thèse de la supériorité des dispositions constitutionnelles concernant le noyau dur des droits fondamentaux (la thèse de l'existence des droits fondamentaux de « premier rang »)

Il y a des auteurs qui pensent que la valeur des droits fondamentaux n'est pas la même. « Certains droits sont ‘plus fondamentaux’ que d'autres »[28]. Ainsi, pour eux, il y a des droits fondamentaux de premier rang, de deuxième rang, etc. Et par voie de conséquence, ils établissent une hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles concernant les droits fondamentaux de premier rang et les autres. C'est pourquoi, selon eux, en cas de conflit, les dispositions constitutionnelles concernant les droits fondamentaux de premier rang doivent l'emporter sur d'autres. Ainsi, la norme posée par une loi de révision constitutionnelle ne doit pas être contraire à une norme des droits fondamentaux de premier rang. Dans cette conception, les normes constitutionnelles concernant les droits fondamentaux de premier rang constituent une limite à la révision constitutionnelle.

Ainsi selon certains auteurs, le Conseil constitutionnel admet dans sa jurisprudence une hiérarchie matérielle des droits fondamentaux. Ces auteurs considèrent que le Conseil constitutionnel assure une protection et une garantie différente des droits fondamentaux en fonction de leur contenu.

Par exemple, Bruno Genevois pense que le Conseil constitutionnel établit « une hiérarchie matérielle des droits garantis »[29]. Selon cet auteur, « les droits énoncés par la Déclaration ne sont pas tous garantis au même degré »[30]. Il propose par ailleurs différents critères pour l'établissement d'une hiérarchie entre les droits fondamentaux : le « degré de précision considéré », le « point de savoir s'il comporte des exceptions ou des tempéraments », le « degré d'attachement de l'opinion dominante à son égard », « l'étendue du contrôle que le juge exerce sur les actes ou décisions qui le mettent en cause ou en oeuvre »[31]. En partant de ces critères, il croit que les libertés qui « apparaissent les mieux protégées sont la liberté individuelle, la liberté d'opinion et de conscience ainsi que la liberté de la presse »[32]. En effet comme l'observe le doyen Vedel, cela revient à dire que « certains principes ou droits seraient de premier rang pour le juge, tandis que d'autres seraient de second ou de troisième rang. De proche en proche on pourrait aboutir à une sorte de classement des libertés publiques en plusieurs catégories hiérarchisées »[33].

De même, Dominique Turpin pense qu'il y a, au-delà d'une hiérarchisation apparemment formelle, « une hiérarchisation en réalité matérielle »[34]. Selon lui, « il n'y a pas en effet égalité de valeur entre les différentes dispositions de chacune des normes qui composent le bloc de constitutionnalité »[35]. Il affirme que l'on ne doit pas ranger les dispositions de la Déclaration de 1789 dans une catégorie unique :

« certaines nécessitent en effet une mise en oeuvre législative et une conciliation entre elles selon les directives du Conseil constitutionnel, tandis que d'autres à savoir celles qui figures aux articles 1 et 2, constituent le noyau dur au sujet desquelles la conception jusnaturaliste l'emporte toujours sur le volontarisme d'une majorité parlementaire éphémère. Une hiérarchie peut donc en cacher une autre et on aboutit ainsi à un édifice normatif de référence à deux étages : à la base se situe le noyau des ‘droits naturels et imprescriptibles de l'homme’ dont la conservation reste ‘le but de toute association politique’... Dès lors, apparaît une triple série de rapports entre les normes du bloc de constitutionnalité : entre celles proclamant des ‘droits naturels’ aucune antinomie n'est concevable, car elles sont les différents aspects de la même notion de liberté et de dignité de la personne humaine qui sous-entend et soutient toute notre construction juridique, et donc aucune hiérarchie... ; entre les réalisations possibles de ces normes fondamentales les constructions sont inévitables mais surmontables par une législation... ; entre les premières et les seconds enfin existe une hiérarchie que le Conseil constitutionnel s'applique à faire très scrupuleusement respecter »[36].

Stéphane Rials pense également qu'« il serait plus expédient de consacrer la suprématie de la liberté - et donc de l'article 2 de la Déclaration de 1789 - sur les autres principes constitutionnels »[37].

Quant à Louis Favoreu, il n'accepte pas qu'il y ait une hiérarchie formelle entre la Déclaration de 1789, le Préambule de 1946 et la Constitution de 1958. Cependant il se demande « s'il ne faut pas distinguer entre les divers droits et libertés quant à la protection qui leur est assurée par le juge constitutionnel »[38]. Il propose ainsi de distinguer « entre les libertés de premier et de second rang »[39]. Et il place la liberté individuelle et des libertés d'association, de la presse (écrite) et de l'enseignement au premier rang[40]. Car selon lui, ces quatre libertés « bénéficient d'une protection renforcée sur trois points »[41] : « pour ces libertés, tout d'abord, la technique de l'autorisation préalable ne peut être institué par le législateur »[42]. En deuxième lieu, s'agissant de ces libertés, le législateur « ne peut intervenir que pour augmenter ou renforcer la protection qui leur est assurée »[43]. Enfin, « ces libertés doivent faire l'objet d'une application uniforme sur l'ensemble du territoire »[44].

Ainsi nous venons de voir les thèses des différents auteurs qui font une distinction entre les libertés de premier et second rang. On pourrait se demander s'il s'agit vraiment d'une hiérarchie « juridique ». Car, parmi ces auteurs, certains, comme Louis Favoreu[45] ou comme Bruno Genevois[46], refusent catégoriquement l'existence d'une hiérarchie entre les composantes du bloc de constitutionnalité. C'est pourquoi, cette hiérarchie est appelée par Bruno Genevois « matérielle » à la différence de la « hiérarchie formelle »[47]. Et Louis Favoreu, en précisant que « ce n'est pas une véritable hiérarchie, même si on l'appelle matérielle »[48], parle seulement des « libertés de premier rang » et des « libertés de second rang »[49]. Mais, à notre avis, même si ces auteurs n'affirment pas toujours l'existence d'une hiérarchie formelle entre les normes constitutionnelles, la conséquence de cette thèse revient à la même chose. Car, comme le remarque à juste titre le doyen Vedel, « de proche en proche on pourrait aboutir à une sorte de classement des libertés publiques en plusieurs catégories hiérarchisées »[50].

En effet ce qui est déterminant pour nous, c'est le fait que les droits fondamentaux de premier rang l'emporteraient sur d'autres en cas de conflit entre les droits fondamentaux de premier rang et d'autres, selon la logique de cette thèse. Ainsi, dans le cas où le pouvoir de révision constitutionnelle pose une norme contraire à un droit fondamental de premier rang, le juge constitutionnel sera tenu de donner la préférence à ce dernier. Il est évident que ceci revient à un effet équivalent à celui des thèses posant une hiérarchie formelle entre les normes constitutionnelles. Bref, dans cette conception, les droits fondamentaux de premier rang constitueraient des limites à la révision constitutionnelle. En conséquence, dans la pratique, les droits fondamentaux de premier rang seraient pratiquement hors d'atteinte du pouvoir de révision constitutionnelle.

Cette conséquence peut être trouvée d'une façon plus claire dans l'affirmation de Robert Badinter selon laquelle « il y a, dans nos systèmes constitutionnels, des libertés intangibles que le constituant ne pourrait supprimer. Seraient seuls modifiables les droits qui n'appartient pas à ce noyau sacré »[51]. En allant encore plus loin, Maryse Baudrez a récemment prétendu que « par nature, en effet, toute disposition constitutionnelle relative aux droits de l'Homme ne peut être, par essence, ‘révisée’ »[52].

2. La thèse de la supériorité des normes constitutionnelles relatives à la souveraineté nationale

Certains auteurs pensent que les dispositions de la constitution relatives à la souveraineté nationale ont une valeur supérieure par rapport aux autres. Par conséquent ces dispositions sont intangibles non seulement à l'égard du pouvoir législatif, mais encore du pouvoir de révision constitutionnelle.

Par exemple, Léo Hamon pense qu'il y a dans la Constitution « des principes fondamentaux sur lesquelles on ne peut pas revenir »[53]. Et selon lui, la souveraineté nationale entre dans la catégorie de tels principes[54]. Le professeur Hamon affirme qu'« un parlement supprimant la souveraineté nationale, ou la mutilant, agirait aussi gravement qu'un parlement prétendant établir des distinctions de droit entre les français selon leur religion, leur race, leur classe »[55].

Le professeur Olivier Beaud[56], d'une façon encore plus systématique, propose une hiérarchisation entre les normes de la Constitution en fonction du fait qu'elles touchent ou non à la souveraineté du peuple. Ainsi il attribue une place supérieure aux dispositions de la Constitution relatives à la souveraineté du peuple dans la hiérarchie des normes constitutionnelles[57]. Par conséquent, ces dispositions deviennent intangibles à l'égard du pouvoir de révision constitutionnelle.

Tout d'abord Olivier Beaud critique la doctrine dominante selon laquelle « il ne saurait y avoir de primauté d'un article de la Constitution sur un autre, ou encore d'un ‘principe’ constitutionnel comme celui de la souveraineté sur une règle constitutionnelle »[58]. Il estime que « selon un tel raisonnement, la souveraineté nationale... n'a pas plus de valeur juridique que n'importe quelle disposition constitutionnelle édictée en ‘la forme de révision’ »[59] ! Ensuite le professeur Beaud affirme que la souveraineté nationale est un « élément intangible de la Constitution »[60]. Ainsi selon lui,

« les réserves de la souveraineté ne peuvent être levées par le pouvoir de révision constitutionnelle, mais seulement par le pouvoir constituant[61] car seul un acte de souveraineté peut ici défaire un autre acte constituant. Si la loi constitutionnelle de révision est impuissante à lever l'obstacle de la souveraineté nationale, c'est parce que celle-ci doit être interprétée comme faisant partie des dispositions intangibles de la Constitution française. La souveraineté de l'Etat (impliquée par la souveraineté nationale) constitue une limitation autonome et tacite tirée de l'interprétation raisonnable et systématique de la Constitution »[62].

Ainsi selon le professeur Beaud,

« les réserves de souveraineté font partie des limitations matérielles qui imposent la loi de révision constitutionnelle. Parmi ces réserves figurent non seulement la souveraineté nationale, mais aussi la souveraineté de l'Etat (puissance publique) qui est sa précondition. La souveraineté de l'Etat fait donc partie de réserves de souveraineté, elle est donc un élément intangible de la Constitution française... en tant que tel, protégée contre une révision »[63].

De plus Olivier Beaud établit encore une hiérarchie entre les alinéas 2 et 3 de l'article 89 de la Constitution française. Selon lui, l'alinéa 2 prévoyant la procédure de référendum populaire pour la révision constitutionnelle est supérieur à l'alinéa 3 prévoyant la ratification parlementaire. Il estime que les matières touchant à la souveraineté ne peuvent pas être révisées par la procédure de ratification parlementaire, mais seulement par le référendum constituant[64].

Comme le précise Olivier Beaud lui-même, sa thèse a pour « effet juridique la reconnaissance d'une supériorité de certaines dispositions constitutionnelles sur d'autres »[65]. Et selon lui, ces dispositions supérieures, comme on vient de le montrer, sont celles qui touchent à la souveraineté du peuple. Bref, les dispositions de la Constitution touchant à la souveraineté du peuple sont intangibles à l'égard du pouvoir de révision, par conséquent elles constituent des limites à la révision constitutionnelle.

§ 2. Critique

Avant de voir les critiques particulières adressées à ces thèses, il convient tout d'abord de faire quelques remarques préliminaires.

Premièrement, il est certain que pour résoudre le problème de la hiérarchie au sein du bloc de constitutionnalité, il faut d'abord préciser ce qu'on entend par le terme de « hiérarchie ».

On le sait que, dans la conception kelsénienne du droit, « l'ordre juridique n'est pas un système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie formée (pour ainsi dire) d'un certain nombre d'étages ou couches de normes juridiques »[66]. Et d'autres part, comme on l'a précédemment vu, dans cette conception, une norme est valable si elle a été créée conformément à une autre norme, plus précisément une norme supérieure[67]. Ainsi chaque étage de la hiérarchie tire sa validité d'un étage supérieur de cette hiérarchie[68]. En d'autres termes, selon Kelsen, une norme qui « n'est pas conforme à la norme qui règle sa création ne pourrait pas être considérée comme une norme valable »[69].

Le doyen Jean-Marie Auby constate que

« même si l'on n'admet pas les conceptions kelséniennes de la hiérarchie et les conséquences qu'y attache l'illustre auteur, il faut bien reconnaître l'existence en droit positif du phénomène. Les compétences normatives des autorités publiques varient selon leur place dans la hiérarchie des organes et il en résulte une certaine hiérarchie ‘statique’, un étagement des normes. Certaines normes peuvent être dites inférieures par rapport à d'autres en ce sens qu'elles ne sont pas valables si elles ne s'établissent pas dans un certain rapport (conformité, non contrariété, etc...) avec les autres ; certaines normes peuvent être dites supérieures par rapport à d'autres en ce sens qu'elles seront préférées par rapport à d'autres en ce sens qu'elles seront préférées s'il est impossible de les appliquer simultanément – de fait de leur contradiction – avec les autres. Ces situations d'infériorité ou de supériorité permettent de dégager dans un ordre juridique sinon une hiérarchie cohérente et continue, du moins des étagements hiérarchiques »[70].

Suivant la conception kelsénienne, nous définissons la hiérarchie des normes comme la relation de la validité entre elles. Ainsi s'il y a une hiérarchie entre deux normes, cela signifie que la norme de degré inférieur tire sa validité de la norme de degré supérieur. En d'autres termes, la norme inférieure n'est pas valable si elle n'est pas conforme à la norme supérieure. Par conséquent, en cas de conflit entre deux normes, si elles sont de rang différent dans la hiérarchie, l'une d'elles est totalement préférée à l'autre, c'est-à-dire que la norme inférieure contraire à la norme supérieure sera invalidée par le juge. Par contre, si ces normes sont de même rang, le juge doit les concilier par l'interprétation[71].

Ensuite pour ne pas tomber dans une fausse interprétation de ces thèses, il faut faire une distinction entre la « hiérarchie juridique proprement dite » et la « hiérarchie purement morale ou politique ».

La hiérarchie juridique est celle qui est définie par la relation de validité entre les normes hiérarchisées les unes par rapport aux autres. Nous l'avons expliquée dans les paragraphes précédents. C'est pourquoi nous n'y revenons pas.

Cependant on peut voir aussi une hiérarchie purement morale ou politique entre les normes constitutionnelles. Car, il est certain que, comme l'affirme le doyen Vedel, « toutes les dispositions de valeur constitutionnelle n'ont pas la même importance ni la même dignité morale ou politique »[72]. Par exemple, à cet égard on peut dire que la disposition qui prohibe la censure de la presse (art.11 de la Déclaration de 1789) est plus « importante » que celle qui interdit le cumul de la fonction ministérielle et d'un mandat parlementaire (art.23 de la Constitution de 1958)[73].

Mais les thèses qu'on va critiquer ici ne se contentent pas de souligner les différences d'importance et de dignité morale ou politique qui existent entre les diverses normes constitutionnelles, mais en allant encore plus loin elles affirment qu'il existe une hiérarchie juridique entre ces normes. C'est-à-dire que selon les défenseurs de ces thèses, en cas de conflit, les normes constitutionnelles de rang supérieur doivent l'emporter sur d'autres. Ainsi, une norme posée par une loi de révision constitutionnelle pour être valable doit être conforme aux normes constitutionnelles de premier rang. En d'autres termes si la norme posée par le pouvoir de révision constitutionnelle est contraire aux normes de premier rang, elle n'est pas valable. Par conséquent ces normes constitutionnelles de premier rang constituent des limites à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

Bref, les thèses que nous allons critiquer ici ne posent pas seulement une hiérarchie purement morale ou politique entre telle ou telle disposition ou tel ou tel ensemble de dispositions du bloc de constitutionnalité, mais elles soutiennent aussi l'existence d'une hiérarchie juridique. Ce que nous allons critiquer ici, c'est ce deuxième aspect de ces thèses.

A. La critique des thèses posant une hiérarchie entre les textes composant le bloc de constitutionnalité

Nous allons d'abord évoquer la critique générale, et ensuite nous verrons les critiques particulières adressées à ces thèses.

1. La critique générale

D'abord il convient de noter que les thèses posant une hiérarchie dans le bloc de constitutionnalité sont chargées d'arrière‑pensées partisanes[74]. Car, le débat sur l'existence d'une hiérarchie entre les composants du bloc de constitutionnalité (la supériorité de la Déclaration de 1789 sur le Préambule de 1946 et inversement) s'est situé en France dans un contexte politique très précis. Comme le souligne Philippe Terneyre,

« ce débat juridique ne peut se comprendre que si on le replace dans son contexte politique très tendu de l'époque qui culmine avec l'arrivé au pouvoir, en mai 1981, d'une majorité formée de socialistes et de communistes. Pour les uns, il faut alors faire en sorte que la ‘rupture (annoncée) avec le capitalisme’ soit, sinon totalement empêchée juridiquement, du moins fortement tempérée, par la démonstration qu'en toute hypothèse, le système juridique français est prioritairement fondé sur des principes libéraux. Pour les autres au contraire, écartés du pouvoir pendant plus de vingt ans, il faut faire la preuve... mais que les principes politiques, économiques et sociaux définis dans le Préambule de 1946, sont plus particulièrement nécessaires à notre temps que ceux de 1789 »[75].

C'est pourquoi certains auteurs examinent les thèses de la supériorité de la Déclaration de 1789 sur le Préambule de 1946 sous l'intitulé « les thèses ‘libérales’ » et celles de la supériorité du Préambule de 1789 sur la Déclaration de 1789 sous l'appellation « les thèses ‘socialisantes’ »[76].

