SITE INTERNET DU DROIT CONSTITUTIONNEL TURC
Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 volumes, 774 pages.
Kemal Gözler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse pour le doctorat en droit, Directeur de recherches: Prof. Dmitri Georges Lavroff, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Faculté de droit, des sciences sociales et politiques, 1995, 774 p.
(Page liée: https://www.anayasa.gen.tr/pcr.htm)
(Cliquez ici pour le format PDF)
Nous allons examiner le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Turquie en le divisant en deux périodes : sous la Constitution de 1961 et sous la Constitution de 1982, car les données constitutionnelles du problème sont différentes dans ces deux périodes.
Alors cette section se subdivise en deux sous-sections :
Sous-section 1. - Sous la Constitution de 1961
Sous-section 2. - Sous la Constitution de 1982
La Constitution turque de 1961 a été adoptée par le référendum du 9 juillet 1961[1] et déconstitutionnalisée par le coup d'Etat du 12 septembre 1980[2].
Le contrôle de constitutionnalité des lois est prévu pour la première fois en Turquie par la Constitution de 1961. Du point de vue du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il faut distinguer les périodes d'avant et d'après 1971, car la réglementation constitutionnelle sur ce point a été modifiée par la loi de révision constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971.
Nous allons voir d'abord la réglementation constitutionnelle (A), ensuite la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (B).
Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971, la Constitution de 1961 ne contenait aucune disposition sur la contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans cette période, l'article 147 stipulait que
« la Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution des lois et du règlement intérieur de la Grande Assemblée nationale de Turquie ».
De même, la loi n°44 du 22 avril 1962 sur l'organisation et la procédure de travail de la Cour constitutionnelle prévoyait le contrôle de la constitutionnalité des lois et du règlement intérieur de l'Assemblée, mais elle ne comportait aucune disposition sur le contrôle de la constitutionnalité des lois de révision constitutionnelle.
Alors la Constitution turque de 1961, avant la révision constitutionnelle de 1971, ne contenait aucune disposition sur la question de savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Par conséquent, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans le cas de la Turquie, avant 1971, doit être analysée comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé.
Dans le chapitre précédent[3], nous avons vu les données théoriques du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un tel système. Sans entrer dans les détails, rappelons que, selon les conclusions développées dans ce chapitre, dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé par la constitution, puisque la solution n'existe pas dans les textes positifs, elle ne peut se trouver que dans la jurisprudence constitutionnelle. Mais pour qu'il y ait une jurisprudence constitutionnelle, il faut qu'il existe avant tout un organe chargé du contrôle de la constitutionnalité. En d'autres termes, il faut qu'il y ait, dans le système, un organe compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois.
En Turquie, sous la Constitution de 1961, avant 1971, il y avait justement une Cour constitutionnelle chargée de contrôler la constitutionnalité des lois[4]. Par conséquent, la première condition est remplie.
Dans le chapitre précédent[5], deuxièmement, nous avons affirmé que, s'il y a une cour constitutionnelle dans le système, il faut regarder la jurisprudence de cette cour sur le point de savoir si elle se déclare compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Du point de vue du droit positif, dans une telle hypothèse, il faut admettre que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible si la cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par contre, un tel contrôle est impossible si la cour constitutionnelle se considère comme incompétente pour contrôler les lois constitutionnelles. Alors, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible si la cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par contre, un tel contrôle est impossible si la cour constitutionnelle s'est déjà déclarée incompétente pour contrôler les lois constitutionnelles. Car, du point de vue du droit positif, la jurisprudence de cette cour est incontestable. En d'autres termes la décision de cette cour constitue la solution authentique du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.
Alors, pour savoir si le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou non en Turquie dans cette période, il faut regarder la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sur le point de savoir si elle se considère comme compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Si elle s'est déjà déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ce contrôle est possible. Si ce n'est pas le cas, ce contrôle est impossible.
Dans cette période, comme nous allons le voir avec les détails plus bas, la Cour constitutionnelle turque s'est déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans les décisions des 16 juin 1970 et 3 avril 1971, elle a effectivement contrôlé la constitutionnalité de deux lois de révision constitutionnelle. De plus elle a même annulé une loi de révision constitutionnelle.
Alors du point de vue du droit positif, une seule conclusion s'impose : en Turquie, sous la Constitution de 1961, avant 1971, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ; car, d'une part, la Constitution ne contient aucune disposition sur ce point, et d'autre part la Cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par conséquent la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque avant 1971 illustre parfaitement la solution du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un système où le contrôle n'est pas réglementé par les constitutions et où il y a un organe chargé du contrôle de la constitutionnalité.
Voyons maintenant de plus près la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque avant 1971 sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.
Nous exposerons d'abord la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, ensuite nous essayerons de faire la critique de cette jurisprudence.
Dans cette période, c'est‑à‑dire avant la loi de révision constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque a rendu deux décisions concernant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles : les décisions des 16 juin 1970 et 3 avril 1971.
La Constitution turque de 1961 a été révisée pour la première fois par la loi constitutionnelle n°1188 du 6 novembre 1969[7]. L'article 68 de la Constitution de 1961 interdisait aux personnes qui sont condamnées de certains délits et crimes d'être candidates et d'être élues en tant que députés, « même si elles ont bénéficié d'une amnistie ». La révision de 1969 a supprimé cette dernière restriction.
La loi constitutionnelle n°1188 du 6 novembre 1969 en supprimant ces quatre mots[8] permet aux anciens condamnés bénéficiant d'une amnistie de se présenter aux élections générales. En effet cette disposition avait pour objet de rendre les droits politiques aux anciens responsables[9] du Parti démocrate condamnés au procès de Yassiada à la suite du coup d'Etat militaire du 27 mai 1960 renversant le Gouvernement de ce Parti. Ainsi, la première révision de la Constitution de 1961 a provoqué une crise politique dans le pays, opposant, d'une part, les partis politiques à l'armée, et d'autre part, les partis de gauche aux partis de droite[10].
Dans ces circonstances, la Cour constitutionnelle fut saisie, le 9 janvier 1970, par le Parti travailliste de Turquie, sur la base de l'article 149 de la Constitution, à l'effet de se prononcer sur la conformité de la loi constitutionnelle du 6 novembre 1969 à la Constitution. Ainsi, dès la première révision constitutionnelle, la Cour constitutionnelle turque a eu l'occasion de se prononcer sur le point de savoir si elle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.
Nous allons voir d'abord les arguments de l'auteur de la saisine, ensuite la décision de la Cour constitutionnelle.
L'auteur de la saisine, le Parti travailliste de Turquie, invoque plusieurs arguments pour montrer d'abord la compétence de la Cour, ensuite l'irrégularité formelle et matérielle la loi constitutionnelle en question[11].
1. Pour démontrer la compétence de la Cour. – D'abord le Parti requérant, en s'appuyant sur une conception jusnaturaliste, a fait valoir que la Cour constitutionnelle est compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles, car, à son avis,
« il y a des principes fondamentaux supérieurs à la constitution et d'une façon générale, au droit positif. Ces principes se trouvent à l'origine des constitutions et traduisent une certaine conception du monde qui constitue l'idéologie dominante dans une société déterminée... Les constitutions tirent leur valeur et validité juridique de ces principes fondamentaux... Et à certains égards, les constitutions sont des documents qui réalisent ces principes... et qui les transforment en droit positif »[12].
Ensuite l'auteur du recours soutient qu'il y a une hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles. En effet, le requérant affirme que
« la constitution comporte, à côté des principes fondamentaux, les dispositions de nature réglementaire qui ont pour objet d'appliquer ces principes. Les principes se trouvant dans les préambules ou dans les déclarations des droits annexées à la constitution constituent le sommet de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles. En effet, la cohérence de la constitution est assurée par la conformité des dispositions réglementaires et d'autres dispositions à ces principes se trouvant au début de la constitution »[13].
Ainsi après avoir affirmé que les dispositions constitutionnelles occupent un rang différent dans la hiérarchie selon leur valeur et validité juridique, l'auteur de la saisine conclut que
« si un article de la Constitution de l'importance dérivée est modifié et si cet article révisé entre en contradiction avec les principes fondamentaux de la Constitution, la cohérence de la Constitution sera anéantie. Puisque la validité des principes fondamentaux ne peut pas être limitée par un article de valeur secondaire, la Cour constitutionnelle a la compétence de s'opposer à cette révision et d'annuler l'article modifié »[14].
Soulignons que ces arguments du Parti travailliste de Turquie illustrent parfaitement la thèse de la hiérarchie entre les normes constitutionnelles que nous avons examinée dans la première partie[15]. Par conséquent on peut se reporter, pour la critique de ces arguments, à la section consacrée à la critique de cette thèse[16].
D'ailleurs le requérant invoque aussi des arguments positivistes. Il soutient que la conclusion ci-dessus pourrait même être tirée de la disposition de l'article 147 de la Constitution. Car, selon le requérant,
« l'article 147, en prévoyant que ‘la Cour constitutionnelle contrôle la constitutionnalité des lois’ attribue à la Cour constitutionnelle les compétences les plus étendues dans l'exercice de ce contrôle. Qu'il nous soit permis de donner un exemple : si la proposition ou le projet de loi révisant certains articles de la Constitution est entaché de vices de procédure, par exemple, si la proposition n'a pas été adoptée par la majorité des deux tiers, la Cour constitutionnelle déclarera-t-elle irrecevable le recours en annulation, en se considérant comme incompétente pour statuer sur la validité de cette loi ? Sans aucun doute, non. La Cour constitutionnelle examinera l'affaire et annulera la loi de révision constitutionnelle »[17].
L'auteur de la saisine affirme la même chose à propos de la compétence de la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. De même, s'il y a un vice matériel au lieu d'un vice de procédure, la Haute Instance contrôlera aussi la loi en question. Et si la Cour constate que la loi de révision constitutionnelle est en contradiction avec les principes fondamentaux de la Constitution, elle l'annulera[18].
2. Pour démontrer l'irrégularité de la loi constitutionnelle en question. – D'ailleurs selon le Parti travailliste, auteur de la saisine, la loi constitutionnelle n°1188 du 6 septembre 1969 était contraire à la Constitution tant du point de vue de la forme que du fond.
a. D'abord, pour démontrer l'irrégularité formelle de la loi constitutionnelle en question, le requérant soutenait que la loi constitutionnelle en question était entachée d'un vice de procédure, car elle a été adoptée contrairement à la disposition de l'article 155 prévoyant que « les propositions de révision constitutionnelle ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence ».
b. Ensuite, selon le requérant, la loi constitutionnelle en question était contraire à la Constitution du point de vue de son contenu aussi. En effet, l'argument du Parti travailliste de Turquie est plutôt un argument d'opportunité. Le requérant, en supposant que la Constitution de 1961 tire sa validité du coup d'Etat du 27 mai 1960, affirme que « la légitimité de l'intervention[19] du 27 mai 1960 repose sur l'illégitimité du Gouvernement du Parti démocrate »[20]. Si l'on rend les droits politiques aux anciens responsables illégitimes de ce gouvernement, la légitimité de l'intervention du 27 mai sur laquelle repose la Constitution de 1961 sera anéantie. Alors la loi constitutionnelle en question qui devait rendre les droits politiques aux anciennes responsables du Parti démocrate était contraire à l'essence même de la Constitution de 1961[21].
En dehors de cet argument, l'auteur de la saisine essaye de tirer la même conclusion de l'article 9 de la Constitution de 1961 prévoyant l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat. En interprétant largement cette interdiction, le requérant affirme que, non seulement la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques de cet Etat, telles que l'Etat de droit, démocratique, basé sur les droits de l'homme, et laïque, sont intangibles[22].
En conclusion selon le Parti travailliste de Turquie, la loi constitutionnelle n°1188 du 6 novembre 1969 révisant l'article 68 et supprimant l'article transitoire de la Constitution est contraire aux principes fondamentaux se trouvant au début de la Constitution[23].
La Cour constitutionnelle a examiné d'abord la recevabilité, ensuite le fond de l'affaire.
A. La recevabilité. – La Cour constitutionnelle a d'abord discuté de la question de savoir si elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, et ensuite la question de l'étendue de sa compétence.
1. La question de sa compétence. – D'abord il convient de préciser que selon l'article 28 de la loi n° 44 du 22 avril 1970 sur l'organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, la Cour est liée par les conclusions de l'auteur de la saisine, mais non pas par les moyens invoqués par lui. Par conséquent la Cour constitutionnelle peut annuler une loi pour d'autres motifs que ceux invoqués par le requérant. De même parfois, la Cour soulève d'office un moyen non invoqué par le requérant et annule la loi, sans qu'il soit besoin de statuer sur d'autres moyens.
Dans cette affaire aussi la Cour constitutionnelle n'a pas statué sur tous les moyens invoqués par l'auteur de la saisine. Par exemple, comme on vient de le voir, le requérant, sur la base d'une conception purement jusnaturaliste, soutient qu'il y a, d'une part, des principes supérieures à la Constitution et d'autre part, une hiérarchie entre les normes constitutionnelles elles-mêmes. La Cour n'a pas répondu à ces deux arguments. Elle a préféré examiner la question dans le cadre de la Constitution.
Avant d'entrer au fond de l'affaire, conformément à la demande de l'auteur de la saisine, la Cour constitutionnelle a tout d'abord examiné la question de savoir si elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. En effet, comme on l'a vu plus haut, l'article 147 de la Constitution habilitait la Cour constitutionnelle à se prononcer sur la constitutionnalité des lois et ne parlait pas de lois constitutionnelles. Alors la question qui se posait à la Cour constitutionnelle était celle de savoir si les lois constitutionnelles pouvaient être considérées comme « lois » dans le sens de l'article 147. La réponse de la Cour à cette question était affirmative. La motivation de la Cour était la suivante :
« Il est évident que la révision de la Constitution de 1961 n'est possible que par les lois qui seront édictées conformément à la procédure et aux conditions prévues dans l'article 155. En effet, le texte n°1188 du 6 novembre 1969 en question porte aussi l'appellation nom de « loi », comme on le voit clairement dans son titre[24]. D'ailleurs, la Constitution considère la révision constitutionnelle comme une « loi », car, elle prévoit, dans son article 155, qu'en dehors de certaines conditions[25], la discussion et l'adoption des révisions constitutionnelles se déroulent conformément aux dispositions qui régissent la discussion et l'adoption des lois »[26].
Ainsi, en donnant la satisfaction au requérant, la Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler non seulement la constitutionnalité des lois ordinaires, mais aussi celle des lois constitutionnelles. L'argument principal de la haute instance consiste à faire valoir que les lois constitutionnelles, elles aussi, sont, en dernière analyse, des lois. En d'autres termes, selon la Cour, il n'y a qu'une seule catégorie de lois au regard du contrôle de constitutionnalité. Car, à son avis, le mot « loi », comprend parfaitement la « loi constitutionnelle ». En effet, la Cour constate que la loi constitutionnelle du 6 novembre 1969 attaquée porte elle-même l'appellation de « loi », dans son texte publié au Journal officiel[27]. Par conséquent la haute juridiction a estimé qu'elle peut statuer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles sans qu'elle ait besoin d'une compétence spéciale autre que celle qui lui est attribuée pour contrôler la constitutionnalité des lois dans l'article 147.
2. La question de l'étendue de sa compétence. – Après avoir répondu par l'affirmative à la question de savoir si elle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, une deuxième question s'est posée à la Cour constitutionnelle : celle de l'étendu de sa compétence. La Cour constitutionnelle peut-elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur forme que de leur contenu ?
a. Le contrôle de forme. – Concernant la question de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, la Cour a fait droit à l'argument du Parti requérant. Ainsi, la Cour constitutionnelle a affirmé qu'
« il est hors de doute que, pour qu'une loi prévoyant la révision de la Constitution ait réellement un tel effet, c'est‑à‑dire pour qu'elle modifie ou supprime un principe constitutionnel, ou bien pour qu'elle pose un nouveau principe constitutionnel, elle doit être proposée conformément aux dispositions de l'article 155, délibérée et adoptée par les assemblées législatives conformément à ces mêmes dispositions. Un texte qui n'a pas été mis en place conformément à ces règles ne peut avoir aucun effet sur les dispositions existantes de la Constitution. De même une nouvelle disposition qui n'a pas été édictée conformément à ces règles ne peut pas être considérée comme une norme de qualité et de force constitutionnelle.
C'est pourquoi, les lois prévoyant la révision de la Constitution, elles aussi, doivent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle à l'effet de savoir si elles ont été proposées et adoptées conformément à la procédure et aux conditions prévues dans l'article 155 »[28].
Ainsi, la Cour s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Le contrôle de la régularité formelle des lois constitutionnelles consistait, selon la Cour constitutionnelle, à vérifier si elles ont été proposées, délibérées et adoptées conformément aux règles de forme prévues dans l'article 155 de la Constitution ; c'est‑à‑dire la proposition par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale, l'interdiction d'en délibérer selon la procédure d'urgence et l'adoption à la majorité des deux tiers (art.155, al.1).
b. Le contrôle de fond. – Dans cette décision, en donnant toujours la satisfaction à l'auteur de la saisine, la Cour constitutionnelle s'est encore reconnue la compétence de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. La motivation de la Cour constitutionnelle était la suivante :
« La Constitution de 1961, dans son article 9, pose un principe d'intangibilité. Selon cet article ‘la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ne peut être modifiée, ni sa modification proposée’.
Il est évident que le principe d'intangibilité ne vise pas seulement le mot ‘république’. C'est‑à‑dire qu'il est impossible de concilier ce principe avec l'idée selon laquelle la Constitution permet de réviser tous principes et règles en dehors de l'intangibilité du mot ‘république’. Car, le but du principe de l'intangibilité exprimé dans l'article 9 est de protéger le système de l'Etat, exprimé par le mot ‘république’, dont les caractéristiques sont déterminées par les principes fondamentaux trouvant dans les articles 1 et 2 et dans le préambule auquel fait référence l'article 2. En d'autres termes, ce qui est intangible n'est pas le mot ‘république’, mais le ‘régime républicain’ dont les caractéristiques sont définies dans les articles précités. Alors, la proposition et l'adoption d'une révision constitutionnelle qui établirait, tout en gardant le mot ‘république’, un régime incompatible avec les principes fondamentaux de la Constitution de 1961 serait contraire à la Constitution.
C'est pourquoi, une loi prévoyant la révision de l'un de ces principes ou une loi qui a pour objet de modifier ces principes directement ou indirectement par les révisions dans les autres articles de la Constitution ne peut pas être proposée et adoptée. Une loi qui a été adoptée contrairement à ces principes ne peut avoir aucun effet sur les dispositions existantes de la Constitution.
Il résulte de tout ce qui est dit que la Cour constitutionnelle a la tâche, en vertu de l'article 147, de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.
Pour ces raisons, les lois constitutionnelles doivent pouvoir être contrôlées par la Cour constitutionnelle non seulement sur la forme, mais aussi quant au fond »[29].
Comme on le voit, dans cette décision, la Cour constitutionnelle s'est déclarée encore compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Elle fonde sa compétence sur l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Cependant la Cour interprète cette interdiction d'une façon très large. En effet, selon la haute juridiction, cette interdiction ne vise pas seulement le mot « république », mais aussi le « régime républicain » dont les caractéristiques sont définies dans les articles 1, 2 et dans le préambule de la Constitution. En d'autres termes, ce qui est intangible n'est pas seulement le mot « république », mais aussi les principes fondamentaux se trouvant dans les articles précités. Alors, la proposition et l'adoption d'une révision constitutionnelle qui établirait, tout en gardant le mot « république », un régime incompatible avec les principes fondamentaux de la Constitution de 1961 serait contraire à la Constitution. Ainsi selon la Cour constitutionnelle, une loi prévoyant la révision de l'un de ces principes ne peut pas être proposée. Mais si elle a été proposée et adoptée, elle ne peut avoir aucun effet sur les dispositions existantes de la Constitution. Par conséquent, elle doit être annulée par la Cour constitutionnelle.
En conséquence, la Cour constitutionnelle se considère comme compétente pour contrôler la conformité du contenu des lois constitutionnelles non seulement à la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 1, mais aussi aux principes définis dans l'article 2 de la Constitution (Etat de droit démocratique, laïque, social, national etc.).
* * *
B. Le fond de l'affaire.– Ensuite, après s'être reconnue la compétence de contrôler les lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu, la Cour constitutionnelle turque s'est mise à examiner la conformité de la loi constitutionnelle n°1188 du 6 novembre 1969 à la Constitution.
La Cour a d'abord contrôlé la régularité formelle de la loi constitutionnelle en question. En d'autres termes, la Cour a vérifié si cette loi constitutionnelle a été adoptée conformément aux règles de forme prévues dans l'article 155 de la Constitution. C'est pourquoi voyons d'abord les dispositions de l'article 155 de la Constitution de 1961.
Article 155.– La révision de la Constitution peut être proposée par un tiers au mois du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie, et ce, par écrit. Les propositions de révision de la Constitution ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence. Elles ne peuvent être adoptées qu'à la majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée.
En dehors des conditions énoncées à l'alinéa 1er, la discussion et l'adoption des propositions de révisions constitutionnelles se déroulent conformément aux dispositions qui régissent la discussion et l'adoption des lois.
Et le Règlement intérieur de l'Assemblée nationale prévoyait deux délibérations sur la proposition des lois. Le premier portait sur l'ensemble de la proposition et le deuxième sur les articles. La loi de révision constitutionnelle en question a été votée en première lecture par les deux tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée, comme le prévoyait l'article 155 de la Constitution. Par contre, la deuxième lecture comportait deux phases. Dans la première, l'Assemblée votait les articles de la proposition un à un ; dans la deuxième, l'ensemble de la proposition.
Dans notre cas, l'Assemblée nationale a voté les articles à la majorité simple, et ensuite l'ensemble de la proposition à la majorité de deux tiers. En d'autres termes, l'Assemblée n'a exigé la majorité de deux tiers que dans la dernière phase de la deuxième lecture. Or, selon la Cour constitutionnelle, non seulement l'ensemble de la proposition, mais aussi ses articles devaient être votés à la majorité de deux tiers, comme le prévoyait l'article 155 de la Constitution. Par conséquent, la Cour constitutionnelle a conclu que la loi constitutionnelle en question n'a pas été adoptée conformément à la Constitution. Ainsi la Cour, par 8 voix contre 7, a prononcé l'annulation de la loi constitutionnelle du 6 novembre 1969[30].
Puisque la loi constitutionnelle a été déjà annulée quant à la forme, sur les autres points ainsi que du point de vue de sa régularité matérielle, la Cour constitutionnelle a décidé qu'il n'y avait pas lieu à statuer[31].
Ainsi la Cour constitutionnelle turque a contrôlé pour la première fois la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle 8 ans seulement après de sa fondation. Parmi les pays étudiés, cette décision est la première décision d'annulation d'une loi constitutionnelle.
Cette décision a suscité de vives critiques dans la doctrine turque de droit constitutionnel et même à l'intérieur de la Cour, comme l'atteste le nombre des opinions dissidentes. Nous allons voir la critique de cette décision plus tard.
La Constitution de 1961 a été révisée pour la deuxième fois par la loi constitutionnelle n°1254 du 17 avril 1970[33]. Cette loi reportait les élections du Sénat pour un an et quatre mois.
La Cour constitutionnelle a été saisie par le Parti travailliste de Turquie aux fins d'appréciation de la conformité de cette loi constitutionnelle à la Constitution. Ainsi, la Cour constitutionnelle turque a trouvé aussi l'occasion de se prononcer sur la deuxième révision de la Constitution de 1961.
Voyons d'abord les arguments de l'auteur de la saisine, ensuite le jugement de la Cour.
Puisque la Cour constitutionnelle s'est déjà déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, le Parti travailliste de Turquie, cette fois‑ci, sans avoir invoqué les arguments en faveur de la compétence de la Cour constitutionnelle, a développé directement les arguments tendant à montrer l'inconstitutionnalité de la loi constitutionnelle en question.
D'abord, le requérant soutenait que la loi constitutionnelle en question était inconstitutionnelle quant à sa forme, car elle avait été adoptée contrairement à la disposition de l'article 155 prévoyant que « les propositions de révision constitutionnelle ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence »[34].
Ensuite, selon le Parti travailliste, « la loi constitutionnelle en question était en contradiction ouverte avec les articles 73 et 74 de la Constitution »[35].
Par ailleurs le requérant prétendait que
« cette loi est complètement contraire à l'esprit général de la Constitution, car elle permet aux sénateurs, par leurs propres voix, de prolonger le durée de leur fonction, et ainsi de recevoir leur salaire encore pendant un an et quatre mois »[36].
La Cour constitutionnelle a d'abord examiné la question de savoir si elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles et ensuite la régularité formelle et matérielle de la loi constitutionnelle en question.
1. Sur la question de savoir si elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. - a) La Cour constitutionnelle, cette fois, n'a pas examiné la question de savoir si elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Il semble que la Cour constitutionnelle s'est considérée comme compétente pour se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, car elle est passée directement à l'examen de la régularité formelle de la loi constitutionnelle.
b) Par contre la Cour constitutionnelle a examiné de nouveau la question de savoir si elle était compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. A ce propos, d'abord, la Cour a réaffirmé qu'elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles du point de vue de leur régularité matérielle. Dans cette décision, la Cour a répété essentiellement l'argument qu'elle avait utilisé dans la décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques). Mais il semble qu'elle ait utilisé cette fois‑ci un critère encore plus vaste que celui invoqué dans la décision précédente :
« L'ordre constitutionnel comporte de telles institutions et de tels droits et devoirs que, s'ils sont liés aux principes contraires aux nécessités de la civilisation contemporaine, cet ordre pourrait s'effondrer dans son ensemble. Par exemple, la modification de l'article 1 de la Constitution prévoyant que ‘l'Etat turc est une république’ détruit le fondement de la structure de la Constitution. C'est pourquoi, l'article 9 spécifie que la révision de cette disposition ne peut être proposée. La forme républicaine de l'Etat est un ensemble de principes avec des institutions, des droits et devoirs fondamentaux. Alors il résulte tant des dispositions expresses de la Constitution que de son esprit et de sa philosophie que les révisions qui supprimeraient la forme républicaine de l'Etat ne puissent pas être réalisées. C'est pourquoi, il ne faut pas croire que l'on peut réviser les dispositions de la Constitution autres que celle de la forme de l'Etat, sans aucune condition.
Le fait que les révisions constitutionnelles portent atteinte à la cohérence et à la systématique des dispositions fondamentales de la Constitution détruit la structure juridique dans son ensemble. Dans ce cas, le fait que la Cour constitutionnelle protège la Constitution contre la domination de la majorité, en exerçant les compétences et les tâches qui lui sont attribuées par l'article 147, est conforme en particulier au préambule et aux dispositions des articles 2, 4 et 8 de la Constitution. Par conséquent, l'idée selon laquelle les révisions constitutionnelles ne sont pas soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle quant au fond est privée de fondement constitutionnel »[37].
Comme nous l'avons vu dans la décision « Restitution des droits politiques », la Cour s'est déjà déclarée compétente pour contrôler la conformité des lois constitutionnelles non seulement à la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 1 de la Constitution, mais aussi aux principes exprimés dans l'article 2. Dans cette décision la Cour constitutionnelle, en allant encore plus loin, a affirmé qu'elle doit contrôler aussi la conformité des lois constitutionnelles aux « nécessités de la civilisation contemporaine ». D'ailleurs, la Cour déclare, dans cette décision, qu'elle peut examiner les lois constitutionnelles sur le point de savoir si elles portent atteinte ou non à la cohérence et à la systématique de l'ordre constitutionnel. Ainsi selon la haute juridiction, la modification de la forme républicaine de l'Etat n'est qu'un exemple des révisions constitutionnelles interdites, mais celles-ci ne consistent pas en l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution : les révisions constitutionnelles contraires aux principes exprimés dans les articles 1, 2 et dans le préambule de la Constitution, et ainsi qu'aux nécessités de la civilisation contemporaine, et enfin les révisions constitutionnelles qui détruisent la cohérence de l'ordre constitutionnel sont interdites.
Nous allons critiquer plus tard la motivation de la Cour constitutionnelle. Mais signalons toute de suite que les critères tels que les « nécessités de la civilisation contemporaine » ou la « cohérence de l'ordre constitutionnel » sont difficilement appréciables. En effet, la Cour constitutionnelle avait fait déjà référence à ces critères dans une décision rendue en 1965[38]. Nous ne commenterons pas cette décision, car dans cette affaire, la Cour a contrôlé la constitutionnalité d'une loi ordinaire et non pas celle d'une loi constitutionnelle. Dans cette décision, la Cour constitutionnelle a, pour la première fois, développé la thèse selon laquelle la Constitution ne permet pas certaines révisions constitutionnelles :
« On ne peut pas penser que l'Assemblée constituante qui a préparé l'article 155 et la nation turque qui l'a adopté ont accepté que l'on puisse, par l'application de cet article, supprimer la Constitution et détruire l'Etat de droit dont les caractéristiques sont définies par elle et établir un régime diamétralement opposé à celui-ci. Il est évident que l'article 155 a été adopté dans le but de permettre des révisions constitutionnelles qui sont conformes à l'esprit de la Constitution, et qui ont pour objet d'élever la société turque au niveau le plus avancé de la civilisation. Par contre, les révisions constitutionnelles laissant en arrière la société turque, détruisant les libertés et droits fondamentaux, anéantissant l'Etat de droit, en un mot supprimant l'essence de la Constitution de 1961 ne peuvent être considérées comme des ‘révisions constitutionnelles’ et par conséquent, elles ne peuvent être réalisées par l'application de l'article 155 »[39].
Ainsi la Cour constitutionnelle a affirmé, dans cette décision, que pour qu'une révision constitutionnelle soit valable, non seulement elle doit être réalisée conformément à la procédure de révision prévue à cet effet, mais aussi le contenu de cette révision doit être conforme à l'« essence de la Constitution de 1961 ».
2. Sur la régularité de la loi constitutionnelle en question. – a) La régularité formelle. – La Cour constitutionnelle a examiné d'abord la question de savoir si la loi constitutionnelle en question est contraire à la Constitution du point de vue de sa forme. La Cour a rejeté l'argument du requérant selon laquelle la loi constitutionnelle en question a été adoptée contrairement à la disposition de l'article 155 prévoyant que « les propositions de révision constitutionnelle ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence »[40]. D'ailleurs la Cour constitutionnelle n'a constaté aucune autre irrégularité de procédure dans la proposition et l'adoption de la loi constitutionnelle n°1254 du 17 avril 1970[41].
b) La régularité matérielle. – Ensuite la Cour constitutionnelle a contrôlé la constitutionnalité de la loi constitutionnelle en question quant au fond, c'est‑à‑dire qu'elle a vérifié la conformité de cette loi constitutionnelle aux principes précités. La Cour a estimé que le contenu de cette loi n'est en contradiction ni avec les principes fondamentaux de la Constitution, ni avec le principe de l'intangibilité de la forme républicaine lui-même[42].
Ainsi pour ces motifs, la Cour constitutionnelle a décidé :
« 1. La loi constitutionnelle n°1254 du 17 avril 1970 modifiant l'article 73 de la Constitution n'est pas contraire à la Constitution quant à sa forme et par conséquent le recours est rejeté sur la forme par 10 voix[43] contre 5[44] ;
2. La Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond par 13[45] voix contre 2[46];
3. La loi constitutionnelle en question n'est pas contraire à la Constitution quant au fond et par conséquent le recours est rejeté quant au fond par 11 voix[47] contre 4[48] »[49].
Après avoir ainsi vu la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles avant 1971, maintenant nous pouvons passer à la critique de cette jurisprudence.
Nous allons critiquer la jurisprudence de la Cour constitutionnelle a travers les six questions suivantes :
– la question de la compétence ;
– la question du contrôle de forme ;
– la question du contrôle de fond ;
– la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux limites matérielles à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans le texte de la Constitution ;
– la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux limites matérielles à la révision inscrites dans le texte de la Constitution ;
– la question de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.
Pour toutes ces questions, nous allons d'abord montrer en quels termes la question est posée à la Cour constitutionnelle, ensuite la réponse donnée par la Cour constitutionnelle à cette question, puis les critiques adressées à cette réponse et enfin nous allons essayer de faire une appréciation générale de la question.
La question posée. – Les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle ?
L'alinéa 1 de l'article 147 de la Constitution de 1961 confère à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôler la conformité à la Constitution des lois. D'autre part, les révisions constitutionnelles elles aussi portent l'appellation de « lois », malgré leur nature constitutionnelle. Alors, la Cour constitutionnelle est-elle compétente pour contrôler la constitutionnalité de ces « lois », comme celle des lois ordinaires ?
La réponse de la Cour. – La Cour constitutionnelle a répondu à cette question par l'affirmative.
Selon la Cour constitutionnelle, les lois constitutionnelles peuvent être soumises à son contrôle, car, ces lois aussi, sont, en dernière analyse, des lois. En d'autres termes, d'après la Cour, il n'y a qu'une seule catégorie de loi au regard de son contrôle. Elle affirme que le mot « loi », comprend parfaitement la « loi constitutionnelle ». En effet, la Cour constate que la loi constitutionnelle du 6 novembre 1969 attaquée porte elle-même le nom de « loi », dans son texte publié au journal officiel. Par conséquent la haute juridiction a estimé qu'elle peut statuer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles sans qu'elle ait besoin d'une compétence spéciale autre que celle qui lui est attribuée pour contrôler la constitutionnalité des lois dans l'article 147. Ainsi la Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.
Maintenant voyons les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle.
Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Nous allons voir d'abord la critique adressée à la réponse de la Cour constitutionnelle par ses membres minoritaires dans leurs opinions dissidentes. Ensuite nous allons donner les critiques développées par la doctrine.
Les critiques adressées par les membres minoritaires de la Cour constitutionnelle. – Dans les décisions de la Cour constitutionnelle turque, sont toujours indiqués non seulement les noms des juges participant à la délibération du jugement, mais aussi ceux des juges dissidents. De même, les décisions de la Cour constitutionnelle comprennent toujours les exposés des opinions dissidentes. Par conséquent, la première critique de la décision est fournie naturellement par les opinions des juges minoritaires. Nous aussi nous allons ici commencer à la critique des décisions de la Cour par l'exposé des opinions dissidentes.
Dans la décision de la Cour constitutionnelle turque n°1970-31 du 16 juin 1970, Restitution des droits politiques, parmi les quinze juges composant la Cour, un seul juge, Fazil Uluocak, a soutenu que la Cour constitutionnelle est incompétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Selon le juge dissident,
« la compétence de la Cour constitutionnelle consiste à contrôler la conformité à la Constitution des lois et des Règlements intérieurs des Assemblées législatives. La proposition de révision constitutionnelle et l'adoption de cette proposition sont soumises à la procédure et aux conditions déterminées dans la Constitution. Une révision constitutionnelle réalisée conformément à cette procédure fait partie intégrante du texte de la Constitution. Par conséquent, les recours en annulation concernant les révisions constitutionnelles restent en dehors de la compétence de la Cour constitutionnelle »[50].
Ainsi le juge Fazil Uluocak voit une différence de nature entre les « lois » et les « révisions constitutionnelles ». Et selon lui, la Cour constitutionnelle a reçu la compétence de contrôler la constitutionnalité des « lois », et non pas des « révisions constitutionnelles ». Par conséquent, les révisions constitutionnelles ne peuvent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle.
Les critiques adressées par la doctrine. – Maintenant voyons les critiques adressées par la doctrine à la réponse de la Cour constitutionnelle à la question de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle.
Rona Serozan approuve entièrement la réponse de la Cour constitutionnelle. D'après lui, l'argument selon lequel l'article 147 qui détermine la compétence de la Cour constitutionnelle, stipulant que « la Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution des lois et des Règlements intérieurs des assemblées », confère à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôler seulement la constitutionnalité des « lois » et non pas celle des « révisions constitutionnelles » n'est pas fondé, car les actes par lesquels la Grande Assemblée nationale révise la Constitution sont considérés comme lois. Alors, la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité non seulement des lois ordinaires, mais aussi des lois modifiant la Constitution. Quant à la question de savoir pourquoi l'article 147 ne mentionne pas les lois modifiant la Constitution, Rona Serozan affirme que
« le fait que les lois de révision constitutionnelle sont soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle comme toutes autres lois est tellement évident que le constituant n'a pas estimé nécessaire de poser une règle de compétence spéciale »[51].
Les autres auteurs discutent la question de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, en faisant toujours une distinction entre le contrôle de forme et contrôle de fond. Nous allons voir leurs critiques plus bas.
Appréciation générale de la question. – A notre avis, il faut chercher la réponse positive à la question de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle. D'abord, comme on l'a expliqué, l'article 147 de la Constitution de 1961 confère à la Cour constitutionnelle la compétence de « contrôler la conformité à la Constitution des lois et des règlements intérieurs des Assemblées ». Ainsi dans cet article « les lois constitutionnelles », ne sont pas mentionnées. Alors pour que les lois constitutionnelles soient soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle, il faut montrer que les lois constitutionnelles peuvent être considérées comme « lois » mentionnées dans l'article 147 de la Constitution de 1961.
En d'autres termes, la question de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles se transforme en celle de savoir si les lois constitutionnelles peuvent être considérées comme « lois » au sens de l'article 147 de la Constitution. C'est‑à‑dire qu'il faut d'abord répondre à la question de savoir si l'expression « lois » utilisée dans l'article 147, al.1, de la Constitution de 1961 englobe non seulement les « lois ordinaires », mais aussi les « lois constitutionnelles ».
Il faut donc interpréter le mot « lois » utilisé dans l'article 147 qui détermine la compétence de la Cour constitutionnelle. Sans doute chacun peut interpréter ce mot, comme il l'entend. En droit seulement l'une de ces interprétations peut être valable ; les autres ne sont que des opinions personnelles. Alors, il faut choisir l'interprétation authentique, c'est‑à‑dire celle qui ne peut être juridiquement contestée et qui est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques.
Alors déterminons l'interprétation authentique du mot « lois » utilisé dans l'article 147. Dans le système de la Constitution turque de 1961, l'interprétation donnée à la Constitution par la Cour constitutionnelle est authentique, car, les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, il n'existe pas de voie de recours contre ses décisions, et celle-ci lient tous les organes de l'Etat (art.152 de la Constitution de 1961). En d'autres termes, nul ne pourrait contester juridiquement l'interprétation de la Cour constitutionnelle, d'une part parce qu'il n'existe pas d'interprétation standard à laquelle on pourrait la confronter, d'autre part parce qu'elle n'est pas annulable et produit des effets juridiques quel que soit le contenu de cette interprétation.
Et la Cour constitutionnelle turque a interprété le mot « lois » utilisé dans l'article 147 qui détermine sa compétence, comme englobant non seulement les « lois ordinaires », mais aussi les « lois constitutionnelles ». Elle a dit clairement que les révisions constitutionnelles adoptées selon la procédure prévue par l'article 155 sont des lois. D'ailleurs le texte de la révision constitutionnelle du 6 novembre 1969 en question porte lui-même le nom de « loi »[52].
Alors il nous reste à conclure que selon l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle, le mot « lois » employé dans l'article 147 de la Constitution qui détermine la compétence de la Cour constitutionnelle comprend aussi les « lois constitutionnelles ». Par conséquent, la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité non seulement des lois ordinaires mais aussi celle des lois constitutionnelles. Alors les lois constitutionnelles peuvent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle.
* * *
Après avoir répondu par l'affirmative à la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, une deuxième question se pose : c'est la question de l'étendue du contrôle de la Cour constitutionnelle sur les lois constitutionnelles.
En d'autres termes, sur quoi peut donc porter ce contrôle ? La Cour constitutionnelle peut-elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu ? Alors, il y a en effet deux questions qui se posent : celle du contrôle de forme et celle du contrôle de fond. Nous allons voir d'abord la première question, ensuite la deuxième.
Le contrôle de forme consiste à vérifier si la loi constitutionnelle en question a été proposée et adoptée conformément aux règles de procédure prévues à cet effet dans la Constitution. Par exemple, selon l'article 155 de la Constitution turque de 1961, la révision constitutionnelle doit être proposée par un tiers et adoptée des deux tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale. Egalement selon l'article 155, les propositions de révision constitutionnelle ne peuvent faire l'objet de la procédure d'urgence. Alors le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme se limite à vérifier le respect de ces trois conditions.
La question posée. – La Cour constitutionnelle peut-elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme ? En d'autres termes, la Cour constitutionnelle peut‑elle vérifier si la loi constitutionnelle a été proposée, délibérée et adoptée conformément aux trois conditions de forme prévues par l'article 155 de la Constitution ?
La réponse de la Cour. – La Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Car, selon la Cour, un texte qui n'a pas a été proposé, délibéré et adopté conformément aux dispositions de l'article 155, ne peut avoir aucun effet sur les dispositions de la Constitution, c'est‑à‑dire qu'il ne peut pas être considéré comme une norme de qualité et de force constitutionnelle. Par conséquent, les lois de révision constitutionnelle, elles aussi, doivent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle à l'effet de savoir si elles ont été proposées et adoptées conformément à la procédure et aux conditions prévues dans l'article 155[53].
Ainsi, la Cour s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Le contrôle de la régularité formelle des lois constitutionnelles consistait, selon la Cour constitutionnelle, à vérifier si elles ont été proposées, délibéré et adoptées conformément aux règles de forme prévues dans l'article 155 de la Constitution ; c'est‑à‑dire la proposition par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale, l'interdiction d'en délibérer selon la procédure d'urgence et l'adoption à la majorité des deux tiers (art.155, al.1).
Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Dans la doctrine turque de droit constitutionnel, les auteurs s'accordent sur le point de reconnaître à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôle de la constitutionnalité quant à la forme des lois constitutionnelles[54].
Selon le professeur Ergun Özbudun,
« dans un pays où l'on admet le système du contrôle juridictionnel de la conformité à la constitution des lois, il est tout à fait normal que les révisions constitutionnelles soient soumises au contrôle de la constitutionnalité quant à la forme. Car, du point de vue de leur forme, les révisions constitutionnelles sont, en dernière analyse, des lois. Le fait que ces révisions sont effectuées contrairement aux règles de procédure et de forme déterminées dans la constitution signifie qu'il n'existe pas de volonté valablement exprimée du pouvoir constituant dérivé. Le pouvoir constituant originaire qui a fait la constitution, en déterminant la procédure de révision constitutionnelle, limite la compétence du pouvoir constituant dérivé quant à la forme. En d'autres termes, le pouvoir constituant dérivé ne peut exercer sa compétence de révision constitutionnelle qu'en respectant ces règles de procédure et de forme. Par conséquent, la cour qui est chargée de contrôler la constitutionnalité des lois peut se reconnaître la compétence de contrôler la conformité aux conditions de forme et de procédure déterminées dans la constitution des révisions constitutionnelles, même s'il n'y a pas de disposition expresse dans la constitution sur ce point »[55].
De même Cem Erogul considère comme une solution la plus naturelle
« le fait qu'une cour suprême, étant le gardien de la constitution, vérifie si un acte qui modifie cette constitution a été réalisé conformément à sa procédure. Par exemple, si une révision constitutionnelle a été adoptée à la majorité non pas des deux tiers qui est nécessaire selon l'article 155, mais à moins que cette proportion, il est évident que cette révision constitutionnelle doit être annulée »[56].
Egalement Erdal Onar est du même avis :
« Puisque les révisions constitutionnelles sont réalisées par un acte nommé ‘loi’, même si celle‑ci est soumise à un processus plus difficile, la Cour constitutionnelle peut vérifier naturellement si cette loi a été adoptée conformément aux procédures prévues dans la Constitution »[57].
Appréciation générale de la question. – A notre avis, après avoir admis que la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il ne reste pas de grande difficulté pour accepter que ce contrôle puisse porter sur la forme de la loi constitutionnelle. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle peut vérifier si la loi constitutionnelle a été adoptée conformément aux conditions de forme prévues à cet effet dans la Constitution.
La Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, et cette décision ne peut pas être contestée. Alors elle peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme.
Mais, en allant encore plus loin, la Cour constitutionnelle peut-elle contrôler le contenu même des lois constitutionnelles ?
Le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond consiste à confronter le contenu de ces lois aux limites de fond à la révision constitutionnelle.
La question posée. – La Cour constitutionnelle peut‑elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond ? En d'autres termes, la Cour, en allant encore plus loin peut‑elle examiner le contenu même des lois constitutionnelles ?
La réponse de la Cour. – La Cour a répondu à cette question encore par l'affirmative. Selon la Cour, elle est compétente pour contrôle la constitutionnalité des lois constitutionnelles non seulement quant à la forme, mais aussi sur le fond. La Cour constitutionnelle a dit, dans la décision n°1970‑30 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), qu'elle « a la tâche, en vertu de l'article 147, de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond »[58]. Dans la même décision encore, la Cour a affirmé que « les lois constitutionnelles doivent être soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu »[59].
En effet il faut voir ici sur quoi la Cour fonde sa compétence. Mais nous allons l'examiner plus bas dans une question à part.
Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Nous allons voir d'abord la critique adressée à cette réponse de la Cour constitutionnelle par ses membres minoritaires dans leur opinion dissidente. Ensuite nous allons donner les critiques développées par la doctrine.
La critique adressée par les membres minoritaires de la Cour constitutionnelle. – Dans la décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, (Report des élections du Sénat), deux juges, Fazil Uluocak et Halit Zarbun ont affirmé l'incompétence de la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. L'exposé de l'opinion des juges dissidents est la suivante :
« La proposition et l'adoption des révisions de la Constitution sont soumises aux règles et aux conditions différentes de celles des lois ordinaires. Nous pensons que le contrôle de la constitutionnalité quant au fond des dispositions adoptées par les assemblées conformément à ces règles et conditions, et ainsi faisant partie intégrante du texte de la Constitution, dépasse la compétence de la Cour constitutionnelle. Pour cette raison, nous sommes en désaccord avec la conclusion des membres majoritaires »[60].
Les critiques adressées par la doctrine. – Plus haut, nous avons noté que plusieurs constitutionnalistes turcs acceptent que la Cour constitutionnelle puisse contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Cependant les mêmes auteurs sont très réticents quant au contrôle de fond des lois constitutionnelles. L'argument principal contre le contrôle de fond consiste à dire qu'une fois que la révision constitutionnelle a été réalisée conformément à sa procédure, elle devient une partie intégrante de la constitution. Et puisque le critère de contrôle de la Cour constitutionnelle est la constitution, il est impossible d'annuler cette révision constitutionnelle. Pour pouvoir annuler une telle révision, il faut trouver un critère en dehors de la constitution. Par conséquent, il est impossible de déterminer ce critère, sans faire recours aux notions du droit naturel[61].
Par exemple, le professeur Ergun Özbudun, après avoir accepté que la Cour constitutionnelle puisse contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, affirme que
« le contrôle de la conformité à la constitution des révisions constitutionnelles quant au fond est une question tout à fait différente. La révision constitutionnelle réalisée conformément aux règles de forme et de procédure est une norme constitutionnelle valable. Par conséquent, cette norme est devenue une norme de valeur égale à d'autres normes existantes du système constitutionnel. D'après quel critère une telle norme sera considérée comme conforme ou contraire à la constitution ? Dans la hiérarchie des normes, une norme ne pourrait être invalidée que si elle est contraire aux normes supérieures à elle. Entre les normes se trouvant au même niveau, il peut exister, non pas une relation de hiérarchie, mais une relation d'antériorité - postériorité du point de vue du temps, et une relation de généralité - spécialité du point de vue de son objet. C'est pourquoi, il est logiquement impossible de vérifier si une norme édictée conformément à sa procédure est conforme ou non à une autre norme constitutionnelle de même valeur »[62].
Appréciation générale de la question. – A notre avis, après avoir admis que la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, il n'y a pas de raison pour ne pas accepter que ce contrôle porte sur le fond des lois constitutionnelles. En effet, à notre avis, du point de vue de la compétence de la Cour constitutionnelle, il n'y a pas de différence entre le contrôle de forme et celui de fond. La différence entre ces deux types de contrôle se trouve à l'égard des règles de référence pour ces contrôles. Le contrôle de forme consiste à vérifier si la loi constitutionnelle en question a été proposée et adoptée conformément aux règles de forme prévues à cet effet dans la Constitution. C'est‑à‑dire, les règles de référence dans le contrôle de forme des lois constitutionnelles sont les dispositions de la constitution qui règlent la procédure de révision constitutionnelle, autrement dit, les limites de forme.
Par contre les règles de référence dans le contrôle de fond des lois constitutionnelles sont des dispositions de la Constitution qui déterminent le contenu des lois constitutionnelles. Nous les avons étudiées, dans la première partie, en tant que limites matérielles à la révision constitutionnelle. Alors le contrôle de fond des lois constitutionnelles consiste à vérifier si le contenu d'une loi constitutionnelle est conforme aux dispositions de la constitution qui lui imposent des limites matérielles. Autrement dit, il faut confronter le contenu de la loi de révision constitutionnelle aux dispositions intangibles de la Constitution. Par conséquent si, dans une constitution donnée, il y a des limites matérielles à la révision constitutionnelle, et si la cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, le contrôle de la cour peut porter sur le fond de ces lois.
En conséquence, il n'y a pas de raison pour de ne pas accepter le contrôle de fond, après avoir accepté celui de forme. Dans le contrôle de forme, on vérifie si la loi constitutionnelle est conforme aux limites formelles à la révision constitutionnelle ; et dans le contrôle de fond, on confronte le contenu de ces lois aux limites matérielles à la révision constitutionnelle.
* * *
En effet, la vraie question qui se pose ici est celle de déterminer les règles de références dans le contrôle de fond des lois constitutionnelles. En d'autres termes, en quoi consistent donc les limites matérielles par rapport auxquelles la Cour constitutionnelle peut vérifier la constitutionnalité des lois constitutionnelles.
Théoriquement, on peut envisager différentes règles de référence dans le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. En effet, chaque principe ou règle auquel fait référence la Cour constitutionnelle, lorsqu'elle contrôle le contenu d'une loi constitutionnelle est une règle de référence dans le contrôle de fond. Et ces règles de référence, c'est‑à‑dire les limites matérielles à la révision constitutionnelle peuvent être divisées en deux groupes. D'abord ces limites matérielles peuvent être celles inscrites dans le texte constitutionnel, comme l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution turque de 1961. Mais il peut arriver qu'une cour constitutionnelle se réfère à des limites matérielles autres que celles inscrites dans le texte de la Constitution. En effet, comme nous l'avons vu dans la première partie, dans la doctrine, on a envisagé des limites à la révision constitutionnelle qui ne figurent pas dans les textes constitutionnels, comme des limites supraconstitutionnelles[63] ou comme des limites découlant de l'esprit de la constitution[64].
Exactement, comme nous l'avons vu plus haut, la Cour constitutionnelle turque a fait référence non seulement à la limite matérielle inscrite dans le texte de la Constitution de 1961 (art.9), mais aussi à d'autres limites matérielles qui ne figurent pas dans le texte constitutionnel. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle contrôle la conformité des lois constitutionnelles, d'une part à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, et d'autre part, à l'esprit de la Constitution ainsi qu'à certains principes supraconstitutionnels.
Il y a alors deux questions qui se posent :
- La Cour constitutionnelle peut-elle examiner le contenu des lois constitutionnelles à l'égard des limites matérielles à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution ? En d'autres termes, dans le contexte de la Constitution turque de 1961, la Cour constitutionnelle peut‑elle contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ?
- La Cour constitutionnelle peut-elle examiner le contenu des lois constitutionnelles à l'égard de limites matérielles à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans le texte de la Constitution ? En d'autres termes, dans le contexte de la Constitution turque de 1961, la Cour constitutionnelle peut‑elle contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'esprit de la Constitution ou à d'autres principes ne trouvant pas leur source dans la Constitution[65] ?
Commençons par la deuxième question.
La question posée. – La Cour constitutionnelle peut-elle contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux limites matérielles à la révision constitutionnelle autres que celles inscrites dans le texte de la Constitution ? En d'autres termes, les principes ne trouvant pas leur source dans la Constitution peuvent‑ils être pris comme des règles de référence dans le contrôle de fond des lois constitutionnelles ? Autrement dit la Cour constitutionnelle peut‑elle confronter le contenu des lois constitutionnelles aux règles ou principes qui ne figurent pas dans le texte de la Constitution de 1961 ?
Comme nous l'avons noté dans l'exposé de la décision de la Cour constitutionnelle n°1970‑31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politique), le Parti travailliste de Turquie, auteur de la saisine, en s'appuyant sur une conception jusnaturaliste, a prétendu que la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité aux principes supraconstitutionnels de la loi constitutionnelle en question. Selon le requérant
« il y a des principes fondamentaux supérieurs à la constitution et d'une façon générale, au droit positif. Ces principes se trouvent à l'origine des constitutions et traduisent une certaine conception du monde qui constitue l'idéologie dominante dans une société déterminée... Les constitutions tirent leur valeur et validité juridique de ces principes fondamentaux... Et à certains égards, les constitutions sont des documents qui réalisent ces principes... et qui les transforment en droit positif »[66].