A notre avis, il n'y a pas de hiérarchie entre les textes composant le bloc de constitutionnalité. Car, puisque nous avons défini la hiérarchie comme une relation de validité entre les différentes normes, s'il y a une hiérarchie entre les composants du bloc de constitutionnalité, ils doivent tirer leur validité les uns des autres. Or, comme on le sait, tous les composants du bloc de constitutionnalité, c'est‑à‑dire la Constitution proprement dite, le Préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration de 1789, tirent leur validité d'un seul et unique acte : le référendum constituant de 1958. En d'autres termes, comme l'affirme le doyen Vedel, « aucune hiérarchie ne peut être établie entre ces textes du point de vue de la validité. Leur valeur résulte pour tous du vote au référendum constituant de 1958 qui leur a conféré un statut juridique égale »[77].

2. Les critiques particulières

Nous pouvons passer maintenant aux critiques particulières adressées à ces thèses.

a. La critique de la thèse de la supériorité de la Déclaration de 1789 sur le Préambule de 1946

On se rappellera que le premier argument invoqué en faveur de cette thèse était fondé sur le caractère absolu et imprescriptible des droits proclamés par la Déclaration. Ainsi selon François Goguel les droits que la Déclaration proclame appartiennent à « l'homme en tant qu'il est homme. Ils sont absolus et imprescriptibles »[78]. Comme le remarque Thierry Di Manno, cet argument revient en effet « à introduire le droit naturel dans notre système juridique en organisant une hiérarchie au sein du bloc de constitutionnalité au sommet de laquelle se situent des principes intangibles »[79]. Nous avons déjà refusé de prendre en considération les arguments jusnaturalistes[80]. C'est pourquoi nous excluons par hypothèse même cet argument.

Quant au deuxième argument qui se concentre sur le caractère complémentaire du préambule de la Constitution de 1946, comme le montre à juste titre le doyen Vedel,

« le fait que le Préambule de 1946 ‘confirme’ et ‘complète’ la Déclaration de 1789 n'empêche pas que le constituant a énoncé de façon positive en quoi consistent ces compléments. Aucune autorité ne peut retrancher tel ou tel de ces compléments ou l'invalider. Ils sont ce qu'ils sont. Il peut se poser à leur sujet un problème d'interprétation, mais non pas de validité. Ce sont deux points de vue différents »[81].

b. La critique de la thèse de la primauté du préambule de la Constitution de 1946 sur la Déclaration de 1789

En faveur de cette thèse, comme on s'en souviendra, deux arguments étaient avancés.

Le premier argument consistait en application de la règle lex posterior derogat priori. Ainsi, le Préambule de 1946, étant un texte plus récent, devait l'emporter sur la Déclaration de 1789, texte le plus ancien. Or, comme l'a bien montré le doyen Georges Vedel, la règle lex posterior derogat priori n'a pas lieu de jouer entre la Déclaration de 1789 et le Préambule de 1946, puisque, même si,

« historiquement, la Déclaration de 1789 est évidemment antérieure au Préambule de 1946, juridiquement leur édiction en règles faisant partie intrinsèque de la Constitution de 1958 s'est faite simultanément et son effet dans le temps ne joue pas plus au profit de l'une que de l'autre »[82].

Quant au deuxième argument qui a été invoqué par François Luchaire selon lequel « les principes particulièrement nécessaires à notre temps doivent l'emporter sur des principes venant d'autres temps »[83], le doyen Vedel a montré que

« le constituant a bien pu estimer que les principes posés par le Préambule étaient ‘particulièrement nécessaires à notre temps’. Mais il a laissé subsister le texte de 1789 dans son intégrité et aucune autorité ne peut opérer, au nom d'une hiérarchie sans fondement positif, de retranchement traduisant une invalidation partielle de la Déclaration »[84].

Enfin il convient de noter que les thèses posant une hiérarchie entre les textes composant le bloc de constitutionnalité n'ont jamais été entérinées par le juge constitutionnel. Comme le remarque le doyen Louis Favoreu « la controverse a été tranchée par le Conseil constitutionnel dans la décision du 16 janvier 1982 : Déclaration des droits de l'homme, Préambule de 1946 et Constitution de 1958 sont placés à égalité puisqu'ils ont été confirmés ou adoptés par le peuple français par le référendum du 28 septembre 1958 : il n'y a pas de hiérarchie entre eux »[85]. Cette analyse est soutenue aussi par le doyen Vedel. En ce qui concerne la même décision, il affirme que « ... la Déclaration garde toute sa force juridique. Mais rien dans la décision ne marque que cette force serait supérieure à celle des dispositions du Préambule de 1946. Les deux textes sont à égalité »[86]. Mais surtout, la jurisprudence ultérieure du Conseil constitutionnel n'a jamais confirmé la thèse posant une hiérarchie entre les textes composant le bloc de constitutionnalité[87].

En conclusion on peut donc affirmer, avec le doyen Georges Vedel, que

« la Déclaration et le Préambule de 1946 ont, en droit constitutionnel positif, une valeur exactement égale à celle des autres dispositions de la Constitution. En cas de conflit, il y aura lieu à interprétation des règles, non pas à classement hiérarchique entre elles. Toute affirmation conduirait à construire de toutes pièces et hors de toute référence au droit positif... une théorie... arbitraire et purement subjective »[88].

B. La critique des thèses posant une hiérarchie entre les différentes dispositions constitutionnelles

Conformément au plan suivi sous l'intitulé A, nous allons d'abord voir la critique générale, et ensuite les critiques particulières adressées aux thèses posant une hiérarchie entre les différentes dispositions constitutionnelles.

1. La critique générale

Nous pouvons affirmer que la critique générale adressée aux thèses posant une hiérarchie entre les textes composant le bloc de constitutionnalité peut être adressée aussi aux thèses posant une hiérarchie entre les différentes normes faisant partie de ces textes. Ainsi, on peut souligner que s'il y a une hiérarchie entre les différentes normes constitutionnelles, elles doivent tirer leur validité les unes des autres. Or, comme on le sait, toutes les normes à valeur constitutionnelle tirent leur validité d'un seul et unique acte : le référendum constituant de 1958. En d'autres termes, aucune hiérarchie ne peut être établie entre les différentes normes à valeur constitutionnelle du point de vue de leur validité. Toutes les normes constitutionnelles sont édictées par le même vote et peuvent être modifiées ou abrogées selon la même procédure de révision. Par conséquent elles ne différent les unes des autres ni en validité ni en force juridique[89]. Autrement dit, comme le doyen Vedel l'affirme, « la révision de telle disposition que l'on peut juger essentielle n'exige pas une procédure différente de celle qui présiderait à la retouche de telle autre disposition de caractère anodin »[90].

2. Les critiques particulières

Maintenant nous pouvons passer aux critiques particulières adressées à ces thèses.

a. La critique de la thèse de la supériorité des dispositions constitutionnelles concernant le noyau dur des droits fondamentaux (la thèse de l'existence des droits fondamentaux de premier rang)

D'abord il convient de noter que le débat sur la hiérarchie entre les droits fondamentaux est en effet une prolongation du débat sur la hiérarchie entre la Déclaration de 1789 et le Préambule de 1946. Ce débat, en s'exacerbant par les ambiguïtés de la décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1982 relative aux nationalisations[91], s'est transformé en celui sur la hiérarchie entre les droits fondamentaux[92].

On se rappellera que selon certains auteurs, il y a une hiérarchie entre les droits fondamentaux en fonction de leur contenu. Ainsi pour eux, il y a les libertés de premier et de second rang. Et en cas de conflit, les dispositions constitutionnelles concernant les droits fondamentaux de premier rang doivent l'emporter sur d'autres. Par conséquent, une norme posée par une loi de révision constitutionnelle ne doit pas être contraire à une norme des droits fondamentaux de premier rang. Dans cette conception, les normes constitutionnelles concernant les droits fondamentaux de premier rang constituent des limites à la révision constitutionnelle. En d'autres termes, dans cette conception, les droits fondamentaux de premier rang seront hors de l'atteinte du pouvoir de révision constitutionnelle.

Nous avons déjà constaté que, même si parmi les tenants de cette thèse, certains auteurs n'affirment pas toujours l'existence d'une hiérarchie formelle entre les composants du bloc de constitutionnalité, la conséquence de cette thèse de la hiérarchie matérielle n'est pas en effet autre chose que l'établissement d'une hiérarchie juridique proprement dite. Car, cette thèse prétend dégager une conséquence juridique de cette hiérarchie matérielle : les droits fondamentaux échappent à toute tentative de révision constitutionnelle. D'ailleurs Dominique Rousseau montre que « derrière l'apparence d'une hiérarchie strictement matérielle, cette théorie introduit ou réintroduit une distinction d'ordre formel. En effet, les différents classements... reviennent à reconnaître une primauté aux principes ou à certaines droits issus de la Déclaration de 1789 sur ceux du Préambule de 1946 toujours seconds »[93].

Il convient de noter qu'une telle hiérarchisation impliquera nécessairement une conception matérielle de la constitution. Or comme on l'a déjà expliqué dans le titre préliminaire, en droit français c'est la conception formelle qui est retenue. Et dans cette conception, ce qui compte, c'est la forme, et non pas le contenu des dispositions. Ainsi toutes les dispositions de la constitution ont la même valeur juridique en tant que règles contenues dans le même texte. Ainsi la révision d'une disposition concernant une liberté de premier rang n'exige pas une procédure différente de celle qui règle une liberté de deuxième rang.

Jean-Yves Chérot critique la notion de hiérarchie matérielle introduite par Bruno Genevois en disant que

« la différence de protection accordée par le juge aux droits à valeur constitutionnelle tient seulement aux différences dans le contenu des normes constitutionnelles garantissant ces droits et libertés. Le fait que les libertés soient protégées par la Constitution ne signifie pas nécessairement qu'elles soient toutes également protégées. Une hiérarchie entre droits et libertés selon le degré de protection qu'ils reçoivent n'équivaut donc pas à une hiérarchie entre normes constitutionnelles. Nous ne sommes pas en présence d'une hiérarchie (matérielle) entre normes de même niveau dans la hiérarchie formelle, mais d'une différence de niveau, dans la hiérarchie formelle, des normes de protection. Par exemple, le principe d'interdiction d'un régime d'autorisation préalable dans l'aménagement d'un droit a valeur constitutionnelle en matière de liberté de la presse et valeur législative en matière de propriété ou de liberté d'entreprendre »[94].

S'il y a un conflit entre les droits fondamentaux, comme le souligne le doyen Vedel, il y aura lieu de les concilier, et non d'établir un classement hiérarchique entre eux[95].

D'ailleurs il est intéressant de constater que les partisans de cette thèse ne sont pas d'accord sur la liste des droits fondamentaux de premier rang. Comme le remarque à juste titre Dominique Rousseau,

« pour être scientifique cette théorie devrait d'abord conduire ses partisans à un accord sur la liste des droits plus protégés que d'autres. Or chacun possède son propre classement : Bruno Genevois met au sommet de la hiérarchie, la liberté individuelle, la liberté d'opinion et de conscience, et la liberté de presse[96] ; Louis Favoreu retranche la liberté d'opinion et de conscience mais ajoute la liberté d'association et la liberté de l'enseignement[97] ; Dominique Turpin, pour sa part, y place l'ensemble des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme, la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression[98]. Les désaccords sur les matières bénéficiant d'une garantie constitutionnelle particulière sont préjudiciables à la qualité et à l'autorité de la théorie, en ce qu'ils donnent clairement à voir la part de la subjectivité qui permet entrer dans sa construction »[99].

Enfin cette thèse n'a jamais été confirmée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le doyen Georges Vedel montre qu'en cas de conflit entre les droits fondamentaux, le Conseil constitutionnel essaye de les concilier pour trouver le meilleur équilibre possible[100]. En d'autres termes, « dans les conflits entre les droits, libertés, principes, objectifs de valeur constitutionnelle, le Conseil ne sacrifie jamais totalement l'un ou plusieurs d'entre eux à l'un ou à plusieurs des autres, ce qui normalement devrait être fait s'ils étaient d'un rang différent »[101]. « C'est donc, comme le remarque le doyen Vedel, par une lecture peu imaginative de la jurisprudence constitutionnelle que l'on décèlerait... l'admission... d'une hiérarchie juridique au sein des normes constitutionnelles »[102].

b. La critique de la thèse de la supériorité des normes constitutionnelles relatives à la souveraineté nationale

Tout d'abord il convient de souligner que cette thèse posant une hiérarchie entre les dispositions de la Constitution en fonction du fait qu'elles touchent ou non à la souveraineté a été avancée en 1992 lors du débat sur la ratification du traité de Maastricht et de la révision de la Constitution en vue de lever la contrariété dudit traité à la Constitution. Le but était de montrer que le principe de souveraineté nationale était hors d'atteinte du pouvoir de révision constitutionnelle et ainsi d'empêcher la révision de la Constitution.

Comme on s'en souviendra, selon les défenseurs de cette thèse, les dispositions de la constitution relatives à la souveraineté nationale ont une valeur supérieure par rapport aux autres. Par conséquent ces dispositions sont intangibles non seulement à l'égard du pouvoir législatif, mais aussi à l'égard du pouvoir de révision constitutionnelle.

Les critiques adressées aux autres thèses citées ci-dessus peuvent être adressées aussi à celle‑ci. Sans les répéter, on peut dire que le principe de la souveraineté nationale est un principe à valeur constitutionnelle. Sa valeur résulte de l'article 3 de la Constitution. Et dans la conception formelle de la Constitution un article de la Constitution ne peut pas avoir une valeur supérieure sur d'autres articles de la même Constitution. Par conséquent il peut être révisé comme tous les autres articles de la Constitution par le pouvoir de révision constitutionnelle. Ainsi l'article qui règle la souveraineté nationale n'est pas un élément intangible de la Constitution et ne constitue pas une limite à la révision constitutionnelle.

Enfin notons que la thèse selon laquelle le principe de la souveraineté nationale (art.3 de la Constitution de 1958 et art.3 de la Déclaration de 1789) est supérieur à d'autres dispositions constitutionnelles et par conséquent intangible à l'égard du pouvoir de révision constitutionnelle, a été catégoriquement démentie par la pratique constitutionnelle française. Car, les articles 88-2 et 88-3 de la constitution ajoutés par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 dérogent effectivement l'article 3 de la Constitution qui règle le principe de la souveraineté nationale. Et le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 septembre 1992 a confirmé cette dérogation. En effet le Conseil constitutionnel dans cette décision, « en ce qui concerne le moyen tiré de ce que le Traité n'est pas conforme à l'article 3 de la Constitution », a affirmé que

« sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16, et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respecte des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles ‘la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision’, le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ; qu'ainsi, rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite »[103].

Comme on le voit, le Conseil constitutionnel, comme les limitations s'imposant à l'exercice du pouvoir constituant (en l'espèce « dérivé »[104]), mentionne les articles 7, 16, et 89, alinéas 4 et 5, mais non pas l'article 3 de la Constitution de 1958, ni l'article 3 de la Déclaration de 1789. En d'autres termes, le Conseil constitutionnel ne considère pas le principe de la souveraineté nationale comme une limite à la révision constitutionnelle. Ainsi, le pouvoir de révision constitutionnelle peut abroger, modifier ou déroger l'article 3 de la Constitution qui règle la souveraineté nationale. C'est le rejet le plus clair de la thèse selon laquelle le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut porter atteinte à la souveraineté nationale. Le Conseil constitutionnel marque ainsi qu'il n'y a aucune limite à la volonté du pouvoir de révision constitutionnelle en dehors de celles qui résultent des articles 7, 16, 89, alinéa 4 et 5. Répétons encore une fois que parmi ces articles mentionnés ne figure ni l'article 3 de la Constitution de 1958, ni l'article 3 de la Déclaration de 1789.

En conclusion, une loi constitutionnelle adoptée par le pouvoir de révision constitutionnelle « se situe au même niveau que la Constitution qu'elle modifie ou complète. Toute contradiction apparente entre les diverses dispositions de la Constitution se résout au besoin par l'interprétation donnée de l'ensemble par le juge »[105].

Une note sur la question de la supériorité des dispositions intangibles de la constitution

Avant de fermer ce débat sur la hiérarchie entre les normes constitutionnelles, il nous semble nécessaire de s'interroger sur le point de savoir si les dispositions intangibles de la constitution occupent un rang supérieur dans la hiérarchie[106]. Car, comme on l'a déjà vu, plusieurs constitutions prévoient que telle ou telle disposition de la constitution est exclue de toute révision constitutionnelle. Par exemple, selon l'article 89, alinéa 5, de la Constitution française « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision » ou d'après l'article 79, alinéa 3, de la Constitution allemande la révision des articles 1 et 20 est interdite. Dès lors on pourrait se demander légitimement si les dispositions dont la révision est interdite n'ont pas une valeur supérieure aux autres dispositions de la constitution. Par exemple, en France, la forme républicaine du gouvernement et en Allemagne les articles 1 et 20 ne sont-ils pas supérieurs aux autres dispositions de la Constitution ?

Certains auteurs répondent à cette question par l'affirmative. En effet, les auteurs qui posent une hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles en fonction de leur contenu, sont a priori favorables à l'existence d'une hiérarchie entre les dispositions intangibles et d'autres dispositions de la constitution. Car, c'est la constitution elle‑même qui prévoit que ces dispositions sont exclues de révision constitutionnelle. Ainsi selon ces auteurs, les constitutions attribuent une valeur supérieure à ces dispositions par rapport à d'autres. Dans la doctrine, on parle de « hiérarchie formelle » ou de « hiérarchisation positive »[107]. Parce que, dans ce cas, ce sont les « normes écrites et expresses de la Constitution qui fondent une relation hiérarchique entre ses dispositions »[108]. Ainsi comme on l'a déjà vu, selon l'arrêt n° 1146 de 1988 de la Cour constitutionnelle italienne, « la Constitution italienne comprend quelques principes suprêmes qui ne peuvent être renversés ou modifiés... »[109]. Le professeur Massimo Luciani nous fait savoir qu'

« en ce qui concerne l'identification de ces principes suprêmes, la Cour affirme que sont visées... ‘les principes que la Constitution elle-même prévoit explicitement comme limite absolue au pouvoir de révision constitutionnelle, comme la forme républicaine de gouvernement (art.139 de la Constitution)’ »[110].