La réponse de la Cour. – La Cour constitutionnelle turque n'a pas répondu à ce moyen du requérant dans la décision n°1970‑31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques). Cependant, dans la décision n°1971‑37 du 13 avril 1971 (Report des élections du Sénat), elle a affirmé qu'elle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles non seulement à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, mais aussi à d'autres principes ou règles. Dans cette décision la Cour constitutionnelle a affirmé que les révisions constitutionnelles doivent être conformes aux « nécessités de la civilisation contemporaine »[67]. D'ailleurs la Cour a déclaré que les révisions constitutionnelles ne doivent pas porter atteinte à la « cohérence et à la systématique de la Constitution »[68]. Par conséquent, selon la haute juridiction, de telles révisions constitutionnelles doivent être annulées par elle.
En effet, la Cour constitutionnelle avait déjà développé sa thèse de supraconstitutionnalité dans une décision rendue en 1965[69]. Dans cette décision la Cour a affirmé que, par voie de révision constitutionnelle, on ne peut pas « supprimer la Constitution et détruire l'Etat de droit ». De même les révisions constitutionnelles doivent être conformes à l'« esprit de la Constitution », et avoir pour objet d'« élever la société turque au niveau le plus avancé de la civilisation ». Par contre, selon la Cour constitutionnelle, « les révisions constitutionnelles laissant en arrière la société turque, détruisant les libertés et droits fondamentaux, anéantissant l'Etat de droit, en un mot supprimant l'essence de la Constitution de 1961 » ne peuvent être réalisées en l'application de l'article 155 de la Constitution de 1961[70].
Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Hüseyin Nail Kubali[71], Coskun San[72], Rona Serozan[73] et Ekrem Serim[74] approuvent la réponse de la Cour constitutionnelle. En effet selon ces auteurs, il y a des limites non seulement formelles, mais aussi matérielles qui s'imposent à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle.
Par exemple, selon Coskun San, le pouvoir de révision constitutionnelle est lié non seulement par les limites inscrites dans le texte constitutionnel[75], mais aussi et surtout par l'« essence des droits fondamentaux »[76], par le « principe de la séparation des pouvoir »[77] et également par « certaines limites se trouvant en dehors et au-dessus de la constitution »[78]. Coskun San pense encore que pour l'efficacité du contrôle de la constitutionnalité, la Cour constitutionnelle doit pouvoir contrôler la constitutionnalité non seulement des lois ordinaires, mais aussi des lois constitutionnelles[79]. En se référant à la théorie des « normes constitutionnelles inconstitutionnelles » d'Otto Bachoff[80], Coskun San affirme que la Cour constitutionnelle doit annuler les lois constitutionnelles « illégitimes »[81], les lois constitutionnelles contraires aux « règles supérieures du droit »[82]. Ainsi les auteurs, qui acceptent la limitation matérielle du pouvoir de révision constitutionnelle, montrent ces décisions de la Cour constitutionnelle comme une preuve démontrant le bien-fondé de leur thèse[83].
Egalement, un autre auteur, Mehmet Akad, approuve le critère des « nécessités de la civilisation contemporaine ». Selon l'auteur, dans cette notion se cachent des éléments « qui peuvent répondre aux demandes socio-économiques de la société »[84]. M. Akad affirme que la notion de « nécessités de la civilisation contemporaine » est une notion dynamique et ouverte aux changements[85]. Ainsi d'après lui,
« la Cour constitutionnelle, en acceptant une forme de l'Etat reposée sur les conditions de la civilisation contemporaine, détermine un système tourné vers l'avenir et interdit le retour en arrière de cette base. Par conséquent, les propositions de révision constitutionnelle doivent être toujours dans la direction[86] d'avancer le « modèle de l'Etat social »[87].
Par contre la majorité de la doctrine turque du droit constitutionnel a sévèrement critiqué la thèse de la supraconstitutionnalité affirmée par la Cour constitutionnelle dans ses décisions. Plusieurs auteurs ont souligné que les notions comme l'« esprit de la Constitution », l'« essence de la Constitution de 1961 » ou la « cohérence et la systématique de la Constitution » sont extrêmement abstraites ; et que les critères tels que « les nécessités de la civilisation contemporaine » ou « le but d'élever la société turque au niveau le plus avancé de la civilisation » sont difficiles à cerner. Par conséquent on peut légitimement se demander comment la Cour constitutionnelle peut déterminer si une révision constitutionnelle est contraire ou non aux « nécessités de la civilisation contemporaine » ou au « but d'élever la société turque au niveau le plus avancé de la civilisation » ? La même question se pose aussi à l'égard de la définition des « révisions constitutionnelles laissant en arrière la société turque, détruisant les libertés et droits fondamentaux, anéantissant l'Etat de droit, en un mot supprimant l'essence de la Constitution de 1961 »[88].
Comme le remarque à juste titre Burhan Kuzu, avec cette thèse de la Cour constitutionnelle, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond « risque de se transformer à tout moment en un ‘contrôle d'opportunité’ »[89].
Egalement Erdogan Teziç montre que cette thèse de la Cour constitutionnelle
« ne repose sur aucune base positive. Le pouvoir constituant a posé clairement le principe de révisibilité de la Constitution, et en dehors de ceci, a précisé, comme une exception, l'article qui est intangible. L'élargissement de cette exception est complètement impossible du point de vue du droit positif. En respectant la procédure prévue dans l'article 155, on peut réviser toutes les dispositions de la Constitution »[90].
De plus selon le professeur Teziç, si la Cour constitutionnelle pouvait annuler une révision constitutionnelle, en jugeant qu'elle est contraire à l'esprit de la Constitution, la Cour deviendrait une puissance supérieure même au pouvoir constituant[91].
Quant à Cem Erogul, il admet la notion d'« esprit de la Constitution ». Par exemple, selon lui, si la Grande Assemblée nationale de Turquie adoptait une révision constitutionnelle stipulant que « la religion de l'Etat est l'Islam », cette révision constitutionnelle serait contraire à l'esprit de la Constitution de 1961. Cem Erogul pense que, dans cette hypothèse,
« il ne s'agit plus d'un événement du pouvoir constituant dérivé. Car, un acte qui détruit le cadre fondamental qui lui donne sa validité ne peut être un acte juridique. En effet, il n'y a ici pas d'autre chose que le pouvoir constituant originaire. Par conséquent, juridiquement, aucun organe – ni l'Assemblée, ni un autre – n'est compétent pour le faire. Cependant, à notre avis, le fait que l'Assemblée nationale ait usurpé ce pouvoir ne rend pas compétente la Cour constitutionnelle. Si la Cour constitutionnelle hasarde d'annuler une telle tentative de l'Assemblée, elle aussi, elle exerce une compétence sans fondement juridique. Même s'il est politiquement souhaitable qu'elle le fasse, il nous parait impossible de le défendre du point de vue juridique »[92].
Appréciation générale de la question. – Pour nous, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond consiste à vérifier si le contenu de la loi constitutionnelle est conforme aux limites matérielles à la révision constitutionnelle. En d'autres termes, le contrôle de fond veut dire le contrôle de la conformité aux limites matérielles. Par conséquent s'il n'y a pas de limites matérielles s'imposant à l'exercice du pouvoir de révision constitutionnelle, on ne peut pas parler de contrôle de fond des lois constitutionnelles. Autrement dit, pour qu'une cour constitutionnelle puisse contrôler la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle quant au fond, il faut qu'il existe préalablement des limites matérielles valables à la révision constitutionnelle.
Alors pour résoudre notre problématique, il faut d'abord répondre à la question de savoir s'il existe des limites matérielles valables à la révision constitutionnelle. Nous avons répondu à cette question dans la première partie. Nous avons conclu que seules les limites qui sont inscrites dans les textes constitutionnels sont valables[93]. Les autres limites envisagées par la doctrine, comme les limites supraconstitutionnelles ou celles découlant de l'esprit de la Constitution ne sont pas valables[94]. D'ailleurs, nous avons montré que, dans la Constitution turque de 1961, il n'y a qu'une limite matérielle à la révision constitutionnelle : l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de cette Constitution[95].
Alors à la lumière de cette conclusion, nous pouvons affirmer que, sous la Constitution turque de 1961, la Cour constitutionnelle turque ne peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles qu'à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En d'autres termes, la Cour ne peut pas examiner la constitutionnalité des lois constitutionnelles à l'égard des limites matérielles autres que celle-ci. C'est‑à‑dire que la Cour constitutionnelle turque ne peut pas vérifier la conformité des lois constitutionnelles à l'esprit de la Constitution ou à certains principes trouvant leur source en dehors de la Constitution.
Alors les principes ou les notions auxquels fait référence la Cour constitutionnelle turque, tels que « l'esprit de la Constitution », « les nécessités de la civilisation contemporaine »[96] ou « la cohérence et la systématique de la Constitution »[97], « le but d'élever la société turque au niveau le plus avancé de la civilisation » ou les interdictions comme « celle de laisser en arrière la société turque », comme « celle de détruire les libertés et droits fondamentaux » ou comme « celle d'anéantir l'Etat de droit »[98] ne figurent pas dans la Constitution de 1961 comme des limites à la révision constitutionnelle. Par conséquent, ils ne sont pas valables. Alors la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces notions ou à ces interdictions.
Sans doute, les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs et lient tous les individus et les organes. Ses interprétions ont le caractère authentique. Il faut cependant observer qu'il n'y a pas ici de disposition qu'elle interprète. Elle pose elle‑même une règle. Dans la Constitution de 1961, il n'y a aucune disposition prévoyant que les révisions constitutionnelles doivent se conformer aux « nécessités de la civilisation contemporaine ». Il n'y a non plus aucune disposition interdisant au pouvoir de révision constitutionnelle de « détruire les libertés et droits fondamentaux ». Ces interdictions sont inventées de toutes pièces par la Cour constitutionnelle elle-même. Elles sont privées de tout fondement positif. Nous avons longuement critiqué les thèses acceptant l'existence des limites à la révision constitutionnelle non inscrites dans les textes constitutionnels[99]. C'est pourquoi, nous nous contentons ici de cette brève critique.
Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont pas non plus à l'abri des réactions des autres organes du système constitutionnel. En effet, la Cour constitutionnelle est libre de choisir son comportement. Mais elle doit prendre en compte les réactions qu'elle peut déclencher de la part de ses partenaires. En effet, comme nous allons voir plus bas, juste après quelques mois de la décision de la Cour constitutionnelle n°1971‑37 du 13 avril 1971, le pouvoir constituant, en révisant l'article 147 de la Constitution de 1961, a interdit à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.
Maintenant nous pouvons passer à l'examen de l'autre question.
La question posée. – La Cour constitutionnelle peut-elle examiner la conformité des lois constitutionnelles aux limites matérielles à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution ? En d'autres termes, dans le contexte de la Constitution turque de 1961, la Cour constitutionnelle peut‑elle contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ?
La réponse de la Cour. – La Cour a répondu à cette question par l'affirmative. Selon la Cour, elle est compétente pour contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. La motivation de la Cour constitutionnelle est simple. Elle constate que la Constitution de 1961, dans son article 9, pose un principe d'intangibilité. Selon cet article « la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ne peut être modifiée, ni sa modification proposée ». Alors selon la Cour, une loi prévoyant la révision de la forme républicaine de l'Etat ne peut pas être proposée ni adoptée. Et si une telle proposition a été adoptée, elle ne peut avoir aucun effet sur les dispositions existantes de la Constitution. C'est pourquoi, la Cour constitutionnelle a conclu qu'elle doit contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[100].
La critique de la réponse de la Cour constitutionnelle. – Dans la doctrine, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur ce point n'est pas critiquée. Les auteurs ont critiqué en général la définition au sens large de la « république » que nous allons voir plus bas, et non pas la réponse de la Cour constitutionnelle selon laquelle les révisions constitutionnelles doivent être conformes à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.
Egalement, certains auteurs affirment clairement que la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Par exemple selon Cem Erogul,
« une révision constitutionnelle prévoyant la transmission héréditaire du gouvernement de l'Etat est ouvertement contraire à l'article 9 de la Constitution posant le principe de l'intangibilité de la forme républicaine de l'Etat. En ce cas, la Cour constitutionnelle a la compétence d'annulation. Car, ici, le contenu lui-même est de la nature d'une condition de forme »[101].
Selon Erdal Onar aussi, puisque l'article 9 stipule que « la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ne peut être modifiée », la Cour constitutionnelle peut contrôler la constitutionnalité matérielle des lois constitutionnelles à l'égard de cet article[102].
Appréciation générale de la question. – Nous aussi nous pensons que la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En effet, comme nous l'avons montré dans la première partie, il n'y a pas de différence de nature entre les limites de forme et celles de fond inscrites dans le texte de la Constitution. Toutes les deux sont prévues par la même Constitution, par conséquent elles ont la même valeur constitutionnelle. Ainsi si une cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux limites de forme inscrites dans la Constitution, elle peut contrôler aussi la conformité des lois constitutionnelles aux limites de fond inscrites dans le texte de la Constitution. En effet, les limites de forme et celles de fond ne sont que des dispositions de la constitution qui règlent la création des lois constitutionnelles. Par conséquent le contrôle de forme des lois constitutionnelles consiste à vérifier si ces lois ont été proposées, délibéré et adoptées conformément aux dispositions de la Constitution qui règlent la procédure de révision constitutionnelle. Egalement le contrôle de fond des lois constitutionnelles consiste à confronter le contenu de ces lois aux dispositions de la Constitution qui déterminent leur contenu, c'est‑à‑dire les dispositions intangibles. Le premier groupe de ces dispositions (celles qui déterminent la procédure de la création des lois constitutionnelles) se trouve à peu près dans toutes les constitutions. Par contre le deuxième groupe de dispositions (celles qui déterminent le contenu des lois constitutionnelles) ne se trouve pas dans toutes les constitutions, et si elles existent, elles restent exceptionnelles. Elles sont peu nombreuses, telle l'interdiction de réviser la forme républicaine du Gouvernement ou celle de réviser la structure fédérale de l'Etat. C'est pourquoi, le contrôle de forme des lois constitutionnelles est de nature générale. Théoriquement chaque loi constitutionnelle peut être soumise au contrôle de forme de la cour constitutionnelle. Car, dans son adoption il y a des règles qu'elle doit respecter. Mais, le contrôle de fond des lois constitutionnelles reste exceptionnel. D'abord il n'est possible que si la constitution contient des dispositions qui déterminent le contenu des lois constitutionnelles (comme l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat). Deuxièmement l'étendue de ce contrôle est restreinte, car les règles de référence, c'est‑à‑dire les dispositions de la constitution qui déterminent le contenu des lois constitutionnelles sont peu nombreuses.
Mais, s'il existe au moins une disposition de la constitution qui détermine le contenu des lois constitutionnelles, il n'y a aucune raison pour ne pas admettre le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Mais rappelons encore que l'étendue de ce contrôle serait très restreinte.
Ainsi, dans la Constitution turque de 1961, il y a une disposition qui détermine le contenu des lois constitutionnelles : celle de l'article 9. Alors la Cour constitutionnelle turque peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.
Cependant ici se pose encore une autre question : celle de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, autrement dit, la question de la définition de la « forme républicaine de l'Etat ».
La question posée. – La question qui se pose ici est celle de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, c'est‑à‑dire, celle de la définition de la « forme républicaine de l'Etat ». En quoi consiste donc l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ? Comment peut‑on déterminer l'étendue de cette interdiction ? Que protège l'article 9 ? Qu'est ce qui est intangible selon cet article ? En d'autres termes, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution protège‑t‑elle la République en tant que la forme de l'Etat (art.1) mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2 ?
Avant de voir la réponse de la Cour constitutionnelle, rappelons le texte de l'article 9 de la Constitution de 1961 :
« La disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ne peut être modifiée, ni sa modification proposée ».
Quant à l'article 1er, intitulé « forme de l'Etat », il dit que
« l'Etat turc est une République ».
Egalement l'article 2, intitulé « caractéristiques de la République », stipule que
« la République de Turquie est un Etat de droit, démocratique, laïque, social et national, basé sur les droits de l'homme et les principes fondamentaux exprimés dans le préambule ».
Alors selon l'article 9, ce qui est intangible est « la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ». Mais que signifie donc cette expression ? En d'autres termes, l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisée dans l'article 9 de la Constitution de 1961 englobe‑t‑elle non seulement la disposition de l'article 1er, mais aussi les dispositions de l'article 2 de la Constitution ?
La réponse de la Cour. – La Cour constitutionnelle à répondu encore à cette question par l'affirmative. Selon la haute juridiction, l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisée dans l'article 9 de la Constitution qui détermine le contenu de l'interdiction de réviser la Constitution comprend non seulement la disposition de l'article 1er, mais aussi celles de l'article 2 de la Constitution de 1961.
La Cour constitutionnelle, en prenant le mot « république » dans son sens large, affirme que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ne vise pas seulement le mot « république », mais aussi le « régime républicain » dont les caractéristiques sont définies par les principes fondamentaux se trouvant dans les articles 1 et 2 et dans le préambule auquel fait référence l'article 2. En d'autres termes, ce qui est intangible n'est pas seulement le mot « république », mais aussi « régime républicain » dont les caractéristiques sont définies dans les articles précités. C'est‑à‑dire, selon la Cour constitutionnelle, non seulement la forme républicaine de l'Etat (art.1), mais aussi les principes de l'Etat de droit, de l'Etat démocratique, de l'Etat laïque, de l'Etat social, de l'Etat national, de l'Etat basé sur les droits de l'homme bénéficient de la protection de l'article 9 de la Constitution de 1961[103].
Alors, la proposition et l'adoption d'une révision constitutionnelle qui établirait, tout en gardant le mot « république », un régime incompatible avec ces principes seraient contraires à la Constitution. Ainsi selon la Cour constitutionnelle, une loi prévoyant la révision de l'un de ces principes ne peut pas être proposée ni adoptée. Et si elle a été adoptée, elle ne peut avoir aucun effet sur les dispositions existantes de la Constitution. Par conséquent, elle doit être annulée par la Cour constitutionnelle[104].
En conclusion selon la Cour constitutionnelle, l'article 9 de la Constitution de 1961 interdit l'établissement non seulement d'un régime dont le chef de l'Etat serait héréditaire, mais aussi d'un régime qui serait contraire à l'un des principes suivants : l'Etat de droit, l'Etat démocratique, l'Etat laïque, l'Etat social, l'Etat national, l'Etat basé sur les droits de l'homme.
Selon l'article 9 l'article 1 était intangible. Ainsi la Cour constitutionnelle a‑t‑elle aussi inclus à cette intangibilité l'article 2 aussi.
Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Nous allons voir d'abord la critique adressée à cette interprétation de la Cour constitutionnelle par ses membres minoritaires dans leurs opinions dissidentes. Ensuite nous allons donner les critiques développées par la doctrine.
(A) La critique adressée par les membres minoritaires de la Cour constitutionnelle. – Deux juges, Celalettin Kuralman et Halit Zarbun, dans leur opinion dissidente annexée à la décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques)[105] firent savoir qu'ils n'approuvaient pas l'interprétation large par la Cour constitutionnelle de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution
Selon les juges minoritaires, la notion de « république » doit être interprétée dans un sens strict. Dans son opinion dissidente, en partant des intitulés des articles, Celalettin Kuralman montre que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ne vise pas les caractéristiques de la République, mais seulement la république comme la forme de l'Etat. Car, l'intitulé de l'article 9 est « intangibilité de la forme de l'Etat » et l'article 1er, intitulé « forme de l'Etat » spécifie que « l'Etat turc est une République ». Par contre, l'article 2 auquel la Cour se réfère s'intitule « caractéristiques de la République ». Ainsi selon le juge dissident,
« le principe d'intangibilité concerne seulement la disposition de l'article 1er spécifiant que ‘l'Etat turc est une République’. En effet, la forme d'un Etat est une chose et les caractéristiques de cette forme sont une autre chose. C'est pourquoi, le principe d'intangibilité ne comprend pas les caractéristiques de la République.
. . .
Il résulte du texte de la Constitution que le principe d'intangibilité prévu dans l'article 9 de la Constitution ne concerne que l'article 1er déterminant la forme républicaine de l'Etat et que ce principe ne peut être invoqué à l'égard d'autres articles de la Constitution. La loi constitutionnelle n°1188 révisant l'article 68 de la Constitution concerne les élections du Sénat. Elle n'a rien à voir avec la forme de l'Etat. Par conséquent elle n'entre pas dans l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Par conséquent, il faut examiner seulement si la loi constitutionnelle en question a été adoptée conformément à la procédure déterminée à cet effet dans la Constitution, et non pas le contenu de cette loi »[106].
(B) Les critiques adressées par la doctrine. – L'interprétation large par la Cour constitutionnelle de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution a provoqué un vif débat dans la doctrine turque. Certains auteurs approuvent cette interprétation, alors que d'autres la désapprouvent.
(1) Les auteurs qui approuvent cette interprétation. – Un groupe d'auteurs[107], qui sont d'ailleurs minoritaires, approuve la décision de la Cour constitutionnelle.
Par exemple, selon Rona Serozan, le fait que le pouvoir de révision constitutionnelle puisse modifier, tout en gardant le mot « république », les caractéristiques de la République définies dans l'article 2 implique l'évacuation de l'essence matérielle de la République. En d'autres termes, si l'on pouvait porter atteinte aux principes de l'Etat de droit, de l'Etat démocratique, de l'Etat laïque, de l'Etat social par les révisions constitutionnelles, la « République » pourrait devenir une forme vide[108].
D'autre part Muammer Aksoy lui aussi approuve l'interprétation large du mot « république ». Selon le professeur Aksoy, le but de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ne peut être seulement la protection d'une forme. Car, une règle à laquelle la Constitution accorde une telle importance ne peut viser seulement la désignation du chef de l'Etat par élection. La république a aussi un contenu. C'est pourquoi, la Constitution accorde une telle importance à sa protection. Alors le but de l'article 9 n'est pas la protection d'une quelconque république, mais la protection de la « République de Turquie dont les caractéristiques sont énumérées dans l'article 2 de la Constitution ». Par conséquent, les principes d'Etat de droit, d'Etat démocratique, d'Etat social, d'Etat laïque font partie de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[109].
Yildizhan Yayla aussi approuve l'interprétation large du mot « république » par la Cour constitutionnelle. Il discute du bien‑fondé de cette interprétation d'une façon très détaillée[110]. Nous n'allons pas entrer dans les détails. Seulement précisons que l'auteur souligne d'abord que le mot « république » a différents sens[111]. Ensuite Yildizhan Yayla recherche, parmi ces différents sens, lequel est le plus proche à celui du mot « république » employé dans la Constitution turque de 1961. A la suite d'un long examen, M. Yayla estime qu'en Turquie, la « république » ne peut pas être définie comme le contraire de la monarchie héréditaire, au contraire elle englobe les principes essentiels de l'ordre démocratique[112]. La « république » dans le contexte de Turquie, dit-il, ne peut être pensée séparément du principe démocratique, et ce principe à son tour ne peut pas non plus être envisagée séparément de celui de l'Etat de droit. En d'autres termes, la république, qui était au début une forme de gouvernement qui s'oppose à la monarchie héréditaire, est devenue, avec la Constitution de 1924, un Etat démocratique, et enfin avec la Constitution de 1961, un Etat de droit[113]. Ainsi selon l'auteur, les deux caractéristiques (Etat démocratique et Etat de droit) exprimées dans l'article 2 de la Constitution font partie de la définition de l'expression « République ».
Egalement selon l'auteur, deux autres caractéristiques (Etat laïque et Etat national) exprimées dans l'article 2, elles aussi, entrent dans la définition de la république. Car, le laïcisme et le nationalisme sont, non pas des caractéristiques d'une quelconque république, mais celles de la République de Turquie. Par conséquent, ces deux caractéristiques font partie intégrante de la République turque[114]. Yildizhan Yayla se fonde sur les arguments de caractère historique. Il explique le l'importance du principe de nationalisme par le passage de l'Empire ottoman, qui était un Etat multinational, à la République turque, qui est un Etat-nation[115]. L'auteur affirme encore que le laïcisme aussi fait partie de la définition de la République turque[116]. Pour le principe de l'Etat social aussi Yildizhan Yayla affirme la même chose[117]. Cependant selon lui, seules les principes de l'Etat démocratique et de l'Etat de droit constituent l'essence de la République turque ; le nationalisme, le laïcisme et l'Etat social sont des éléments auxiliaires à ces deux caractéristiques principales[118].
Parmi les auteurs qui approuvent ou désapprouvent cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle, il y a un auteur qui est difficilement classable : c'est Mehmet Akad. Il observe en effet que
« la Cour constitutionnelle n'exerce pas la fonction d'un organe qui fait seulement un contrôle ‘juridictionnel’. Pour défendre le modèle politique qu'elle a fabriqué à partir de la Constitution, la Cour expose une conception de juridiction qui fait un contrôle politique. Cette tendance apparaît dans les décisions précitées. Par conséquent, dans ce contexte, la Cour constitutionnelle peut être considérée comme une unité qui produit des décisions politiques »[119].
Ainsi, comme on le voit, Mehmed Akad constate que la Cour a fait dans ces décisions un contrôle « politique » et non pas juridique, mais curieusement M. Akad affirme qu'« il n'est pas possible de critiquer la Cour constitutionnelle à cause de ce comportement »[120].
(2) Les auteurs qui désapprouvent cette interprétation. – Par contre la majorité des auteurs critique[121] très sévèrement l'interprétation large de l'expression « république » par la Cour constitutionnelle.
(a) Ces auteurs remarquent d'abord que la « république », étant un terme juridique, désigne une forme de l'Etat dans laquelle la transmission héréditaire du pouvoir est interdite. En d'autres termes, la « république » est le contraire de la monarchie héréditaire[122]. Selon Cem Erogul, si l'on ajoutait à cette définition d'autres caractéristiques, la notion de « république » serait forcée inutilement. En effet, lorsqu'on examine les diverses républiques du monde, on voit qu'elles sont très différentes les unes des autres[123]. La seule caractéristique commune entre elles consiste en l'interdiction de la transmission héréditaire du pouvoir[124]. Par conséquent, comme le remarque Mümtaz Soysal, « une révision constitutionnelle ne peut être contraire au principe de l'intangibilité de la forme républicaine de l'Etat que si elle adopte la règle de la transmission héréditaire des compétences étatiques »[125].
(b) Selon un autre argument, exprimé par Ergun Özbudun,
« la Constitution de 1961 a réservé le principe d'intangibilité à seule la ‘disposition spécifiant que la forme de l'Etat est une République’. Si le constituant avait voulu inclure les caractéristiques de la République dans l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution, il aurait pu le faire expressément. Puisqu'il ne l'a pas fait, la Cour constitutionnelle ne peut pas élargir par voie d'interprétation l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution »[126].
En effet, comme l'a montré clairement Celalettin Kuralman dans son opinion dissidente[127], l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution prévue dans l'article 9 a été longuement discutée au cours des débats dans l'Assemblée des représentants[128]. Par exemple, un de ses membres, Necip Bilge, trouvant insuffisante l'interdiction de réviser la disposition spécifiant que forme de l'Etat est une République, a proposé d'inclure les principes de laïcisme et d'Etat démocratique dans l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution. Car, selon lui,
« aujourd'hui, toutes les dictatures du monde, de celle qui est le plus à droite à celle qui est le plus à gauche, se disent républiques. Par conséquent, à mon avis, pour nous protéger des dictatures de gauche ou de droite, il est insuffisant d'interdire seulement de réviser la forme républicaine de l'Etat. C'est pourquoi, je pense qu'il serait utile d'inclure dans l'interdiction de réviser la Constitution non seulement la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les principes de laïcisme et d'Etat démocratique, qui sont les caractéristiques de cette République[129].
Par contre, Muammer Aksoy, porte-parole de la Commission de la Constitution, a répondu que si l'on inclut les principes de laïcisme et d'Etat démocratique dans l'interdiction de réviser la Constitution, il faudrait aussi y inclure d'autres principes. Ainsi la chaîne des d'interdictions sera allongée d'une façon illimitée et par conséquent le domaine de la souveraineté de la nation sera diminué[130].
Ensuite la proposition prévoyant l'inclusion des caractéristiques de la République dans l'interdiction de réviser la Constitution a été présentée au vote de l'Assemblée des représentants, et celle-ci l'a rejetée.
Alors, comme on le voit, la question de l'élargissement de l'étendue de l'interdiction de réviser la Constitution a été discutée et refusée clairement par l'Assemblée constituante.
(c) Le troisième argument invoqué contre l'interprétation large de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est fondé sur un principe d'interprétation selon lequel il faut interpréter restrictivement les normes d'exception. En appliquant ce principe à la question de l'interprétation de l'article 9, les auteurs affirment que l'article 9 doit être soumis à une interprétation restrictive, car, d'une part, en matière de révision constitutionnelle, la règle est la révisabilité des toutes les dispositions de la Constitution et d'autre part l'article 9 constitue une exception à cette règle générale. Par conséquent, l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, étant une exception, ne peut être élargi par voie d'interprétation[131].
(d) D'ailleurs à peu près tous les auteurs soulignent que cette interprétation large donne à la Cour constitutionnelle un pouvoir d'appréciation illimité sur l'issue des révisions constitutionnelles. Comme le remarque à juste titre le professeur Ergun Özbudun, les caractéristiques de la République, telles que le laïcisme, le nationalisme, la démocratie, l'Etat de droit, l'Etat social et le respect des droits de l'homme, sont des notions larges à un tel point qu'il est impossible d'imaginer une révision constitutionnelle qui ne concerne pas l'une de ces caractéristiques[132]. Il est intéressant de voir qu'un auteur, Yildizhan Yayla, qui approuve[133] entièrement l'interprétation large par la Cour constitutionnelle de l'interdiction de réviser la Constitution, avoue lui-même que l'on ne peut pas trouver une révision constitutionnelle qui n'entre pas dans le contenu de l'article 2 de la Constitution[134]. Par conséquent, devant cette interprétation de la Cour, l'organe de révision constitutionnelle ne peut jamais savoir s'il est compétent ou non pour réaliser telle ou telle réforme constitutionnelle[135].
(e) D'autre part, les auteurs qui critiquent la jurisprudence de la Cour constitutionnelle signalent qu'à la suite de l'interprétation large de l'interdiction de réviser la Constitution, le « contrôle de juridicité » de la Cour constitutionnelle risque de se transformer en pratique en un « contrôle d'opportunité »[136]. En effet, comme le remarque le professeur Özbudun, à côté des contenus larges des caractéristiques de la République énumérées dans l'article 2 de la Constitution, ces caractéristiques sont ouvertes à toute appréciation subjective[137].
(f) Egalement, certains auteurs[138] ont signalé le danger du gouvernement des juges qui se cache dans ce raisonnement de la Cour constitutionnelle. Par exemple, selon Mümtaz Soysal, la motivation que la Cour constitutionnelle a utilisée dans l'interprétation large du mot « république »
« est en effet une motivation très dangereuse. En fin de compte, cette motivation peut conduire la société à une conception de ‘gouvernement des juges’ et ainsi elle peut réduire à néant la compétence de réviser la Constitution du Parlement élu par voix du peuple. Les révisions constitutionnelles contraires à une telle interprétation de la Cour constitutionnelle seront annulées par elle, et par conséquent le peuple tombera dans une situation où il sera incapable d'exercer sa compétence de révision constitutionnelle »[139].
Le professeur Soysal pose la question suivante : D'où reçoivent les membres de la Cour constitutionnelle la compétence d'annuler les révisions constitutionnelles, en ajoutant d'autres règles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[140] ? Ainsi Mümtaz Soysal conclut que
« si la Cour constitutionnelle se reconnaît la compétence d'annuler les révisions constitutionnelles, en prétendant que cette révision est contraire aux principes fondamentaux de la Constitution, elle dépasse la place qui lui est attribuée dans le système étatique »[141].
Dans le même ordre d'idées, le professeur Orhan Aldikaçti souligne que
« la Cour constitutionnelle se considère comme un organe supérieur à la Constitution même, et par conséquent elle croit qu'elle peut même dominer la volonté constitutionnelle »[142].
De même Erdogan Teziç exprime son inquiétude face au fait que la Cour constitutionnelle puisse devenir une puissance supérieure même au pouvoir constituant[143].
(g) Enfin, certains auteurs indiquent que cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle est dangereuse même à l'égard de la Cour.
Tahsin Türkçapar a signalé que la jurisprudence en question « pourrait mettre en cause la respectabilité même de la Cour constitutionnelle »[144]. Selon lui, cette jurisprudence a créé l'impression selon laquelle la Cour constitutionnelle se croit supérieure même à la Constitution, et ainsi qu'elle a ouvert la voie aux discussions sur l'existence même de la Cour[145].
La même remarque est faite encore par le professeur Mümtaz Soysal. Selon lui, le fait que la Cour constitutionnelle tende à contrôler les lois constitutionnelles non seulement sur la forme, mais aussi quant au fond, signifie que la Cour entre dans une voie dont l'issue est inconnue. Dans cette voie, la Cour constitutionnelle peut elle‑même mettre en danger sa propre situation[146].
Egalement le professeur Ergun Özbudun est du même avis :
« Le comportement de la Cour constitutionnelle sur le contrôle des lois constitutionnelles pourrait, à long terme, mettre en danger les intérêts institutionnels de la haute juridiction. Les expériences montrent qu'en cas d'opposition profonde entre une cour constitutionnelle et les puissances représentant la majorité de la société, les compétences de la cour constitutionnelle pourraient être limitées par les révisions constitutionnelles. En particulier, dans notre société où le système de contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois est tellement neuf et a rencontré des fortes résistances, il est évident que l'acceptation de l'idée du contrôle juridictionnel des révisions constitutionnelles, c'est‑à‑dire du contrôle de la volonté du pouvoir constituant qui est supérieur à tous les pouvoirs institués, sera extrêmement difficile »[147].
Après avoir ainsi critiqué cette interprétation de la Cour constitutionnelle, à peu près tous les auteurs ont souhaité que la Cour renonce à cette jurisprudence, et qu'elle se déclare incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, tout au moins qu'elle interprète l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution dans un sens restrictif[148].
Appréciation générale de la question. – Nous avons déjà affirmé que la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En effet, il n'y a pas de grande difficulté à accepter que la Cour constitutionnelle puisse contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles à l'égard des limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution. Car, ces limites ont le fondement positif. Par conséquent, s'il y a, dans la constitution, des dispositions qui déterminent le contenu des lois de révision constitutionnelle comme l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat, la Cour constitutionnelle peut confronter le contenu de ces lois à ces dispositions.
Nous avons montré que, dans la Constitution turque de 1961, il y a une seule disposition de la Constitution qui détermine le contenu des lois constitutionnelles : celle de l'article 9. Alors la Cour constitutionnelle turque peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.
Mais ici se pose encore une autre question. C'est celle de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, c'est‑à‑dire, celle de la définition de la « forme républicaine de l'Etat ».
C'est un problème d'interprétation. Personnellement, nous aussi nous pensons qu'il faut interpréter dans son sens strict le mot « république », c'est‑à‑dire comme un régime dans lequel la fonction du chef de l'Etat n'est pas héréditaire. Par conséquent, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ne protège pas, à notre avis, les caractéristiques de la République (laïcisme, nationalisme, Etat de droit etc.) énumérées dans l'article 2 de la Constitution. En d'autres termes, seul l'article 1er qui dit que « l'Etat turc est une République » est intangible, et non pas les caractéristiques démocratique, laïque, nationale, etc. de cette République. Ainsi nous souscrivons aux critiques des auteurs qui désapprouvent cette interprétation large du mot « république » par la Cour constitutionnelle. Nous avons exposé longuement les arguments invoqués contre la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.
Ainsi, nous désapprouvons entièrement l'interprétation large donnée par la Cour constitutionnelle à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Cependant, notre opinion ainsi que les opinions des auteurs majoritaires ne sont que des opinions personnelles. Or, du point de vue du droit positif, il faut chercher la réponse authentique à la question de savoir en quoi consiste le contenu de cette interdiction.
D'abord rappelons le texte de l'article 9 de la Constitution de 1961 :
« La disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ne peut être modifiée, ni sa modification proposée ».
Quant à l'article 1er, intitulé « forme de l'Etat », il dit que
« l'Etat turc est une République ».
Egalement l'article 2, intitulé « caractéristiques de la République », stipule que
« la République de Turquie est un Etat de droit démocratique, national, laïque et social, basé sur les droits de l'homme et les principes fondamentaux exprimés dans le préambule ».
Alors selon l'article 9, ce qui est intangible est « la disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ». Comme nous venons de le montrer, selon nous et selon la majorité de la doctrine turque, cette « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la république » consiste en l'article 1er de la Constitution. Or, selon la Cour constitutionnelle turque, cette « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » est non seulement l'article 1er, mais aussi l'article 2 de la Constitution.
En d'autres termes, ici, il y a une question d'interprétation de l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République ». Alors il faut d'abord répondre à la question de savoir si l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisé dans l'article 9 de la Constitution de 1961 englobe non seulement la disposition de l'article 1er, mais aussi les dispositions de l'article 2 de la Constitution.
Il faut donc interpréter l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » employée dans l'article 9 qui détermine l'interdiction de réviser la Constitution. Sans doute chacun peut interpréter cette expression, comme il l'entend. En droit seulement l'une des ces interprétations peut être valable ; les autres ne sont que des opinions personnelles. Alors, il faut choisir l'interprétation qui est valable, autrement dit, l'interprétation authentique, c'est‑à‑dire celle qui ne peut être juridiquement contestée et qui est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques.
Alors déterminons l'interprétation authentique de l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisée dans l'article 9. Dans le système de la Constitution turque de 1961, l'interprétation donnée à la Constitution par la Cour constitutionnelle est de caractère authentique, car « les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs » (art.152 de la Constitution de 1961). Il n'existe pas de voie de recours contre les arrêts de la Cour constitutionnelle. Ces arrêts « lient les organes du législatif, de l'exécutif et du judiciaire ainsi que les autorités administratives et les personnes physiques et morales » (art.152 de la Constitution de 1961). En d'autres termes, nul ne pourrait contester juridiquement l'interprétation de la Cour constitutionnelle, parce qu'elle n'est pas annulable et produit des effets juridiques quel que soit le contenu de cette interprétation. D'ailleurs, logiquement aussi c'est une conclusion cohérente, parce qu'il n'existe pas d'interprétation standard à laquelle on pourrait confronter l'interprétation de la Cour constitutionnelle.
La Cour constitutionnelle turque a interprété l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisée dans l'article 9 qui détermine l'interdiction de réviser la Constitution, comme englobant non seulement la disposition de l'article 1er, mais aussi celles de l'article 2 de la Constitution. La Cour a dit clairement que non seulement la forme Républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques (démocratie, laïcisme, nationalisme, etc.) de cette République exprimées dans l'article 2 sont intangibles[149].
Alors il nous reste à conclure que selon l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle, l'expression « disposition de la Constitution spécifiant que la forme de l'Etat est la République » utilisée dans l'article 9 de la Constitution qui détermine l'interdiction de réviser la Constitution comprend non seulement la disposition de l'article 1er, mais aussi celle de l'article 2 de la Constitution de 1961. Par conséquent, la Cour constitutionnelle peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles non seulement à l'égard de l'article 1er qui prévoit que « l'Etat turc est une République », mais aussi à l'égard de l'article 2 qui détermine les caractéristiques de la République turque comme celles d'Etat de droit démocratique, laïque, social, national, etc.
En droit turc, sous la Constitution de 1961, avant la révision constitutionnelle de 1971, c'est la seule solution qui s'impose. Dans cette période, le mot « république » désigne non seulement un Etat dans lequel la fonction du chef de l'Etat n'est pas héréditaire, mais aussi un Etat de droit démocratique, laïque, national, social et basé sur les droits de l'homme.
* * *
Les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs. La Cour a le pouvoir d'interprétation authentique. Néanmoins la Cour constitutionnelle n'est pas à l'abri des réactions des autres organes du système constitutionnel. Il est vrai que la Cour constitutionnelle est libre de choisir son comportement. Mais elle doit prendre en considération les réactions qu'elle peut déclencher de la part de ses partenaires, car, en dernière analyse, la Cour constitutionnelle elle aussi fonctionne dans un système politique. Comme le remarquent les auteurs qui critiquent la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, son comportement pourrait, à long terme, mettre en danger les intérêts institutionnels de la Cour elle‑même.
En effet, comme nous allons le voir plus bas (§ 2), juste quelques mois après ces décisions (n°1970‑31 du 16 juin 1970 et n°1971‑37 du 13 avril 1971) de la Cour constitutionnelle, le pouvoir de révision constitutionnelle, en révisant l'article 147 de la Constitution de 1961 (loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971), a interdit à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.
Avant de terminer ce paragraphe, il convient de faire une conclusion au sujet du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles en Turquie, sous la Constitution de 1961 avant 1971.
En Turquie, comme venons de le voir avec les détails, la Constitution de 1961, avant 1971, ne contient aucune disposition sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Par conséquent, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles doit être analysé comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'est pas réglementé.
Dans un tel système, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible sous deux conditions. Premièrement, il faut qu'il y ait dans le système un organe compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois, et deuxièmement, que cet organe se soit déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.
La première condition est nécessaire, car, puisque la solution du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles n'existe pas dans les textes positifs, cette solution ne peut se trouver que dans la jurisprudence constitutionnelle. Mais pour qu'il y ait une jurisprudence constitutionnelle, il faut qu'il existe avant tout un organe chargé de contrôle de la constitutionnalité. En d'autres termes, il faut qu'il y ait, dans le système, un organe compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois.
La première condition est nécessaire, mais non suffisante. Car, pour que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles soit possible, il faut que cet organe se soit déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. C'est la deuxième condition. En effet si l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité s'est déjà déclaré compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, du point de vu du droit positif, il faut admettre que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible. Car, du point de vue du droit positif, la jurisprudence de cette cour est incontestable. En d'autres termes la décision de cette cour constitue la solution authentique du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles.
Nous venons de vérifier ces deux conditions dans le cas de Turquie sous la Constitution de 1961 avant 1971.
En Turquie, dans cette période, il y avait justement une Cour constitutionnelle chargée de contrôler la constitutionnalité des lois[150]. Par conséquent, la première condition est remplie.
Deuxièmement, nous avons montré que la Cour constitutionnelle turque s'est déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de la régularité formelle que de leur contenu. La Cour constitutionnelle turque, dans ses décisions des 16 juin 1970 et 3 avril 1971, a effectivement contrôlé la constitutionnalité de deux lois de révision constitutionnelle. De plus, elle a même annulé la loi constitutionnelle n° 1188 du 6 novembre 1969.
Alors du point de vue du droit positif, une seule conclusion s'impose : en Turquie, sous la Constitution de 1961, avant 1971, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ; car, d'une part la Constitution ne contient aucune disposition sur ce point, et d'autre part la Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles tant du point de vue de leur régularité formelle que de leur contenu.
En conclusion, en Turquie, dans cette période, les limites à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution de 1961 sont sanctionnées par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Par conséquent, le pouvoir de révision constitutionnelle est effectivement limité par ces limites selon l'interprétation de la Cour constitutionnelle.
* * *
Après avoir ainsi vu le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution de 1961, nous examinerons maintenant le même problème, sous la même Constitution, mais après l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971.
Continue après les notes.
[1]. Loi n°334 du 9 juillet 1961, Türkiye Cumhuriyeti Resmi Gazetesi [Journal officiel de la République turque], n°10859 du 20 juillet 1961.
[2]. Dès le 12 septembre 1980, le Conseil national de sécurité (Milli Güvenlik Konseyi), composé du chef d'état major général et des commandants des Armés assuma les pouvoirs conférés par la Constitution de 1961 au Parlement. La loi sur l'ordre constitutionnel (Anayasa Düzeni Hakkinda Kanun) n°2324 du 27 octobre 1980 Türkiye Cumhuriyeti Resmi Gazetesi [Journal officiel de la République turque], 28 octobre 1980, n°17145) a cependant maintenu la Constitution de 1961 en vigueur en précisant toutefois que les actes et les décisions du Conseil national de sécurité qui seraient incompatibles avec la Constitution seraient réputées révisions constitutionnelles. Voir, en langue française, Rusen Ergec, Regards sur la Constitution turque de 1982, Ankara, Editions de la Faculté des sciences politiques de l'Université d'Ankara, 1988, p.6.
[3]. Ce titre, Chapitre 1, § 2, B.
[4]. Articles 145 à 152 de la Constitution de 1961.
[5]. Ce titre, Chapitre 1, § 2, B.
[6]. Cour constitutionnelle turque, décision n° 1970-31 du 16 juin 1970, (Restitution des droits politiques), Anayasa Mahkemesi Kararlari Dergisi [Recueil des décisions de la Cour constitutionnelle (turque)], (cité désormais comme A.M.K.D. en abrégé), n° 8, 1971, p.313-340.
[7]. Resmi Gazete [Journal officiel], n°13349 du 12 novembre 1969.
[8]. Selon le texte turc de l'article (« affa ugramis olsalar da »).
[9]. Celal Bayar, ex-président de la République, et ses amis.
[10]. Cem Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu : Bir Mukayeseli Hukuk Incelemesi [La question de révision constitutionnelle : une étude de droit comparé], Ankara, Ankara Üniversitesi Siyasal Bilgiler Fakültesi Yayinlari, 1974, p.149-150.
[11]. Pour les moyens développés par la Parti travailliste de Turquie, voir le texte de la requête reproduit dans cette décision de Cour constitutionnelle, in A.M.K.D., n° 8, 1971, p.313-319.
[12]. Ibid., p.313.
[13]. Ibid., p.314.
[14]. Ibid., p.315.
[15]. Première partie, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous-section 2.
[16]. Première partie, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous-section 2, § 2.
[17]. A.M.K.D., n° 8, 1971, p.315.
[18]. Ibid.
[19]. Lire « coup d'Etat ».
[20]. A.M.K.D., n° 8, 1971, p.318. Selon le Parti travailliste, le Gouvernement du Parti démocrate (1950-1960) était illégitime, car il avait donné « les concessions au capital étranger..., ainsi qu'à l'impérialisme américain » (sic!) (Ibid.).
[21]. Ibid., p.318-319.
[22]. Ibid., p.319.
[23]. Ibid.
[24]. Ibid., p.322.
[25]. La proposition par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale et l'adoption à la majorité des deux tiers (art.155, al.1)
[26]. A.M.K.D., n° 8, 1971, p.322.
[27]. Ibid.
[28]. Ibid.
[29]. Ibid., p.323. Quatre membres de la Cour (Fazil Uluocak, Salim Basol, Celalettin Kuralmen et Halit Zarbun) pensent que la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Pour leur opinion dissidente voir, A.M.K.D., n° 8, 1971, p.334‑337. Signalons qu'à cette époque la Cour constitutionnelle turque se composait de quinze membres.
[30]. A.M.K.D., n° 8, 1971, p.325‑332. Les juges minoritaires sont Lutfi ömerbas, Feyzullah Uslu, Hakki Ketenoglu, Fazil Uluocak, Ihsan Ecemis, Halit Zarbun et Mustafa Karaoglu. Pour leur opinion dissidente voir, Ibid., p.333-340.
[31]. Ibid., p.332.
[32]. Cour constitutionnelle turque, décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, (Report des élections du Sénat), A.M.K.D., n° 9, 1972, p.416-449.
[33]. Resmi Gazete [Journal officiel], n° 13578 du 22 avril 1970.
[34]. Décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, A.M.K.D., n° 9, 1972, p.416-417.
[35]. Ibid., p.418.
[36]. Ibid., p.419.
[37]. Ibid., p.428-429.
[38]. Décision n°1965-40, A.M.K.D., n°4, 1965, p.329.
[39]. Ibid.
[40]. Décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, A.M.K.D., n° 9, 1972, p.422-426.
[41]. Ibid., p.426.
[42]. Ibid., p.429-430.
[43]. Hakki Ketenoglu, Fazil Uluocak, Sait Koçak, Muhittin Taylan, Ihsan Ecemis, Halit Zarbun, Kani Vrana, Lûtfi Ömerbas, Sevket Müftigil et Ahmet H. Boyacioglu.
[44]. Avni Givda, Sahap Ariç, Recai Seçkin, Ahmet Akar et Muhittin Gürün.
[45]. Hakki Ketenoglu, Avni Givda, Sait Koçak, Muhittin Taylan, Sahap Ariç, Ihsan Ecemis, Recai Seçkin, Ahmet Akar, Kani Vrana, Muhittin Gürün, Lûtfi Ömerbas, Sevket Müftigil et Ahmet H. Boyacioglu.
[46]. Fazil Uluocak et Halit Zarbun.
[47]. Hakki Ketenoglu, Fazil Uluocak, Muhittin Taylan, Sahap Ariç, Ihsan Ecemis, Recai Seçkin, Halit Zarbun, Kani Vrana, Lûtfi Ömerbas, Sevket Müftigil et Ahmet H. Boyacioglu.
[48]. Avni Givda, Sait Koçak, Ahmet Akar et Muhittin Gürün.
[49]. Décision n° 1971-37 du 3 avril 1971, A.M.K.D., n° 9, 1972, p.431.
[50]. L'exposé de l'opinion dissidente de Fazil Uluocak dans la décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.313-340.
[51]. Rona Serozan, « Anayasayi Degistirme Yetkisinin Sinirlari » [Les limites de la compétence de révision constitutionnelle], Istanbul Üniversitesi Hukuk Fakültesi Mecmuasi [Revue de la Faculté de droit de l'Université d'Istanbul], Vol.XXXVII, n°1-4, 1972, p.140.
[52]. Décision n°1970-31 du 16 juin 1970, (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.322.
[53]. Ibid.
[54]. En dehors de trois auteurs cités ci-dessous (notes 55, 56 et 57), voir : Burhan Kuzu, 1982 Anayasasinin Temel Nitelikleri ve Getirdigi Yenilikler [Les caractéristiques fondamentales de la Constitution de 1982 et ses nouveautés], Istanbul, Filiz Kitabevi, 1990, p.179 ; Mümtaz Soysal, « Türkiye'de Anayasa Yargisinin Islevi ve Konumu » [La fonction et la situation de la justice constitutionnelle en Turquie], Anayasa Yargisi [Juridiction constitutionnelle], Ankara, Anayasa Mahkemesi Yayinlari, 1984, p.92 ; A. Recai Seçkin, « Anayasaya Aykirilik Kavraminin Tanimlanmasi Yolunda Bir Deneme » [Un essai sur la définition de la notion de non-conformité à la constitution], Kemal Fikret Arik'a Armagan [Mélanges offerts à Kemal Fikret Arik, Ankara, 1973, p.451. Egalement pour un résumé des différentes idées doctrinales voir : A. Seref Hocaoglu et Ismet Ocakçioglu, Anayasa ve Anayasa Mahkemesi [La Constitution et la Cour constitutionnelle], Ankara, Ayyildiz Matbaasi, 1971, p.160-169.
[55]. Ergun Özbudun, Türk Anayasa Hukuku [Le droit constitutionnel turc], Ankara, Yetkin Yayinlari, 3e édition, 1993, p.133.
[56]. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.164.
[57]. Erdal Onar, 1982 Anayasasinda Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle sous la Constitution de 1982], Ankara, 1993, p.137‑138.
[58]. Décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.323.
[59]. Ibid.
[60]. L'exposé de l'opinion dissidente de Fazil Uluocak et Halit Zarbun dans la décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.313-340.
[61]. Cf. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.165 ; Özbudun, op. cit., p.133.
[62]. Özbudun, op. cit., p.133. Dans le même sens, voir Kuzu, op. cit., p.179.
[63]. Première partie, Titre 2, Chapitre 1, Section 1.
[64]. Première partie, Titre 2, Chapitre 2.
[65]. Comme nous l'avons vu dans la première partie (Titre 2, Chapitre 1, Section 1, Sous‑section 2), selon certains auteurs, il y a une hiérarchie entre les normes constitutionnelles. Si l'on admet cette thèse, on peut envisager que la Cour constitutionnelle puisse contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux dispositions de la Constitution occupant un rang supérieur dans cette hiérarchie. Dans l'affaire Restitution des droits politiques (décision n°1970‑31 du 16 juin 1970), le Parti travailliste de Turquie, auteur de la saisine, a prétendu qu'il y a une hiérarchie entre les dispositions de la Constitution de 1961 (A.M.K.D., n°8, 1971, p.314). Par contre la Cour constitutionnelle n'a pas répondu à cet argument. Cependant, dans la doctrine du droit constitutionnel turc, Yildizhan Yayla soutient que la Cour constitutionnelle, dans cette décision, établit une certaine hiérarchie entre les normes de la Constitution de 1961 (Yildizhan Yayla, « Anayasa Mahkemesine Göre Cumhuriyetin Özü » [L'essence de la République d'après la Cour constitutionnelle], Hifzi Timur'un Anisina Armagan [Mélanges offerts à la mémoire de Hifzi Timur], Istanbul, I.Ü. Hukuk Fakültesi Milletlerarasi Münasebetler Enstitüsü Yayini, 1979, p.1002‑1019). Or, comme le montre Fazil Saglam, l'analyse de Yildizhan Yayla n'est pas fondée, de plus la citation que M. Yayla a faite pour prouver sa thèse est tirée, non pas de la décision de la Cour, mais de l'exposé des motifs du requérant (Fazil Saglam, Temel Haklarin Sinirlanmasi ve Özü [La limitation des droits fondamentaux et leur essence], Ankara, Ankara Üniversitesi Siyasal Bilgiler Fakültesi Yayinlari, 1982, p.179). Nous pensons, avec Fazil Saglam, que « l'on ne peut trouver aucune décision de la Cour constitutionnelle acceptant qu'il existe une hiérarchie entre les normes de la Constitution » (Saglam, op. cit., p.179).