Roman Herzog, président de la Cour constitutionnelle allemande, a abordé cette question dans la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes. Roman Herzog pense qu'

« il n'est pas nécessairement logique de tirer la supériorité d'une norme de son caractère intangible ; mais d'un autre côté on ne peut pas précisément exclure de l'interdiction d'une révision l'idée que le constituant a conféré une importance spécifique à ces normes et de ce fait les a hissées à un rang particulier »[111].

Karl-Georg Zierlien, secrétaire générale de la Cour constitutionnelle allemande, a lui aussi abordé cette question. Selon Karl-Georg Zierlien,

« le fait qu'une norme est révisable ou non révisable ne constitue aucune réponse à la question de la hiérarchie des normes. Le fait d'être révisable est relatif à la flexibilité de l'ordre juridique. Même si une norme est révisable, tant qu'elle est en vigueur, elle bénéficie de même rang que les autres normes fondamentales dans la constitution »[112].

J. M. Cardoso Da Costa, président du Tribunal constitutionnel portugais, pense lui aussi que, sur l'exemple de l'article 288 de la Constitution portugaise, les dispositions intangibles de la Constitution ne constituent pas une hiérarchie entre les normes constitutionnelles. Selon lui, « c'est le degré spécial de protection et de garantie ou l'efficacité juridique spéciale dont la Constitution revêt certaines de ses normes »[113].

Pour résoudre ce problème nous partons encore de notre définition de la hiérarchie des normes. On se rappellera que nous avons défini la hiérarchie des normes par la relation de la validité entre ces normes. Ainsi il existe une hiérarchie entre deux normes, s'il y a une relation de validité juridique entre elles. Maintenant recherchons s'il y a une relation de la validité entre les dispositions intangibles et d'autres dispositions de la constitution. A notre avis, il n'existe pas de relation de validité entre ces dispositions. Car, les deux types de dispositions ont la même origine. Elles ne tirent pas leur validité les unes des autres. Par exemple la validité juridique de l'intangibilité de la forme républicaine et celle des autres dispositions de la Constitution française de 1958 résultent, toutes deux, du référendum constituant de 1958. De même, la validité des articles 1 et 20 ainsi que celle des autres articles de la Constitution allemande résulte du même acte constituant de 1949. En d'autres termes, les autres articles de la Constitution allemande ne tirent pas leur validité des articles 1 et 20. Bref pour nous les dispositions intangibles ne sont pas supérieures aux autres articles de la constitution. Car, nous avons défini la hiérarchie par la validité, et non pas par le caractère intangible d'une disposition.

En conclusion pour nous il n'existe en aucun cas de hiérarchie entre les normes constitutionnelles. Par conséquent les limites à la révision constitutionnelle construites par la doctrine sur la base de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles ne constituent pas de limites à la révision constitutionnelle.

Maintenant nous pouvons passer à l'examen de la supraconstitutionnalité externe.

Continue après les notes.


 

[1]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.83.

[2]. Ibid.

[3]. Georges Vedel, « La place de la Déclaration de 1789 dans le ‘bloc de constitutionnalité’ », La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, (Colloque des 25 mai et 26 mai au Conseil constitutionnel), Paris, P.U.F., 1989, p.49. Dans ce sens, le bloc de constitutionnalité contient également les lois organiques.

[4]. Louis Favoreu, « Bloc de constitutionnalité », in Olivier Duhamel et Yves Meny (sous la direction de ‑), Dictionnaire constitutionnel, Paris, P.U.F., 1992, p.87.

[5]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.49-50.

[6]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.52 ; Favoreu, « Bloc de constitutionnalité », op. cit., p.87 ; Louis Favoreu, « Les normes de référence », in Louis Favoreu (sous la direction de-), Le Conseil constitutionnel et les partis politiques, Journée d'études du 13 mars 1987, Travaux de l'Association française des constitutionnalistes, Paris, Economica et Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1988, p.75.

[7]. Comme on le sait, le Préambule de la Constitution de 1958 fait référence à la Déclaration de 1789. Ainsi le Conseil constitutionnel a reconnu expressément la valeur constitutionnelle de la Déclaration de 1789 dans sa décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973, Taxations d'office, Rec., p.25. Voir pour cette décision : Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., n° 21, p.275-290. Pour la liste des autres décisions dans lesquelles le Conseil a fait l'application de la Déclaration de 1789, voir : Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.278-288.

[8]. Le préambule de la Constitution de 1958 fait référence au Préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil constitutionnel a affirmé l'intégration des principes du Préambule de la Constitution de 1946 dans le bloc de constitutionnalité dans sa décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Interruption volontaire de grossesse, Rec. p.19 (Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.315).

[9]. Ces principes trouvent leur origine dans le préambule de la Constitution de 1946. Ils ont été appliqués, pour la première fois, par le Conseil constitutionnel dans la décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d'association, Rec., p.29. Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.255-257. Pour la liste des principes reconnus par les lois de la République consacrés par le Conseil constitutionnel voir : Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.258-259.).

[10]. Par exemple le Conseil constitutionnel considère comme un « principe particulièrement nécessaire à notre temps » le principe d'égalité entre les sexes (décision du 30 décembre 1981, Rec., p.41), du droit d'asile (décision du 9 janvier 1980, Rec., p.29), du droit d'obtenir un emploi (décision du 28 mai 1983, Rec., p.41), de la liberté syndicale (décision du 19-20 juillet 1983, Rec., p.29). Pour d'autres exemples de ces principes voir : Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.175 ; Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p.99; Turpin, Contentieux constitutionnel, op. cit., p.71-72 ; Genevois, La jurisprudence du Conseil constitutionnel, op. cit., p.200-203, 263-264.

[11]. C.C., n° 74-54 du 15 janvier 1975, Interruption volontaire de grossesse, Rec., p.19. Voir Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.295-319; Favoreu, « Les normes de référence », op. cit., p.74-75. Il faut cependant noter qu'avec la décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992 et celle n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, la question d'un revirement jurisprudentiel s'est posée dans la doctrine. Voir Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.186-188 ; Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.808-809 ; Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p.105-108. Etienne Picart, « Vers l'extension du bloc de constitutionnalité au droit européen », Revue française de droit administratif, 1993, p.47-54 ; Henry Roussillon, Le Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 2e édition, 1994, p.58-59 ; Genevois, « Le Traité sur l'Union européenne et la Constitution révisée », op. cit., p.949.

[12]. Tout d'abord notons que certains auteurs les appellent les « principes de valeur constitutionnelle » (voir par exemple : Lavroff, Le droit constitutionnel..., op. cit., p.176 ; Turpin, Contentieux constitutionnel, op. cit., p.74 ; Roussillon, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.54. Quelle que soit leur appellation, il s'agit des principes auxquels le Conseil constitutionnel fait référence en ne s'appuyant sur aucun texte.

Le Conseil constitutionnel, dans deux décisions rendues en 1979, faisait référence aux principes généraux du droit (la séparation des pouvoirs et la continuité du service public) sans préciser l'origine textuelle de ces principes (C.C., n° 79-104 DC du 23 mai 1979, Territoire de Nouvelle Calédonie, Rec., p.27-30 ; C.C., n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, Droit de grève à la radio et à la télévision, Rec., p.33). Avec ces décisions certains commentateurs, comme Louis Favoreu, avaient cru pouvoir signaler l'apparition de principes généraux du droit à valeur constitutionnelle comme un nouvel élément du bloc de constitutionnalité (Favoreu et Philip, op. cit., 4e édition, p.433).

Une telle conclusion a été contestée dans la doctrine. En effet, comme le montre le doyen Vedel, les principes généraux du droit peuvent être rattachés aux textes constitutionnels. Mais le Conseil constitutionnel a, dans le passé, parfois omis d'expliciter sa référence (Vedel, « La place de la Déclaration dans le ‘bloc de constitutionnalité’ », op. cit., p.51 ; Id., « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.82-83). Id., « Le précédent judiciaire en droit public français », Journées de la Société de législation comparée, 1984, p.287. Et enfin, comme le remarque Louis Favoreu, à partir de 1980, les principes généraux du droit à valeur constitutionnelle sont écartés du bloc de constitutionnalité. (Favoreu, « Bloc de constitutionnalité », Dictionnaire constitutionnel, p.88. Id., « Les normes de référence », op. cit., p.71-73. Pour ce débat voir encore, Genevois, La jurisprudence du Conseil constitutionnel op. cit., p.98-100, 203-204.

[13]. Thierry Di Manno, Le Conseil constitutionnel et les moyens et conclusions soulevées d'office, Paris, Economica, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1994, p.147 ; Dominique Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Paris, Montchrestien, 3e édition, 1993, p.108 ; Dominique Turpin, Contentieux constitutionnel, Paris, P.U.F., 1986, p.77.

[14]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.48.

[15]. François Goguel, « Objet et portée de la protection des droits fondamentaux », Colloque international d'Aix-en-Provence des 19, 20, 21 février 1981, in Revue internationale de droit comparé, 1981, p.444. (Le même rapport se trouve également in Louis Favoreu (sous la direction de-), Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, Actes du IIe Colloque d'Aix-en-Provence des 19-21 février 1981, Paris, Economica, Presses universitaires d'Aix‑Marseille, 1982, p.236) ; Voir également du même auteur, La jurisprudence du Conseil constitutionnel, Cours I.E.P., 1983-1984, p.202.

[16]. Stéphane Rials, « Les incertitudes de la notion de constitution sous la Ve République », Revue du droit public, 1984, p.603.

[17]. André de Laubadère et Pierre Delvolvé, Droit public économique, Paris, Dalloz, 5e édition, 1986, p.101.

[18]. Le premier paragraphe du préambule de la Constitution de 1958 : « ... la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ».

[19]. Jean-François Flauss, « Les droits sociaux dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Droit social, 1982, p.652.

[20]. Ibid.

[21]. Ibid., p.652-653.

[22]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.53.

[23]. Loïc Philip, « La valeur juridique de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in Etudes offertes à Pierre Kayser, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1979, t.II, p.335-336. Cependant notons que Loïc Philip constatait que « le Conseil constitutionnel n'a pas davantage consacré cette... interprétation. En effet, aucune de ses décisions n'a, jusqu'à présent, fait prévaloir un principe constitutionnel de 1958 ou de 1946 sur un principe contenu dans la Déclaration de 1789 » (Ibid., p.336.).

[24]. François Luchaire, « Le Conseil constitutionnel et la protection des droits et des libertés du citoyen », in Mélanges M. Waline, Paris, L.G.D.J., 1974, p.572-573.

[25]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.83.

[26]. Georges Vedel, « Introduction », in La Constitution et l'Europe, Journée d'étude du 25 mars 1992 au Sénat, Paris, Montchrestien, 1992, p.30.

[27]. Il est évident que théoriquement on peut aussi juger essentielles les autres dispositions de la constitution. Par exemple on peut estimer que les dispositions de la constitution qui déterminent les caractéristiques de l'Etat ont une valeur supérieure par rapport aux autres.

[28]. Selon la formulation de Henry Roussillon (Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.63). Il utilise cette formulation pour critiquer cette thèse.

[29]. F. Gazier, M. Gentot et B. Genevois, « La marque des idées et des principes de 1789 dans la jurisprudence du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel », Etudes et documents - Conseil d'Etat, n° 40, Rapport public, 1988, p.181.

[30]. Ibid.

[31]. Ibid.

[32]. Ibid.

[33]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.61.

[34]. Dominique Turpin, Contentieux constitutionnel, Paris, P.U.F., 1986, p.86.

[35]. Ibid.

[36]. Ibid., p.86-87.

[37]. Rials, « Les incertitudes de la notion de constitution... », op. cit., p.604.

[38]. Louis Favoreu, « Les libertés protégées par le Conseil constitutionnel », in Dominique Rousseau et Frédéric Sudre (sous la direction de - ), Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l'homme, Actes du Colloque de Monpellier des 20 - 21 janvier 1989, Paris, Editions S.T.H., 1990, p.37.

[39]. Ibid.

[40]. Ibid.

[41]. Ibid.

[42]. Ibid.

[43]. Ibid.

[44]. Ibid.

[45]. En ce qui concerne la décision n°81-132 DC du 16 janvier 1982 (Nationalisations), les professeurs Louis Favoreu et Loïc Philip affirment qu'« il semblerait qu'il y ait donc là un début de hiérarchie entre les principes particulièrement nécessaires à notre temps » (Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.482). Ils ajoutent que « toutefois, rien n'est venu par la suite confirmer cette interprétation » (Ibid.). D'ailleurs Louis Favoreu l'affirme en 1989 catégoriquement : « Déclaration des droits de l'homme, Préambule de 1946 et Constitution de 1958 sont placés à égalité... : il n'y a pas de hiérarchie entre eux » (Favoreu, « Les libertés protégées par le Conseil constitutionnel », op. cit., p.37). Dans un colloque consacré à la Déclaration de 1789, le doyen Favoreu l'affirme encore plus clairement : « J'avais soutenu simplement qu'il y avait deux types de protection, une protection forte et une protection atténuée. je n'institue pas une hiérarchie, mais je constate simplement qu'il y a effectivement deux types de droit, du point de vue du degré de protection dont ils bénéficieront. Je suis d'accord avec vous..., pour dire que ce n'est pas une véritable hiérarchie, même si on l'appelle matérielle » (L'intervention orale de Louis Favoreu au Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, Paris, P.U.F., 1989., p.69.

[46]. « Au regard de la hiérarchie des normes juridiques tous les principes de valeur constitutionnelle se situent au même niveau » (Genevois, La jurisprudence du Conseil constitutionnel, op. cit., p.197.).

[47]. Gazier, Gentot et Genevois, « La marque des idées et des principes de 1789... », op. cit., p.181. Même Bruno Genevois précise qu'il n'est pas « spécialement attaché au terme de hiérarchie matérielle » (L'intervention orale de Bruno Genevois au Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, Paris, P.U.F., 1989, p.66). Cependant Bruno Genevois ne laisse pas cette idée de hiérarchie. Dans la même intervention, il parle de « notion de hiérarchie de fait » au sein de droits et libertés (Ibid.).

[48]. L'intervention orale de Louis Favoreu au Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, op. cit., p.69.

[49]. Favoreu, « Les libertés protégées par le Conseil constitutionnel », op. cit., p.37.

[50]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.61.

[51]. L'intervention de Robert Badinter au Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, Paris, P.U.F., 1989, p.33. C'est nous qui soulignons.

[52]. Maryse Baudrez et Jean-Claude Escarras, « La révision de la Constitution italienne : doctrine et complexité des faits », in La révision de la constitution, (Journées d'études des 20 mars et 16 décembre 1992, Travaux de l'Association française des constitutionnalistes), Paris, Economica, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1993, p.141.

 

[53]. L'intervention orale de Léo Hamon au Colloque du 25 mars 1992 au Sénat, in La Constitution et l'Europe, op. cit., p.222.

[54]Ibid.

[55]Ibid. En ce sens voir encore les interventions orales de Nicole Catala au Colloque du 25 mars 1992 au Sénat, in La Constitution et l'Europe, op. cit., p.218, 227-228

[56]. On se rappellera que nous avons déjà examiné plus haut une partie de la théorie d'Olivier Beaud sous le titre de « supraconstitutionnalité ». Comme nous l'avons déjà expliqué, à notre avis une partie de la théorie d'Olivier Beaud relève de la question de la supraconstitutionnalité proprement dite, car il limite le pouvoir de révision par le principe de l'inaliénabilité du pouvoir constituant [originaire], comme la forme moderne de l'inaliénabilité de la souveraineté, et ne résultant, tel qu'il est envisagé par le professeur Beaud, d'aucun texte juridique. Mais une autre partie de sa théorie doit être traitée, à notre sens, sous la question de la hiérarchie des normes constitutionnelles. Car, dans cette partie, comme on va le voir maintenant, Olivier Beaud établit une hiérarchie entre les dispositions de la Constitution.

[57]. Olivier Beaud pense qu'« il existe une hiérarchie matérielle au sein de la Constitution en vertu de laquelle le principe de souveraineté prévaut sur toute autre disposition constitutionnelle qui y porte atteinte » (Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1068).

[58]Ibid., p.1054.

[59]. Ibid., p.1059.

[60]. Ibid., p.1061.

[61]. Signalons que le professeur Beaud entend par le « pouvoir constituant » exclusivement le pouvoir constituant « originaire ». Voir Ibid., p.1056 ; « Maastricht et la théorie constitutionnelle », op. cit., p.15.

[62]. Beaud, « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1061-1062.

[63]. Ibid., p.1062.

[64]. Ibid., p.1064.

[65]. Ibid., p.1063.

[66]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.299.

[67]Supra, titre 1, chapitre 2, section 2, sous-section 1, § 2, C.

[68]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.299.

[69]. Ibid., p.355-356.

[70]. Jean-Marie Auby, « Sur l'étude de la hiérarchie des normes en droit public : éléments de problématique », Mélanges dédiés à Robert Pelloux, Lyon, Editions l'Hermès, 1980, p.23.

[71]. Sur ce point voir Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.85 ; Id., « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.61: « La hiérarchie des normes entraîne certains effets automatiques et notamment l'invalidation de la norme de degré inférieur dans le cas où elle est contraire à la norme de degré supérieur ».

[72]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.84.

[73]. L'exemple est emprunté au doyen Vedel (« La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.53).

[74]. Di Manno, op. cit., p.151.

[75]. Philippe Terneyre, « Point de vue français sur la hiérarchie des droits fondamentaux », in Pierre Bon (sous la coordination de-), Etudes de droit constitutionnel franco-portugais, (Journées d'études des 9 et 10 novembre 1990, à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour), Paris, Economica, 1992, p.41.

[76]. Voir par exemple, Terneyre, op. cit., p.38-41.

[77]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.52.

[78]. Voir supra, A. 1. (Goguel, « Objet et portée de la protection des droits fondamentaux », op. cit., p.444).

[79]. Di Manno, op. cit., p.149.

[80]Supra, titre 1, chapitre 2, section 2, sous-section 1, § 2, C et sous‑section 2.

[81]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.53.