[66]. Pour les moyens invoqués par le Parti travailliste de Turquie, voir l'exposé des motifs de l'auteur de la saisine reproduit dans la décision du 16 juin 1970, A.M.K.D., n°8, 1971, p.313-319.
[67]. Décision n°1971-37 du 13 avril 1971 (Report des élections du Sénat), A.M.K.D., n°9, 1972, p.428.
Il nous semble que la Cour constitutionnelle en utilisant cette notion de « nécessités de la civilisation contemporaine », s'est référée, d'ailleurs sans le savoir, à la thèse de l'« intangibilité relative » qui a été développée, dans les anciens pays socialistes à propos des limites à la révision constitutionnelle. Selon cette conception, dans les constitutions socialistes, il n'y a pas de place pour les « normes constitutionnelles absolument inchangeables ». Mais, les dispositions de la constitution socialiste peuvent être révisées dans un sens seulement, c'est‑à‑dire dans le sens du socialisme et du communisme. Stefan Rozmaryn les appelle « dispositions relativement immuables » (Paolo Biscaretti Di Ruffia et Stefan Rozmaryn, La constitution comme loi fondamentale dans les Etats de l'Europe occidentale et dans les Etats socialistes, Paris, Torino, L.G.D.J., Libreria Scientifica, 1966, p.117).
Par exemple, en Pologne, à l'époque socialiste, selon cette thèse, les dispositions de la Constitution concernant l'évolution du système socio‑économique et politique vers le socialisme étaient considérées comme relativement intangibles. Ainsi, si la révision constitutionnelle avait pour objet de développer les relations socio‑politiques vers le socialisme, elle était possible, mais si ce n'était pas le cas, elle était interdite. Voir Kazimierz Dziakocha, « Hierarchy of Constitutional Norms and its Function of Protection of Basic Rights » (Polish Report, VIIIth Conference of European Constitutionnal Courts, Ankara, 7‑10 may 1990), in Hierarchy of Constitutional Norms and its Function of Protection of Basic Rights, Ankara, Publications of the Constitutional Court of Turkey, 1990, vol.IV, p.338.
De même, il semble que, selon la Cour constitutionnelle turque, la Constitution peut être révisée dans un sens seulement, c'est‑à‑dire, dans le sens de la civilisation contemporaine.
[68]. « Le fait que les révisions constitutionnelles portent atteinte à la cohérence et à la systématique des dispositions fondamentales de la Constitution détruit la structure juridique dans son ensemble » (Décision n°1971-37 du 13 avril 1971 (Report des élections du Sénat), A.M.K.D., n°9, 1972, p.429).
[69]. Décision n°1965-40, A.M.K.D., n°4, 1965, p.329.
[70]. Ibid.
[71]. Hüseyin Nail Kubali, Anayasa Hukuku Dersleri [Leçons de droit constitutionnel], Istanbul, Kutulmus Matbaasi, 1971, p.105 ; « Anayasa Degisikligi » [La révision constitutionnelle], Milliyet, 8 septembre 1971.
[72]. Coskun San, Anayasa Degisiklikleri ve Anayasa Gelismeleri [Révisions et évolutions constitutionnelles], Ankara, Ankara Iktisadi ve Ticari Ilimler Akademisi Yayinlari, 1974, p.134‑135.
[73]. Serozan, op. cit., p.136, 138‑139.
[74]. Ekrem Serim, « Anayasayi Degistirme Sorunu » [La question de révision constitution-nelle], Ankara Barosu Dergisi [Revue du Barreau d'Ankara], Vol.34, 1977, n°1, p.35, 37.
[75]. San, op. cit., p.80-81.
[76]. Ibid., p.84-85.
[77]. Ibid., p.88.
[78]. Ibid., p.88-89.
[79]. Ibid., p.131.
[80]. Otto Bachoff, Verfassungswidridge Verfassungsnormen ?, Tübingen, 1951, p.7‑11 cité par San, op. cit., p.131.
[81]. San, op. cit., p.132.
[82]. Ibid., p.134.
[83]. Voir par exemple Serozan, op. cit., p.136 ; San, op. cit., p.134-135.
[84]. Mehmet Akad, « Anayasa Yargisi Üzerine Gözlemler » [Les observations sur la juridiction constitutionnelle], Yargi [Juridiction], n°37, mai 1979, p.41.
[85]. Ibid.
[86]. C'est nous qui soulignons. Comme le montrent les mots soulignés, Mehmed Akad exprime la thèse de l'« intangibilité relative des dispositions constitutionnelles » qui a été d'ailleurs développée, dans les anciens pays socialistes, à propos des limites à la révision constitutionnelle. Selon cette thèse, comme nous l'avons vu plus haut (note 67), les dispositions de la constitution peuvent être révisées dans un sens seulement. Dans les anciens Etats socialistes, ce « sens unique » qui était le socialisme et le communisme. Dans la conception de la Cour constitutionnelle turque, ce « sens unique » est la « civilisation contemporaine » et même selon l'interprétation de M. Akad, c'est l'« avenir », c'est le « modèle d'Etat social ». D'ailleurs si on remplace les mots « avenir » et « modèle d'Etat social » par celui de « socialisme », on obtient une thèse purement socialiste. Pour la thèse de l'intangibilité relative voir Biscaretti Di Ruffia et Rozmaryn, op. cit., p.116-118 ; Dziakocha, op. cit., p.338.
[87]. Akad, op. cit., p.43.
[88]. Cf. Onar, op. cit., p.139, 141-142 ; Kuzu, op. cit., p.179 ; Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.166‑168 ; Mehmet Turhan, « Anayasaya Aykiri Anayasa Degisiklikleri » [Les révisions constitutionnelles contraires à la constitution], Ankara Üniversitesi Hukuk Fakültesi Dergisi [Revue de la Faculté de droit de l'Université d'Ankara], vol.XXXIII, 1976, n°1-4, p.99.
[89]. Kuzu, op. cit., p.179.
[90]. Erdogan Teziç, Türkiye'de 1961 Anayasasina Göre Kanun Kavrami [La notion de loi en Turquie d'après la Constitution de 1961], Istanbul, Istanbul üniversitesi Hukuk Fakültesi Yayinlari, 1972, p.134.
[91]. Ibid., p.134.
[92]. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.166-167. Voir également Cem Erogul, « Anayasa Mahkemesinin Yirminci Yildönümü ve Birkaç Öneri » [Le vingtième anniversaire de la Cour constitutionnelle et quelques propositions], Ankara üniversitesi Siyasal Bilgiler Fakültesi Dergisi [Revue de la Faculté des sciences politiques de l'Université d'Ankara], Vol.XXXVII, 1982, n°3-4, p.134 : « Même si une révision constitutionnelle est considérée comme un ‘coup d'Etat’ contre l'ordre constitutionnel, on ne peut pas en inférer la conclusion selon laquelle la Cour constitutionnelle a la compétence de s'opposer à ce coup d'Etat ».
[93]. Première partie, Titre 1, Chapitre 2, Section 2.
[94]. Première partie, Titre 2.
[95]. Première partie, Titre 1, Chapitre 1, Section 2.
[96]. « L'ordre constitutionnel comporte de telles institutions et de tels droits et devoirs que, s'ils sont rattachés aux principes contraires aux nécessités de la civilisation contemporaine, cet ordre pourrait s'effondrer dans son ensemble » (Décision n°1971-37 du 13 avril 1971 (Report des élections du Sénat), A.M.K.D., n°9, 1972, p.428).
[97]. « Le fait que les révisions constitutionnelles portent atteinte à la cohérence et à la systématique des dispositions fondamentales de la Constitution détruit la structure juridique dans son ensemble » (décision n°1971-37 du 13 avril 1971, A.M.K.D., n°9, 1972, p.429).
[98]. Ibid.
[99]. Première partie, Titre 2, Section 1.
[100]. Décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.323.
[101]. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.167-168.
[102]. Onar, op. cit., p.141. En effet, avant même ces décisions de la Cour constitutionnelle, certains auteurs ont défendu l'idée selon laquelle la Cour constitutionnelle pouvait contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Voir A. Ülkü Azrak, « Türk Anayasa Mahkemesi » [Cour constitutionnelle turque], Istanbul üniversitesi Hukuk Fakültesi Mecmuasi [Revue de la Faculté de droit de l'Université d'Istanbul], Vol.XXVIII, 1962, n°3‑4, p.679‑680 ; Metin Kiratli, Anayasa Yargisinda Somut Norm Denetimi [Le contrôle concret des normes dans la juridiction constitutionnelle], Ankara, Sevinç Matbaasi, 1966, p.105.
[103]. Décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n° 8, 1971, p.323.
[104]. Ibid., p.323.
[105]. in A.M.K.D., n° 8, 1971, p.334-337.
[106]. L'exposé de l'opinion dissidente de Celalettin Kuralman dans la décision n° 1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n° 8, 1971, p.334-336.
[107]. En dehors de Rona Serozan et Yildizhan Yayla dont les critiques sont exposées dans les paragraphes suivants, voir Serim, op. cit., p.36‑37 ; Kubali, Anayasa Hukuku [Droit constitutionnel], op. cit., p.93‑94. Avant même ces décisions de la Cour constitutionnelle, Kemal Fikret Arik défendait que la Cour constitutionnelle peut contrôler les révisions constitutionnelles contraires non seulement à la forme républicaine de l'Etat, mais aussi au principe de laïcité prévu par l'article 2 de la Constitution de 1961 (Kemal Fikret Arik, « Yeni Anayasa Mahkememiz Hakkinda » [A propos de notre Cour constitutionnelle nouvelle], Adalet Dergisi [Revue de justice], Vol.52, septembre - octobre 1961, p.846.
[108]. Serozan, op. cit., p.134.
[109]. Muammer Aksoy, Devrimci Ögretmenin Kiyimi ve Mücadelesi (sic) [Le massacre de l'enseignant révolutionnaire et son combat (sic)], Ankara, Orsel Matbaasi, 1975, t.II, p.1262. Signalons que le professeur Aksoy, lorsqu'il était le porte‑parole de la Commission de la Constitution lors des travaux préparatoires de la Constitution de 1961, avait déclaré qu'il était contre l'inclusion dans l'interdiction de réviser la Constitution des caractéristiques de la République énumérées dans l'article 2 (voir infra, note 130).
[110]. Yayla, « Anayasa Mahkemesine Göre Cumhuriyetin özü » [L'essence de la République d'après la Cour constitutionnelle], op. cit., p.1002‑1019.
[111]. Ibid., p.1011.
[112]. Ibid., p.1012-1013.
[113]. Ibid., p.1013.
[114]. Ibid., p.1014.
[115]. Ibid.
[116]. Ibid., p.1015.
[117]. Ibid., p.1015-1016.
[118]. Ibid., p.1015. Soulignons cependant que Yildizhan Yayla lui-même n'approuve pas entièrement l'interprétation de la Cour constitutionnelle. Selon lui, dans la définition de la République, la Cour constitutionnelle aurait dû faire référence seulement aux principes de l'Etat démocratique et de l'Etat de droit, et comme les principes auxiliaires, au nationalisme, au laïcisme et au principe d'Etat social. Par conséquent la référence à tous les principes exprimés dans l'article 2 et dans le préambule est mal fondée. Car, selon lui, ces principes, comme les droits de l'homme sont difficiles à cerner (Ibid., p.1016-1018).
[119]. Akad, op. cit., p.42.
[120]. Ibid., p.41.
[121]. Outre C. Erogul, E. özbudun, M. Soysal, E. Onar, M. Turhan, E. Teziç, B. Kuzu, O. Aldikaçti et T. Türkçapar, dont les critiques sont données dans les paragraphes suivants, voir Bülent Tanör, Anayasa Hukukunda Sosyal Haklar [Les droits sociaux en droit constitutionnel], Istanbul, May Yayinlari, 1978, p.286‑288 ; Kemal Dal, Türk Esas Teskilat Hukuku [Le droit constitutionnel turc], Ankara, Gazi üniversitesi Basin‑Yayin Yüksek Okulu Basimevi, 1984, p.161‑162.
[122]. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.168 ; Mümtaz Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], Istanbul, Gerçek Yayinevi, 4e édition, 1977, p.219 ; Mehmet Turhan, « Anayasaya Aykiri Anayasa Degisiklikleri [Les révisions constitutionnelles contraires à la Constitution] », Ankara Üniversitesi Hukuk Fakültesi Dergisi [Revue de la Faculté de droit de l'Université d'Ankara], vol.XXXIII, 1976, n°1-4, p.98.
[123]. Erogul, Anayasayi Degistirme Sorunu [La question de révision constitutionnelle], op. cit., p.168.
[124]. Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions],op. cit., 4e éd., 1977, p.219.
[125]. Ibid., p.219.
[126]. Özbudun, op. cit., 3e éd., p.136. En ce sens voir encore, Onar, op. cit., p.9‑10 ; Turhan, op. cit., p.98, 80‑82 ; Tahsin Türkçapar, « Anayasa Mahkemesinin Anayasada Yapilan Degisiklikleri Denetleme Yetkisi » [La compétence de la Cour constitutionnelle à contrôler les révisions de la Constitution], Yargitay Dergisi [Revue de la Cour de Cassation], vol.IV, 1978 (janvier - avril), n°1‑2, p.28‑29. D'autre part, le professeur Orhan Aldikaçti souligne que les constituants des différents pays qui veulent rendre intangibles non seulement la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les différentes caractéristiques de cette république, posent des dispositions constitutionnelles expresses prévoyant l'intangibilité de ces caractéristiques (Orhan Aldikaçti, Anayasa Hukukumuzun Gelismesi ve 1961 Anayasasi [Le développement de notre droit constitutionnel et la Constitution de 1961], Istanbul, Istanbul Üniversitesi Hukuk Fakültesi Yayinlari, 1982, p.362.
[127]. L'exposé de l'opinion dissidente de Celalettin Kuralman annexé à la décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), in A.M.K.D., n° 8, 1971, p.334-336.
[128]. L'Assemblée des représentants (Temsilciler Meclisi) était l'une des deux ailes de l'Assemblée constituante qui a préparé la Constitution de 1961.
[129]. L'intervention de Necip Bilge est reproduite in Kazim Öztürk, Türkiye Cumhuriyeti Anayasasi [La Constitution de la République de Turquie], Ankara, Ajans‑Türk Matbaasi, 1966, vol.II, p.1208‑1209. Cet ouvrage contient les travaux préparatoires de la Constitution de 1961.
[130]. La réponse de Muammer Aksoy, porte-parole de la Commission de la Constitution, in öztürk, op. cit., p.1209‑1210. Rappelons que le professeur Aksoy a défendu une thèse diamétralement opposée en 1975. Voir supra, note 109).
[131]. Özbudun, op. cit., p.136 ; Teziç, Türkiye'de 1961 Anayasasina Göre Kanun Kavrami [La notion de loi en Turquie d'après la Constitution de 1961], op. cit., p.134 ; Turhan, op. cit., p.99 Kuzu, op. cit., p.182‑183.
[132]. Özbudun, op. cit., p.137.
[133]. Voir supra, p.602.
[134]. Yayla, « Anayasa Mahkemesine Göre Cumhuriyetin Özü » [L'essence de la République d'après la Cour constitutionnelle], op. cit., p.1018.
[135]. Kuzu, op. cit., p.180.
[136]. Özbudun, op. cit., p.137 ; Kuzu, op. cit., p.179.
[137]. Özbudun, op. cit., p.137.
[138]. Outre Soysal, voir Turhan, op. cit., p.100 ; Kuzu, op. cit., p.179.
[139]. Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], op. cit., 1977, p.218‑219. Voir également Soysal, « Türkiye'de Anayasa Yargisinin Islevi ve Konumu [La fonction et la situation de la justice constitutionnelle en Turquie] », op. cit., p.92 : « A partir du moment où la Cour constitutionnelle déclare contraires aux principes fondamentaux de la République des révisions constitutionnelles adoptées à la majorité des deux tiers d'une Assemblée élue par le peuple, dans les esprits surgissent les questions suivantes : ‘allons-nous vers le gouvernement des juges ?’. ‘Par un tel comportement, la Cour constitutionnelle a‑t‑elle voulu laisser sans influence les cadres politiques ?’ ... ».
[140]. Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], op. cit., 1977, p.219.
[141]. Ibid.
[142]. Aldikaçti, op. cit., p.362.
[143]. Teziç, Türkiye'de 1961 Anayasasina Göre Kanun Kavrami [La notion de loi en Turquie d'après la Constitution de 1961], op. cit., p.134.
[144]. Türkçapar, op. cit., p.39. Egalement voir Aldikaçti, op. cit., p.362.
[145]. Erogul, « Anayasa Mahkemesinin Yirminci Yildönümü ve Birkaç Öneri » [Le vingtième anniversaire de la Cour constitutionnelle et quelques propositions], op. cit., p.134.
[146]. Soysal, « Türkiye'de Anayasa Yargisinin Islevi ve Konumu » [La fonction et la situation de la justice constitutionnelle en Turquie], op. cit., p.92.
[147]. Özbudun, op. cit., p.137. En ce sens voir, Turhan, op. cit., p.100.
[148]. Voir par exemple Aldikaçti, op. cit., p.362 ; Türkçapar, op. cit., p.39.
[149]. Décision n°1970-31 du 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques), A.M.K.D., n°8, 1971, p.323.
[150]. Articles 145 à 152 de la Constitution de 1961.
Après avoir vu le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution de 1961 avant 1971 dans le paragraphe précédent, nous examinerons maintenant le même problème, sous la même Constitution, mais après l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971.
Nous verrons voir d'abord la réglementation constitutionnelle (A), ensuite la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (B).
L'article 147 de la Constitution de 1961 que nous avons précédemment vu a été révisé par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971. Cette loi de révision constitutionnelle a remplacé la disposition de l'article 147 selon laquelle
« la Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution des lois et du règlement intérieur de la Grande Assemblée nationale de Turquie ».
par la suivante :
« la Cour constitutionnelle contrôle la conformité à la Constitution des lois et du règlement intérieur de la Grande Assemblée nationale de Turquie ; aux conditions de forme indiquées dans la Constitution des lois constitutionnelles ».
En d'autres termes, la nouvelle version de l'article 147 habilite explicitement la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Ainsi le pouvoir constituant dérivé a voulu mettre fin à la discussion surgie à la suite des décisions des 16 juin 1970 (Restitution des droits politiques) et 13 avril 1971 (Report des élections du Sénat) de la Cour constitutionnelle. Selon cette solution, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme est prévu, mais quant au fond, il a été exclu expressément.
Alors dans la Constitution turque de 1961, avec la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles a été expressément réglementé. Par conséquent, après 1971, le cas de la Turquie doit être analysé comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution.
Nous avons vu plus haut[1] les données théoriques du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles dans un système où il est réglementé par la constitution.
Sans entrer dans les détails, rappelons que, selon les conclusions développées dans le cadre théorique, dans un système où le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution, la solution positive de ce problème se trouve dans texte de la constitution.
En effet, une constitution peut contenir ou ne pas contenir des dispositions sur cette question. Si la constitution contient de telles dispositions, la solution du problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est simple : il est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle.
Lorsque la constitution elle-même a prévu le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, la solution de ce problème ne pose aucune difficulté. Dans cette hypothèse, la constitution habilitera un organe à se prononcer sur la validité des lois de révision constitutionnelle, ainsi que les personnes ou organes à le saisir. De même la constitution pourrait déterminer la procédure suivant laquelle cet organe prendra sa décision.
Ainsi dans cette hypothèse, si une loi de révision constitutionnelle est contraire aux limites à la révision constitutionnelle, à vrai dire si les titulaires du droit de saisine estiment que la loi de révision constitutionnelle en question est contraire aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui impose des limites, ils peuvent saisir l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Et dans ce cas, la question de savoir si la loi de révision constitutionnelle est contraire ou conforme aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier aux dispositions qui lui imposent des limites sera résolue par cet organe et suivant la procédure déterminée par la constitution. Ainsi si l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles estime que la loi de révision constitutionnelle en question est contraire aux dispositions de la constitution qui règlent sa création et en particulier à celles qui lui imposent des limites, il peut l'invalider. Cette décision sera définitive. L'interprétation de cet organe aura le caractère authentique. Ainsi, dans cette hypothèse, les limites à la révision constitutionnelle seront sanctionnées par la décision de cet organe.
D'autre part, comme la constitution peut organiser un contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, elle peut aussi refuser la possibilité d'un tel contrôle. Dans cette hypothèse, puisque la constitution interdit aux tribunaux de se prononcer sur la validité d'une loi de révision constitutionnelle, les limites matérielles du pouvoir constituant dérivé ne sont pas effectivement sanctionnées.
La Constitution turque de 1961 après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971 illustre parfaitement cette hypothèse. Elle réglemente expressément le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Ce contrôle est prévu quant à la forme, mais exclu quant au fond.
On peut donc conclure qu'après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque pouvait contrôler sans aucun doute la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car selon notre cadre théorique développé dans le chapitre précédent[2], lorsque la Constitution elle-même habilite un organe à se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles était possible. Puisque la Constitution de 1961 avec la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, elle même a prévu le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, il est tout à fait normal que la Cour constitutionnelle turque puisse se prononcer sur la régularité formelle des lois constitutionnelles.
Par contre, la Cour constitutionnelle ne pouvait pas contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, car ceci a été expressément exclu par la Constitution.
Ainsi après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, on pouvait attendre que la Cour constitutionnelle change sa jurisprudence, et se déclare incompétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.
Maintenant nous allons vérifier si la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque après 1971 confirme nos affirmations théoriques ci‑dessus.
Nous exposerons d'abord la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles, ensuite nous essayerons de faire la critique de cette jurisprudence.
Entre 1971 et 1980, la Cour constitutionnelle turque a rendu six décisions sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles.
La loi constitutionnelle n°1699 du 15 mars
1973[4]
a révisé la Constitution de
1961 dans ses dispositions concernant la durée de détention provisoire et les
tribunaux militaires. D'ailleurs, cette loi constitutionnelle a créé les
tribunaux de sûreté d'Etat.
La Cour constitutionnelle a été saisie, le 15 mars 1973, par Özer Derbil et autres, sénateurs, sur la base de l'article 149 de la Constitution de 1961, aux fins d'appréciation de la conformité de ladite loi constitutionnelle à la Constitution.
1. La Cour constitutionnelle a tout d'abord examiné sa compétence. Elle a constaté que
« la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 révisant l'article 147 de la Constitution a réduit l'étendue de la compétence de la Cour constitutionnelle en matière des lois constitutionnelles. Cette loi constitutionnelle, d'une part, attribue à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôler la constitutionnalité des révisions constitutionnelles quant à la forme, mais, d'autre part, elle exclut le contrôle de fond des lois constitutionnelles de la compétence de la Cour constitutionnelle. Ainsi, cette révision constitutionnelle interdit à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond »[5].
a) C'est pourquoi, la Cour s'est déclarée incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond[6].
Par conséquent, la Cour constitutionnelle a déclaré irrecevable le recours en annulation dans ses parties demandant à la Cour constitutionnelle de vérifier la constitutionnalité de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 quant au fond[7].
b) Mais d'autre part, la Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car elle a constaté que la nouvelle version de l'article 147 lui reconnaît expressément cette compétence[8].
2. Alors la Cour constitutionnelle a affirmé qu'elle examinera la constitutionnalité de la loi constitutionnelle déférée uniquement sur la forme[9].
a) Cependant il y avait une deuxième question qui se posait à la Cour constitutionnelle : celle de l'étendue du contrôle de forme. En d'autres termes, en quoi consistait le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme ?
Sans aucun doute les dispositions de l'article 155 de la Constitution de 1961 qui déterminent les conditions de proposition (par un tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée), de délibération (l'interdiction de procédure d'urgence) et d'adoption (à la majorité des deux tiers) des révisions constitutionnelles étaient des règles de forme, et par conséquent l'examen de la conformité d'une loi constitutionnelle à ces règles consistait en un contrôle de forme.
Mais y avait-il d'autres règles de forme susceptibles d'être normes de référence pour le contrôle de forme des lois constitutionnelles ?
La réponse de la Cour constitutionnelle était affirmative. Les règles de forme ne consistaient pas seulement en des dispositions de l'article 155. Selon la Cour, l'article 9 prévoyant que « la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république ne peut être modifiée, ni sa modification proposée » est aussi une règle de forme, et par conséquent l'examen de la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle à l'égard de l'article 9 était un contrôle de forme, et non pas un contrôle de fond. L'argumentation de la Cour était la suivante :
« Puisque les dispositions de la Constitution concernant la proposition de la révision constitutionnelle sont des règles de forme, la disposition qui interdit cette proposition est aussi sans aucun doute une règle de forme. Parce que cette disposition interdit aux membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie de proposer une loi de révision constitutionnelle qui serait contraire à la forme républicaine de l'Etat. En d'autres termes, si la proposition de révision constitutionnelle n'est pas en contradiction avec le principe d'intangibilité, elle sera poursuivie conformément à sa procédure et deviendra ainsi une loi de révision constitutionnelle. Par contre si la proposition de révision est en contradiction avec le principe d'intangibilité, elle ne pourra pas être proposée ; et si elle a été proposée, elle ne pourra pas être poursuivie conformément à sa procédure ; si elle a été poursuivie, elle ne pourrait être adoptée »[10].
En résumé, selon la Cour constitutionnelle turque, la règle de l'intangibilité de la forme républicaine prévue dans l'article 9, elle aussi, est une règle de forme, comme les autres règles de forme prévues dans l'article 155, c'est‑à‑dire la proposition par un tiers et l'adoption par les deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée nationale. Car, selon la Cour, puisque les dispositions de la Constitution concernant la proposition de révision constitutionnelle, telle la disposition de l'article 155 selon laquelle « les révisions constitutionnelles peuvent être proposées par un tiers au moins du nombre total des membres de l'Assemblée nationale... », sont des règles de forme, la disposition qui interdit cette proposition, c'est‑à‑dire celle de l'article 9, elle aussi est une règle de forme.