[82]Ibid. Le même argument se retrouve également chez les plusieurs auteurs. Voir par exemple Di Manno, op. cit., p.152 ; Roussillon, Le Conseil constitutionnel, op. cit., p.65 : « L'argument de l'âge des textes (1789-1946, essentiellement) n'a aucune valeur malgré l'évidence qu'on voudrait lui donner. En effet, ces deux textes ont exactement le même âge au plan juridique puisque leur date de naissance, dans notre système juridique actuel, est la même, le 4 octobre 1958, date de promulgation de notre Constitution ». Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p.112 : « Si les deux textes ont été élaborés à des dates évidemment différentes, ils ont été repris ensemble dans le Préambule de la Constitution de 1958, approuvés ensemble par un vote du Peuple français lors du référendum du 28 septembre 1958 et ils ont reçu, à la même date, le 16 juillet 1971 valeur constitutionnelle ; ils doivent en conséquence être considérés comme deux textes contemporains, dans tous les sens du terme ».

[83]. La formulation appartient au doyen Vedel (« La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.53).

[84]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.53.

[85]. Favoreu, « Les libertés protégées par le Conseil constitutionnel », op. cit., p.37.

[86]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.57.

[87]. Terneyre, op. cit., p.42 ; Favoreu et Philip, op. cit., 7e éd., p.482 ; Genevois, La jurisprudence du Conseil constitutionnel, op. cit., p.198.

[88]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.54.

[89]. Ibid.

[90]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.84.

[91]. C.C., n°81-132 DC du 16 janvier 1982, Nationalisations, Rec., p.18.

[92]. Cf. Terneyre, op. cit., p.41.

[93]. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p.112.

[94]. L'intervention orale de Jean-Yves Chérot au Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, Paris, P.U.F., 1989, p.71.

[95]. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.54, 57-61 ; ID, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.85.

[96]. Voir supra, § 1, A, 2, Gazier, Gentot et Genevois, « La marque des idées et des principes de 1789... » op. cit., p.181.

[97]. Voir supra, § 1, B, 1. Favoreu, « Les libertés protégées par le Conseil constitutionnel », op. cit., p.37.

[98]. Voir supra, § 1, B, 1. Turpin, Contentieux constitutionnel, op. cit., p.86-87.

[99]. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p.112.

[100]. Vedel, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.85.

[101]. Ibid.

[102]. Ibid., p.86. Voir encore du même auteur, « La place de la Déclaration de 1789... », op. cit., p.57-61.

[103]. C.C., n°92-312 DC du 2 septembre 1992, Traité sur l'Union européenne (Maastricht II), 19e considérant, Journal officiel, 3 septembre 1992, p.12096.

[104]. Voir infra, Deuxième Partie, Titre 2, Chapitre 2, Section 1, Sous-section 2, § 2, B.

[105]. Bruno Genevois, « Le Traité sur l'Union européenne et la Constitution révisée : à propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 92-312 DC du 2 septembre 1992 », Revue française de droit administratif, 1992, p.946.

[106]. Il faut noter que l'examen des dispositions intangibles de la constitution, en tant que des limites à la révision constitutionnelle, relève en effet de la question de la valeur juridique des limites à la révision constitutionnelle prévues par la constitution elle-même. Parce qu'elles sont inscrites expressément dans les textes constitutionnels. Par conséquent cette question devait être traitée tout normalement dans le chapitre précédent qui était consacré aux limites à la révision constitutionnelle inscrites dans les textes constitutionnels, non pas dans ce chapitre où l'on traite la question de l'existence des limites à la révision constitutionnelle autres que celles prévues par la constitution. Puisque nous n'avons pas abordé la question de savoir si les dispositions intangibles sont supérieures à d'autres dispositions de la constitution dans le chapitre précédent, il conviendra ici d'aborder brièvement cette question.

[107]. M. Rodriguez-Pinero y Bravo Ferrer et J. Leguina Villa (avec le concours de J. Garcia Roca et M. Sanchez Moron), « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport espagnol présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes (Ankara, les 7-10 mai 1990), (Traduit par P. Bon), in Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.99-100.

[108]Ibid., p.100.

[109]. Cité par Massimo Luciani, « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport italien présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes, (Ankara, 7-10 mai 1990), Traduction effectuée par Bruno Genevois, in Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.170.

[110]. Ibid.

[111]. Roman Herzog, « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport allemand présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes (Ankara, les 7-10 mai 1990), (Traduction assurée par le service juridique du Conseil constitutionnel), in Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.20. R. Herzog ajoute que « la Cour constitutionnelle fédérale [allemande] ne s'est pas exprimée clairement sur cette question parce que celle-ci n'est pas d'actualité » (Ibid.).

[112]. L'intervention orale de Karl-Georg Zierlien à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes, (Ankara, 7-10 mai 1990), Hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux, Ankara, Editions de la Cour constitutionnelle turque, 1990, Tome V : Exposé et discussions, p.179.

[113]. J. M. Cardoso da Costa (avec la collaboration de J. Casalta Nabais), « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport portugais présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes (Ankara, les 7-10 mai 1990), in Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.190.

 

Section 2
La supraconstitutionnalité externe :
La thèse de la supériorité des normes de droit international sur la constitution

 

 

 

 Comme on l'a expliqué au début de ce chapitre, la question qui se pose sous le thème de la supraconstitutionnalité externe est celle de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être soumises au respect des normes du droit international.

Selon certains auteurs les normes de droit international sont supérieures aux normes de droit interne, y compris sur celles de la constitution. Ainsi les normes constitutionnelles adoptées par le pouvoir de révision constitutionnelle[1] sont soumises au respect des normes de droit international. Par conséquent, les normes de droit international constituent des limites à la révision constitutionnelle.

Nous allons d'abord voir l'exposé, ensuite la critique de cette thèse. 

§ 1. Exposé

En faveur de cette thèse plusieurs arguments sont invoqués. Nous excluons dès maintenant pour les raisons qu'on a expliquées plus haut[2] les arguments jusnaturalistes[3]. Nous allons donc voir ici seulement les arguments soutenus par les positivistes.

Tout d'abord, en faveur de la supériorité du droit international on peut invoquer un argument tiré de la logique juridique même. Comme l'a remarqué Michel Virally, la supériorité du droit international

« est inhérente à la définition même de ce droit et s'en déduit immédiatement. Tout ordre juridique confère aux destinataires de ses normes des droits et pouvoirs juridiques... ; il leur impose des obligations, qui les lient. Par là même, tout ordre juridique s'affirme supérieur à ses sujets, ou bien il n'est pas... Le droit international est inconcevable autrement que supérieur aux Etats, ses sujets. Nier sa supériorité revient à nier son existence »[4].

C'est Hans Kelsen qui a expliqué de la façon la plus claire la thèse de la supériorité des normes du droit international sur les normes constitutionnelles. Selon Kelsen, « si l'on part de l'idée de la supériorité du droit international aux différents ordres étatiques..., le traité international apparaît comme un ordre juridique supérieur aux Etats contractants »[5].

« De ce point de vue, dit-il, le traité a vis-à-vis de la loi et même de la Constitution une prééminence, en ce qu'il peut déroger à une loi ordinaire ou constitutionnelle, alors que l'inverse est impossible. D'après les règles du droit international, un traité ne peut perdre sa force obligatoire qu'en vertu d'un autre traité ou de certains autres faits déterminés par lui, mais non pas par un acte unilatéral de l'une des parties contractantes, notamment par une loi. Si une loi, même une loi constitutionnelle, contredit un traité, elle est irrégulière, à savoir contraire au droit international. Elle va immédiatement contre le traité, médiatement contre le principe pacta sunt servanda »[6].

Ainsi, « le droit international, si l'on en suppose la primauté, peut constituer un mètre de la régularité de toutes les normes étatiques, y compris la plus élevée d'entre elles, la Constitution »[7].

Le professeur Dominique Carreau note que la supériorité du droit international sur le droit interne est un principe intégralement reconnu au niveau international[8]. Ainsi l'article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des Traités de 1969 dispose qu'« une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non‑exécution d'un traité ». Comme le souligne le professeur Carreau, « ce principe de supériorité signifie que le droit international... l'emporte sur l'ensemble du droit interne, qu'il s'agisse des normes constitutionnelles, législatives, réglementaires ou des décisions judiciaires »[9].

Le principe de la supériorité des normes de droit international sur les lois constitutionnelles a été affirmé maintes fois par la pratique arbitrale et judiciaire internationale. En ce qui concerne la pratique arbitrale on peut citer l'affaire du « Montijo » (1875). Dans cette affaire la Colombie, en prétendant que les dispositions de sa Constitution l'empêchaient de respecter les termes d'un traité régulièrement conclu avec les Etats-Unis, a affirmé la supériorité de sa Constitution sur le droit international. La sentence arbitrale a condamné une telle conception et affirmé clairement qu'« un traité est supérieur à la Constitution »[10]. D'autre part, l'affaire Georges Pinson (1928) qui a opposé la France au Mexique a soulevé le problème du rapport entre un traité international et la Constitution mexicaine. L'arbitre a fait triompher le traité franco-mexicain sur la Constitution de ce dernier pays. Il a affirmé qu'« il est incontestable et incontesté que le droit international est supérieur au droit interne... Les dispositions nationales ne sont pas sans valeur pour les tribunaux internationaux, mais ils ne sont pas liés par elles »[11].

En ce qui concerne la pratique judiciaire on peut citer l'affaire relative au « traitement des nationaux polonais à Dantzig ». Dans cette affaire, la ville libre de Dantzig prétendait appliquer aux résidents polonais ses propres règles constitutionnelles au détriment du régime conventionnel auquel ils avaient droit. Dans son avis consultatif, la Cour permanente de justice internationale a refusé ce point de vue et affirmé le principe de la supériorité du droit international sur le droit constitutionnel local. Selon la Cour, « un Etat ne saurait invoquer vis-à-vis d'un autre Etat sa propre constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur »[12].

Le principe de la primauté du droit communautaire sur les lois constitutionnelles nationales a été affirmé également par la Cour de justice des Communautés européennes. D'abord, dans l'affaire Costa c. E.N.E.L., la Cour de Luxembourg a posé le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit des pays membres. La Cour a clairement affirmé que « le droit né du Traité ne pourrait... se voir judiciairement opposer à un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même... »[13]. Cela signifie que la primauté s'exerce à l'encontre de toutes les normes nationales, administratives, législatives, juridictionnelles, et même celles de niveau constitutionnel[14]. La Cour dans un premier temps a affirmé que des dispositions constitutionnelles internes ne sauraient être utilisées pour mettre en échec le droit communautaire et qu'une telle action serait « contraire à l'ordre public communautaire »[15]. Plus tard dans l'affaire Internationale Handelsgesellschaft, la Cour a précisé que « les principes d'une structure constitutionnelle, ne (sauraient) affecter la validité d'un acte de la Communauté »[16].

Dans le système de la Convention européenne des droits de l'homme aussi, on considère que « la Convention a la primauté sur tous les actes internes quelle que soit leur nature ou l'organe qui les a adoptés »[17]. Ainsi le doyen Louis Favoreu pense que « même les normes constitutionnelles doivent s'incliner devant les normes... européennes »[18]. De même Feyyaz Gölcüklü, juge à la Cour européenne des droits de l'homme, estime que « le constituant ou le législateur national ne doit pas adopter des actes législatifs contenant des normes contraires à celles de la Convention »[19]. On envisage même que « les hypothèses où les prescriptions constitutionnelles seraient en contradiction avec la Convention »[20]. Dans ces cas, la jurisprudence européenne est susceptible « d'entraîner des modifications du droit interne, fut-il constitutionnel »[21]. L'affaire Open Door et Dublin Well Women c. Irlande illustre le conflit entre la Convention et une conjonction de la Cour suprême irlandaise, basée sur l'article 40, § 3, al.3 de la Constitution irlandaise reconnaissant le droit à la vie de l'enfant à naître. Dans cette affaire la Cour de Strasbourg a estimé disproportionné l'arrêt de la Cour suprême irlandaise interdisant en Irlande la libre communication et la libre réception d'information sur les cliniques pratiquant l'I.V.G. au Royaume-Uni[22]. Le doyen Louis Favoreu affirme que, dans cette affaire, « la Cour européenne des droits de l'homme a indirectement mais certainement mis en échec les dispositions de la Constitution irlandaise relatives à la prohibition de l'avortement, en s'appuyant sur la Convention européenne des droits de l'homme »[23]. Ainsi le doyen Favoreu estime de manière générale que « toute loi constitutionnelle qui, par exemple, établirait des discriminations à raison de la race ou de la religion provoquerait de la part de la Cour de Strasbourg... une déclaration de non-conformité à la Convention européenne des droits de l'homme »[24].

Enfin, il faut noter qu'en dehors de quelques cas exceptionnels[25], tous les Etats reconnaissent formellement la supériorité du droit international et son caractère obligatoire[26].

En résumé, le principe de la supériorité du droit international sur le droit interne signifie que le droit international l'emporte non seulement sur les lois ordinaires mais encore sur les lois constitutionnelles. Ce principe est confirmé par la pratique arbitrale et judiciaire. Dès lors les lois constitutionnelles adoptées par le pouvoir de révision constitutionnelle[27] sont soumises au respect des normes de droit international.

§ 2. Critique

On peut observer qu'il y a principalement deux types d'arguments invoqués en faveur de cette thèse. Les arguments théoriques consistent à déduire la supériorité des normes de droit international sur les normes constitutionnelles à partir du principe de la primauté du droit international sur le droit interne. Quant aux arguments pratiques, ils tendent à montrer que ce principe est confirmé par le juge et l'arbitre international.

A notre avis ces arguments sont réfutables. Commençons d'abord par la réfutation des arguments théoriques.

 

A. La réfutation des arguments théoriques

Il faut d'abord avouer que, au niveau théorique, cette thèse a une cohérence interne. Elle est conséquente avec ses principes de départ. La supériorité des normes de droit international sur celles de la constitution n'est qu'un corollaire du principe de la supériorité du droit international sur le droit interne. Si l'on accepte ce principe, il faudrait aussi logiquement accepter la supériorité du droit international sur les lois constitutionnelles. Car, les lois constitutionnelles font partie du droit interne, même si elles se trouvent à son sommet.

Cependant on peut préciser que le problème de la supériorité du droit international sur le droit interne ne se pose même pas si l'on admet la doctrine dualiste[28]. Car, dans cette conception par hypothèse même, le droit interne et le droit international constituent deux systèmes égaux, indépendants et séparés[29].

Ainsi ce problème de la supériorité ne se pose que si l'on admet la doctrine moniste. Cependant les partisans du monisme divergent sur le rapport entre le droit international et le droit interne. Une partie de la doctrine moniste accepte la primauté du droit interne[30], l'autre partie celle du droit international[31].

Alors quelle doctrine, de la supériorité du droit international ou de la supériorité du droit interne, est fondée ? Nous ne pouvons pas entrer dans ce débat qui dépasse largement le cadre limité de notre thèse. Notons seulement que Hans Kelsen, étant lui‑même un tenant de la supériorité du droit international, accepte clairement l'égale valeur de ces deux doctrines. Selon lui, « la thèse de la primauté de l'ordre étatique est parfaitement légitime »[32]. Kelsen pense que « l'une et l'autre théorie n'étant jamais... que des hypothèses, ce n'est pas sur le même terrain de la science juridique elle-même que le choix peut se décider »[33].

Alors en ce qui concerne la réfutation des arguments théoriques invoqués en faveur de la thèse de la supériorité du droit international sur la constitution, on peut dire que cette thèse n'est fondée que si l'on raisonne dans la conception moniste avec la primauté du droit international. Par conséquent si l'on prend comme point de départ un autre postulat, la thèse de la supériorité des normes du droit international sur celles de la constitution nationale s'effondre. Et du point de vue théorique, comme on vient de le montrer, il n'y a pas d'obligation de partir du postulat de la primauté du droit international. Toutes les autres théories ont la même valeur scientifique en tant qu'hypothèses. Ainsi sur le terrain de principe, on peut légitimement défendre la thèse de la supériorité des normes de la constitution nationale sur celles de droit international aussi bien que celle de la supériorité des normes de droit international sur la constitution.

B. La réfutation des arguments pratiques

Maintenant nous pouvons passer à la critique des arguments pratiques. Il est vrai que la pratique internationale arbitrale et judiciaire affirme la supériorité des normes de droit international sur toutes les normes du droit interne, y compris sur celles de la constitution. Cependant comme le remarque à juste titre Dominique Carreau, ce principe de supériorité du droit international doit être apprécié de façon exacte quant à ses implications. Le juge ou l'arbitre international affirme la supériorité du droit international, cependant, « ce faisant, il n'annule pas la norme interne contraire au droit international... mais il la déclare ‘inopposable’ au niveau international »[34].

Ainsi si le juge international constate une contrariété entre la norme interne et la norme internationale, il n'annule pas la première, il déclare la norme interne inopposable sur le plan international. La sanction est la responsabilité de l'Etat qui a édicté une telle norme[35].

Ce sont les principes classiques qui ont été confirmés par la pratique arbitrale et judiciaire générale, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et celle de la Cour européenne des droits de l'homme.

Ces principes classiques ont été confirmés d'abord par la pratique arbitrale et judiciaire générale. Par exemple, dans l'affaire Georges Pinson précitée, le Tribunal arbitral a constaté la contrariété des lois mexicaines au droit international, cependant le tribunal ne les a pas annulées. Il leur a dénié « seulement toute valeur au niveau international »[36]. De même dans l'affaire de la Haute-Silésie polonaise, la Cour permanente de justice internationale a reconnu qu'il y avait une opposition entre la loi polonaise et la Convention germano-polonaise de Genève. Cependant la Cour n'a pas annulé la loi polonaise, mais l'a seulement déclarée « inopposable » à l'Allemagne. Ainsi la Pologne a vu sa responsabilité engagée[37].

Ces principes classiques sont réaffirmés également par la Cour de justice des Communautés européennes[38]. Car, comme on le sait, « la Cour ne peut, comme dans un système fédéral..., annuler ou abroger les lois nationales ou les actes administratifs condamnés »[39]. Ainsi dans l'affaire Humblet, la Cour a estimé qu'elle n'avait pas de « compétence pour annuler des actes législatifs ou administratifs d'un des Etats membres » en cas de contrariété avec le droit communautaire[40]. Dans l'affaire Enka, la Cour a réaffirmé qu'elle « n'est pas compétente ni pour interpréter les dispositions du droit international, ni pour se prononcer sur leur éventuelle compatibilité avec le droit communautaire »[41].

Les mêmes principes valent aussi dans le système de la Convention européenne des droits de l'homme. Selon l'article 50 de la Convention, la Cour européenne des droits de l'homme « déclare » la compatibilité ou l'incompatibilité des mesures nationales avec la Convention et s'il y a lieu, elle peut accorder « à la partie lésée une satisfaction équitable »[42]. En d'autres termes les arrêts de la Cour ont un caractère déclaratoire [43]. La Cour ne peut annuler la norme interne contraire à la Convention[44]. Selon l'article 53 de la Convention, il appartient à l'Etat condamné de modifier la norme déclarée incompatible avec la Convention[45]. Dans son arrêt Marckx, la Cour a affirmé que sa décision « ne saurait pas annuler ou abroger par elle-même les dispositions litigieuses : déclaratoire pour l'essentiel, elle laisse à l'Etat le choix des moyens à utiliser dans son ordre interne pour s'acquitter de l'obligation qui découle pour lui de l'article 53 »[46]. Ainsi selon Feyyaz Gölcüklü, juge à la Cour européenne des droits de l'homme, les arrêts de la Cour, « sont dépourvus de sanctions ; mais l'inobservation des décisions susdites contient tous les éléments en ce qui concerne la responsabilité des Etats sur le plan du droit international »[47].

Comme on le voit dans ces affaires, la validité interne d'une norme juridique nationale ne coïncide pas toujours avec sa validité internationale. C'est pourquoi il convient de distinguer entre la validité interne et la validité internationale d'une norme juridique[48]. Comme on l'a vu dans les affaires citées, lorsque les juges et les arbitres ont observé qu'une norme nationale est contraire au droit international, ils déclarent la norme « inopposable » au niveau international. Cette norme garde ainsi sa pleine validité interne tout en étant frappée d'invalidité internationale[49].

La sanction normale d'une contradiction de la norme interne au droit international est l'inopposabilité de cette norme au niveau international, et s'il y a lieu, l'engagement de la responsabilité internationale de l'Etat. Mais, l'Etat qui est l'auteur de la norme inopposable, « n'a pas nécessairement l'obligation de l'abroger ou de la modifier pour la rendre conforme à un droit international. Si sa responsabilité internationale devait être engagée, le paiement d'une indemnité suffira dans la plupart des cas à constituer une réparation adéquate. Dans une telle hypothèse, la norme nationale continuera à exister sur le plan interne tout en restant » inopposable au niveau international[50].

C'est pourquoi, il nous paraît impossible de partager l'affirmation du doyen Louis Favoreu selon laquelle « on peut envisager la question, sous l'angle du contrôle par un juge international ou supranational, de la conformité des normes constitutionnelles aux normes internationales ou supranationales »[51]. A notre avis, dire que « les dispositions constitutionnelles nationales ne sont pas à l'abri d'un contrôle supranational de supraconstitutionnalité »[52], cela revient à nier la distinction entre la validité internationale et la validité interne d'une norme nationale.

Enfin, il est vrai qu'en dehors de quelques cas exceptionnels, comme on l'a dit plus haut, tous les Etats reconnaissent formellement la supériorité du droit international et son caractère obligatoire. Mais puisque ce principe est reconnu par les Etats, on peut normalement attendre que les Etats placent le droit international au sommet de la hiérarchie des normes juridiques[53], c'est‑à‑dire au rang supraconstitutionnel. Or, comme le constate le professeur Dominique Carreau, « une telle solution, la seule logique, est loin d'être généralisée »[54]. En effet, au plan technique, les constitutions déterminent la valeur juridique des traités internationaux par rapport aux textes internes. A notre connaissance, il n'y a aucune constitution qui accepte la valeur supraconstitutionnelle des traités[55]. En général les constitutions attribuent aux traités la valeur d'une loi simple, ou une valeur supérieure à celle de la loi, mais inférieure à la constitution, comme l'article 55 de la Constitution française[56].

En conclusion, il est vrai que la pratique arbitrale et judiciaire confirme le principe de la supériorité des normes de droit international sur celles de la constitution nationale. Cependant, même selon cette pratique, la sanction de ce principe est l'inopposabilité de la norme interne au niveau international, et non pas l'invalidité interne de cette norme. En d'autres termes, le principe de supériorité n'affecte pas la validité interne des normes nationales contraires au droit international. Ces normes sont inopposables au niveau international, mais elles continuent à exister. Cela montre que la validité interne et la validité internationale ne coïncident pas.

On se rappellera que nous avons défini la hiérarchie des normes par la relation de la validité entre ces normes. Puisqu'il y a une non-concordance entre la validité internationale et la validité interne, on ne peut pas logiquement établir de hiérarchie entre les normes de droit international et celles de droit interne. En d'autres termes, si une norme constitutionnelle est contraire à une norme de droit international, cette norme reste valable, même si elle n'est pas valable au niveau international. Ainsi, du point de vue notre travail, les normes de droit international ne constituent pas des limites à la révision constitutionnelle, parce qu'elles n'affectent pas la validité interne de la norme en question.

Toutefois on peut affirmer que les normes de droit international seront des limites à la révision constitutionnelle seulement le jour où la constitution nationale attribuera une valeur supraconstitutionnelle aux normes de droit international, et où la cour constitutionnelle du pays se déclarera compétente pour se prononcer sur la conformité des lois constitutionnelles aux normes de droit international. Cependant comme nous l'avons vu plus haut, les constitutions n'attribuent pas aux normes de droit international une valeur supraconstitutionnelle, et d'autre part, d'après notre connaissance, il n'y a aucune cour constitutionnelle qui se considère comme compétente pour contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux normes du droit international. Mais même si un jour une constitution attribue une valeur supraconstitutionnelle aux normes du droit international et si la cour constitutionnelle du pays se déclare compétente pour se prononcer sur la conformité des lois constitutionnelles aux normes de droit international, il s'agira ici d'une limitation du pouvoir de révision constitutionnelle par le droit public de l'Etat, non par le droit international proprement dit.

Autrement dit tant que le juge international n'annule pas lui-même les normes internes contraires au droit international, toute sorte de limitation du pouvoir de révision constitutionnelle sera d'ordre interne. Ainsi, en dernière hypothèse, le jour où le juge international se déclarera compétent non seulement pour constater la contrariété d'une norme interne à une norme internationale, mais aussi pour annuler la norme interne, les normes de droit international constitueront les limites à la révision constitutionnelle. Mais ce jour là, on entrera dans une étape fédérale de l'organisation internationale. Et dans cette étape, c'est la question de la limitation interne du pouvoir de révision constitutionnelle qui se posera, et non pas celle de la limitation internationale de ce pouvoir.

C. Les critiques adressées à l'existence même du droit international

Avant de fermer ce débat sur la supériorité du droit international, on ne saurait oublier de signaler que l'existence même d'un véritable droit international est contestée par de nombreux auteurs[57]. Nous ne voulons pas ici entrer dans ce débat qui dépasse largement le cadre de notre thèse. Cependant il convient de préciser que même les auteurs qui acceptent l'existence d'un droit international ne nient pas le caractère « primitif » de ce droit.

Par exemple, selon Hans Kelsen, le droit international est un véritable droit, puisqu'il établit des actes de contraintes à titre de sanction[58]. La sanction du droit international est la guerre[59], qui est un acte juridique, d'après Kelsen. Car, elle est soit un acte illicite, soit une réponse à cet acte illicite, c'est-à-dire une sanction. Ainsi si la guerre n'a pas le caractère de sanction, elle serait elle-même un délit, si elle a ce caractère, elle sera la guerre juste (bellum justum)[60]. Par conséquent, dans la conception kelsénienne, le droit international est fondé sur la théorie de la guerre juste[61]. Cependant selon Kelsen, il est vrai que le droit international est un vrai droit, mais il « souffre incontestablement d'une imperfection technique »[62]. Le droit international « présente une certaine analogie avec le droit des sociétés primitives »[63]. Car, le droit international « n'institue pas d'organe spécialisé pour la création et l'application de ses normes. Il se trouve encore en état de décentralisation extrêmement poussée »[64]. Dans la société primitive, il n'y a pas de juges, c'est encore la personne lésée qui est autorisée par le droit à exécuter elle-même la peine contre le délinquant[65]. De même dans l'ordre international, c'est « l'Etat lésé dans son droit, lui-même, qui est habilité à réagir contre le violateur du droit par un acte de contrainte institué par le droit international général par les représailles ou par la guerre »[66]. Cependant selon Kelsen, cette « décentralisation extrêmement poussée » ne met pas en cause l'existence d'un véritable droit international. Car, entre le droit international et le droit étatique, « il n'existe qu'une différence de degré, et non pas de nature »[67].

Les difficultés de la théorie kelsénienne du droit international ont été mises en évidence récemment par Otto Pfersmann. Il constate que, d'une part, pour que l'ordre du droit international soit un « ordre juridique », conformément à la conception kelsénienne, il faut que cet ordre soit sanctionné et grosso modo efficace[68], et d'autre part, dans cette théorie, les sanctions (représailles et guerre) s'exercent contre ceux qui transgressent les normes du droit international sous la réserve d'un système largement décentralisé[69]. Mais, d'après Otto Pfersmann cette réserve va au-delà d'un ajustement des paramètres internes, elle modifie « les données même du système. Il s'agit en effet de savoir si, dans le cas de la décentralisation extrême telle qu'elle est décrite ici, il est encore plausible de parler de système normatif »[70]. Car, dans la conception de Kelsen, la guerre est soit un acte illicite soit une application de la sanction, et cependant dans un tel système décentralisé, comment on va déterminer s'il s'agit d'un délit ou d'une sanction[71] ? Et, selon Otto Pfersmann, dans le cas de guerre, il n'est pas possible de dire qu'il y a transgression ou l'application de la sanction[72]. Car, c'est « l'Etat lésé lui‑même qui est habilité à réagir contre l'Etat qui a violé le droit »[73]. En d'autres termes, il n'y a pas de différence entre les destinataires et les producteurs du droit international. Or, « il faut qu'un écart soit possible et il faut que la plupart des destinataires se conforment dans un nombre significatif de cas aux producteurs sinon il ne sera pas possible de parler de droit, ni même de droit international »[74]. Ainsi, Otto Pfersmann conclut qu'« ici, il ne s'agit plus d'un simple degré de décentralisation, mais bien d'un seuil conceptuel entre un ordre juridique (au sens même de Kelsen) et quelque chose qui ne l'est pas »[75].

Bref, on peut mettre en cause non seulement la supériorité du droit international, mais encore l'existence même de ce droit.

* * *

En conclusion, premièrement la question de la supériorité de droit international sur le droit interne ne se pose même pas si l'on admet la conception dualiste. Et même si l'on raisonne dans la conception moniste, la thèse de la supériorité des normes du droit international sur celles de la constitution nationale n'est pas fondée si l'on prend comme point de départ l'hypothèse de la primauté du droit interne. Et du point de vue théorique, comme on l'a montré, on n'est pas obligé de partir du postulat de la primauté du droit international. Deuxièmement, il y a une non‑concordance entre la validité internationale et la validité interne d'une norme nationale. Une norme nationale continue à exister, même si elle est non opposable au niveau international. Parce que le juge international n'annule pas la norme interne contraire au droit international, il la déclare seulement inopposable sur le plan international. Nous avons défini la hiérarchie des normes par la relation de la validité entre ces normes. Puisque la validité internationale et la validité interne ne coïncident pas, on ne peut pas par définition établir de hiérarchie entre les normes de droit international et celles de droit interne. Enfin, on peut mettre en cause non seulement la supériorité du droit international, mais encore l'existence même de ce droit. Parce que l'ordre de droit international est tellement décentralisé qu'on ne peut pas savoir si la guerre constitue un acte illicite ou une application de la sanction.

Continue après les notes.


 

[1]. En effet, la supériorité des normes de droit international peut être invoquée non seulement à l'égard du pouvoir de révision constitutionnelle mais aussi à l'égard du pouvoir constituant originaire. Dans cette hypothèse, l'argument le plus habituel invoqué en faveur de cette thèse est le principe de la continuité de l'Etat. Selon ce principe, l'intervention du pouvoir constituant originaire n'a aucun effet sur la responsabilité internationale de l'Etat.  En d'autres termes, « lorsqu'un Etat s'engage à l'égard d'un autre Etat... cet engagement continuera à le lier quelles qu'aient pu être les modifications institutionnelles qui l'ont affecté (changements de gouvernements ou révolutions par exemple) » (Dominique Carreau, Droit international, Paris, Pédone, 3e édition, 1991, p.356). C'est pourquoi un pouvoir constituant originaire qui a renversé un régime politique, ne peut pas refuser de se reconnaître lié par les engagements du régime renversé. Ainsi dans ce sens là, on peut affirmer que le pouvoir constituant originaire est lié par le droit international. Ici nous ne discutons que la supériorité des normes de droit international à l'égard du pouvoir de révision constitutionnelle. C'est pourquoi nous ne reprenons pas cet argument de la continuité de l'Etat.

[2]. Voir ce titre, chapitre 1, section 1, sous-section 2, § 2, B, 1.

[3]. Par exemple voir Arné, « Existe-t-il des normes supra‑constitutionnelles ? », op. cit., p.493.

[4]. Michel Virally, « Sur un pont aux ânes : les rapports entre droit international et droits internes », Mélanges offerts à Henri Rolin, Paris Editions A. Pédone, 1964, p.497.

[5]. Hans Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution : la justice constitutionnelle », Revue du droit public, 1928, p.211.

[6]Ibid., p.211-212. C'est nous qui soulignons.

[7]Ibid., p.212. C'est nous qui soulignons.

[8]. Dominique Carreau, Droit international, Paris, Pédone, 3e édition, 1991, p.42. C'est nous qui soulignons.

[9]. Ibid.

[10]. Ibid., p.43.

[11]. Tribunal arbitral mixte France-Mexique, Arbitre Verzjil, R.S.A., V., p.327, cité par Carreau, op. cit., p.43. On peut citer aussi l'affaire de l'« Alabama » (1872) comme exemple du principe de la supériorité du droit international sur les lois constitutionnelles. Voir Carreau, op. cit., p.43.

[12]. Avis du 4 février 1932, Série A/B n°44, p.24 cité par Carreau, op. cit., p.44.

[13]. C.J.C.E., l'affaire 6-64 du 15 juillet 1964, Costa c. E.N.E.L., Rec., 1964, p.1160. C'est nous qui soulignons.

[14]. Guy Isaac, Droit communautaire général, Paris, Masson, 4e édition, 1994, p.179. Voir également Carreau, op. cit., p.44 ; Jean-Claude Gautron, Droit européen, Paris, Dalloz, 6e édition, 1994, p.145 ; Jean Boulouis, Droit institutionnel des communautés européennes, Paris, Montchrestien, 4e édition, 1993, p.249, 250.

[15]. C.J.C.E., l'affaire 9-65 du 22 juin 1965, San Michele, Rec.,  1965, p.37, cité par Isaac, op. cit., p.179.

[16]. C.J.C.E., l'affaire 11-70 du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, Rec., p.1125. C'est nous qui soulignons.

[17]. Gérard Cohen-Jonathan, La Convention européenne des droits de l'homme, Paris, Economica, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1989, p.246.

[18]. Favoreu, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.76.

[19]. Feyyaz Gölcüklü, « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes, (Ankara, 7-10 mai 1990), Revue universelle des droits de l'homme, 1990, p.299.

[20]. Gérard Cohen-Jonathan, Jean-François Flauss et Frédéric Sudre, « Droit constitutionnel et Convention européenne des droits de l'homme », Revue française de droit constitutionnel, 1993, p.198.

[21]Ibid.

[22]. C.E.D.H., Arrêt du 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Women c. Irlande, Voir Frédéric Sudre, « L'interdiction de l'avortement : le conflit entre le juge constitutionnel irlandais et la Cour européenne des droits de l'homme », Revue française de droit constitutionnel, 1993, p.216-220.

[23]. Favoreu, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.77.

[24]Ibid.

[25]. Dans l'histoire il n'est arrivé que très exceptionnellement que certains Etats nient l'existence du droit international : tel était le cas de l'U.R.S.S. dans les premières années qui suivent la révolution de 1917, ou de l'Italie fasciste et de l'Allemagne nazie (Carreau, op. cit., p.55.).

[26]. Carreau, op. cit., p.55.

[27]. Même par le pouvoir constituant originaire, puisqu'il y a le principe de la continuité de l'Etat.

[28]. Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit international public, Paris, L.G.D.J., 4e édition, 1992, p.92.

[29]. Cette doctrine a été défendue surtout par Triepel et Anzilotti. Voir Charles Rousseau, Droit international public, Paris, Sirey, 1970, t.I, p.39.

[30]. Par exemple Zorn, Kaufmann, Wenzel et la conception soviétique avant la perestroïka. Voir Charles Rousseau,  op. cit., p.42-43.

[31]. Par exemple Kunz, Kelsen, Verdross, Scelle. Voir Charles Rousseau,  op. cit., p.43.

[32]. Hans Kelsen, « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », Recueil des cours de l'Académie de droit international, 1926, IV, p.313.

 

[33]Ibid. En ce sens encore voir encore Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.443-449.

[34]. Carreau, op. cit., p.46-47.

[35]. Ibid., p.47.

[36]. Ibid.

[37]. Ibid., p.48.

[38]Ibid.

[39]. Isaac, op. cit., p.288.

[40]. C.J.C.E., l'affaire 6-60 du 16 décembre 1960, Humblet, Rec., 1960, p.1145, cité par Carreau, op. cit., p.48. Pour l'autorité et l'exécution des arrêts de la Cour voir Isaac, op. cit., p.288-190.