Notons tout de suite que la Cour constitutionnelle a défini le contrôle de forme d'une façon très large. En effet, le contrôle de forme tel qu'il est conçu par la Cour constitutionnelle comporte aussi le contrôle de fond. Nous allons critiquer cette interprétation de la Cour constitutionnelle plus tard[11].
b) Après avoir affirmé que la vérification de la conformité d'une loi constitutionnelle à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution était un contrôle de forme et non pas un contrôle de fond, la Cour constitutionnelle n'en reste pas là. Elle interprète encore d'une façon très large l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Selon cette interprétation, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution comporte non seulement la forme républicaine de l'Etat déterminée dans l'article 1er, mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2 de la Constitution, à savoir l'Etat de droit, démocratique, laïque et social, basé sur les droits de l'homme.
A ce propos, la Cour constitutionnelle a maintenu sa jurisprudence du 16 juin 1970[12]. Elle a répété sa motivation de l'époque, à peu près mot pour mot :
« Il est évident que le principe d'intangibilité prévu dans cet article (art.9) ne vise pas seulement le mot ‘république’. Par conséquent il est impossible de concilier avec ce principe l'idée selon laquelle la Constitution permet de réviser tous principes et règles en dehors de l'intangibilité du mot ‘république’. Parce que le but essentiel du principe de l'intangibilité exprimé dans l'article 9 est de protéger le système de l'Etat, nommé ‘république’, dont les caractéristiques sont déterminées par les principes fondamentaux se trouvant dans les articles 1 et 2 et dans le préambule auquel fait référence l'article 2. En d'autres termes, ce qui est protégé ici par le principe d'intangibilité n'est pas le mot ‘république’, mais le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans les articles mentionnés ci-dessus. Alors, la proposition et l'adoption d'une révision constitutionnelle qui établirait, tout en gardant le mot ‘république’, un régime incompatible avec les principes fondamentaux de la Constitution de 1961 seraient contraires à la Constitution.
Il résulte de cette explication qu'une loi prévoyant la révision de l'un de ces principes ou une loi qui a pour objet de modifier ces principes directement ou indirectement par les révisions dans les autres articles de la Constitution ne peuvent pas être proposées et ni adoptées »[13].
Comme on le voit, dans cette décision, la Cour constitutionnelle s'est encore déclarée compétente pour contrôler la conformité des lois constitutionnelles non seulement à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat, mais aussi aux caractéristiques de la République définies dans l'article 2 de la Constitution. Car, selon la Cour constitutionnelle, l'interdiction de réviser la Constitution prévue par l'article 9 protège non seulement l'article 1 qui détermine la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2. Comme on le voit, la Cour interprète cette interdiction d'une façon très large. Ainsi selon la Cour, elle pouvait contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces caractéristiques. D'ailleurs la Cour constitutionnelle affirme que ce contrôle était un contrôle de forme et non pas un contrôle de fond. Nous allons critiquer cette décision plus tard.
La Cour constitutionnelle a ainsi examiné la conformité du contenu de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Selon la Cour, comme on vient de l'expliquer, cet examen était un contrôle de forme, et non pas un contrôle de fond qui lui était exclu expressément par la Constitution. Nous allons donner la critique de cette thèse plus tard[14].
Ensuite la Cour constitutionnelle a passé à l'examen du contenu des dispositions de la loi constitutionnelle du 14 mars 1973.
L'article 1er de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 a révisé l'alinéa 4 de l'article 30 de la Constitution de 1961 comme suit :
« La personne arrêtée ou placée en détention est traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures ou, en ce qui concerne les délits et crimes relevant de la compétence des Tribunaux de sûreté d'Etat et les délits et crimes collectifs dans les cas déterminés par la loi, et en cas d'état de siège et de guerre, dans le délai déterminé par la loi, sous réserve de la période nécessaire pour la conduire devant le tribunal le plus proche de son lieu de détention. Ces délais ne peuvent dépasser quinze jours. Nul ne peut être privé de sa liberté au-delà de ces délais sauf en cas de décision du juge. Les proches de la personne arrêtée ou placée en détention sont immédiatement avisés de sa situation ».
Ainsi la loi constitutionnelle en question prolongeait la durée de détention de quarante-huit heures à quinze jours en ce qui concerne les délits et crimes collectifs et ceux relevant de la compétence des Tribunaux de sûreté d'Etat.
Selon les auteurs de la saisine, cette disposition porte atteinte à la liberté et la sécurité individuelle, elle donne aussi une compétence injustifiée au pouvoir exécutif[15].
La Cour constitutionnelle turque constate d'abord que la prolongation à quinze jours de la durée de la traduction devant le juge des personnes arrêtées ou placées en détention constitue une limitation importante de la liberté et de la sécurité individuelle. Néanmoins, la Cour ne considère pas cette limitation comme portant atteinte aux caractéristiques de la République. Selon la Cour, cette disposition est le résultat de l'équilibre nécessaire entre la liberté individuelle et l'ordre public. En effet, le but de cette réglementation consiste à protéger d'une part le régime républicain dont les caractéristiques sont déterminées dans la Constitution et d'autre part la liberté et la sécurité de la personne[16].
La Cour constitutionnelle turque a conclu que, puisque l'article 1er de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 ne porte pas atteinte aux caractéristiques de la République, surtout au principe de l'Etat de droit respectueux des droits de l'homme, cette disposition n'est pas contraire à la disposition de l'article 9 de la constitution prévoyant l'intangibilité de la forme républicaine de l'Etat. C'est pourquoi, la Cour a rejeté la demande en annulation de l'article 1 de la loi constitutionnelle en question[17].
L'article 3 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 prévoyait la création des Tribunaux de sûreté d'Etat. Voyons d'abord ses dispositions.
Article 3.- Sont ajoutés à l'article 136 de la Constitution de la République turque les alinéas suivants :
(Article 136, Alinéa 2) Les Tribunaux de sûreté d'Etat sont créés avec la compétence de statuer sur les infractions portant atteinte à l'unité indivisible de l'Etat, du point de vue du territoire et de la nation, à l'ordre démocratique libre ou à la République, dont les caractéristiques sont définies dans la Constitution ainsi que sur celles qui concernent directement la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat.
(Alinéa 3) Les Tribunaux de sûreté d'Etat se composent d'un président, de quatre membres titulaires et deux suppléants, d'un procureur et de substituts de procureur en nombre suffisant. Le président, deux membres titulaires et un membre suppléant et le procureur sont nommés parmi les juges et les procureurs de la République de première classe ; deux membres titulaires et un membre suppléant parmi les juges militaires de première classe et les substituts du procureur parmi les procureurs de la République et les juges militaires.
(Alinéa 4) Dans les nominations du président, des membres titulaires, des membres suppléants, du procureur et des substituts du procureur, le Conseil des ministres propose des candidats en nombre double de celui des postes à pourvoir. Parmi ces candidats, les juges des Tribunaux de Sûreté d'Etat sont nommés par le Conseil supérieur des juges ; le procureur et les substituts de procureurs sont nommés par le Conseil supérieur des procureurs ; et la nomination des membres titulaires, des membres suppléants, des substituts de procureur parmi les juges militaires se déroule selon la procédure déterminée dans ses propres lois.
(Alinéa 5) Le président, les membres titulaires et suppléants et le procureur et les substituts du procureur des Tribunaux de Sûreté d'Etat sont nommés pour une période de trois ans. Leurs fonctions sont renouvelables.
(Alinéa 6) L'instance d'appel des décisions des Tribunaux de Sûreté d'Etat est la chambre ou les chambres qui seront créées dans la Cour de cassation pour examiner seulement les décisions de ces Tribunaux. L'assemblée générale est l'assemblée générale des chambres pénales de la Cour de Cassation.
(Alinéa 6) La formation, le fonctionnement, les pouvoirs et attributions et les autres dispositions relatives aux procédures applicables devant les Tribunaux de Sûreté d'Etat sont déterminés par la loi.
Selon les auteurs de la saisine, la création des Tribunaux de sûreté d'Etat est contraire au principe du juge naturel. Ces Tribunaux sont de la nature d'instances extraordinaires[18]. D'autre part, la procédure de nomination des juges est en contradiction avec le principe d'indépendance des tribunaux, car la nomination dépend de la proposition de l'organe exécutif[19]. D'ailleurs, les auteurs de la saisine ont prétendu que la disposition de l'alinéa 5 selon laquelle les juges des Tribunaux de sûreté d'Etat sont nommés pour une période de trois ans porte atteinte à l'indépendance des juges, car, elle donne la possibilité au Conseil des ministres d'éliminer les juges indésirables au bout de trois ans.
La Cour constitutionnelle a examiné d'abord la nature de Tribunaux de sûreté d'Etat[20]. Selon la Cour, ces Tribunaux ne sont pas des instances extraordinaires, mais des tribunaux de spécialisation[21]. D'autre part, selon la Cour constitutionnelle, la nomination des juges parmi les candidats proposés par le Conseil des ministres n'est pas en contradiction avec les caractéristiques de la République définies dans la Constitution, surtout avec le principe de l'Etat de droit[22]. D'ailleurs, la Cour constitutionnelle a conclu, dans un sens diamétralement opposé à l'argument des auteurs de saisine, que la nomination des juges pour une période de trois ans constitue une garantie de l'indépendance des juges, car il est impossible de les nommer à un autre poste durant cette période[23]
Ainsi la Cour constitutionnelle a jugé que les dispositions de l'article 3 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 ajoutant à l'article 136 les alinéas 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 ne portent pas atteinte aux caractéristiques de la République définies dans la Constitution. Par conséquent elles ne sont pas contraires à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9. En conclusion la Cour constitutionnelle turque a rejeté le demande en annulation concernant l'article 3 de la loi 15 mars 1973[24].
L'article 4 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 a révisé l'alinéa 4 de l'article 138 de la Constitution de 1961 comme suit :
« La majorité des membres des Tribunaux militaires doit avoir la qualité de juge. Cette condition n'est cependant pas exigée en temps de guerre ».
Selon les sénateurs saisissants, le fait que la majorité des membres des Tribunaux militaires peut ne pas avoir la qualité de juge, même s'il n'est prévu qu'en temps de guerre, est contraire au principe de l'Etat de droit[25].
D'abord, la Cour constitutionnelle rappelle qu'une loi de révision constitutionnelle ne doit pas être contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 et que, par conséquent, elle ne doit pas porter atteinte aux caractéristiques de la République définies dans la Constitution[26].
La Cour constate que, selon la nouvelle version de l'alinéa 4 de l'article 138, il est, en temps de guerre, possible que les Tribunaux militaires se composent des officiers n'ayant pas qualité de juges. D'après la Cour, la condition selon laquelle la majorité des membres des Tribunaux militaires doit être juge constitue une garantie importante pour les libertés individuelles. Par conséquent, la Cour affirme que
« la non-exigence de cette condition en temps de guerre pourrait porter atteinte, d'une part, aux principes constitutionnels en matière de justice, et d'autre part, aux caractéristiques de la République définies dans la Constitution. Il faut alors examiner la conformité d'une telle institution aux principes de la République déterminés dans la Constitution du point de vue du pouvoir judiciaire réglementé par l'article 7 de la Constitution. La Constitution, qui accepte le pouvoir judiciaire comme un pouvoir d'Etat indépendant à l'égard du pouvoir législatif et de la fonction exécutive, a défini ce principe, dans son article 7, en disant que ‘le pouvoir judiciaire est exercé par les tribunaux indépendants au nom de la nation turque’. Un tribunal, dont la majorité des membres ne sont pas de la classe des juges, ne peut être considéré comme un tribunal indépendant qui exerce le pouvoir judiciaire au nom de la nation turque au sens de l'article 7 de la Constitution »[27].
Ainsi la Cour constitutionnelle conclut que la non-exigence de cette condition, même en temps de guerre, est en contradiction avec le principe d'indépendance des tribunaux, et que le principe d'indépendance des tribunaux (art.7) fait partie intégrante du principe de l'Etat de droit (art.2), et que ce dernier, selon l'interprétation large donnée par la Cour au mot « république », bénéficie de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En d'autres termes, selon la Cour, l'article 4 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 est contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9, parce qu'il porte atteinte à l'indépendance des tribunaux (art.7), et que porter atteinte à l'indépendance des tribunaux implique porter atteinte à l'Etat de droit (art.2), et ce qui est interdit par l'article 9[28].
En conséquence l'article 4 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 porte atteinte à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat. Ainsi la Cour constitutionnelle l'a annulé[29].
Comme on le voit, la Cour constitutionnelle a un raisonnement qui est formé de plusieurs étapes. Nous pouvons schématiser son raisonnement comme ceci :
(« » veut dire « porte atteinte à »)
La révision constitutionnelle art.7 art.2 art.9
L'article 6 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 a ajouté un article transitoire 21 à la Constitution.
Article transitoire 21.- Les compétences et attributions des Tribunaux d'état de siège continuent jusqu'à la fin des affaires qui étaient en cours devant eux au moment où l'état de siège a été levé. Les dossiers ne sont pas encore déférés au tribunal et ainsi que les procès suspendus sont transférés aux instances compétentes selon leurs situations et caractéristiques et conformément aux dispositions de la loi.
Les auteurs de la saisine ont affirmé que l'article 6 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 porte atteinte aux dispositions de l'article 32 de la Constitution selon laquelle « nul ne peut être traduit devant une instance autre que le tribunal dont il dépend en vertu de la loi. Il ne peut être institué d'instances extraordinaires dont la compétence juridictionnelle aurait pour conséquence de traduire une personne devant une instance autre que le tribunal dont elle dépend en vertu de la loi »[30].
La Cour constitutionnelle a rejeté cet argument. Selon la Cour, il s'agit ici d'une révision constitutionnelle, et par conséquent, on ne peut pas exiger la conformité d'une disposition de la Constitution (article transitoire 21) à une autre disposition de la même Constitution (art.32). La Cour a affirmé qu'il faut vérifier seulement si la révision constitutionnelle en question porte atteinte aux caractéristiques de la République, et par conséquent si elle est contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9[31]. En d'autres termes, la Cour constitutionnelle se borne à examiner la conformité de la disposition en cause aux caractéristiques de la République définies dans l'article 2 de la Constitution[32].
Ainsi la Cour constitutionnelle a examiné la conformité de l'article 6 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 aux caractéristiques de la République définies dans l'article 2. Et elle a conclu que la disposition en question ne porte pas atteinte au principe de l'Etat de droit, démocratique et basé sur les droits de l'homme[33]. C'est pourquoi, la Cour constitutionnelle a rejeté la demande en annulation concernant l'article 6 de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973.
* * *
La Cour constitutionnelle a examiné encore la conformité de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973 aux autres conditions de forme déterminées par l'article 155 de la Constitution de 1961, c'est‑à‑dire la proposition par un tiers au moins du nombre total des membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie, l'interdiction de la procédure d'urgence et l'adoption à la majorité des deux tiers du nombre total des membres de l'Assemblée. La Cour n'a constaté aucune irrégularité sur ces points. Elle a donc rejeté la demande en annulation sur ces points.
* * *
En conclusion, la Cour constitutionnelle turque a contrôlé la constitutionnalité des différentes dispositions de la loi constitutionnelle du 15 mars 1973. Parmi ces dispositions, seule celle de l'article 4 a été annulée par la décision du 15 avril 1975 de la Cour constitutionnelle turque.
A propos de cette décision, on peut faire tout de suite quatre observations.
1. La Cour constitutionnelle turque se déclare incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.
2. Par contre la Cour constitutionnelle se déclare compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme.
3. Cependant, elle a une conception de contrôle de forme très large. Il englobe non seulement les conditions de proposition, de délibération et d'adoption prévues par l'article 155, mais encore l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9. En d'autres termes, la Cour considère comme une règle de forme, non seulement l'article 155, mais aussi l'article 9 de la Constitution.
4. D'ailleurs, la Cour définit le mot « république » dans son sens large. Selon la Cour, ce qui est intangible est non seulement le mot « république », mais aussi le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans l'article 2 de la Constitution, c'est‑à‑dire, un Etat de droit démocratique, national, laïque, social et basé sur les droits de l'homme.
Nous nous contentons ici d'observer ces quatre points, car nous allons les critiquer plus loin[34].
L'article 1er de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971[36] a modifié l'article 38 de la Constitution de 1961 concernant l'expropriation comme suit :
Article 38. – L'Etat et les personnes morales publiques sont autorisées, dans les cas où l'intérêt public le rend nécessaire et à condition d'en payer la contrepartie au comptant, à exproprier, en tout ou en partie, les biens se trouvant sous la propriété privée et à fonder des servitudes foncières administratives sur ceux-ci, conformément aux principes et aux procédures déterminés par la loi.
Le montant de l'indemnité de l'expropriation ne peut dépasser la valeur déclarée au fisc par le propriétaire conformément à la forme et à la procédure fixées par la loi au cas où la totalité du bien immobilier est exproprié, et la part de la valeur d'imposition correspondant à la partie expropriée en cas d'expropriation partielle.
Au cas où la contre-valeur du bien exproprié a été estimée au-dessous de la valeur fiscale, le propriétaire a le droit de recours.
Comme on le voit, cette loi constitutionnelle prévoyait la prise en compte de la valeur déclarée au fisc par le propriétaire dans le calcul de l'indemnité d'expropriation. En effet, cette loi constitutionnelle avait pour objet de lutter contre la pratique, qui était d'ailleurs très répandue en Turquie, consistant à déclarer au fisc la valeur bien inférieure à celle réelle en matière de taxe foncière. Ainsi, après cette loi constitutionnelle, les propriétaires fraudeurs risquaient de se voir expropriés de leurs biens immobiliers dont la valeur avait été déclarée très inférieure à leur valeur réelle en cas d'une éventuelle expropriation. En résumé, cette loi constitutionnelle obligeait les propriétaires à déclarer ai fisc la valeur réelle de leurs biens immobiliers.
Sur la même loi constitutionnelle, la Cour constitutionnelle a rendu trois décisions. C'est pourquoi, nous allons citer ces décisions sous les appellations d'« Expropriation I », « Expropriation II » et « Expropriation III ».
La Cour constitutionnelle a été saisie par la décision du 7 juillet 1975 du Tribunal civil de première instance d'Elazig[37]. Ce dernier avait estimé que la loi constitutionnelle du 20 septembre 1971 prévoyant le calcul de l'indemnité d'expropriation selon la valeur déclarée au fisc par le propriétaire était contraire au principe de l'Etat de droit[38].
1. La Cour constitutionnelle a d'abord examiné sa compétence. La Cour, en répétant les arguments développés dans sa décision du 15 avril 1975, s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles seulement quant à la forme[39].
Cependant la Cour constitutionnelle a une conception de contrôle de forme très large. Et selon la Cour, en invoquant toujours les mêmes arguments développés dans sa décision du 15 avril 1975, à savoir la disposition de l'article 9 prévoyant que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat est une règle de forme, comme les dispositions de l'article 155 déterminant les conditions de la proposition, de la délibération et l'adoption des lois constitutionnelles[40].
D'ailleurs, selon la Cour, en répétant la motivation exposée dans la décision du 16 juin 1970[41], l'article 9 n'interdit pas seulement de modifier le mot « république », mais le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans l'article 2 de la Constitution, c'est‑à‑dire, un Etat de droit démocratique, laïque, social et basé sur les droits de l'homme. Par conséquent selon la Cour, en vertu de l'article 9, non seulement les dispositions de l'article 1, mais aussi celles de l'article 2 sont intangibles[42].
2. La Cour constitutionnelle a examiné ensuite la conformité des dispositions de la loi constitutionnelle en question aux caractéristiques de la République[43].
Selon la Cour, le principe prévoyant la valeur déclarée au fisc par le propriétaire au lieu de la valeur réelle dans le calcul de l'indemnité de l'expropriation n'est pas en contradiction avec les caractéristiques de la République définies dans l'article 2 et dans le préambule de la Constitution. D'après la haute juridiction, ce principe ne porte pas atteinte à l'essence du droit de propriété. De plus, elle affirme que ce principe a pour objet de satisfaire l'intérêt social, en obligeant les propriétaires à déclarer la valeur réelle de leurs biens au fisc[44].
Ainsi la Cour constitutionnelle a conclu que, puisque les dispositions de la loi constitutionnelle du 29 septembre 1971 ne portent pas atteinte aux caractéristiques de la République indiquées dans l'article 2, cette loi n'est pas en contradiction avec l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9. Par conséquent, la Cour a rejeté la demande en annulation.
Nous allons critiquer cette décision de la Cour constitutionnelle plus loin. Mais notons tout de suite qu'elle a été prise par 8 voix[45] contre 7[46].
Cette décision porte aussi sur l'article 1er de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971[48] modifiant l'article 38 de la Constitution de 1961.
La Cour constitutionnelle a été de nouveau saisie par un tribunal de première instance[49] aux fins d'appréciation de la conformité à la Constitution de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971[50].
Comme nous avons vu son contenu plus haut[51], cette loi constitutionnelle prévoyait le calcul de l'indemnité d'expropriation selon la valeur déclarée au fisc par le propriétaire. Nous avons déjà noté que cette loi a pour objet d'obliger les propriétaires à déclarer la valeur réelle de leur immobilier au fisc.
1. La Cour constitutionnelle a d'abord examiné sa compétence. La Cour, en répétant les arguments développés dans la décision du 15 avril 1975, s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles seulement quant à la forme. Et selon la Cour, en invoquant toujours les mêmes arguments, la disposition de l'article 9 prévoyant l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat est une règle de forme, comme les dispositions de l'article 155 déterminant les conditions de la proposition, de la délibération et de l'adoption des lois constitutionnelles[52]. Car selon la Cour, puisque les dispositions de la Constitution (art.155) qui règlent la proposition de révision constitutionnelle sont des règles de forme, la disposition de la Constitution (art.9) qui interdit cette proposition, elle aussi est une règle de forme[53].
A ce propos, il est significatif de voir que, dans l'arrêt de la Cour, les paragraphes consacrés à l'examen de la conformité de la loi constitutionnelle en question à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution se trouvent sous l'intitulé « V. L'examen du fond du point de vue de la forme (sic!) »[54]. La Cour constitutionnelle turque se déclare toujours qu'elle n'est pas compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Elle ne contrôle que la régularité formelle de ces lois. Or, dans cette décision, comme le montre parfaitement cette expression curieuse utilisée dans l'intitulé, elle examine bel et bien le fond de la loi constitutionnelle. Sinon, que signifie donc « l'examen du fond du point de vue de la forme » ?
Encore, selon la Cour, en répétant toujours sa jurisprudence du 16 juin 1970 concernant l'interprétation large de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, l'article 9 n'interdit pas seulement de modifier le mot « république », mais le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans l'article 2 de la Constitution, c'est‑à‑dire, un Etat de droit démocratique, laïque, et social, basé sur les droits de l'homme. Par conséquent selon la Cour, en vertu de l'article 9, non seulement les dispositions de l'article 1, mais aussi celles de l'article 2 sont intangibles[55].
2. Par conséquent, la Cour a examiné la conformité des dispositions de la loi constitutionnelle en question aux caractéristiques de la République[56].
La Cour constitutionnelle a d'abord étudié la situation de l'expropriation à l'égard de droit de propriété. La haute instance, en constatant que l'expropriation porte atteinte à l'essence du droit de propriété, affirme que l'expropriation n'est possible, dans un Etat de droit, qu'à la condition du paiement de l'indemnité sur la valeur réelle des biens expropriés[57].
Ensuite la Cour constitutionnelle a observé que le principe de « valeur réelle » prévu par la version initiale de l'article 38 a été remplacé par celui de « valeur fiscale » prévu par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971. Ainsi cette loi constitutionnelle permet d'exproprier les biens immobiliers des particuliers sans respecter la condition de valeur réelle[58].
Après avoir fait ce constat, la Cour a vérifié si la non‑exigence de la condition du calcul de l'indemnité sur la valeur réelle porte atteinte au principe de l'Etat de droit[59].
D'une part, la Cour constitutionnelle observe que, sans l'indemnité calculée sur la valeur réelle, l'expropriation porte atteinte à l'essence du droit de propriété (art.36) ; et d'autre part, elle rappelle que, selon l'article 11, l'essence d'un droit est intangible[60]. De même, la Cour estime que les articles 36 et 11 font partie intégrante du principe de l'Etat de droit exprimé dans l'article 2 de la Constitution. En d'autres termes, si une loi constitutionnelle touche à l'article 11 ou à l'article 36, elle touche aussi à l'article 2. Ainsi la haute juridiction affirme qu'« un Etat qui ne respecte pas le droit de propriété (art.36) ne peut pas être considéré comme un Etat de droit démocratique défini dans l'article 2 de la Constitution »[61]. Alors la loi constitutionnelle du n°1488 du 20 septembre 1971 est contraire au droit de propriété (art.36) et au principe de l'intangibilité de l'essence des droits (art.11) et par conséquent cette loi constitutionnelle porte atteinte au principe de l'Etat de droit (art.2).
Or, selon la Cour constitutionnelle, comme nous l'avons vu plus haut, le principe de l'Etat de droit défini dans l'article 2 bénéficie de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9. Car, d'après la Cour, cette interdiction ne vise pas seulement le mot « république » exprimé dans l'article 1 (« L'Etat turc est une République »), mais aussi le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans l'article 2.
En conséquence, la Cour constitutionnelle a décidé que la disposition de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 prévoyant le calcul de l'indemnité d'expropriation sur la valeur déclarée au fisc par le propriétaire, porte atteinte à l'essence du droit de propriété, et par conséquent à l'Etat de droit ; et que ce dernier bénéficie de l'intangibilité prévue dans l'article 9 selon l'interprétation large de la Cour constitutionnelle. Alors la loi constitutionnelle en question est contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, qui est une règle de forme. Et la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme selon l'article 147 de la Constitution. Alors, la Cour a annulé la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 par 8 voix contre 7.
Comme on le voit, la Cour constitutionnelle a un raisonnement qui est formé de plusieurs étapes. Nous pouvons schématiser son raisonnement comme suit :
(« » veut dire « porte atteinte à »)
La révision constitutionnelle art.36 art.2 art.9
On peut l'exprimer aussi comme ceci :
Expropriation sur la valeur fiscale Essence du droit de propriété Etat de droit forme républicaine de l'Etat
* * *
Il est significatif de voir que la Cour constitutionnelle a pris deux décisions diamétralement opposées sur la même loi constitutionnelle dans un intervalle de 6 mois. Dans la première décision (celle du 23 mars 1976, Expropriation I), la Cour a décidé que la loi constitutionnelle est conforme à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 par 8 voix[62] contre 7[63]. Dans la deuxième décision (celle du 12 octobre 1976, Expropriation II), la Cour a conclu que la même loi constitutionnelle est contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 par 8 voix[64] contre 7[65]. Ce revirement est probablement explicable par le fait que deux membres (Ihsan Ecemis et Ahmet Akar) participant à la délibération de la première décision ont été remplacés par deux autres membres (Fahrettin Uluç et Adil Esmer) dans la délibération de la deuxième décision et que ces derniers ont voté pour l'annulation de la loi constitutionnelle en question.