[41]. C.J.C.E., l'affaire 38-77 du 23 novembre 1977, Enka, Rec., 1977, p.2213, cité par Carreau, op. cit., p.48.

[42]. Frédéric Sudre, Droit international et européen des droits de l'homme, Paris, P.U.F., 1989, p.285 ; Yves Madiot, Les droits de l'homme, Paris, Masson, 1991, p.200.

[43]. Cohen-Jonathan, La Convention européenne des droits de l'homme, op. cit., p.204 ; Madiot, op. cit., p.200.

[44]. Sudre, op. cit., p.285.

[45]. Madiot, op. cit., p.200 ; Sudre, op. cit., p.235. En effet selon l'art. 54, le Comité des ministres surveille l'exécution de l'arrêt. Cette surveillance se déroule en deux temps. « En premier lieu, le Comité des ministres ‘invite’ l'Etat à l'informer des mesures prises à la suite de l'arrêt... En second lieu, le Comité... ‘constate’ purement et simplement, sans apprécier si les mesures prises par l'Etat remédient effectivement la violation, qu'il a rempli les fonctions que lui confère l'article 54 » (Sudre, op. cit., p.241).

[46]. C.E.D.H., Arrêt du 13 juin 1979, Marckx, Cour plénière, série A n°31, p.25, par. 58. De même la Cour se déclare incompétente pour annuler la décision incriminée. Voir Arrêt du 24 février 1983, Dudgeon, Série A, vol. 59, par. 15 ; C.E.D.H., Arrêt du 25 avril 1983, Pakelli, Chambre, série A n°64, voir Vincent Berger, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Paris, Sirey, 3e édition, 1991, p.170.

[47]. Gölcüklü, op. cit., p.301. Comme on l'a déjà noté, Feyyaz Gölcüklü estime que « le constituant ou le législateur national ne doit pas adopter des actes législatifs contenant des normes contraires à celles de la Convention », mais il ajoute qu'« il n'existe aucune sanction préventive pour une telle pratique. C'est une obligation morale pour les Etats contractants. Tout dépend de la soumission des Etats, de bonne foi et de leur propre gré, à l'effet direct des articles de la Convention ou de la jurisprudence des organes de Strasbourg » (Ibid., p.209).

[48]. Carreau, op. cit., p.47.

[49]Ibid., p.50. Kelsen, étant un tenant de la supériorité du droit international, remarque la même chose : « le droit international lui-même ne prononce pas la nullité des actes étatiques qui lui sont contraires et n'a pas encore élaboré une procédure par laquelle ces actes irréguliers pourraient être annulés par un tribunal international. Ils restent donc valables s'ils ne sont pas annulés au cours d'une procédure étatique » (Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », op. cit., p.212.

[50]. Carreau, op. cit., p.51. Il faut cependant préciser qu'il existe « des cas où la modification de la norme interne au droit international s'impose de façon à assurer la supériorité du droit international et parce qu'il s'agit là du seul mode de réparation acceptable » (Carreau, op. cit., p.51). Par exemple dans l'affaire des ressortissants au Maroc (1952) « le seul moyen pour la France de se conformer à l'arrêt de la Cour internationale de justice fut de modifier en conséquence » la réglementation des changes en question (Carreau, op. cit., p.51-53). Enfin de tels cas sont très fréquents en droit communautaire. Comme on le sait, si la Cour de justice des Communautés européennes déclare qu'une norme nationale est incompatible avec le droit communautaire, l'Etat concerné devra prendre dans son ordre juridique interne toutes les mesures qui s'imposent pour mettre fin à ce conflit, y compris la modification ou l'abrogation de sa norme en question (Ibid., p.52). Mais même dans ces exceptions, soulignons encore une fois que le juge international ne procède pas lui-même à l'invalidation de la norme interne. C'est pourquoi ces cas mettent pas en cause notre argumentation.

[51]. Favoreu, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », op. cit., p.76.

[52]Ibid., p.77.

[53]. Carreau, op. cit., p.51.

[54]Ibid.

[55]. Il faut signaler que l'article 63 de la Constitution du Royaume des Pays-Bas dans son texte de 1972, demeurant provisoirement en vigueur, à côté du texte du 17 janvier 1983, stipule que « lorsque l'évolution de l'ordre juridique international l'exige, il pourra être dérogé dans une convention aux dispositions de la Constitution » Pour le texte voir Henri Oberdorff (éd.), Les Constitutions de l'Europe des Douze, Paris, La Documentation française, 1992, p.284.

[56]. Pour les différentes solutions de la valeur des normes de droit international sur les normes de droit interne voir les rapports nationaux présentés à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes, (Ankara, 7-10 mai 1990), in Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.15-215. Ainsi pour l'Allemagne voir Herzog, op. cit., p.21-22 ; pour l'Autriche, Siegbert Morscher , « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport autrichien présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes (Ankara, les 7-10 mai 1990), (Traduit par Ulrike Steinhorst), in Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.54-57 ; pour la Belgique, La Cour d'Arbitrage, « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport belge présenté par la Cour d'Arbitrage à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes (Ankara, les 7-10 mai 1990), in Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.88 et Jacques Velu, « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », Rapport présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes (Ankara, les 7-10 mai 1990), in Revue universelle des droits de l'homme, 1990, p.236 ; pour l'Espagne, Rodriguez-Pinero y Bravo Ferrer et Leguina Villa, op. cit., p.116-118 ; pour l'Italie, Luciani, op. cit., p.166-168 ; pour le Portugal, Cardoso da Costa, op. cit., p.190-192 ; pour la France Robert Badinter et Bruno Genevois, « La hiérarchie des normes constitutionnelles et sa fonction dans la protection des droits fondamentaux », rapport français présenté à la VIIIe Conférence des Cours constitutionnelles européennes, (Ankara, 7-10 mai 1990), in Annuaire international de justice constitutionnelle, Vol. VI, 1990, p.148-152.

[57]. Par exemple, Hobbes, Spinoza, Lasson, Lundstedt, Aron, Morgenthau, Gumpowicz, Austin, Binder, Somlo, etc. Voir Dinh, Daillier et Pellet, op. cit., p.78-80 ; Jean Touscoz, Droit international, Paris, P.U.F., Thémis, 1993, p.53-55.

[58]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.420-421.

[59]Ibid., p.421. Egalement voir Kelsen, « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », op. cit., p.317 : « Il faut en principe interpréter la guerre, cette ultima ratio du droit international, de la même façon que la peine ou l'exécution en droit, comme la réaction du droit, comme la sanction que le droit international attache aux actes qu'il se propose de proscrire. Si l'on recherche une interprétation juridique de la guerre, il ne faut pas, contrairement à ce qu'on fait parfois, la considérer comme en procédé extra-juridique, mais un acte juridique ».

[60]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.422.

[61]. Voir Ibid., p.223.

[62]. Kelsen, « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », op. cit., p.318.

[63]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.424.

[64]Ibid.

[65]. Kelsen, « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », op. cit., p.318.

[66]. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p.424.

[67]. Kelsen, « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », op. cit., p.318.

[68]. Otto Pfersmann, « De la justice constitutionnelle à la justice internationale : Hans Kelsen et la seconde guerre mondiale », Revue française de droit constitutionnel, 1993, n°16, p.781.

[69]Ibid.

[70]Ibid.

[71]Ibid., p.784, 787.

[72]Ibid., p.787.

[73]Ibid., p.788.

[74]Ibid., p.789.

[75]Ibid., p.787.

 


 

 

Chapitre 2
Les thèses déduisant des limites à la révision constitutionnelle de l'esprit de la constitution

 

 

 

 

Nous avons déjà noté que quand il s'agit de la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle, une partie de la doctrine du droit constitutionnel ne se contente pas d'énumérer les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans la constitution, mais allant encore plus loin, elle envisage d'autres limites susceptibles de s'imposer à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.

Par exemple, certains auteurs pensent que la constitution a un esprit et en déduisent des limites à la révision constitutionnelle. Ainsi, selon ces auteurs, le pouvoir de révision constitutionnelle est limité non seulement par les restrictions découlant d'une disposition constitutionnelle expresse, mais encore par les restrictions déduites de l'esprit même de la constitution. Dans la doctrine constitutionnelle, on appelle en général les dernières, les « limites implicites », les « limites tacites » ou les « limites immanentes »[1]. Nous préférons les appeler les « limites déduites de l'esprit[2] de la constitution »[3].

Nous allons d'abord expliquer ici les thèses déduisant des limites à la révision constitutionnelle de l'esprit de la constitution, ensuite nous allons essayer de les critiquer.

§ 1. Exposé

Selon une partie de la doctrine, la constitution n'est pas une simple technique du pouvoir. Elle a pour objet de réaliser une certaine philosophie politique. Ainsi les principes politico-philosophiques se trouvant à la base de la constitution forment son essence. Ces auteurs constatent que les dispositions de la constitution relatives à l'intangibilité du régime politique ont pour objet de protéger cette essence de la constitution contre toute atteinte du pouvoir de révision constitutionnelle. D'après eux, même si le texte de la constitution ne prévoit pas expressément l'intangibilité de cette essence, le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut pas mettre en cause ces principes fondamentaux formant l'essence de la constitution. Car, la modification de tels principes, autrement dit le changement de l'essence de la constitution, signifierait l'effondrement du système constitutionnel tout entier et sa substitution par un autre. Et selon ces auteurs, la modification de l'essence de la constitution par le pouvoir de révision constitutionnelle, tout en respectant la forme régulière de la révision constitutionnelle, constitue une « fraude à la constitution ».

1. Par exemple selon Georges Burdeau, « l'organe révisionniste ne saurait, sans commettre un détournement de pouvoir, ruiner les bases fondamentales du système politique auquel est liée son existence »[4]. Ainsi le professeur Burdeau voit une « solidarité entre le fondement politico-philosophique de la constitution et le type de révision »[5]. D'après lui,

« un organe aussi ‘marqué’ par son origine est incapable à la fois moralement juridiquement d'entreprendre l'élaboration d'une constitution s'inspirant d'un esprit différent de celle dont il procède. Moralement une telle entreprise serait une trahison de la volonté des constituants qui, en créant l'organe, ont songé à l'oeuvre qu'il accomplirait. Juridiquement, l'attitude de l'autorité révisionniste aboutirait à le priver de son titre par le fait même qu'elle répudierait le fondement constitutionnel du Pouvoir politique »[6].

2. Cette thèse est défendue en Belgique de façon très claire par Pierre Wigny. Il affirme que « la Constitution est plus qu'une technique du pouvoir. Elle implique une conception de l'Etat et plus spécialement des relations qui doivent exister entre les individus. Nous avons, dit-il, opté pour la démocratie... Il paraît juste que même en respectant toutes les procédures de l'article 131, on ne peut supprimer la souveraineté nationale, les libertés individuelles, les élections libres et périodiques »[7]. Selon le professeur Wigny, « la constitution ne peut être une forme vide, une simple mécanique juridique. Elle a été inspirée par une philosophie politique dont on ne peut pas la séparer. La procédure de la révision ne peut aboutir à un bouleversement de l'Etat »[8]. Pierre Wigny estime qu'« il faut rien moins qu'une révolution pour abandonner les principes fondamentaux d'un régime et transformer une société. Pour ce faire on ne peut se contenter d'invoquer les règles ordinaires de la révision constitutionnelle »[9]. Autrement dit, dans ce domaine Pierre Wigny n'admet pas le changement paisible. Selon lui, la constitution « n'a pas à prévoir son abandon »[10]. Ainsi le professeur Wigny dénie, à l'avance, « toute valeur juridique à des manoeuvres qui aboutiraient, en respectant les apparences légales, à vider le régime de sa substance démocratique en laissant subsister les institutions comme un vain décor juridique »[11]. Le professeur Wigny applique ces principes à la Constitution belge. Il constate d'abord que chaque article de la Constitution belge peut être révisé selon la procédure prévue par l'article 131. Mais, selon lui, « on ne peut cependant modifier l'essence même du régime. L'opération ne serait plus alors une révision, mais une révolution »[12]. Bref pour Pierre Wigny, « dans le texte de la Constitution, il y a des principes intangibles parce qu'ils constituent l'essence même du régime politique »[13]. A la question de savoir « quelle est cette essence », il donne la réponse suivante : « C'est la démocratie. Celle-ci est d'abord individuelle et comporte le principe des libertés. Chacune des dispositions du titre II est susceptible d'amendement. Mais l'esprit doit être conservé. Il procède d'une philosophie politique »[14].

3. Il est intéressant de constater que la thèse de l'existence des limites découlant de l'essence de la constitution, sous l'appellation de la théorie des « limites matérielles implicites », est particulièrement défendue dans la doctrine constitutionnelle suisse. Pourtant la Constitution suisse de 1874 ne contient aucune disposition prévoyant des limites de fond. De plus, elle peut être révisée totalement ou partiellement en tout temps (art.118). En outre, le droit d'initiative populaire exclut toute limitation quant à l'objet. Pourtant plusieurs auteurs[15] affirment que la liberté du pouvoir de révision ne saurait être totale. Selon ces auteurs, il y a des limites matérielles à la révision constitutionnelle qui se dégagent de l'essence de la Constitution. Ainsi ils pensent que certaines dispositions constitutionnelles réputées fondamentales sont intangibles.

a) Par exemple pour le professeur L. Giacometti,

« les libertés individuelles reconnues par la constitution doivent présenter une barrière infranchissable à la toute-puissance de l'Etat. L'Etat de droit ne saurait être réalisé pleinement si le pouvoir de révision (pouvoir constituant institué) n'est pas, lui aussi, lié par les dispositions voulues par le constituant originaire en matière de séparation des pouvoirs, de libertés individuelles, de droits politiques et d'égalité devant la loi. Ces principes doivent être déclarés éternels par le pouvoir constituant originaire »[16].

b) Antoine Favre affirme également qu'« il existe des droits qui ne dépendent pas d'une votation, des droits qu'on peut appeler permanents et qu'il n'appartient à aucun législateur, et pas non plus au constituant suisse, de modifier »[17]. Parmi ces droits, Antoine Favre cite « la liberté de conscience, la liberté d'association, la liberté de manifester ses opinions, notamment par la voie de presse »[18]. De plus, selon lui, « ‘au‑dessus de la constitution’ il y a la justice, il y a le droit, dont la loi doit être l'expression si elle ne veut pas être une violence, et dont tous les organes de l'Etat, y compris le souverain populaire, sont les ministres »[19]. En outre, « la constitution démocratique de la Suisse confère aux citoyens des droits politiques dont il est évident, si l'on est logique, qu'ils ne doivent pas être utilisés pour détruire la démocratie. L'Assemblée fédérale accepterait-elle de soumettre à la votation populaire une initiative qui tendrait à substituer au régime démocratique la dictature du parti unique »[20] ? Encore, d'après Antoine Favre, le principe de la séparation des pouvoirs[21] et le régime fédératif[22] ne sont pas susceptibles de révision constitutionnelle.

c) De même Marcel Bridel et Pierre Moor pensent que le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut pas réviser les principes faisant partie de ce qu'ils appellent les essentialia de la Constitution fédérale suisse, c'est‑à‑dire les « éléments primordiaux du droit public suisse »[23]. Ils considèrent comme tels, le principe de la démocratie, celui du fédéralisme, le principe de l'Etat de droit et les droits de l'homme[24]. Selon les auteurs, les dispositions constitutionnelles qui les consacrent « n'ont pas un caractère constitutif, mais déclaratif »[25]. De plus, « ces essentialia ne font pas tous l'objet des dispositions expresses. Ainsi en est-il de l'Etat de droit, qui ne se déduit qu'indirectement de l'ensemble de nos règles constitutionnelles. De même le principe de la séparation des pouvoirs n'est exprimé nulle part »[26].

Marcel Bridel et Pierre Moor affirment que les principes faisant partie des essentialia

« sont proprement supraconstitutionnels ; ils s'imposeraient à nous, disent-ils, même si la Constitution ne les formulait pas expressément. Et de ce que nos constituants ont reconnu la nécessité de les incorporer à notre droit positif, il ne résulte pas que nous puissions en disposer à notre guise. Bien entendu, il nous appartient d'en modifier la formule... En revanche, nous ne saurions y renoncer sans trahison »[27].

De plus les auteurs pensent que ces principes dominent toute la Constitution « en vertu d'un ordre supérieur, d'un ordre transcendant »[28]. Marcel Bridel et Pierre Moor ajoutent que « nous ne saurions nous soustraire [à ces principes] sans commettre une hérésie ou sans nous retrancher de la communauté des nations de civilisation chrétienne (sic»[29].

d) Enfin, Jean Darbellay a une position plus modérée sur les limites matérielles du pouvoir de révision. D'abord il souligne les difficultés de la doctrine des limites matérielles[30]. Selon lui, « ce qui a été institué est oeuvre humaine et peut être révisé. Seul est intangible ce dont la nécessité est permanente : la recherche du bien politique par des moyens honnêtes adaptés aux circonstances de temps et de lieux »[31]. Ainsi, « seules, dit‑il, pourraient être écartées les initiatives déraisonnables, dont l'exécution s'avère impossible, ou qui consacrent une injustice flagrante, une violation évidente du droit naturel, les initiatives abusant manifestement d'un droit ou portant sur des matières étrangères à l'ordre constitutionnel »[32].

4. Quand il s'agit de la limitation matérielle du pouvoir de révision, on se réfère souvent à la doctrine de Carl Schmitt. Le célèbre constitutionnaliste du IIIe Reich fait la distinction entre la « constitution » (Verfassung) et la « loi constitutionnelle » (Verfassungsgesetz)[33]. La « constitution » est une décision unique qui détermine le choix global de l'unité politique[34]. Elle « est valide grâce à la volonté politique existante de celui qui la donne »[35]. En revanche, les « lois constitutionnelles » contiennent telles ou telles normations particulières[36]. Elles « n'ont de validité que sur le fondement de la constitution »[37]. Ensuite, selon Carl Schmitt, le choix du peuple allemand pour la démocratie, la souveraineté populaire, la république contre la monarchie, le fédéralisme, l'Etat de droit bourgeois avec ses principes, droits fondamentaux et séparation des pouvoirs ne sont pas des lois constitutionnelles, « ce sont les décisions politiques concrètes qui fixent la forme d'existence politique du peuple allemand et forment le présupposé fondamental de toutes normations ultérieures, même celles données par les lois constitutionnelles »[38]. « Elles forment la substance de la constitution »[39].