C'est la troisième décision qui porte sur l'article 1er de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 modifiant l'article 38 de la Constitution de 1961. La Cour constitutionnelle a été saisie cette fois par le Tribunal de première instance de Palu.
Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle a conclu qu'il n'y avait pas lieu de décider sur la constitutionnalité de cette loi constitutionnelle, car elle venait de l'annuler par sa décision n°1976-46 du même jour[67].
La loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971[69] a révisé l'article 144 de la Constitution de 1961 concernant l'autorité des décisions du Conseil supérieur des juges comme suit :
Article 144. - Le Conseil supérieur des juges statue définitivement sur les affaires relevant des statuts des juges des tribunaux judiciaires. Les décisions du Conseil ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance.
Ainsi l'article 144 révisé par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 exclut tout recours judiciaire contre les décisions du Conseil supérieur des juges.
En l'espèce, un juge a intenté un recours en annulation devant le Conseil d'Etat contre une décision du Conseil supérieur des juges qui le concernait. La Cinquième chambre du Conseil d'Etat a saisi la Cour constitutionnelle par voie d'exception en estimant que la disposition de l'article 144 prévoyant que « les décisions du Conseil supérieur des juges ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance » est contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[70].
La Cour constitutionnelle a d'abord examiné sa compétence. En répétant sa motivation de la décision du 15 avril 1975, elle a affirmé que le principe d'intangibilité dans l'article 9 était une règle de forme, et par conséquent la Cour constitutionnelle, étant compétente pour contrôler les lois constitutionnelles quant à la forme, a pu examiner la conformité de la loi constitutionnelle à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[71].
La Cour a encore maintenu sa jurisprudence du 16 juin 1970 selon laquelle le principe d'intangibilité prévu dans l'article 9 de la Constitution comprend l'interdiction de réviser non seulement le forme républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques de la République définies dans l'article 2 de la Constitution. La Cour constitutionnelle a répété sa motivation cette fois avec des mots un peu différents :
« La Constitution a posé, dans son article 9, la règle selon laquelle ‘la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république ne peut être modifiée, ni sa modification proposée’. On ne peut pas penser que l'expression ‘la forme de l'Etat est une république’ utilisée dans l'article vise seulement l'article 1 et le mot ‘république’ mentionné dans cet article. Car, lorsque le principe d'intangibilité est limité par le mot ‘république’ dont le contenu et les caractéristiques se diversifient selon les différentes idées sociales et politiques, tout en gardant l'article 1, on peut dégénérer le fondement du régime, par les révisions des dispositions de l'article 2. Si l'on regarde aux pays du monde, en verrait qu'il y a beaucoup d'Etats qui portent le nom de ‘républiques’, et qui, cependant du point de vue du régime, sont opposés diamétralement au système de notre Constitution.
Or, la forme de l'Etat que notre Constitution a créée et veut protéger est une République dont les caractéristiques sont définies dans le préambule et dans l'article 2. De même, le principe d'intangibilité prévu dans l'article 9 ne vise pas seulement la protection du mot ‘république’, mais aussi les caractéristiques de cette République.
. . .
Il résulte de cette explication que les propositions de révision constitutionnelle ne peuvent prévoir aucune modification dans les principes trouvant dans le préambule et dans l'article 2 de la Constitution... Par conséquent une révision constitutionnelle portant atteinte aux principes fondamentaux de la République ne peut être proposée, ni adoptée par les assemblées législatives. Malgré cela, si la proposition a été faite et adoptée, elle est contraire aux conditions de forme dans l'article 9 de la Constitution »[72].
Ensuite la Cour constitutionnelle turque a examiné la régularité de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 à l'égard de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution[73].
La Cour a discuté le point de savoir si la disposition stipulant que « le Conseil supérieur des juges statue définitivement sur les affaires relevant des statuts des juges des tribunaux judiciaires et que les décisions du Conseil ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance » est conforme ou contraire aux caractéristiques de la République[74].
D'abord la Cour constate que le Conseil supérieur des juges est un organe administratif auquel participe le ministre de la justice. Par conséquent la Cour constitutionnelle conclut que les décisions de cet organe ne peuvent être considérées comme des décisions judiciaires[75].
Après avoir ainsi déterminé la nature des décisions du Conseil supérieur des juges, la Cour constitutionnelle examine la question de savoir si la révision constitutionnelle qui a été faite dans l'article 144 est conciliable avec les principes fondamentaux de la République[76].
La Cour rappelle d'abord le texte de l'article 2 :
Article 2. - La République de Turquie est un Etat de droit national, démocratique, laïque et social, basé sur les droits de l'homme et les principes fondamentaux exprimés dans le préambule.
Ensuite la Cour constitutionnelle examine la disposition en question de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 à l'égard des droits de l'homme, de l'Etat de droit et du principe d'égalité.
1. Du point de vue des droits de l'homme. – D'abord la Cour constitutionnelle fait référence à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales[77], ratifiée le 18 mai 1954 par la Turquie[78], selon laquelle « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle »[79].
Ensuite la Cour constitutionnelle souligne que, selon l'article 2 de la Constitution, la République de Turquie est basée sur les droits de l'homme[80].
Par conséquent, la Cour affirme que
« la disposition de la révision constitutionnelle en question qui interdit le contrôle juridictionnel des décisions du Conseil supérieur des juges est contraire au principe des droits de l'homme »[81].
Ainsi selon la Cour constitutionnelle, cette disposition de révision constitutionnelle est contraire au « principe des droits de l'homme ». Mais on ne comprend pas très bien si ce « principe des droits de l'homme » est celui qui est dans l'article 2 de la Constitution turque de 1961 ou bien celui qui se trouve dans la Convention européenne des droits de l'homme. Si la première hypothèse est vraie, il n'y a pas de nouveauté, et la Cour confirme toujours son ancienne jurisprudence selon laquelle elle peut contrôler la conformité aux principes de la République des lois constitutionnelles. Mais dans ce cas, une question se pose : pourquoi la Cour constitutionnelle a-t-elle fait référence à la Convention européenne des droits de l'homme ? Et si la deuxième hypothèse est vraie, c'est‑à‑dire si ce « principe des droits de l'homme » est celui qui est exprimé par la Convention européenne, la Cour constitutionnelle ouvre encore une nouvelle ère : elle contrôle la conformité d'une révision constitutionnelle à une convention internationale ! Ainsi la thèse de la suprématie des normes du droit international sur la constitution a été confirmée et sanctionnée pour la première fois par une cour constitutionnelle nationale !
2. Du point de vue du principe de l'Etat de droit. – La Cour constitutionnelle souligne que, selon l'article 2 de la Constitution de 1961, l'Etat de droit est une caractéristique de la République de Turquie[82]. Ensuite la Cour tente de définir l'Etat de droit. Selon la Cour constitutionnelle turque, « l'Etat de droit désigne un Etat, qui respecte les règles de droit et de la Constitution, et dont les actes et les actions sont soumis au contrôle judiciaire »[83].
Ensuite la Cour observe que
« la disposition en question de la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 modifiant l'article 144 de la Constitution de 1961 supprime le contrôle judiciaire, et prive les juges de la garantie juridique. Dans un pays où les juges sont privés de recours juridictionnel, on ne peut pas prétendre que les individus bénéficient de la protection judiciaire. La radiation des magistrats peut être prononcée par la décision du Conseil supérieur des juges, cependant ces décisions ne peuvent faire l'objet d'un recours juridictionnel. Ceci est inconciliable avec le droit. C'est pourquoi, la fermeture du recours juridictionnel à l'encontre des décisions du Conseil supérieur des juges est contraire à la caractéristique de l'Etat de droit de la République »[84].
3. Du point de vue du principe d'égalité. – La Cour constitutionnelle affirme que l'un des éléments essentiels de l'Etat de droit est le principe d'égalité. Selon la Cour, la disposition en question est contraire à ce principe, car,
« tous les fonctionnaires, y compris les juges de la Cour de Cassation et ceux du Conseil d'Etat, ont le droit d'intenter le recours juridictionnel à l'encontre des actes administratifs concernant leur statut. Or les juges judiciaires ne bénéficient pas d'un tel droit. Il est évident que cette situation est inconciliable avec le principe d'égalité »[85].
En résumé, la Cour constitutionnelle conclut que
« la phrase ‘les décisions du Conseil ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance’ porte atteinte aux principes d'Etat de droit et des droits de l'homme, ceux-ci étant les caractéristiques de la République de Turquie. Par conséquent, cette phrase tombe dans l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. C'est pourquoi elle est contraire à la Constitution. Elle doit alors être annulée du point de vue de sa forme »[86].
En conséquence, la Cour constitutionnelle a annulé la disposition selon laquelle « les décisions du Conseil ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance » par 14 voix contre 1[87].
La loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971[89] a révisé l'article 137 de la Constitution de 1961 concernant l'autorité des décisions du Conseil supérieur des procureurs comme suit :
Article 137 (alinéa 2). – [...] Le Conseil supérieur des procureurs a la compétence de statuer sur les sanctions disciplinaires et la radiation des procureurs, ainsi que sur d'autres affaires relevant de leur statut. Les décisions du Conseil sont définitives et elles ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance.
Ainsi la nouvelle version de l'article 137, adoptée par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971, exclut tout recours juridictionnel à l'encontre des décisions du Conseil supérieur des procureurs[90].
En l'espèce, le Conseil supérieur des procureurs à procédé à une sanction disciplinaire contre un procureur. Ce dernier avait intenté un recours en annulation devant le Conseil d'Etat à l'encontre de cette décision. La 5e chambre du Conseil d'Etat a saisi la Cour constitutionnelle par voie d'exception aux fins d'appréciation de la conformité à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, de la disposition de l'article 137 de la Constitution prévoyant que « les décisions du Conseil supérieur des procureurs sont définitives et qu'elles ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance »[91].
A l'égard de notre question, c'est‑à‑dire celle de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, cette affaire est intéressante. Car, dans cette affaire, la Cour constitutionnelle, pour la première fois, ne discute même pas la question de sa compétence. Elle entre directement dans le fond de l'affaire. Or, comme nous l'avons vu, dans sept décisions précédentes, la Cour avait d'abord discuté sa compétence et elle avait affirmé, en répétant toujours la même motivation, qu'elle était compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles.
On peut penser que la Cour n'a pas estimé nécessaire de répéter sa motivation habituelle, probablement en supposant que sa jurisprudence était établie.
Ainsi la Cour constitutionnelle turque a examiné directement la régularité de la disposition stipulant que « les décisions du Conseil supérieur des procureurs sont définitives et qu'elles ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance » à l'égard de l'article 9 de la Constitution[92].
La Cour constitutionnelle rappelle sa décision précédente par laquelle elle a annulé la nouvelle version de l'article 144 prévoyant la même disposition en ce qui concerne les décisions du Conseil supérieur des juges. La Cour constitutionnelle affirme que
« le Conseil supérieur des procureurs est un organe administratif comme le Conseil supérieur des juges. De plus, parmi les personnes composant le Conseil supérieur des procureurs, il y a des personnes faisant partie directement de l'organe exécutif. Sans aucun doute, le Conseil supérieur des procureurs qui est chargé des affaires disciplinaires des procureurs et des affaires relevant de leur statut est une institution de nature administrative comme le Conseil supérieur des juges. Par conséquent, les moyens d'annulation de la disposition de l'article 144 adoptée par la révision constitutionnelle pour le Conseil supérieur des juges sont valables aussi pour la disposition de l'article 137 adoptée par la même révision constitutionnelle pour le Conseil supérieur des procureurs. Puisque l'exposé des motifs se trouve dans la décision citée ci-dessus (n°1977-4 du 27 janvier 1977, Conseil supérieur des juges), il n'est pas nécessaire de les répéter ici. Alors, la disposition de l'article 137, alinéa 2, en question prévoyant que les décisions du Conseil supérieur des procureurs ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance doit être annulée pour les mêmes motifs »[93].
En conclusion, la Cour constitutionnelle turque a décidé que la disposition de l'article 137, alinéa 2, adopté par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971, prévoyant que « les décisions du Conseil supérieur des procureurs ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant une autre instance » est contraire à la disposition de l'article 9 de la Constitution stipulant que « la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république ne peut être modifiée, ni sa modification proposée ». Par conséquent la Cour a prononcé l'annulation de cette disposition par 13 voix contre 2[94].
Cette décision était la dernière rendue par la Cour constitutionnelle turque concernant le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution de 1961.
* * *
Après avoir ainsi vu la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque sous la Constitution de 1961 après 1971, maintenant nous pouvons passer à la critique de cette jurisprudence.
Nous allons critiquer la jurisprudence de la Cour constitutionnelle à travers les questions suivantes :
– La question du contrôle de fond
– La question du contrôle de forme
– La question de l'étendue du contrôle de forme
– Les dispositions de l'article 155 sont-elles des règles de forme ?
– L'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est-elle une règle de forme ?
– La question de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution
Après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque pouvait-elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond ?
La Cour constitutionnelle a donné une réponse négative à cette question. La Cour constitutionnelle s'est déclarée incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, conformément au texte de l'article 147 de la Constitution[95]. La Cour a constaté que la nouvelle version de l'article 147 de la Constitution de 1961, adoptée par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971, lui interdit de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond,
En effet le contrôle de fond des lois constitutionnelles est exclu expressément par la nouvelle version de l'article 147 de la Constitution de 1961. Par conséquent, après 1971, la Cour constitutionnelle turque ne pouvait pas exercer un contrôle de fond sur les lois constitutionnelles, comme elle avait affirmé qu'elle pouvait le faire avant 1971. Par conséquent l'affirmation de la Cour constitutionnelle selon laquelle elle est incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond est conforme à la solution positive adoptée par la Constitution. C'est pourquoi, elle est loin des critiques.
Mais comme on va le voir en bas, cette déclaration d'incompétence quant au fond n'était qu'une affirmation apparente, car la Cour constitutionnelle a continué à faire en réalité un contrôle de fond sur les lois constitutionnelles. Sur ce point la jurisprudence de la Cour est critiquable, mais nous allons le voir en bas.
Après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque pouvait-elle contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme ?
La Cour constitutionnelle a répondu à cette question par l'affirmative. La Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme[96]. Car, la Cour a constaté que la nouvelle version de l'article 147 de la Constitution de 1961, adoptée par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971, lui habilite reconnaît expressément la compétence de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme,
La doctrine constitutionnelle turque approuve la décision de la Cour constitutionnelle sur ce point. En effet, comme nous l'avons déjà vu, la nouvelle version de l'article 147 de la Constitution de 1961, adoptée par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971, habilite expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme.
On peut donc conclure qu'après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque pouvait contrôler sans aucun doute la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car selon notre cadre théorique développé dans le chapitre précédent[97], lorsque la Constitution elle-même a habilité un organe à se prononcer sur la validité des lois constitutionnelles, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles était possible. Puisque la Constitution de 1961 avec la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, elle-même, a prévu le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, il est tout à fait normal que la Cour constitutionnelle puisse se prononcer sur la régularité formelle des lois constitutionnelles. Ainsi notre cadre théorique est confirmé par la pratique constitutionnelle de Turquie.
En conclusion, après 1971, la Cour constitutionnelle turque ne pouvait exercer qu'un contrôle de forme sur les lois constitutionnelles.
Cependant il y avait une autre question qui se posait à la Cour constitutionnelle : celle de l'étendue du contrôle de forme. En d'autres termes, en quoi consistait donc le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme ?
En ce qui concerne le contrôle de forme, la Cour constitutionnelle a affirmé qu'elle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles, d'une part, aux dispositions de l'article 155 de la Constitution de 1961 qui déterminent les conditions de proposition, de délibération et d'adoption des révisions constitutionnelles, et d'autre part, à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En d'autres termes, selon la Cour constitutionnelle, non seulement l'article 155, mais aussi l'article 9 de la Constitution, étaient une règle de forme.
La Cour constitutionnelle a répondu par l'affirmative. Elle a affirmé que les dispositions de l'article 155 de la Constitution de 1961 qui déterminent les conditions de proposition (par un tiers au moins des membres de l'Assemblée), de délibération (interdiction de procédure d'urgence) et d'adoption (à la majorité des deux tiers) des révisions constitutionnelles étaient des règles de forme, et par conséquent l'examen de la conformité à ces règles d'une loi constitutionnelle donne lieu à un contrôle de forme.
Ce point est loin des critiques. Car, puisque la Constitution prévoit le contrôle de forme des lois constitutionnelles, il est tout à fait normal que la Cour constitutionnelle vérifie la conformité des lois constitutionnelles aux conditions de proposition, de délibération et d'adoption prévues par l'article 155 de la Constitution.
En effet le contrôle de forme des lois constitutionnelles consiste à vérifier la conformité des lois constitutionnelles aux conditions de forme de la révision constitutionnelle. En d'autres termes, lorsque la Cour constitutionnelle contrôle la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle quant à la forme, elle vérifie si cette loi a été proposée, délibéré et adoptée conformément aux dispositions de la Constitution qui règlent sa création. Alors dans le contrôle de forme des lois constitutionnelles, les règles de référence sont des dispositions de la Constitution qui déterminent la procédure de la révision constitutionnelle. Puisque dans la Constitution turque de 1961, la procédure de révision constitutionnelle est déterminée par les dispositions de l'article 155, l'examen de la conformité à ces dispositions d'une loi constitutionnelle donne lieu à un contrôle de forme. Et d'autre part, puisque la nouvelle version de l'article 147 habilite expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, la Cour constitutionnelle a vérifié la conformité des lois constitutionnelles aux dispositions de l'article 155.
Mais, en allant encore plus loin, la Cour constitutionnelle a affirmé qu'elle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles, non seulement, aux dispositions de l'article 155 de la Constitution de 1961 qui déterminent les conditions de proposition, de délibération et d'adoption des révisions constitutionnelles, mais aussi, à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En d'autres termes, selon la Cour constitutionnelle, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution était une règle de forme. Voyons maintenant cette question.
La question posée. – Y a-t-il des règles de forme autres que celles prévues dans l'article 155 de la Constitution ? En d'autres termes, la Cour constitutionnelle peut-elle vérifier la conformité à d'autres règles de forme des lois constitutionnelles ?
La réponse de la Cour. – La réponse de la Cour constitutionnelle était affirmative. Les règles de forme ne consistaient pas seulement en des dispositions de l'article 155. Selon la Cour, l'article 9 prévoyant que « la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république ne peut être modifiée, ni sa modification proposée » est aussi une règle de forme. Car, selon la Cour, « puisque les dispositions de la Constitution concernant la proposition de révision constitutionnelle sont des règles de forme, la disposition qui interdit cette proposition est aussi une règle de forme ». Par conséquent l'examen de la constitutionnalité d'une loi constitutionnelle à l'égard de l'article 9 était un contrôle de forme, et non pas un contrôle de fond[98].
Ainsi on peut dire que la Cour constitutionnelle a une conception de contrôle de forme très large. Il englobe non seulement les conditions de proposition, de délibération et d'adoption prévues par l'article 155, mais encore l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue par l'article 9. En d'autres termes, la Cour considère comme règles de forme, non seulement l'article 155, mais aussi l'article 9 de la Constitution.
Et cette interprétation de la Cour constitutionnelle a été critiquée très violemment dans la doctrine constitutionnelle turque. Voyons maintenant les critiques adressées à cette interprétation.
Les critiques adressées à la réponse de la Cour constitutionnelle. – Toutes les critiques s'accordent à dire que la Cour constitutionnelle dans ces décisions a fait en effet un contrôle de fond sous l'apparence d'un contrôle de forme.
1. Les auteurs qui désapprouvent la jurisprudence de la Cour constitutionnelle commencent par souligner le but de la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971 qui modifie l'article 147 de la Constitution. Selon ces auteurs[99], on comprend clairement que le texte de l'article 147 interdit à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. D'ailleurs, selon ces auteurs, le but de cette révision dans l'article 147, comme le montre l'exposé des motifs, était d'exclure le contrôle de fond des lois constitutionnelles. En effet, selon l'exposé des motifs de la révision constitutionnelle,
« la Constitution habilite la Grande Assemblée nationale de Turquie en tant que législateur ordinaire et législateur constituant. Les actes de la Grande Assemblée nationale de Turquie en tant que législateur ordinaire, en dehors des exceptions déterminées dans la Constitution, sont soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle conformément à la procédure et aux principes fixés dans la Constitution... Cependant, la Cour constitutionnelle ne peut pas contrôler la constitutionnalité des révisions constitutionnelles adoptées par la Grande Assemblée nationale de Turquie en tant que législateur constituant. En effet, notre Constitution, dans son article 4, alinéa 3, a posé la règle suivant laquelle ‘nul individu ou nul organe ne peut exercer une compétence étatique qui ne trouve pas sa source dans la Constitution’. Alors, la compétence du contrôle de la constitutionnalité qui a été réservée par la Constitution aux lois et aux règlements intérieurs des Assemblées, ne peut pas être élargie par la Cour constitutionnelle aux lois constitutionnelles... Puisque, dans la pratique des années précédentes, les lois constitutionnelles ont fait l'objet du contrôle de la constitutionnalité, il est apparu nécessaire de clarifier le point de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Ce contrôle est limité seulement à la vérification de la conformité des révisions constitutionnelles aux dispositions de la Constitution qui règlent la proposition, la délibération et l'adoption de ces révisions ; c'est‑à‑dire qu'il ne peut pas porter sur le fond des révisions constitutionnelles... La révision de l'article 147 de la Constitution ne permettra pas d'interprétations et applications autres que ce sens »[100].
Comme on le voit, l'exposé des motifs est claire et veut mettre fin au débat sur la question de savoir si la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles. Dans l'exposé, on souligne que, la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles sur la forme, et non pas quant au fond.
2. D'ailleurs, comme nous l'avons vu plus haut, la Cour constitutionnelle, dans ses décisions rendues avant la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, a affirmé qu'elle est compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quand au fond en se fondant sur l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. En d'autres termes, la Cour avant 1971 a défini le contrôle de fond comme la vérification de la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Or après 1971, puisque la nouvelle version de l'article 147 lui interdit le contrôle de fond, alors la Cour a qualifié la même vérification comme un contrôle de forme. C'est‑à‑dire qu'avant 1971, selon la Cour constitutionnelle, l'article 9 de la Constitution était une règle de forme, mais après 1971, une règle de fond. Il n'y a aucune raison pour que la Cour constitutionnelle ait fait le revirement de jurisprudence, sinon pour contourner la nouvelle version de l'article 147 qui lui interdisait de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond[101].
3. Yildizhan Yayla signale une difficulté technique d'accepter l'examen de la Cour constitutionnelle sur ce point comme un contrôle de forme. Les vices de procédure, dit M. Yayla, sont des vices réparables. Au moins, si un acte a été annulé pour vice de procédure, on peut, en principe, l'adopter à nouveau en respectant les règles de procédure. Or, la loi constitutionnelle qui a été annulée par la Cour constitutionnelle quant à la forme pour cause de la non-conformité à l'article 9 ne peut pas être adoptée de nouveau, car elle sera annulée de nouveau par la Cour constitutionnelle[102].
4. D'autre part, comme le remarque le professeur Ergun özbudun, la vérification de la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution « n'est possible qu'en entrant dans le fond de l'affaire. Or, l'article 147 de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971 n'attribue pas à la Cour constitutionnelle la compétence de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond »[103].
En effet, la Cour constitutionnelle, dans cet examen, vérifie d'abord si le contenu de la loi constitutionnelle en question est en contradiction avec les caractéristiques de la République. Ensuite, si elle estime que le contenu de cette loi porte atteinte aux caractéristiques de la République, elle déclare que cette loi est contraire à l'interdiction de proposition prévue dans l'article 9 qui est considérée comme une règle de forme par la Cour constitutionnelle. En d'autres termes, le contrôle de la Cour constitutionnelle, même si l'on accepte qu'il soit un contrôle de forme, est formé de deux étapes : la première nécessite un examen complet du fond de la loi constitutionnelle[104], car la Cour confronte le contenu de la loi constitutionnelle aux caractéristiques de la République définies dans l'article 2 (l'Etat de droit, démocratique, laïque, social etc.). Dans la deuxième étape, si le contenu de la loi constitutionnelle en question est contraire à ces principes, la Cour constitutionnelle déclare la loi constitutionnelle contraire à l'article 9 qui est une règle de forme selon son interprétation. C'est pourquoi, Yildizhan Yayla qualifie ce contrôle comme « contrôle de forme entrant dans le fond »[105]. Ensuite, M. Yayla pose la question suivante : « si la Cour constitutionnelle a dit qu'elle fait le contrôle de fond, qu'est‑ce qu'elle pourrait faire d'autre que cette vérification »[106]? Dans le même sens, le professeur Ergun özbudun reproche à la Cour constitutionnelle de faire un « contrôle de fond sous l'apparence d'un contrôle de forme »[107].
5. En effet, ce point est révélé dans les décisions mêmes de la Cour constitutionnelle. Dans les décisions des 15 avril 1975 et 23 mars 1976, les paragraphes consacrés à l'examen de la conformité des lois constitutionnelles en question à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution se trouvent sous l'intitulé « La question de la conformité à la condition de forme prévue dans l'article 9 »[108].
Il est significatif de voir que, dans les décisions du 12 octobre 1976, et du 27 janvier 1977, les mêmes paragraphes se trouvent sous l'intitulé « V. L'examen du fond du point de vue de la forme (sic) »[109]. La Cour constitutionnelle turque déclare toujours qu'elle n'est pas compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Elle ne contrôle que la régularité formelle de ces lois. Or, dans ces décisions, comme le montre parfaitement cette expression ambiguë, elle examine bel et bien le fond de la loi constitutionnelle. Sinon que signifie l'expression « l'examen du fond du point de vue de la forme » ?
Il est encore frappant de constater que dans sa dernière décision (27 septembre 1977) sur le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles sous la Constitution de 1971, la Cour constitutionnelle a examiné la conformité de loi constitutionnelle en question à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution sous l'intitulé « V. L'examen de fond »[110]. Ceci alors que l'article 147 de la Constitution, depuis la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, lui interdit expressément de faire le contrôle de fond des lois constitutionnelles.
6. On peut critiquer non seulement la jurisprudence de la Cour constitutionnelle selon laquelle elle peut examiner la conformité des révisions constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, mais aussi l'application même dans les cas concrets de cette jurisprudence. Par exemple, comme nous l'avons déjà signalé, la Cour constitutionnelle, en affirmant toujours la même jurisprudence, en suivant toujours le même raisonnement, est arrivée à deux conclusions diamétralement opposées sur la même loi constitutionnelle dans un intervalle de 6 mois.