L'importance pratique de la distinction entre la « constitution » et la « loi constitutionnelle » apparaît du point de vue de leur révision. Car, selon Carl Schmitt, la constitution est intangible. « Par la voie de l'art.76[40] on peut modifier les lois constitutionnelles, mais pas la constitution »[41]. « Que la ‘constitution’ puisse être révisée ne veut pas dire que les décisions politiques fondamentales qui constituent la substance de la constitution peuvent être abrogées à tout moment par le parlement ou remplacées par n'importe quelles autres. Le Reich allemand ne peut pas être transformé en monarchie ou en république soviétique par une décision du Reichstag à la majorité des deux tiers »[42].

Ainsi Carl Schmitt fonde la limitation du pouvoir de révision constitutionnelle sur cette distinction elle-même. Selon lui la « révision de la constitution », c'est la « modification du texte des lois constitutionnelles en vigueur jusqu'alors »[43], et non pas la modification de la « constitution », c'est‑à‑dire les décisions politiques fondamentales qui constituent la substance de la constitution. « Le pouvoir de révision constitutionnelle ne contient donc que le pouvoir d'apporter à des dispositions légiconstitutionnelles des modifications, additions, compléments, suppressions, etc., mais pas le pouvoir de donner une nouvelle constitution »[44]. Ainsi « une révision constitutionnelle qui transforme un Etat fondé sur le principe monarchique en un Etat régi par le pouvoir constituant du peuple ne peut en aucun cas être conforme à la constitution... Vice versa tout autant : une constitution fondée sur le pouvoir constituant du peuple ne peut pas être transformée en une constitution de principe monarchique par une ‘modification’ ou ‘révision’ des lois constitutionnelles »[45]. Carl Schmitt souligne encore que

« la procédure de l'art. 76 RV[46] ne devrait pas autoriser à substituer une autre décision politique aux décisions fondamentales qui forment la constitution (à la différence de la réglementation légiconstitutionnelle). Ainsi, la procédure de l'art.76 ne pourrait pas transformer le droit de vote démocratique en un système de soviets ; les éléments fédéralistes que contient encore aujourd'hui la constitution du Reich ne peuvent pas être abrogés d'un coup de plume par la procédure de l'art.76... Une ‘révision’ de l'art.1 al.1 ou 41 RV, etc., ne pourrait pas non plus transformer la fonction du Reichspräsident en celle d'un monarque... Des modifications de cette importance provoquent un changement de constitution, et non une révision constitutionnelle »[47].

En conséquence, selon la théorie de Schmitt, il existe toujours des limites à la révision constitutionnelle découlant de la substance de la constitution, qu'elles soient explicites ou non.

5. A propos de la révision de l'esprit de la constitution, dans la doctrine du droit constitutionnel français, plusieurs auteurs parlent de « fraude à la constitution »[48]. Selon ces auteurs, la modification de l'esprit de la constitution par le pouvoir de révision constitutionnelle tout en respectant la forme régulière de la révision constitutionnelle constitue une « fraude à la constitution ». C'est Georges Liet-Veaux qui a pour la première fois, semble-t-il, utilisé cette notion[49]. Il définit la fraude à la constitution comme le procédé « par lequel la lettre des textes est respectée, tandis que l'esprit de l'institution est renié. Respect de la forme pour combattre le fond, c'est la fraude à la constitution »[50]. En d'autres termes, dans ce procédé, le pouvoir de révision constitutionnelle utilise ses pouvoirs pour établir un régime d'une inspiration toute différente, tout en respectant la procédure de révision constitutionnelle. Ce procédé dissimule en réalité une révolution. L'établissement des régimes fasciste en Italie et national socialiste en Allemagne illustre parfaitement ce procédé[51].

6. Dernièrement il faut noter que l'article 112 de la Constitution norvégienne du 17 mai 1814 interdit expressément la modification de l'esprit de la Constitution. Selon cet article les amendements de la Constitution « ne pourront, toutefois, pas être incompatibles avec les principes de la Constitution; ils devront seulement porter sur des dispositions particulières et ne pas transformer l'esprit de la Constitution »[52].

§ 2. Critique

1. D'abord il convient de remarquer que, si on laisse de côté l'article 112 de la Constitution norvégienne du 17 mai 1814, les limites que nous venons de voir ne trouvent pas leur fondement dans les textes constitutionnels. Elles ne sont pas formulées expressément par les textes constitutionnels. On ne peut pas les déduire encore de façon directe ou dérivée d'une disposition constitutionnelle. Ces limites, comme celles qui sont déduites des principes supraconstitutionnels, sont privées de toute existence positive.

2. Après avoir indiqué que ces limites sont privées de toute existence positive, on peut facilement démontrer le caractère jusnaturaliste des thèses favorables à l'existence des limites déduites de l'essence de la constitution. Ce caractère peut être suivi de façon plus claire chez les auteurs suisses que nous avons cités plus haut. Rappelons-nous que Marcel Bridel et Pierre Moor parlaient d'un « ordre transcendant », d'une « hérésie », de « se retrancher de la communauté des nations de civilisations chrétienne » (sic) et Jean Darbellay d'une « injustice flagrante », d'une « violation évidente du droit naturel ». Même si chez les autres auteurs, on ne trouve pas toujours de références aussi directes au droit naturel que celles-ci, nous pensons que ces thèses ne sont pas soutenables si l'on n'admet pas la conception jusnaturaliste du droit. Car pour attribuer la valeur juridique aux limites qui n'existent pas dans les textes positifs, on a nécessairement besoin d'une conception jusnaturaliste du droit. Or, comme nous l'avons plusieurs fois expliqué, nous refusons dans notre travail par hypothèse même la conception jusnaturaliste du droit.

3. Notre troisième remarque va dans le même sens. Les thèses qui déduisent des limites à la révision constitutionnelle de l'essence de la constitution impliquent nécessairement une conception matérielle de la constitution. Car il est évident que les principes constitutionnels fondamentaux faisant partie de l'essence de la constitution sont déterminés par leur matière, et non pas par leur forme. Car, du point de vue de leur forme, tous les principes constitutionnels ont la même valeur en tant que dispositions se trouvant dans le même texte. Par exemple, lorsque l'on dit que l'art.4 de la Constitution suisse qui règle le principe d'égalité est intangible et que l'art. 23bis, al.3, qui dispose que la Confédération « accorde en cas de besoin des facilités aux moulins afin de réduire leurs frais de transport, à l'intérieur du pays » ne l'est pas, il est évident que l'on prend en considération le contenu de ces articles. Or, du point de vue de leur forme, on ne peut pas établir de distinction entre ces deux articles qui se trouvent dans la même Constitution. Nous avons déjà précisé que notre travail est conçu dans la conception formelle de la constitution[53].

4. Les thèses favorables à l'existence des limites découlant de l'essence de la constitution aboutissent à une hiérarchisation entre les normes constitutionnelles. En effet, quand on dit que telles ou telles dispositions de la constitution concernent l'essence de celle-ci, et par conséquent qu'elles sont intangibles, on établit inévitablement une hiérarchie entre les dispositions de la constitution, hiérarchie que l'on trouve d'ailleurs dans la théorie de Marcel Bridel et Pierre Moor. Ils écrivent que « de proche en proche et degré en degré, se dessinent une hiérarchie ou plutôt des hiérarchies formelles parmi les dispositions de la Constitution »[54]. Ils attribuent le premier rang aux règles faisant partie de ceux qu'ils appellent les essentialia, le deuxième rang aux règles qu'ils qualifient d'accidentalia, et le troisième rang aux règles qui doivent normalement figurer dans des lois ordinaires[55]. Nous avons déjà démontré que la thèse de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles n'est pas fondée[56]. C'est pourquoi nous ne reprenons pas ici les critiques adressées à cette thèse.

5. L'esprit ou l'essence de la constitution n'est pas une notion objectivement définissable. Le dictionnaire Petit Robert définit le mot « esprit » (dans ce contexte) comme « le sens profond du texte », et celui « essence » comme « ce qui constitue... la nature intime des choses ». Qu'est‑ce que le sens profond d'un texte constitutionnel ? Qu'est‑ce qui constitue la nature intime d'une constitution ? A notre avis, on ne peut pas donner de réponse objective à ces questions. En effet comme le remarque à juste titre Jean-François Aubert, cette doctrine « fait appel à des règles mystérieuses, que peut seule dégager une herméneutique divinatoire »[57]. On a dit que l'esprit est le sens profond du texte. Or, François Luchaire affirme qu'« il ne faut pas confondre le sens d'un texte avec son esprit »[58]. Selon l'auteur, « le sens... résulte de l'ensemble des dispositions d'un texte... ; sa recherche suppose une démarche objective ; l'esprit – plus ou moins arbitrairement attribué à un texte – est recherché en grande partie en dehors du texte en tenant compte de tout ce qui l'environne ; sa recherche est beaucoup plus subjective »[59]. « L'esprit de la loi, dit François Luchaire, n'est qu'un prétexte pour ajouter à la loi et même parfois pour l'écarter »[60].

6. Nous arrivons ainsi au caractère subjectif et arbitraire des thèses favorables à l'existence des limites déduites de l'esprit de la constitution. A cet égard, Marie‑Françoise Rigaux remarque à juste titre que la valeur de ces limites « n'est pas appréciée en vertu de critères juridiques mais dépend d'un certain nombre de jugements politiques ou moraux tout à fait étrangers à la positivité constitutionnelle »[61]. En effet, pour justifier l'inamovibilité de certaines matières constitutionnelles, ces thèses recourent « à des postulats éthiques ou politiques »[62]. Ce n'est pas le droit positif qui est la source directe de ces limites mais l'interprétation qu'en donnent les auteurs et les appréciations personnelles qu'ils font de celles-ci[63]. Par conséquent les limites découlant de l'esprit de la Constitution dépendent des jugements de valeur personnels des auteurs[64]. Les motivations véritables de ces thèses sont donc métajuridiques[65]. Ainsi Jean-François Aubert précise que ces thèses pourraient « un jour couvrir des arrière-pensées politiques »[66].

A cet égard, Guy Héraud remarque à juste titre que

« dès que l'on se détache de la lettre du texte pour spéculer d'une façon abstraite sur ‘l'esprit d'une législation’, on aborde un terrain périlleux, et la diversité des appréciations montre le caractère trop subjectif de telles spéculations poussées à l'excès. A l'extrême, toute loi nouvelle, peut-on dire, modifie tant soit peu l'esprit d'un régime »[67].

Ainsi selon Guy Héraud, quand un texte constitutionnel permet une révision illimitée, la révision constitutionnelle « peut aller à l'encontre de la philosophie constitutionnelle antérieure »[68]. Parce qu'il faut apprécier les innovations au regard des règles de révision, et non pas par rapport à l'ordre ancien. Ainsi l'organe de révision peut « donner naissance à une philosophie nouvelle »[69]. Et cette philosophie peut ruiner la précédente. Car, la constitution, dans ses règles de révision, autorise ce changement[70]. Bref, selon Guy Héraud, « la philosophie qui se dégage de la procédure révisionniste n'est autre chose que l'acceptation des changements constitutionnels autorisés par les textes mêmes »[71].

D'ailleurs, à cet égard il est significatif de voir que les partisans de ces thèses sont eux-mêmes divisés sur la liste des limites découlant de l'esprit de la Constitution. Par exemple, comme le constate Jean-François Aubert, en Suisse, L. Giacometti tient la liberté du commerce pour intangible, tandis que Hans Haug la déclare suppressible[72].

7. En Suisse, les exemples proposés par la doctrine pour illustrer les limites implicites sont parfois surprenants : « la socialisation des femmes et des enfants, la suppression du mariage et de la famille, la suppression de la propriété privée, la vente d'un canton à un Etat voisin »[73], la révision selon laquelle « tous les administrés dont le nom commence par A paieront trois fois plus d'impôts »[74]. Avec Jean-François Aubert[75], on peut souligner la vanité de tels exemples.

8. Enfin il faut noter que les thèses favorables à l'existence des limites à la révision constitutionnelle découlant de l'esprit de la constitution ne sont jamais confirmées par la pratique constitutionnelle. A notre connaissance, aucun organe constitutionnel ni aucune cour constitutionnelle n'a consacré jusqu'à maintenant l'existence de telles limites. Au contraire, en Suisse, le Conseil fédéral a refusé la l'existence de telles limites. Il a dit, en 1919, qu'« en matière de législation constitutionnelle, il existe des limites de forme, il n'y en a point en ce qui concerne le fond »[76]. En 1955, le Conseil l'a répété de façon encore plus claire :

« Il n'existe pas de disposition disant ce qui peut et ne peut pas faire l'objet d'un texte constitutionnel. La Constitution n'a fixé ni expressément ni tacitement de limites matérielles à sa révision »[77].

* * *

Conclusion. – Ainsi après avoir vu successivement l'exposé et la critique des thèses favorables à l'existence des limites à la révision constitutionnelle découlant de l'esprit de la constitution, nous allons rechercher maintenant si ces principes remplissent les conditions de la validité juridique. Notre première condition de la validité juridique était l'existence matérielle de la limite. Rappelons encore une fois que, quand on parle de la validité juridique d'une limite, la première question qui se pose à son égard est celle de son existence matérielle[78]. Car une limite matériellement inexistante ne peut faire l'objet d'aucune qualification juridique. Et rappelons-nous que par l'existence matérielle d'une limite, on entend l'existence d'un support concret, comme un document ou une parole rituelle, en un mot, un instrumentum[79].

Maintenant recherchons l'existence matérielle des limites à la révision constitutionnelle déduites de l'esprit de la constitution.

Nous avons déjà constaté que les limites que nous venons de voir ne trouvent pas leur fondement dans les textes constitutionnels. Elles ne sont pas formulées expressément par les textes constitutionnels. On ne peut pas les déduire encore de façon directe ou dérivée d'une disposition constitutionnelle. Ces limites, comme celles qui sont déduites des principes supraconstitutionnels, sont privées de toute existence positive. En effet, comme le remarque à juste titre Marie-Françoise Rigaux, ces limites sont les résultats d'une « construction doctrinale »[80]. M.-F. Rigaux observe que ce n'est pas le droit positif qui est la source directe de ces limites, mais les interprétations qu'en donnent les auteurs et les appréciations personnelles qu'ils font de celles-ci[81]. Les limites proposées par la doctrine au nom de l'esprit de la constitution sont donc privées de toute existence matérielle. Elles ne figurent sur aucun support concret, dans aucun document. C'est pourquoi il est complètement impossible d'établir l'existence de l'instrumentum dans lequel se trouvent ces limites.

Par exemple où donc est inscrite en Suisse la limite déduit par Jean Darbellay selon laquelle le pouvoir de révision ne peut pas consacrer « une injustice flagrante, une violation évidente du droit naturel » ? Où figure également l'intangibilité des droits de l'homme ? On nous dira probablement « dans l'esprit de la constitution ». Mais qu'est‑ce que cet esprit de la constitution ? Comme nous l'avons dit, ce n'est pas une chose positivement existante, mais une « construction doctrinale ». En tout cas, personne ne peut nous montrer un document dans lequel est décrit l'esprit de la constitution[82]. Même si on nous montre le document de la constitution elle-même, chacun en tirera un esprit différent, conformément à ses propres jugements de valeur[83].

Seul le pouvoir constituant originaire est compétent pour poser des limites à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle. Or, dans cette théorie, les auteurs croient pouvoir poser des limites à la révision constitutionnelle au nom de l'esprit de la constitution. Ainsi ces auteurs se substituent au pouvoir constituant originaire grâce à l'esprit de la constitution.

En résumé les limites déduites de l'esprit de la constitution n'ont pas d'existence matérielle, par conséquent elles ne remplissent pas la première condition préalable de validité juridique. C'est pourquoi, ces limites, étant matériellement inexistantes, sont privées non seulement de valeur constitutionnelle, mais encore de toute valeur juridique. Puisque ces limites ne remplissent pas même la première condition préalable, il est inutile de rechercher si elles remplissent les autres conditions de la validité juridique. Car, ces conditions sont cumulatives, et non pas alternatives. Par conséquent, nous excluons de notre débat les limites à la révision constitutionnelle déduites de l'esprit de la constitution.


 

 

conclusion du deuxième titre

D'abord, il faut souligner le caractère jusnaturaliste des thèses favorables à l'existence des limites à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans les textes constitutionnels. En effet ces thèses (en dehors de celle de la supériorité des normes de droit internationale sur les normes constitutionnelles) ne sont soutenables que, si et seulement si l'on accepte l'existence d'un droit naturel. Car pour attribuer la valeur juridique aux limites qui n'existent pas dans les textes positifs, on a nécessairement besoin d'une conception jusnaturaliste du droit. Or, dans notre travail, nous refusons par hypothèse même la conception jusnaturaliste du droit.

Ainsi, les limites à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans les textes constitutionnels ne sont pas posées par le pouvoir constituant originaire, mais par les auteurs jusnaturalistes. Par conséquent ces auteurs se sont substitués non seulement au législateur ordinaire, mais encore au pouvoir constituant originaire même, grâce à la théorie de la supraconstitutionnalité, de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles, de l'esprit de la constitution, etc.

Egalement, au cours de ce chapitre nous avons constaté à plusieurs reprises le caractère subjectif de ces limites. Ainsi ces auteurs acceptent tous l'existence de limites à la révision constitutionnelle autres que celles prévues par les textes constitutionnels, et pourtant ne sont pas d'accord sur la liste de celles‑ci. Chacun dresse une liste différente conformément à sa propre conception. Cette différence montre en effet le caractère subjectif de ces thèses favorables à l'existence de telles limites.