Dans sa première décision du 23 mars 1976, (Expropriation I), la Cour constitutionnelle, en considérant que
« les alinéas 2 et 3 de l'article 38 de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 ne sont pas contraires à la règle de forme se trouvant dans l'article 9 de la Constitution selon laquelle ‘la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république’ ne peut être modifiée, ni sa modification proposée »[111],
a rejeté la demande en annulation par 8 voix[112] contre 7[113].
Six mois plus tard, dans sa décision du 12 octobre 1976 (Expropriation II), la Cour constitutionnelle, en considérant que
« les alinéas 2 et 3 de l'article 38 de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle n°1488 du 20 septembre 1971 sont contraires à la règle de forme se trouvant dans l'article 9 de la Constitution selon laquelle ‘la disposition de la Constitution stipulant que la forme de l'Etat est une république’ ne peut être modifiée, ni sa modification proposée »[114],
a prononcé l'annulation de ces dispositions par 8 voix[115] contre 7[116].
Comme on le voit, la Cour constitutionnelle a répété, dans ces deux décisions, la même motivation mot pour mot, dans la première pour valider la révision constitutionnelle, dans la deuxième pour l'invalider. Il y a toujours l'application de la même interdiction de réviser la Constitution (celle prévue par l'article 9). Il s'agit également de la même révision constitutionnelle (celle du 20 septembre 1971 révisant l'article 38 de la Constitution). Dans la première, la Cour constitutionnelle a décidé que cette révision constitutionnelle était conforme à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution? Dans la deuxième, elle a conclu que la même révision constitutionnelle était contraire à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.
Cette application diamétralement opposée de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution sur la même révision constitutionnelle, dans deux décisions séparées d'un intervalle de 6 mois, est inexplicable. Elle est contraire au principe de l'Etat de droit qui nécessite une sécurité juridique et une stabilité dans l'ordre constitutionnel.
En effet, cette situation est probablement due au fait que deux membres (Ihsan Ecemis et Ahmet Akar) participant à la délibération de la première décision ont été remplacés par deux autres membres (Fahrettin Uluç et Adil Esmer) dans la deuxième décision et que ces derniers ont voté pour l'annulation de la loi constitutionnelle en question. Ceci montre que l'interprétation de la Cour constitutionnelle est tout à fait point subjective, et par conséquent que le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond est très dangereux. En effet, la vérification de la conformité aux principes de la République des lois constitutionnelles dépend inévitablement de l'appréciation personnelle des membres de la Cour constitutionnelle. Ainsi le changement de deux membres de la Cour suffit à annuler une révision constitutionnelle adoptée par la majorité des deux tiers de l'Assemblée nationale élue par voix du peuple.
7. Il nous semble que la Cour constitutionnelle turque, à cette époque, ne se considérait pas comme liée par les dispositions de la Constitution.
Avant 1971 elle s'était déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme et au fond. De plus elle avait élargi, par l'interprétation, l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.
Comme réaction à cette jurisprudence, le pouvoir de révision constitutionnelle, avec la loi constitutionnelle du 20 septembre 1971, a interdit expressément à la Cour constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond.
Après 1971, la Cour constitutionnelle a cependant répété sa jurisprudence avant 1971. Comme nous l'avons vu, il a affirmé que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme, par conséquent, elle peut contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. La Cour a examiné la conformité aux caractéristiques de la République des lois constitutionnelles, dans les décisions des 15 avril 1975 et 23 mars 1976, sous l'intitulé « La question de la conformité à la condition de forme prévue dans l'article 9 »[117]; dans les décisions des 12 octobre 1976 et 27 janvier 1977 sous l'intitulé « V. L'examen du fond du point de vue de la forme (sic) »[118], et enfin dans la décision du 27 septembre 1977, elle a fini par utiliser carrément l'intitulé « V. L'examen de fond »[119].
Or, le contrôle de fond des lois constitutionnelles a été expressément exclu par la nouvelle version de l'article 147 adoptée par la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971. Comme on le voit, la Cour constitutionnelle turque ne se sentait pas liée par les dispositions expresses de la Constitution.
C'est pourquoi, on peut soupçonner légitimement de d'« obéissance au législateur constituant » des juges de la Cour constitutionnelle turque. En d'autres termes, chez les juges constitutionnels turcs, la question de savoir s'il existe une « idéologie normative », c'est‑à‑dire un « sentiment d'être lié par les règles », se pose inévitablement.
Alf Ross explique que la validité de droit est fondée en effet sur des « hypothèses relatives à la vie spirituelle des juges ». Il parle de l'« obéissance des juges au législateur » ou du « sentiment des juges d'être lié par les règles »[120]. Dans le même sens, Aulis Aarnio parle de l'« idéologie normative des juges »[121]. Selon Alf Ross « le droit présuppose que le juge ait un comportement régulier, mais aussi qu'il ait le sentiment d'être lié par les règles », c'est‑à‑dire qu'il obéisse au législateur. Sans quoi, les normes édictées par le législateur ne pourront pas être valables. Par exemple, supposons que le juge inflige des sanctions en cas d'avortement. Si un jour le législateur édicte une nouvelle loi dépénalisant l'avortement, le juge change soudain son comportement et il n'inflige plus de sanction en cas d'avortement. La nouvelle loi est valable, car le juge a changé son comportement. Mais si le juge continue à appliquer les sanctions en cas d'avortement malgré la nouvelle loi, ceci signifie que la nouvelle loi n'est pas valable, car, elle est privée de toute efficacité. Alors, la validité de la nouvelle loi est fondée aussi sur l'idéologie normative des juges consistant en l'obéissance des juges au législateur, autrement dit, sur le sentiment des juges d'être lié par les règles[122].
A notre avis, on peut affirmer la même chose en matière de révision constitutionnelle. Et on peut dire qu'une loi de révision constitutionnelle n'est valable que si les juges constitutionnels se considèrent liés à la nouvelle règle constitutionnelle.
En d'autres termes, en suivant le raisonnement d'Alf Ross, nous pouvons parler de l'« obéissance des juges constitutionnels au législateur constituant » ou du « sentiment des juges constitutionnels d'être liés par les révisions constitutionnelles » ou bien, en suivant d'Aulis Aarnio, de l'« idéologie normative des juges constitutionnels ». Ainsi nous pouvons conclure que sans cette obéissance, ce sentiment ou cette idéologie, les révisions constitutionnelles ne peuvent être valables.
A la lumière de cette explication théorique, si l'on regarde la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque après 1971, on constate que les juges de la Cour constitutionnelle turque ne se sont pas montrés très attachés à cette « idéologie normative », à cette « obéissance au législateur constituant », autrement dit, ils n'ont pas le « sentiment d'être liés par les révisions constitutionnelles ». Car, après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, ils ont répété leur jurisprudence avant cette révision constitutionnelle. Or, comme réaction à leur jurisprudence avant 1971, le pouvoir de révision constitutionnelle, avec la loi de révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, leur a interdit expressément de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Si les juges constitutionnels turcs avaient eu ce « sentiment d'être liés par les révisions constitutionnelles », ils auraient dû changer leur comportement et se déclarer incompétents pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. A la suite de ce comportement des juges constitutionnels, la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971 a perdu son efficacité, et par conséquent sa validité.
Ainsi la Cour constitutionnelle turque est devenue le vrai pouvoir constituant dérivé dans le pays.
L'appréciation générale de la question. – D'abord, en partant de notre conception du droit que nous suivons tout au long de cette thèse, nous pouvons affirmer qu'il faut rechercher la réponse positive à la question de savoir si l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme.
D'abord rappelons que selon la nouvelle version de l'article 147 adoptée par la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971,
« La Cour constitutionnelle contrôle... la conformité des lois constitutionnelles aux conditions de forme indiquées dans la Constitution ».
Ainsi selon cet article, la Cour constitutionnelle peut examiner la constitutionnalité des lois constitutionnelles à l'égard des « conditions de forme indiquées dans la Constitution ». Alors du point de vue du droit positif, la question qui se pose ici consiste en celle de déterminer les « conditions de forme indiquées dans la Constitution ».
La Cour constitutionnelle a considéré les dispositions de l'article 155 comme « conditions de forme » au sens de l'article 147. Sur ce point, comme nous l'avons montré, l'affirmation de la Cour constitutionnelle est approuvée par la doctrine constitutionnelle. Nous pouvons alors constater que la Cour constitutionnelle peut vérifier la conformité aux dispositions de l'article 155 des lois constitutionnelles. Parce que les dispositions de l'article 155 sont des « conditions de forme », et que l'article 147 habilite expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la conformité des lois constitutionnelles aux « conditions de forme indiquées dans la Constitution ».
Alors pour que la Cour constitutionnelle puisse contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, il faut montrer que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution peut être considérée comme une « condition de forme » au sens de l'article 147 de la Constitution de 1961.
En d'autres termes, la question de savoir si la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution se transforme en celle de savoir si l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution peut être considérée comme une « condition de forme » au sens de l'article 147 de la Constitution. C'est‑à‑dire qu'il faut d'abord répondre à la question de savoir si l'expression « conditions de forme » utilisé dans l'article 147, al.1, de la Constitution de 1961 englobe non seulement les dispositions de l'article 155, mais aussi la disposition de l'article 9 de la Constitution.
Alors il faut interpréter l'expression « conditions de forme » utilisée dans l'article 147 qui détermine la compétence de la Cour constitutionnelle. Sans doute chacun peut interpréter cette expression, comme il l'entend. En droit seulement l'une des ces interprétations peut être valable ; les autres ne sont que des opinions personnelles. Alors, il faut choisir l'interprétation authentique, c'est‑à‑dire celle qui ne peut être juridiquement contestée et qui est la seule à laquelle le droit positif attache des conséquences juridiques.
Alors déterminons l'interprétation authentique de l'expression « conditions de forme », utilisée dans l'article 147 vise, et pour laquelle la Cour constitutionnelle a reçu la compétence de contrôle. Dans le système de la Constitution turque de 1961, l'interprétation donnée à la Constitution par la Cour constitutionnelle est authentique, car, les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives, il n'existe pas de voie de recours à l'encontre de ses décisions, et celles-ci lient tous les organes de l'Etat (art.152 de la Constitution de 1961). En d'autres termes, nul ne pourrait contester juridiquement l'interprétation de la Cour constitutionnelle, d'une part parce qu'il n'existe pas d'interprétation standard à la quelle on pourrait la confronter, d'autre part parce qu'elle n'est pas annulable et produit des effets juridiques quel que soit son contenu.
Et la Cour constitutionnelle turque a interprété l'expression « conditions de forme » employée dans l'article 147, comme englobant non seulement les dispositions de l'article 155, mais aussi celle de l'article 9. Elle a dit clairement que l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme.
Alors il nous reste à conclure que, selon l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle, l'expression « conditions de forme » mentionnée dans l'article 147 de la Constitution qui détermine la compétence de la Cour constitutionnelle comprend aussi l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Par conséquent, l'article 9 est une règle de forme et de ce fait, la vérification de la conformité à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution des lois constitutionnelles est un contrôle de forme, et non pas un contrôle de fond, selon toujours l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle turque. Par conséquent, la Cour constitutionnelle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles non seulement aux dispositions de l'article 155, mais aussi à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution.
Voilà la seule réponse qui est valable. Cependant cette solution, comme nous l'avons montré plus haut est sévèrement critiquable. Nous aussi personnellement nous désapprouvons entièrement l'interprétation de la Cour constitutionnelle selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme. Cependant, du point de vue du droit positif, c'est la seule interprétation qui est valable.
* * *
Les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs. La Cour a le pouvoir d'interprétation authentique. Néanmoins la Cour constitutionnelle n'est pas à l'abri des réactions des autres organes du système constitutionnel. Il est vrai que la Cour constitutionnelle est libre de choisir son comportement. Mais elle doit prendre en considération les réactions qu'elle peut déclencher de la part de ses partenaires, car, en dernière analyse, la Cour constitutionnelle elle aussi fonctionne dans un système politique. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme pourrait, à long terme, mettre en danger les intérêts institutionnels de la Cour elle‑même.
En effet, comme nous allons le voir plus bas, juste quelques années après ces décisions de la Cour constitutionnelle, à la suite du coup d'Etat du 12 septembre 1980, le pouvoir constituant originaire qui a fait la Constitution turque de 1982, comme réaction à l'interprétation de la Cour selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution est une règle de forme, a précisé, dans l'article 148, alinéa 2, de la nouvelle Constitution, en quoi consiste-t-il le contrôle de forme :
« Le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme se limite à la vérification du respect des majorités nécessaires à leur proposition, et leur adoption et à la condition d'après laquelle elles ne peuvent pas être délibéré selon la procédure d'urgence ».
Nous allons voir cette disposition en détail plus bas. Mais notons tout de suite que sous la Constitution de 1982, devant cette définition claire du contrôle quant à la forme, il est peu probable que la Cour constitutionnelle puisse réaffirmer sa jurisprudence selon laquelle l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat est une règle de forme, et qu'elle peut contrôler la conformité à cette règle des lois constitutionnelles.
Après avoir affirmé qu'elle peut contrôler la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, il y avait encore une autre question qui se posait à la Cour constitutionnelle : celle de l'étendue de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, c'est‑à‑dire, celle de la définition de la « forme républicaine de l'Etat ». En quoi consiste l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution ? Comment peut‑on déterminer l'étendue de cette interdiction ? Que protège l'article 9 ? Qu'est-ce qui est intangible selon cet article ? En d'autres termes, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution protège‑t‑elle la République en tant que forme de l'Etat (art.1) mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2 ?
La Cour constitutionnelle turque a donné une réponse affirmative à ces questions. Elle a interprété encore d'une façon large l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution. Selon cette interprétation, l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution protège non seulement la forme républicaine de l'Etat déterminée dans l'article 1er, mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2 de la Constitution à savoir l'Etat de droit, démocratique, laïque et social, basé sur les droits de l'homme. A ce propos, la Cour constitutionnelle a maintenu sa jurisprudence du 16 juin 1970[123], en répétant sa motivation de l'époque[124].
Ainsi la Cour constitutionnelle s'est déclarée, après 1971 tout comme avant 1971, compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles à l'égard non seulement de l'article 1 qui dit que « l'Etat turc est une République », mais aussi des caractéristiques de la République définies dans l'article 2 de la Constitution. Car, selon la Cour constitutionnelle, l'interdiction de réviser la Constitution prévue par l'article 9 protège non seulement l'article 1 qui détermine la forme républicaine de l'Etat, mais aussi les caractéristiques de cette République définies dans l'article 2. Comme on le voit la Cour interprète cette interdiction d'une façon très large. Ainsi selon la Cour, elle pouvait contrôler la conformité des lois constitutionnelles à ces caractéristiques.
En résumé, la Cour définit le mot « république » dans son sens large. Selon la Cour, ce qui est intangible est non seulement le mot « république », mais aussi le régime républicain dont les caractéristiques sont définies dans l'article 2 de la Constitution, c'est‑à‑dire, l'Etat de droit démocratique, national, laïque, et social, basé sur les droits de l'homme.
Cette interprétation aussi a été très sévèrement critiquée dans la doctrine constitutionnelle turque. En effet, cette interprétation n'était pas une nouveauté, mais l'affirmation de sa jurisprudence avant 1971. Nous avons donné les critiques adressées à l'interprétation large par la Cour constitutionnelle de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution plus haut[125]. C'est pourquoi nous ne reprenons pas ici ces critiques.
En Turquie, comme venons de le voir avec les détails plus haut, sous la Constitution de 1961, après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles a été expressément réglementé. Par conséquent, après 1971, le cas de la Turquie doit être analysé comme un système dans lequel le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est réglementé par la constitution.
Dans un tel système, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitutionnelles est possible ou impossible selon la réglementation constitutionnelle. Selon la version de l'article 147 adoptée par la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle turque pouvait contrôler sans aucun doute la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme, car cet article a habilité expressément la Cour constitutionnelle à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme.
Ainsi avec cette solution textuelle positive, on pouvait attendre que la Cour constitutionnelle continue à contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Conformément à cette réglementation constitutionnelle, la Cour constitutionnelle s'est déclarée compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant à la forme. Et elle a contrôlé effectivement la constitutionnalité de six lois constitutionnelles quant à la forme. Alors en Turquie, dans cette période, les limites de forme à la révision constitutionnelle inscrites dans le texte de la Constitution de 1961 étaient sanctionnées par le contrôle de la Cour constitutionnelle. Par conséquent, le pouvoir de révision constitutionnelle était effectivement lié par ces limites selon l'interprétation de la Cour constitutionnelle.
Par contre, sous la Constitution de 1961, après la révision constitutionnelle du 20 septembre 1971, la Cour constitutionnelle ne pouvait pas contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond, car ceci a été expressément exclu par l'article 147 de la Constitution.
Après cette révision constitutionnelle, on pouvait attendre que la Cour constitutionnelle change sa jurisprudence, et se déclare incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Conformément à la réglementation constitutionnelle après 1971, la Cour constitutionnelle s'est déclarée incompétente pour contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles quant au fond. Mais cette déclaration d'incompétence n'était qu'une affirmation apparente, car, comme nous venons de le voir, la Cour constitutionnelle a continué à exercer un contrôle de fond sur les lois constitutionnelles. En effet la Cour constitutionnelle a contrôlé la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution, car, selon l'interprétation de la Cour constitutionnelle, la disposition de l'article 9 était une règle de forme.
Nous avons critiqué longuement cette interprétation de la Cour constitutionnelle. Mais nous avons également signalé que l'interprétation de la Cour constitutionnelle est authentique, et par conséquent sous cette période, la vérification de la conformité des lois constitutionnelles à l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat prévue dans l'article 9 de la Constitution était un contrôle de forme selon l'interprétation authentique de la Cour constitutionnelle.
Continue après les notes.
[1]. Ce titre, Chapitre 1, § 1.
[2]. Ce titre, Chapitre 1, § 1, A.
[3]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1975-87 du 15 avril 1975 (Durée de la détention provisoire, Tribunaux de sûreté d'Etat, Tribunaux militaires, Tribunaux d'état de siège), A.M.K.D., n° 13, 1976, p.403‑478.
[4]. Resmi Gazete [Journal officiel], n° 14482 du 20 mars 1973.
[5]. A.M.K.D., n° 13, 1976, p.427.
[6]. Ibid., p.426‑427.
[7]. Ibid.
[8]. Ibid., p.427.
[9]. Ibid.
[10]. Ibid., p.430-431.
[11]. Voir infra, 2, c.
[12]. Voir, cette sous-section, § 1, B, 1, a. (supra, p.575).
[13]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975, A.M.K.D., n° 13, 1976, p.429.
[14]. Voir infra, cette sous-section, § 1 B, 3, a.
[15]. Exposé des motifs des auteurs de saisine, II, A, a. Voir A.M.K.D., n° 13, 1976, p.406‑407.
[16]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975, A.M.K.D., n° 13, 1976, p.435.
[17]. Ibid.
[18]. Ibid., p.408.
[19]. Ibid., p.409-410.
[20]. Ibid., p.438-437.
[21]. Ibid., p.440.
[22]. Ibid., p.443.
[23]. Ibid., p.444.
[24]. Ibid., p.445.
[25]. Ibid., p.441.
[26]. Ibid., p.446.
[27]. Ibid., p.447.
[28]. Ibid., p.447‑448.
[29]. Ibid., p.448.
[30]. Ibid., p.412.
[31]. Ibid., p.449.
[32]. Ibid., p.450.
[33]. Ibid., p.451.
[34]. Voir infra, « 2. Critique ». (p.635 et s.).
[35]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1976-19 du 23 mars 1976 (Expropriation I), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.118-160.
[36]. Resmi Gazete [Journal officiel], n° 13964 du 22 septembre 1971.
[37]. A cette occasion, signalons qu'en Turquie, les Constitutions de 1961 et 1982 prévoient non seulement le contrôle abstrait des normes (contrôle par voie d'action), mais aussi le contrôle concret des normes (contrôle par voie d'exception). Le contrôle concret est exercé par la Cour constitutionnelle à la suite de la saisine d'office par un tribunal ou à la demande d'une des parties au procès. Mais dans ce dernier cas, le tribunal estime si l'exception d'inconstitutionnalité est sérieuse (Constitution de 1961, art.151 ; Constitution de 1982, art.152).
[38]. Voir l'exposé des motifs du Tribunal saisissant, in A.M.K.D., n° 14, 1977, p.118-122.
[39]. Décision n° 1976-19 du 23 mars 1976 (Expropriation I), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.127‑128.
[40]. Ibid., p.131-132.
[41]. Cette motivation est également répétée dans les décisions des 13 avril 1971, 15 avril 1975.
[42]. Décision n° 1976-19 du 23 mars 1976 (Expropriation I), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.131.
[43]. Ibid., p.134-135.
[44]. Ibid., p.136.
[45]. Kani Vrana, Ahmet Akar, Halit Zarbun, Abdullah Uner, Lutfi Ömerbas, Hasan Gürsel, Ahmet Salih Cebi et Nihat O. Akçakayalioglu.
[46]. Sevket Müftügil, Ihsan Ecemis, Ziya Önel, Ahmet Koçak, Sekip Copuroglu, Muhittin Gürün et Ahmet Boyacioglu.
[47]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1976-46 du 12 octobre 1976 (Expropriation II), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.252‑285.
[48]. Resmi Gazete [Journal officiel], n° 13964 du 22 septembre 1971.
[49]. Tribunal civil de première instance d'Antalya.
[50]. Voir exposée des motifs du tribunal saisissant, in A.M.K.D., n° 14, 1977, p.252‑255.
[51]. Voir « b. La décision du 23 mars 1976 ».(Supra, p.624)
[52]. Décision n° 1976-46 du 12 octobre 1976 (Expropriation II), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.262‑264.
[53]. Ibid., p.264.
[54]. Ibid., p.265. [V. Esasin Biçim Yönünden Incelenmesi (sic!)].
[55]. Ibid., p.263.
[56]. Ibid., p.265.
[57]. Ibid., p.266.
[58]. Ibid., p.267.
[59]. Ibid.
[60]. Ibid., p.275.
[61]. Ibid., p.276.
[62]. Kani Vrana, Ahmet Akar, Halit Zarbun, Abdullah Üner, Lûtfi Ömerbas, Hasan Gürsel, Ahmet Salih Cebi et Nihat O. Akçakayalioglu.
[63]. Sevket Müftügil, Ihsan Ecemis, Ziya Önel, Ahmet Koçak, Sekip Copuroglu, Muhittin Gürün et Ahmet Boyacioglu.
[64]. Sevket Müftügil, Ziya Önel, Ahmet Koçak, Sekip Copuroglu, Fahrettin Uluç, Muhittin Gürün, Adil Esmer et Ahmet Boyacioglu.
[65]. Kani Vrana, Ahmet Akar, Halit Zarbun, Abdullah Üner, Lûtfi Ömerbas, Hasan Gürsel, Ahmet Salih Cebi et Nihat O. Akçakayalioglu.
[66]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1976-47 du 12 octobre 1976 (Expropriation III), A.M.K.D., n° 14, 1977, p.286‑300.
[67]. Ibid., p.298.
[68]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1977-4 du 25 janvier 1977 (Conseil supérieur des juges), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.106‑131.
[69]. Resmi Gazete [Journal officiel], n° 13964 du 22 septembre 1971.
[70]. Voir l'exposé des motifs de la 5e Chambre du Conseil d'Etat, in A.M.K.D., n° 15, 1977, p.106‑108.
[71]. Décision n° 1977-4 du 25 janvier 1977 (Conseil supérieur des juges), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.112.
[72]. Ibid., p.113-114.
[73]. Ibid., p.114.
[74]. Ibid.
[75]. Ibid., p.115-116
[76]. Ibid., p.116.
[77]. Signée à Rome le 4 novembre 1950.
[78]. La loi n° 6366 du 18 mai 1954, Resmi Gazete [Journal officiel], 19 mai 1954, n° 8662.
[79]. Décision n° 1977-4 du 25 janvier 1977 (Conseil supérieur des juges), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.117.
[80]. Ibid.
[81]. Ibid.
[82]. Ibid., p.117.
[83]. Ibid.
[84]. Ibid., p.117-118.
[85]. Ibid., p.118.
[86]. Ibid.
[87]. Ibid., p.119. Pour l'opinion dissidente du juge Nihat O. Akçakayalioglu, voir A.M.K.D., n° 15, 1978, p.129-131.
[88]. Cour constitutionnelle turque : décision n° 1977-117 du 27 septembre 1977, (Conseil supérieur des procureurs), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.444‑463.
[89]. Resmi Gazete [Journal officiel], n° 13964 du 22 septembre 1971.
[90]. Rappelons que, comme nous venons de l'étudier, la nouvelle version de l'article 144 adoptée par la même loi constitutionnelle avait exclu tout recours juridictionnel contre les décisions du Conseil supérieur des juges.
[91]. Voir l'exposé des motifs de la 5e Chambre du Conseil d'Etat, in A.M.K.D., n° 15, 1978, p.444‑449.
[92]. Décision n° 1977-117 du 27 septembre 1977, (Conseil supérieur des procureurs), A.M.K.D., n° 15, 1978, p.456.
[93]. Ibid., p.456-457.
[94]. Ibid., p.458. Les juges minoritaires sont Abdullah Üner et Nihat O. Akçakayalioglu. Leur opinion dissidente est annexée à ladite décision, voir A.M.K.D., n° 15, 1978, p.458‑561.
[95]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975 (Durée de la détention provisoire, Tribunaux de sûreté d'Etat, Tribunaux militaires), A.M.K.D., n° 13, 1976, p.427.
[96]. Ibid., p.426‑427.
[97]. Ce titre, Chapitre 1, § 1.
[98]. Décision n° 1975-87 du 15 avril 1975, p.430-431.
[99]. Özbudun, op. cit., 1993, p.135 ; Onar, op. cit., p.142-144 ; Soysal, 100 Soruda Anayasanin Anlami [Le sens de la Constitution en 100 questions], 1977, op. cit., p.220‑221 ; Türkçapar, op. cit., p.35 ; Akad, op. cit., p.39.
[100]. Exposé des motifs de la loi constitutionnelle n° 1488 du 20 septembre 1971 (concernant la révision de l'article 147 de la Constitution). Cette exposée des motifs est annexée au compte rendu du séance n° 156 du 17 août 1971 de l'Assemblée nationale. Millet Meclisi Tutanak Dergisi [Recueil des comptes rendus de l'Assemblée national], (3e Législature, Session 2, Séance 156), vol.17, p.16‑17 cité par Onar, op. cit., p.144.
[101]. Yayla, « Anayasa Mahkemesine Göre Cumhuriyetin Özü » [L'essence de la République d'après le Cour constitutionnelle], op. cit., p.980 ; Türkçapar, op. cit., p.32‑33.