* * *

Dernièrement, il convient de noter que les limites à la révision constitutionnelle proposées par la doctrine ne consistent pas en celles étudiées ci-dessus. Dans la doctrine, on a encore proposé d'autres limites à la révision constitutionnelle qui ne trouvent pas leur source dans la constitution. Par exemple selon une partie de la doctrine, les dispositions concernant la procédure de révision constitutionnelle ne sont pas révisables[84]. Egalement certains auteurs affirment que le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut procéder à une révision totale de la constitution[85].

A propos de la question de savoir si le pouvoir de révision constitutionnelle peut modifier la procédure de révision constitutionnelle, nous pensons que, conformément à la théorie positiviste, si la constitution elle-même n'interdit pas la modification des dispositions qui règlent la procédure de révision, le pouvoir constituant dérivé peut modifier la procédure de révision constitutionnelle. En d'autres termes, les dispositions de la constitution régissant la révision constitutionnelle sont susceptibles d'être révisées en suivant la procédure déterminée par ces dispositions elles-mêmes. Car, ces dispositions elles aussi sont des règles constitutionnelles comme les autres, par conséquent elles peuvent être révisées conformément à leur contenu.

Egalement, en ce qui concerne la question de la révision totale de la constitution, nous estimons que si la constitution ne l'a pas expressément exclue, la révision totale est possible. Car, selon la conception positiviste que nous suivons dans notre travail, en dehors des articles intangibles, tous les articles de la constitution sont révisables par le pouvoir de révision constitutionnelle conformément à la procédure prévue dans la constitution à cet effet. Ainsi, le pouvoir de révision constitutionnelle peut réviser quelques articles de la constitution. De même ce pouvoir peut réviser plusieurs articles de la constitution. Enfin il peut réviser tous les articles de la constitution. Entre la révision de tous les articles et la révision de quelques articles, il y a une différence de quantité, non pas de qualité. En d'autres termes il n'y a pas de différence de nature juridique entre la révision totale et la révision partielle. A la suite de la révision totale, il y a sans doute deux textes constitutionnels différents, mais il n'y a qu'une constitution. Parce que le nouveau texte a été produit par la mise en oeuvre du mode prévu par l'ancien texte : il y a continuité juridique entre ces deux textes. Autrement dit, la révision totale est un événement du pouvoir de révision constitutionnelle, et non pas du pouvoir constituant originaire. Car, lors de la révision totale de la constitution, on ne sort pas du cadre constitutionnel existant.

Enfin, il y a des auteurs qui déduisent des limites à la révision constitutionnelle d'une certaine doctrine. Par exemple Georges Burdeau déduit des limites à la révision constitutionnelle de sa fameuse notion de l'« idée de droit ». Selon lui, l'organe de révision constitutionnelle est tributaire, comme

« tous les organes de l'Etat, de l'idée de droit que représente le pouvoir étatique. Si les modifications des équilibres sociaux et politiques qui affectent le pays sont ressenties par le souverain avec une intensité telle qu'il apporte son adhésion à une idée de droit nouvelle ou exige une refonte totale des mécanismes gouvernementaux qui doivent mettre en oeuvre l'idée de droit à laquelle il demeure attaché, alors l'oeuvre constituante à accomplir échappe à la compétence de l'organe de révision. Qualifié pour le service d'une idée de droit, il commettrait un véritable détournement de pouvoir en se faisant l'instrument d'une idée différente. Voit-on une autorité révisionniste démocratiquement aménagée faire une constitution autoritaire ? Le pourrait-elle, en satisfaisant aux conditions formelles mises par la constitution existante à l'exercice de sa compétence, que le souverain ne tolérerait pas une telle parodie, intolérable usurpation du pouvoir constituant »[86].

D'autre part, lors de la révision constitutionnelle en vue de lever la contrariété du Traité de Maastricht à la Constitution française, Louis Favoreu a affirmé l'existence d'une limite procédurale à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle : ce pouvoir a l'obligation d'« assurer la cohérence de l'ensemble de la Constitution »[87]. Car, selon lui, le pouvoir de révision constitutionnelle aurait dû réviser l'article 3 de la Constitution, et ne pas ajouter un nouvel article 88 à la Constitution[88]. Ainsi le doyen Favoreu a estimé qu'

« on ne peut pas introduire un titre sur mesure pour l'Union européenne sans toucher à la ‘vielle’ Constitution : il ne peut y avoir une Constitution ‘duale’, ou une Constitution bis à côté de la Constitution officielle »[89].

Par là, comme l'observe à juste titre Bruno Genevois, Louis Favoreu a fait « grief au constituant d'avoir procédé à une révision inappropriée et même contradictoire »[90].

Mais d'où tire le doyen Favoreu cette limite interdisant au pouvoir de révision constitutionnelle de faire une « Constitution bis » ? Dans quel texte figure l'obligation pour ce pouvoir d'« assurer la cohérence de l'ensemble de la Constitution » ? A notre avis on ne peut donner aucune réponse à ces questions. C'est peut‑être pour cette raison que le Conseil constitutionnel a rejeté l'argument des requérants selon lequel « les constituants auraient dû modifier le texte des dispositions auxquelles il était dérogé ». Le Conseil constitutionnel a considéré que

« le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ; qu'ainsi rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite »[91].

En effet, on peut encore envisager d'autres limites à la révision constitutionnelle. A vrai dire, dès que l'on se détache du texte de la constitution, chacun peut proposer une limite à la révision constitutionnelle conformément à ses croyances philosophiques et politiques. Ainsi il y aurait des limites innombrables à la révision constitutionnelle. C'est pourquoi il est impossible de dresser une liste exhaustive des limites à la révision constitutionnelle proposées par la doctrine. Les limites que nous avons traitées tout au long de ce chapitre ne constituent que quelques exemples de ces limites. Pourtant, la logique des thèses favorables à l'existence des limites à la révision constitutionnelle non inscrites dans les textes constitutionnels reste toujours la même : on invente d'abord un principe fondamental, ensuite on en déduit des limites à la révision constitutionnelle. Cependant ni cette limite elle-même, ni le principe à partir duquel elle est tirée ne figurent dans les textes constitutionnels.

En conclusion, les limites à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans les textes constitutionnels ne sont pas valables, car elles sont privées de toute existence matérielle. Ainsi nous refusons toutes les thèses favorables à l'existence des limites à la révision constitutionnelle qui ne sont pas prévues par la constitution. Pour nous, les limites à la révision constitutionnelle consistent en celles inscrites dans les textes constitutionnels.

 


 

[1]. Il convient de noter que les expressions « les limites implicites » et « les limites tacites » sont trompeuses. Car, les adjectifs « implicites » ou « tacites » donnent l'illusion de croire que ces limites sont virtuellement contenues dans la constitution elle-même. Or ces limites dites « implicites » ou « tacites » non seulement ne sont pas formulées par les textes constitutionnels, mais encore elles ne peuvent pas être tirées de façon directe ou dérivée d'une disposition constitutionnelle. En d'autres termes ces limites ne trouvent pas leur fondement dans des textes constitutionnels. (L'adjectif « implicite » est défini par le dictionnaire Petit Robert, comme « qui est virtuellement contenu dans une proposition... sans être formellement exprimé, et peut en être tiré par déduction, induction »). Quant à l'adjectif « immanent », il fait appel à la « nature des choses ». On envisage même une distinction entre les limites implicites et immanentes (Voir Rigaux, op. cit., p.105). C'est pourquoi nous préférons utiliser l'expression « les limites déduites de l'essence de la constitution ».

[2]. Selon le contexte nous utiliserons parfois le mot « essence » ou « substance » au lieu de celui d'« esprit ».

[3]. Il faut ajouter que certains auteurs examinent ces limites sous le thème de la « fraude à la constitution », car ces auteurs considèrent la révision de l'esprit de la constitution comme une « fraude à la constitution ». Voir infra, note 48 et 49.

[4]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.238.

[5]Ibid., p.232.

[6]Ibid., p.232-233. C'est nous qui soulignons.

[7]. Pierre Wigny, Propos constitutionnels, Bruxelles, Bruylant, 1963, p.25, cité par Rigaux, op. cit., p.103.

[8]. Pierre Wigny, Droit constitutionnel : principes et droit positif, Bruxelles, Bruylant, 1952, t.I, p.215.

[9]Ibid.

[10]Ibid.

[11]Ibid.

[12]Ibid., p.216. C'est nous qui soulignons.

[13]Ibid., p.217.

[14]Ibid. C'est nous qui soulignons.

[15]. Par exemple, Hans Nef, Hans Haug, L. Giacometti, Louis Dupraz, Werner Kägi, Martin Luchsinger, Karl Spühler, Jean Darbellay etc. Pour les théories de ces auteurs voir : Jean-François Aubert, Traité de droit constitutionnel suisse, Neuchâtel, Editions Ides et Calendes, 1967, t.I, p.130 et s.

[16]. L. Giacometti, Allgemeine Lehren des Rechtsstaatlichen Verwaltungsrechts, Zurich, 1960, t.I, p.27 cité par Jean Darbellay, « L'initiative populaire et les limites de la révision constitutionnelle », Revue du droit public, 1963, p.733.

[17]. Antoine Favre, Droit constitutionnel suisse, Fribourg, Editions universitaires de Fribourg, 1966, p.413.

[18]Ibid.

[19]Ibid.

[20]Ibid., p.414.

[21]Ibid.

[22]Ibid., p.415.

[23]. Marcel Bridel et Pierre Moor, « Observations sur la hiérarchie des règles constitutionnelles », Revue du droit suisse (= Zeitschrift für Schweizerisches Recht), Vol. 87, 1968, I, p.406.

[24]Ibid.

[25]Ibid.

[26]Ibid., p.408.

[27]Ibid., p.412.

[28]Ibid.

[29]Ibid.

[30]. Jean Darbellay, « L'initiative populaire et les limites de la révision constitutionnelle », Revue du droit public, 1963, p.738.

[31]Ibid., p.737.

[32]Ibid., p.738.

[33]. Schmitt, op. cit., p.151.

[34]Ibid., p.152.

[35]Ibid.

[36]Ibid., p.152, 153.

[37]Ibid., p.153.

[38]Ibid., p.155.

[39]Ibid. C'est nous qui soulignons.

[40]. L'article 76 de la Constitution de Weimar règle la procédure de révision constitutionnelle.

[41]Ibid., p.156.

[42]Ibid.

[43]Ibid., p.237.

[44]Ibid., p.241.

[45]Ibid., p.242.

[46]. RV = Reichsverfassung, c'est‑à‑dire, la Constitution du Reich allemand du 11 août 1919, dite Weimar.

[47]. Schmitt, op. cit., p.243.

[48]. Voir par exemple Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.245; Cadoux, op. cit., p.151 ; Jeanneau, op. cit., p.94 ; Pactet, op. cit., p.76 ; Burdeau, Droit constitutionnel, par Troper et Hamon, 21e éd., op. cit., p.77 ; Debbasch et alii, op. cit., p.94.

[49]. Georges Liet-Veaux, « La ‘fraude à la constitution’ : essai d'une analyse juridique des révolutions communautaires récentes », Revue du droit public, 1943, p.116-150.

[50]Ibid., p.145.

[51]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.245 ; Liet-Veaux, « La ‘fraude à la constitution’ », op. cit., p. 145-150.

[52]. Boris Mirkine-Guetzévitch, Les Constitutions européennes, Paris, P.U.F., 1951, t.I, p.426. Ainsi que voir Amos J. Peaslee, Constitutions of Nations, 3e édition révisée, préparée par Dorothy Peaslee Xydis, The Hague, Martinus Nijhoff, 1968, Vol. III, « Europe », p.705. C'est nous qui soulignons.

[53]. Voir supra, titre préliminaire, chapitre 1.

[54]. Bridel et Moor, op. cit., p.409.

[55]Ibid., p.410-411.

[56]. Ce titre, chapitre 1, section 1, sous-section 2, § 2.

[57]. Aubert, op. cit., t.I, p.132.

[58]. François Luchaire, « De la méthode en droit constitutionnel », Revue du droit public, 1981, p.314.

[59]Ibid., p.314-315.

[60]Ibid., p.315. François Luchaire donne l'exemple suivant : « Le Conseil constitutionnel a... dans sa décision du 6 novembre 1962 fait appel à l'esprit de la Constitution pour ajouter à ses dispositions : L'article 61 ne lui paraissait pas préciser si la compétence du Conseil pour contrôler la loi se limitait aux lois votées par le Parlement ou s'étendait aux lois votées par référendum ; il a donc estimé qu'il résulte de l'esprit de la Constitution qui fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur des pouvoirs publics que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celle qui, adoptées par le peuple à la suite d'un référendum, constituent l'expression de la souveraineté nationale » (Ibid.).

[61]. Rigaux, op. cit., p.101-102.

[62]Ibid., p.102.

[63]Ibid., p.105.

[64]Ibid.

[65]Ibid.

[66]. Aubert, op. cit., t.I, p.132.

[67]. Héraud, L'ordre juridique et pouvoir originaire, op. cit., p.256.

[68]Ibid., p.258.

[69]Ibid.

[70]Ibid.

[71]Ibid., p.259.

[72]. Aubert, op. cit., t.I, p.132.

[73]. Darbellay, op. cit., p.730.

[74]Ibid., p.737.

[75]. Aubert, op. cit., t.I, p.133.

[76]Feuille fédérale, 1919, vol. IV, p.661, cité par Aubert, op. cit., t.I, p.134-135.

[77]Feuille fédérale, 1955, vol. II, p.347-348, cité par Aubert, op. cit., t.I, p.138.

[78]. Voir supra, titre 1, chapitre 2, section 2, sous-section 1, § 1, A.

[79]. Ost et van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit., p.259 ; Ost, « Validité », op. cit., p.636.

[80]. Rigaux, op. cit., p.97.

[81]Ibid., p.105.

[82]. Signalons encore une fois que nous laissons de côté l'article 112 de la Constitution norvégienne du 17 mai 1814 qui interdit expressément la modification de l'esprit de la Constitution.

[83]. D'ailleurs comme nous l'avons déjà remarqué, les défenseurs de ces thèses acceptent tous l'existence de limites découlant de l'esprit de la constitution, pourtant ne sont pas d'accord sur la liste de celles-ci. Chacun dresse une liste différente conformément à sa propre conception. Cette différence elle-même démontre l'inexistence objective de ces limites.

[84]. La thèse selon laquelle le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut pas modifier la procédure de révision constitutionnelle a été soutenue par les auteurs suivants : Schmitt, op. cit., p.242 ; Beaud, La puissance de l'Etat, op. cit., p.470471 ; Id., « La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1056 ; Francis Delpérée, « Le processus de modification de la Constitution belge », in La révision de la Constitution, (Journées d'études des 20 mars et 16 décembre 1992), Travaux de l'Association française des constitutionnalistes, Presses universitaires d'Aix-Marseille et Economica, Paris, 1993, p.70 ; Id., Droit constitutionnel, op. cit., p.96 ; Jeanneau, op. cit., p.94 ; Laferrière, Le manuel de droit constitutionnel, op. cit., p.293 ; Julien Laferrière, Le nouveau gouvernement de la France : les actes constitutionnels de 1940-1942, Paris, Sirey, 1942, p.30-36, 55 ; Georges Berlia, « La loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 », Revue du droit public, 1944, p.54 ; Georges Liet‑Veaux, La continuité du droit interne: essai d'une théorie juridique des révolutions, (Thèse pour le doctorat en droit, Faculté de Droit de Rennes) Paris, Sirey, 1942, p.66-68 ; Id., « La ‘fraude à la constitution’ : essai d'une analyse juridique des révolutions communautaires récentes », Revue du droit public, 1943, p.144-148.

[85]. La thèse selon laquelle le pouvoir de révision constitutionnelle ne peut pas procéder à une révision totale de la constitution a été soutenue par les auteurs suivants : Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.240 ; Schmitt, op. cit., p.151, 237, 243‑244 ; Beaud, La puissance de l'Etat, Id., La souveraineté de l'Etat... », op. cit., p.1051 ; Delpérée, Droit constitutionnel, op. cit., p.93-95 ; Id., « Le processus de modification... », op. cit., p.69. Pour les critères de distinction entre la révision totale et la révision partielle voir Aubert, op. cit., t.I, p.140-143 ; Jean Darbellay, « Vers la révision de la Constitution fédérale », Revue de droit suisse, 1968, I, p.426-437; Maurice Battelli, « Réflexions sur la révision totale », Revue de droit suisse, 1968, I, p.393-404.

[86]. Burdeau, Traité de science politique, op. cit., t.IV, p.233.

[87]. Favoreu et Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 7e éd., op. cit., p.824. Voir également Louis Favoreu, « Constitution révisée ou Constitution bis », Le Figaro, 21 avril 1992, reproduit in La Constitution et l'Europe, (Journée d'étude du 25 mars 1992 au Sénat), Paris, Montchrestien, 1992, p.356.

[88]. Favoreu, « Constitution révisée ou Constitution bis », op. cit., (reproduit in La Constitution et l'Europe, op. cit., p.356). Voir également Favoreu et Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 7e éd., op. cit., p.823-824. En ce sens voir aussi Dmitri Georges Lavroff, « A propos du référendum », Revue politique et parlementaire, n° 960, juillet-août 1992, p.28 : « Il est, en effet, douteux que les dispositions du nouvel article 88 de la Constitution soient compatibles avec celles de l'article 3, non modifié ».

[89]. Favoreu, « Constitution révisée ou Constitution bis », op. cit., (reproduit in La Constitution et l'Europe, op. cit., p.356).

[90]. Genevois, « Le Traité sur l'Union européenne et la Constitution révisée », op. cit., p.946.

[91]. C.C. Décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Traité sur l'Union européenne, (Maastricht II), Rec., p.80. (19e considérant).

 

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(c) Kemal Gözler, 1995 (Theèse), 1997 (Livre), 2004 (Version d'internet). Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le present ouvrage sans autorisation da l'auteur. Cependant vous pouvez imprimer une copie en papier de ce livre, pour votre usage strictement personnel et non commercial. Vous pouvez également enregistrer ce livre sur votre PC pour le lire offline plus tard.

 

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Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 Volumes, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

ou

Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit,  des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p. (www.anayasa.gen.tr/pcr.htm).

 


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